Discours et Théorie PDF
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This document analyzes discourse and theory, focusing on Bertolt Brecht's critical perspectives on cinema. It explores the connection between art and cinema in a historical context.
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[**1/ Bertold Brecht,** « Critique des représentations », ] dans Sur le cinéma, l'Arche 1970, texte écrit en 1930 BRECHT (1898 en Allemagne-1955) dramaturge poète critique et metteur en scène Dramaturge, poète, théoricien, critique et metteur en scène théâtrale. Passionné de théâtre il écrit en...
[**1/ Bertold Brecht,** « Critique des représentations », ] dans Sur le cinéma, l'Arche 1970, texte écrit en 1930 BRECHT (1898 en Allemagne-1955) dramaturge poète critique et metteur en scène Dramaturge, poète, théoricien, critique et metteur en scène théâtrale. Passionné de théâtre il écrit en 1918 sa première pièce Baal. Il obtient rapidement un grand succès en particulier vers la fin des année 1920 avec l'opéra de quat'sous dont il écrit l'intrigue et s'accompagne de Kurt Wei qui composera la musique. Plus de 10000 représentations partout en Europe et Amérique le menant à la postérité. Deux personnalités ont eu une grande influence sur lui : Max Reinhardt et Erwin Piscator. Le 1er lui donnera sa chance en montant plusieurs des pièces de Brecht dans le Deushest Theatre qu'il dirige. Le 2nd, metteur en scène le guidera vers l'utilisation de la mise au service d'un but politique (ce dernier était communiste) en essayant d'éveiller la conscience des classes prolétaire (théâtre prolétarien). En 1933, la deuxième partie de sa vie débute avec l'arrivé au pouvoir des nazis en particulier avec son engagement politique communiste. Son domicile sera Perquisitionné et ses œuvres seront interdite, ses livres brulés jusqu'à être déchu de sa nationalité allemande 1935. Il part en exile de 1933 à 1947 ou il parcourra l'Europe avant de s'installer à Los Angeles en 1941 ou il t'entera une carrière de scénariste sans grand succès. En 1947, avec le début de la guerre froide Brecht est de nouveau inquiété. La commissions des activités antiaméricaines décide d'enquêter sur Hollywood et Brecht sera convoqué pour une audition. Ce sentant en danger il quitte les Etats-Unis le lendemain. Il vivra deux ans dans plusieurs pays d'Europe avant de s'installer à Berlin Est. Il y fondera le Berliner Ensemble et donnera naissance au théâtre épic basé sur la distanciation (petit organum pour le théâtre). Il mourra en 1956. Principalement connu au théâtre, il a en parallèle entretenu une relation au cinéma.\ \ Brecht était un cinéphile mais peu de film trouvé grâce à ses yeux car les principes dramaturgiques était opposé au siens. La plupart des films étant basé sur l'identification. Mais il a tout de même apprécié certain film comme Madame Bovary de Jean Renoir et Charlie Chaplin avec principalement Charlot.\ \ Il a aussi perçu le cinéma un tant comme un travail alimentaire le poussant par exemple a participé à la production d'un film sur l'opéra de Quat'sous produite par la Tobis et réalisé par Georg Vilele Baps.\ Il aidera au départ à l'écriture du scénario. C'est en Exile aux état unis que se point ressortira le plus. Malgré qu'il ait le ressentit de vendre son âme au diable. Cependant il entrevoit les vastes possibilités de cette art nouveau et principalement d'un point de vue politique avec son aspect populaire. Ils considèrent que ceux qui ne sont pas prêts à faire du cinéma condamne leur message àl'inefficacité. Il insiste cependant que l'artiste doit s'opposé au principe dramaturgique du cinéma hollywoodien. \"Aussi longtemps que l\'on ne critique pas la fonction sociale du cinéma, toute critique cinématographique n\'est qu\'une critique des symptômes et n\'a elle-même qu\'un caractère symptomatique. Elle s\'épuise dans les questions de goût et demeure complètement prisonnière des préjugés de classe. Elle ne voit pas que le goût est une marchandise ou l\'arme d\'une classe particulière, elle le pose dans l\'absolu.\" Bertolt Brecht Bertolt Brecht : le cinéma à l'épreuve du capitalisme Parmi les textes que Bertolt Brecht a consacrés au cinéma entre 1922 et 1933, deux d'entre eux sont explicitement dédiés à la situation esthétique du cinéma : L'art peut se passer du cinéma Le cinéma ne peut pas se passer de l'art. L'un et l'autre prolongent ses réflexions sur le cinéma par une série d'objections adressées à l'industrie du film, hostile aux exigences d'un art nouvellement conscient de ses tâches politiques. Analysant les contradictions esthétiques qui encombrent la production cinématographique -- l'art n'est jamais que l'édulcorant de la marchandise --, Brecht commence par évaluer les effets des formes cinématographiques sur la relève épique du théâtre. Dès le premier texte, Brecht souligne le malentendu qui sépare le producteur de l'écrivain. Le premier juge du kitsch comme d'un gabarit dramatique conforme aux attentes supposées du public, le second s'imagine que l'essence du cinéma c'est le kitsch et, en conséquence, n'écrit pas autre chose. Tous deux se rejoignent, mais en se rejoignant ils sacrifient le cinéma au nom d'une conception également erronée de ses possibilités artistiques et manquent inévitablement la rencontre du cinéma et de l'art. Huit ans plus tard, le procès de L'Opéra de Quat'sous devait lui donner l'occasion de prolonger ses premières intuitions sur les rapports impossibles qui lient l'art et l'industrie, la littérature et le cinéma, l'auteur et le producteur. (Beaucoup d'intertitre ayant était écarté et une\ version plus consensuelle des avis de Brecht mais aussi et surtout le type de jeu d'acteur qui loin de la distanciation Brechtienne repose plus sur de l'identification. Point particulièrement voyant lors de la marche des mendiants ou l'on cherche à crée de la pitié ce qu'à en horreur Brecht.) Réalisé par Georg Wilhelm Pabst sur un scénario de Leo Lania, László Vajda et Béla Balázs pour la Nero-Film, l'adaptation cinématographique de la pièce de Brecht a été contestée par ce dernier qui s'est retrouvé écarté de l'écriture définitive du scénario, malgré les clauses du contrat qui lui garantissaient la possibilité d'intervenir sur la continuité dramatique. Refusant l'idée de ne devoir tenir qu'un rôle secondaire dans l'adaptation de sa propre pièce, Brecht saisit l'occasion de ce différend pour alerter l'opinion sur la situation du cinéma dont tout laissait à penser que son destin artistique, désormais entre les mains de l'industrie cinématographique, était mort-né. Les garanties que lui apportait le contrat n'ont pourtant pas convaincu le tribunal. Ce dernier donna raison à la société Nero-Films arguant que « l'adaptation cinématographique d'une pièce de théâtre rend nécessaires certaines modifications importantes par rapport à l'œuvre originale \[...\] C'est également pour cette raison qu'après avoir cédé le droit d'adaptation, l'auteur de la pièce de théâtre doit en toute bonne foi consentir à des modifications sensibles de son œuvre ». Au terme du procès, la société Nero qui venait de gagner en première instance souhaita clore l'affaire et proposa vingt-cinq mille marks à Brecht qui refusa en déclarant que l'argent ne l'intéressait pas. Seul comptait le droit dont il attendait qu'il dise la vérité du capitalisme ou qu'il se prononce en faveur de l'art. Le Neue Zeit des Westens, constatait que tout ce procès tournait autour d'une question essentielle que Brecht voulait voir posée : « L'industrie peut-elle faire ce qu'elle veut des œuvres d'art ? » La presse resta profondément divisée sur ce point. BRECHT entendait seulement faire la démonstration que la justice n'était ni respectée ni indépendante, que le droit n'était écrit que pour servir les intérêts du capitalisme, que l'art n'était que l'alibi de l'industrie et que toute collaboration avec l'industrie cinématographique était impossible. Brecht introduit ici un élément essentiel aux pensées de l'art des années 1920 : « Les anciennes formes d'expression ne demeurent pas inchangées dès lors que surgissent des formes nouvelles, elles ne subsistent pas parallèlement à celles-ci. » Brecht a compris que l'évolution d'un art ne saurait demeurer indifférente aux révolutions La linéarité du récit se trouve défaite, les possibilités de distanciation sont multipliées par le montage qui impose un écart entre la chose ou l'événement représenté et la forme de la représentation, l'effet de défamiliarisation est accru, bref tout concourt à la ruine de l'ancienne fonction cathartique. Or Brecht est persuadé que la nouvelle fonction du théâtre, qui doit refuser de purger le psychisme du spectateur pour mieux le rendre conscient et responsable de la réalité dans laquelle il est plongé, ne trouvera son véritable rendement esthétique qu'à s'accorder les moyens du cinéma. Le cinéma est donc compris comme une chance pour chacun des arts : à la littérature est donnée l'occasion de repenser les mondes qu'elle compose et au théâtre celle de réinventer la forme de ses représentations en recourant au procédé de l'exposé dialectique. Brecht fait donc clairement le lien entre le devenir artistique du cinéma et la transformation générale du système de l'art proposée comme une nouvelle alliance avec la technique autant que comme une socialisation des moyens de production. Il en va de l'avenir de l'art, qui ne saurait continuer à vivre en dehors des nouvelles conditions créées par la technique. Brecht en tire une conséquence sur la création elle-même qui doit désormais se penser et se faire sous les espèces du collectif : « un film doit être une œuvre collective ». Il faut entendre cette collectivisation des moyens de création comme une manière de renverser l'organisation hiérarchisée de la production et de renoncer à la tradition bourgeoise de l'individu créateur. Brecht va livrer ce qui va devenir le véritable leitmotiv de toutes les pensées du montage cinématographique, bien que le texte n'y fasse pas directement allusion : « Ce qui complique encore la situation c'est que, moins que jamais, la simple reproduction de la réalité ne dit quoi que ce soit sur cette réalité. Une photo des usines Krupp ou de l'AEG ne nous apprend pratiquement rien sur ces institutions. La réalité proprement dite a glissé dans son contenu fonctionnel. Pour Brecht, comme pour tous les artistes qui ont eu comme projet de lier l'art et la politique, la fonction de l'art a changé. Brecht s'est « tout entier engagé dans l'élaboration d'une philosophie de l'Histoire, \[qui\] donne à l'artiste une place essentielle dans la construction d'une société socialiste ». La tâche de l'art et de l'artiste est désormais de restituer la réalité dans sa complexité dialectique. Le cinéma peut-il se passer de l'art ? La réponse à la question dépend donc de la définition que l'on se donne de l'art autant que des fonctions qu'on lui assigne. S'agit-il de réutiliser le fonds romantique de l'art ou d'asservir celui-ci à l'industrie du luxe, alors le cinéma doit être soustrait à ce travestissement esthétique ? S'agit-il au contraire de penser la fonction politique de l'art, alors le cinéma ne doit plus être séparé de l'art ? La question qu'affronte Brecht est donc celle qui prête à l'art une fonction de résistance au capitalisme. Est-il pensable qu'un film qui circule comme une marchandise puisse s'exempter de sa fonction marchande ? Doit-on au contraire imaginer que sa dimension artistique puisse être soustraite à ce commerce ? La réponse de Brecht est sans appel. Non seulement il est illusoire de penser que le caractère marchand de l'œuvre cinématographique pourrait être dépassé par l'art, mais le cinéma n'est pas le seul à avoir subi la loi du capitalisme marchand. Il n'est pas d'art qui ne soit aujourd'hui placé en dehors de son rayon d'action, lequel coïncide strictement avec le monde lui-même. Il n'y a rien en dehors de ce monde-là. Le cinéma doit être politique : c'est à cette condition qu'il peut être lié à l'art et que l'art peut être politiquement juste et, ensuite, esthétiquement justifié. C'est pour des raisons politiques qu'il faut exiger un art politique et « non pour des raisons esthétiques. Aucun argument esthétique ne vaut contre la censure politique ». Toute idée de formalisme en art se voit ici exclue, tandis que le pessimisme reste de mise. Ni l'intellectuel, ni le petit bourgeois, ni les masses ne parviennent à comprendre ce qui se joue derrière cette reconfiguration marchande de l'art. Conséquence, le cinéma soumis aux conditions économiques de son exploitation a rendu possible un type d'œuvre d'art qui repose sur une conception juridique de la création dans laquelle l'auteur est écarté. Telle fut la conclusion à laquelle Brecht souhaitait que le procès arrivât, démontrant ainsi que rien n'échappe au processus de production de la marchandise, qui en est venu à résorber la part d'art qu'elle incorpore. La liberté, la création et le droit sont devenus des fonctions de la production comme le résume strictement l'auteur de L'exception et la règle (1929), pièce dans laquelle le Marchand est dégagé de toute responsabilité après la mort du Coolie. Rien n'échappe au système de production, rien, pas même le système juridique qui façonne la loi en regard des intérêts du capitalisme. À ce pessimisme critique, Brecht oppose malgré tout un optimisme politique qui fait le double pari d'une transformation de l'art au contact de la marchandise. L'un demande que ce qui meurt en elle puisse revivre sous de nouveaux rapports, l'autre prévoit l'effondrement du capitalisme sous l'effet de son développement. Tout le malentendu autour du cinéma tient à l'inadéquation des moyens avec lesquels on tente de le penser. Brecht donne ainsi l'exemple de Thomas Mann jugeant du cinéma comme d'un « spectacle pour l'œil assaisonné de musique». L'inconvénient d'une telle définition nous assure Brecht ne vient pas de son caractère méprisant, mais de son pouvoir axiomatique qui renforce une idée du cinéma pourtant obsolète. Il en va de même pour ceux qui jugent de l'incompatibilité de l'art et de la technique au nom d'une conception classique et humaniste de l'art, sans bien se rendre compte que les appareils font désormais partie des expressions humaines. L'« expérience sociologique » qu'il a menée en faisant de son procès un moyen idéal pour dénoncer les contradictions d'une réalité donnée lui aura donc permis de mettre au jour les transformations auxquelles l'art a été exposé, dès lors que le cinéma s'est fixé comme objectif d'en faire usage. Le cinéma, sous la pression de l'industrie du film, devient donc un art en introduisant l'art à sa nouvelle réalité sociale. Ce que découvre Brecht, et qui constitue un tournant essentiel dans la compréhension du phénomène artistique, c'est que « quelle que soit la façon dont est conçue l'œuvre d'art et ce à quoi on l'a destinée, elle est désormais quelque chose qui se vend, et cette vente joue dans le système global des relations humaines un rôle dont l'importance est tout à fait nouvelle » La question n'est plus de savoir s'il faut le regretter, mais de comprendre que l'art ne peut demeurer en dehors du système capitaliste qui le produit et que le cinéma peut devenir le prescripteur de nouvelles fonctions de l'art qui tiennent compte des nouvelles réalités économiques qui pèsent autant sur la production que sur la réception des œuvres. Il travaille aussi sur un film de Fritz Lang Les Bourreaux Meurent\ Aussi où son travail en tant que scénariste est principalement écarté,\ avec des scènes de foule remplacé par des performances d'acteurs.\ \ Seul un film, Kuhle Vampe ne lui donnera pas l'impression d'être trahit. Réalisé par un bulgare Stalan Dudov.\ \ Le cinéma est considéré comme l'art procurant la plus grande illusion référentiel (présomption d'incrédilutité) favorisant l'identification. Brecht y voit une passivité du spectateur : « les gens s'emble dispenser de toute activité et manœuvré à leurs insu. \[...\] une réunion de dormeur qui agite un mauvais rêve. ». Cette spécificité du cinéma poussera cet art à être un des derniers à tenté de rompre l'idée de perception du réel du spectateur. Selon lui le cinéma peut admettre les principes d'une dramaturgie non-aristotélicienne, ne reposant pas sur l'identification et la mimesis.\ Vers 1960, Jen Luc Godard réalisera des films se rapprochant de la théorie brechtienne ou encore Jean-Marie Strob et Danielle Huillet qui se veulent faire du cinéma Brechtien.\ \ Le théâtre épic et l'effet de distanciation ce que veut dire être Brechtien : La notion de distanciation renvoie tout d'abord à un style de jeu qui s'oppose à l'identification de l'acteur au personnage qu'il incarne et avoirs vis-à-vis de son personnage un regard critique. En opposition à la méthode de Constantin Stanislavski qui dans ces ouvrages présentera une méthode ou l'acteur doit sentir et vivre comme le personnage. Brecht invente le Gestus Brechtien afin de crée un nouveau rapport entre le spectacle et son spectateur. **[2/ Serguei Eisenstein ]** Réalisateur , Scénariste , theoricien Naissance 22 janvier 1898 (Riga, Lettonie) Décès 11 février 1948 **« Sur le montage » de Serguei Eisenstein paru dans *The film sense,* Harcourt 1942 repris dans *Regards neufs sur le cinéma,* édition Seuil 1963, (texte publié pour la première fois en 1963)** En représentant majeur de l'école soviétique, **il donne au montage une place fondamentale dans la création cinématographique**. Pour Eisenstein, un film est toujours un discours articulé, et un fragment est une unité de discours (bien plus qu'une unité de représentation). Et il utilise ces fragments sur le mode du conflit : c'est donc dans une logique d'opposition qu'il les agence, opposition qui peut revêtir de multiples formes (opposition graphique, lumineuse, spatiale, etc.). Le montage est donc, pour lui, le moment de la production de sens, au travers de l'exposition de conflits (la séquence célèbre de l'escalier d'Odessa, dans *Le Cuirassé Potemkine*, où se confrontent les soldats du tsar et la population, en est un exemple canonique). Suivant ce principe de base, **Eisenstein distingue alors quatre principales formes de montage** ; montage qui, pour lui, on va le voir, est toujours affaire de mouvements. On pourra mesurer, dans les différentes approches qui vont suivre, l\'abîme qui le sépare de la transparence hollywoodienne. **-le montage métrique.** Il s'agit de tenir compte, ici, de la longueur de chaque fragment de film (en prenant en compte la longueur de pellicule) pour réaliser le montage. Eisenstein explique comment un effet de mouvement et donc de tension peut être obtenu en raccourcissant les morceaux de pellicule, tout en conservant les proportions originales de la formule (1/2, 1/3, 1/4, etc.). Ce montage procède donc d'un simple calcul et non d'une impression qui peut être éprouvée. Et le contenu propre à l'image est subordonné à la longueur des plans. **-le montage rythmique **où le contenu propre à chaque image doit être pris en considération pour déterminer la longueur de chaque morceau. De fait la longueur de chaque plan ne coïncide pas nécessairement avec une longueur déterminée mathématiquement comme dans le montage métrique. La séquence de l'escalier d'Odessa dans *Le Cuirassé Potemkine* est un exemple-type d'un tel montage : la tension est obtenue en transférant le rythme des bottes des soldats au rythme de la descente de l'escalier par le landau abandonné. **-Le montage tonal **va chercher à dépasser l'aspect rythmique : la conception de mouvement doit ici embrasser les vibrations de toute sorte qui peuvent se dégager d'une image. Le montage est alors basé sur la résonnance émotionnelle propre à chaque plan. Eisenstein prend l'exemple de la séquence du port d'Odessa, toujours dans *Potemkine*, où chaque image a une même résonnance, un même ton (ici des vibrations lumineuses dans le brouillard). L'unité de la séquence est donc celle des images (c'est une unité qui s'appuie donc sur le fond, et non plus sur la forme comme dans le montage précédent). **-Le montage harmonique**, enfin, est, pour Eisenstein, l'occasion de prendre toutes les potentialités de chaque plan (le fond *et* la forme). Il est un développement ultime du montage tonal, allant vers une exaltation de chaque plan à même de provoquer un ébranlement émotionnel chez le spectateur. Il s'agit alors de parvenir à englober l'aspect rythmique en plus de la tonalité. Ce montage reste un objectif théorique, en ce qu'il est une aspiration du réalisateur à parvenir, ainsi, à extraire une harmonie du plan tout en permettant une harmonie entre les plans. Eisenstein voit une gradation dans ces quatre méthodes de montage, allant vers un aboutissement, chacune étant engendrée par la précédente (le montage rythmique, par exemple, nait du conflit entre la longueur d'un plan et son mouvement intérieur propre). Il aborde également un dernier montage, le montage intellectuel, qui établirait non plus une harmonie de nature émotionnelle, mais de nature intellectuelle**. Il prévoit ainsi une forme neuve de cinéma, un cinéma intellectuel, qui saurait combiner ces différentes harmonies. Pour Eisenstein, ce cinéma établirait une synthèse entre l'art cinématographique lui-même (qui s'adresse à l'émotion) et l'esprit de militant qui l'anime (et qui s'adresse au processus intellectuel).** **[3/ Alexandre Astruc]** Caméra-stylo « C\'est pourquoi j\'appelle ce nouvel âge du cinéma celui de la *Caméra stylo*. » Profession : écrivain, critique et cinéaste Naissance : le 13 juillet 1923 à Paris Décès : le 19 mai 2016 à Paris **[« Naissance d\'une nouvelle avant-garde : la caméra-stylo » Alexandre Astruc]** **[*Paru dans L\'Écran français*, 30 mars 1948 (numéro 144)( texte publié la première fois en 1948)]** *« Précisons. Le cinéma est en train tout simplement de devenir un moyen d\'expression, ce qu\'ont été tous les autres arts avant lui, ce qu\'ont été en particulier la peinture et le roman. Après avoir été successivement une attraction foraine, un divertissement analogue au théâtre de boulevard, ou un moyen de conserver les images de l\'époque, il devient peu à peu un langage. Un langage, c\'est-à-dire une forme dans laquelle et par laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle, ou traduire ses obsessions exactement comme il en est aujourd\'hui de l\'essai ou du roman. C\'est pourquoi j\'appelle ce nouvel âge du cinéma celui de la Caméra stylo. Cette image a un sens bien précis. Elle veut dire que le cinéma s\'arrachera peu à peu à cette tyrannie du visuel, de l\'image pour l\'image, de l\'anecdote immédiate, du concret, pour devenir un moyen d\'écriture aussi souple et aussi subtil que celui du langage écrit. »* *« L\'événement fondamental de ces dernières années, c\'est la prise de conscience qui est en train de se faire du caractère dynamique, c\'est-à-dire significatif de l\'image cinématographique. Tout film, parce qu\'il est d\'abord un film en mouvement, c\'est-à-dire se déroulant dans le temps, est un théorème. Il est le lieu de passage d\'une logique implacable, qui va d\'un bout à l\'autre d\'elle-même, ou mieux encore d\'une dialectique. Cette idée, ces significations, que le cinéma muet essayait de l\'aire naître par une association symbolique, nous avons compris qu\'elles existent dans l\'image elle-même, dans le déroulement du film, dans chaque geste des personnages, dans chacune de leurs paroles, dans ces mouvements d\'appareils qui lient entre eux des objets et des personnages aux objets. Toute pensée, comme tout sentiment, est un rapport entre un être humain et un autre être humain ou certains objets qui font partie de son univers. C\'est en explicitant ces rapports, en en dessinant la trace tangible, que le cinéma peut se faire véritablement le lieu d\'expression d\'une pensée. »* La caméra-stylo est un concept issu de la théorie du cinéma, proposé par le réalisateur et critique français Alexandre Astruc en 1948**. Il fait référence à une approche artistique et personnelle du cinéma, où le réalisateur utilise la caméra comme un écrivain se sert de sa plume pour exprimer ses idées et ses sentiments.** **Cette notion met l\'accent sur la subjectivité et la créativité du cinéaste, qui devient un véritable auteur au sens littéraire du terme. Elle s\'oppose ainsi aux productions hollywoodiennes, souvent basées sur des recettes commerciales et des formules narratives préétablies.** **La caméra-stylo trouve son origine dans les mouvements cinématographiques d\'avant-garde et a notamment influencé la Nouvelle Vague française, qui prônait un retour à l\'expression individuelle et à l\'expérimentation formelle.** L' irruption de la problématique de l'engagement dans la réflexion sur le cinéma coïncide évidemment avec l'affirmation du cinéaste comme auteur à part entière, au même titre que le romancier, le peintre ou l'essayiste. En cela, les déclarations des années 1950 et 1960 poursuivent la réflexion engagée par le premier véritable manifeste du cinéma d'après-guerre, à savoir le texte d'Alexandre Astruc sur la « caméra-stylo ». Astruc y défend l'accession du cinéma au statut de **« forme dans laquelle et par laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle, ou traduire ses obsessions exactement comme il en est aujourd'hui de l'essai ou du roman**». Le cinéaste, littéralement,* écrit *avec sa caméra comme d'autres le font avec un stylo, ce qui lui permet d'accéder au statut d'auteur, au double sens de celui qui jouit de l'autorité artistique sur son œuvre et de celui qui porte la responsabilité de la réception publique du film. Cette évolution, bien entendu, a des répercussions politiques dans la mesure où, pour le dire avec Sartre, « l'écrivain est en situation dans son époque ». Se développe alors une conception de l'engagement du film comme conséquence de l'engagement de son auteur -- engagement dont le manifeste n'est rien de plus qu'une attestation formelle. **[4/ Pier Paolo Pasolini]** (né en 1922 à Bologne en Italie- assassiné en Italie en 1975) un écrivain, poète, peintre, journaliste, dramaturge, scénariste et réalisateur italien [ **« observation sur le plan séquence »parue dans L'expérience hérétique, édition Ramsay, 1989 (texte écrit en 1967)**] Il est particulièrement important de rappeler que Pasolini attribue le plan-séquence à une absence de position et qu'il lie les coupes dans le montage à des interventions signifiantes. Pasolini fait une distinction fondamentale entre deux formes de subjectivation : un sujet innocent et naïf sans aucune responsabilité, personnifié par Riccetto (*La sequenza del fiore di carta)*, et une attitude critique avec une conscience historique forte, mais sans accès à la vie quotidienne ou au présent vécu. Cette attitude critique est personnifiée par « l'intellectuel » inactif, figure qui a été problématisée à plusieurs reprises par les tenant du néo-marxisme italien, de Gramsci jusqu'à Fortini. La distinction technique entre le plan-séquence et le montage, qui est ici une analogie de la vie quotidienne et de l'histoire, a été introduite précédemment par Pasolini dans **« Observations sur le plan-séquence** ». Cette brève théorisation du plan-séquence, publiée par Pasolini au moment même où il commence le travail préliminaire sur *La sequenza del fiore di carta*, est une clé d'interprétation essentielle pour comprendre toute l'allégorie du film. Ce texte de Pasolini commence avec un exemple surprenant : « Observons le petit film 16 mm qu'un spectateur, dans la foule, a tourné sur la mort de Kennedy. C'est un plan-séquence ; et le plus typique des plans-séquences possibles. » **\ **Ce modèle se complexifie quand, vers la fin du texte, Pasolini étend son analogie entre le plan-séquence et le présent, le montage et l'histoire, pour souligner l'opposition entre la vie et la mort. Il observe en effet que l*a mort accomplit un fulgurant montage de notre vie* : elle en choisit les moments les plus significatifs (qui ne peuvent plus être modifiés par d'autres moments possibles, antagonistes ou incohérents) et les met bout à bout \[\...\] Le montage effectue donc sur le matériau du film \[\...\] la même opération que la mort accomplit sur la vie Dans un excursus des « Observations sur le plan-séquence », Pasolini avait caractérisé les « plans-séquences désespérants et sans fin de Godard » de défi à la mort (« *sfida all morte* »). Dans cet excursus, Pasolini liait notamment ce « *sfida alla morte* » au *Dasein* (il utilise le terme allemand) de Heidegger, afin d'évoquer la conception heideggérienne de *Dasein* comme souci de l'« Être-vers-la-mort ». Le plan-séquence médiatiserait donc l'« Être-vers-la-mort » dans son « Être-jeté » (*Geworfenheit*), mais c'est seulement le montage qui capturerait l'être du film et le métamorphoserait en une forme ou un personnage à travers lequel s'exprimerait la dialectique quotidienne de la vie et de l'histoire, soit ce qui, dans les mots de Deleuze, peut nous faire entrer dans une force de « caméra-conscience ». Cette interprétation est complexe, notamment parce que Pasolini n'utilise pas directement les termes en se référant directement à Heidegger ; c'est plutôt par l'intermédiaire du philosophe tchèque Karel Kosík qu'il utilise ce terme. [**5/ Laura Mulvey** *« *]*Plaisir visuel et cinéma narratif »,* dans 20 ans de théories féministes sur le cinéma, CinémAction n°67, Corlet, mars 1993 (extrait traduit par Valérie Hébert et Bérénice Reynaud, d'un article initialement écrit en Anglais dans screen, vol16 N°3, automne 1975) Publié en 1975 dans le n° 16 de la revue britannique Screen, \"Visual pleasure and narrative cinema\" est considéré comme un article fondateur des études féministes du cinéma. Largement commenté (Carol J. Clover, Tania Modleski,\...), et amendé par Laura Mulvey elle-même (dans \"Afterthoughts\...\"), il a été l'un des premiers à analyser la manière dont la forme des films était structurée par l'inconscient de la société patriarcale. Dans cette première partie, Laura Mulvey, s'appuyant sur les travaux de Freud et Lacan, définit l'origine et la nature du plaisir pris par le spectateur au cinéma, ainsi que la manière dont la figure féminine, dans les films narratifs \"classiques\", est construite pour satisfaire les pulsions voyeuristes du spectateur. Cet article n'avait, à notre connaissance, connu qu'une traduction partielle en français, dans le n° 57 de la revue Cinémaction (sous la direction de Ginette Vincendeau et Bérénice Reynaud, Vingt ans de théories féministes sur le cinéma, 1993). Le site Debordements en a publié la traduction intégrale Cet article entend faire usage de la psychanalyse pour démontrer comment et jusqu'où la fascination pour les films peut être renforcée par des modèles pré-existants de fascination déjà à l'œuvre à l'intérieur même du sujet, ainsi que par certains modèles sociaux \[social formations\]. Commençons par le fait que le film reflète, révèle et joue même avec l'interprétation commune et socialement établie de la différence sexuelle, qui contrôle les images, l'érotisation du regard \[erotic ways of looking\] et le spectacle. Il est utile de se rappeler ce que le cinéma fut, comment sa magie a pu opérer, en même temps que l'on s'efforcera d'élaborer une théorie qui défie ce cinéma du passé. La théorie psychanalytique est donc tout à fait appropriée ici en tant qu'arme politique, permettant de démontrer la façon dont la société patriarcale a structuré la forme du film de cinéma **[6/ Michel Chion]** «L' *acousmêtre* », dans *La voix au cinéma*, ed de l'Etoile, 1982 (texte publié pour la première fois en 1982) Pour l\'efficacité de son enseignement, Pythagore se cachait, dit-on, derrière une tenture. Il pensait qu\'ainsi, son image ne détournerait pas les auditeurs de son message. Cela faisait de lui un Maitre acousmatique, un *acousmaître*, mot que Michel Chion préfère écrire *acousmêtre*, **un être d\'une espèce particulière qu\'on continue à entendre même lorsqu\'il n\'est plus là**. Il y a plusieurs sortes d\'acousmêtres : \- celui qui n\'a pas été vu et qui peut apparaître à tout moment Au cinéma, la zone acousmatique est fluctuante. Elle peut toujours être remise en cause. Les bords de l\'écran étant visibles, on voit où ça coupe. La situation n\'est pas celle d\'un *maître* dissimulé (comme Pythagore), mais celle d\'un *être* non visualisé, qui vient du même lieu que les autres sons. Cet être est à la fois dehors et dedans, en peine d\'un lieu où se fixer. Michel Chion écrit notamment ceci, à l\'article « La Révélation acousmatique » : « Il faut se garder de mal interpréter la situation acousmatique, en y distinguant par exemple „l\'objectif" -- ce qui est derrière la tenture -- du „subjectif" -- la réaction de l\'auditeur à ces stimuli, dans une réduction physicienne du phénomène. Au contraire, l\'acousmatique correspond à un renversement du parcours ; il ne s\'agit plus de savoir comment une écoute subjective interprète ou déforme la „réalité", d\'étudier des réactions à des stimuli ; c\'est l\'écoute elle-même qui devient l\'origine du phénomène à étudier. C\'est vers le sujet que se retourne la question : „Qu\'est-ce que j\'entends ? Qu\'entends-tu, au juste ?", en ce sens qu\'on lui demande de décrire non pas les références extérieures du son qu\'il perçoit, mais sa perception elle-même. Acousmatique et acoustique ne s\'opposent donc pas comme objectif et subjectif. L\'acousmatique en tant que démarche (et non plus seulement en tant que situation) doit ignorer des mesures et des expériences qui ne s\'appliquent qu\'à l\'objet physique, le „signal" des acousticiens. Mais sa recherche, tournée vers le sujet, ne peut abandonner pour autant sa prétention à une objectivité qui lui soit propre. La question sera, cette fois, de savoir comment retrouver, par confrontation de subjectivités, quelque chose sur quoi il soit possible à plusieurs expérimentateurs de se mettre d\'accord. » **Résumons, toujours en nous référant à Michel Chion, les effets de la situation acousmatique :** -- Suppression des supports donnés par la vue pour identifier les sources sonores. « Nous découvrons que beaucoup de ce que nous croyions entendre n\'était en réalité que vu, et expliqué, par le contexte. » -- Dissociation de la vue et de l\'ouïe, favorisant l\'écoute des formes sonores pour elles-mêmes (donc de l\'objet sonore). En effet, si la curiosité des causes subsiste dans l\'écoute acousmatique (et peut même être attisée par la situation), la répétition possible du signal enregistré peut « épuiser » cette curiosité et imposer peu à peu l\'« objet sonore comme une perception digne d\'être écoutée pour elle-même » et dont elle nous révèle la richesse. -- Mise en évidence, par l\'écoute répétée d\'un même fragment sonore enregistré, des variations de l\'écoute. Ces variations ne sont pas le fait d\'un « flou » dans la perception, mais d\'« éclairages particuliers, de directions chaque fois précises et révélant chaque fois un nouvel aspect de l\'objet, vers lequel notre attention est délibérément ou inconsciemment engagée ». De cette voix, dont on ne sait d\'où elle vient, Michel Chion dit qu\'elle est \" acousmatique \". Et ce personnage, il le baptise \" acousmètre \", le plaçant au centre de ce qu\'il esquisse ici : \" Une théorie du cinéma comme parlant. \" On lira cet essai avec grand plaisir car la pensée, complexe, s\'y énonce clairement. Et elle s\'annonce de même. L\'objet de la recherche, ce sera la voix - \" ce drôle d\'objet \", comme dit Pascal Bonitzer, cité comme les autres confrères de Michel Chion aux Cahiers du cinéma, souvent, et avec affection. La voix (et non ce qu\'elle dit), et surtout celle qui a été qualifiée ci-dessus, celle qui \" erre à la surface de l\'écran \". L\'acousmètre n\'aurait aucune valeur dynamique s\'il n\'était constamment menacé d\'une visualisation. Il ne faut pas, explique Michel Chion, qu\'il soit \" situé dans la position retirée du bonimenteur, du commentateur, de la voix de lanterne magique, mais que la voix ait, si peu que ce soit, un pied dans l\'image, dans le lieu du film\". Il peut y avoir aussi bien interdiction d\'incarnation (Marguerite Duras). L\'acousmètre est parfois une voix diabolique aux pouvoirs limités (2001), ou absolus, comme dans le Testament du docteur Mabuse, qui est, avec Psychose, le film auquel l\'auteur se réfère constamment, montrant dans un cas \" tout ce que l\'on peut faire avec une voix sans corps \" et, dans l\'autre, le rôle effrayant de la voix maternelle (leitmotiv du livre). **[7/ Alain Bergala ;]** « la réminiscence ou Pierrot avec Monika », dans *Pour un cinéma comparé* (influences et répetitions), Ed Cinémathèque française, 1996, repris dans *Nul mieux que Godard*, Cahiers du cinéma, 1999 (texte publié la première fois en 1996 ) Alain Bergala est un théoricien du cinéma et un professeur émérite de l\'Université de Paris -- Sorbonne Nouvelle. Il est surtout connu pour ses travaux sur l\'esthétique du film et la relation entre le cinéma et le spectateur. Théorie de la Reminiscence La théorie de la reminiscence de Bergala explore comment les films peuvent évoquer des souvenirs et des émotions chez les spectateurs. Il s\'agit d\'une approche qui met l\'accent sur la capacité des images cinématographiques à susciter des réminiscences personnelles et à créer des connexions émotionnelles profondes. Points Clés - Évocation des Souvenirs : Les films, selon Bergala, ont le pouvoir de faire ressurgir des souvenirs et des expériences passées chez les spectateurs, créant ainsi une expérience immersive et personnelle. - Connexion Émotionnelle : En évoquant des souvenirs, les films peuvent provoquer des réactions émotionnelles fortes, renforçant l\'impact et la signification de l\'œuvre cinématographique. - Réflexion Personnelle : Cette théorie encourage les spectateurs à réfléchir sur leurs propres Bergala croit que le cinéma est un art unique qui peut toucher les gens de manière intime et personnelle, en faisant appel à leurs souvenirs et émotions. C\'est une perspective fascinante qui enrichit notre compréhension de l\'impact du cinéma sur le spectateur. Qu\'en penses-tu? Jean-Luc Godard, Monika "est au cinéma d'aujourd'hui ce que Naissance d'une nation est au cinéma classique. De même que Griffith avait influencé Eisenstein, Gance, Lang"..., Monika influencera François Truffaut, Eric Rohmer et Godard lui-même. Elire ce film comme étendard de la modernité cinématographique, c'est, pour les apprentis cinéastes de la Nouvelle Vague, le choisir comme modèle de leur œuvre à venir. Leurs premiers films à tous portent l'empreinte plus ou moins profonde de Monika. Du film de Bergman, ces jeunes cinéastes retiennent d'abord une liberté de ton, une manière crue de parler de la jeunesse. Mais le geste pour eux déterminant est le regard-caméra de Harriet Andersson, qui offre la possibilité de nouvelles relations entre le film et son spectateur. Celui-ci est invité à participer, à réfléchir activement, pendant la durée du film, à l'histoire racontée et à la façon dont elle est racontée. C'est un aspect capital de la modernité du cinéma : la fiction se double d'un essai sur le cinéma et le monde. Au spectateur La première référence à Monika apparaît dans le premier long-métrage de Truffaut, Les 400 coups (1958) : Antoine Doinel vole à la devanture d'un cinéma une photo d'Harriet Andersson sur fond de ciel, les yeux fermés et les épaules dénudées. Mais c'est chez Godard que l'influence de Monika est la plus sensible. Dès À bout de souffle (1959), Poiccard s'adresse directement au spectateur. Nana, dans Vivre sa vie (1962), le regarde dans les yeux et l'interpelle à plusieurs reprises. Mais aucun film n'est aussi profondément inspiré de Monika que Pierrot le fou (1965). Comme Monika et Harry, Pierrot et Marianne décident de quitter la ville pour vivre leur amour au fil d'une longue dérive vers le Sud, en marge de la société. La présence souterraine de Monika devient évidente dans une séquence où Godard semble rendre hommage à Bergman en une variation libre à partir de son film. Il reprend des éléments scénographiques, les principaux thèmes et les figures stylistiques de Monika. Pierrot et Marianne, arrivés au bord de la mer, décident de vivre leur amour dans une île, loin du monde. La séquence est ponctuée d'interpellations du spectateur par les personnages. Avant de jeter la voiture dans la mer, Pierrot se retourne vers la caméra et dit : "vous voyez, elle pense qu'à rigoler". Marianne : "mais à qui tu parles ?" Pierrot : "au spectateur". La séquence sur l'île alterne des dialogues mettant en scène la relation amoureuse des personnages, des plans du journal que tient Pierrot et des gros plans de l'un des deux confiant ses états d'âme au spectateur. Pour représenter le très court moment de bonheur insouciant, Godard relie les sentiments des personnages aux éléments naturels : la mer miroitante, le ciel éclatant. Dans sa critique de Monika, le cinéaste avait fait l'éloge de ce procédé chez Bergman. Un fragment du journal de Pierrot y fait référence : "Sentiment du corps / Les yeux = paysages". Par la suite, le basculement vers la discorde est figuré par le plus bergmanien des regards-caméra. Pierrot : "tu ne me quitteras jamais ?". Elle lui répond : "bien sûr", puis jette un regard au spectateur, le rendant complice de l'ambiguïté de sa réponse. "Bien sûr ?", relève Pierrot. Marianne répond : "Oui, bien sûr", sur un ton qui ne cache pas sa duplicité, et regarde à nouveau le spectateur d'un air entendu. Puis vient la discorde, qui chez Godard se hausse au niveau d'une guerre des sexes. Marianne se plaint en des termes qui furent ceux de Monika : "J'en ai marre des boîtes de conserve, de porter toujours la même robe". Par cette séquence, Godard rend un subtil hommage à un film qui l'aura profondément marqué. **[8/ Pascal BONITZER]** --« Système des émotions », dans *Le champ aveugle, Essais sur le cinéma*, 1982 (texte écrit dans la deuxième moitié des année 70) Pascal Bonitzer définit le cinéma moderne comme étant un cinéma qui n\'attirerait que peu de spectateurs car il se détache des émotions et rompt avec la narration. Le cinéma moderne a pour but d\'inventer de « nouveaux rapports entre les plans » pour exprimer autre chose que les émotions communes. Donc en réalité, ce n\'est pas que le cinéma moderne ne transmet plus d\'émotions mais il en transmet de nouvelles, inconnues jusqu\'à maintenant et qui frustrent le public qui n\'est pas habitué. En effet, celui-ci a besoin d\'histoire et d\'émotions et l\'un n\'est pas concevable sans l\'autre. Jusqu\'à présent, il était habitué aux émotions de masses, communes, qui sont la peur, le rire et les larmes. BONITZER justifie ce besoin en expliquant que ces trois émotions sont les premières apparues au cinéma : De plus, si ce cinéma traditionnel convient tant au public c\'est parce qu\'il permet aux spectateurs de s\'identifier aux personnages et aux situations. Cette identification est importante pour les cinéastes souhaitant toucher leur public car elle permet aux spectateurs de s\'oublier, de les toucher au plus profond d\'eux-mêmes, et donc de les amener à réfléchir. **Il semblerait que pour BONITZER, l\'émotion passe avant tout suivant l\'utilisation qui est faite d\'un plan et notamment des plans visage.** Il met l\'accent sur le gros plan visage humain comme étant le lieu de la terreur ou des larmes. Ceci peut s\'expliquer par les propos de DELACROIX qui dit que « la peau est une terrible dévoreuse de lumière » Tout gros plan donnerait donc un caractère vampirique et effrayant à un visage humain. De plus, le visage en gros plan a généralement pour fonction de mettre à nu les sentiments c\'est pourquoi il semble normal que pour traiter des trois émotions communes BONITZER fasse appel à lui. Pour lui, le gros plan est lié à la notion d\'obscénité, d\'horreur et a un effet phobique qui agit sur l\'inconscient du spectateur. Mais ce n\'est pas systématique, l\'œil du spectateur n\'étant pas interpellé de la même façon par chaque réalisateur. Par exemple, pour EPSTEIN, le gros plan visage humain modifie le drame par l\'impression de proximité : « La douleur est à portée de main, si j\'étends le bras, je te touche intimité, je compte les cils de ta souffrance » EISENSTEIN utilise quant à lui le visage à des fins de pathétisation. Pour lui, il a une fonction symbolique et expressive, il est comme un révélateur. Enfin GRIFFITH, nous offre des personnages dont la forte tension mentale est suggérée par le gros plan. Montrer ces personnages fragiles et bafoués par la vie nous amènent à compatir. Tous ces gros plans visage humain, suivant la manière dont ils sont utilisés, transmettent des émotions que ce soit terreur, pitié, tristesse voire larme. Le film de David LYNCH, Elephant Man, est un film de visages et est considéré comme un des plus efficaces « tearkerkers », soit « tireur de larmes », du cinéma, c\'est pourquoi j\'ai souhaité le mettre en perspective avec la théorie de BONITZER. Dans ce film toute une machinerie est mise en œuvre pour réveiller nos sentiments. Dès le premier visionnage nous sommes absolument secoués par une multitude d\'émotions contradictoires ou complémentaires. Nous allons donc observer l\'utilisation et la signification de ces multiples gros plans visage humain dans le récit. **[9/ Serge Daney,]** « Le travelling de Kapo\" , dans *Trafic*, N°4, automne 1992, repris dans *Persévérance*, P.O.L, 1994 ( texte publié pour la première fois en 1992) Ce texte est paru dans la revue \"Trafic\" (automne 1992, n°4). Serge Daney y fait sienne la critique de Rivette tout en avouant n'avoir jamais vu Kapo : ce qui peut passer pour un paradoxe -- voire une provocation -- ne l'est qu'en apparence car **le propos de Daney ne porte pas tant sur le film que sur la revendication d'un rapport au cinéma. Parce qu'elles \"résistent\" à leur esthétisation, les images des camps jouent le rôle de pierre de touche pour une règle qui vaut absolument: c'est la manière dont les choses sont filmées qui constitue la signification de ce qui est filmé.** *« Au nombre des films que je n'ai jamais vus, il n'y a pas seulement Octobre, Le Jour se lève ou Bambi, il y a l'obscur Kapo, film sur les camps de concentration, tourné en 1960 par l'italien de gauche Gillo Pontecorvo. Kapo ne fit pas date dans l'histoire du cinéma. Suis-je le seul, ne l'ayant jamais vu, à ne l'avoir jamais oublié ? Car je n'ai pas vu Kapo et en même temps je l'ai vu. Je l'ai vu parce que quelqu'un, avec des mots, me l'a montré. Ce film, dont le titre, tel un mot de passe, accompagna ma vie de cinéma, je ne le connais qu'à travers un court texte: la critique qu'en fit Jacques Rivette en juin 1961 dans Les Cahiers du cinéma. C'était le numéro 120, l'article s'appelait « De l'abjection », Rivette avait 33 ans et moi 17. Je ne devais jamais avoir prononcé le mot « abjection » de ma vie. \ \ Dans son article, Rivette ne racontait pas le film, il se contentait, en une phrase, de décrire un plan. La phrase, qui se grava dans ma mémoire, disait ceci: « Voyez cependant, dans Kapo, le plan où Riva se suicide en se jetant sur les barbelés électrifiés: l'homme qui décide à ce moment de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d'inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n'a droit qu'au plus profond mépris ». Ainsi, un simple mouvement de caméra pouvait-il être le mouvement à ne pas faire. Celui qu'il fallait -- à l'évidence - être abject pour faire. A peine eus-je lu ces lignes que je sus que leur auteur avait absolument raison. Abrupt et lumineux, le texte de Rivette me permettait de mettre des mots sur ce visage de l'abjection. Ma révolte avait trouvé des mots pour se dire. Mais il y avait plus. Il y avait que la révolte s'accompagnait d'un sentiment moins clair et sans doute moins pur: la reconnaissance soulagée d'acquérir ma première certitude de futur critique. Au fil des années, en effet, « le travelling de Kapo » fut mon dogme portatif, l'axiome qui ne se discutait pas, le point limite de tout débat. Avec quiconque ne ressentirait pas immédiatement l'abjection du « travelling de Kapo », je n'aurais, définitivement, rien à voir, rien à partager. Ce genre de refus était d'ailleurs dans l'air du temps. Au vu du style rageur et excédé de l'article de Rivette, je sentais que de furieux débats avaient déjà eu lieu et il me paraissait logique que le cinéma soit la caisse de résonance privilégiée de toute polémique. La guerre d'Algérie finissait qui, faute d'avoir été filmée, avait soupçonné par avance toute représentation de l'Histoire. N'importe qui semblait comprendre qu'il puisse y avoir -- même et surtout au cinéma - des figures taboues, des facilités criminelles et des montages interdits. La formule célèbre de Godard voyant dans les travellings « une affaire de morale » était à mes yeux un de ces truismes sur lesquels on ne reviendrait pas. Pas moi, en tout cas. \ \ \[...\] C'est parce que Nuit et Brouillard avait été possible que Kapo naissait périmé et que Rivette pouvait écrire son article. \[...\] \ \ C'est l'autre pornographie -- celle, « artistique » de Kapo, comme celle de Portier de nuit et autres produits « rétro » des années 70 -- qui toujours me révolterait. A l'esthétisation consensuelle de l'après-coup, je préférerais le retour obstiné des non-images de Nuit et Brouillard \[...\]. Ces films-là avaient au moins l'honnêteté de prendre acte d'une même impossibilité de raconter, d'un même cran d'arrêt dans le déroulé de l'Histoire \[...\]. Autrement dit: puisque les cinéastes n'ont pas filmé en son temps la politique de Vichy, leur devoir, cinquante ans plus tard, n'est pas de se racheter imaginairement à coups d'Au revoir les enfants mais de tirer le portrait actuel de ce bon peuple de France qui, de 1940 à 1942, rafle du Vel' d'Hiv' comprise, n'a pas bronché. Le cinéma étant l'art du présent, ses remords sont sans intérêt. »* La question du cas contre le personnage s'illustre dans le très célèbre article de Daney sur le travelling de* Kapo* (Gillo Pontecorvo, 1961), texte qui est un des fondements de sa morale du cinéma. Daney, à partir de l'article fameux de Jacques Rivette, écrit à l'âge de 15 ans sa première « ligne » de critique. S'il reprend Godard, « Les travellings sont affaire de morale », il ajoute aussi une réflexion sur le personnage. L'article de Rivette porte sur la* forme* et sur l'importance d'une éthique de la forme, au sens où on ne peut pas filmer la mort « sans crainte ni tremblement ». **Daney, lui, invoque une éthique du personnage : ce n'est plus tant la Mort comme universel qui est sacrée, mais l'individu, même s'il n'est que représenté.** **Dans ce texte sur le travelling de* Kapo,* Daney ébauche une comparaison entre le mouvement de caméra tel que décrit par Rivette**, puisque Daney n'a jamais vu* Kapo,* **et un panoramique de Mizoguchi dans* Les Contes de la lune vague après la pluie* (1953)**. Pour lui, Pontecorvo (cinéaste de gauche italien) et Mizoguchi (cinéaste japonais politiquement opportuniste, selon Daney) proposent une vision radicalement différente de la mort : le premier « sous les espèces gougnafières d'un travelling joli », le second « comme une fatalité vague dont on* voyait* bien qu'elle pouvait et ne