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Questions sur le livre de Hannah Arendt, Il n’y a qu’un seul droit de l’homme (1949), précédé de Nous réfugiés (1943), traduit de l’allemand et de l’anglais et préfacé par Emmanuel Aloa, Paris, Payot et Rivages, 2021. Qu’est-ce que la critique des droits de l’homme de Hannah Arendt partage avec...
Questions sur le livre de Hannah Arendt, Il n’y a qu’un seul droit de l’homme (1949), précédé de Nous réfugiés (1943), traduit de l’allemand et de l’anglais et préfacé par Emmanuel Aloa, Paris, Payot et Rivages, 2021. Qu’est-ce que la critique des droits de l’homme de Hannah Arendt partage avec la critique des droits de l’homme d’Edmund Burke? Expliquez. Pourquoi, selon Hannah Arendt, n’existe-t-il « qu’un seul droit de l’homme » et quel est-il? Expliquez. Qu’est-ce que Hannah Arendt reproche fondamentalement aux « droits de l’homme » et dans quel contexte? Expliquez. 1 Questions sur le livre d’Antonio Scurati, La politique de la peur. Manifeste contre le populisme et pour la démocratie, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Paris, Les Arènes, 2024. Selon Antonio Scurati… Qu’est-ce que le populisme contemporain hérite du fascisme? Expliquez. Qu’est-ce qui différencie le populisme contemporain du fascisme? Expliquez. Quel est la place et le rôle de la violence dans le fascisme? Expliquez. Quelles sont les 6 règles du populisme mussolinien? Expliquez brièvement. 2 3ème partie: Aperçu de(s) grandes idéologies du XXe siècle 7. Socialisme(s) et Communisme 8. Fascisme(s) et national-socialisme Conclusions Doctrines politiques 2024-2025 3 Rappel L’objet du cours: les idées/doctrines et les idéologies L’approche: conceptuelle et socio-historique 1) Donc pas les partis/mouvements/régimes/systèmes (histoire politique, sociologie politique, politique comparée) 2) Les idées/les idéologies MAIS qui « ne flottent pas dans les airs » (Nay), Elles sont des « productions sociales normales » (Audard) Les deux niveaux/champs sont donc liés: influence réciproque au XXe 3) Socialisme et communisme se réfèrent au principe d’égalité mais renvoient à des « sensibilités » différentes depuis le XIXe, parfois opposées (révolution ou réforme?) Notions évolutives (au départ, social-démocratie, communisme, socialisme = révolution) Variantes nationales et influence du contexte géopolitique au XXe 4) Fascismes et national-socialisme partagent l’anti-égalitarisme, l’antilibéralisme, l’anti-individualisme des réactionnaires Mais ils différent entre eux, évoluent Et il existent des adaptations, voire des ruptures entre idées, idéologies et régimes/mouvements politiques (cf. le communisme ou le « socialisme réel »). 4 7. Socialisme(s) et communisme(s) au XXe siècle: Influence et adaptation (trahison?) des idées de Marx (1818-1883) Marx: premier théoricien du communisme et principale source d’inspiration du socialisme pendant plus d’un siècle – même si pas le seul, et influence fluctuante Pourquoi? 1) À cause de ses idées (rappel) 2) Parce qu’il a aussi été un acteur 5 7. Socialisme(s) et communisme au XXe 7.1. 1848-1914: période de formation des socialismes 7.2. 1917, la révolution d’Octobre et le communisme en Russie 7.3. Le socialisme révolutionnaire après 1917 en dehors de la Russie 7.4. Le socialisme réformiste après 1917 7.5. Le marxisme aux défis du féminisme et de l’écologie politique 7.6. Le devenir du projet de Marx 6 7. Socialisme(s) et communisme(s) au XXe siècle 7.1. Les idées de Marx et les deux premières « Internationales » (1864-1914) « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, il s’agit maintenant de le transformer. » (Karl Marx, « Thèses sur Feuerbach », 1845) 7 Rappel: Révolution et luttes de classes Marx identifie 5 modes de production dans l’histoire (= matérialisme historique): 1. Asiatique, avec e.a. un Etat très développé 2. Antique, fondé sur l’esclavage et l’artisanat 3. Féodal, fondé sur le servage et l’agriculture 4. Capitaliste, fondé sur le salariat et l’industrie 5. Communiste, sans propriété privée, sans classe et sans Etat Il ajoute que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de luttes de classes » (Manifeste du Parti communiste , « Bourgeois et prolétaires ») Ici se noue le lien entre théorie et pratique. Mais c’est bien la seconde, à savoir la révolution, qui domine et détermine la première, qui permet en quelque sorte de faire la clarté sur la domination, de l’étudier et de voir sa fin (Rosa LUXEMBURG (1871-1919), à propos de Marx). Théoriquement, le capitalisme est condamné par ses contradictions (la « baisse tendancielle des taux de profit ») mais en pratique, il faut « l’aider ». D’où le Manifeste. 16 L’idée fondamentale et directrice du Manifeste selon ENGELS (Préface de 1883) « L'idée fondamentale et directrice du Manifeste, à savoir que la production économique et la structure sociale qui en résulte nécessairement forment, à chaque époque historique, la base de l'histoire politique et intellectuelle de cette époque; que par suite (depuis la dissolution de la propriété commune du sol des temps primitifs), toute l'histoire a été une histoire de luttes de classes, de luttes entre classes exploitées et classes exploitantes, entre classes dominées et classes dominantes, aux différentes étapes de leur développement social; mais que cette lutte a actuellement atteint une étape où la classe exploitée et opprimée (le prolétariat) ne peut plus se libérer de la classe qui l'exploite et l'opprime (la bourgeoisie), sans libérer en même temps et à tout jamais la société entière de l'exploitation, de l'oppression et des luttes de classes; cette idée maîtresse appartient uniquement et exclusivement à Marx. » 18 Le Manifeste et la révolution 1) Qu’est-ce qu’une classe sociale? Classe en soi et classe pour soi 2) Qu’est-ce que la classe ouvrière? 3) La révolution 17 Qu’est-ce qu’une classe sociale? 1) Les membres d’une même classe sociale: - ont les mêmes conditions d’existence et le même mode de vie: c’est la « classe en soi »; - ils peuvent devenir une force politique s’ils prennent conscience de leur existence en tant que classe: la classe « en soi » devient alors une « classe pour soi ». 2) Marx ne prétend pas que la société ne soit divisée qu’en classes (il considère aussi l’importance des sexes) ni qu’il n’y ait que 2 classes (il va jusqu’à en identifier 7, en France, après 1848) mais cette division possédants/travailleurs ou bourgeois/prolétaires est primordiale. 3) Car la question de la propriété des moyens de production – la relation entre les producteurs (qui travaille?) et les moyens de production (qui possède?) est cruciale 19 « Bourgeois et prolétaires », ou Qu’est-ce que la classe ouvrière? Comparé aux « serfs », les ouvriers sont « libres » et complètement dépouillés, ils ne « possèdent » rien. Marx évoque une « dynamique d’expropriation » « inscrite dans l’histoire en lettres de feu et de sang ». Féodalisme: la violence était instituée, statutaire: les serfs n’avaient aucun droit (mais) ils étaient attachés à la terre. Capitalisme: la violence elle est transférée à la sphère économique (cf. Bonald!). « Le processus de dissolution transforme (...) une masse d’individus d’une nation en travailleurs salariés virtuellement libres, c’est-à-dire en individus contraints de vendre leur travail parce qu’ils sont privés de propriétés (...), en individus libérés de toutes attaches. » (Principes d’une critique de l’économie politique, 1857) - D’où l’ambivalence du capitalisme: les travailleurs sont « libres » mais privés de leurs outils. Ils n’ont rien à perdre. C’est pour cela que la classe ouvrière est la seule vraiment révolutionnaire. En se libérant, elle libèrera la société tout entière, d’où la critique de son caractère « messianique » chez Marx (cf. Raymond ARON, L’Opium des intellectuels, 1955). Au sens étroit, la classe révolutionnaire est le prolétariat industriel; au sens large, elle regroupe ceux qui vivent de leur travail (les ouvriers, les employés, les fonctionnaires, etc.), et non du travail des autres (comme les capitalistes, les possédants). 20 La révolution chez Marx & Engels Selon Marx, la classe bourgeoise a été la première classe dominante à avoir porté une révolution (en France). Mais c’est à la classe ouvrière d’achever cette révolution, de dissoudre la société bourgeoise qui en est issue et d’écrire une autre histoire (celle du communisme, qui n’est pas la « fin de l’histoire »). Marx et Engels défendent ainsi: - le rôle historique du prolétariat, de la classe ouvrière (qui donc sera dénoncé comme un mythe); - l’idée qu’il faut une révolution sociale (la mobilisation n’est pas spontanée); - l’idée de plusieurs étapes: 1) la « dictature du prolétariat », 2) le « socialisme » (Etat prolétarien), 3) le « communisme » (plus de classe, de propriété, ni d’Etat)...; mais Marx n’en dit pas grand-chose! Pas un théoricien de l’Etat ni de l’après-révolution. - le rôle de l’Internationale communiste: l’organisation internationale de la classe ouvrière (création de l’AIT en 1864); - le rôle du parti comme « avant-garde » éclairée (que théorisera LÉNINE en Russie et que critiquera LUXEMBURG) 21 L’avertissement de Pierre-Joseph Proudhon (Lettre à Marx, 1846) « Cherchons ensemble, si vous le voulez, les lois de la société... Mais pour Dieu, après avoir démoli tous les dogmatismes a priori, ne songeons point à notre tour à endoctriner le peuple..., ne nous faisons pas les chefs d’une nouvelle intolérance, ne nous posons pas en apôtres d’une nouvelle religion, fût-elle la religion de la logique, la religion de la raison. » (Écrits sur le socialisme, de Platon à Blum, Paris, Seghers, 1963) 23 Marx, à la mort de Proudhon (1865) « La nature de Proudhon le portait à la dialectique. Mais n’ayant jamais compris la dialectique vraiment scientifique, il ne parvint qu’au sophisme. En fait, c’était lié à son point de vue petit-bourgeois. Le petit bourgeois (…) se compose de “d’un côté” et de “de l’autre côté”. Même tiraillement opposé dans ses intérêts matériels et par conséquent ses vues religieuses, scientifiques et artistiques, sa morale, enfin son être tout entier. Il est la contradiction faite homme. S’il est, de plus, comme Proudhon, un homme d’esprit, il saura bientôt jongler avec ses propres contradictions et les élaborer selon les circonstances en paradoxes frappants, tapageurs, parfois scandaleux, parfois brillants (...). » (Lettre à J.-B. Schweitzer du 24 janvier 1865, citée in Ecrits sur le socialisme, de Platon à Blum, Paris, Seghers, 1963) 24 Conclusion sur Marx (1/3): de la 1ère Internationale à 1917 1864: La Ière Internationale (Association internationale des travailleurs, AIT) et ses luttes de pouvoir reflèteront ces luttes idéologiques (communistes/modérés et utopistes/anarchistes…). Marx et Engels vont l’emporter mais les conflits persistent avec les anarchistes, notamment en Russie, en Italie et en Espagne, au moins jusqu’à la Guerre d’Espagne (1936-1939). Après sa mort, les marxistes « orthodoxes » vont adapter et transformer les idées de Marx, s’en disputant l’héritage. 1889: La IIe Internationale voit en même temps le triomphe théorique du marxisme, et la montée du « réformisme » en Allemagne (la prise de distance par rapport à la voie révolutionnaire, initiée par BERNSTEIN, voie suivie notamment par le Parti Ouvrier Belge). 1914 et la division du mouvement ouvrier face à la guerre signeront la mort de cette IIe Internationale. 1917 et la Révolution d’Octobre ouvre une nouvelle page du marxisme, en Russie, en Europe, puis dans le monde entier; Lénine adaptera le marxisme à la Russie tsariste, et Mao à la Chine (où le prolétariat industriel est quasiment inexistant). Et divisera les socialistes en deux camps: les partisans de la Révolution russe, du communisme de Lénine… et ceux de la social-démocratie, du réformisme. 25 Conclusion (2): l’héritage de Marx L’œuvre de Marx reste la contribution doctrinale la plus importante au socialisme comme courant d’idées et courant politique majeur aux XIXe et XXe s; Sa force réside à la fois dans son ambition scientifique (une théorie sociale) et son caratère d‘utopie (un projet révolutionnaire). Elle donne un socle idéologique fédérateur au mouvement ouvrier pendant un siècle. Dans la pensée politique, Marx opère 2 ruptures: - Son oeuvre porte un projet de transformation globale de l’ordre social; ce n’est pas une théorie de l’Etat (critique des notions de peuple et d’intérêt général); - Le sujet politique n’est pas « le peuple », ce sont les classes sociales. Marx défend donc que les ouvriers n’ont pas besoin des autres pour se libérer et libérer la société. 26 Conclusion (3): les impensés Cette conception est irréductible à la dictature de parti, comme le rappellera Rosa LUXEMBURG dans sa critique du parti bolchévique lors de la Révolution russe de 1917 (pour elle, socialisme, démocratie et liberté vont ensemble). Pour Marx et Engels, la révolution doit d’autre part être internationale pour renverser le capitalisme. C’est le sens de « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous! » (Le Manifeste, 1848) MAIS Marx a négligé tout à la fois la question de l’Etat, et la question nationale, qui se révélera fatale pour la Deuxième Internationale (Première Guerre mondiale). ET aussi la question des femmes! ENFIN, sa pensée reste marquée par le mythe du progrès technologique, ce que l’écologie politique dénoncera ou corrigera. 18 Intermède: « Toby or not Toby » (Tiers Monde, 2014) et l’aliénation https://www.youtube.com/watch?v=Jl-WNphNnm8 Toby or not Toby Est-ce qu’il va cracher dans ton dos? Est-tu esclave ou maître? Moi je suis dans d'autres dièses Est-ce qu’il va cracher dans ton dos? Je suis dans le même dièse Mes khos ont la mémoire courte Plus d'esclaves uniquement couleur ébène Ils sont noirs, blancs, jaunes, loin du jardin d'Éden Comme la vie je te jure je suis choqué Ont des chaînes au cou, nos ancêtres ils les avaient aux (…) pieds Je suis dans le même dièse (…) Est-ce que c'est fini? Oh merde! L'esclavage devient moderne Affranchis ou soumis depuis des années années Est-ce qu'on est damnés, damnés, chaînes de fer aux Ou sont les fouets et les chaines? poignets poignets Dans les têtes plus dans les abdomens Les champs de coton sont des prisons de béton des H.L.M T'es esclave si les médias pensent à ta place (…) Les esclaves sont chômeurs ou smicards ou célèbres Parait que c'est la même au bled Je rap, parle de toutes choses, mais je reste insoumis Le capital qui nous obsède capiche (compris) Obsédés par ce qu'on possède Tant que l'enfant du pauvre bouffe moins bien que le Est-ce les choses qui nous possèdent? chien du riche (…) (…) Il y a ceux qui bougent, ceux qui se plaignent Soumis si tu te soucies (…) De ce que va penser ton poto Immobile on ne sent pas nos chaînes Si tu ne portes pas du Gucci Toby or not Toby Molo Bolo 13 7. Socialisme(s) et communisme(s) au XXe siècle 7.1. Formation des socialismes (suite): 1864-1914: les deux premières « Internationales » 1ère Internationale (Association Internationale des Travailleurs, AIT) est fondée en 1864 par Marx et Engels dans la clandestinité; conflits doctrinaux et de pouvoir; tend à l’exclusion des plus modérés (Allemagne) et des TU anglais, et des plus radicaux (blanquistes, anarchistes; échec politique (gouvernements répressifs en France, Thiers, en All., Bismarck, en Angleterre, Disraeli) 2ème Internationale (1889-) impose les idées de Marx (+1884), leur diffusion (Italie, Autriche, Pologne, …) et leur déformation; On réaffirme la « révolution » mais de fait, succès des idées et des partis « réformistes » (versus révolutionnaires) : le remplacement du capitalisme peut être « graduel », « progressif » (cf. Bernstein, en Allemagne) 1914: 3 millions d’adhérents, 33 pays, mais Autre évolution: le patriotisme croissant du mouvement ouvrier (versus l’internationalisme originel); en 1914, Jean Jaurès et Rosa Luxemburg (Socialisme ou barbarie) sont minoritaires, le socialisme se rallie aux unions sacrées qui votent les crédits de guerre… (pas de ligne claire sur la participation gouvernementale et la guerre) A la veille de la Première Guerre mondiale, les 2 idées-clés du communisme/socialisme de Marx: révolution et internationalisme sont battues dans le mouvement ouvrier… 20 Convergences et divergences entre les socialistes avant 1917 Convergences des idées: abolition de la propriété privée, élimination de l’Etat, construction d’une société égalitaire Stratégies divergentes: 1) sur le rapport parti/syndicat (3 cas: Allemagne, SPD créé en 1875 domine, Angleterre, syndicats, « chartisme » domine, Labour créé tard en 1906, France: syndicat tardif mais branche radicale proche de l’anarchisme, la CGT) 2) Réforme, révolution, place de la violence: « La violence est l’accoucheuse de l’histoire » ? (Marx: « la force est l'accoucheuse de toute vieille société en travail », in Le Capital, Livre I, 1867) Mais échecs des révolutions de 1848, de la Commune de Paris en 1871, de la première révolution en Russie en 1905. Et le marxisme « orthodoxe » (Kautsky, Luxemburg, Liebknecht) est mis en question: le capitalisme n’est pas en crise mais s’étend; le parlementarisme se démocratise; les premières réformes sociales portent leurs fruits. D’où la montée en puissance du réformisme: transition pacifique vers la société sans classe, via l’aménagement graduel du capitalisme. Alors que Marx avait clairement rejeté tout compromis avec l’Etat bourgeois, beaucoup ne condamnent plus le régime parlementaire (en Allemagne, en France, en Russie…) 3) Internationalisme versus patriotisme: « Prolétaires de tous les pays… », idées que les divisions nationales masquent la domination de classe et affaiblissent la classe ouvrières + anticolonialisme + pacifisme (argument moral) mais en 1914, J. Jaurès, opposé à la guerre, comme R. Luxemburg (Socialisme ou Barbarie, 1915), en Allemagne, sont minoritaires: contre la guerre prolongement du capitalisme, défendent la grève générale et l’idée que patriotisme et socialisme ne s’opposent pas!) Variantes nationales: dépendent de l’état d’industrialisation, de l’importance du syndicalisme, de l’ouverture du régime Cas particulier: l’austro-marxisme dans le cas particulier de l’Empire austro-hongrois: met la question nationale au cœur du projet (inégalités entre nationalités…) 21 Le réformisme d’Eduard Bernstein, extrait La social-démocratie n’est « nullement enthousiasmée par l’idée d’une révolution violente dirigée contre la totalité du monde non prolétarien (...). Comme il ne s’agit en aucune façon d’une expropriation générale, simultanée et violente, mais d’un remplacement graduel au moyen de l’organisation et par la loi, cela ne ferait certainement pas de mal à l’évolution démocratique d’en finir une fois pour toutes avec la légende dévoratrice, si réellement démodée ». Eduard BERNSTEIN, Les présupposés du socialisme, 1899, trad., cité par O. Nay, op. cit. 22 Le socialisme patriotique de Jean Jaurès (1859-1914), extrait « Si l’on se risquait à caractériser l’Etat d’aujourd’hui, on ne le pourrait qu’en introduisant, au moins dans la formule, l’idée de mouvement; on pourrait dire qu’il est l’expression d’une démocratie bourgeoise où la puissance du prolétariat grandit. Dire d’une classe qui a conquis le suffrage universel et exproprié la bourgeoisie de son privilège politique, qui a assuré à tous ses enfants un minimum d’instruction dans des écoles dont le progrès est le souci constant et l’honneur de toutes les nations civilisées, qui a réussi à délivrer l’enseignement public des contraintes qui propageaient la résignation; dire d’une classe qui peut librement s’organiser, non pas sans quelque péril, mais avec un péril qui décroît à mesure que les travailleurs font plus largement usage de leur droit, qui peut refuser son travail et développer des grèves toujours plus vastes, où elle souffre sans doute, mais où elle n’est pas toujours seule à souffrir, et dont l’effet d’ensemble a certainement été de relever sa condition, d’accroître sa force et son autorité; qui dresse un programme de revendications successives dont les articles s’imposent, l’un après l’autre, à la démocratie, et qui propage avec éclat l’idée d’une transformation révolutionnaire; qui, d’ailleurs, par la constitution même des armées modernes et par leur inévitable évolution dans le sens des milices populaires est, pour ainsi dire, au cœur même de la puissance sociale et dans la forteresse de l’Etat; 23 Le socialisme patriotique de Jean Jaurès (1859-1914), extrait « dire que cette classe n’est qu’un néant dans la balance des forces sociales, qu’elle n’entre pas dans la composition et dans la définition de l’Etat, qu’elle est condamnée à n’être rien jusqu’au jour où elle sera tout, c’est aller contre l’évidence, c’est refouler l’immense mouvement des choses et anéantir tout ce que le prolétariat a conquis. (…) C’est par le fanatisme de la pensée, et en partant du pôle révolutionnaire, faire acte de contre - révolution, c’est décourager l’effort de chaque jour sans lequel il n’y aura pas de libération finale. (...) Prendre vraiment conscience de [la] force [du prolétariat], c’est l’accroître, et je me risque à dire qu’il ne manque aujourd’hui à la classe ouvrière, pour être une grande force dans l’Etat, que de savoir tout ce qu’elle peut, par l’action méthodique, dans la démocratie. Le prolétariat n’est donc pas hors de la patrie. (...) La démocratie et la nation restent les conditions essentielles, fondamentales, de toute création ultérieure et supérieure. » Jean JAURES, « Internationalisme et patriotisme », posthume, Editions de l’Humanité, 1915, cité in Ecrits sur le socialisme, op. cit. 24 7. Socialisme(s) et communisme(s) au XXe siècle 7.2. 1917, la révolution d’Octobre & le communisme en Russie 1917: la Révolution dite bolchevique ou d’Octobre en Russie est décisive pour le mouvement ouvrier Avec Lénine et les bolchéviques, le projet du Manifeste « passe de la théorie à l’histoire » (Nay) En 1917, le mouvement socialiste (international) se scinde entre: - Partisans de la Révolution russe (bolchéviques, communistes, marxistes-léninistes) qui soutiennent +- l’URSS… - Socialistes et sociaux-démocrates réformistes qui sont +- opposés aux communistes Mais les uns et les autres vont devoir « adapter » les idées de Marx La Russie est agraire, féodale, tsariste, précapitaliste… personne ne s’attend à ce que la révolution soit victorieuse D’où l’influence du « marxisme soviétique » associé à Lénine (théoricien et acteur majeur, avec Trotski, de la révolution) Le marxisme de Lénine met l’accent sur le volontarisme, le rôle du « parti », la « dictature du prolétariat, l’Etat socialiste (sic)… Dès les années 20 et sous Staline (1928-1953), un Etat bureaucratique et policier, un régime totalitaire et nationaliste (recentré sur la Russie) se développe, en contradiction totale avec les idées de Marx... 25 La Révolution russe de Rosa Luxemburg: une voix discordante (1918, trad., éd. de l’Aube) « La révolution russe est sans conteste le fait le plus considérable de la guerre mondiale. La façon dont elle a éclaté, son radicalisme sans exemple, son action durable, tout cela réfute admirablement l’argument à l’aide duquel la social-démocratie allemande s’est efforcée, dès le début, de justifier la campagne de conquêtes de l’impérialisme allemand, à savoir la mission réservée aux baïonnettes allemandes de renverser le tsarisme et de délivrer ses peuples opprimés. Les dimensions formidables prises par la révolution en Russie, l’action profonde par laquelle elle a bouleversé toutes les valeurs de classe, développé tous les problèmes économiques et sociaux, et, par une marche conséquente, avec, pour ainsi dire, la fatalité d’un processus logique, elle est passée du premier stade de la république bourgeoise à des stades de plus en plus élevés - le renversement du tsarisme n’étant plus dans ce processus qu’un court épisode, presque une bagatelle, tout cela montre, clair comme le jour, que l’affranchissement de la Russie ne fut pas l’œuvre de la guerre et la défaite militaire du tsarisme, des ‘baïonnettes allemandes dans des poings allemands’, comme disait Kautsky, mais qu’elle avait en Russie même des racines profondes. Ce n’est pas l’aventure guerrière de l’impérialisme allemand, sous l’écusson idéologie de la social- démocratie allemande, qui a provoqué la révolution en Russie. Elle n’a fait au contraire que l’interrompre pour quelques temps, à ses débuts, après la première vague des années 1911-1913, et lui créer ensuite les conditions les plus difficiles et les plus anormales (...). 26 La Révolution russe de Rosa Luxemburg (suite) « Il est clair que seule une critique approfondie, et non pas une apologie superficielle, peut tirer de tous ces événements les trésors d’enseignement qu’ils comportent. Ce serait en effet une folie de croire qu’au premier essai d’importance mondiale de dictature prolétarienne, et cela dans les conditions les plus difficiles qu’on puisse imaginer, au milieu du désordre et du chaos d’une conflagration mondiale, sous la menace constante d’une intervention militaire de la part de la puissance la plus réactionnaire d’Europe, et en face de la carence complète du prolétariat international, ce serait une folie, dis-je, de croire que, dans cette première expérience de dictature prolétarienne réalisée dans des conditions aussi anormales, tout ce qui a été fait ou n’a pas été fait en Russie ait été le comble de la perfection. Tout au contraire, la compréhension la plus élémentaire de la politique socialiste et de ses conditions historiques nécessaires oblige à admettre que, dans des conditions aussi défavorables, l’idéalisme le plus gigantesque et l’énergie révolutionnaire la plus ferme ne peuvent réaliser ni la démocratie, ni le socialisme, mais seulement de faibles rudiments de l’un et de l’autre. » 27 La Révolution russe de Rosa Luxemburg (fin) «... Lénine, Trotsky et leurs amis ont été les premiers qui aient montré l’exemple au prolétariat mondial; ils sont jusqu’ici encore les seuls qui puissent s’écrier avec Hutten: ‘J’ai osé!’ (...) En Russie, le problème (de la réalisation du socialisme) ne pouvait être que posé. Et c’est dans ce sens que l’avenir appartient partout au ‘bolchevisme’. » 28 7.2. 1917, la révolution d’Octobre & le communisme en Russie Avant d’aboutir à un Etat bureaucratique puis « totalitaire », « le marxisme soviétique est le fruit d’une intense élaboration doctrinale » (O. Nay) depuis la fin du XIXe (création du POSDR, 1898). Echec de la révolution de 1905 (Potemkine); création du Parti bolchévique en 1912 et de la Pravda 1917: Lénine et Trotski sont les seuls à croire dans la révolution dans la Russie précapitaliste des Tsars… Lénine s’inspire de Marx et Blanqui pour théoriser la révolution dans Que faire? (1902) et L’Etat et la révolution (1917) Il s’oppose à « l’attentisme », et à toute alliance avec la bourgeoisie Il développe une doctrine révolutionnaire (volontarisme) Et des thèses sur L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1917) 29 Lénine (1870-1924) et la révolution 1) « La Révolution n’est pas une affaire d’enthousiasme. » « Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » Pour Lénine, il faut encadrer le mouvement (importance des élites), idéologiquement (forger la « conscience de classe du prolétariat », rôle des intellectuels) et par l’organisation. D’où le rôle du parti, « avant-garde » de militants professionnels (différence avec Marx) luttant dans la clandestinité et ne tolérant aucune division interne. -> « centralisme démocratique »: élimination de toute dissidence 2) Pendant la révolution, la dictature du prolétariat et la violence sont « malheureuses mais nécessaires » La révolution ne met pas fin à la lutte des classes mais l’intensifie (Terreur Blanche contre Terreur Rouge), jusqu’à l’élimination de tous les éléments d’opposition (idée reprise à Robespierre, Saint-Just, Babeuf et Blanqui, reprise par Mao) 3) Après la révolution, Un Etat socialiste (abolition de la propriété privée) doit assurer la transition vers le communisme (disparition de l’Etat). Pour Lénine, l’Etat peut être utile pour détruire le capitalisme si le prolétariat s’en empare. 3 phases donc: - la dictature du prolétariat; - l’Etat socialiste de transition; - le communisme (collectivisation des moyens de production, disparition des classes, inutilité d’un appareil répressif) (…) 30 Lénine et l’impérialisme Dénonce l’impérialisme colonial qui prétend être une solution expansionniste aux crises économiques du capitalisme... - La croissance du capitalisme entraîne une extension continue du système bancaire et du capital financier, une tendance à la monopolisation par les grandes entreprises (qui contraste avec la libre concurrence du XIXe); - L’excès de capital accumulé est investi dans les pays où la terre, les salaires et les matières premières sont les moins chères, et donc les profits les plus élevés… - La planète devient un immense marché... Lénine dénonce des conséquences désastreuses de cette mondialisation (pour le prolétariat et l’ordre international; cf. les Thèses d’Avril sur les causes de la guerre). Mais elle est le prélude de la « grande révolution prolétarienne internationale » selon Lénine... 31 Trotski (1879-1940) et la « révolution permanente » Se rallie tardivement à Lénine; acteur clé de la Révolution, il organise l’Armée rouge. Critiquera le « socialisme dans un seul pays » de Staline, d’où son exil et son assassinat à Mexico (et la persécution de toute sa famille). La révolution permanente (1828-1829): « Il est absurde de dire qu’on ne peut jamais sauter par-dessus les étapes. Le cours vivant des événements historiques saute toujours par- dessus les étapes (...) ». Idée que la révolution est possible dans les pays moins avancés (idée reprise plus tard en Afrique, en Asie, en Amérique latine), Et qu’elle doit être mondiale pour réussir: la Révolution russe n’est qu’un prélude; « dans un seul pays » c’est une fausse victoire (voire une « révolution trahie », par Staline, dans le cas de la Russie). Succès intellectuel et influence posthume hors d’URSS (LCR et LU en France) même si échoue à unifier le mouvement. 32 De Staline à Khrouchtchev Pas de grande œuvre théorique; recentrent la doctrine marxiste-léniniste sur l’Etat. Alors que le communisme de Marx promettait la disparition de l’Etat, dans la Russie soviétique, un Etat bureaucratique, voire un parti-Etat totalitaire se développe. C’est la grande contradiction du communisme soviétique, avec son nationalisme. Staline justifie même le maintien de l’Etat après l’avènement de la société communiste (en contradiction avec Marx mais aussi avec Lénine), compte tenu de l’hostilité internationale (instrumentalisation du fascisme, etc.) L’arrivée de Khrouchtchev (1956, XXe Congrès du PCUS) marque la « déstalinisation » mais l’assouplissement de la doctrine (idée que la dictature du prolétariat touche à sa fin, etc.) n’a pas de suite concrète. L’ère Gorbatchev (1885-1991) est marquée par une tentative de réforme économique et de libéralisation du régime (Perestroïka), mais le système s’effondre en 1991. 33 7.3. Le communisme (socialisme révolutionnaire) hors de Russie: Antonio Gramsci (1891-1937) En 1919, la Troisième Internationale (Komintern) est crée et impose les « 21 conditions » (principes du marxisme-léninisme), dimension idéologique (centralisme démocratique…), création des PC… Ensuite, le marxisme-léninisme sera réinterprété tout au long du siècle partout dans le monde selon les réalités nationales, les régimes, les partis… 2 innovations doctrinales/figures influentes au XXe: GRAMSCI et MAO 1) GRAMSCI : le rôle de l’idéologie et le marxisme comme philosophie de l’action non dogmatique Lecteur de Marx fasciné par Octobre, co-fondateur du PCI en 1921, adversaire du fascisme, arrêté en 1926, mourra en prison en 1937; symbole de la figure libre pour de nombreux marxistes. Dans ses Cahiers, Gramsci dénonce comme Trotski le « déterminisme matérialiste » qui néglige le rôle des idées. Pour Gramsci, il faut comprendre pourquoi « ça a marché » en Russie et pourquoi ça n’a pas marché en Europe ou aux USA. Pour lui, c’est que la société et l’Etat bourgeois y sont mieux organisés, plus forts grâce à une idéologie du mérite individuel qui vise à justifier les inégalités sociales: il n’y a pas que la police d’Etat qui empêche la révolution. L’idée que « si je suis pauvre, c’est que je le mérite » est bien plus efficace! La philosophie de la praxis implique que le prolétariat développe son idéologie jusqu’à devenir hégémonique; d’où le rôle des intellectuels et de la culture (cf. l’influence sur le régime cubain). Et enfin de rester critique vis-à-vis du modèle soviétique: dans les 1970, « l’eurocommunisme » du PCI rompt avec Moscou. 34 7.3. Le communisme (socialisme révolutionnaire) hors de Russie: Mao Zedong (1893-1976) C’est en Chine que s’expérimente le « communisme » à la plus grande échelle. Fasciné par Octobre, Mao fonde le Parti communiste chinois en 1921. L’expérience de la Chine place le monde paysan au cœur de la révolution anti-bourgeoise. Mao est surtout un chef de guerre et un des seuls théoriciens « marxistes » de la lutte armée: « La révolution n’est pas un dîner de gala (...); elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie (...) La révolution, c’est un soulèvement, c’est un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre » (Rapport sur le mouvement paysan de Hunan, 1927) Mao va lutter dans la clandestinité et adapter le marxisme à la Chine paysanne (ouvriers=0,5% au début du XXe!). Mène des insurrections jusqu’à la conquête d’une province, puis vise par la guerre à faire tomber les villes tout en gagnant le soutien des masses (« encerclement et endoctrinement »). Echoue d’abord face aux nationalistes mais la « longue marche » (1934-35) impose Mao comme chef du PCC et de l’Armée rouge; la guerre sino-japonaise (1935-45) renforce le mouvement (réunit 1 million de soldats). En 1949 Mao devient le « Grand Timonier ». Il prend d’abord exemple sur le modèle soviétique puis le critique; c’est le « schisme » sino-soviétique. Enorme influence sur les intellectuels occidentaux… L’échec du « grand bond en avant » (1958-1960) marque un repli sur les valeurs paysannes. Et surtout, le régime est marqué par le fantasme du complot: les risques de réaction justifient une « lutte idéologique » fondée sur « l’autocritique » (sic)... La répression (purges, délations, etc.) culmine avec la Révolution culturelle (1969). Les « réformateurs » l’emportent dans les années ‘1970; libéralisation économique, répression politique (Tian An Men 1989): « Un pays, deux systèmes »… 35 7. Socialisme(s) et communisme(s) au XXe siècle 7.4. Le socialisme réformiste après 1917 Après 1917, dans les régimes non communistes, le « socialisme » ou la « social-démocratie » désignent des tendances réformistes qui s’opposent au communisme, aux stratégies révolutionnaires, et ne s’identifient plus seulement au prolétariat. Au plan doctrinal l’évolution est lente (le marxisme et la révolution restent largement le fondement de l’identité de la gauche jusque dans les années 1960). Au plan politique, ralliement à la démocratie libérale dès 1917, au parlementarisme, participation gouvernementale dans l’entre deux-guerres, etc. Au plan économique, les sociaux-démocrates abandonnent l’idée d’abolir le capitalisme: - au profit de l’interventionnisme étatique promu par Keynes pour corriger l’économie de marché à p. des années 1930-40 et du New Deal aux USA (de la crise de 29 à la crise de 1973) - puis d’un socialisme libéral (« troisième voie »): dépasser le conflit entre capital et travail… approche qui se veut pragmatique et « non idéologique » - sens contemporain de la « social-démocratie » Très loin de Marx! Et le socialisme « perd sa base » ouvrière… 36 7. Socialisme(s) et communisme(s) au XXe siècle 7.5. Le marxisme aux défis du féminisme et de l’écologie politique… Entre autres contestations, féministes et écologistes mettent en avant depuis les ‘1960-70 les lacunes et l’anachronisme du marxisme: 1) Capitalisme et domination masculine vont de pair MAIS Marx aurait sous-estimé l’exploitation des femmes, nécessaire à la reproduction de l’ordre capitaliste, et leur rôle révolutionnaire! Mais en tant que doctrine émancipatrice, centrée sur les rapports de domination, le marxisme est compatible avec le féminisme… (cf. Le capitalisme patriarcal de S. Federici) 2) Idem pour l’écologie politique: la critique est compatible avec celle du capitalisme, mais Marx aurait vu le capitalisme comme un passage obligé, le marxisme originel reste fasciné par le progrès économique et technique, et n’aurait pas vu le caractère destructeur du capitalisme pour l’environnement. 37 7. Socialisme(s) et communisme(s) au XXe siècle 7.6. Conclusion: le devenir du projet de Marx Le projet politique de Marx vise l’avènement d’une société sans classes et sans État qu’il appelle communisme et qui réalise la liberté car elle se fonde sur l’égalité ; la réalisation de ce projet passe par la révolution, menée par les travailleurs, et l’abolition de la propriété privée. Ce projet reste longtemps la colonne vertébrale des socialistes au-delà de leurs divergences. Des révolutions ont eu lieu au nom du marxisme au XXe siècle, à commencer par la Russie; Aucun Etat socialiste n’a cependant débouché sur une société communiste; ce projet n’a donc pas été réalisé et c’est en partie pour cela qu’il continue d’inspirer certains mouvements. Cela n’aboutit ni à disculper ni à accuser Marx mais à ne pas confondre une théorie et un programme politique du XIXe avec des idées, régimes et mouvements ultérieurs. Pour certains, « Tant que l’enfant du pauvre bouffe moins bien que le chien du riche », le socialisme révolutionnaire aura un avenir… 38 Intermède: « Toby or not Toby » (Tiers Monde, 2014) et l’aliénation https://www.youtube.com/watch?v=Jl-WNphNnm8 Toby or not Toby Est-ce qu’il va cracher dans ton dos? Est-tu esclave ou maître? Moi je suis dans d'autres dièses Est-ce qu’il va cracher dans ton dos? Je suis dans le même dièse Mes khos ont la mémoire courte Plus d'esclaves uniquement couleur ébène Ils sont noirs, blancs, jaunes, loin du jardin d'Éden Comme la vie je te jure je suis choqué Ont des chaînes au cou, nos ancêtres ils les avaient aux (…) pieds Je suis dans le même dièse (…) Est-ce que c'est fini? Oh merde! L'esclavage devient moderne Affranchis ou soumis depuis des années années Est-ce qu'on est damnés, damnés, chaînes de fer aux Ou sont les fouets et les chaines? poignets poignets Dans les têtes plus dans les abdomens Les champs de coton sont des prisons de béton des H.L.M T'es esclave si les médias pensent à ta place (…) Les esclaves sont chômeurs ou smicards ou célèbres Parait que c'est la même au bled Je rap, parle de toutes choses, mais je reste insoumis Le capital qui nous obsède capiche (compris) Obsédés par ce qu'on possède Tant que l'enfant du pauvre bouffe moins bien que le Est-ce les choses qui nous possèdent? chien du riche (…) (…) Il y a ceux qui bougent, ceux qui se plaignent Soumis si tu te soucies (…) De ce que va penser ton poto Immobile on ne sent pas nos chaînes Si tu ne portes pas du Gucci Toby or not Toby Molo Bolo 13 2 questions 1. Le rapport entre des idées du XIXe et des idéologies du XXe: 7. Socialisme(s) et communisme: quelle influence des idées de Marx? 8. Fascisme(s) et national-socialisme: réactionnaires ou révolutionnaires? 2. Le « totalitarisme » et la question de la comparaison communisme/fascisme 40 8. Fascisme(s) et national-socialisme Peut-on faire le même exercice? 8.1. Le fascisme n’est pas d’abord une idée 8.2. Qu’est-ce que le fascisme? 8.3. Une « innovation idéologique majeure » (J.-W. Müller, 2013); 8.4. Le fascisme et la pensée réactionnaire 8.5. L’idée nouvelle: le rassemblement totalitaire de la nation 8.6. Une synthèse inédite 8.7. Le nazisme, un cas à part? 41 8. Fascisme(s) et national-socialisme Peut-on faire le même exercice? 8.1. Le fascisme n’est pas d’abord une idée Pas d’équivalent du Capital de Marx ou du Manifeste de Marx & Engels… « Notre doctrine, c’est le fait » (Mussolini) 8.2. Qu’est-ce que le fascisme? renvoie à des phénomènes historiques très divers (Italie sous Mussolini 1919-1945; Portugal salazariste 1929-1974, Espagne franquiste 1939-1975; France de Vichy 1940-1944; Allemagne nazie 1933-1945…) Différences importantes (rapport aux élites, à l’église, à l’Etat…) Singularité du nazisme Origines communes? 1914-1918? Plus profondes? « Le fascisme, c’est moi » (Mussolini, « Duce » entre 1922 et 1945) 42 8. Fascisme(s) et national-socialisme 8.3. Lien à la pensée réactionnaire? Il semble évident: rejet du rationalisme, de l’intellectualisme, de l’individualisme, des valeurs de paix et de progrès, et du projet politique des Lumières (libéralisme, parlementarisme, démocratie) Goebbels en 1933: l’arrivée de Hitler au pouvoir allait « rayer 1789 de l’Histoire » MAIS: pas le même degré d’élaboration théorique; pas le même rapport au catholicisme; phénomène de masse (XXe) vs. mouvement élitaire (XVIIIe) 8.4. Le fascisme n’est pas d’abord une idée mais… « malgré son apparente faiblesse théorique », c’est « l’une des innovations idéologiques majeures du XXe siècle », non « pas à l’aune de la production de textes sophistiqués » mais d’une « capacité à fondre les idées et les sentiments dans des justifications nouvelles de l’exercice du pouvoir ». (J.-W. Müller, Difficile démocratie, Paris, Alma, 2013) « Des concepts réactionnaires s’ajoutant à une émotion révolutionnaire ont pour résultat la mentalité fasciste. » (W. Reich, La psychologie de masse du fascisme, 1930-1933). 43 8. Fascisme(s) et national-socialisme 8.5. L’originalité du projet fasciste: le rassemblement totalitaire de la nation/du « peuple » Le rejet de toute division (parti unique…) L’obéissance absolue et le lien direct au chef (Duce, Führer, …) Le culte de la guerre (« Croire, obéir, combattre », B. Mussolini, « Combat, foi, travail, sacrifice », J. Goebbels) Le mépris du faible La mobilisation émotionnelle des masses 8.6. Une synthèse inédite… Entre la pensée du XVIIIe, l’irrationalisme politique (le sang, le sol, la race), un nouveau nationalisme, extrême, de masse, le fascisme emprunte ses codes au socialisme/au mouvement ouvrier (le rouge, les rassemblements, l’importance de la presse, et bien sûr l’organisation partisane) 44 8. Fascisme(s) et national-socialisme 8.7. Le national-socialisme comme cas à part Dictionnaire des idées politiques (Nay & al.): le national-socialisme est (1) la « théorie » de Hitler dans Mein Kampf , (2) la source doctrinale du NSDAP, et (3) l’idéologie officielle de l’Allemagne entre 1933 et 1945. 1) Sources (fin XIXe): (1) la hiérarchie des races (Gobineau, Vacher de Lapouge, H.S. Chamberlain); (2) le darwinisme social (Spencer)/sélection naturelle adaptée aux sociétés; (3) le pangermanisme (Ratzel, Haushofer, Rosenberg), théorie de « l’espace vital » (Lebensraum) 2) Mein Kampf (rédigé en prison ca. 1923, publié en 1925-27) « Pot-pourri » des idées de Hitler valorisant la « violence hystérique » = son génie démagogique selon Chevallier Chapitre 11 « Le Peuple et la race », crucial pour la doctrine: l’ennemi, source de tous les maux = « le juif » (« le marxisme n’est que le masque du juif »), d’où le rôle du peuple aryen, le vrai peuple « élu »: éliminer le juif (et par extension les faibles, les sous-hommes) Mission de l’Etat (instrument au service du Volk), à l’intérieur: régénérer « la race aryenne », mobiliser le peuple par la propagande et l’éducation, le réunir autour du chef, « libérer l’énergie vitale », préparer au sacrifice... « Le balayeur des rues doit se sentir plus honoré d’être citoyen de ce Reich que s’il était le roi d’un pays étranger »... = la force de la théorie raciale, caractéristique d’« élites à demi-éduquées » (Norbert Elias) La mission de l’Etat, à l’extérieur: la conquête de l’espace vital, par la guerre... 45 Pour conclure: la question de la comparaison 1) Peut-on comparer communisme et fascisme ? 2) Est-ce que comparer, c’est rapprocher ou confondre ? 3) Qu’est-ce qu’on compare ? 4) Quel est un point commun au fascisme/nazisme et au communisme en tant qu’idées/idéologies ? 5) Quelles sont les différences essentielles? 46 Pour conclure: la question de la comparaison « L’objectif que se proposait le parti national-socialiste était de refaire la carte raciale de l’Europe, d’éliminer certains peuples tenus pour inférieurs, d’assurer le triomphe de tel peuple, jugé supérieur. A ce moment-là sévit une terreur plus encore imprévisible que celle qui pouvait frapper les citoyens soviétiques et dont surtout l’objectif est autre. L’objectif que se donne la terreur soviétique est de créer une société entièrement conforme à un idéal, cependant que, dans le cas hitlérien, l’objectif est purement et simplement l’extermination. « C’est pourquoi, passant de l’histoire à l’idéologie, je maintiendrai, au point d’arrivée, qu’entre ces deux phénomènes la différence est essentielle, quelles que soient les similitudes. La différence est essentielle à cause de l’idée qui anime l’une et l’autre entreprise; dans un cas l’aboutissement est le camp de travail, dans l’autre la chambre à gaz. Dans un cas est à l’œuvre une volonté de construire un régime nouveau et peut-être un autre homme, par n’importe quels moyens; dans l’autre cas une volonté proprement démoniaque de destruction d’une pseudo-race. (…) « Si j’avais à résumer le sens de chacune de ces deux entreprises, voici, je crois, les formules que je suggérerais: à propos de l’entreprise soviétique je rappellerais la formule banale « qui veut faire l’ange fait la bête »; à propos de l’entreprise hitlérienne je dirais: l’homme aurait tort de se donner pour but de ressembler à une bête de proie, il y réussit trop bien. » (Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, Paris, Gallimard, 1965, pp. 301-302) 47