Notes sur la Conférence de Cécile Laborde sur la Religion et la Discrimination (Oxford University) - Octobre 2024 - PDF
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UCLouvain Saint-Louis Bruxelles
2024
Cécile Laborde
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These notes summarize a lecture by Cécile Laborde on religion and discrimination, given at UCLouvain Saint-Louis Brussels in October 2024. The lecture explores the concept of indirect discrimination in relation to religious beliefs, particularly targeting Christians in contemporary Western societies. It analyzes historical context and structural differences.
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Religion et discrimination Notes sur la conférence de Cécile LABORDE (Oxford University) à l’École des sciences philosophiques et religieuses de l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles le 1er octobre 2024 Cécile Laborde travaille et publie majoritairement en anglais. En français, elle est entre autres l...
Religion et discrimination Notes sur la conférence de Cécile LABORDE (Oxford University) à l’École des sciences philosophiques et religieuses de l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles le 1er octobre 2024 Cécile Laborde travaille et publie majoritairement en anglais. En français, elle est entre autres l’autrice de Français, encore un effort pour être républicains ! (Seuil, 2010) et de Philosophie libérale de la religion (trad., Raison publique, 2023). C’est une philosophe politique, une théoricienne politique, et une spécialiste du républicanisme, et des questions liées à la laïcité et aux phénomènes religieux. Elle s’intéresse à la place et au rôle des religions dans l’espace public dans les démocraties libérales. Présentation par Quentin Landenne : Cécile Laborde (CL) défend une conception minimale de la sécularisation et une conception positive de la citoyenneté, et s’inscrit dans la perspective d’un républicanisme critique : la « non-domination » plutôt que l’égalité complète. La question qu’aborde cette conférence est de savoir si la laïcité (de l’État) n’implique pas des formes de « discrimination indirecte », en particulier vis-à-vis des chrétiens. CL part de cas de plaintes déposées au Royaume-Uni : - par une officière de l’état civil obligée de célébrer un mariage entre personnes de même sexe ; - par une personne licenciée pour avoir refusé de travailler un dimanche. La question est donc de savoir si des règles laïques peuvent constituer une discrimination indirecte. CL va défendre l’idée qu’elles peuvent être illicites et violer un droit sans forcément être discriminatoires, ce qui implique d’être désavantagé par rapport à un autre groupe, et donc une comparaison. Pour CL, dans nos sociétés nord-occidentales, les chrétiens ne sont pas (socio-historiquement) des « minorités » et ne pourraient donc porter des revendications à l’égalité sur la base d’une discrimination. La réflexion et la démonstration de Cécile Laborde s’appuie sur les deux cas de plaintes évoquées ci-dessus mais aussi sur d’autres, comme celle d’un musulman interdit de prier le vendredi sur son lieu de travail. L’exposé se déroule en 5 temps. 1) Le droit anti-discrimination vise à réduire les écarts entre groupes, les inégalités liées à la « race » (vocable anglo-saxon), au sexe, au handicap, à l’orientation sexuelle (facteurs « p », caractéristiques liées à la personne) Parler de discrimination implique des inégalités structurelles qui peuvent se voir renforcées par des attitudes biaisées, par ex. sexistes, qui peuvent être discriminatoires. Une discrimination directe vise, cible, avec animosité, un groupe ; une discrimination indirecte implique que des personnes soient affectées, victimes de discrimination sans être traitées différemment par la loi. 1 Parler d’inégalité structurelle concerne une situation actuelle dans laquelle l’inégalité vient du passé, d’une domination historique, et se maintient par l’existence de normes qui demeurent à l’arrière-plan. Cas classique d’une discrimination indirecte/domination structurelle : lorsque dans un test d’embauche à l’aveugle en Caroline du Nord aux États-Unis (date ?) on requiert de tous les candidats un certificat que seuls les Blancs ont pu obtenir, et que les Afro-Américains n’ont pu obtenir compte tenu des écoles qu’ils étaient obligés de fréquenter (ségrégation). Le test ne visait pas à éliminer des candidats mais reproduit une domination structurelle. L’objet de la loi, du droit va être de dénoncer, de lutter contre des règles qui « tracent » (prolongent) la domination structurelle. 2) La religion dans le droit contre la discrimination La « race », le sexe… définissent des « paires » : groupe dominant/groupe(s) dominé(s) La religion est une caractéristique protégée pour tout individu mais pas aussi binaire dans les sociétés pluralistes et sécularisées. Tous les groupes religieux sont donc réputés également protégés. Pas sûr donc que la théorie de la discrimination privilégiée par CL (…) s’applique dans la mesure où elle présuppose une discrimination structurelle. Elle l’est tout de même car la religion peut-être un marqueur d’exclusion – ce que la théorie libérale occulte. Mais la particularité de la religion comme marqueur est que les membres des groupes « dominants » sont protégés de la même manière contre la discrimination religieuse directe : le droit anti-discrimination s’applique à tous. 3) La discrimination religieuse est indirecte et a pour origine une différence structurelle La sphère publique dans les sociétés libérales démocratiques nord-occidentales est façonnée par le fait que les chrétiens ont été prééminents dans l’histoire pendant des siècles. D’où la définition de ce qui est « normal » : fêter Noël, avoir congé le dimanche. Ces normes sont invisibles et protégées – de même que les « chrétiens » ou individus héritiers de cette culture, de cette tradition – sans devoir rien faire. Ainsi un des plaignants pris en exemple, musulman pratiquant, s’est vu refuser le fait de pouvoir prier le vendredi, jour de travail, alors que les chrétiens peuvent aller le dimanche à la messe. La règle qui veut qu’on travaille du lundi au vendredi ou samedi privilégient les chrétiens même si cette règle se veut neutre. Ses origines ne le sont pas. Et de fait il existe des « poches » de privilèges dans l’État laïc. 4) Les chrétiens qui, dans les sociétés nord-occidentales, se revendiquent victimes de discrimination (indirecte) font historiquement partie d’un groupe dominant dont les normes et valeurs forment le background culturel « majoritaire », dominant. Or il faut un désavantage structurel pour être victime de discrimination indirecte. Dans de nombreux cas, les groupes chrétiens se plaignent en réalité de la suppression ou de la 2 réduction de privilèges historiques. Car des « poches » de privilèges chrétiens continuent d’exister dans l’État laïc (certains jours fériés, notamment, à l’exclusion d’autres). Le fait que le mariage serait réservé à un homme et une femme et qu’on puisse le refuser à deux personnes de même sexe en serait un. Ce serait sur cette base que le fait de devoir célébrer le mariage de deux personnes de même sexe est envisagé par une fonctionnaire d’état civil comme une « discrimination », or il s’agirait plutôt d’un cas de violation de sa liberté religieuse, pas de violation de l’égalité de chrétiens par rapport à d’autres groupes : le mariage homosexuel ne discrimine personne, le fait de réserver le droit au mariage à l’union d’un homme et d’une femme en vertu d’une conception religieuse du mariage (dominante), oui. De même, un contrat de travail prévoyant qu’on doit pouvoir travailler tous les jours, y compris le dimanche (par exemple dans une maison de retraite), ne désavantage personne si l’on compare la situation des groupes. Ainsi parler de discrimination directe implique un « animus » à l’égard d’un groupe. Il ne devrait pas en être question dans notre société où les individus et les minorités sont protégées. Cependant, c’est le cas à l’égard par exemple des minorités sexuelles dans une société comme la Hongrie. Ici, on parle de discrimination indirecte à l’égard non pas d’individus ni de groupes majoritaires mais nécessairement de minorités (historiques ou numériques ou les deux par exemple, comme les musulmans ou les homosexuel.les). 5) La question des privilèges laïcs Les chrétiens ne sont certes pas un groupe minoritaire vis-à-vis d’autres croyants, d’autres groupes religieux. Mais s’ils se comparent aux non-croyants, peuvent-ils se plaindre d’un privilège laïc, séculier ? Existe-il une discrimination religieuse indirecte dans l’État laïc ? Peut-on donc considérer les chrétiens comme une minorité à l’instar des femmes, des autres groupes religieux ? Les normes et les lois laïques peuvent-elles être considérées comme discriminatoires de manière indirecte ? Le professeur de droit conseiller de la fonctionnaire d’état civil (refusant de célébrer un mariage homosexuel), qui se définit comme un égalitariste, estime que la religion n’est pas différente de la « race » ou du genre, en termes d’identité. Cependant, pour que la plainte de la fonctionnaire pour discrimination puisse être recevable, il faut qu’elle ait été traitée différemment de ceux qui n’ont pas d’objection de conscience par rapport au fait de célébrer un mariage homosexuel. Pour CL, ceux-ci sont en effet avantagés par la loi car l’appliquer ne les dérange pas. Cependant, reproduit-elle un avantage structurel à l’encontre de croyants favorables au mariage hétérosexuel uniquement ? Autrement dit, le privilège séculier est-il similaire au privilège structurel de l’homme blanc hétérosexuel ? Non. Les chrétiens n’ont pas été exclus historiquement sauf dans certains régimes (les régimes communistes notamment). Dans les sociétés de l’Atlantique Nord (« nos » sociétés), la 3 sécularisation ne supprime pas le christianisme, qui fait partie du patrimoine, de la culture, d’où le « consensus » sur le dimanche, des spécificités de l’architecture et de l’urbanisme, la fête de Noël… C’est dans ce contexte que les manifestations des autres religions (vestimentaires notamment) sont rendues très visibles, voire perçues comme dérangeantes. Cela ne veut pas dire que la laïcité soit neutre. CL défend une conception minimale de la laïcité de l’État. Les citoyens religieux peuvent avoir droit à des exemptions par rapport aux lois générales qui protègent leur liberté religieuse, prennent en compte la religion. On peut encore distinguer une laïcité « fonctionnelle » qui répond aux exigences générales de l’organisation sociale en définissant des règles communes vis-à-vis desquelles les demandes d’exception visent à garantir le droit à la liberté religieuse. Et une laïcité « culturelle » qui renvoient aux normes qui ont pour effet d’exclure ceux pour qui l’appartenance religieuse visible est au cœur de leur pratique religieuse. Comme porter une croix ou un hidjab. Au final, CL insiste sur l’importance de distinguer entre les normes et revendications (claims) qui ont trait à la, aux libertés de l’individu, et celles qui ont trait aux normes d’égalité. L’atteinte à la liberté religieuse est distincte d’une discrimination, qui implique une inégalité structurelle entre des groupes. Remarques conclusives 1) Un refus d’exemption n’est pas forcément une discrimination : toute règle gênante n’est pas une discrimination 2) L’assimilation de tous les groupes discriminés peut être dangereuse et renforcer les « guerres culturelles » 3) Une plainte en discrimination doit mettre en avant un désavantage collectif et non individuel Pour CL, la plupart des demandes en matière religieuse sont individuelles et à ce titre on peut les prendre en compte voire accepter les exemptions à la règle quand elles sont réalisables. * Questions/discussion 1) Déni du droit à l’avortement et droit du médecin à ne pas pratiquer l’avortement. Si un seul médecin est disponible, sa liberté religieuse s’oppose au droit à l’avortement des femmes. A noter aujourd’hui qu’en Italie par exemple le droit à l’avortement est menacé par la pénurie de médecins acceptant de pratiquer l’avortement. 2) Question sur le financement public des cultes (en Belgique) : est-il inévitablement discriminatoire ? 4 Diffère du modèle britannique des Charitable Laws : exemptions fiscales pour les groupes religieux au titre de « charities » en fonction de leur utilité publique. Diffère du modèle allemand de l’impôt dédicacé. Loi de 1901 en France renvoie les groupes religieux à des associations privées. 3) Peut-on toujours faire la différence entre la laïcité fonctionnelle (rationalité instrumentale) et culturelle (qui renvoie à des normes) ? Quid du patron refusant à un employé le port de signes religieux au motif que les clients n’aiment pas cela ? Réponse de CL : cas de discrimination biaisée « réactive » ; le patron contribue à reproduire des différences structurelles. Dans le cas du port d’un uniforme ou d’un casque, il faut faire la part entre ce qui relève du nécessaire et ce qui relève de l’accessoire. Ainsi au Canada, certains membres de la police montée portent non le chapeau du « cowboy » canadien mais par exemple le turban : l’exemption en faveur de la liberté religieuse est possible parce que le chapeau n’est pas un casque (une protection) et que la laïcité (le port de l’uniforme) est fonctionnelle. Si la laïcité est culturelle et pas religieuse, la revendication est une revendication d’égalité. Lorsqu’il n’y a pas d’uniforme requis auquel le port de signes religieux s’opposerait, CL ne comprend pas (ne trouve pas justifiée) l’interdiction des signes religieux type foulard ou barbe. 4) N’a-t-on quand même pas besoin d’un arrière-plan de religions reconnues ou protégées ? Un groupe religieux n’est pas par ex. un club de kayak. Ne faut-il pas distinguer – mais comment – ente le religieux sincère et le religieux opportuniste, excentrique ? Pour CL, les revendications « farfelues » des groupes qui veulent célébrer le culte le mercredi, ou le samedi, ne l’empêchent pas de dormir. Certes il faut éviter la concurrence des plaintes en discrimination et protéger en amont la liberté religieuse. Mais la réponse aux cas de discrimination, c’est de changer la règle, en posant par exemple qu’au lieu du dimanche pour tout le monde, tout le monde a droit à un jour de congé. 5) La laïcité qui requiert des règles générales et communes peut-elle être discriminatoire ? Un privilège pour les laïcs ? Oui mais ce n’est pas nécessairement une injustice. Imposer le port du casque (y compris à ceux qui portent un turban) ne relève pas d’un privilège injuste. La règle n’est pas problématique. Ici le souci de sécurité passe devant la liberté de croire. Car il n’y a pas d’alternative. Idem pour le port du masque en contexte d’épidémie. La liberté n’est jamais « absolue ». 6) Si la discrimination est une question de groupe (d’inégalité entre groupes) et la liberté une question individuelle, ne doit-on quand même considérer que c’est parce qu’il appartient à un groupe (religieux) qu’un individu croyant demande une exemption, qui n’est donc pas qu’une question individuelle ? Effectivement, dans la réalité les gens font partie de groupes… * 5