Développement affectif et social des enfants de 6 à 11 ans PDF
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Ce chapitre examine le développement affectif et social des enfants de 6 à 11 ans. Il aborde le développement du concept de soi, les approches théoriques, les relations avec la famille et les pairs, et l'évolution de l'estime de soi. La mise en situation illustre la capacité des enfants de cet âge à s'exprimer et à interagir avec leur entourage.
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Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans PLAN DU CHAPITRE 8.1 Le soi en développement 8.3.3 La conciliation travail-famille 8.1.1 La représentation de soi 8.3.4 La pauvreté et l’éducation des enfants...
Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans PLAN DU CHAPITRE 8.1 Le soi en développement 8.3.3 La conciliation travail-famille 8.1.1 La représentation de soi 8.3.4 La pauvreté et l’éducation des enfants 8.1.2 Le développement émotionnel 8.3.5 La structure familiale 8.2 Le développement de la personnalité de 8.4 Le développement affectif, social 6 à 11 ou 12 ans : les approches théoriques et sexuel 8.2.1 La théorie psychosexuelle de Freud 8.4.1 L’inuence des pairs sur l’enfant 8.2.2 La théorie psychosociale d’Erikson 8.4.2 La popularité 8.3 L’enfant et sa famille 8.4.3 L’amitié à l’âge scolaire 8.3.1 La corégulation et la discipline 8.4.4 Les agressions et l’intimidation 8.3.2 Les relations avec les frères et sœurs 8.4.5 La sexualité es nouvelles capacités cognitives permettent à d’une importance capitale pour assurer l’encadre- L l’enfant d’âge scolaire de développer un concept de soi plus réaliste et plus complet. L’entrée à l’école apporte aussi un changement majeur dans ment nécessaire au désir d’autonomie croissant de l’enfant. Néanmoins, certains problèmes soulevés par la conciliation travail-famille rendent parfois cet sa vie affective et sociale, puisqu’il passe mainte- encadrement difcile. En outre, les interactions avec nant de nombreuses heures en dehors de sa famille. les pairs, qui sont de plus en plus présents dans la Ainsi, même si les relations familiales sont toujours vie de l’enfant, lui ouvrent de nouvelles perspec- d’une importance fondamentale, l’univers de l’en- tives, l’aident à mieux se connaître et lui procurent fant d’âge scolaire s’élargit considérablement, ce qui les joies de l’amitié, un type de relation qui prendra l’amène à se créer une vie de plus en plus autonome une importance croissante au fur et à mesure que et indépendante. La présence des parents demeure l’enfant progresse vers l’adolescence. 270 CHAPITRE 8 Mise en SITUATION La correspondante de Charlotte Dans le cadre d’une activité au service de garde, une éducatrice a mis sur pied un projet de correspondance par courriel avec des élèves du même âge en Belgique. Voici donc la première lettre que Charlotte, 10 ans, écrit à sa nouvelle correspondante, Delphine. Bonjour Delphine, Je suis heureuse de pouvoir t’écrire et j’ai hâte de savoir comment ça se passe dans ton pays. Aujourd’hui, je vais te parler de moi, de ma famille et de mes amis. Je m’appelle Charlotte, j’ai 10 ans, j’ai les cheveux châtains, longs, et les yeux bruns. J’habite beaucoup, même si des fois il dessine dans mes cahiers d’école. Le Montréal et je suis en quatrième année B. Dans ma classe, on est matin, c’est moi qui prépare ses céréales et qui l’aide à s’habiller pen- 26 élèves. Ma meilleure amie s’appelle Florence et quand on se dant que maman fait les boîtes à lunch. La n de semaine, c’est diffé- dispute, je suis un peu fâchée, mais je continue quand même rent. Une n de semaine sur deux, je vais chez mon père qui s’appelle de jouer avec elle parce que je sais qu’on a presque toujours les Marc-André, mais pas William parce que ce n’est pas son père à lui. mêmes goûts. Là, je vois ma sœur Alice, qui est encore un bébé et qui est en fait ma demi-sœur, et aussi Julie, qui a sept ans. C’est la lle de Josée, l’amie À l’école, je suis très bonne en lecture et en dictée, mais pas très de mon père. Julie et moi, on joue ensemble, mais je la trouve un peu bonne en anglais. La plupart de mes amis sont bien meilleurs que bébé des fois. Sinon, l’autre n de semaine, c’est Jonathan, le ls de moi, mais je veux quand même apprendre l’anglais pour aller visiter Greg, qui vient vivre avec nous. Il a 13 ans et il fait surtout des activi- d’autres pays et pouvoir parler avec les gens. Les mathématiques, tés avec son père. Sinon, il joue tout le temps à des jeux vidéo, mais c’est ma matière préférée. Hier, j’ai réussi à résoudre tous les pro- des fois, il accepte de me laisser jouer un peu. As-tu deux familles toi blèmes, et Valérie, mon enseignante, m’a demandé ensuite d’aider aussi ? ceux qui n’avaient pas compris. J’aime beaucoup aider les autres à l’école, même Frédéric. Il est tout le temps trop gêné, et personne ne J’ai hâte de recevoir ta lettre et de te connaître un peu plus. veut jouer avec lui. Il y a même des grands de sixième année qui lui Charlotte volent des choses, et il ne dit rien. Je vais te présenter ma famille, mais tu vas voir, c’est un peu com- Tout au long de la lecture de ce chapitre, référez-vous pliqué. Pendant la semaine, je vis avec ma mère qui s’appelle Diane, à cette mise en situation pour répondre aux questions mon beau-père Greg et mon frère William, qui a trois ans. Je l’aime qui s’y rapportent. 8.1 Le soi en développement Les progrès de l’enfant d’âge scolaire sur le plan cognitif lui permettent désormais de développer une image de soi beaucoup plus complexe et réaliste. Or, cette transition favorise l’approfondissement du développement de l’enfant sur le plan émotionnel. 8.1.1 La représentation de soi La lettre écrite par Charlotte, présentée dans la mise en situation, montre bien com- ment l’enfant d’âge scolaire est désormais capable de parler de lui plus facilement que dans la période précédente. En effet, les nouvelles capacités cognitives de l’enfant qui a atteint l’âge de sept ou huit ans l’amènent à développer un concept de soi beaucoup plus nuancé qu’auparavant. Les jugements qu’il porte sur lui-même deviennent plus complets et plus réalistes, puisqu’ils peuvent maintenant inclure à la fois des éléments positifs et négatifs. Mise en situation La description que Charlotte fait d’elle-même le démontre : elle peut décrire plusieurs ci-dessus aspects différents de sa personne, et elle le fait en apportant des nuances. Elle se décrit ainsi comme une élève bonne dans certaines matières et moins bonne dans d’autres. Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans 271 De plus, sa description inclut des jugements concernant ses propres valeurs ou préférences : « J’aime beaucoup aider les autres [...] » Enn, Charlotte peut se dénir en se comparant à d’autres enfants de son âge, ce qui contribue au développement de son estime de soi. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 6, le concept de soi d’un enfant évolue avec l’âge. Vers sept ou huit ans, les jugements que l’enfant porte sur lui-même deviennent Le concept de soi plus réalistes et plus nuancés. Le soi réel et le soi idéal Durant la période préscolaire, la conception de soi de l’enfant était relativement Soi réel simple : l’enfant se décrivait en termes concrets et selon un seul point de vue. À l’âge Idée qu’une personne se fait de ce scolaire apparaissent les notions du soi réel, qui représente ce qu’une personne est qu’elle est vraiment. vraiment, et du soi idéal, qui correspond à ce que la personne voudrait être. Lorsque l’enfant acquiert la nuance entre ces deux notions, il est davantage en mesure de Soi idéal prendre conscience de la distance qui le sépare de son idéal ou de son objectif, comme Idée qu’une personne se fait de ce le fait Charlotte lorsqu’elle évoque ses performances en anglais. qu’elle aimerait être. Un écart important entre le soi réel et le soi idéal est habituellement un signe de maturité (Maccoby, 1980). En effet, en évaluant la différence entre le soi réel et le soi idéal, l’enfant peut se xer des objectifs plus élevés qui le feront alors évoluer ; il contribue par le fait même à son propre développement. Le soi idéal, qui fait partie intégrante du concept de soi, est nettement inuencé par les standards de la société. En effet, les jugements que les enfants portent sur eux-mêmes se basent sur les normes véhiculées dans leur famille et leur communauté. Par exemple, la réussite scolaire est généralement favorisée, mais dans certains milieux, cela reste tout à fait secondaire, surtout pour les lles. L’évolution de l’estime de soi et le soutien social Le soutien social que l’enfant reçoit des membres de sa famille, de ses camarades de classe et de ses enseignants lui fournit des messages importants. Les gens de son Mise en situation, p. 270 entourage sont-ils attentifs à lui ? Le traitent-ils comme une personne qui a de la valeur Comment l’enseignante à leurs yeux, qui a des choses intéressantes à dire ? Si l’enfant ressent qu’il occupe aide-t-elle Charlotte à une place bien à lui dans l’esprit des personnes qui sont importantes dans sa vie, il se développer une bonne estime sent alors valorisé. De fait, un enfant qui n’est pas soutenu dans ses perceptions par de soi ? les messages de son entourage ne pourra pas entretenir une estime de soi élevée. Par contre, la présence de ce soutien accentue alors son estime de soi qui, comme nous l’avons déjà mentionné, représente sur plusieurs plans, et notamment sur le plan émotionnel, un gage de développement sain pour l’enfant (Duclos, 2010). 8.1.2 Le développement émotionnel Plus les enfants vieillissent, plus ils sont conscients de leurs émotions et de celles des autres. Ils peuvent donc adapter leurs réactions émotionnelles aux situations dans les- quelles ils se trouvent et, comme nous l’avons vu dans le chapitre 4, ils peuvent expé- rimenter des émotions plus complexes comme la erté, la honte et la culpabilité. Vers l’âge de sept ou huit ans, cette perception devient particulièrement aiguë, les enfants de cet âge faisant très bien la distinction entre la culpabilité et la honte. Cet âge est également marqué par une plus grande aptitude de l’enfant à verbaliser des émotions contradictoires, ce qui représente une nouvelle habileté émotionnelle. Dans la mise en situation, on voit en effet que Charlotte parvient à nuancer ses émotions lorsqu’elle parle de son amie Florence. Harter (1996) dénit ainsi chez l’enfant plusieurs niveaux de compréhension des émotions contradictoires (voir le tableau 8.1, page suivante). Le contrôle des émotions négatives est une autre dimension du développement émo- tionnel. Les enfants d’âge scolaire sont de plus en plus en mesure de comprendre ce L’importance des pairs dans l’estime qui les met en colère, les rend tristes et leur fait peur, ainsi que la façon dont les autres de soi réagissent à ces émotions. Ils font aussi la différence entre ressentir une émotion et La valorisation des pairs est importante l’exprimer ; en prenant conscience des normes culturelles qui régissent l’expression pour l’estime de soi à l’âge scolaire. 272 CHAPITRE 8 TABLEAU 8.1 Les niveaux de compréhension des émotions contradictoires chez l’enfant (selon Harter) Niveau (âge) Ce que l’enfant comprend Ce que l’enfant pourrait dire Niveau 0 L’enfant ne peut comprendre l’existence d’émotions contradictoires. « Tu ne peux pas avoir deux émotions en même temps, parce que (3-6 ans) Il ne peut même pas concevoir que deux émotions telles que la colère tu n’as qu’un seul cœur. » et la tristesse puissent coexister. Niveau 1 L’enfant catégorise les émotions en émotions positives ou négatives. Il peut « Si mon frère me frappait, je serais triste et en colère. » (6-7 ans) reconnaître l’existence de deux émotions simultanées, mais seulement lorsque les émotions sont similaires et qu’elles concernent une même situation. Niveau 2 L’enfant peut reconnaître la coexistence de deux émotions similaires « J’étais très excité d’aller rendre visite à mes grands-parents au (7-8 ans) se rapportant à des situations différentes. Toutefois, il ne comprend pas Mexique. Je n’avais pas peur de prendre l’avion. Je ne pourrais pas encore la coexistence de deux émotions contradictoires. avoir peur et être content en même temps. » Niveau 3 L’enfant peut comprendre qu’il est possible d’avoir des émotions contradic- « J’étais fâchée contre mon frère, alors je l’ai pincé, mais je suis (8-10 ans) toires, mais seulement si elles se rapportent à des objets différents. contente parce que mon père ne s’est pas fâché contre moi. » Niveau 4 L’enfant peut décrire des émotions contradictoires dirigées vers une « Je suis contente de fréquenter ma nouvelle école, mais j’ai aussi (11-12 ans) même situation. un peu peur. » des émotions, ils apprennent à se comporter selon les attentes de leur milieu (Cole, Bruschi et Tamang, 2002). Avez-vous déjà reçu un cadeau que vous n’aimiez pas ? Avez-vous déjà eu à conte- nir votre colère pour ne pas vous attirer des ennuis ? L’habileté à feindre d’aimer un Autorégulation émotionnelle cadeau ou à sourire lorsque vous êtes fâché relève de l’autorégulation émotionnelle. Processus par lequel une personne Celle-ci nécessite une volonté et un effort pour contrôler ses émotions, son attention exerce un contrôle volontaire sur et son comportement. Les enfants qui ont une faible volonté de contrôle ont tendance ses émotions, son attention et son à se mettre visiblement en colère et à être frustrés lorsqu’on les interrompt ou qu’on comportement. les empêche de faire ce qu’ils veulent. Au contraire, ceux qui ont une bonne volonté de contrôle peuvent réprimer leur impulsion de manifester une émotion négative dans un moment inapproprié. Cette capacité de contrôler ses émotions, qui inue sur l’adapta- tion de l’enfant à l’école, peut être liée au tempérament, mais elle augmente générale- ment avec l’âge. Une faible volonté de contrôle peut aussi indiquer des problèmes de comportement ultérieurs (Eisenberg et al., 2004). Les comportements prosociaux et altruistes apparaissent à l’âge préscolaire, comme nous l’avons déjà vu, et se renforcent à la période scolaire, alors que les enfants deviennent encore plus enclins à l’empathie. Il semble que l’empathie soit « program- mée » dans le cerveau des enfants normaux. Une étude de l’activité cérébrale chez des enfants de 7 à 12 ans a montré que la région préfrontale était activée lorsqu’on leur Les comportements prosociaux montrait des images de personnes souffrantes (Decety et al., 2009). Les comportements prosociaux sont Les comportements prosociaux sont le signe d’une bonne adaptation émotionnelle de plus fréquents chez les enfants qui ont une estime de soi élevée. l’enfant, qui aura tendance à agir correctement dans une situation sociale, à manifester peu d’émotions négatives et à gérer les problèmes de manière constructive. Les enfants qui possèdent une estime de soi élevée semblent plus portés à offrir spontanément leur Mise en situation, p. 270 aide à ceux qui ont moins de chance qu’eux, ce qui, en retour, renforce leur estime de soi, comme le fait Charlotte avec Frédéric dans la mise en situation (Karafantis et Levy, 2004). FAITES LE POINT 1. Expliquez pourquoi l’enfant d’âge scolaire est capable de faire une description de lui-même plus juste qu’auparavant. 2. Faites la distinction entre le soi réel et le soi idéal. 3. Quel lien peut-on faire entre l’estime de soi et les comportements prosociaux ? Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans 273 8.2 Le développement de la personnalité de 6 à 11 ou 12 ans : les approches théoriques Comme ce fut le cas pour les périodes d’âge précédentes, nous allons examiner Période de latence l’évolution de la personnalité de l’enfant de 6 à 11 ou 12 ans selon les théories de Selon Freud, quatrième étape du Freud et d’Erikson. développement psychosexuel caracté- risée par le refoulement des pulsions 8.2.1 La théorie psychosexuelle de Freud sexuelles causé par la présence du surmoi et par leur sublimation dans Selon Freud, après la « tempête » provoquée par le complexe d’Œdipe décrite dans le des activités scolaires, sociales et chapitre 6, au cours de laquelle l’enfant vit beaucoup d’anxiété et d’émotions intenses, culturelles. survient la période de latence. Cette période se distingue par l’absence d’investis- sement de l’enfant dans une zone érogène particulière, d’où son nom de « période » Stade génital Selon Freud, dernier stade plutôt que de « stade ». Pour Freud, il s’agit d’une période de repos pendant laquelle psychosexuel normalement atteint l’enfant se détourne des préoccupations d’ordre sexuel. Si l’enfant a résolu son com- au cours de l’adolescence et menant plexe d’Œdipe en s’identiant au parent de même sexe, il bénécie maintenant d’un à la maturité sexuelle. surmoi qui le rend plus conscient des règles sociales, règles qu’il choisit désormais de suivre volontairement. Ainsi, la présence du surmoi facilite son respect des règle- Travail versus infériorité ments et de la discipline inhérents à la vie scolaire (Golse, 2001). L’identication peut Selon Erikson, quatrième crise dans la en outre favoriser la motivation scolaire de l’enfant, puisque celui-ci voudra alors, par théorie du développement psychosocial, au cours de laquelle l’enfant doit faire son entrée à l’école, suivre les traces de ses parents. La période de latence se caracté- l’apprentissage de certaines habiletés rise par le développement de compétences intellectuelles et d’habiletés sociales large- favorisées par la culture à laquelle il ment présentes dans le contexte scolaire. appartient. Il doit aussi être conscient de ses limites, sans développer un C’est aussi à cette étape du développement de sa personnalité que l’enfant commence sentiment d’infériorité. à utiliser plus fréquemment les mécanismes de défense dont nous avons mentionné l’existence dans le chapitre 1. Dans la théorie freudienne, un mécanisme de défense est une stratégie inconsciente mise en place par le moi et qui tente de diminuer l’angoisse provenant généralement d’un conit psychique entre une pulsion et les règles morales imposées par la société. C’est donc un moyen souvent irrationnel de réagir à l’anxiété en niant ou en déformant la réalité. Le tableau 8.2 (voir la page suivante) présente les principaux mécanismes de défense du moi. Avec l’arrivée de la puberté, soit autour de 12 ans, l’enfant entre dans le dernier stade psychosexuel, que Freud a appelé le stade génital. Au cours de ce stade, l’adoles- cent acquiert la maturité sexuelle, c’est-à-dire la capacité d’avoir des relations sexuelles procréatrices. La libido, cette source d’énergie qui alimente les pul- sions sexuelles, connaît alors une résurgence remarquable. Selon Freud, c’est en effet à l’adolescence que la plupart des individus commencent à avoir des relations sexuelles complètes et adoptent un mode de gratication sexuelle semblable à celui des adultes. 8.2.2 La théorie psychosociale d’Erikson Comme Freud, Erikson considère les années scolaires comme une période plus calme sur le plan affectif. En parallèle avec la période de latence, il met l’accent sur la maî- trise d’habiletés qui serviront à l’enfant dans un contexte scolaire. La quatrième crise, qui survient de 6 à 11 ans, est celle qu’Erikson appelle travail infériorité. Les habiletés culturelles Pendant cette période, l’enfant doit faire l’apprentissage des habiletés et des tâches Selon Erikson, en s’initiant à la prépara- qui sont requises dans sa société d’appartenance et doit fournir un travail produc- tion du repas, cette jeune lle apprend tif. C’est la période où les enfants inuits apprennent à chasser et à pêcher, et où les le fonctionnement de la société dans garçons arapesh de Nouvelle-Guinée apprennent à fabriquer des arcs et des èches laquelle elle vit et la signication d’un et à poser des pièges, tandis que les lles apprennent à semer, à désherber et à récol- travail correctement effectué. ter. Les enfants des pays industrialisés apprennent pour leur part à lire, à écrire, à compter et à utiliser l’ordinateur. Ils apprennent aussi à jouer en équipe et peuvent Mise en situation, p. 270 développer des talents artistiques. Par ailleurs, comme Charlotte qui s’occupe de 274 CHAPITRE 8 TABLEAU 8.2 Les mécanismes de défense du moi (selon Freud) Mécanisme de défense Dénition Exemple Le déni ou la négation Nier la réalité d’une situation angoissante. Vincent a perdu son père dans un accident de travail, mais il continue de parler de celui-ci à ses camarades de classe comme s’il était toujours vivant. Le déplacement Déplacer une réaction sur une autre cible que celle sur Maya, qui vient d’être grondée par son père, s’emporte contre laquelle elle est réellement dirigée. son frère qui veut lui emprunter son jeu vidéo. La formation réactionnelle Exprimer des émotions ou agir de façon contraire à ce qu’on Carl aimerait être choisi pour représenter sa classe ressent réellement. aux olympiades de mathématiques, mais comme il a peu de chances d’être élu, il clame haut et fort que ces olympiades ne sont qu’une perte de temps et que cela ne l’intéresse pas. La projection Prêter à l’autre des intentions, des désirs et des besoins Maryse joue à un jeu de société et meurt d’envie de tricher, (généralement négatifs) qui sont inconsciemment les nôtres. mais se retient. Cependant, elle accuse constamment les autres d’essayer de tricher. Le refoulement Reléguer dans l’inconscient un souvenir ou une représentation Caroline a subi des attouchements sexuels de la part de son qui suscite trop d’angoisse. beau-père lorsqu’elle avait cinq ans, mais elle n’en garde aucun souvenir conscient. La régression Retourner à des modes d’expression ou à des conduites Depuis la séparation de ses parents, Justin, cinq ans, recom- caractéristiques d’un stade antérieur. mence à mouiller son lit la nuit. La sublimation Canaliser dans une activité socialement acceptable une Marco manifestait des problèmes d’agressivité. Il s’est inscrit pulsion qui ne l’est pas. à un club de boxe, ce qui l’aide à canaliser cette agressivité. La rationalisation Cacher les véritables motivations de ses pensées, de ses Félix n’a pas été sélectionné par le club élite de hockey. Il sentiments sous des justications raisonnables ou socialement afrme qu’il est bien content parce qu’il pourra avoir plus de acceptables. temps à passer avec ses amis. L’identication Assimiler de façon inconsciente certains aspects de la person- Adèle admire sa cousine adolescente. Sans s’en rendre compte, nalité d’une autre personne. elle imite sa façon de parler, son style vestimentaire et ses choix musicaux. son frère plus jeune, tous les enfants apprennent à participer aux rouages de la vie en société. Selon Erikson, si l’enfant résout cette crise, il développe une force adaptative particu lière : la compétence, c’est-à-dire le sentiment de pouvoir maîtriser et accom- plir les tâches qui lui incombent. En comparant ses propres compétences à celles de ses pairs, l’enfant va alors acquérir une meilleure connaissance de lui-même et de ses limites. Toutefois, la comparaison sociale inhérente à cette période qui s’étend de 6 à 11 ans peut aussi amener l’enfant à développer un sentiment d’infériorité vis-à-vis de ses pairs. Comme dans les crises précédentes, c’est un juste équilibre entre les deux pôles (travail et infériorité) qui va favoriser le développement d’une saine personnalité. Ainsi, l’enfant doit être conscient de la possibilité de l’échec. Le sentiment d’infériorité ressenti par l’enfant ne s’avère donc MYTHE OU RÉALITÉ pas obligatoirement négatif, car il l’aide à développer un concept de soi plus réaliste. Cependant, si l’enfant est constamment écrasé par un sen- Un enfant de huit ans devrait être capable de timent d’infériorité, il tend alors à être incompétent et à ne plus avoir de faire son lit et de garder sa chambre en ordre. motivation pour le travail et l’apprentissage. L’enfant peut même régres- Exact. À cet âge, un enfant aime se sentir utile, et ser à une crise antérieure et perdre alors le sens de l’initiative. À l’op- le fait de participer aux tâches ménagères l’aide à posé, un enfant trop axé sur la performance et la perfection peut devenir se responsabiliser et à développer un sentiment un bourreau de travail ou ne pas tolérer l’échec. Pour Erikson (1982), de compétence. la résolution de cette crise est donc déterminante pour l’estime de soi de l’enfant. Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans 275 Les parents inuencent fortement le sentiment de compétence d’un enfant. Dans une étude longitudinale portant sur 514 enfants américains de classe moyenne, les croyances des parents au sujet des compétences de leurs enfants en mathématiques et en sports étaient fortement associées aux croyances des enfants sur leurs propres compétences (Fredricks et Eccles, 2002). DANS LA TÊTE DE L’ENFANT Une bonne façon de favoriser le développement de la personnalité de l’enfant au cours de la crise « travail versus infériorité » est de lui montrer qu’on accorde de la valeur à ce qu’il fait et à ce qu’il apprend. Pour y arriver, on peut lui demander, par exemple, de nous raconter comment s’est déroulée une activité effectuée avec une autre éducatrice ou encore on peut lui demander ce qu’il a appris dans la journée avec son enseignant. Autour de 12 ans, une nouvelle crise majeure va, selon Erikson, marquer l’adoles- Identité versus confusion cence. Il s’agit de la crise de l’identité versus la confusion des rôles. Elle consiste en des rôles une confrontation entre l’accession à l’identité et la confusion identitaire. L’adolescent Selon Erikson, cinquième crise du doit résoudre cette crise pour devenir un adulte unique doté d’une conception de soi développement psychosocial au cours cohérente et pour jouer un rôle utile dans la société. Pour Erikson, l’identité se dénit de laquelle l’adolescent cherche à en effet comme une conception uniée du soi, composée d’objectifs, de valeurs et de acquérir un sens cohérent du soi et du croyances auxquels la personne est fortement attachée. rôle qu’il jouera au sein de la société. Pour Erikson, les efforts que font les adolescents s’insèrent dans un processus sain et vital qui tire parti des réalisations effectuées dans les étapes précédentes (la conance, l’autonomie, l’initiative, le travail) et qui prépare l’individu aux dés qu’il affrontera à l’âge adulte. FAITES LE POINT 4. Décrivez ce qui se passe, selon Freud, au cours de la quatrième étape du développement psychosexuel. 5. Selon l’approche psychanalytique, qu’est-ce qu’un mécanisme de défense ? Décrivez-en trois. 6. Jérémie, neuf ans, a trouvé un petit chien abandonné et il aimerait bien le garder. Ses parents hésitent, puis ils nissent par accepter à la condition que ce soit Jérémie qui s’en occupe. Ils considèrent que leur ls est maintenant capable d’assumer certaines responsabilités. Selon Erikson, comment la responsabilité de l’animal et l’attitude des parents de Jérémie contribuent-elles à son développement ? 7. Vous avez l’impression que Louis-Philippe a développé des sentiments envers Marie. Pourtant, quand il la voit, il lui dit qu’elle est « laide » et qu’« elle pue ». Vous croyez que Louis-Philippe utilise un mécanisme de défense. De quel mécanisme de défense s’agit-il ? 8.3 L’enfant et sa famille L’enfant d’âge scolaire consacre désormais plus de temps qu’auparavant à l’école et aux activités organisées : il possède donc maintenant une vie bien à lui. Malgré cela, ses relations familiales demeurent une partie très importante de sa vie. Ainsi, pour comprendre ce qu’il vit, il faut examiner le climat et la structure particulière de son environnement familial et garder en tête que cet environnement est aussi inuencé par ce qui se passe en dehors des murs de la maison. En effet, selon la théorie de Bronfenbrenner que nous avons abordée dans le chapitre 1, de nombreux éléments (tels que les revenus des parents, leur scolarité, le quartier qu’ils habitent, la qualité 276 CHAPITRE 8 des services qui y sont offerts, etc.) situés à différents niveaux systémiques ont une incidence sur la famille et, par conséquent, sur le développement des enfants qui y grandissent. 8.3.1 La corégulation et la discipline Les bébés n’ont pas beaucoup à dire sur ce qui leur arrive ; ils sont exposés à ce à quoi leurs parents choisissent de les exposer et expérimentent ce que leurs parents décident qu’ils doivent expérimenter. Toutefois, à mesure que les enfants grandissent et deviennent plus autonomes, il s’effectue un changement de pouvoir : le contrôle des comportements passe graduellement des parents à l’enfant. Les enfants commencent à vouloir vivre certains types d’expériences, demandent des mets particuliers, négo cient pour obtenir des objets qu’ils désirent et communiquent à leurs parents leurs nou veaux besoins. Le pouvoir social devient ainsi plus égalitaire entre parents et enfant. La corégulation représente le mécanisme par lequel les parents et l’enfant partagent Corégulation désormais le pouvoir : les parents supervisent le comportement général de l’enfant, Étape transitionnelle dans le contrôle du comportement de l’enfant durant et ce dernier fait montre d’autorégulation. Les interventions des parents peuvent laquelle les parents le supervisent de alors devenir de moins en moins fréquentes, l’enfant étant apte à exercer un meilleur façon moins intense qu’auparavant, contrôle sur luimême. Celuici peut donc choisir ses propres vêtements, l’heure à en lui laissant plus de possibilités laquelle il fait ses devoirs, les activités parascolaires auxquelles il s’inscrit, etc. Ainsi, d’utiliser l’autorégulation. les parents ne devraient intervenir de manière directe que lorsque c’est nécessaire, puisque la maturité de l’enfant sera davantage favorisée s’ils lui permettent de réé chir par luimême et d’exercer son jugement. Par exemple, dans les conits avec les pairs, les parents n’interviennent plus directement, mais ils réagissent en discutant avec leur enfant. Les enfants sont plus enclins à se conformer aux désirs de leurs parents lorsqu’ils se rendent compte que ceuxci sont équitables et qu’ils se préoc cupent de leur bienêtre. Le passage à la corégulation agit sur la façon dont les parents disciplinent leurs enfants. La plupart des parents d’enfants d’âge scolaire ont en effet tendance à recou rir plus souvent à des techniques de persuasion qu’à des stratégies de punition. Par exemple, ils peuvent montrer à l’enfant comment ses actions affectent les autres («Rire d’un autre enfant va le rendre triste »), faire appel à son estime de soi («Qu’estil arrivé au petit garçon d’hier soir, si serviable ? »), recourir à des valeurs morales (« Un grand garçon comme toi devrait laisser une chance à un plus petit ») ou lui laisser subir les conséquences de ses actes («Tu as manqué ton autobus parce que tu t’es couché trop tard hier soir ; tu devras donc marcher pour te rendre à l’école »). Les parents modient aussi leur recours à des punitions corporelles, qui ont généra lement des effets négatifs sur les enfants, en fonction de leur âge. Bien sûr, plusieurs parents ne frappent jamais leurs enfants. Toutefois, ceux qui le font tendent à dimi nuer cette pratique au fur et à mesure que l’enfant grandit. Des études ont comparé des parents qui frappaient leurs enfants après l’âge de 10 ans avec d’autres qui ne le faisaient pas. Ceux qui les frappaient avaient tendance à avoir de mauvaises relations avec leurs enfants devenus adolescents, et ces derniers présentaient les problèmes de comportement les plus graves (Lansford et al., 2009). MYTHE OU RÉALITÉ La façon dont parents et enfants gèrent leurs conits peut être plus impor tante que leur résolution ellemême. En effet, un conit familial peut s’avé Les parents devraient intervenir le plus tôt rer constructif s’il aide l’enfant à apprendre quelles sont les stratégies possible dans les chicanes entre frères et efcaces pour résoudre un problème, et à comprendre que des règles sont sœurs. nécessaires pour vivre en société (Eisenberg, 1996). À moins que la sécurité des enfants ne soit menacée, les parents ne devraient pas intervenir 8.3.2 Les relations avec les frères et sœurs an de leur donner l’occasion de trouver eux- mêmes des solutions à leurs conits, développant Dans certaines régions isolées d’Asie, d’Afrique, d’Amérique centrale ainsi leurs habiletés sociales. et d’Amérique du Sud, il est fréquent de voir des llettes plus âgées prendre soin de trois ou quatre frères et sœurs plus jeunes. Dans ces Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans 277 communautés, les aînés ont un rôle important, déni culturellement. Par exemple, ils doivent apprendre aux plus jeunes comment trouver du bois pour le feu, s’occuper des animaux et cultiver la terre. Ces jeunes intériorisent progressivement les valeurs de leur communauté : respecter les aînés et placer le bien-être collectif au-dessus du bien-être individuel. Par contre, dans les sociétés industrialisées, comme le Canada et les États-Unis, les parents essaient généralement de ne pas « embêter » leurs enfants plus vieux avec les soins quotidiens des plus jeunes. Les aînés transmettent quand même un savoir à leurs jeunes frères et sœurs, mais cela survient généralement d’une manière informelle, et non comme un élément établi du système social (Cicirelli, 1994). Le nombre de frères et sœurs dans une famille, leur espacement en âge, leur ordre de naissance ainsi que leur sexe déterminent souvent leurs rôles et leurs relations au sein de la famille. Dans les sociétés industrialisées, les frères et sœurs ont tendance à être Prendre soin de son frère peu nombreux et plus éloignés en âge, ce qui permet aux parents de consacrer plus Dans les sociétés non industrialisées, d’attention et de ressources à chaque enfant (Cicirelli, 1994). on attend généralement des aînés qu’ils Les frères et sœurs s’inuencent les uns les autres, non seulement de façon directe, prennent soin de leurs frères et sœurs plus jeunes. C’est un rôle important, par leurs interactions quotidiennes, mais aussi indirectement, par l’entremise de leurs déni culturellement. relations respectives avec leurs parents. Ainsi, l’expérience des parents avec un aîné inuence les attentes et la façon dont ils vont traiter un enfant plus jeune (Brody et al., 2004). Réciproquement, les modèles de comportement qu’un enfant met en place avec ses parents ont tendance à se répercuter dans les comportements qu’il établit avec ses frères et sœurs. Lors d’une étude menée sur des familles anglaises, on a ainsi mon- tré que lorsque la relation parent-enfant était chaleureuse et affectueuse, les frères et sœurs avaient tendance à entretenir eux aussi des relations positives ; à l’inverse, quand la relation parent-enfant n’était pas harmonieuse, les conits entre les enfants s’avéraient plus nombreux (Pike, Coldwell et Dunn, 2005). Enn, les relations entre frères et sœurs peuvent également être un laboratoire pour l’apprentissage de la résolution de conits. En effet, les frères et sœurs sont plus moti- vés à se réconcilier après une querelle parce qu’ils savent qu’ils vont continuer à se côtoyer chaque jour. Ils apprennent ainsi qu’exprimer de la colère ne met pas n à leur relation. On note par ailleurs que les enfants d’une même famille se disputent plus fréquemment lorsqu’ils sont de même sexe, et que deux frères se querellent davantage que n’importe quelle autre combinaison (Cicirelli, 1994). 8.3.3 La conciliation travail-famille Au cours des 35 dernières années, le taux d’emploi des femmes ayant des enfants à la maison a considérablement augmenté. En 2015, au Québec, environ 76 % des femmes ayant des enfants de moins de six ans occupaient un emploi, ce qui est très près du pourcentage de celles n’ayant pas de responsabilités familiales, soit 79 %. Toutefois, un écart subsiste, puisque chez les pères ayant des enfants, ce taux avoisine 90 % (Institut de la statistique du Québec [ISQ], 2016a). Par ailleurs, au Canada, comme aux États-Unis, on observe au l des ans une augmen- tation du nombre de pères qui restent à la maison pendant que la mère travaille ; ce taux est passé de 1 % en 1976 à 11 % en 2014, chez les familles comptant 2 parents et au moins 1 enfant de moins de 16 ans. Au Québec, avec les prestations de paternité offertes par le gouvernement, 78 % des nouveaux pères se sont prévalus d’un congé de paternité en 2014, alors qu’ailleurs au Canada, ce taux était de 27 % (Battams, 2017). La hausse de la participation des femmes au marché de l’emploi a ainsi fait émerger un nouvel enjeu : celui de l’effet du travail des mères sur le bien-être de leurs enfants, tant sur le plan de leur santé physique que sur celui de leur bien-être psychologique et social ou de leur réussite scolaire. Les répercussions du travail des mères sont liées à de nombreux facteurs, aussi divers que l’âge et le tempérament de l’enfant, les horaires de travail de la mère (temps plein ou partiel), le soutien qu’elle obtient de son conjoint ou son revenu, et la qualité des services de garde dont elle dispose. La 278 CHAPITRE 8 mère qui occupe un emploi offre à l’enfant un modèle positif de productivité. Les lles de mères qui travaillent sont plus susceptibles, une fois adultes, d’avoir un emploi et des responsabilités de supervision, de travailler un plus grand nombre d’heures et d’obtenir un salaire plus élevé. Les ls élevés par des mères qui occupent un emploi passeront plus de temps à prendre soin de leur famille que ceux dont la mère reste à la maison (McGinn, Ruiz Castro et Long Lingo, 2015). Les enfants d’âge scolaire dont la mère travaille vivent aussi de manière plus struc- turée que ceux dont la mère reste à la maison. Ils sont plus encouragés à devenir indépendants et développent des attitudes plus égalitaires vis-à-vis des rôles sexuels (Parke et Buriel, 1998). Plusieurs études ont toutefois démontré que les enfants La conciliation travail-famille réussissent un peu mieux à l’école si leur mère travaille seulement à temps partiel Lorsque les deux parents travaillent, (Goldberg et al., 2008). les enfants sont encouragés à devenir Au-delà du travail des mères, c’est l’organisation entière de la famille qui est suscep- indépendants plus rapidement. tible d’inuencer le développement de l’enfant. La conciliation travail-famille repré- sente le processus par lequel des parents qui travaillent (aussi bien le père que la mère) arrivent à consacrer du temps et de l’énergie à la fois à leur travail et à leur famille. En général, ce sont les mères qui font le plus de compromis dans l’harmo- nisation de leurs responsabilités, en occupant des emplois atypiques, c’est-à-dire un emploi à temps partiel, un travail autonome ou une fonction qui comporte des Conciliation travail-famille horaires variés (Cloutier-Villeneuve et Rabemananjara, 2016). Ces emplois atypiques Processus par lequel les parents sont souvent associés à des conditions de travail plus difciles caractérisées par de tentent de répar tir leurs énergies en l’instabilité, un faible revenu et des heures qui s’agencent mal avec la vie familiale. Ce fonction des exigences liées à la vie sont donc les conditions de travail du parent, plus que le fait de travailler ou non, qui familiale et au monde du travail. semblent avoir davantage d’impact sur le bien-être des enfants. 8.3.4 La pauvreté et l’éducation des enfants Nous avons déjà vu combien la pauvreté peut nuire au développement général des enfants. Pourtant, 18,5 % des enfants canadiens vivent encore aujourd’hui dans une situation de pauvreté (Campagne, 2000, 2016). Ce contexte aura un impact sur l’état émotionnel des parents, sur leurs pratiques éducatives ainsi que sur le climat familial qui en résulte. En effet, les parents qui vivent dans la pauvreté sont plus à risque d’être anxieux, dépressifs et irritables ; ils peuvent alors devenir moins attentionnés et moins affectueux envers leurs enfants et pratiquer une discipline plus incohérente, sévère et arbitraire. Les enfants auront tendance à devenir dépressifs, à avoir de la difculté à s’entendre avec leurs pairs, à manquer de conance en soi, à présenter des difcultés scolaires, à développer des problèmes de comportements et à s’engager dans des activités antisociales (Evans, 2004). Heureusement, ces conséquences peuvent être évitées. Un comportement parental efcace peut protéger les enfants des effets négatifs de la pauvreté. En particulier, les interventions qui réduisent la colère et les conits familiaux, et donc qui augmentent la cohésion et l’affection au sein de la famille, se révèlent particulièrement bénéques. Une étude a démontré que les mères qui possèdent un bon équilibre émotionnel et qui sont dotées d’une estime de soi relativement élevée, en dépit du stress économique, ont tendance à avoir des enfants socialement compétents et qui réussissent bien à l’école, ce qui renforce positivement leur comportement parental. Cette situation, à son tour, encourage les enfants à maintenir leurs succès scolaires et leurs comporte- ments socialement désirables (Brody et al., 2004). Pauvres, mais heureux ! 8.3.5 La structure familiale Les enfants qui vivent dans la pauvreté sont plus à risque de vivre des difcultés La grande majorité des enfants issus des générations précédentes grandissaient dans de toute nature, mais l’attitude des pa des familles composées de deux parents mariés. Aujourd’hui, la plupart des enfants rents est un facteur primordial pour avoir vivent encore avec deux parents, mais ces derniers ne sont pas nécessairement mariés. des enfants socialement compétents. En effet, près de 32 % des couples du Québec vivent en union libre (Spinks et Battams, Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans 279 2017), et 63 % des bébés naissent de parents non mariés, ce qui en fait l’un des taux les plus élevés au monde – par exemple, il est de 40 % aux États-Unis et de 8 % en Grèce (ISQ, 2016b). Plusieurs enfants vivent également avec des grands-parents ou dans des familles recomposées. Au Canada, le mariage homosexuel est légalisé depuis 2005, ce qui contribue aussi à la diversité des familles. La gure 8.1 dresse un portrait de la diversité des familles au Canada. Dans les sections qui suivent, nous allons passer en revue quelques-unes de ces nouvelles structures familiales. FIGURE 8.1 Les structures familiales au Canada * Famille recomposée simple : tous les enfants sont issus d’un seul des parents. Famille recomposée complexe : toutes les autres combinaisons d’enfants. Source : Statistique Canada (2015). La famille monoparentale Les familles monoparentales résultent d’un divorce, d’une séparation, d’une incarcé- ration ou d’un décès ; un parent célibataire peut aussi être à sa tête. Au Canada, la proportion d’enfants vivant avec un seul parent, qui était de près de 12 % au milieu du xxe siècle, a connu une baisse jusqu’aux années 1960 pour remonter ensuite et atteindre un taux de 21,5 % en 2011. Alors que le veuvage était autrefois la cause principale des familles monoparentales, la situation est bien différente aujourd’hui (Statistique Canada, 2017). Néanmoins, à la suite d’une séparation ou d’un divorce, plusieurs enfants qui vivent dans une famille monoparentale cohabitent avec le nouveau conjoint du parent. Il est possible aussi qu’un enfant en garde partagée passe la moitié du temps dans une famille monoparentale et l’autre, dans une famille recomposée. Ainsi, les statistiques surestiment généralement le nombre d’enfants qui vivent exclusive- ment avec un seul de leurs parents. Par ailleurs, 76 % des familles monoparentales ont une femme à leur tête (Conseil du statut de la femme, 2015). Ces femmes sont aussi généralement plus jeunes que les femmes mariées, moins scolarisées, plus pauvres et elles vivent souvent dans des quartiers plus défavorisés. La structure de ces familles monoparentales est souvent sujette à des transitions et à des modications. On dénombre en effet plusieurs cohabitations avec de nouveaux conjoints ou avec les grands-parents, une présence accrue de colocataires, etc. Pour toutes ces raisons, les familles monoparentales sont aussi plus susceptibles de démé- nager, ce qui suscite d’autres formes d’adaptation pour les enfants. Ainsi, les enfants qui grandissent dans une famille monoparentale connaissent souvent les mêmes conditions de vie que ceux qui vivent dans la pauvreté ; ils risquent de présenter sensi- blement les mêmes problèmes d’agressivité, de provocation, d’hyperactivité, d’échecs scolaires, de problèmes relationnels et de délinquance (Ambert, 2006). Les études 280 CHAPITRE 8 menées sur le sujet n’ont pas encore sufsamment exploré les forces particulières que les enfants élevés dans de telles conditions peuvent développer. Aussi, même si le tableau peut paraître sombre, il faut savoir que plusieurs enfants s’en sortent très bien, comme nous le verrons dans le chapitre 9. La famille recomposée La plupart des parents divorcés se remarient ou vivent avec un nouveau conjoint. Plusieurs mères ou pères non mariés s’unissent ainsi à des hommes ou à des femmes qui ne sont pas le père ou la mère biologique de leurs enfants. Ils forment alors des familles recomposées. Au Canada, en 2011, 10 % des enfants vivant en famille demeu- raient dans une famille recomposée (Statistique Canada, 2015). La gure 8.2 illustre les différents types de familles recomposées. FIGURE 8.2 Les différents types de familles recomposées au Canada Source : Adapté de Statistique Canada (2011). S’adapter à un beau-parent peut être stressant pour l’enfant, car sa loyauté envers le parent absent ou décédé peut interférer avec la formation des liens à créer avec cette nouvelle gure parentale. Toutefois, certaines études portant sur les enfants de mères monoparentales constatent que les garçons bénécient tout de même de la présence d’un beau-père (Hines, 1997). Les lles, par contre, peuvent davantage considérer un nouvel homme dans la maison comme une menace à leur indépendance et à la rela- tion étroite qu’elles entretiennent avec leur mère. Par ailleurs, d’autres recherches ont démontré que les enfants qui vivent avec un beau-parent – ou avec une mère seule – présentent un plus haut niveau de comportements agressifs comparativement à ceux qui résident avec leurs deux parents biologiques (Fomby, Goode et Mollborn, 2016). En outre, vivre dans une famille recomposée n’équivaut pas seulement à cohabiter avec un beau-père ou une belle-mère ; la réalité est beaucoup plus complexe. En effet, les enfants doivent aussi souvent composer avec des demi-frères ou des demi-sœurs nés d’une union précédente ou de la nouvelle union d’un des parents. Au sein d’une famille, certains enfants peuvent donc vivre avec leurs deux parents biologiques, alors que ce n’est pas le cas pour les autres. Toutefois, la naissance d’un enfant commun, en créant un lien génétique, semble consolider les relations entre les membres d’une famille recomposée. Ces familles vont généralement demeurer ensemble plus longtemps que celles qui n’ont pas ce lien (Juby, 2004). Enn, la complexité des familles recomposées vient aussi du fait que plusieurs ménages de ce type peuvent aussi être liés entre eux. Il est irréaliste de croire que les relations entre les membres d’une famille recomposée se déroulent toujours dans l’harmonie, qu’un parent aime généralement ses enfants par alliance autant que ses propres enfants, qu’un enfant est habituellement aussi proche de sa belle-mère que de sa mère et qu’il aime son nouveau frère ou sa nouvelle petite sœur autant que la fratrie avec laquelle il a toujours vécu. Ainsi, les parents et Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans 281 les enfants dont les attentes sont idéalistes à cet égard risquent de ressentir un fort sentiment de culpabilité. Il est plus réaliste, et donc préférable, de laisser le temps aux relations de se construire. An de solidier les liens, on recommande de partager des tâches, d’établir des rituels et de vivre des expériences communes (Kelly, 2004). La famille homoparentale Certains couples gais ou lesbiens élèvent des enfants nés d’une précédente union hétérosexuelle. D’autres décident de concevoir un enfant par procréation assistée, d’avoir recours à une mère porteuse ou d’adopter des enfants. Le nombre d’enfants vivant au sein d’une famille homoparentale est en constante augmentation ; au Québec, il est passé de 59 en 2005 à 289 en 2015 (ISQ, 2016a). Une famille homoparentale Le développement des enfants vivant dans ce type de famille a été examiné sur les plans de la santé physique et émotionnelle, de l’intelligence, de l’adaptation, de l’iden- Les enfants qui vivent dans une famille homoparentale ne sont pas plus à tité, du jugement moral et du fonctionnement social et sexuel. Une étude portant sur risque que les autres de présenter des le bien-être de 130 enfants adoptés par des couples homosexuels a constaté que les problèmes sociaux ou psychologiques ou pères gais avaient plus d’interactions avec leurs enfants et que ceux-ci participaient de devenir eux-mêmes homosexuels. à une vie sociale passablement intense. Ces enfants n’avaient aucun problème par- ticulier concernant la construction de leur identité et l’acceptation par leurs pairs (Golombok et al., 2014). Des études australiennes ont même montré que les enfants étaient en meilleure santé et connaissaient une plus grande cohésion familiale que les La famille homoparentale autres enfants (Crouch et al., 2014). Activité interactive La famille adoptive L’adoption n’est pas réservée qu’aux personnes infertiles. Des célibataires, des per- sonnes plus âgées, des couples de gais ou de lesbiennes et des gens ayant déjà des enfants biologiques sont devenus des parents adoptifs. Au Québec, une personne de plus de 18 ans peut faire une demande d’adoption, qu’elle soit célibataire ou mariée. Elle doit ensuite se soumettre à une évaluation psycho- sociale ; il y a en général une attente de plusieurs années avant de pouvoir adopter un enfant. Ce sont les centres jeunesse du Québec qui supervisent le processus. Une mère qui désire donner son bébé en adoption n’a pas droit de regard sur les gens à qui elle voudrait coner son enfant, sauf dans le cas de sa famille immédiate. L’adoption internationale se fait par l’intermédiaire d’un organisme agréé qui sert de lien entre le pays d’origine de l’enfant et les parents adoptifs. Après avoir connu un sommet en 2010, le nombre d’adoptions internationales au Québec a considérablement diminué, passant de 595 en 2010 à 134 en 2016. Cette diminution est due en partie à l’amélio- ration de la situation socioéconomique des pays d’origine, mais aussi aux mesures mises en place pour la protection des enfants. En 2016, les enfants adoptés prove- naient principalement de la Chine, de la Colombie, de l’Ukraine, du Viet Nam et de la Corée du Sud (Secrétariat à l’adoption internationale, 2017). L’adoption d’enfants de pays étrangers entraîne-t-elle des problèmes particuliers ? Selon la Société canadienne de pédiatrie (SCP) (2014), c’est possible. À leur arrivée, plusieurs enfants présentent des problèmes de santé ou un retard dans leur déve- loppement, particulièrement chez ceux qui ont vécu en orphelinat. Dans bien des cas, leur état de santé va s’améliorer avec les conditions favorables de leur nouveau milieu de vie, et ces enfants peuvent rattraper leur retard de développement après quelques mois. Toutefois, la plupart des enfants présentent des retards de langage dus au manque de sti- mulation, qui se résorbent généralement après un certain temps. Certains de ces enfants peuvent manifester des retards intellectuels dus à la malnutrition ou à la consomma- tion de drogues, incluant l’alcool, par leur mère pendant la grossesse. Enn, comme ces enfants sont susceptibles d’avoir vécu des abandons ou des ruptures au cours de leurs premières années, ils risquent ainsi d’avoir de la difculté à développer un sentiment d’attachement, ce qui représente un dé important pour les parents adoptifs. 282 CHAPITRE 8 Des facteurs de risque, avant l’adoption, peuvent être déterminants sur l’adaptation ultérieure de ces enfants et sur leur réussite scolaire : la malnutrition prénatale, l’expo- sition intra-utérine à l’alcool et aux autres drogues, la prématurité, la négligence phy- sique, la négligence sociale, la violence physique et un séjour de six mois ou plus dans un orphelinat. La moitié des enfants qui présentaient quatre facteurs de risque ou plus avaient des problèmes d’adaptation affective ou comportementale après l’adoption. Ce qui veut quand même dire que 50 % des enfants adoptés s’en tiraient bien (SCP, 2014). Les parents qui font vivre à leurs enfants adoptifs des expériences qui les aident à connaître leur culture d’origine et qui discutent avec eux de racisme et de discrimina- tion peuvent les aider à neutraliser les effets négatifs du sentiment d’avoir perdu cette culture, qui peut survenir à l’adolescence (Lee et al., 2006). L’adoption internationale Devant les longs délais d’attente au Québec, plusieurs couples se tournent vers l’adoption internationale. FAITES LE POINT 8. Lorsque les deux parents occupent un emploi, quelles en sont les répercussions possibles sur le bien-être des enfants ? 9. On dit que la pauvreté peut avoir un effet négatif sur le développement des enfants. Expliquez pourquoi. 10. Quelles difcultés les familles recomposées sont-elles susceptibles d’éprouver ? 8.4 Le développement affectif, social et sexuel L’humain est un être social, et les relations qu’il entretient avec les autres auront un impact important sur ce qu’il deviendra. Dans les premières années de la vie, ce besoin d’être en relation s’exprime par l’attachement aux parents, mais à mesure que l’enfant progresse en âge, les relations avec les pairs prennent de plus en plus d’importance. Les groupes se forment naturellement entre les enfants qui habitent le même quartier ou qui fréquentent la même école. Les membres de ces groupes proviennent habituel- lement d’un milieu socioéconomique semblable, et ils sont souvent du même âge et de même sexe. Quelle inuence le groupe a-t-il sur l’enfant ? Qu’est-ce qui détermine l’acceptation d’un enfant par ses pairs et sa capacité à se faire des amis ? 8.4.1 L’inuence des pairs sur l’enfant Comme nous l’avons vu dans le chapitre 6, l’enfant bénécie de la présence de ses pairs. En les côtoyant, il découvre en effet de nouvelles perspectives qui favorisent l’appari- tion chez lui de jugements indépendants de ceux de sa famille. Il peut alors confronter ses propres valeurs à celles de ses pairs et décider lesquelles sont les siennes. Cette comparaison avec d’autres enfants du même âge lui permet aussi de juger ses propres habiletés de manière plus réaliste et d’acquérir une perception plus claire de sa propre efcacité (Bandura, 1994). Le groupe de pairs représente donc en quelque sorte une minisociété dans laquelle les enfants apprennent à adapter leurs besoins et leurs désirs à ceux des autres, ainsi qu’à reconnaître les moments où ils doivent céder et ceux où ils doivent rester fermes. Le groupe offre aussi à l’enfant une sécurité émotionnelle, car il est rassurant pour un enfant de se rendre compte, par exemple, qu’il n’est pas le seul à nourrir des pensées qui pourraient choquer les adultes. En outre, les groupes de pairs de même sexe peuvent aider les enfants à apprendre les comportements appropriés à leur genre et à intégrer à leur concept de soi les rôles sexuels. Une recherche portant sur des enfants de 8 à 11 ans a ainsi démontré que la conviction d’être conforme à son genre et d’être satisfait de ce genre augmenterait l’estime de soi et le sentiment de bien-être (Yunger, Carver et Perry, 2004). Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans 283 DANS LA TÊTE DE L’ENFANT Au cours de la transition vers l’adolescence, un changement important survient dans l’univers affectif et social de l’enfant : l’importance accordée aux relations amicales deviendra de plus en plus grande. On remarque en effet que les amis jouent un rôle fondamental à l’adolescence, puisqu’ils remplacent les parents à titre de principaux repères identitaires. Pour le jeune, il s’agit d’une façon de revisiter les valeurs que lui ont transmis ses parents sous un autre point de vue an d’évaluer celles qu’il veut faire siennes et celles auxquelles il n’adhère pas. Toutefois, le groupe de pairs peut aussi avoir une inuence négative. Par exemple, il peut renforcer les préjugés. Ainsi, le sentiment d’appartenance présent au sein d’un groupe d’enfants a parfois pour effet d’augmenter les attitudes négatives envers les personnes ne faisant pas partie de ce groupe. Ces préjugés peuvent être orientés vers des enfants d’origine ethnique différente de celle de la majorité et avoir, à long terme, des répercussions néfastes sur ceux qui en sont l’objet. Bien que le groupe de pairs soit à l’origine d’actions constructives, les préadolescents se montrent particulièrement inuençables par rapport à la pression de conformité que celui-ci exerce. Ainsi, c’est habituellement en compagnie de leurs camarades que les enfants commencent à fumer et à boire, à commettre des vols à l’étalage et à adop- ter d’autres comportements antisociaux. Évidemment, pour ces enfants, comme pour L’importance des pairs les adultes d’ailleurs, une certaine conformité au groupe fait partie d’une saine adapta- La présence de ses pairs ouvre à tion, et le conformisme n’est malsain que s’il devient destructif ou s’il entraîne l’enfant l’enfant de nouvelles perspectives et à aller à l’encontre de son propre jugement (Dishion et Tipsord, 2011). favorise notamment chez lui l’apparition de jugements indépendants de ceux de la famille. 8.4.2 La popularité Puisque les enfants interagissent souvent les uns avec les autres dans le cadre scolaire Popularité sociométrique et en groupes, les chercheurs mesurent la popularité sociométrique en demandant Mesure de la popularité qui s’obtient aux enfants quels sont les pairs qu’ils aiment le plus et ceux qu’ils apprécient le moins. en demandant aux enfants quels sont De telles études ont permis de déterminer cinq statuts dans le groupe de pairs : les les pairs qu’ils aiment le plus et ceux enfants populaires, les enfants rejetés, les enfants négligés, les enfants controversés et qu’ils apprécient le moins dans leur les enfants dans la moyenne. groupe. Les enfants populaires, ceux qui reçoivent plusieurs nominations positives et peu de négatives, montrent de bonnes habiletés sur le plan cognitif et réussissent bien : ils savent résoudre les problèmes d’ordre social, aident les autres et s’afrment sans être dérangeants ou agressifs. Leurs habiletés sociales supérieures font donc en sorte que leurs camarades apprécient leur compagnie (Cillessen et Mayeux, 2004). De leur côté, les enfants impopulaires (qu’ils soient rejetés ou négligés) le sont pour plusieurs raisons. Ceux qui sont rejetés reçoivent plusieurs nominations négatives, et ceux qui sont négligés reçoivent peu de nominations, positives ou négatives. Même si certains enfants impopulaires font preuve d’agressivité, d’autres sont hyperactifs, distraits ou renfermés ; d’autres encore sont immatures ou anxieux. Les enfants impo- pulaires se montrent souvent insensibles aux émotions de leurs pairs et s’adaptent mal à des situations nouvelles (Bierman, Smoot et Aumiller, 1993). La popularité et la maturité Les enfants d’âge scolaire appréciés de leurs pairs seront probablement bien équi- Les enfants immatures, hyperactifs ou librés à l’adolescence, tandis que ceux ayant de la difculté à s’entendre avec leurs renfermés ont de la difculté à se faire pairs risquent de développer des problèmes psychologiques, de décrocher de l’école des amis. ou de sombrer dans la délinquance (Dishion et Tipsord, 2011). Parmi ces enfants impopulaires, certains ont une faible estime de soi et s’attendent à ne pas être aimés. Ils développent alors un sentiment d’impuissance (comme c’est 284 CHAPITRE 8 peut-être le cas pour Frédéric dans la mise en situation de ce chapitre) et ne font plus Mise en situation, p. 270 d’efforts pour tenter de se faire accepter, ce qui vient conrmer leur perception d’être rejetés et impopulaires. Les caractéristiques liées à la popularité s’acquièrent d’abord au sein de la famille. Ainsi, les parents démocratiques sont plus susceptibles d’avoir des enfants populaires que les parents autoritaires (voir le chapitre 6 ). En effet, les enfants qui sont punis et menacés par des parents intransigeants tendront à utiliser les mêmes stratégies auprès de leurs pairs, soit des comportements de menace ou d’agressivité directes qui, bien entendu, ne favorisent pas la popularité. Par contre, un style parental démocratique axé sur le raisonnement, au sein d’une relation chaleureuse et encourageante, fournit à l’enfant des outils sur la façon de régler les conits dans les interactions sociales qu’il pourra utiliser dans ses expériences avec les pairs (McDowell et Parke, 2009). La culture a-t-elle une inuence sur les critères de popularité ? Certaines recherches ont démontré que la timidité et la sensibilité de l’enfant constituent des traits associés à la popularité en Chine, mais pas au Canada, où celle-ci est davantage associée à Pour plus d’informations l’afrmation de soi et à l’assurance. Toutefois, des recherches plus récentes montrent sur la notion de popularité, que les caractéristiques liées à la popularité en Chine ont évolué depuis, en même consultez la rubrique « D’une culture à l’autre » temps que le pays a connu des changements économiques et sociaux importants ces dernières années (Chen, Wang et Wang, 2009). 8.4.3 L’amitié à l’âge scolaire L’amitié est différente de la popularité. Alors que cette dernière résulte de l’opinion d’un groupe de pairs au sujet d’un enfant, l’amitié est plutôt une voie à double sens. Elle est partagée par l’une et l’autre des parties. Comme Charlotte dans la mise en situation Mise en situation, p. 270 de ce chapitre, les enfants prennent surtout pour amis des pairs qui manifestent les mêmes intérêts qu’eux et qui sont généralement du même âge, du même sexe et de la même ethnie. Les enfants impopulaires ont eux aussi des amis, mais en moins grande quantité que les enfants plus populaires. Même si les enfants ont tendance à choisir des amis de même origine ethnique qu’eux, les amitiés interculturelles sont associées à des inuences positives sur le développement (Kawabata et Crick, 2008). Avec leurs amis, les enfants apprennent à communiquer et à coopérer. Cependant, les inévitables querelles leur permettent aussi d’apprendre à résoudre des conits. En outre, un ami peut aussi offrir du soutien au cours d’une période plus difcile, comme un changement d’école ou une séparation parentale. L’amitié semble donc aider l’en- fant à se sentir bien avec lui-même ; il est aussi vrai qu’un enfant bien dans sa peau se fera plus facilement des amis. Du coup, un rejet par les pairs et un manque d’amis à l’âge scolaire peuvent entraîner des effets à long terme. Une étude longitudinale, à laquelle participaient des enfants de cinquième année qui n’avaient pas d’amis, a ainsi démontré que ces enfants étaient plus susceptibles d’avoir une faible estime de soi et d’afcher des symptômes de dépression une fois devenus de jeunes adultes (Bagwell, Newcomb et Bukowski, 1998). La conception qu’ont les enfants de l’amitié et la manière dont ils agissent avec leurs amis changent avec le temps. Ainsi, si les enfants d’âge préscolaire jouent volontiers ensemble, l’amitié devient plus profonde et durable à l’âge scolaire. Pour être et avoir un véritable ami, l’enfant doit en effet atteindre la maturité cognitive lui permettant de tenir compte du point de vue et des besoins de l’autre autant que des siens (Hartup et Stevens, 1999). En se fondant sur des entrevues réalisées auprès de quelque 250 personnes âgées de L’amitié 3 à 45 ans, Robert Selman (1980) a relevé les changements qui interviennent dans la conceptualisation de l’amitié au l du temps. Selon lui, la plupart des enfants d’âge Les amitiés féminines diffèrent des amitiés masculines. Elles sont sur tout scolaire se situent au stade de la coopération réciproque ou au stade de la relation caractérisées par l’intimité et l’échange mutuelle et intime (voir le tableau 8.3). Ainsi, les enfants d’âge scolaire peuvent dis- d’affection. tinguer un « meilleur ami » d’un « bon ami » ou d’une « connaissance » en se basant sur Le développement affectif et social de l’enfant de six à onze ou douze ans 285 TABLEAU 8.3 Les stades de l’amitié (selon Selman) Stade (âge) Description Exemples Stade 0 (3-7 ans) À ce niveau indifférencié d’amitié, les enfants sont égocen- « Mon amie habite dans ma rue. » Amitié momentanée triques et ont de la difculté à considérer le point de vue « C’est mon ami parce qu’il a une piscine chez lui. » de l’autre. Ils ont tendance à ne penser qu’à leurs propres intérêts dans la relation. La plupart des enfants de cet âge dénissent leur amitié selon la proximité géographique et attribuent de la valeur à des caractéristiques physiques ou matérielles. Stade 1 (4-9 ans) À ce niveau unidirectionnel, un bon ami est celui qui fait « Elle n’est plus mon amie parce qu’elle ne vient pas chez Soutien unidirectionnel ce qu’on veut qu’il fasse. moi quand je veux qu’elle vienne jouer avec moi. » « Il est mon ami parce qu’il me prête toujours son jeu vidéo lorsque je lui demande. » Stade 2 (6-12 ans) Ce niveau de réciprocité coexiste avec le stade 1. Il inclut « On est amis, on fait des choses l’un pour l’autre. » Coopération réciproque des échanges, mais les enfants sont encore centrés sur leurs « Un ami est une personne qui joue avec toi quand tu n’as propres intérêts. personne d’autre avec qui jouer. » Stade 3 (9-15 ans) À ce niveau de relation mutuelle, les enfants perçoivent « Développer une réelle amitié prend beaucoup de temps. Relation mutuelle et intime l’amitié comme une entité en soi. La relation, qui se déve- Donc, il n’est pas agréable d’apprendre que ton ami essaie loppe avec le temps, demande un investissement et inclut de se faire d’autres amis que toi. » le fait d’accomplir des choses l’un pour l’autre. Les amis deviennent possessifs et demandent l’exclusivité. Stade 4 (12 ans et plus) À ce stade d’interdépendance, les enfants respectent les « Une amitié authentique demande un réel engagement. Interdépendance et autonomie besoins mutuels de dépendance et d’autonomie. Il faut soutenir l’autre, lui faire conance et être généreux, mais il faut aussi être capable de le laisser prendre une distance lorsqu’il en a besoin. » l’intimité de leur relation et sur le temps qu’ils passent ensemble. La plupart des enfants de cet âge ont alors de trois à cinq « meilleurs amis » avec qui ils passent le plus clair de leur temps en dyade ou en triade (Hartup et Stevens, 1999). Par ailleurs, les amitiés féminines diffèrent des amitiés masculines. Ainsi, les garçons ont plus d’amis, mais leurs relations sont moins caractérisées par l’intimité et par l’échange d’affec- tion, qui sont plus typiques des amitiés féminines. 8.4.4 Les agressions et l’intimidation Au cours des années du primaire, comme nous l’avons mentionné dans le chapitre 6, les comportements agressifs diminuent graduellement, et les enfants deviennent moins égocentriques, plus empathiques, plus coopératifs et plus aptes à communi- quer. Ils peuvent maintenant se mettre à la place d’autrui et comprendre ses motiva- tions et sont aptes à trouver des moyens positifs de s’afrmer. Cependant, un petit nombre d’enfants n’apprennent pas à contrôler leur agressivité à l’égard des autres personnes. Qui sont donc ces enfants et quels sont les facteurs associés à l’agression ? Les types d’agressivité Chez les enfants qui continuent à manifester une forte propension à l’agressivité, celle-ci change à l’âge scolaire. L’agressivité instrumentale, typique des enfants d’âge préscolaire, devient moins fréquente. Toutefois, même si l’agressivité tend à diminuer dans l’ensemble, l’agressivité hostile, qui a pour objectif de blesser quelqu’un, devient Agressivité hostile plus fréquente et prend souvent une forme verbale plutôt que physique. Les garçons Compor tement agressif dont le but est vont manifester plus de comportements agressifs directs que les lles. Toutefois, en ce de blesser l’autre. qui concerne les agressions indirectes (exclure quelqu’un, répandre des rumeurs sur son compte, etc.), on observe peu de différences entre les genres, ce qui contredit le portrait courant selon lequel l’agression indirecte est une forme d’agression à prédomi- nance féminine (Card et al., 2008). 286 CHAPITRE 8 Les enfants agressifs sont le plus souvent impopulaires, et ils ont tendance MYTHE OU RÉALITÉ à éprouver des problèmes psychologiques et interpersonnels. Leurs pro- blèmes interpersonnels proviennent-ils de leur agressivité ou ces enfants Les comportements agressifs augmentent deviennent-ils agressifs parce qu’ils ont des problèmes ? La réponse à cette lorsque les enfants commencent l’école primaire. question n’a pas encore été clariée. Les enfants très agressifs s’entraînent C’est inexact, puisque, en général, les enfants de parfois les uns les autres à commettre des actes antisociaux. Par consé- cet âge sont plus en mesure de maîtriser leurs quent, les garçons d’âge scolaire qui sont physiquement agressifs peuvent émotions et leurs comportements impulsifs. sombrer dans la délinquance à l’adolescence (Broidy et al., 2003). Toute- fois, une étude longitudinale portant sur des enfants de 10 à 15 ans d’un milieu urbain multiethnique a révélé que l’agression physique était jugée moins défavorablement au fur et à mesure que les enfants arrivaient à l’adolescence et que les agressions relationnelles (par exemple, parler dans le dos de quelqu’un ou l’exclure socialement) étaient de plus en plus renforcées par un statut élevé dans le groupe de pairs (Cillessen et Mayeux, 2004). L’agressivité selon l’évaluation cognitive de l’information Qu’est-ce qui peut pousser les enfants d’âge scolaire à agir agressivement ? Une explication pourrait provenir de la façon dont certains enfants traitent l’information sociale, c’est-à-dire à quelles caractéristiques de l’environnement ils portent attention et comment ils les interprètent. L’agressivité hostile se manifeste, par exemple, lorsqu’un enfant placé en rang est poussé accidentellement par un autre, qu’il se retourne et pousse son camarade encore plus fort, croyant que la première poussée était volontaire. Cette réaction Biais d’attribution hostile agressive est souvent typique des enfants qui présentent un biais d’attribution hos- Interprétation cognitive des comporte- tile, une interprétation cognitive négative des comportements venant des autres. Ces ments des autres dans un sens négatif enfants croient que les autres enfants leur veulent du mal et réagissent donc vivement et menaçant. en se défendant contre ces attaques. Ce biais d’attribution hostile devient plus fré- quent de 6 à 12 ans. Les enfants qui veulent dominer et contrôler leur environnement sont particulièrement sensibles à tout ce qui peut menacer leur recherche de pouvoir. Ils attribuent ces menaces à un comportement hostile dirigé contre eux et réagissent alors par l’agressivité (Oriobo de Castro et al., 2002). Les enfants rejetés ou victimes d’une discipline exagérément autoritaire réagissent eux aussi souvent par ce biais d’attribution hostile (Coie et Dodge, 1998). Le problème ici est que la plupart des per- sonnes sont portées à devenir hostiles lorsqu’elles se sentent agressées. Dès lors, celles qui ont un biais d’attribution hostile vont généralement voir leurs perceptions conrmées par l’attitude des autres à leur égard, ce qui vient renforcer encore plus leur tendance à l’agressivité hostile. Les adultes peuvent aider ces enfants à freiner leur agressivité en leur faisant recon- naître les indices de la colère et en leur apprenant comment gérer cette colère. Des enfants d’une école de New York ayant été soumis à un programme de résolution de La discipline sévère et l’agressivité conits qui impliquait des discussions en groupe et des jeux de rôle ont démontré par Les enfants soumis à une discipline très sévère risquent de devenir agressifs. la suite moins de biais d’attribution hostile, moins d’agressivité, moins de problèmes de comportement et plus de réponses efcaces aux situations sociales que les enfants qui n’avaient pas participé à un tel programme (Aber, Brown et Jones, 2003). La violence dans les jeux vidéo Plus de 90 % des enfants américains jouent à des jeux vidéo, et les enfants de moins de 8 ans consacrent en moyenne 2 h 51 min par jour à ces jeux, que ce soit sur une console de jeu, un ordinateur ou une tablette. Ce taux monte à 97 % si l’on considère les adolescents seulement (Rideout, 2013). Plus de 85 % des jeux vidéo offerts sur le marché contiennent une forme ou une autre de violence ; les parents et les éducateurs se préoccupent donc de plus en plus de l’inuence que ces jeux peuvent avoir sur le comportement des jeunes qui les utilisent.