Droit civil - L1 S1 - Cours - 2024-2025 - PDF

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Ce document présente un cours de droit civil pour la première année de licence. Le document aborde la notion de personne, la définition positive et négative de la personne juridique, ainsi que le statut des animaux, les robots et l'intelligence artificielle. Le document est structuré en deux parties, avec des sections spécifiques dédiées à l'acquisition et à la perte de la personnalité juridique.

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Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 Droit civil – Les personnes RAPPEL DU PLAN Introduction - Prése...

Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 Droit civil – Les personnes RAPPEL DU PLAN Introduction - Présentation du cours de droit civil - La notion de personne § 1. La définition positive de la personne juridique A. L’évolution de la notion de personne 1) La conception abstraite : une dissociation originelle entre l’existence physique et l’existence juridique de la personne 2) Le développement d’une conception humaniste de la personne 3) L’évolution vers une conception subjectiviste de la personne B. La conception synthétique de la personne 1) Le maintien de la conception abstraite de la personne 2) La conception concrète de la personne § 2. La définition négative de la personne juridique A. Le statut des animaux - le statut des animaux avant 2015 - Le statut des animaux depuis 2015 B. Le robot / l’intelligence artificielle - Les robots, de la science-fiction à la réalité - La résolution du Parlement européen du 16 février 2017 1 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 C. L’enfant à naître - L’enfant à naître, une personne en devenir - L’enfant à naître, un « être » mais pas une personne D. Le cadavre - Les effets des droits du défunt après la mort - Le respect dû aux morts Ouverture – Les données personnelles, à la frontière entre les personnes et les choses Contenu et objectifs du cours / annonce de plan 1ère Partie – La personnalité juridique des personnes physiques Section 1 – L’acquisition et la perte de la personnalité juridique § 1. L’acquisition de la personnalité juridique par la naissance A. Le contenu de l’acte de naissance B. L’accouchement sous X § 2. La perte de la personnalité juridique par la mort A. Le constat de la mort B. Les difficultés propres au constat de la mort § 3. L’absence et la disparition A. Le régime de l’absence B. Le régime de la disparition 2 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 Section 2 – L’état des personnes physiques § 1. La notion et les caractéristiques de l’état des personnes A. L’état des personnes : un ensemble d’éléments d’identification B. Le régime juridique de l’état des personnes §2. Les différents éléments de l’état des personnes A. Le nom 1) Les éléments du nom 2) Les règles d’attribution du nom 3) Les règles de modification du nom 4) La nature et le régime juridiques du nom B. Le sexe / genre de la personne 1) Le sexe biologique 2) Les conséquences attachées au changement de sexe de la personne C. Le domicile 1) Définition du domicile 2) La détermination du domicile 3) Les fonctions du domicile 3 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 2ème partie – Les droits de la personnalité reconnus à la personne physique Les droits de la personnalité sont l’ensemble des droits extrapatrimoniaux que la loi reconnaît à tout être humain dès lors qu’il est doté de la personnalité juridique, pour la protection de ses intérêts primordiaux dans ses rapports avec autrui Ces droits civils sont en quelque sorte innés, et se distinguent donc des autres droits subjectifs, qui sont acquis ou transmis, comme le droit de propriété Ces droits se distinguent également des droits de l’homme et libertés publiques en ce qu’ils n’ont pas pour objet la protection de l’individu contre l’arbitraire de la puissance publique, mais contre les autres membres de la société. Ils visent donc des rapports de droit privé Cette affirmation peut toutefois être relativisée, dès lors que plusieurs droits de la personnalité sont également corroborés par des droits fondamentaux ; de plus, l’effet horizontal des droits de l’homme confirme qu’ils régissent également des rapports privés entre personnes physiques De façon générale, tous les droits de la personnalité ont pour objectif de garantir la primauté de la personne humaine, et le respect de sa dignité, telle que celle-ci est prévue par l’article 16 du Code civil Le conseil constitutionnel a également reconnu la valeur constitutionnelle de ce principe cardinal (décision du 27 juillet 1994), ce qui le place aussi bien dans le giron du droit privé que du droit public Le principe de dignité de la personne humaine est également consacré par de nombreux textes internationaux tels que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le pacte international relatif aux droits civils et politiques,… De là en découlent d’autres caractéristiques affectant la personne humaine, et déterminant le régime juridique des droits de la personnalité : respect de la vie dès son commencement, non patrimonialité et indisponibilité du corps humain,… La consécration de ce principe fait suite aux horreurs perpétrées pendant la seconde guerre mondiale, et rappelle, sur le plan strictement juridique, que l’être humain ne saurait être considéré comme une chose ; il existe de plus une égalité parfaite de tous les êtres humains, et on ne saurait non plus les hiérarchiser en fonction de quelque critère que ce soit Si les droits de la personnalité ont été systématisés ces dernières décennies, leur création s’est faite de manière progressive Les lois se sont multipliées à compter de 1970, mais la détermination et le régime des droits de la personnalité sont principalement le fruit du travail jurisprudentiel Dès le milieu du dix-neuvième, par exemple, les tribunaux ont été saisis des premiers contentieux intéressant la photographie, technique qui était alors nouvelle ; c’est ainsi que le 4 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 droit à l’image des personnes a pu être dégagé à l’occasion d’un contentieux intéressant la reproduction et la diffusion de l’image d’une personne sur son lit de mort Les droits de la personnalité peuvent être répartis en deux groupes : ceux qui visent à protéger l’intégrité physique de l’individu, et ceux qui assurent la protection de son intégrité morale Dans un cas comme dans l’autre, leur régime juridique est le suivant : - Ces droits sont extrapatrimoniaux ; ils ne peuvent donc se prêter à des opérations économiques, tout simplement en raison de leur objet ; - Ces droits sont perpétuels ; ils apparaissent à la naissance de la personne et disparaissent à sa mort, sans pouvoir être transmis aux héritiers ; - Ces droits sont imprescriptibles ; on ne saurait les perdre par le non usage, ni les acquérir par l’usage ; - Ces droits sont insaisissables ; ils ne sauraient être employés pour régler les dettes de leur titulaire, tout simplement parce qu’ils n’ont pas de valeur économique. Ces différentes caractéristiques peuvent faire l’objet de limites ou exceptions, que nous avons déjà rencontrées pendant le cours Certaines ne sont pas de véritables limites, car elles supposent le truchement d’un droit patrimonial C’est le cas avec les hypothèses où le nom de famille acquiert une valeur économique, et peut être vendu pour des usages commerciaux ; en vérité, c’est parce que le nom est attaché à une personne morale, ou parce qu’il enregistré comme marque, que de telles situations ont été rendues possibles ; il n’y a donc pas de « transformation » du droit sur le nom, mais plutôt la création d’un nouveau droit patrimonial sur celui-ci, qui sera limité à certains actes et usages ; en-dehors de cela, sur le plan personnel, le titulaire du nom de famille ne renonce en rien à celui-ci pour tout ce qui concerne les usages de la vie civile D’autres limites sont parfois prévues par la loi Nous en verrons des exemples avec le droit à l’image ; si celui-ci est en principe extrapatrimonial, certaines professions, tels que les mannequins ou les artistes-interprètes, se voient reconnaître un droit patrimonial sur leur image, lorsque celles-ci est exploitée dans le cadre de leur profession ; là encore, on peut dire que la loi instaure un dédoublement entre le droit à l’image qui découle de l’article 9 du Code civil et celui qui est propre à ces professions, et dont le champ d’application est limité Il est toutefois des cas où l’on relève une tendance à la patrimonialisation des droits de la personnalité, celle-ci étant effectué « hors texte » 5 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 Il ne s’agit pas de dire que cette situation est contraire à la loi, mais plutôt de constater que la loi ne détermine pas toujours avec précision le régime juridique des droits subjectifs, et notamment des droits de la personnalité Dans la pratique, cela autorise des situations ou des prétentions qui sont parfois reconnues par les tribunaux ; tel est le cas en matière de droit sur les données personnelles ; si celui-ci est normalement considéré comme un droit extrapatrimonial, des tribunaux n’ont pas hésité à reconnaître l’existence d’opérations économiques sur celles-ci, ce qui fait douter de cette qualification ; voir not. le jugement et les textes relatifs à ce sujet figurant dans la séance n° 1 de travaux dirigés Nous verrons donc les droits de la personnalité ayant pour fonction de protéger l’intégrité morale des personnes (section 1), puis ceux qui sont relatifs à leur intégrité physique (section 2) §1. Les droits relatifs à l’intégrité morale de la personne physique A. Le droit au respect de la vie privée 1) Le contenu du droit au respect de la vie privée Les éléments relevant de la vie privée - Une première série tend à protéger les éléments liés au physique de la personne ; certains auteurs parlent notamment d’intimité corporelle Il peut s’agir de l’apparence physique, dans ce qu’elle a de plus crue : la nudité Ainsi, nombreuses sont les affaires de personnes notoirement connues faisant l’objet d’une excitation médiatique malsaine, tendant à les photographier dans leurs rares moments d’intimité Il est évident que ce sont davantage les « personnes publiques » qui seront concernées ici, puisque ce sont elles que les journalistes recherchent prioritairement ; mais il peut en être tout autant d’une personne ordinaire, le respect de l’intimité étant le même pour tous Au-delà, sont également protégées les informations relatives à la santé d’une personne, qu’elles soient diffusées par voie de photographies ou de mentions textuelles Ces informations peuvent relever de la santé physique ou de la santé mentale. Une exception semble frapper la santé des hommes politiques, au nom du droit à l’information, lequel justifierait que ces informations soient connues des citoyens (cf. infra.) Les informations relatives à la parenté sont également protégées, dès lors que les personnes concernées ont entendu ne pas révéler certains liens. Il en est spécialement ainsi des mères photographiées avec leurs enfants, dans des moments privés. Idem lorsqu’elles ne sont qu’en état de grossesse, les digressions journalistiques à ce sujet étant très sévèrement sanctionnées. 6 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 La sexualité est également l’un des principaux éléments protégés au titre de la vie privée, qu’il s’agisse de l’orientation d’une personne, de ses pratiques, partenaires ou de tout autre élément qui serait lié au sexe. La mort est le dernier élément que l’on peut ranger dans cette catégorie. Il y a particulièrement le fait qu’il est impossible de reproduire en photographie les traits d’une personne sur son lit de mort. Une certaine controverse anime la doctrine et la jurisprudence quant au rattachement de cet élément soit au droit à l’image soit à la vie privée. Les deux semblent avoir été également utilisés comme fondements aux solutions rendues en la matière, qui condamnent unanimement ce type d’atteintes. - viennent ensuite des éléments relevant de la vie personnelle, au sens large ; par certains côtés, des éléments rangés dans la première catégorie peuvent se recouper avec celle-ci ; Tout d’abord, la vie familiale doit être incluse dans cette catégorie. Le lien avec la première est évident, dès lors que la personne sera représentée en compagnie de sa famille. Il peut s’agir de toute sorte de relations de la personne avec les membres de sa famille, ou bien de tous les évènements qui peuvent rythmer la vie familiale, tels qu’un mariage, un divorce,… La jurisprudence est assez aléatoire à ce niveau, spécialement pour le mariage, qui a pu être considéré comme relevant de la vie privée dans certains cas et pas dans d’autres (cas pour un mariage princier pourtant annoncé avec une certaine discrétion). De manière plus large, la vie sentimentale et amoureuse d’une personne est également un élément relevant de sa vie privée. La règle est extrêmement large à ce niveau ; elle bénéficie à toute personne, célèbre ou pas ; sans l’assentiment exprès de la personne, toute divulgation d’informations est impossible, sous quelque forme que ce soit ; Le respect des croyances peut également entrer dans le respect de la vie privée. Ainsi, la confession d’une personne n’a pas à être révélée ou supposée. La vie financière intègre également les éléments protégés au titre de la vie privée Plus encore, elle prend en France le nom de « patrimoine ». Elément considéré historiquement comme un sanctuaire de la vie privée, sa protection a été affirmée très tôt par la jurisprudence, abstraction faite de la situation des hommes politiques ou des hommes d’affaires, pour lesquels des textes spéciaux viennent prévoir une divulgation de leurs revenus. Toutefois, il faut savoir que la protection du patrimoine comme élément de la vie privée tend à diminuer, depuis les années 80. Ainsi, les juges ont commencé à reconnaître que la divulgation de la fortune d’une personne pouvait être admise dans certaines circonstances : notamment à fin d’enquête, sur des sujets d’information économique. Une jurisprudence s’est ainsi dessinée, au niveau des juges du fond d’abord, pour être consacrée par la Cour de Cassation, dans un arrêt du 20 novembre 1990. Elle y affirme que « le respect dû à la vie privée n’est pas atteint par la publication de renseignements d’ordre purement patrimonial, dès lors qu’ils ne comportent aucune allusion à la vie et à la personnalité de l’individu ». 7 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 Le patrimoine, pris dans son individualité, sans autre élément relatif à la vie de la personne concernée, n’est donc plus considéré comme entrant dans la sphère de la vie privée. Les vacances et loisirs sont aussi considérés comme entrant dans la sphère de la vie privée. Ainsi, le respect de celle-ci n’a pas de limites spatiales. Dès lors, toute personne, publique ou pas, qui se trouve manifestement en vacances, dans un lieu public ou pas, mérite protection. - enfin, il est une série d’éléments qui concerne l’identité de la personne ; Le domicile en constitue l’élément principal ; il est protégé tout d’abord au titre de l’adresse, qui n’a pas à être divulguée, sauf accord de l’intéressé, ou bien si celui-ci cherche à échapper des obligations légales Au-delà, ce sont tout simplement les éléments composants le cadre de vie du domicile qui sont protégés ; ainsi, une photo prise à l’intérieur de celui-ci portera atteinte à la vie privée de son propriétaire, à moins qu’il ait donné son accord pour la publication L’image ; élément essentiel, que l’on tend presque à distinguer de la vie privée, pour lui conférer une protection presque autonome ; la question reste le sujet d’éternels débats A ce titre, on rappellera que le droit à l’image est normalement distinct du droit au respect de la vie privée, puisque son champ d’application va bien au-delà Pour autant, la publication de l’image d’une personne en relation avec sa vie privée pourra être considérée comme une atteinte à son droit au respect de la vie privée, et peut même constituer une infraction (article 226-1 du Code pénal) Enfin, on peut signaler que la « tranquillité » de la personne constitue également un élément du droit au respect de la vie privée, sans égard pour le contenu de celle-ci ; dès lors, le seul fait de troubler cette tranquillité constitue en soi une atteinte à ce droit, même si aucune information n’est soutirée ou divulguée On doit ainsi garder à l’esprit que c’est bien « toute immixtion » dans la vie privée d’autrui qui constitue une atteinte à ce droit, sans avoir à actionner l’article 1240 du Code civil en la matière La Cour de cassation l’a récemment rappelé dans un arrêt de la 1ère Chambre civile en date du 20 mai 2020, dont les faits étaient relatifs à l’envoi de messages malveillants sur le téléphone d’une personne, sans avoir fait l’objet d’une publication par ailleurs 2) La liberté d’expression, limite au droit au respect de la vie privée Le droit au respect de la vie privée connaît plusieurs limites, légitimées par l’exercice d’autres droits et libertés, ou bien par les nécessités liées à certains impératifs (sécurité publique) Nous ne nous attarderons que sur la liberté d’expression, qui constitue la limite la plus importante, et celle ayant donné lieu au contentieux le plus abondant Cela est logique, car le droit au respect de la vie privée est avant tout un droit « défensif », qui vise à préserver la personne de toute atteinte ou intrusion commise par des tiers ; au sens large, 8 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 le fait de divulguer et communiquer des informations relatives à la vie privée constitue une telle atteinte ; c’est bien pourquoi les contentieux en la matière portent assez systématiquement sur cette problématique Pour autant, il arrive qu’une telle divulgation soit légitime ; tel est le cas lorsque les informations divulguées présentent un intérêt pour le droit du public à l’information, soit parce qu’elles impliquent des sujets d’actualité, soit parce qu’elles mettent en cause des personnalités publiques, soit parce qu’elles intéressent la recherche sur des faits historiques, qui peuvent parfois être récents En la matière, la Cour européenne des droits de l’Homme a établi une jurisprudence essentielle en matière d’équilibre entre la vie privée et la liberté d’expression, ses décisions ayant inspiré celles des juridictions nationales, y compris la Cour de cassation Plusieurs arrêts remarquables peuvent être évoqués : Cour Européenne des Droits de l’Homme, 24 juin 2004, Von Hannover c. Allemagne, n° 59320/00, dans lequel la Cour a affirmé que toute personne dispose d’une « espérance légitime » de voir sa vie privée préservée de toute intrusion par des tiers Cour européenne des droits de l’Homme, 2ème Sect., 18 mai 2004, Plon c./ France, n° 58148/00, dans lequel la Cour a affirmé que l’interdiction de publication d’un livre relatif à la maladie dont souffrait le Président François Mitterrand, et paru peu de temps après sa mort, ne pouvait faire l’objet d’une interdiction définitive pour atteinte à la vie privée, dès lors qu’il est d’intérêt public de connaître ces faits, relatifs à une personnalité politique, ne serait-ce qu’au titre des recherches historiques Cette recherche d’équilibre a également été formalisée par la Cour de cassation à plusieurs reprises, et ses critères se sont affinés dans le temps Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 21 février 2006 : le fait de filmer un individu endormi suite à un état d’ébriété, à son insu dans une boîte de nuit, et de diffuser l’image de celui-ci dans le cadre d’un reportage télévisé relatif aux dangers de l’alcool au volant constitue une atteinte à la vie privée ; l’existence d’un débat d’intérêt général ne justifie pas que cet individu soit filmé dans de telles circonstances, et que son visage soit reconnaissable lors de la diffusion du reportage Cour de cassation, 1ère chambre civile, 27 février 2007 : la révélation de l’existence d’un enfant naturel du prince Albert de Monaco, alors que la Constitution de la Principauté exclut la transmission dynastique à l’égard des enfants hors mariage, ne concerne pas la vie publique de l’intéressé et constitue donc une atteinte à la vie privée Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 31 octobre 2012 : l’allégation d’une relation sentimentale entre une femme politique (Ségolène Royal) et une autre personne présente à côté d’elle sur une photographie prise au cours d’un repas est une atteinte à la vie privée, quand bien même la photographie aurait été prise au cours d’une visite locale informelle, mais publique, de cette personne ; l’atteinte à la vie privée procède aussi d’une atteinte au droit à l’image dès 9 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 lors que la photographie avait été recadrée et décontextualisée, pour se centrer sur le couple de personnes auxquelles on imputait une relation sentimentale La solution rendue par la Cour dans l’arrêt du 27 février 2007 a finalement été remise en cause devant la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Couderc et Hachette Filipacchi c./ France, du 10 novembre 2015 La Cour de cassation en a par la suite tiré les conclusions en reprenant les critères dégagés par la Cour européenne pour mieux garantir l’équilibre entre le droit au respect de la vie privée et l’exercice de la liberté d’expression Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 11 mars 2020 et 21 mars 2018 « Le droit au respect dû à la vie privée et à l'image d'une personne et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime. Pour effectuer cette mise en balance des droits en présence, il doit prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que les circonstances de la prise des photographies, et procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères » La jurisprudence contient depuis de très nombreux exemples de cette recherche d’équilibre, dont voici quelques-uns Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 10 octobre 2019 : le fait de révéler l’existence d’une résidence secondaire, d’en indiquer la localisation et de diffuser des vues aériennes de celle-ci (similaires à celle de Google maps) ne constitue pas une atteinte au droit au respect de la vie privée, dès lors qu’elle appartient au dirigeant d’une entreprise dont les pratiques font l’objet même du reportage, et qu’une manifestation filmée a effectivement eu lieu dans la commune où se trouve ladite résidence ; par ailleurs, aucune autre information, telle que l’adresse exacte, où la fréquence à laquelle elle est habitée, n’a été divulguée Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 14 juin 2023, n° 22-15.155 : la révélation de l’identité d’un huissier de justice, et de celle de son épouse, dans la presse, dans un article relatant qu’un débiteur mécontent avait déversé un tas de fumier devant leur domicile, n’est pas une information de nature à éclairer le débat public, compte-tenu de la notoriété limitée de l’intéressé, et constitue donc une atteinte à sa vie privée 10 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 B. Le droit à l’image Bien qu’il ne figure officiellement dans aucun article du Code civil, le droit à l’image est formellement rattaché à l’article 9, qui consacre le droit au respect de la vie privée Pour autant, son contenu et sa portée s’en distinguent sur le plan matériel (1) ; par ailleurs, un processus de patrimonialisation de ce droit a également pu être relevé de manière plus substantielle, ce qui en fait une particularité remarquable (2) 1) Le contenu du droit à l’image Nous verrons d’abord le principe même du droit à l’image, avant d’en évoquer les différentes limites ; la liberté d’expression constitue certainement la plus importante d’entre elles, bien qu’un certain équilibre soit à rechercher entre les deux Le droit à l’image peut être défini assez simplement, par deux prérogatives distinctes : - toute personne a un droit sur son image lui permettant d’en autoriser ou d’en interdire la reproduction par un procédé quelconque (photographies, séquences audiovisuelles, dessins,…) - au-delà de la reproduction, toute personne a également un droit lui permettant d’autoriser ou d’interdire la diffusion et/ou l’utilisation de son image, et d’en contrôler les conditions (diffusion télévisuelle, affichage de la photo, diffusion sur un site web, reproduction dans un journal,…) Comme nous avons pu l’évoquer, la première expression jurisprudentielle de ce droit date d’une affaire jugée par le Tribunal civil de la Seine le 16 juin 1858, relative à la reproduction de l’image d’une célèbre actrice (Rachel) sur son lit de mort, et à la diffusion de cette image dans la presse écrite De nombreux exemples peuvent être trouvés en jurisprudence pour illustrer la portée de ce droit à l’image Tous les procédés de reproduction de l’image de la personne sont concernés, que celle-ci soit totale ou partielle La photographie et l’audiovisuel viennent en premier lieu comme procédés de captation de l’image dont l’utilisation doit en principe être autorisée par la personne ; le dessin en fait également partie, dès lors que la personne est aisément identifiable ; il en est de même avec le numérique, ou l’utilisation du visage d’une personne dans un jeu vidéo Utilisation de l’image d’une personne dans un jeu vidéo Cette hypothèse a déjà pu donner lieu à des contentieux, notamment en France, et est vouée à se reproduire, compte-tenu du développement des techniques graphiques, qui permettent de restituer l’image d’une personne avec une grande 11 Droit civil – Licence 1ère année S1 – Cours de M. Philippe Mouron – 2024-2025 Séance du 14 novembre 2024 précision, et de la tendance d’un grand nombre de jeux à s’emparer d’évènement et de personnages réels dans leur scénario Voir not. : Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 16 juillet 1998 Au-delà, le droit à l’image s’étend au devenir de l’image captée ; la télédiffusion de la photographie ou de la séquence audiovisuelle font ainsi l’objet du même principe d’autorisation ; il en est de même avec la publication dans la presse, l’exposition, la diffusion sur un site web, l’affichage public,… 12

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