Histoire de l’administration PDF

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This document provides an overview of the historical administrative divisions of France before the French Revolution. It details the complexities of the territorial organization, including provinces, parlements, and generalites, highlighting the evolution of administrative structures under different regimes. It explores the interplay between centralized monarchy and local structures.

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HISTOIRE DE L’ADMINISTRATION Partie 1. L’organisation du territoire sous l’ancienne monarchie (avant 1789) Chapitre 1. Le découpage thématique et hétérogène du territoire du Royaume Le découpage administratif du territoire franç...

HISTOIRE DE L’ADMINISTRATION Partie 1. L’organisation du territoire sous l’ancienne monarchie (avant 1789) Chapitre 1. Le découpage thématique et hétérogène du territoire du Royaume Le découpage administratif du territoire français avant la Révolution frappe par sa complexité, son imprécision, son incertitude, et fait l’objet de nombreuses critiques. Les Lumières estiment que l’on doit pouvoir maîtriser l’espace, les territoires, les ressources naturelles, scientifiquement, rationnellement, au contraire du découpage administratif. De plus, il s’agit d’un découpage thématique. À la veille de la Révolution, de multiples limites internes sillonnent le territoire français. Ce dernier est le produit de siècles d’histoire : les premiers découpages ecclésiastiques, capétiens, féodaux, et les ajouts monarchiques. Section 1. Les principales grandes circonscriptions de l’Ancien Régime La caractéristique première de cette division interne est la superposition de maillages qui traduisent la coexistence d’institutions inégalement anciennes. 1. Les provinces ecclésiastiques : l’ancienneté du cadre religieux Il s’agit des circonscriptions religieuses majeures de l’Église chrétienne catholique en France. Il s’agit de la circonscription de l’archevêque (intermédiaire entre le pape et les évêques). Au début du IVe, Rome établit une liste de villes et de provinces articulées autour de celles-ci. Ces provinces ont servi de division administrative pour la Gaule, alors morceau de l’Empire romain. Parmi les institutions de l’Empire s’organisant dans ces subdivisions, on trouve l’Église romaine. À la chute de l’Empire romain, l’Église est l’une des seules institutions à se maintenir, en conservant ses anciennes structures. À la fin de l’Ancien Régime, les provinces ecclésiastiques gardent clairement le souvenir de ces vieilles circonscriptions romaines. Ce cadre est resté relativement stable tout au long de l’Histoire de France depuis l’époque carolingienne. 2. Les ressorts des parlements : les traces de l’histoire du Royaume A. La naissance du parlement de Paris Initialement, il n’existait qu’un parlement dans le Royaume de France. Traditionnellement, la justice royale est rendue par le Roi dans la curia regis. À partir du XIIIe, le Royaume s’agrandit, les affaires se multiplient, le droit se complexifie, se spécialise, et il devient matériellement impossible pour le Roi de rendre la justice lui-même. Une institution est alors créée : la curia in parlamento. C’est la naissance du parlement (de Paris). B. La multiplication des cours souveraines ou l’histoire du domaine de la couronne Au fil des siècles, le territoire du Royaume continue de s’élargir, amenant le pouvoir royal à créer de nouveaux parlements. À partir du XVe et ce jusqu’à la Révolution française, 12 nouveaux parlements et 4 conseils souverains naissent alors. Ces nouveaux parlements ont des origines diverses. Certains sont créés de toute pièce pour soulager le parlement de Paris (ex : Toulouse), d’autres ne sont pas des créations royales mais des institutions antérieures que le pouvoir royal a maintenu (ex : Bretagne). Le poids de l’Histoire rend donc les ressorts des différents parlements ou conseils souverains très variables. C. Les parlements et la chute de l’ancienne monarchie Ce sont des institutions parmi les plus uniques et originales de l’Ancien Régime, par la confusion de leurs compétences. Les parlements cumulent des fonctions qui se mêlent. Ils rendent la justice et dominent la hiérarchie judiciaire dans leur ressort ; enregistrent les édits royaux et interviennent dessus ; sont chargés de la police économique, de l’administration des villes, de la vie religieuse ; etc. Ces institutions très puissantes entrent régulièrement en conflit avec le pouvoir royal, ce qui va participer entre autres à déclencher la Révolution française. 3. Les gouvernements militaires : puissance et impuissances royales A. Les gouvernements : la structuration militaire de la monarchie à la fin du Moyen Âge Il existe des gouverneurs militaires à partir du XIVe, lors de la guerre de Cent Ans. Ils apparaissent d’abord seulement dans certaines parties du territoire. Il s’agit de très grands du Royaume, voire d’un prince de sang royal. Leur fonction est de représenter, incarner l’autorité royale dans sa fonction militaire. L’apogée des gouverneurs a lieu au XVIe à l’occasion des guerres de religion. Ils prennent davantage d’importance et de pouvoir, au point qu’ils débordent souvent largement de leur strict domaine militaire et de leur fonction de représentant du Roi (ex : levée d’impôts, contre-décisions). Au XVIIe, alors que le pouvoir royal s’affermit au sortir des guerres de religions, des ordonnances royales tentent de les recadrer, mais il s’avère compliqué au vu de leur position. B. Louis XIV face aux gouverneurs C’est Louis XIV qui a tenté de recadrer le plus les gouverneurs. Or, il lui est impossible de supprimer les gouvernements, parce qu’on ne supprime jamais une institution existante sous l’Ancien Régime (respect de l’Histoire, tradition). Ainsi, Louis XIV utilise d’autres méthodes. Il réduit le nombre de gouvernements, mais donnant plus de pouvoirs aux gouverneurs, il augmente alors leur nombre. Puis, il leur retire un certain nombre d’attributions confiées à d’autres institutions placées sous son contrôle. Enfin, ils ne peuvent aller sur leur territoire et doivent rester à Versailles. Ainsi, à l’aube de la Révolution, avec les successeurs de Louis XIV continuant son action, le gouvernement devient une charge purement honorifique aux frontières indécises. 4. Les généralités : la circonscription préférée de l’absolutisme A. Le cadre d’une administration fiscale multiforme La généralité naît d’un édit de 1542 établissant 16 recettes générales (33 en 1789). Il s’agit de la circonscription du trésorier général et du receveur général, prenant en charge la perception des impôts. Mais, les généralités ne sont pas identiques et ne fonctionnent pas toutes de la même manière. Dans les pays d’États, il existe des assemblées locales où sont représentés les trois ordres. Ce sont elles qui délibèrent, consentent, et fixent le montant de l’impôt. Le pouvoir des agents du Roi y est alors nécessairement amoindri. Les pays d’élection ne disposent pas d’une telle assemblée (plus vieux territoires), et l’impôt y est décidé par un bureau des finances composé d’élus (nommés par le pouvoir royal). Les pays d’imposition (plus récents territoires) fonctionnent de la même manière que les pays d’élection, sans l‘appellation d’élus (pas d’histoire). B. Le cadre de l’intendance Au XVIe, la monarchie crée l’intendance, dans le cadre déjà existant des généralités. Au XVIIe et XVIIIe, les intendants deviennent les rouages essentiels de l’absolutisme monarchique sur le territoire du Royaume. C’est l’agent du Roi, un ancêtre du préfet. Son importance considérable tient en grande partie à l’étendue de ses fonctions. Il est “intendant de justice, police, et finances, commissaire départi dans les généralités pour l’exécution des ordres du Roi”. Du point de vue de la justice, l’intendant surveille les juridictions et exerce un pouvoir direct de justice. Du point de vue de la police, il intervient pour le bien public au sens le plus large. Du point de vue des finances, il est commissaire du Roi aux États dans les pays d’États, et la fiscalité ne dépend que de lui dans les pays d’élection et d’imposition. La généralité est devenue une circonscription considérablement importante. Mais au XVIIIe, l’institution est contestée : ses relations avec les autorités locales sont très difficiles, elle incarne la volonté absolutiste de la monarchie, bouleverse les habitudes et traditions, et exerce l’autorité absolue sans être le Roi (absence de légitimité). Les cartes ecclésiastiques, judiciaires, militaires, fiscales mettent en valeur des divisions aux formes irrégulières et souvent disproportionnées. Il y a par ailleurs peu de coïncidence des divisions sauf pour quelques territoires souvent intégrés tardivement (Bretagne, Dauphiné, Provence, etc), et les limites sont souvent imprécises et mal connues des administrés mais aussi des administrateurs. Précisions terminologiques : les “pays” et les “provinces” d’Ancien Régime. Sous l’Ancien Régime, on donnait indifféremment les termes de “province” ou de “pays”, qui n’avait aucune signification administrative précise et réelle, sauf dans le cadre de la province ecclésiastique. Le Roi utilise le terme “mes provinces” se rapportant souvent à une ancienne circonscription féodale qui étaient des territoires présentant une certaine unité au Moyen Âge. C’était le cas pour désigner les territoires rattachés récemment au Royaume, qui étaient auparavant dotés d’homogénéité politique. Le Roi fait référence à ce qui était anciennement une unité et qui a été intégré au Royaume. Par ailleurs, le terme “province” a aussi été appliqué à des territoires français depuis plus longtemps mais qui avaient acquis une forme d’autonomie ou de structure provinciale non officielle (Languedoc). Cependant, au XVIIIe, ce terme est aussi devenu un synonyme de généralité et d’intendance. Section 2. Les circonscriptions de la vie locale sous l’Ancien Régime À la veille de la Révolution la cellule de base de la vie locale en France était soit la paroisse (circonscription ecclésiastique) la ville (centre urbain), ou la communauté rurale (dominante dans les zones rurales). Au XIIe, les villes ont été les premières à s'émanciper de l'autorité seigneuriale en s’affirmant comme territoires autonomes, ayant acquis un pouvoir économique et administratif significatif. Juridiquement, cette autonomie prenait la forme de chartes, obtenues par la force ou la négociation, dans lesquels les seigneurs locaux reconnaissaient un certain nombre de privilèges et de libertés (fiscalité propre, organisation interne, juridictions propres, etc). Dans le nord, on les appelait communes, et dans le sud, consulats. Cette relative autonomie que les villes ont réussi à construire se heurte finalement à l'autorité du pouvoir royal. Pendant la Guerre de Cent Ans, de nombreuses villes, se considérant comme totalement libres, s'allient successivement au pouvoir royal. Cette alliance permet au pouvoir royal de justifier, à partir du XVe, la soumission des villes à l’autorité du roi. Ainsi, durant les XVe et XVIe, le pouvoir royal réduit considérablement les libertés et l’autonomie des villes. Un contrôle de plus en plus strict est imposé, si bien qu’à la fin de la monarchie, les villes sont largement placées sous l'autorité directe du roi et de ses représentants, contrastant avec les libertés dont elles jouissaient auparavant. L’immense majorité de la population française vit dans les zones rurales, ce qui fait des communautés rurales et des paroisses les premiers lieux d’intérêt commun et d’organisation locale. Ces communautés sont dotées de règles d'organisation extrêmement rudimentaires, voire souvent inexistantes, sans structures fixes. En pratique, l’encadrement des populations est principalement assuré par l'Église. 1. Les diocèses : subdivisions des provinces ecclésiastiques Cependant, l'Église et le pouvoir royal ont tenté d’établir des relais et des intermédiaires pour relier les communautés rurales aux grandes circonscriptions. L’un des défis majeurs était de créer des circonscriptions intermédiaires permettant de faire le lien entre ces deux niveaux. Pour l'Église, cette circonscription intermédiaire est le diocèse, subdivision des provinces ecclésiastiques. Dirigé par un évêque, il regroupe des paroisses, chacune étant sous l’autorité d’un curé. Ce découpage est largement inspiré des structures administratives romaines. Dès le haut Moyen Âge, les diocèses se multiplient pour améliorer l’encadrement des populations sur les questions religieuses. Mais cette expansion est parfois motivée davantage par des raisons politiques que religieuses. À la fin de l’Ancien Régime, la géographie est très contrastée. Certains territoires sont très morcelés tandis que certains diocèses couvrent un territoire immense (Bourges, Limoges, Poitiers, Besançon, etc). 2. Les bailliages et sénéchaussées : premiers niveaux de surveillance royale Les baillis (nord) et les sénéchaux (sud) sont créés au XIIe pour superviser les prévôts (nord) et les viguiers (sud) ayant pris du pouvoir, sans les supprimer. Leur fonction première est de rendre la justice, mais ça s’élargit avec le temps, exerçant des pouvoirs administratifs et militaires et devenant des figures clés de l'administration royale. Le pouvoir royal se méfie de si larges pouvoirs et craint trop d’autonomie. Dès le XVe, la monarchie limite leurs attributions pour mieux les contrôler, mais ils ne seront jamais supprimés malgré cette restriction progressive. À la fin de l’Ancien Régime, ils continuent d’exercer la justice sur certaines affaires, mais leurs effectifs et leur influence ont considérablement diminué. Les baillis et sénéchaux demeurent des acteurs du système judiciaire royal, symbole de la lente centralisation du pouvoir monarchique au fil des siècles. Aussi, les délimitations géographiques des bailliages et sénéchaussées sont souvent floues, créant une certaine confusion administrative. En 1789, lorsque les États généraux sont convoqués, le pouvoir royal décide de les prendre comme unités électorales pour organiser les élections des députés. Mais il se retrouve incapable de préciser avec exactitude où et comment les élections doivent se dérouler. 3. Subdivisions de la généralité : les circonscriptions intermédiaires de l’absolutisme L'organisation des finances sous l'Ancien Régime se subdivise à plusieurs niveaux. En dessous des recettes générales, on trouve une division en recettes particulières, qui se déclinent elles-mêmes en fonction des spécificités locales. Dans un pays d'élections, les impôts sont fixés par les agents royaux, alors que dans un pays d’États, les impôts sont négociés par les assemblées locales. Dans les deux cas, les recettes sont placées sous la surveillance de l’intendance, institution clé du contrôle fiscal et administratif. Chaque province dispose d’un intendant, représentant direct de l’autorité royale, qui délègue ses pouvoirs à des subdélégués au niveau local, qui sont chargés de surveiller l’application des décisions fiscales et administratives. Leur nomination est à la discrétion de l’intendant, qui dispose d'une grande flexibilité dans l'organisation de son territoire. Une caractéristique notable est que les intendants utilisent souvent de vieilles divisions territoriales issues de la monarchie, comme les vigueries, ressuscitées pour devenir des subdivisions des généralités. Ça permet ainsi à la monarchie de mieux ancrer son autorité dans les territoires. Dans certains territoires, on voit un morcellement régulier de taille moyenne (généralités de Caen ou de Poitiers), faisant part d’un début du mouvement de rationalisation. Chapitre 2. Le legs de la monarchie d’Ancien Régime Section 1. L’importance du pouvoir central et sa contestation traditionaliste À la fin de l’Ancien Régime, l’administration française est fortement “centralisée” (anachronisme). Notre centralisation actuelle est plutôt “napoléonienne”, mais la volonté de gouverner depuis le sommet est héritée de l’absolutisme Cette “centralisation” est contestée par les défenseurs d’une conception traditionnelle de la monarchie et des libertés. 1. Le gouvernement par le centre depuis le conseil via les intendants Le pouvoir royal tente de mettre cette centralisation en place en utilisant le Conseil du Roi, cœur de l’administration du territoire, mais aussi en mettant à profit les intendances. Les intendants étaient membres du conseil mais en étaient détachés : “commissaires départis”. Ils sont l’expression de la volonté du pouvoir royal d’assurer une gestion uniforme des intérêts locaux. Ils sont l’expression de la mainmise du pouvoir central sur les organes locaux. En parallèle, le Roi veut gouverner tout son royaume depuis Versailles. Pour ce faire, il développe l’administration centrale. Aux XVII-XVIIIe, se développent des départements ministériels menant à la naissance d’une forme de bureaucratie, une “monarchie administrative”. Par ce biais, le pouvoir royal multiplie les domaines dans lesquels il intervient, mettant à profit les intendants. Toutefois, cette volonté est compliquée à mettre en place car la monarchie parvient très peu à concrétiser l’aspiration à la centralisation. En effet, les agents locaux de la monarchie se heurtent à des résistances des anciennes institutions, victimes de la centralisation car perdant de leurs pouvoirs, impossible à supprimer. 2. La tradition contre la puissance du centre Il existe aussi des courants de pensées qui refusent cette volonté de gestion centrale des intérêts du royaume. Les premiers à s'opposer à cette conception centralisée sont les traditionalistes. Cette dénonciation de la centralisation est une tendance que l’on retrouve aux XIX-XXe, principalement réalisée au nom de l’Histoire, permettant d’observer que tous les auteurs qui publient à partir du XVIIe expriment tous une même nostalgie pour une époque embellie, révolue, où l’institution royale était présente, importante, mais pas toute puissante, et dialoguant avec les institutions traditionnelles. Parmi les auteurs de ce courant, on peut citer Fénelon, qui préconise que l’on instaure des États provinciaux sur tout le royaume et qu’on supprime les intendants. De plus, il serait question de réunir fréquemment les États généraux, ramenant ainsi le dialogue au sein de la monarchie. L’autre grand auteur traditionaliste est Boulainvilliers qui qualifie les intendants “d’oppresseurs de la patrie” et de “vils adorateurs d’un pouvoir tyrannique”. Montesquieu, lorsqu’il publie au XVIIIe, s’inscrit aussi dans ce courant qui aspire à limiter la toute-puissance du pouvoir royal centralisé en invoquant des gardes-fous que peuvent être les pouvoirs traditionnels. Il préconise un équilibre entre la puissance royale et d’autres puissances sociales. C’est un fervent défenseur des anciens pouvoirs des villes dans De l’esprit des lois. Il souhaite aussi restaurer de puissantes institutions provinciales afin que la nation retrouve une capacité à gérer ses intérêts locaux. Dès lors, ceux qui devront incarner le pouvoir de la Nation à s'administrer elle-même sont les nobles, retrouvant un pouvoir qu’on leur aurait confisqué. La limite de ce courant de pensée c’est que l’objectif n’est pas d’assurer l’exigence d’autonomie locale, seulement la défense du pouvoir des représentants traditionnels de la Nation. Section 2. Les projets et essais de réformes sous Louis XVI Durant la première partie de son règne, Louis XVI va vouloir réformer la manière dont est administré le territoire. Ces projets font partie de ce que les révolutionnaires vont recevoir en héritage de l’ancienne monarchie, et vont souvent s’en inspirer, sans pour autant le revendiquer. 1. Les projets utilitaristes au service de l’efficacité administrative Les ministres de Louis XVI font des tentatives de réformes locales. Les premiers à nourrir cette réflexion sont les utilitaristes, ceux qui veulent réformer l’organisation de l’administration avec, comme souci premier, l'efficacité de cette administration, afin de renforcer la monarchie. La réformation de ces auteurs ne se forme pas sur le respect de la démocratie mais sur l’utilité de l’administration au public. Les traditionalistes veulent faire des administrations locales des contre-pouvoirs face à la monarchie absolue. Les utilitaristes, eux, n’aspirent pas à une séparation ou à un partage des pouvoirs. Ils veulent en revanche redéfinir l’exercice du pouvoir. Dans cette nouvelle organisation, les citoyens doivent participer, non pas parce que c’est leur droit, mais parce qu’ainsi l’administration devient plus efficace. Les intérêts locaux ne sont pas remis en cause par souci de cohérence de l’administration générale. Parmi les auteurs utilitaristes, il y a Turgot et son Mémoire sur les municipalités. Il y défend des administrations locales élues dotées de compétences en matière fiscale. Il propose une forme de hiérarchie pyramidale d’assemblées élues : municipalités de paroisses < assemblées d’élections < assemblées de provinces < “grande municipalité” en rapport avec le Roi. Leurs compétences sont strictement fiscales : répartir et s’assurer de la collecte des impôts. 2. Les assemblées provinciales sous Louis XVI Au-delà des projets, il va effectivement y avoir des tentatives de réforme. À la toute fin de l’Ancien Régime, cette réforme prend la forme d’une expérimentation en 1778-1779. Necker expérimente la création d’assemblées provinciales en Berry et en Guyenne, où il n’y avait pas d’États provinciaux. D’autres territoires devaient en profiter mais seules ces deux assemblées sont effectivement mises en place. Les autres tentatives de Necker se heurtent à l’opposition des parlements locaux, ayant peur de perdre du pouvoir. Au sein de ces assemblées, la division par ordre subsiste mais les députés du Tiers sont deux fois plus nombreux que ceux des autres ordres. Ces assemblées inaugurent également le vote par tête. Toutefois, ces assemblées provinciales n’ont que des compétences limitées et ne sont pas indépendantes, sous la surveillance de l’intendant. La réforme se met en place dans une indifférence partagée par tous, mais elles fonctionnent et répondent visiblement à ce à quoi elles attendaient. Quelques années plus tard, en 1787, le système est généralisé dans toutes les provinces sans assemblée. Dans l’édit du 22 juin 1787, en plus de créer ces assemblées, on met en place 3 degrés d’assemblées (municipales - de district ou de département - provinciale). Dans ces assemblées, est maintenu le principe de la répartition en 3 ordres, mais la moitié des sièges est donnée au tiers état. Toutes ces assemblées restent soumises à la tutelle du pouvoir royal. Mais, cette réforme reste assez largement un principe. L’édit n’est que partiellement appliqué. Seulement la moitié des assemblées ont été mises en place et elles sont ajournées en 1788 avec la convocation des États généraux. Mais de la même façon que l’idée de Turgot est restée dans les mémoires et a influé sur les réformes futures, celle de 1787 a largement inspiré les Révolutionnaires. Il est incontestable que la façon dont est organisé le territoire sous l’Ancien Régime est critiquable et critiquée (désorganisation, absolutisme royal). Malgré tout, l’ancienne monarchie lègue un certain nombre de choses à ses successeurs : l’esprit de centralisation mais aussi ses derniers projets. Partie 2. Révolution française et administration du territoire : unité et uniformité (1789-1800) Pendant cette décennie, de profonds bouleversements touchent l’organisation du territoire. Pour les révolutionnaires, il est impératif de mettre en adéquation l’organisation administrative de la Nation avec les nouveaux principes de droit public proclamés : souveraineté nationale, séparation des pouvoirs, égalité devant la loi, etc. Cette transformation indispensable est engagée dès l’été 1789 par l’Assemblée nationale constituante. Puis, cette réorganisation initiale de 1789 sera transformée après la proclamation de la République en 1792. Chapitre 1. L’administration de la nouvelle Nation sous la monarchie constitutionnelle (1789-1792) Section 1. L’été 1789 : la révolution de l’administration locale 1. La condamnation de l’administration locale de l’ancienne monarchie par les cahiers de doléances Les mouvements et les soulèvements populaires de l’été 1789 font de la réforme de l’administration locale, qui était une nécessité, une urgence. C’est une nécessité et ça apparaît à la lecture des cahiers de doléances. L’aspiration à la réforme apparaît partout. Les cahiers, qu’ils émanent de la noblesse, du clergé, ou du tiers, sont d’accord sur deux points : la condamnation des intendants (perçus comme despotes locaux) et celle des anciens États provinciaux (perçus comme inefficaces et instruments du conservatisme social de l’Ancien Régime). Tous les cahiers de doléances disent aspirer à deux choses difficilement conciliables l’une avec l’autre. On souhaite une administration qui assure l’unité nationale et qui soit égalitaire mais aussi plus de libertés pour la gestion des affaires locales. C’est pas tout à fait contradictoire, parce que lorsque les cahiers réclament l’unité nationale, c’est qu’ils veulent voir disparaître les restes de la féodalité (coutumes, autorités, pratiques différentes). Il faut attacher “toutes les provinces de France qui sont les branches d’un même arbre” au “tronc national”. Aussi lorsqu’ils réclament la liberté de gestion, ils ne souhaitent pas se différencier, mais réclament ne plus être soumis aux ministres et aux intendants. 2. La révolution municipale de l’été 1789 Cette nécessité devient une urgence parce que l’Assemblée nationale constituante perd le contrôle du territoire du Royaume pendant l’été 1789. La Révolution s’est jouée en 2 temps : d’abord à Versailles (révolution institutionnelle), puis dans les villes (révolution plus populaire). Ce deuxième temps commence à Paris et dans les grandes villes en juillet. Les anciens pouvoirs royaux sont chassés et ils sont remplacés par des communes insurrectionnelles et des gardes nationales pour gérer les villes et assurer le maintien de l’ordre. C’est la Grande Peur : on a eu peur d’une réponse du pouvoir royal pour étouffer la Révolution dans l’œuf. À partir du mois d’août, le mouvement continue à s’étendre et ce jusque dans les campagnes. Les pouvoirs seigneuriaux et royaux tombent et on crée des comités ou milices. Il y a donc une “municipalisation” de fait de la France. Le mouvement n’est pas né de la volonté d’administrer sa ville soi-même, il est né d’une inquiétude. 3. Les nouveaux principes issus des 4 et 26 août Cette situation, pour le nouveau pouvoir, est à la fois une chance et une menace. Ça confirme aux députés que leur mouvement révolutionnaire a un soutien populaire. Mais l’Assemblée nationale constituante craint de perdre la main du territoire. Face à cette révolution municipale en dehors de l’Assemblée, elle décide d’accompagner le mouvement, de le reprendre à son compte et de tenter de le canaliser. La nuit du 4 août, en pleine insurrection, l’Assemblée donne des garanties pour accompagner. Elle fait disparaître toutes les disparités locales (ordres, villes, territoires, etc). Désormais, tous les Français sont égaux en droit. Il n’y a donc plus de privilège ni particulier ni local. Ce premier mouvement est confirmé par l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août. Mais l’Assemblée essaie en même temps de rappeler à l’ordre. On proclame l’égalité et la liberté, mais aussi le principe inviolable et sacré de la propriété. Par ailleurs, l’un des principes essentiels posé est celui de la séparation des pouvoirs, mais il ne dit rien du rôle de l’administration (impensée de la séparation des pouvoirs). Des sanctions judiciaires commencent à être prises pour les insurrectionnaires ne respectant pas la propriété privée. Section 2. Le découpage territorial et la départementalisation La Constituante s’engage rapidement et dès début septembre, elle charge le comité de Constitution de proposer une réforme de l’administration. Le 29 septembre 1789, est présenté un projet complet de réforme devant l’Assemblée. Il y a 2 choses à faire. Il faut redécouper entièrement le territoire de la Nation et créer de nouvelles institutions. 1. Enjeux politiques du découpage territorial Le redécoupage a des enjeux politiques, avant d’être simplement pratique. Son premier objectif est de créer des circonscriptions électorales, notamment pour la représentation nationale. Cette première mission montre bien que l’objectif n’est pas de délimiter des circonscriptions qui seraient le cadre de libertés locales. Ce sont des subdivisions d’un tout indivisible : la Nation. Au-delà de la mission électorale, par réaction à l’Ancien Régime, ces circonscriptions doivent être les cadres pour toutes les différentes formes de l’administration nationale. Ce redécoupage pourrait-il être appuyé sur l’une des divisions existantes (généralités) ? Certains y sont favorables, mais c’est refusé pour des raisons pratiques : inégalité de surfaces, frontières imprécises. C’est surtout refusé pour des raisons politiques : unification de la nation par la division des anciennes “provinces” (identité, autonomie), et création de circonscriptions assez petites, nouvelles, rationnelles et égales entre elles. Il y a également une volonté de faire disparaître les paroisses, villes, bourgs, etc. Si les anciennes grandes provinces devaient disparaître, il était logique que les petites aussi. Le projet du comité du 29 septembre voulait diviser la France en 80 grandes circonscriptions, les départements, eux-mêmes divisés en municipalités égales (720 municipalités totalement nouvelles). La décision finale de l’Assemblée constituante maintient les “petites” circonscriptions existantes. L’idée qui s’impose est que le lieu premier de vie sociale est la ville ou le village, et les faire disparaître serait risqué pour l’organisation de la vie des Français. Aussi, maintenir les petites circonscriptions n’est pas vu comme un danger pour l’unité nationale. En novembre 1789, la décision est prise qu’il y aura une commune dans chaque ville, village, etc. Toute idée d’égalité est abandonnée : l’éclatement communal encore actuel date donc de la Révolution. Pour ce qui est des grandes circonscriptions, le département est créé et ce sera la plus grande circonscription pour éviter tout risque d’atteinte à l’unité. Aussi, on crée le canton et le district (6-9 par département) entre ces 2 entités. Les débats persistent cependant sur les délimitations précises. 2. L’organisation pratique de la départementalisation Le point de départ du comité de constitution est la division de la France en 81 carrés de chacun 18 lieues de côté, à partir d’une idée d’un géographe en 1780. Chaque département serait subdivisé en 9 carrés, les districts, eux-mêmes divisés en 9 cantons (carrés). C’est le châssis figuratif du territoire. Les députés n’ont jamais envisagé un tel découpage, mais c’est en partant de cette conception que sont établis les départements. Un projet est donc réalisé en adaptant les choses légèrement à la géographie. Mais ce projet ignore la densité de population, les réalités économiques, les voies de circulation, etc. Il n’y donc qu’une égalité géométrique, en s’inspirant des physiocrates. L’assemblée critique fortement cette carte et discute les frontières précises des départements. Très rapidement, le débat s’enlise parce que chaque député veut discuter des frontières de sa province en assemblée plénière. L’Assemblée confie donc le découpage aux députés de chaque province. Ce mode de fonctionnement permet d’aller beaucoup plus vite. En février 1790 (~3 mois), la carte définitive est votée. 83 départements sont créés et chacun reçoit un nom établi par le comité de Constitution selon la géographie et ne faisant aucunement référence aux anciennes provinces. Il s’agit d’affirmer, y compris dans les dénominations, que le département ne prend pas racine dans l’Histoire. Ce découpage départemental est vu comme étant le triomphe de la raison scientifique sur le traditionalisme de l’Ancien Régime. En réalité, il reste des liens avec les anciennes provinces, déjà du fait du mode de découpage (par province et selon l’histoire). Châssis figuratif du territoire Première proposition de septembre 1789 3. L’exemple breton Fin septembre 1789, il est posé que l’ancienne généralité/province de Bretagne sera découpée en 5 départements. La ville de Saint-Malo voulait être chef-lieu d’un département et il y a eu beaucoup de débats. Mais il est finalement acté que ça ne sera pas le cas. De mi-novembre 1789 à fin janvier 1790, les députés se réunissent régulièrement pour fixer les limites des départements et des districts et pour fixer les chefs-lieux. Les tractations et négociations aboutissent à la carte votée le 26 février à l’Assemblée. Même s’il y a eu des débats, le découpage de la Bretagne en départements n’a pas été si difficile. Ça s’explique notamment par le fait que l’ancien duché de Bretagne avait déjà des frontières posées. L’esprit qui a présidé à ce processus est donc celui de faire du neuf, sans faire complètement disparaître l’ancien. Les anciennes sénéchaussés bretonnes ont pu fortement influencer la carte actuelle. Section 3. Les institutions pour ces nouvelles circonscriptions Une fois la France redécoupée, il faut créer des institutions pour assurer l’administration de ces nouvelles circonscriptions. 1. Le décret du 14 décembre 1789 sur les municipalités Ce décret est adopté très rapidement parce que les constituants, inquiétés sérieusement par la révolution municipale veulent rétablir leur pouvoir. Ils veulent la disparition des communes insurrectionnelles pour les remplacer par des pouvoirs légaux : les municipalités. La commune est la circonscription des municipalités. A. L’organisation des municipalités : le principe électif Ces nouvelles communes fonctionnent sur le principe électif. Il s’agit de rompre avec l’Ancien Régime et d’en finir avec les communes insurrectionnelles remplacées par des pouvoirs légitimes. Dans le corps municipal, “les officiers et membres des municipalités actuelles seront remplacés par voie d’élection”. À la tête de l’organisation municipale, “le chef de tout corps municipal portera le nom du maire”. “Les maires seront toujours élus à la pluralité absolue des voix.” “Les citoyens actifs de chaque communauté nommeront, par un seul scrutin de liste et à la pluralité relative des suffrages, un nombre de notables double de celui des membres du corps municipal. Ces notables formeront, avec les membres du corps municipal, le conseil général de la commune, et ne seront appelés que pour les affaires importantes.” Le corps municipal est une assemblée permanente, et le conseil général de la commune est plus exceptionnel et se réunit pour les affaires importantes. B. Les fonctions des municipalités : le “pouvoir” municipal ? Les révolutionnaires font le choix délibéré de placer les communes en dehors des scrutins nationaux. On vote dans le canton. La commune perd un poids politique mais elle gagne un certain pouvoir en contrepartie. “Les corps municipaux auront 2 espèces de fonctions à remplir : les unes propres au pouvoir municipal, et les autres propres à l’administration générale de l’État, et déléguées par elle aux municipalités.” Les fonctions restent assez modestes et limitées. “Les fonctions propres au pouvoir municipal, sous la surveillance et l’inspection des assemblées administratives, sont : de régir les biens et revenus communs, de diriger et faire exécuter les travaux publics qui sont à la charge de la communauté, d’administrer les établissements qui appartiennent à la commune, de faire jouir les habitants” de l’ordre public. “Les fonctions propres à l’administration générale [...] sont : la répartition des contributions directes entre les citoyens et leur perception, la direction immédiate des travaux publics dans le ressort de la municipalité, la régie immédiate des établissements publics destinés à l’utilité générale.” “Les corps municipaux seront entièrement subordonnés aux administrations de département et de district.” 2. Le décret du 22 décembre 1789 sur les départements et les districts A. Organisation des administrations départementales : collégialité et délibération Ce texte a d’abord pour objectif d’organiser les élections nationales. “Après avoir nommé les représentants à l’Assemblée nationale, les mêmes électeurs éliront en chaque département les membres qui, au nombre de 36, composeront l’administration de département.” “Chaque administration de département sera divisée en 2 sections, l’une sous le titre de conseil de département, l’autre, sous celui de directoire de département.” À la différence de la municipalité, le principe de collégialité est mis en place pour éviter un accaparement du pouvoir. Le principe d’un exécutif + assemblée est calqué sur toutes les strates administratives. “Le conseil de département tiendra annuellement une session, pour fixer les règles de chaque partie de l’administration, ordonner les travaux et les dépenses générales du département, et recevoir le compte de la gestion du directoire.” “Le directoire de département sera toujours en activité pour l’expédition des affaires, et rendra tous les ans au conseil de département le compte de sa gestion.” B. Les fonctions des départements : la surveillance du centre Les fonctions sont coupées en 2 parties : les fonctions exercées sous l’autorité et l’inspection du Corps législatif et les fonctions exercées sous l’autorité du Roi. Il y a une sorte de confusion entre le législatif et l’exécutif dans l’administration révolutionnaire. Le plus important pour les députés est que l’unité et l’uniformité nationales soient garanties. Les départements ne sont que la subdivision d’un même tout : l’État. Il faut que les mêmes règles soient appliquées sur l’ensemble du territoire. À l’échelon communal, on reconnaît un pouvoir, mais pas à l’échelon départemental. Le département n’a pas d’existence propre et n’a pas de pouvoir autonome, il agit selon les exigences du Corps législatif ou du Roi. C. Les districts : subdivisions administratives du département Les institutions départementales sont dupliquées dans les districts : un conseil de district et un directoire de district. Les districts sont des instruments au service du département et leur sont entièrement subordonnés. Pour les révolutionnaires, il faut, pour qu’une administration soit efficace, la rapprocher des citoyens le plus possible. C’est la raison d’être du district. Le canton n’a pas d’administration propre, ce n’est qu’une circonscription électorale puisqu’on ne vote pas dans les communes. Le souci des constituants est de ne pas mélanger les enjeux politiques nationaux et l’administration des petites circonscriptions. 3. Le pouvoir central et les administrations locales Le principe dans la Constitution de 1791 est que “le Roi est le chef suprême de l’administration générale du Royaume”. Les administrations lui sont supposément subordonnées. Or, on a pu voir que les départements relèvent en partie du Corps législatif. Aussi, les constituants sont hantés par le souvenir de l’Ancien Régime et essaient le plus possible d’affaiblir le Roi. A. L’affaiblissement du pouvoir central Avant 1789, le conseil du Roi est l’organe central du pouvoir. En 1789, il est vidé progressivement de ses pouvoirs parce que ça n’est plus le lieu d’expression et d’exercice de la souveraineté. Il est maintenu dans sa structure antérieure. C’est une des bizarreries institutionnelles alors que l’administration locale a été rapidement réformée. C’est dans ce cadre que le Roi et les ministres doivent assurer leur fonction de “chef suprême de l’administration”, alors qu’il est dépourvu de moyens d’action. Aussi, cette vacance devient évidente et problématique à partir du moment où les nouvelles administrations locales entrent en conflit. Les administrateurs acceptent mal la hiérarchie et la surveillance : légitimité différente entre commune/département, aucune légitimité électorale du roi. Certains refusent aussi d’appliquer la loi sous prétexte d’une légitimité électorale. Les textes de décembre 1789 ne prévoient aucun mécanisme contraignant les administrateurs locaux à suivre la loi. Et le Roi, supposé chef suprême, n’a aucun moyen pour contraindre les administrateurs à respecter ou ses directives. B. L’autorité déficiente de l’exécutif sur les corps administratifs locaux La situation devient rapidement ingérable et dès le début de 1791, l’Assemblée adopte une réforme (tardive) du conseil du Roi en mars, lui donnant des moyens d’action. Les actes illégaux peuvent désormais être annulés par le Roi. En cas de résistance et de difficulté plus importante, le Roi peut suspendre et destituer les administrateurs. Ces mécanismes sont mal vécus par les administrateurs : étant élus ils ne devraient rendre des comptes qu’à leurs électeurs, et surtout pas au Roi qui n’est pas élu. L’Assemblée, toujours méfiante, ne permet aucun agent royal à l’échelon local. Elle donne des compétences au Corps législatif comme gardes-fous aux décisions royales. Le Corps législatif ne cesse d’intervenir dans le fonctionnement des administrations locales et de mêler de fonctions à priori dévolues au roi. Le Corps législatif surveille chaque acte royal, et il a l’exclusivité de l’interprétation des lois et de la correspondance avec les administrations locales. C’est matériellement possible puisque, depuis que l’Assemblée existe, elle a créé en son sein des comités, chargés d’une question spécifique. Ces comités ont systématiquement été institués en parallèle des ministres du Roi. Les comités empiètent clairement sur les pouvoirs de l’exécutif. Dès le début, l’administration du Royaume est dysfonctionnel, à cause des lacunes des textes, à cause de l’autorité prise par les administrateurs locaux en s’appuyant sur leur légitimité électorale, et à cause de la désorganisation du pouvoir central (concurrence, manque de pouvoir) Chapitre 2. La centralisation révolutionnaire et républicaine (1792-1799) Lorsque la monarchie tombe en août 1792, l’administration révolutionnaire devient une administration républicaine. La République conserve certains éléments mais elle modifie le fonctionnement de l’administration en accentuant sa centralisation. Dans la situation de conflits externe et interne, le gouvernement révolutionnaire trouve nécessaire d’assurer un contrôle sur les administrations locales pour renforcer l’unité de la Nation et pour défendre la Révolution et la République. Sur le plan administratif, la mise en place du gouvernement révolutionnaire se traduit par une grande centralisation “jacobine”. Lorsque le régime d’exception prend fin et que le Directoire s’installe, la centralisation n’est pas pour autant relâchée et le contrôle par le centre est maintenu voire renforcé. Section 1. La mise au pas des corps administratifs locaux par le gouvernement révolutionnaire (1792-1795) Le 10 août 1792, les Tuileries sont prises d’assaut par la commune insurrectionnelle de Paris et le Roi est destitué. L’Assemblée met alors en place un conseil exécutif composé de ministres, placé sous la stricte surveillance de cette Assemblée. Les députés inaugurent une disparition complète de la séparation des pouvoirs. L’objectif est de mieux placer les administrations locales sous le contrôle du pouvoir central. Toutes les réformes tendent à cet objectif pour que l’Assemblée maîtrise le plus possible les assemblées locales. Les tenants du gouvernement révolutionnaire nourrissent une véritable méfiance politique à l’égard des administrateurs locaux élus en 1790, possible menace contre-révolutionnaire. Sur le plan administratif, ce texte de décembre 1793 concrétise les aspirations du gouvernement révolutionnaire. Il distingue les institutions chargées de la mise en application des lois et celles chargées de la surveillance de celles chargées de la mise en application. Cette mesure montre l’état général de surveillance de la période, mais c’est aussi un remède aux dysfonctionnements originaires de l’administration. 1. Le décret du 14 frimaire an II (6 décembre 1793) : les communes, cadres de l’application des lois révolutionnaires L’application des lois révolutionnaires est confiée aux municipalités, qui depuis 1789 avaient fait preuve de leur ferveur révolutionnaire. À côté, des comités de surveillance ou révolutionnaires sont apparus, institutions de fait, regroupant de citoyens patriotes autoproclamés. Le texte du 14 frimaire en consacre l’existence et sont chargés d’aider la municipalité dans l’application des lois et mesures de salut public. 2. Les districts, instruments de surveillance de l’exécution des lois au détriment des départements À côté de ça, les districts sont “promus” et sont chargés de la surveillance de l’exécution des lois. Les administrations de districts inspirent plus de confiance que les départements. Au printemps 1793, l’Assemblée est confrontée à des insurrections girondines/fédéralistes. À cette occasion, l’Assemblée constate qu’elle peut s’appuyer sur les districts bien davantage que sur les départements. Les départements sont affaiblis. On supprime le conseil et le directoire est affaibli : il ne peut plus prendre de décision avec des enjeux politiques. Tout ce qui est relatif aux lois révolutionnaires est confié aux municipalités et aux districts. Aussi, la hiérarchie des administrations locales disparaît. Désormais, au sommet de la hiérarchie, au-delà du district, on remonte directement à l’Assemblée, et plus particulièrement au Comité de salut public. Aussi, ce décret instaure des agents nationaux, relais locaux du Comité du salut public. Ils sont chargés d’entretenir une correspondance régulière avec le Comité (au moins un rapport tous les 10 jours). 3. Les représentants en mission : la surveillance des corps administratifs locaux par l’assemblée Les représentants en mission sont eux aussi des relais locaux, mais il s’agit de députés envoyés par l’Assemblée. Cette idée que le pouvoir central envoie des représentants dans les territoires existe dès les premières organisations monarchiques et elle est appliquée à nouveau. En mars 1793, 82 députés sont désignés pour surveiller le territoire de la République. En mai 1793, leurs pouvoirs sont étendus à l’épuration des administrations locales, en révoquant et nommant. Les représentants en mission sont désignés par binôme sur 2 départements pour éviter un accaparement du pouvoir. Ce sont des agents essentiels et particulièrement efficaces de la centralisation républicaine. Par rapport aux agents nationaux, ils ont la légitimité et le pouvoir en tant que députés de la Nation. Section 2. Le Directoire et la naissance de l’autorité administrative (1795-1799) Pendant la période du gouvernement révolutionnaire, on ne transforme pas la structure administrative, mais on en modifie fortement le mode de fonctionnement. Le principe électif, au cœur de la logique de 1789, est à plusieurs reprises mis à mal pendant cette période : conseil de département supprimé, comités de surveillance institutionnalisés, révocation, etc. Ces exceptions ont laissé des traces dans la période qui a suivi. En juillet 1794, les députés se retournent contre le Comité de salut public et contre le gouvernement révolutionnaire. Avec la chute du Comité, l’ambition était de mettre un terme à ce régime d’exception. Ceux qui font tomber le Comité sont les thermidoriens, des républicains centralisateurs voulant rompre avec la politique précédente. Les thermidoriens font subir une épuration aux administrations de districts (nominations), le département est restauré et les districts sont à nouveau placés sous leur contrôle. Pour le reste, on reste dans une forme de continuité : les conseils de département sont toujours supprimés, et les directoires sont nommés. Il a s’agit de rester en cohérence politique. En août 1795, on met fin aux comités de surveillance et aux représentants en mission, relais du pouvoir législatif. La logique du Directoire est de renforcer l’exécutif. 1. Renforcement de l’exécutif et de l’administration Le Directoire veut renforcer l’exécutif. On garde la tradition révolutionnaire de prééminence du législatif, mais l’organe exécutif est renforcé dans la Constitution de 1795. Le directoire est le lieu du gouvernement et de la direction politique et administrative du pays. Par conséquent, les corps administratifs locaux sont placés sous l’autorité du directoire et des ministres. L’administration est clairement et exclusivement dirigée par le pouvoir exécutif. 2. La volonté de simplification administrative Le directoire trouve que l’organisation de l’administration locale de 1789 est trop complexe : trop d’échelons, trop de communes, et rapports peu clairs. Ils veulent simplifier l’administration en établissant un seul intermédiaire entre les ministres et les communes : le département (commune < département < ministres). Dans les départements, il y a désormais un directoire de 5 élus, agents d’exécution. Les districts sont supprimés, notamment pour des motifs politiques mais aussi par simplification. En revanche, on établit une stricte subordination des administrations locales par des commissaires nommés par l’exécutif. 3. L’expérience des municipalités de canton : administrer les communes selon leur population L’expérience la plus originale de cette période est celle des municipalités de cantons. Le directoire souhaite simplifier la multiplicité de communes en France. Les communes sont supprimées et les municipalités de cantons les remplacent. Il y a trois catégories de municipalités. Entre 5000 et 100 000 habitants, les municipalités ont leur administration municipale propre. Celles de moins de 5000 habitants n’ont pas d’administration municipale. Elles ont un agent municipal et un adjoint chacune, réunies en municipalités de canton. Les grandes villes sont divisées en arrondissements, administrées par un bureau nommé. L’objectif est d’uniformiser l’administration municipale. Chaque administration doit gérer des communes avec un nombre d’habitants pas trop éloigné. Le nombre de municipalités a ainsi diminué. Cette expérience qui fonctionne mal n’a pas survécu au Directoire. Mais toutes les expériences postérieures de métropoles, d’arrondissements, de fusions de communes font référence à la tentative alors engagée de municipalités de cantons. Lorsque le Directoire tombe avec le coup d’État de Bonaparte et Sieyès, un certain nombre de traces restent, notamment la tendance d’affirmer l’autorité de l’exécutif sur les administrations locales. Les administrations locales restent néanmoins dysfonctionnelles : élections locales difficiles, incompétences des administrateurs. À la fin du Directoire, comme depuis 1789, le principe est toujours l’élection mais dans la réalité on trouve de plus en plus de nominations, à des fins politiques mais aussi à défaut d’élus. De cette période révolutionnaire, restent principalement : le découpage en départements, l’existence d’une municipalité dans chaque commune, et la maîtrise des administrations locales par le centre (centralisation indispensable à l’unité nationale, à la cohésion du territoire). Partie 3. Le système politique d’un Napoléon à l’autre : centralisation et adaptation (1800-1870) Napoléon Bonaparte, accédant au pouvoir en 1799, réorganise profondément l’administration française. Cette réorganisation napoléonienne sera extrêmement durable. Le système autoritaire qui s’est mis en place en 1800 s’impose et se maintient, malgré les changements de régimes au fil du XIXe. Son système administratif reste stable au point qu’on a souvent dit que l’administration française du XIXe est la “vraie constitution” de l’État. Le système administratif local napoléonien est centralisé et centralisateur. L’apport napoléonien en la matière reste fondamental parce que c’est avec Napoléon que la centralisation française se stabilise, se traduit en institution durable, ce qui n’avait pas été le cas jusqu’alors, et prend corps. Le symbole de cette centralisation est l’institution préfectorale au niveau local, et le Conseil d’État au niveau national. Chapitre 1. La mise en place de la centralisation napoléonienne (1800-1815) La centralisation suppose que les autorités locales soient mises sous la tutelle du gouvernement. Mais pour que ça soit possible, il faut que l’autorité centrale soit assez forte pour le faire, et il faut réorganiser les institutions pour incarner/consacrer cette soumission à l’autorité centrale. Section 1. L’autorité centrale renforcée 1. Le Premier consul, seul à la tête du gouvernement de l’État Le régime napoléonien, c’est un homme seul au sommet de l’État et du gouvernement de l’État. La Constitution de l’an VIII (1799) marque une rupture sur ce point avec la décennie révolutionnaire, pendant laquelle une assemblée législative élue était le cœur du pouvoir. Désormais, le cœur du pouvoir est un homme seul nommé à la tête de l’État, avec beaucoup de compétences. Une telle promotion de l’exécutif rejaillit sur la configuration de l’administration, qui est rehaussée dans le même temps. L’administration est un rouage essentiel de ce nouvel État napoléonien. L’art. 41 précise que, d’un point de vue administratif, le Premier consul maîtrise toutes les nominations importantes de l’administration. Le principe devient celui de la nomination par l’exécutif, et non plus l’élection par le citoyen. Le principe électif est totalement écarté en 1799. On entre dans une nouvelle période où il est acquis qu’une administration locale est plus efficace lorsqu’elle est entièrement dépendante du chef du gouvernement. La décennie révolutionnaire portait l’idée qu’elle serait plus efficace si les citoyens y participaient. À partir de là, et pour au moins un siècle et demi, l’administration est donc complètement déconnectée de l’idée de représentation. Même quand le régime sera représentatif, l’administration restera nommée par et dépendante de l’exécutif. L’utilisation désormais régulière du terme “gouvernement” pour désigner le chef de l’État et ceux qui l’entourent est aussi une nouveauté. Auparavant, ça désignait un mode de fonctionnement. Le terme prend le sens d’institution où se prennent les décisions essentielles pour l’avenir de l’État. 2. Les auxiliaires du Premier consul / Empereur : les ministres et le Conseil d’État Les ministres sont dans une situation ambiguë. Ils sont extrêmement puissants car ils sont les premiers relais de la volonté du chef de l'État, mais ils sont fragiles pour cette même raison car ils sont totalement dépendants de lui. Les ministres sont des créatures du chef de l’État, qui les nomme et révoque discrétionnairement. Il y a quelques exceptions, des grands ministres de Napoléon, qui restent durablement à ses côtés : Talleyrand, ministre des Affaires étrangères, ou Fouché, ministre de la Police. Le Conseil d'État, créé par l’art. 52 de la Constitution, ne dispose alors d’aucune forme d’indépendance ou d’autorité propre. C’est un conseil, comme l’était le Conseil du Roi. Les conseillers d’État sont nommés et révoqués par le Premier consul. Il rédige les projets de loi, les projets de règlements, et il assure le contentieux administratif. Les conseillers d'État sont divisés en 5 sections : finances, législation civile et criminelle, guerre, marine, intérieur. Chaque section est présidée par un conseiller d'État nommé chaque année par le Premier consul. C’est un conseil dépendant, exclusivement consultatif. Napoléon ajoute un lien supplémentaire entre l’exécutif et le Conseil d’État en créant les auditeurs (école) et le service extraordinaire (territoire). Le Conseil d’État est aussi l’organe vers lequel remontent l’essentiel de l’administration quotidienne du territoire de la nation, quelle que soit sa taille. La section de l’intérieur veille à ces questions, à la centralisation, et c’est elle qui produit des arrêtés, décrets, à destination des départements et communes. La tutelle étroite de l’État est donc assurée par la présence du Conseil d’État, pivot de la centralisation. Section 2. La loi du 28 pluviôse an VIII : la soumission des autorités locales En complément des éléments de la Constitution, la loi du 28 pluviôse an VIII (1800) devient l’élément essentiel de l’organisation administrative locale. Cette loi réorganise l’organisation du territoire. Elle remplace les lois de décembre 1789 sur l’administration des départements et communes. Elle remplace la législation révolutionnaire mais conserve certains principes. Il y a une municipalité dans chaque commune en supprimant les municipalités de canton. La division en départements est maintenue comme subdivision du Consulat puis de l'Empire, et sera fortement mobilisée par Napoléon. À mesure que l’Empire grandit, le découpage de la France en départements est appliqué systématiquement aux nouveaux territoires annexés, administrés comme des territoires français. Entre la commune et le département, la loi crée des arrondissements. Dans chaque circonscription, le même principe est appliqué : celui d’un agent unique nommé pour administrer et d’un conseil nommé sans pouvoir propre pour conseiller. 1. Le préfet dans son département Le préfet est celui qui administre le département. Il est nommé par le Premier consul et est chargé de l’administration. Deux conseils sont créés. Le conseil de préfecture n’a que des compétences d’attributions, pour l’essentiel du contentieux administratif local. Il s’agit d’une institution unique, dont l’existence est inspirée par l’idée qu’on n’administre bien que seul, mais qu’on ne juge bien qu’à plusieurs. Le conseil général de département récupère les missions des institutions précédentes. Il est présenté comme étant le conseil représentant le département auprès du préfet, bien qu’il soit nommé (officiellement par le Premier consul, sur recommandation du préfet). Il est dépourvu de toute légitimité électorale, celle-ci ayant posé un problème politique au début de la décennie révolutionnaire. Pour ne pas retomber dans les travers révolutionnaires en donnant un poids politique aux administrateurs locaux, la loi de l’an VIII limite la possibilité de ce conseil de se réunir : 15 jours par an. Il a une compétence principalement fiscale, contribuant à la répartition de la fiscalité de l’État. S’agissant des affaires départementales, il a des compétences strictement limitées. Il peut demander au préfet d’accepter la création de nouveaux impôts locaux, mais c’est le préfet qui en déterminera les conditions. Le conseil général n’a qu’une prérogative à l’occasion de laquelle il peut représenter son département : il a la possibilité d’émettre son opinion sur l’état et les besoins du département adressé au ministre de l'Intérieur. Le ministère publie d’abord les vœux des conseils, mais en interdit la diffusion à partir de 1802. Dans l’arrondissement, on retrouve un sous-préfet et un conseil général d’arrondissement. Cette circonscription a pour fonction première d’être un intermédiaire entre le préfet et les communes. 2. Le maire dans sa commune Le maire est celui qui administre la commune, assorti d’adjoints dans les grandes villes. Ils sont nommés par le Premier consul dans les communes de plus de 5000 habitants, et par le préfet dans les autres. À côté de lui, on trouve un conseil municipal, nommé et susceptible d’être suspendu par le préfet. Le conseil municipal n’a pas de pouvoir propre. Mais, contrairement à l’arrondissement et au département, la loi dit que les communes ont des “propriétés”. Les municipalités peuvent faire des emprunts et intenter des procès. Elles ont donc une forme de personnalité juridique, pas explicitement reconnue. Cette situation particulière fera assimiler la commune à une situation de droit privé par les juristes du XIXe, comme un mineur sous tutelle. Ce système a survécu très longtemps à la chute du Ier Empire. En 1814, l’organisation administrative du territoire est donc à l'image de l'organisation constitutionnelle nationale : un individu assisté d'un conseil. Mais quand on observe le mode de fonctionnement de l’administration locale, les dysfonctionnements de la Révolution sont loin d’être résorbés. La centralisation napoléonienne ne produit pas encore ses effets, il y a toujours des limites : médiocrité des administrateurs locaux, difficultés pratiques à faire fonctionner l’organisation. Beaucoup d’historiens ont pu dire que le système administratif napoléonien centralisé est un mythe. Mais ce mythe est constructeur et tous les régimes suivants vont en hériter. Ce système, quand bien même il a mal fonctionné sous Napoléon Ier, se pérennise avec peu de modifications. Il devient très efficace au fil des décennies. Les institutions et leur logique centralisée et autoritaire ont duré tout au long du XIXe et du XXe. Chapitre 2. L’adaptation de la centralisation napoléonienne par la monarchie censitaire (1815-1848) En 1814, la France retrouve un roi, ses frontières d’avant 1792, mais elle reste divisée en départements. En 1815, la réalité du territoire du Royaume est qu’il est occupé par les armées étrangères. À la suite de la bataille de Waterloo après le retour de Napoléon, la France est contrainte d’accepter l’occupation partielle de son territoire, répartie par les différentes puissances européennes. Cette occupation est progressivement levée grâce à l’action des ministres de Louis XVIII. Section 1. La centralisation discutée mais préservée (1815-1830) À partir du début de la Restauration, le système administratif local est sévèrement contesté, sans le modifier. 1. Restauration : liberté politique et administration locale Le principe de la Restauration est de rétablir l’Ancien Régime, avec une monarchie de droit divin. Le régime de la Restauration est bien celui d’une monarchie, mais il est en réalité aussi le régime de grandes libertés politiques. Il est plus libéral que ne l’était l’Empire. C’est sous ce régime qu’on conteste et discute du système administratif napoléonien. Dans la décennie 1820, la notion de “décentralisation” apparaît. On discute et débat de ce terme inventé par des députés pour exprimer leur hostilité à l’égard du système napoléonien tel que mis en place par la loi de l’an VIII. Il ne s’agit pas seulement de critiquer le système napoléonien pour glorifier le sien. En effet, dès les premières semaines de la Restauration, elle multiplie les références aux libertés locales (notamment communales), dans un contexte où la parole comme l’écriture sont beaucoup plus libres qu’auparavant. La Restauration est un régime libéral, qui se construit sur une Charte, qui limite véritablement les pouvoirs du roi, et qui met en place une représentation élective. La question qui se pose face à ce régime est donc de savoir s’il faut étendre cette logique de représentation et de libéralisme à l'administration du territoire. Elle se pose d’autant plus que les tenants de la Restauration sont très critiques du système napoléonien. La réponse sera non. Le libéralisme et la logique représentative au niveau national ne sont absolument pas transposés localement. L’argument avancé est que ce système centralisé hérité de Napoléon est celui qui garantit le mieux l’unité de la nation, la pérennité de l’État, et la gouvernabilité de la France. Aussi, pendant toute la Restauration, la décentralisation très souvent évoquée ne renvoie pas à la même chose pour tous. Il existe des projets politiques différents, rendant sa concrétisation plus complexe. 2. Les légitimistes et la décentralisation Les premiers à appeler à la décentralisation sont les légitimistes, ou ultras, défenseurs de la monarchie légitime. Ils estiment que, si la centralisation pouvait convenir au despotisme, elle est en revanche incompatible avec la restauration de la monarchie. Cette centralisation est la faiblesse du régime, qui pourrait en provoquer la chute. Un système centralisé suppose une dépendance économique et politique du pays à l'égard de Paris et ses bureaux. Il suffit donc de maîtriser Paris pour faire tomber le régime. Pour les légitimistes, cette dépendance est extrêmement périlleuse. Le soutien politique des ultras vient des provinces, dans l’ancienne noblesse. Il faut faire naître des puissances, des contre-pouvoirs à la capitale, ailleurs sur le territoire, en restaurant les anciennes provinces, et en y rétablissant des centres de pouvoir politique. Derrière ces critiques, on entend l’écho des revendications des traditionalistes du XVIIIe (animosité envers Paris, attachement des aristocrates à leurs provinces, etc.). Les ultras réclament, comme les traditionalistes, des transferts de compétences confiés à des corps intermédiaires (noblesse, professions) entre le centre tout-puissant et les citoyens. Mais pour les ultras, cette forme de décentralisation ne suppose pas d'élections locales. En 1821, les ultras accèdent au pouvoir et sont majoritaires dans la Chambre. Ils repoussent la réforme décentralisatrice qui n’est pas prioritaire car elle mettrait en péril le régime. Avant de la faire, il faut rétablir les hiérarchies sociales qui structuraient la France avant la Révolution, et qui sont nécessaires à la décentralisation. Dans l’état de désorganisation sociale, la centralisation est un “mal nécessaire”. 3. La décentralisation d’après les “doctrinaires” À côté des légitimistes, les “doctrinaires” se réclament aussi de la décentralisation. C’est un courant de libéralisme qui se manifeste et se structure à partir de la Restauration. Le thème de la décentralisation apparaît plus tard chez eux, à l’exception de Benjamin Constant qui s’est élevé contre le système administratif napoléonien. Lorsque les libéraux s’intéressent à ce sujet, c’est toujours pour “corriger les excès” du système centralisé, mais pas pour remettre en question la centralisation comme principe. On retrouve chez eux une filiation avec les physiocrates, qui ne remettent en cause ni l'Etat unitaire, ni l'autorité centrale. Les libéraux se retrouvent sur l’idée du principe électif : les conseils locaux doivent êtres élus et non plus nommés (comme sur le plan national). Mais ces revendications sont modérées : ces conseils locaux n’ont que des compétences limitées et ne doivent pas assurer la gestion de leur territoire. L’élection locale ne doit pas mettre en péril l’unité nationale, principe révolutionnaire. Les bienfaits qu’ils attendent de l’introduction de l’élection sont de voir naître un véritable esprit public au niveau local, et de faire de ces élections un facteur de stabilité. La décentralisation a pu englober de nombreuses réalités sous la Restauration. Et, même si la décentralisation est très présente dans les débats, cette aspiration n’est jamais traduite en réforme. Section 2. Les réformes de la monarchie de Juillet (1830-1848) Lorsque la Restauration tombe et que la monarchie de Juillet est mise en place en 1830, les 15 années de débat ont pu permettre l’application timide de certaines idées. La monarchie de Juillet a été le premier régime à retoucher la centralisation napoléonienne. Les journées révolutionnaires de 1830 ont porté au pouvoir les libéraux, qui s’opposaient à la Restauration avant 1830. Dès l’origine du régime, les conseils locaux doivent être élus dans la Charte de 1830. La monarchie de Juillet opère donc ses réformes en 2 temps. D’abord, elle réforme l’organisation des administrations locales dès le début de la décennie. Ensuite, elle réforme les compétences des administrations locales à la fin de la décennie. 1. Les lois d’organisation municipale et départementale : l’introduction du principe électif 2 lois, en 1831 et en 1833, sont adoptées facilement. Tout le monde est d’accord sur le principe électif, et sur la spécificité qui doit être accordée aux communes. A. La loi municipale du 21 mars 1831 La commune apparaît comme un mineur sous tutelle dans son fonctionnement. Le texte reconnaît 2 éléments qui se juxtaposent dans la commune, expliquant son statut “mixte” : elle participe à l'administration générale, et elle gère ses intérêts propres. Cette double nature de la commune est rapidement acquise. Mais un débat en découle autour du statut du maire, qui a donc 2 types de compétences. Peut-être faut-il 2 instances dans la commune : l’une élue par le conseil municipal, et l’autre nommée par le pouvoir central. La Chambre des députés écarte cette solution en craignant des conflits possibles et en craignant que le maire élu ne prenne trop d’autorité. Il y aura donc un maire par commune avec des adjoints, qui restent nommés. Malgré tout, la loi ajoute qu’ils devront être choisis parmi les membres (élus) du conseil municipal. En réalité, cette pratique était déjà assez courante auparavant. Ces maires restent sous l’autorité du pouvoir central : suspension par le préfet et révocation par le Roi. L’apport essentiel de cette loi est d’affirmer que le conseil municipal sera désormais élu. L’assemblée des électeurs communaux est composée des citoyens les plus imposés (critère censitaire), mais également des personnes distinguées par leur profession ou niveau d’étude (officiers, juges, avocats, docteurs, notaires) (critère capacitaire). Le conseil municipal peut malgré tout être dissous par le Roi. Il devra donc rester strictement dans sa sphère de compétence. “Toute délibération d'un conseil municipal portant sur tous objets étrangers à ses attributions est nulle de plein droit. Sont pareillement nulles de plein droit toutes délibérations d'un conseil municipal prises hors de sa réunion légale.” Enfin, le texte prévoit que ce texte pourra ne pas être exécuté dans les communes où le gouvernement le jugerait nécessaire. Cette possibilité a beaucoup été utilisée au début de la monarchie de Juillet, face à de nombreuses volontés d’insurrections (républicaine, légitimiste). B. La loi départementale du 22 juin 1833 Contrairement à la loi municipale de 1831, la loi départementale de 1833 n’a pas donné lieu à de grands débats. La seule question posée par ce texte est l’élection des conseils locaux, et les enjeux sont donc beaucoup moins grands. Le statut du préfet et du sous-préfet n’est pas discuté. Les membres du conseil général du département sont donc élus à travers les cantons. L’assemblée électorale est composée des électeurs et des citoyens portés sur la liste du jury. À cette époque, les jurés d’assises sont désignés par le préfet et non pas tirés au sort. Le principe est le même dans les arrondissements. Le conseil général devra strictement rester dans la limite de ses compétences, ne pourra faire ou publier aucune proclamation ou adresse. Le conseil ne peut toujours se réunir que s'il a été convoqué par le préfet, et sa dissolution peut être prononcée par le Roi. 2. Les lois d’attributions municipales et départementales : une timide décentralisation administrative A. La loi municipale du 18 juillet 1837 La loi sur les attributions des municipalités a donné lieu à de longs débats. La première question est de savoir si le conseil municipal (élu) dispose de compétences propres, lesquelles, et dans quelle mesure. Aussi, la discussion à propos de la dualité juridique de la commune revient. Cette dualité doit transparaître dans ses compétences, avec certaines qui relèvent de l’État et d’autres qui relèvent d’elle-même. Le maire a donc une double casquette : il est à la fois un agent de l’État (publication et exécution des normes, compétences spéciales, sûreté générale) et un agent de la commune (police municipale, voirie, gestion des propriétés et des revenus de la commune). Le conseil municipal se voit attribuer 3 types de compétences. Cette répartition a ensuite structuré durablement le système administratif local : il règle, il délibère, et il donne un avis. Le conseil municipal règle, avec des règlements soumis au contrôle à posteriori. Il s’agit de questions particulières, précises et limitées (ex : administration des biens communaux, conditions des baux). La délibération est exécutoire si dans les 30 jours le préfet ne l'a pas annulée. Le conseil municipal délibère, avec une autorisation nécessaire. Il s’agit notamment du budget, des propriétés, des travaux, etc. Les délibérations des conseils municipaux sont exécutoires sur approbation du préfet Le conseil municipal donne un avis. Il s’agit de nombreuses questions (la plupart). Le conseil municipal peut exprimer son vœu sur tous les objets d’intérêt local. Cependant, toutes ces questions sont strictement administratives, y compris pour les vœux. La relative liberté donnée au conseil municipal reste très limitée. Le débat autour de la décentralisation s’inscrit désormais dans les limites de cette organisation. B. La loi départementale du 10 mai 1838 La loi départementale de 1838, qui porte sur le conseil général et le conseil d’arrondissement, a elle aussi donné lieu à des débats. Au début, cette loi semblait emporter des compétences larges, avec un “esprit municipal” initial. Mais dans les derniers moments de la discussion, cette idée disparaît au profit d’un retour aux conceptions antérieures :le département est un rouage de l'État. Des compétences propres ne seraient pas aussi pertinentes. Le texte de 1838 écarte toute idée d’octroyer au conseil général de véritable liberté de décision. On retrouve cependant les 3 catégories d'attributions. Les décisions exécutoires par elles-mêmes ne recouvrent que des questions fiscales et il s’agit de compétences liées, par délégation du pouvoir législatif. Les décisions soumises à autorisation, doivent être soumises à l'approbation du pouvoir central (surtout le préfet). Les décisions uniquement consultatives recoupent plus de compétences. Contrairement au conseil municipal, le fait d’être désormais élu n’a pas coïncidé avec un droit à décider librement des affaires locales pour le conseil général. La loi de 1838 pose aussi la question de la personnalité juridique du département. La commune a une forme de personnalité juridique depuis l’an VIII. Certaines dispositions du texte évoquent la propriété, la possibilité d’emprunter, et la possibilité d’engager des actions en justice, donnant au département une forme de personnalité juridique. Ces deux séries de lois sont les premières réformes apportées au système administratif napoléonien. Il s’agit cependant de se demander s’il s’agit d’une décentralisation ou pas. S’il s’agit d’une décentralisation, alors il ne s’agit que d’une réforme administrative et non d’une démarche politique de repenser l’organisation administrative locale. En 1848, la Deuxième République est proclamée. Les mêmes mouvements politiques se renouvellent : la centralisation est à nouveau contestée, et la république démocratique ne peut ni ne doit être centralisée. La difficulté et la limite pour les républicains est que ce sont des héritiers de la Ière République. En tant que tels, ils sont d’abord et avant tout attachés à l'unité et à l'indivisibilité de la République française. La IIème République reste donc centralisatrice. Mais, en 1848, le suffrage universel masculin est également introduit. Les conseillers locaux sont donc désormais élus au suffrage universel. De façon indirecte, il a s’agit de la grande réforme de l’administration locale de la Deuxième République. Même le Second Empire ne revient pas sur ce principe. Chapitre 3. Déconcentration et décentralisation sous le Second Empire (1852-1870) Section 1. L’Empire autoritaire : la centralisation de l’an VIII revisitée Pendant une dizaine d’années, Napoléon III renoue clairement avec le système centralisé du Premier Empire. L’Empereur est redevenu le chef suprême de l’administration, et il la maîtrise le plus possible. Cet Empire autoritaire entreprend de perfectionner le système de l’an VIII. C’est sous le IInd Empire que la centralisation napoléonienne est la plus efficace. 1. La maîtrise du suffrage universel au niveau local Renouer avec l’esprit de la centralisation suppose de garder la maîtrise du suffrage universel. Il ne s’agit pas de le remettre en cause mais de limiter ses effets. La Constitution de 1852 précise que le maire, nommé, pourra être choisi en dehors du conseil municipal. Il peut donc être politiquement différent du conseil et est totalement dépendant du pouvoir central. La loi (provisoire) de 1852 traduit ce principe dans la loi. Elle précise également que le conseil municipal peut être suspendu par le préfet, comme auparavant. Mais désormais, en cas de dissolution ou de suspension, le préfet peut désigner un conseil municipal qu’il nommera (commission provisoire). Aussi, dans le conseil général et dans le conseil d’arrondissement, le président, le vice-président et les secrétaires sont nommés, les séances ne sont pas publiques, et la dissolution peut être prononcée par le président de la République. Par cette disposition, il ne s’agit pas de transformer l’organisation des conseils locaux, mais de donner les moyens, notamment au préfet, de les maîtriser. La loi de 1855 “sur l’organisation municipale” consacre le provisoire de la loi de 1852. Il est notamment prévu qu’en cas de remplacement d’un conseil suspendu/dissous la commission nommée ira au bout du mandat. Aussi, toute délibération en dehors des attributions est nulle de plein droit. 2. La déconcentration comme mécanisme de centralisation Le Second Empire revient à l’esprit centralisateur de l’an VIII, mais il entreprend également de renforcer et de perfectionner ce système notamment en utilisant la déconcentration. Le Second Empire hérite des évolutions administratives des monarchies, ce qui va former la grande différence avec le Ier Empire. Il s’articule autour de ministères, plus seulement des ministres mais des administrations centrales très puissantes et mieux organisées. Au sein des ministères se forme désormais une grande partie du droit administratif. C’est depuis les ministères que les administrations locales sont contrôlées, davantage que depuis le Conseil d’État. Toutes les décisions des préfets remontent aux ministères ainsi que certaines délibérations des conseils généraux. Il y a donc un problème de saturation au début du IInd Empire. Le IInd Empire s’emploie à soulager les ministères en transférant une partie des compétences des ministères, notamment de l’Intérieur, vers les préfets (déconcentration). Le décret de 1852 sur la “décentralisation” (en réalité déconcentration) augmente les attributions du préfet pour désengorger les ministères. C’est le même marteau qui frappe mais avec un manche plus petit. Il s’agit d’une modification des modalités de fonctionnement de la centralisation. Le préfet peut désormais statuer sur les décisions n’affectant pas directement l’intérêt général de l’État sans autorisation. "On peut gouverner de loin mais on n’administre bien que de près". Ce mécanisme donne à ce point satisfaction au régime qu’en 1861 est adopté un nouveau décret, continuation du précédent, augmentant encore les attributions directes du préfet. Section 2. L’Empire libéral : la réforme de l’administration du territoire 1. Le renouveau des courants décentralisateurs Dans la décennie 1860, la décentralisation est à nouveau dans le débat public avec une profusion de déclarations, plus approfondies. Contrairement aux années 1820, la décentralisation est devenue un mode de contestation du régime. C’est aussi devenu une réflexion autour des notions de démocratie et de libertés. A. L’influence de Tocqueville La pensée de Tocqueville alimente les débats et ses ouvrages sont cités. Pour lui, 2 formes de démocratie sont observables. De la démocratie en Amérique décrit une démocratie compatible avec les principes libéraux. De l’Ancien Régime et de la Révolution décrit une démocratie où la passion pour l’égalité étouffe celle pour la liberté. En France, c’est l’État qui a pris en charge de l’égalité collective, mais ce faisant limitant les libertés individuelles. Cette situation particulière de la démocratie française se traduit notamment dans l’absence de liberté locale et notamment municipale. C’est dans la reconquête des libertés locales, dans la décentralisation, que le système français pourra être libre. Décentralisation c’est un des outils permettant à la démocratie de se libéraliser. B. L’ambiguïté des programmes décentralisateurs Le courant libéral, assez minoritaire, a pour objectif de refonder la démocratie sur la liberté individuelle puis sociale. Il faut reconnaître en priorité les libertés individuelles et imposer à l’État la reconnaissance des libertés sociales. Les libertés communales font partie des libertés individuelles premières. Les communes ont une nature particulière : elles sont antérieures et extérieures à l’État et doivent donc s’administrer librement. Il ne s’agit pas d’un simple projet d’administration du territoire, mais d’un projet politique global. Le courant républicain s’oppose également au Second Empire et s’empare de la décentralisation comme instrument d’opposition au régime. Mais il ne s’agit que de condamner les excès de la centralisation mais pas la centralisation en elle-même, nécessaire pour garantir l’unité nationale. Il faut rétablir des corps intermédiaires entre l’individu et l’État. Les républicains réclament le renforcement de la représentation au niveau local par l’élection des exécutifs locaux. La décentralisation reste limitée : pas de libre administration. Ce renouveau des courants décentralisateurs sous le Second Empire notamment la forme du Projet de décentralisation (1865, dit Manifeste de Nancy). Il a été rédigé par un collectif de notables locaux de provinces qui ne se définissent pas par leur appartenance politique. Il est demandé : “1. Que la province, où vivent les 14/15 de la population de l’Empire, ne soit plus en tout et toujours la très humble tributaire de Paris. 2. Que les citoyens soient quelque chose, et que les fonctionnaires cessent d’être tout”. Ce texte revendique une décentralisation administrative, “neutre”, non politique. On distingue dans les compétences des administrations les affaires qui sont une participation à l’administration de l’État (ex : répartition des impôts) et les affaires propres. Pour le Manifeste, la tutelle de l’État devrait s’alléger dans les affaires propres. Pour les autres compétences, il ne s’agit pas de remettre en cause l’autorité étatique, qui serait une décentralisation politique. La distinction entre décentralisation administrative et politique a caractérisé la IIIe République. 2. Les réformes impériales Napoléon III se saisit des idées de ses opposants pour lui-même mettre en œuvre les réformes. Des lois sont votées pour élargir les compétences des conseils locaux. A. La loi du 18 juillet 1866 sur les attributions des conseils généraux Ce texte ne touche pas à l’organisation du conseil général, mais aux attributions. Les lignes entre les 3 catégories d’attributions bougent. Le conseil général a un droit élargi de statuer définitivement, de prendre des délibérations directement exécutoires. Il a également un droit élargi de voter des contributions, des centimes additionnels, jusqu’alors très limité. Le préfet garde toujours un contrôle, mais de légalité et à posteriori par le Conseil d’État. Enfin le pouvoir central est limité dans son pouvoir d’inscrire d’office des dépenses au budget départemental. B. La loi du 29 juillet 1867 sur les attributions des conseils municipaux Le conseil municipal voit une augmentation du nombre de ses compétences propres avec des délibérations directement exécutoires. Il a davantage de compétences financières avec une possibilité de voter des centimes additionnels et de décider d’emprunts. On procède de la même manière qu’avec le conseil général ici. Enfin, il y a désormais une déconnexion du mandat de maire et du conseil municipal (5 ans pour le maire et 7 ans pour le conseil). Cette modification va à rebours des autres : le régime veut garder le contrôle sur le maire. C. Les lois de juillet 1870 En mars 1870, à la fin du régime, Napoléon III prend à nouveau l’initiative et crée une commission extra-parlementaire de décentralisation, réunissant tous ceux que la question intéresse. Ses travaux sont interrompus par la chute du régime. 2 réformes ont pu être adoptées malgré tout, réglant des questions sensibles. Par la loi du 22 juillet 1870, les maires et adjoints sont à nouveau choisis dans le conseil municipal. Par la loi du 23 juillet 1870, les conseils généraux et d’arrondissement élisent leur président et vice-président et peuvent publier leurs débats. La Troisième République héritera des travaux de cette commission et s’en inspirera largement. Partie 4. Administration du territoire de la fin du XIXe à la fin du XXe : réforme de l’État et régionalisation (1871-1982) Chapitre 1. L’organisation administrative locale à l’heure républicaine (1871-1939) La IIIe République met plusieurs années à trouver son assise politique et institutionnelle. C’est dans ce contexte que sont adoptées les 2 grandes lois structurantes : en 1871 et en 1884. Elles sont considérées, à partir de la fin du XIXe et pour un siècle, comme les deux grandes “chartes” d’administration locale. Ces lois restent finalement extrêmement fidèles à l’ossature napoléonienne. Les législateurs se gardent bien de remettre en cause l’organisation de l’an VIII. Pendant ce siècle, le débat autour de l’administration du territoire est profondément renouvelé par l’irruption d’une nouvelle dimension : la question régionale. Section 1. La loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux Cette loi est l’héritière de la dynamique décentralisatrice enclenchée depuis une décennie sous le Second Empire. L’Assemblée nationale élue après la défaite de Sedan a pour thématique principale la décentralisation, qui était un thème central de la campagne électorale. Cette loi de 1871 vient naturellement à l’ordre du jour. La loi est d’autant plus rapidement rédigée qu’elle est pour l’essentiel héritée de la commission de décentralisation de 1870 qui avait déjà rédigé le projet. Le seul moment politique délicat est d’arriver à un compromis entre l’aspiration parlementaire à la décentralisation et le gouvernement Thiers, qui se fait un fervent défenseur de l’autorité centrale. 1. Les principales innovations introduites par la loi de 1871 Cette loi introduit principalement 4 innovations pour le conseil général. Il y a une certaine forme d’indépendance du conseil vis-à-vis de l’exécutif, qui est obligé de motiver les dissolutions et d’en rendre

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