Chapitre 6 Langage et Psycholinguistique PDF

Summary

Ce chapitre, Psycholingustique et Language, explore les processus cognitifs impliqués dans le traitement et la production du langage. Il introduit des concepts clés de linguistique, et discute de la relation entre le langage et les autres fonctions cognitives, comme la perception, l'attention et la mémoire. L'auteur introduit un schéma de communication pour illustrer ces concepts.

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CHAPITRE 6 PSYCHOLINGUISTIQUE ET LANGAGE PSYCE102 | Psychologie cognitive, neuropsychologie et psycholinguistique I. Prs. Fabienne Chetail, Axelle Calcus, et Anezka Smejkalova 2024-2025 ...

CHAPITRE 6 PSYCHOLINGUISTIQUE ET LANGAGE PSYCE102 | Psychologie cognitive, neuropsychologie et psycholinguistique I. Prs. Fabienne Chetail, Axelle Calcus, et Anezka Smejkalova 2024-2025 WARNING Les matériaux de ce cours (documents, enregistrements, etc.) sont protégés par le droit d'auteur. IIs sont exclusivement destinés à un usage privé et académique. Toute reproduction ou diffusion est strictement interdite sans l'accord du titulaire. Le non- respect de ces règles est passible de sanctions disciplinaires, voire en outre judiciaires. Ó Anezka Smejkalova 2024 2 TABLE DE MATIERES - SECTION 1 - INTRODUCTION.......................................................................... 4 1.1. Imaginez que…................................................................................................... 4 1.2. Le langage et les autres fonctions cognitives................................................. 5 - SECTION 2 - DANS ‘‘PSYCHOLINGUISTIQUE’’, IL Y A ‘’LINGUISTIQUE’’........ 7 2.1. Pourquoi faut-il comprendre des concepts linguistiques de base ?........... 7 2.2. Le langage et ses caractéristiques................................................................... 7 2.3. Les unités et les niveaux qui constituent le langage...................................... 8 - SECTION 3 - DIFFERENTS NIVEAUX D’ANALYSE.......................................... 12 3.1. Phonologie : niveau des sons élémentaires................................................. 12 3.2. Morphologie : niveau des mots et des morphèmes.................................... 15 3.3. Syntaxe et sémantique : niveau des phrases................................................ 19 3.4. Pragmatique : niveau du discours et des textes........................................... 21 - SECTION 4 - CONCLUSION............................................................................ 24 Ó Anezka Smejkalova 2024 3 - SECTION 1 - INTRODUCTION Comme vous l’avez déjà appris dans le tout premier syllabus (‘‘Étudier la cognition’’), « la psycholinguistique est un champ d’étude qui s’intéresse aux processus cognitifs mis en œuvre dans le traitement et la production du langage. En d’autres termes, c’est un sous-champ de la psychologie cognitive, que l’on pourrait traduire par psychologie cognitive du langage. » Dans ce chapitre, on va essayer de construire une compréhension plus fine de ce qu’est la psycholinguistique et son objet d’étude principal – le langage et ses bases cognitives. 1.1. Imaginez que… Pour commencer, essayons d’abord de réfléchir au rôle que le langage joue dans notre vie. Imaginez la situation suivante : tout à coup, vous vous retrouvez dans un pays étranger dont vous ne maîtrisez pas la langue (imaginez un pays très exotique pour vous, et imaginez aussi que vous n’avez pas de smartphone pour vous aider à traduire). Quelles difficultés pourriez-vous rencontrer ? Proposition d’activité Avant de poursuivre la lecture, essayez d’imaginer cinq situations dans lesquelles vous pourriez rencontrer des difficultés si vous ne maîtrisez pas la langue de l’endroit où vous vous trouvez. Une fois votre liste établie, continuez la lecture sur la page suivante. Y retrouvez-vous des idées similaires ? Ó Anezka Smejkalova 2024 4 En voici quelques exemples : Vous avez besoin d’aide, mais vous ne connaissez pas les mots pour en demander. Quelqu’un s’adresse à vous, mais vous ne comprenez pas ce que cette personne vous dit. Un message est diffusé par des haut-parleurs, et les personnes autour de vous commencent à s’agiter et à se déplacer. Vous ne comprenez pas ce qui se passe. Vous vous sentez seul(e) et triste, vous avez envie de partager votre désarroi avec quelqu’un, mais vous en êtes incapable. Vous souhaitez vous déplacer d’un endroit A à un endroit B, mais les inscriptions autour de vous n’ont aucun sens. Elles vous semblent incompréhensibles, comme des gribouillis. … On pourrait continuer pendant longtemps, inventer toutes sortes d’exemples de situations compliquées à résoudre dans un cas de figure pareil. Peut-être qu’on pourrait aussi inventer des contre-exemples : vous pourriez trouver d’autres façon de communiquer, en pointant des objets, en faisant des gestes et/ou des grimaces. N’empêche que vous seriez privé(e)s de l’usage d’un outil très important et très efficace dont l’évolution a équipé les humains. Cet outil – le langage, occupe une place centrale à des niveaux très différents de nos vies, et a fortement contribué au développement de nos civilisations et cultures humaines. Le langage joue un rôle primordial dans l’établissement du lien avec d’autres personnes. Il nous permet de communiquer des informations sur le monde, mais aussi (et peut-être surtout), il nous permet de communiquer nos émotions, nos expériences, notre vécu. Parfois, il nous permet de communiquer intentionnellement des informations fausses (par exemple, les mensonges, la désinformation). Le langage nous permet aussi de nous amuser avec. Créer des jeux de mots ou des blagues, écrire des textes, des chansons, ou des histoires, qui vont distraire celles et ceux qui vont les lire. Le langage nous permet aussi d’agir sur notre environnement. Parfois, notre parole s’assimile à des actes qui ont de réelles conséquences (par exemple, quand vous insultez un ami, vous pouvez le blesser ; en prononçant "’je te quitte’’, vous mettez fin à une relation). En bref, les fonctions que le langage remplit dans nos vies sont multiples et complexes. Sur le plan cognitif, le langage repose, au moins en partie, sur d’autres systèmes cognitifs dont vous avez déjà entendu parler dans la première partie de ce cours (perception, attention, mémoire). 1.2. Le langage et les autres fonctions cognitives Pour illustrer cet important constat, « le langage repose, au moins en partie, sur d’autres systèmes cognitifs », partons du schéma de communication proposée par un célèbre linguiste : Ferdinand de Saussure (1857-1913). Ó Anezka Smejkalova 2024 5 Figure 6.1. Le schéma de communication, initialement proposé par F. de Saussure. Sur ce schéma, on voit deux personnes. Imaginons que la personne A parle (l’émetteur du message) et que la personne B l’écoute (le destinataire du message). Les chiffres sur le schéma renvoient aux étapes cruciales de ce processus : 1) Avant d’ouvrir la bouche, la personne A a une idée qu’elle veut communiquer, autrement dit, l’émetteur conçoit le message. 2) Ensuite, la personne A va ouvrir la bouche et parler, ce qui implique que l’idée a été transformée en gestes articulatoires. 3) Ces gestes articulatoires font vibrer l’air : le son qui sort de la bouche de l’émetteur se propage par ces vibrations de l’air. 4) Ces vibrations vont atteindre l’oreille de la personne B qui reçoit le message. 5) L’appareil cognitif de la personne B va se baser sur ses vibrations, les analyser et les interpréter pour en construire une représentation auditive dans un premier temps et en extraire la signification (= comprendre ce qui a été dit) ensuite. Pour que cela puisse se faire, la personne A doit retrouver dans sa mémoire les concepts et les mots correspondant à ce qu’elle veut communiquer. La personne B va entendre les sons. Si elle est suffisamment attentive, elle va les assembler pour construire les représentations auditives et retrouver dans sa mémoire les concepts correspondant à ces représentations. Plus haut, j’avais déjà souligné la complexité des rôles que le langage joue dans nos vies et sa conséquence directe – la complexité de la psycholinguistique en tant que discipline qui essaye de décrire et d’expliquer les processus par lesquels le langage se réalise. Dans le cadre de ce cours, on va un peu simplifier les choses en partant du schéma de communication présenté sur la figure 6.1. On va se concentrer sur les processus par lesquels on construit une compréhension du langage à partir du moment où les vibrations de l’air atteignent notre oreille (étapes 4 et 5), et on va également rapidement aborder les processus impliqués dans la production du langage (étapes 1 et 2). Ó Anezka Smejkalova 2024 6 - SECTION 2 - DANS ‘‘PSYCHOLINGUISTIQUE’’, IL Y A ‘’LINGUISTIQUE’’ Avant de pouvoir commencer à parler de la psycholinguistique et des processus de perception et de production du langage, il est nécessaire de faire un petit détour et d’introduire quelques notions de linguistique. 2.1. Pourquoi faut-il comprendre des concepts linguistiques de base ? La linguistique est la discipline scientifique qui a pour objet l’étude du langage. Les connaissances issues des études en linguistique ont également structuré les travaux en psycholinguistique. Elles ont été utiles pour élaborer différentes théories sur les processus cognitifs du langage. En conséquence, la psycholinguistique a repris certains concepts, et surtout le vocabulaire de la linguistique. Pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut maîtriser ce vocabulaire. L’objectif principal de ce premier chapitre est de vous donner ce vocabulaire et de vous expliquer les concepts qui se trouvent derrière. 2.2. Le langage et ses caractéristiques Commençons avec les bases. De quoi parle-t-on quand on parle du langage ? Selon la conception classique, le langage renvoie à la fois au système complexe de communication que les humains utilisent, et à la faculté humaine d’acquérir et d’utiliser ce système complexe de communication. La faculté du langage se manifeste chez les humains par l’utilisation d’une langue particulière (par exemple, le français, le néerlandais, l’arabe, etc.). Dans le monde entier, on peut répertorier environ Ó Anezka Smejkalova 2024 7 7000 langues différentes. Ces langues sont parfois très différentes les unes des autres, mais on peut trouver des caractéristiques générales partagées par toutes ces langues. Quelles sont ces caractéristiques partagées ? Sachez que cette question a beaucoup occupée certains linguistes, et, dans la suite de votre parcours, vous en apprendrez davantage. Pour le moment, concentrons-nous sur deux de ces caractéristiques, qui sont particulièrement importantes pour comprendre le système complexe qu’est le langage. Premièrement, chaque langue constitue un système qui est globalement régulier et cohérent. Chaque langue est composée d’unités de niveaux différents qui peuvent être assemblées en suivant certaines règles internes de cette langue. Dans ce sens, on peut parler de la régularité du langage. Deuxièmement, ces différentes unités peuvent être combinées (toujours en obéissant aux règles internes propres à chaque langue) pour créer de nouvelles unités. Donc, même si l’on part d’un nombre limité d’unités, on peut créer une infinité d’énoncés. Le langage humain est profondément créatif et on peut donc parler de la productivité, ou de la créativité du langage. Pour bien comprendre ces deux caractéristiques partagées par toutes les langues parlées du monde (régularité et productivité), il faut avoir plus d’informations. De quelles unités parle-t-on concrètement ? Quels sont ces niveaux ? Quels sont ces règles ? Et de quelle façon ces unités et ces règles déterminent-elles la créativité du langage ? 2.3. Les unités et les niveaux qui constituent le langage Commençons par quelques exemples qui vont nous servir pour mieux comprendre l’idée des unités et des différents niveaux qui constituent le système du langage. Dans ces exemples, on va faire intervenir une notion classique en psychologie : le lapsus. De façon générale, un lapsus correspond à une erreur d’utilisation du langage qu’on peut commettre en parlant, mais aussi en écrivant. En commettant un lapsus, on exprime une autre chose que ce qu’on voulait exprimer au départ. Au départ, le lapsus était un concept linguistique. Par la suite, il a été repris par Sigmund Freud qui a proposé une interprétation psychologique de ce terme. Selon Freud, le lapsus est l’un des mécanismes par lesquels notre inconscient s’exprime. Cette idée de Freud n’est pas très intéressante pour nous dans le cadre psycholinguistique, pour au moins deux raisons. D’une part, il s’agit d’une hypothèse qu’on ne sait ni vérifier, ni réfuter. Ce qui pose un problème lorsqu’on souhaite construire notre compréhension du monde de façon rationnelle (et c’est ce qu’on tente de faire ici). D’autre part, les lapsus peuvent directement nous apprendre des choses sur le langage, sa structure, et les mécanismes cognitifs sur lesquels le langage repose. Avec l’activité suivante, on va essayer de voir comment on peut se servir des erreurs pour cela. Ó Anezka Smejkalova 2024 8 Lisez les quatre exemples ci-dessous et essayez d’imaginer les situations qui y sont décrites : EXEMPLE 1 EXEMPLE 2 Vous voulez demander : Une prof, très enrhumée, souhaite donner des « Est-ce que tu aurais un stylo à me prêter ? » indications sur les parties de son cours à Mais au moment de parler, vous avec un étudier pour l’examen. Elle veut dire : trou. Comme vous n’arrivez plus à retrouver « La partie sur la métacognition sera à le mot ‘stylo’, vous dites : l’examen ». « Est-ce que tu aurais un… euh … bic à me Mais comme son nez est très fortement prêter ? » bouché, cela affecte sa prononciation, et voici ce que vous pouvez entendre : « La partie sur la bétacognition sera à l’examen ». Dire BIC au lieu de dire STYLO Dire BETACOGNITION au lieu de dire METACOGNITION EXEMPLE 3 EXEMPLE 4 Revenons en novembre 2020 : (contexte Maintenant, imaginez que vous assistez à la covid). Nous sommes en France. Le soirée qui accompagne la sortie d’un roman et présentateur TF1 Gilles Bouleau explique des à un moment, l’autrice qui, elle aussi, est mesures annoncées par Emmanuel Macron. enrhumée est amenée à lire un extrait de son Voici ce qu’il dit : œuvre. « Les mesures annoncées ce soir concernent Elle lit la phrase suivante : notamment le renforcement des contrôles de « Il a senti la mouche frôler son oreille ». pass sanitaire et le port du voile… le port du Mais comme son nez est fortement bouché, masque pardonnez-moi, et elles vont avoir des cela affecte sa prononciation et voici ce que conséquences pour les restaurateurs ». vous pouvez entendre : Autrement dit, au lieu de dire « port du « Il a senti la bouche frôler son oreille ». masque », il parle du « port du voile ». Dire VOILE au lieu de dire MASQUE Dire BOUCHE au lieu de dire MOUCHE Avant de continuer la lecture, prenez du temps pour étudier ces exemples et pour répondre aux questions suivantes : 1) Qu’est-ce que les exemples 3 et 4 ont en commun ? Qu’est-ce qui les différencie des exemples 1 et 2 ? 2) Qu’est-ce que les exemples 1 et 3 ont en commun ? Qu’est-ce qui les différencie des exemples 2 et 4 ? Ó Anezka Smejkalova 2024 9 Un examen attentif du tableau nous permet de voir en quoi certains de ces exemples se ressemblent, et en quoi ils sont différents. Question 1 : solution Dans les exemples 3 et 4, l’erreur commise influence lourdement la signification. Dans les exemples 1 et 2, la signification n’est que très peu modifiée (exemple 1) ou pas du tout modifiée (exemple 2). Question 2 : solution Dans les exemples 1 et 3, l’erreur commise consiste en une substitution (échange) d’un mot par un autre mot. Ceci peut arriver fréquemment et pour des raisons différentes. Parfois, on ne trouve pas le bon mot (phénomène du mot sur le bout de la langue), et on en utilise un autre. Parfois, on va partir automatiquement dans une expression qu’on utilise très souvent, au lieu de dire vraiment ce qu’on veut dire. Dans les exemples 2 et 4, il y a une erreur qui peut être interprétée comme une erreur de prononciation au niveau d’un seul son qui compose le mot. L’exemple 4 constitue un cas un peu spécial : en modifiant un seul son, on change le mot et, en conséquence, la signification de la phrase entière. Si l’on devait regrouper ces erreurs, on a ici : Les erreurs qui se situent au niveau du son et qui n’affectent pas la signification (2) Les erreurs qui se situent au niveau du son et qui affectent la signification (4) Les erreurs qui se situent au niveau des mots et qui affectent la signification (3 & 4) Les ‘erreurs’ qui se situent au niveau des mots et qui n’affectent que très peu la signification (1). Mais tout bien considéré, s’agit-il vraiment d’erreurs ? Avec ces exemples, on peut voir que le langage est constitué de sons (unités sonores), dont certains peuvent modifier la signification des mots. Pourtant, ces unités sonores élémentaires n’ont pas de signification en soi. On peut également trouver d’autres types d’unités : les mots. Ceux-là ont une forme sonore particulière (bouche/mouche) et portent une signification. Cette observation a mené un autre linguiste célèbre, André Martinet (1908 – 1999), à décrire le principe de double articulation, selon lequel chaque langue parlée par des humains possède cette structuration interne. C’est-à-dire que dans chaque langue, on va trouver des unités qui possèdent une forme sonore caractéristique et qui possèdent également une signification. Ces unités s’appellent des morphèmes (première articulation). Mais ces morphèmes sont eux-mêmes composés d’unités plus petites, des unités sonores élémentaires : les phonèmes. Les phonèmes ne portent pas de signification en soi, mais ont la propriété de pouvoir différencier deux morphèmes (deuxième articulation). Proposition d’activité Au début de ce cours, nous avons déjà parlé d’articulation dans un autre contexte, en parlant de ‘’gestes articulatoires’’. La signification du mot articulation ici est légèrement différente. Faites une recherche rapide sur internet pour vous aider à mieux cerner de quoi André Martinet parle en utilisant le terme ‘’double articulation’’. Ó Anezka Smejkalova 2024 10 Ici, on peut donc distinguer au moins deux sortes d’unités qui seront associées à deux niveaux d’analyse du langage : le niveau des SONS et le un niveau des morphèmes, ou des MOTS. Et on ne va pas s’arrêter là. Est-ce qu’il y a d’autres niveaux auxquels il est pertinent de décrire le langage ? Et bien, oui ! Lorsqu’on parle, on met des mots ensemble et on obtient des unités plus grandes, les PHRASES. Les phrases elles-mêmes peuvent devenir des unités constitutives d’unités plus grandes, car elles sont souvent prononcées à l’intérieur d’un message plus large, un DISCOURS (ou texte, s’il s’agit du langage écrit). On arrive donc à quatre niveaux d’analyse de la langue avec leurs unités associées. Au niveau le plus élémentaire, on va trouver les sons, ou phonèmes, qui constituent les mots (et les morphèmes). En assemblant des mots, on obtient des phrases et les phrases s’assemblent pour construire un discours. Les disciplines de la linguistique qui s’intéressent à ces différents niveaux d’analyse sont respectivement la phonologie, la morphologie, la syntaxe (et la sémantique) et la pragmatique. Le Tableau présenté sur la Figure 6.2 résume tout cela. Niveau Niveau des Niveau des Niveau des Niveau du SONS MOTS PHRASES DISCOURS Unité Phonèmes Mots, Phrases Discours, texte morphèmes Discipline Phonologie Morphologie Syntaxe Pragmatique de la (+ Sémantique) linguistique Figure 6.2. Un tableau qui récapitule les différents niveaux d’analyse du langage, les unités correspondantes, et les sous-disciplines de la linguistique qui s’y intéressent. Ó Anezka Smejkalova 2024 11 - SECTION 3 - DIFFERENTS NIVEAUX D’ANALYSE Maintenant qu’on connait les quatre niveaux d’analyse du langage et qu’on a une idée des unités correspondantes, on va rapidement s’arrêter sur chacun de ces niveaux pour en apprendre davantage. 3.1. Phonologie : niveau des sons élémentaires L’unité la plus petite qui constitue le système du langage est le phonème. C’est quoi un phonème ? Un phonème est une unité sonore qui ne porte pas de signification en soi, mais qui a la propriété de pouvoir différencier deux morphèmes. Si l’on reprend l’exemple 4 de l’exercice présenté dans la section 2.3., c’est en prononçant le son /b/ au lieu du son /m/ que le mot mouche devient un tout autre mot, bouche, ce qui affecte lourdement la signification de la phrase entière. Dans le concept de la double articulation d’André Martinet, les phonèmes sont des unités de la deuxième articulation. La discipline de la linguistique qui étudie les phonèmes s’appelle la PHONOLOGIE. Ó Anezka Smejkalova 2024 12 Combien y a-t-il de phonèmes dans une langue ? La Figure 6.3. illustre les phonèmes qui constituent le système du français. La langue Française comporte 36 phonèmes : 15 voyelles, 18 consonnes et 3 semi-voyelles (des phonèmes qu’on ne peut considérer ni comme des consonnes, ni comme des voyelles). Figure 6.3. L’inventaire des phonèmes qui constituent la langue française. Proposition d’activité Cherchez sur internet les phonèmes d’une autre langue que vous connaissez et comparez-les aux phonèmes du français présentés sur la Figure 6.3. Est-ce qu’il y a le même nombre de phonèmes ? Est-ce que ce sont les mêmes phonèmes ? Est-ce que certains phonèmes ‘manquent’ en français ? Est-ce que le français possède quelques phonèmes qu’on ne trouve pas dans l’autre langue ? L’inventaire des phonèmes est propre à chaque langue. Si le Français en comporte 36, l’Anglais en comporte 44, et le Japonais ‘seulement’ 22. Est-ce que les phonèmes et les lettres de l’alphabet sont la même chose ? Non ! Par ailleurs, vous pouvez remarquer que sur la Figure 6.3., les phonèmes sont notés par des lettres qui ont été mis entre deux barres obliques. Il s’agit d’une notation conventionnelle pour Ó Anezka Smejkalova 2024 13 distinguer à l’écrit les phonèmes, qui sont des unités sonores (ce que vous entendez), des lettres de l’alphabet, qui sont des unités visuelles (ce que vous voyez quand vous lisez). Le Français comporte 36 phonèmes, mais l’alphabet qu’on utilise pour mettre le Français à l’écrit ne comporte que 26 lettres. Évidemment, il y a un lien entre ces lettres de l’alphabet et les phonèmes. Si je vous demande de donner le nom de la lettre B, vous allez répondre sans hésiter /bé/. L’alphabet qu’on utilise a été conçu pour retranscrire les sons du langage. Mais en Français, les correspondances entre les phonèmes et les lettres de l’alphabet ne sont pas très systématiques. Dans certains cas, un phonème correspond effectivement à une lettre (par exemple, le phonème /b/ et la lettre B). Dans d’autres cas, un phonème peut être transcrit de plusieurs façons différentes, et parfois un seul phonème correspond à plusieurs lettres (par exemple, le phonème /o/ peut s’écrire O, comme dans rose, AU comme dans pause, ou EAU comme dans peau). Une même lettre peut également être utilisée pour différents phonèmes (par exemple la lettre C peut se prononcer /s/, comme dans le mot cerveau ou /k/, comme dans le mot capillaire). Les phonèmes représentent des catégories de sons Il faut également comprendre qu’un phonème ne correspond pas à un seul son, mais à une catégorie de sons. C’est quoi une catégorie ? Une catégorie est un groupement d’éléments qui ont des caractéristiques communes. Un phonème est donc un groupe de sons légèrement différents les uns des autres, mais suffisamment similaires pour que l’on considère qu’il s’agit d’un même son. C’est un peu abstrait, n’est-ce pas ? Prenons un exemple : le phonème /ʁ/, qu’on va retrouver dans les mots riz ou air. Si vous vous déplacez en territoire francophone, vous allez être confronté(e)s à différentes variantes de prononciation de ce son. Peu importe si vous prononcez le /ʁ/ comme vous êtes habitué(e) ou en le ‘roulant’ (si vous ne savez pas ce qu’est un R roulé, vous pouvez chercher « R roulé » sur internet et écouter quelques exemples). La prononciation de ces variantes n’affecte pas la signification des mots, parce que dans le système du français, ces variantes appartiennent à la même catégorie de sons : il s’agit du même phonème. Il est tout à fait curieux de constater que les catégories de phonèmes qu’on trouve dans des langues différentes ne se superposent pas nécessairement. Par exemple, en Japonais les sons qui correspondent à notre son /ʁ/ et à notre son /l/ appartiennent à la même catégorie – il s’agit d’un seul et unique phonème. Si vous regardez des animés en VO, peut-être avez-vous remarqué que lorsque des mots anglais qui contiennent le son /l/ sont prononcés, par exemple le mot light, vous entendez quelque chose qui s’approche davantage de right. Si vous ne regardez pas d’animés, vous pouvez constater cela ici. Et la psycholinguistique ? Quel rapport avec les phonèmes ? En psycholinguistique, on peut s’intéresser aux phonèmes pour diverses raisons. Les phonèmes sont des sons de la parole et ont également une existence dans notre appareil cognitif en tant que représentations. La liste de points qui suit n’a rien d’exhaustive, elle est là pour vous donner une idée des questions que la psycholinguistique peut se poser par rapport aux phonèmes : Ó Anezka Smejkalova 2024 14 1. On peut s’intéresser aux processus cognitifs qui permettent ces représentations phonologiques, et aux processus impliqués dans la perception et la reconnaissance des phonèmes. 2. Les phonèmes jouent un rôle crucial dans la reconnaissance des mots. Les psycholinguistes examinent comment les auditeurs combinent les informations sur les sons entendus pour identifier rapidement et efficacement les mots dans leur langue. 3. Les bébés naissent avec la capacité de distinguer tous les phonèmes du langage humain, mais ils perdent cette capacité pour se concentrer sur les sons de leur langue maternelle au cours de leur première année de vie. Les psycholinguistes s'intéressent à cette spécialisation progressive, et aux mécanismes cognitifs qui sous-tendent l'acquisition phonologique. 4. En psycholinguistique, les phonèmes sont aussi étudiés dans le contexte de l’apprentissage d’une langue étrangère, car les locuteurs doivent apprendre de nouveaux sons qui n’existent pas dans leur langue maternelle. Cela peut inclure des difficultés à distinguer ou à produire certains phonèmes dans une langue seconde (peut-être même que ça vous parle ?). 5. Lorsqu’une personne parle, elle produit des phonèmes à une vitesse très rapide. Les erreurs de production sont des fenêtres sur la manière dont les phonèmes sont organisés dans notre appareil cognitif. Les psycholinguistes analysent ces erreurs pour comprendre les processus de production. 6. Certains troubles du langage, comme la dyslexie, impliquent des difficultés de traitement des phonèmes. La psycholinguistique joue un rôle dans l’étude de ces troubles en identifiant les problèmes spécifiques liés au traitement des phonèmes et en développant des stratégies pour aider les personnes à surmonter ces obstacles. En résumé, la psycholinguistique s'intéresse aux phonèmes en tant que briques fondamentales du langage parlé, que ce soit pour comprendre comment ils sont perçus, organisés mentalement, produits, et comment ils contribuent à l'acquisition et au traitement du langage dans différents contextes linguistiques. Dans le cadre du cours de cette année, nous allons nous concentrer avant tout sur certains aspects perceptifs (points 1 et 2) et on va également aborder rapidement certains aspects de la production phonologique (point 5). 3.2. Morphologie : niveau des mots et des morphèmes En assemblant des phonèmes d’une certaine façon, on obtient des unités plus larges. Si les phonèmes ne portent pas de signification en soi, ces unités plus larges, les morphèmes et les mots, en portent. Le morphème est la plus petite unité du langage qui porte une signification, et il peut être caractérisé par le fait qu’il a une forme sonore caractéristique et qu’il porte une signification spécifique. Il s’agit d’une unité qui a deux faces, un peu comme une pièce. Ces deux faces correspondent à la forme sonore et à la signification (par exemple, le son /chat/ et le concept de chat, un animal mignon qui miaule). Dans le concept de la double articulation d’André Martinet, les morphèmes sont des unités de la première articulation. La discipline de la linguistique qui étudie les morphèmes s’appelle la MORPHOLOGIE. Ó Anezka Smejkalova 2024 15 Quel est le lien entre la forme sonore et la signification d’un morphème ou d’un mot ? Les linguistes se sont intéressés à ces unités à deux faces et se sont interrogés sur les liens entre le son et la signification. Dans cette branche de la linguistique, on parle d’un signe linguistique plutôt que d’un morphème ou d’un mot. Le terme provint du célèbre linguiste Ferdinand de Saussure (1857-1913), que nous avons déjà brièvement mentionné au début du chapitre. Mais retenez que ce qui va suivre s’applique également aux morphèmes et aux mots. Ferdinand de Saussure a constaté que le lien entre la forme sonore et la signification d’un signe linguistique est arbitraire et conventionnel. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement, qu’il n’y a pas de lien naturel entre la forme sonore et la signification. Il n’y a pas de raison particulière pour laquelle un chat s’appelle un chat. Et d’ailleurs, il suffit de regarder comment on dit chat dans d’autres langues. La Figure 6.4. illustre cela. Les formes sonores que les différentes langues utilisent pour désigner le chat sont très différentes les unes des autres. Cependant, s’il n’y a pas de raison d’appeler un chat un chat, il est extrêmement important que tous les locuteurs d’une langue utilisent la même forme sonore pour désigner ce concept. Sinon, on ne se comprendrait pas ! Dans ce sens, le lien est conventionnel, il résulte des conventions partagées par les personnes qui parlent la même langue. La nature arbitraire et conventionnelle des relations entre les sons et leur signification associée aura deux conséquences importantes : 1. Cela fourni la liberté de constituer, dans une langue donnée, un répertoire de signes suffisamment riche pour désigner de très nombreux concepts. 2. Les locuteurs doivent mémoriser les associations conventionnelles propres à la langue qu’ils utilisent. Ces associations sont stockées dans une structure cognitive qu’on peut s’imaginer comme un dictionnaire mental et qu’on appelle en psycholinguistique le lexique mental. Le lexique mental fait partie de notre mémoire à long terme. Figure 6.4. L’association entre la forme sonore et la signification d’un signe linguistique est arbitraire (il n’y a pas de lien naturel entre les deux) et conventionnelle (partagée par les locuteurs d’une langue). Ó Anezka Smejkalova 2024 16 Est-ce que le mot et le morphème sont la même chose ? Depuis quelques paragraphes, les termes ‘morphème’ et ‘mot’ sont utilisés côte à côte, sans plus d’explications. Est-ce que ça veut dire qu’il s’agit de la même chose ? En fait, non, pas tout à fait. On a défini un morphème comme la plus petite unité qui a une forme particulière et une signification, et sachez que même si parfois un mot correspond à un morphème (par exemple chat), parfois, un mot peut être composé de plusieurs morphèmes. Prenons comme exemple le mot antibiotique qui désigne un médicament qui tue les bactéries. Ce mot est composé de trois morphèmes : anti- (qui signifie une opposition), -bio- (qui vient du latin et signifie la vie) et -tique (qui nous signale une caractéristique). Même si, dans ce cours, on va souvent parler de mots, en (psycho)linguistique, on préfère parler de morphèmes, car cela nous permet d’atteindre un niveau de précision qui est parfois nécessaire pour une étude scientifique du langage. Différents types de morphèmes et leur rôle dans le système du langage En ce qui concerne les morphèmes, il faut comprendre deux choses : 1. Il existe différents types de morphèmes avec des fonctions différentes. 2. La morphologie est à la base d’une créativité qui permet aux humains d’adapter le vocabulaire à de nouvelles réalités. Différents types de morphèmes et leurs fonctions Certains morphèmes correspondent à des concepts (par exemple, les objets : ‘table’ ; les caractéristiques : ‘rouge’ ; les actions : ‘ouvrir’) alors que d’autres correspondent à des ‘marques’ (affixes) qu’on va fixer avant (préfixes) ou après (suffixes) le morphème de base (radical ou racine). La Figure 6.5. illustre cela. Figure 6.5. Illustration de l’analyse morphologique du mot antibiotique. L’ajout d’un préfixe ou d’un suffixe permet de modifier ou de nuancer la signification du morphème de base. Par exemple, si l’on prend le mot ouvrir et qu’on lui ajoute le préfixe r-/re-, on obtient le mot rouvrir qui signifie ouvrir à nouveau. La signification du radical a été modifiée. Certains affixes permettent également de faire changer la catégorie grammaticale des morphèmes (fabriquer un verbe à partir d’un nom et vice-versa). Par exemple, si l’on prend le morphème de base clou, qui correspond à un nom, et qu’on lui ajoute le suffixe -er, on obtient le verbe clouer. D’autres morphèmes permettent d’adapter le mot au contexte de la phrase, il s’agit des morphèmes flexionnels. En français, les verbes varient selon le temps, le mode, et la personne ; les noms varient en genre et en nombre. Un exemple concret ? La modification du suffixe permet d’accorder le verbe et le sujet de la phrase : Nous ouvr-ons, vous ouvr-ez. Ó Anezka Smejkalova 2024 17 Les morphèmes en tant que source de créativité du langage : la morphologie dérivationnelle On appelle les processus de composition de mots en ajoutant ou en enlevant des affixes la morphologie dérivationnelle. Ces processus constituent une source de productivité et de créativité du langage permettant un enrichissement constant du vocabulaire. Les mots comme influenceur, télétravail, antivax sont relativement nouveaux, et sont tous issus de ce processus naturel dont le langage dispose pour qu’on ait des mots pour décrire notre réalité, changeante. Et la psycholinguistique ? Quel rapport avec la morphologie ? En psycholinguistique, on peut s’intéresser aux morphèmes, aux mots, et à la morphologie pour diverses raisons. On va considérer que dans notre appareil cognitif, les mots et les morphèmes existent en tant que représentations, et que des processus morphologiques nous permettent de traiter (percevoir et produire) des flexions et des dérivations, en fonction du contexte. La liste de points qui suit n’a rien d’exhaustive, elle est là pour vous donner une idée des questions que la psycholinguistique peut se poser par rapport aux morphèmes : 1. On va s’intéresser, par exemple, aux mots. Comment les mots sont-ils stockés dans notre mémoire ? Comment fait-on pour reconnaitre les mots qu’on entend ? Comment apprend- on de nouveaux mots ? 2. La psycholinguistique explore comment les mots dérivés ou composés (comme "imprévisible" ou "portemanteau") sont traités. Est-ce que les locuteurs les analysent comme des ensembles de morphèmes distincts ou comme des unités entières ? 3. Certains troubles linguistiques affectent le traitement morphologique, et la psycholinguistique cherche à comprendre pourquoi. Par exemple, certains patients peuvent rencontrer des difficultés avec la morphologie flexionnelle (conjugaisons, accords), et produire des phrases avec des mots isolés ou avec des mots qui ne sont pas adaptés au contexte de la phrase. 4. Dans la production du langage, les locuteurs doivent combiner des morphèmes pour former des mots. Les psycholinguistes examinent comment les individus planifient la production des mots, en particulier dans les cas de flexion (par exemple, conjugaison des verbes, accords en genre et en nombre). 5. L’acquisition des règles morphologique a beaucoup été étudiée pour comprendre comment les enfants apprennent à parler correctement. Effectivement, pour bien parler, un enfant doit assimiler l’ensemble des règles morphologique de sa langue (par exemple, comment fait-on pour créer le pluriel des mots), y compris les exceptions (cheval – chevaux). En résumé, la psycholinguistique s’intéresse aux morphèmes et aux mots en tant qu’unités de sens qui permettent une vraie créativité et une puissance expressive du langage. L’objectif est de comprendre comment ces unités sont perçues, stockées, et produites. Dans le cadre de ce cours, on va s’intéresser tout particulièrement aux mots pour mieux comprendre comment ils sont stockés dans notre dictionnaire mental, et comment on fait pour les reconnaitre lorsqu’on entend les autres parler (point 1.). On va également aborder l’importance du vocabulaire pour nos capacités de compréhension du langage de façon plus large. Ó Anezka Smejkalova 2024 18 3.3. Syntaxe et sémantique : niveau des phrases Dans la vie de tous les jours, il peut arriver qu’on prononce un mot de façon isolée, mais, le plus souvent, on parle en phrases. La discipline de la linguistique qui étudie les phrases s’appelle la SYNTAXE. Les phrases sont des assemblages de mots. D’accord. Allons donc assembler quelques mots pour en faire une phrase. Prenons les mots : Garçon – Chat – Câliner – Petit – Gros Faisons l’assemblage suivant : Câliner petit gros chat garçon. Vous allez me dire que ce n’est pas vraiment une phrase, en tout cas pas une phrase correcte, et vous aurez tout à fait raison. Pour construire des phrases, on ne peut pas assembler les mots n’importe comment. On construit des phrases en suivant les règles de syntaxe. Il s’agit d’un ensemble de règles tacites, implicites, partagées par les locuteurs d’une langue. Ces règles, on les apprend quand on est enfant, simplement en étant immergé dans le bain linguistique (en étant exposé au langage produit partout autour). La façon avec laquelle les mots sont agencés dans une phrase a une conséquence directe sur la signification qui sera communiquée, la sémantique de la phrase ! La Figure 6.6. permet d’illustrer cela. On prend les mêmes mots et, selon qu’on les agence comme ça : Le petit garçon câline le gros chat (image de gauche), ou comme ça : Le gros chat câline le petit garçon (image de droite), on fait face à deux réalités assez différentes. La seule différence formelle entre les deux phrases étant l’ordre des mots dans la phrase. Pourtant, si vous entendez l’une de ces phrases, vous la comprendrez presque immédiatement, sans hésiter ! C’est possible uniquement parce que vous connaissez les règles syntaxiques du français, et que vous savez les utiliser pour comprendre les phrases que vous entendez. Figure 6.6. Les phrases ‘Le petit garçon câline le gros chat.’ et ‘Le gros chat câline le petit garçon.’ décrivent des réalités différentes. Ó Anezka Smejkalova 2024 19 La syntaxe et la créativité du langage La Figure 6.6 illustre que différents agencements de mots à l’intérieur d’une phrase permettent d’obtenir des significations différentes. Avec les mots Garçon – Chat – Câliner – Petit – Gros, on peut effectivement créer les phrases : ‘Le gros chat câline le petit garçon.’ et ‘Le petit garçon câline le gros chat.’ Mais en peut en créer bien d’autres, qui vont décrire des situations très différentes : Le gros garçon câline le petit chat, Le garçon, qui est gros et petit câline son chat… Et on pourrait certainement en inventer plein d’autres. L’existence de règles syntaxiques qui permettent, à partir d’un nombre limité de mots, de construire des phrases adaptées très précisément à ce que vous souhaitez communiquer, est une source très importante de la puissance expressive et de la créativité du langage. Et la psycholinguistique ? Quel rapport avec la syntaxe ? Maintenant, on sait que la syntaxe étudie les règles syntaxiques, c’est-à-dire l’ensemble des règles qui régissent la structure des phrases dans une langue. Cela inclut la manière dont les mots et les phrases sont combinés pour créer des phrases qu’on peut comprendre. La psycholinguistique s’intéresse à la manière dont ces règles sont apprises et comment elles sont traitées par notre système cognitif lors de la production et de la compréhension du langage. La liste de points qui suit n’a rien d’exhaustive, elle est là pour vous donner une idée des questions que la psycholinguistique peut se poser par rapport à la syntaxe et aux phrases : 1. On peut s’intéresser aux processus cognitifs qui permettent aux locuteurs d’une langue d’appliquer les règles syntaxiques et d’interpréter les phrases. 2. Dans certains troubles neuropsychologiques qui affectent le langage, les patients perdent la capacité à utiliser des structures syntaxiques. La psycholinguistique permet d’analyser ces perturbations et de comprendre ces troubles de façon fine et détaillée. 3. La syntaxe est un aspect fondamental dans l'acquisition du langage. L’efficacité de cet apprentissage dans les premières années de la vie nous renseigne sur les processus d’apprentissage de façon plus général. L’étude de l’acquisition de la syntaxe a nourri les discussions autour de ce qui, dans le développement d’un enfant, relève de l’inné et de ce qui résulte de processus d’apprentissage sous contrôle de l’environnement (l’acquis). 4. En psycholinguistique, on va également beaucoup s’intéresser à la relation entre la syntaxe et d’autres composantes du langage, notamment la sémantique. Comment la syntaxe influence-t-elle la construction de la signification ? Est-ce que la signification influence les traitements syntaxiques ? 5. Les traitements syntaxiques sont des traitements complexes qui font intervenir d’autres fonctions cognitives. Lorsque vous entendez quelqu’un parler, vous devez diriger vos ressources attentionnelles vers la personne qui parle, et maintenir en mémoire les mots déjà entendus pour pouvoir les mettre ensemble avec les mots qui arrivent et ceux qui ne sont pas encore prononcés. Les traitements syntaxiques reposent lourdement sur les capacités attentionnelles et sur la mémoire de travail. Les psycholinguistes ont aussi étudié les interactions des traitements syntaxiques avec ces autres systèmes. Les théories psycholinguistiques de la syntaxe ont la réputation d’être particulièrement abstraites et complexes. Dans le cadre de ce cours, on va aborder les théories les plus influentes du traitement Ó Anezka Smejkalova 2024 20 cognitif de la syntaxe (points 1 et 4) pour que vous ayez une idée claire de ces théories, sans pour autant aller dans les détails. 3.4. Pragmatique : niveau du discours et des textes Jusqu’ici, on s’est intéressés à des unités du langage plutôt petites : les sons élémentaires, les mots, ou encore, les phrases. Mais le plus souvent, lorsqu’on parle ou lorsqu’on écoute, on va enchainer ou écouter plusieurs phrases. Autrement dit, on est exposés à des ensembles linguistiques plus larges : conversations, écoute d’une prof en auditoire, lecture d’un syllabus, d’un roman ou d’une BD, écoute d’une personne sur le réseau social de votre choix… Bref, une bonne partie du langage auquel on est exposé se présente sous forme d’ensembles de phrases. En linguistique, lorsqu’on s’intéresse à ces ensembles plus larges, qu’il s’agisse du langage oral (discours) ou écrit (texte, paragraphes), on va souvent citer la pragmatique. La pragmatique est la discipline de la linguistique qu’on peut définir comme l’étude des aspects du langage qui dépendent du contexte et de la situation de communication pour comprendre le sens des énoncés. Contrairement à la syntaxe (qui s’intéresse à la structure des phrases) et à la sémantique (qui s’occupe du sens littéral des mots et des phrases), la pragmatique s’intéresse à la façon dont les locuteurs utilisent le langage en situation, et comment le contexte influence l'interprétation du message. Comment le contexte peut-il influencer la signification d’une phrase ? Ce qu’on appelle ‘le contexte’ en pragmatique peut englober des choses très différentes. Par exemple, le contexte physique, comme l’heure de la journée, pourra modifier la signification de la phrase ‘Je suis fatiguée.’ Si vous prononcez cette phrase le matin, la personne qui vous écoute pourra en déduire que vous n’avez probablement pas assez bien dormi. Si vous la prononcez le soir, on va plutôt envisager qu’il s’agit d’une fatigue normale après une journée bien remplie. Imaginons un autre exemple, où le contexte physique repose sur l’endroit où la phrase est prononcée. La phrase ‘Il fait froid.’ prononcée à l’extérieur sera très probablement comprise comme une simple description de votre ressenti de la météo. En revanche, prononcée à l’intérieur à côté d’une porte ouverte, la phrase pourra être interprétée comme une demande indirecte que l’interlocuteur ferme la porte. La Figure 6.7 illustre ces deux cas de figure. Figure 6.7. Illustration de la modification de la signification d’une phrase en fonction du contexte physique. Ó Anezka Smejkalova 2024 21 Un autre type de contexte qu’on pourrait citer est le contexte social, qui renvoie vers les contraintes sociales de la situation, comme à qui vous parlez, ou quelles sont les relations entre les locuteurs. Si vous vous retrouvez devant le roi de Belgique, un ‘Salut, ça va ?’ sera probablement interprété comme un lourd manquement de politesse de votre part, alors qu’en face d’un ami, ça sera interprété comme une salutation et comme une sincère attention à son état actuel. Enfin, un type de contexte très important est le contexte cognitif, qui englobe toutes les connaissances, les expériences passées, et les attentes mutuelles que les locuteurs partagent, et qui influencent la manière dont ils interprètent les énoncés. C'est ce contexte qui permet aux locuteurs de comprendre des messages implicites, sans qu’ils aient besoin de tout expliciter. Imaginons la situation et l’échange suivants : Deux étudiantes, Alya et Nora révisent pour un examen. Alya : Je commence à fatiguer un peu. Nora : Et si l’on allait se prendre un café ? Si cet échange vous parait compréhensible et banal, c’est parce que vous connaissez le lien entre la fatigue et le café. Éventuellement, vous savez que ‘prendre un café’ permettra une vraie pause de l’activité de révision, et un moment de détente. Est-ce qu’un extra-terrestre qui assisterait à cette scène comprendrait la situation de la même façon ? Probablement pas. Proposition d’activité Imaginez trois situations différentes pour illustrer comment les contextes physique, social ou cognitif influence l’interprétation des phrases ou des conversations. (Trois situations pour chaque contexte). Et la psycholinguistique ? Quel rapport avec le discours, le texte et la pragmatique ? En psycholinguistique, l’étude de la pragmatique vise à comprendre comment notre système cognitif traite les aspects contextuels du langage, interprète les messages implicites, et adapte l’usage du langage en fonction des situations. Mais en psycholinguistique, on va également s’intéresser à la manière dont on construit une compréhension du discours et des textes lorsqu’il s’agit d’une compréhension plus littérale, en prenant en compte les éléments directement disponibles dans les phrases entendues ou lues. La liste de points qui suit n’a rien d’exhaustive, elle est là pour vous donner une idée des questions que la psycholinguistique peut se poser par rapport à la pragmatique : 1. La psycholinguistique étudie comment les individus sont capables de comprendre des significations qui ne sont pas exprimées explicitement par des mots, mais qui peuvent être inférées à partir du contexte. 2. On étudie également comment on perçoit les intentions communicatives derrière les mots. Par exemple, comment savons-nous qu’une affirmation est en réalité une demande indirecte, comme dans ‘J’ai froid.’ ? 3. La psycholinguistique s’intéresse également au développement des compétences pragmatiques : à partir de quel âge et comment se développe cette capacité à lire entre les lignes ? 4. Un autre domaine clé est l’étude des troubles du langage et de leur impact sur la pragmatique. Les psycholinguistes examinent comment certaines atteintes neuropsychologiques affectent la capacité à utiliser et à comprendre le langage dans son Ó Anezka Smejkalova 2024 22 aspect pragmatique. Par exemple, certaines personnes atteintes de troubles du spectre autistique peuvent rencontrer des difficultés à comprendre des demandes indirectes, même si leurs compétences syntaxiques ou sémantiques sont intactes. 5. La psycholinguistique va également s’intéresser à la façon de construire une compréhension lorsque nous écoutons ou que nous lisons des portions de textes plus longs. Quels sont les processus cognitifs impliqués ? Comment les capacités de mémoire y contribuent ? 6. Enfin, dans un monde où la compréhension des textes écrits est une compétence cruciale (on n’a pas besoin d’aller loin pour trouver un exemple : si vous voulez bien comprendre le cours, vous avez tout intérêt à lire et à comprendre le syllabus), la psycholinguistique peut également s’intéresser aux actions qu’on peut mettre en place pour ajuster et améliorer notre compréhension. La pragmatique étant au programme du cours de psycholinguistique en deuxième année, on va ici s’intéresser plus particulièrement aux processus cognitifs à l’œuvre dans la construction de la compréhension des textes (point 5). On va également s’intéresser à nos propres capacités de compréhension afin de commencer à développer ce qu’on appelle la métacompréhension : la capacité d'évaluer sa propre compréhension (basée sur le sentiment de comprendre ou non), et d’agir là-dessus. Ó Anezka Smejkalova 2024 23 - SECTION 4 - CONCLUSION Dans ce chapitre, on a essayé de réfléchir un peu plus en profondeur sur le sujet d’étude qui occupe les linguistes et les psycholinguistes – le langage humain, qui correspond à la fois au système complexe de communication que les humains utilisent, et à la faculté humaine d’acquérir et d’utiliser ce système complexe de communication. Naturellement, en psycholinguistique, on va davantage retrouver cette seconde conception : le langage en tant que faculté cognitive. Mais pour pouvoir étudier la psycholinguistique, il est nécessaire d’avoir un bon vocabulaire issu de la linguistique, ainsi qu’une bonne compréhension de ses concepts de base. Dans la Section 2, on a vu qu’indépendamment des différences entre les langues parlées dans le monde, chaque langue repose sur la même faculté humaine, et, de ce fait, possède certaines caractéristiques. La régularité du langage renvoie au fait que chaque langue constitue un système qui fait intervenir des phonèmes, morphèmes, mots et phrases. Les phonèmes constituent des morphèmes qui, assemblés selon les règles de la langue, constituent des phrases et des énoncés plus larges (textes, discours). Cette structuration régulière du langage permet de créer de nouveaux éléments (notamment des mots), et de les combiner de façon flexible et créative pour pouvoir exprimer une infinité de choses. Concrètement, les phonèmes, qui sont en nombre très limités dans chaque langue, peuvent être combinés et ainsi donner un grand répertoire de formes sonores distinctes qui portent un sens. Le fait que l’association entre formes sonores et concepts est purement arbitraire permet de représenter des concepts concrets, mais aussi des concepts abstraits et complexes ! Les règles morphologiques nous permettent d’associer les morphèmes ensemble pour enrichir notre dictionnaire mental selon les besoins. Enfin, les règles implicites de la syntaxe offrent un mécanisme pour générer une infinité de phrases possibles. La Figure 6.8. offre un résumé de cela. En bref, le langage est profondément créatif. Ó Anezka Smejkalova 2024 24 Figure 6.8. Résumé des unités du langage et leurs caractéristiques. Tout au long du chapitre, j’ai également insisté sur le fait que les concepts linguistiques ouvrent des questions pour les psychologues et plus particulièrement pour les psycholinguistes : de quelle façon ces différentes unités existent dans notre appareil cognitif ? Comment les apprend-on et comment les perçoit-on ? Comme les produisons-nous ? Dans les chapitres suivants, on va aborder quelques- unes de ces questions, qui sont cruciales si l’on souhaite comprendre le fonctionnement de la communication entre les humains, laquelle fait de nous ce que nous sommes. Ó Anezka Smejkalova 2024 25

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