Psychopathologie de la Périnalité et de la Parentalité PDF

Summary

This book explores perinatal and parental psychopathology, providing a comprehensive overview of the field. It integrates various theoretical frameworks and clinical practices, while also focusing on hot topics such as homopaternal relationships and children's development, adoption and abandonment. The book is aimed at professionals and students in the field.

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Chez le même éditeur Dans la collection Les Âges de la vie : Psychopathologie transculturelle. De l’enfance à l’âge adulte, par T. Baubet, M.-R. Moro, 2013, 304 pages. Crise et urgence à l’adolescence, par P. Duverger, M.-J. Guedj, 2013, 352 pages. Psychopathologie de l’intersubjectivité, par N....

Chez le même éditeur Dans la collection Les Âges de la vie : Psychopathologie transculturelle. De l’enfance à l’âge adulte, par T. Baubet, M.-R. Moro, 2013, 304 pages. Crise et urgence à l’adolescence, par P. Duverger, M.-J. Guedj, 2013, 352 pages. Psychopathologie de l’intersubjectivité, par N. Georgieff, M. Speranza, 2013, 272 pages. Enfance et psychopathologie, par D. Marcelli, D. Cohen. 2012, 9e édition, 688 pages. Psychopathologie en service de pédiatrie, par P. Duverger, 2011, 656 pages. Psychopathologie de l’adulte, par Q. Debray, B. Granger, F. Azaïs. 2010, 4e édition, 488 pages. Le geste suicidaire, par V. Caillard, V. Chastang, 2010, 376 pages. Psychopathologie du sujet âgé, par G. Ferrey, G. Le Gouès. 2008, 6e édition, 384 pages. Psychopathologie de la scolarité. De la maternelle à l’université, par N. Catheline. 2012, 3e édition, 432 pages. Psychopathologie du sujet âgé, par G. Ferrey, G. Le Gouès, 6e édition, 2004, 384 pages. L’attachement. Approche théorique, par N. Guédeney, A. Guédeney. 2010, 3e édition, 256 pages. L’attachement. Approche clinique, par N. Guédeney, A. Guédeney. 2010, 3e édition, 256 pages. La schizophrénie de l’adulte. Des causes aux traitements, par M. Saoud, T. d’Amato. 2006, 248 pages. Introduction à la psychopathologie, par A. Braconnier, E. Corbobesse, F. Deschamps et coll. 2006, 352 pages. Autres ouvrages : Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique générale, par R. Roussillon et coll. 2007, 720 pages. Manuel de psychiatrie, coordonné par J.-D. Guelfi et F. Rouillon. 2012, 888 pages. Les dépressions périnatales: évaluer et traiter, par J. Dayan. 2008, 240 pages. Collection Les Âges de la vie Conseiller éditorial : Daniel Marcelli Psychopathologie de la périnatalité et de la parentalité Jacques Dayan (sous la direction de) Professeur associé des universités, praticien hospitalier Psychiatre de l’enfant et de l’adolescent Responsable unité de psychologie et de psychiatrie périnatales, CHU de Rennes Ancien professeur associé institut de psychiatrie Mausdley, Londres avec Gwenaëlle Andro Praticien hospitalier, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent Responsable Unité de Périnatalité, CHU de Caen Michel Dugnat Praticien hospitalier, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent Responsable unité d’hospitalisation conjointe mères-nourrissons, AP-HM Président de la Société Marcé Francophone Et la collaboration de : N. Thessier, R. Milijkovitch, O. Rosenblum Préfaces de M. Godelier et A. Guédeney Ce logo a pour objet d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine universitaire, le développement massif du « photo-copil- lage ». Cette pratique qui s’est généralisée, notamment dans les établissements d’enseignement, provoque une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisa- tion, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d’autorisation de photocopier doivent être adressées à l’éditeur ou au Centre français d’exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). © 2015, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. ISBN : 978-2-294-71024-7 ebook ISBN : 978-2-294-74062-6 Elsevier Masson SAS, 62, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex www.elsevier-masson.fr Liste des collaborateurs Gwenaëlle Andro, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, pôle de psy- chiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU de Caen. Michel Dugnat, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, service universi- taire de psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, AP-HM, Marseille. Raphaële Miljkovitch, professeur de psychologie du développement, res- ponsable master psychologie de l’enfant et de l’adolescent, IED, univer- sité Paris-8 Vincennes-Saint-Denis. Ouriel Rosenblum, professeur de psychologie, université Paris-7 Paris Diderot, psychiatre et psychanalyste, attaché au service de psychiatrie de l’enfant et de l’Adolescent, groupe hospitalier de la Pitié Salpêtrière, AP-HP, Paris Nathalie Thessier-Dejoux, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, psy- chanalyste, Nice. Participation des différents auteurs : Jacques Dayan a rédigé ou co-rédigé l’ensemble de l’ouvrage à l’exception de « La théorie de l’attachement » (chapitre 1) et « Dissociation entre sexualité et parentalité » (chapitre 2). Gwenaëlle Andro a co-rédigé les chapitres 7, 14 et 15. Michel Dugnat a relu l’ouvrage et a effectué de nombreuses corrections et suggestions. Raphaële Miljkovitch a rédigé « La théorie de l’attachement » (chapitre 1). Ouriel Rosenblum a rédigé « Dissociation entre sexualité et parentalité » (chapitre 2). Nathalie Thessier a co-rédigé le chapitre 9. Abréviations AAI Adult Attachment Interview BDI Beck Depression Inventory (Beck, 1961) BSQ Behavorial screening questionnaire (Richman et Graham, 1971) CBLC Child Behaviour Checklist (Achenbach et Edelbrock, 1983) CIM Classification internationale des maladies CIS Clinical Interview Schedule (Goldberg, 1970) DDSI  Delusions-Symptoms-States-Inventory (Bedford, Foulds, Sheffield, 1976) DPP Dépression du post-partum DSM Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux EPDS Edinburgh Postnatal Depression Scale (Cox, 1987) GHQ-60 60- item General Health Questionnaire (Goldberg, 1972) GHQ-28 28- item General Health Questionnaire (Goldberg et Hillier, 1979) HDHQ Hostility and Direction of Hostility Questionnaire (Caine, Foulds hope, 1967) HRSD Hamilton Rating Scale for Depression (Hamilton, 1967) ICG Inventory of Complicated Grief IPAT Institute for Personality and Ability Testing (Cattell et Scheir, 1957) MADRS Montgomery and Asberg Depression Rating Scale (Montgomery et Asberg, 1979) MAP Menace d’accouchement prématuré MAS Manifest Anxiety Scale (Taylor, 1953) PPAT Pregnancy Psychologic Attitudes Test PSE Present State Examination (Wing, 1974) PTSD Post Traumatic Stress Disorder RDC Research Diagnostic Criteria (Spitzer, Endicott et Robins, 1978) SADS  Schedule for Affective Disorders and Schizophrenics (Endicott et Spitzer, 1978) SDS Zung Depression Scale (Zung, 1965) SDRS Zung Self-Rating Scale (Zung, 1965) SPI Standardised Psychiatric Interview (Goldberg, 1970) STAI Spielberger’s Trait Anxiety Inventory TRIG Texas Revised Inventory of Grief UCL Utrechtse Coping List Préfaces à la seconde édition Préface d’Antoine Guédeney Le livre de Jacques Dayan sur la psychopathologie de la périnatalité est un classique. En voici une nouvelle édition révisée et, elle était très attendue. Cet ouvrage et le précédent sont les premiers en français à couvrir tout le champ de la psychopathologie et de la psychiatrie périnatales. Jacques Dayan avait été le premier à ouvrir un Diplôme Universitaire sur le sujet, fruit de son expérience considérable de clinicien et de chercheur. Ce manuel va devenir un prérequis pour tous les étudiants des DU de psychopathologie périnatale qui se sont maintenant multipliés, et qui accueillent de plus en plus de professionnels déjà engagés dans ce champ et qui veulent se former, mais aussi d’internes et de médecins hospitaliers, de sages femmes libérales et de psychologues. La grande qualité de cet ouvrage est son ouverture, sur des données et des théories psychopathologiques française et étrangères ; c’est aussi de reposer sur la clinique, et d’intégrer les résultats les plus récents issus de la recherche. Enfin, ce travail aux qualités pédagogiques remar- quables fait le point sur des aspects du champ périnatal qui sont encore trop peu traités du point de vue scientifique : l’homoparentalité, et le devenir des enfants ; l’adoption et le développement ; l’abandon et l’infanticide, avec une remarquable synthèse sur les concepts et modèles de la parentalité, qui sont bien au cœur de la clinique actuelle avec les parents et jeunes enfants. Ces données, intégrées et interprétées de façon rigoureuse, sont seules à même d’éclairer et de faire avancer les débats qui agitent la société française sur ces points chauds. La seconde partie sur la psychopathologie périnatale traite de façon actuelle et du père et de la mère. Jacques Dayan nous offre une synthèse remarquable sur la dépression postnatale, dont il est un des experts mon- dialement reconnus, comme sur la psychose du postpartum, dont il a décrit les modes de prévention et d’intervention précoce. Le chapitre sur les psy- chotropes est rarement trouvé ailleurs dans la littérature francophone. On trouve donc dans ce livre une remarquable mise au point et un outil indis- pensable aux professionnels de toute formation en périnatalité. Antoine Guédeney Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, université Paris 7, Denis Diderot Polyclinique Ney hôpital Bichat Claude Bernard APHP VIII   Préface de Maurice Godelier J’ai plaisir en tant qu’anthropologue à écrire quelques mots pour faire connaître tout l’intérêt que j’ai pris à la lecture de l’ouvrage de Jacques Dayan, Psychopathologie de la Périnatalité et de la Parentalité. Ce livre n’est sans poser problème aux anthropologues qui ont parmi leurs domaines de recherche privilégiés l’étude des systèmes de parenté et des groupes sociaux qu’ils engendrent, clans, lignages, familles, etc. Les systèmes de parenté ne sont pas nombreux. Dans les dix-mille sociétés grandes ou petites qui coexistent encore aujourd’hui il n’existe que six à sept grands types de système de parenté. Le système euro-américain est une variété du système dit cognatique, où l’enfant qui naît d’une union est dit appartenir aussi bien à la famille de son père qu’a celle de sa mère. Ce n’est pas le cas du système patrilinéaire où l’enfant appartient au clan de son père, ni du système matrilinéaire où l’enfant qui naît appartient à la mère et au clan de sa mère. Tout système de parenté est engendré par la mise en oeuvre de deux principes qui génèrent des rapports sociaux différents. Le premier est un principe de descendance, qui définit précisément l’appartenance des enfants naissant des unions socialement légitimes. Le second consiste en des règles fixant avec qui un homme ou une femme peut ou ne peut pas s’unir. Parmi ces interdictions figure bien entendu la prohibition de l’inceste, mais elles vont au-delà : interdiction d’épouser une personne d’une autre religion, d’une autre couleur de peau, exerçant certains métiers, etc. En général pour les anthropologues, la tâche la première est d’identifier le système de parenté qui règne dans une société et que les individus qui en sont membres ne l’ont pas choisi mais doivent le respecter. La parentalité est alors définie comme la série des fonctions que les adultes qui sont les parents proches ou lointains d’un enfant doivent assumer vis-à-vis de ce dernier. En général, en analysant un système de parenté, on recueille de la part des informateurs les données qui explicitent ces fonctions et on précise qui doit les assumer. C’est relativement tardivement par rapport aux psychologues et aux psy- chiatres qu’Esther Goody (1982), une anthropologue qui avait travaillé en Afrique de l’Ouest, a écrit un livre sur la parentalité. J’ai moi-même repris son inventaire des fonctions de la parentalité en le complétant (Godelier, 2004). La parentalité dans les sociétés non occidentales ou à d’autres époques de l’histoire de l’Occident ne se réduit jamais à un désir individuel d’enfant res- senti par un homme ou par une femme, ceci pour deux raisons. Premièrement le choix du conjoint ou du partenaire n’est jamais une affaire personnelle mais une affaire collective : les individus ne se choisissent pas par amour. Deuxièmement toute union est conçue comme devant prolonger la vie d’un groupe de parenté, un lignage, un clan, etc. et donc l’obligation est faite aux nouveaux couples d’avoir des enfants. IX   Mais il faut analyser les faits de plus près. Dans un système matrilinéaire, le sperme n’est pas censé fabriquer l’enfant, l’homme n’est pas un géniteur, la femme seule est génitrice, mais elle-même ne suffit pas à faire un enfant : c’est un ancêtre qui se réincarne en elle dont l’esprit en se mélangeant au sang menstruel de la femme fabrique un foetus. Dans les systèmes patrili- néaires, c’est souvent l’inverse : l’homme seul est géniteur, la femme n’est pas génitrice et l’enfant est également la réincarnation d’un ancêtre appar- tenant au clan de l’homme. La définition et le vécu de la paternité et de la maternité ne peuvent pas être les mêmes dans ces sociétés et sont diffi- cilement comparables avec les attentes qui se manifestent au sein de nos sociétés individualistes où les unions privilégiées sont celles de personnes qui se sont choisies par amour et veulent des enfants pour la même raison. En fait, au cours de l’histoire de l’humanité il fallait faire des enfants, qu’on le désire ou non et entre personnes qui n’avaient pas d’obligation de se désirer. Il faut ajouter que l’individualisme constitutif de notre mode de vie entraîne pour beaucoup d’individus des situations de solitude et de difficul- tés d’existence. Elles n’existeraient pas au même titre dans des sociétés plus traditionnelles où les individus font partie de collectifs qui les entourent. Grâce à ce livre j’ai pu mesuré l’énorme absence dans les travaux des anthropologues d’enquêtes sur les attitudes des hommes et des femmes appartenant à d’autres sociétés face à la grossesse, face a l’accouchement et face à la survie des enfants. Difficile pour un anthropologue homme d’abor- der les femmes et les interroger sur ces questions. Ce n’est pas impossible pour une anthropologue femme mais peu d’entre elles à ma connaissance l’ont fait (Bonnet, 1988). Nous avons des informations sur les rites qui entourent la grossesse d’une femme lorsque celle-ci, après avoir fait plusieurs fausses couches, res- sent des douleurs et anticipe la perte à nouveau d’un enfant. Dans ce cas dans certaines sociétés africaines on fait venir un homme qui possède le savoir magique nécessaire car l’explication de ces troubles est que préci- sément ce sont deux ancêtres défunts du mari ou de la femme qui veu- lent en même temps se réincarner : explication parfaitement imaginaire à nos yeux mais qui fait que le spécialiste des rites va chercher à apaiser les esprits des défunts et leur demander de s’accorder entre eux pour que la grossesse arrive à terme. On voit que la « thérapeutique » repose sur des croyances religieuses partagées mais qui relèvent, à nos yeux, entièrement de l’imaginaire et engendrent des pratiques symboliques sur le corps de la femme. Si l’on compare ces observations avec ce qui se passe aujourd’hui en France, on constate que la majorité des femmes accouchent en milieu hospitalier et donc sont accompagnées avant et après l’accouchement par des professionnels de la santé qui ne lui sont en rien apparentés. C’est là une grande mutation sociale. Sans m’étendre plus loin j’aimerais faire deux remarques. X   Il y a dans le livre un beau chapitre sur l’infanticide. Il comporte une dimension historique profonde puisque l’on repart dans l’empire romain et dans l’infanticide qui suivait souvent la décision du pater familias de ne pas intégrer l’enfant qui vient de naître dans son clan (la gens patrilinéaire romaine). L’enfant refusé était soit abandonné pour mourir, soit donné à des esclaves. Il ne devenait pas citoyen de Rome. Là encore on a peu de données en anthropologie sur les pratiques d’infanticide, mais personnelle- ment j’avais fait une enquête sur ce sujet lorsque, par hasard, vivant et travaillant chez les Baruya, une tribu des hautes terres de l’intérieur de la Nouvelle Guinée, j’avais entendu dire que les femmes tuaient parfois leurs enfants à la naissance. J’ai enquêté auprès d’une centaine de femmes qui ne m’ont pas caché que, parfois, elles s’étaient séparées d’un de leurs enfants à la naissance. Elles m’ont donné deux sortes de raisons pour leur geste : le premier était qu’elles étaient tombées enceintes trop vite et qu’elles ne pouvaient pas nourrir au sein deux jeunes enfants à la fois et travailler chaque jour dans les champs pour nourrir leur famille et leurs cochons. Donc le sacrifice d’un enfant signifierait un espacement des naissances effi- cace. La deuxième raison était, dirons nous, sociale. Les femmes m’expli- quaient qu’elles ne voulaient plus faire d’enfants pour le clan de leur mari, celui-ci était un homme épouvantable et pour cette raison avaient étranglé l’enfant à la naissance. Quand les femmes revenaient de la hutte où elles avaient accouché, espace interdit aux hommes, sans bébé dans les bras, les hommes, le mari en général, les accusaient d’avoir tué un fils (on est dans une société patrilinéaire). Mais souvent le bébé était mort à la nais- sance, il n’y avait donc pas de vengeance de la part de la femme. Ce qui frappe à la lecture du chapitre sur l’infanticide et le néonaticide, c’est que les gestes homicides des femmes ne semblent pas être liés à des symptômes et des déficits psychiques mais à des difficultés à affronter des situations traumatisantes, soit des situations de pauvreté ou d’opprobre social, soit que la femme était tombée enceinte du fait d’une liaison sans avenir et ne voulait pas la transformer en un fait permanent. Également j’ai eu beaucoup d’intérêt à lire le chapitre sur l’homoparenta- lité. J’avais il y a quelques années affirmé que c’était là une métamorphose tout à fait prévisible dans les sociétés occidentales de la parenté. Je m’étais appuyé sur une partie des données qui sont mentionnées dans ce livre, notamment des enquêtes de Golombok. Le livre fait un point plus actuel. Il affirme très clairement que les résultats des enquêtes sérieuses menées sur l’orientation sexuelle des enfants nés de couples homosexuels montrent que celle-ci ne semble pas affectée profondément par le fait d’être né ou d’avoir été élevé au sein d’un couple de lesbiennes ou de gays. Peut-être fau- drait-il ajouter que ce qui se passe dans nos sociétés aujourd’hui met plus en évidence que jamais le fait que chaque individu est spontanément, « natu- rellement », habité par des tendances homosexuelles et hétérosexuelles et XI   que la reproduction de toutes les sociétés privilégie à l’évidence l’hétéro- sexualité pour continuer d’exister. La primauté de l’hétérosexualité dans toute société s’ajoute aux interdits des incestes homo et hétérosexuels. Mais dans beaucoup de sociétés, également du passé ou du présent, l’homosexua- lité a sa place, dans les rites d’initiation, dans la formation des guerriers, etc. Il faudra cependant encore plus d’enquêtes et d’analyses pour comprendre le désir de paternité chez les gays, par exemple les répartitions des rôles dans un couple de gays pour prendre soin d’un enfant. Mais pour le temps présent, le développement des unions homoparentales est un fait social et culturel limité à l’Occident. Enfin, derniers mots, l’adolescence. Dans la plupart des sociétés non occidentales, particulièrement les sociétés tribales, le développement des individus est socialement contrôlé, étape par étape. Par exemple les garçons seront séparés de leur mère et du monde féminin vers huit dix ans, à douze ans il franchiront une autre étape, à quinze ans ce seront des rites accompa- gnant la puberté, à dix-huit ans l’entrée dans l’âge adulte et à vingt, vingt et un ans le mariage avec une personne que l’individu n’a pas choisi. Paral- lèlement d’autres étapes seront franchies par les femmes avec bien entendu le moment crucial de la puberté chez les filles. Bref l’adolescence est enca- drée et structurée socialement collectivement et ceci crée un sentiment de solidarité entre individus du même âge. Là encore un grand contraste existe avec la solitude que peut ressentir dans nos sociétés un adolescent d’abord au sein de sa famille et au delà dans la société. Bref on a tout à espérer d’un dialogue et d’une coopération à développer entre anthropologues et psy- chiatres. Ce livre en est la preuve. Maurice Godelier Ancien directeur scientifique du CNRS Godelier, M. (2004). Métamorphoses de la parenté. Paris : Fayard. Goody, E.N. (1982). Parenthood and social reproduction: Fostering and occupational roles in West Africa, Cambridge. Bonnet, D. (1988). Corps biologique, corps social: Procréation et maladies de l’enfant en pays Mossi, Burkina Faso (Vol. 110). IRD Editions. Préface à la première édition Dans le monde développé, comme l’espérance de vivre longtemps et en bonne santé s’est accrue, une prise de conscience s’est faite de l’importance des troubles psychiques pouvant émerger à l’occasion de la naissance, et de leurs conséquences particulièrement sur la mère, sa famille et sur l’enfant en développement. En fait, la connaissance de l’existence de troubles mentaux maternels remonte à l’Antiquité. En 400 av. J.-C., Hippocrate a décrit plusieurs cas de mères ayant récemment accouché qui devinrent déli- rantes puis peu après décédèrent, probablement des suites d’une infection. Environ 2000 ans plus tard, quelques comptes-rendus sporadiques de cas de troubles mentaux où les mères non seulement survécurent, mais pour la plupart guérirent totalement, sont apparus dans la littérature médi- cale européenne. Il n’existait, quoi qu’il en soit, aucun corpus cohérent de connaissance concernant les troubles mentaux puerpéraux jusqu’à ce que le grand médecin français Emile Esquirol, à partir de l’expérience clinique d’une centaine de cas qu’il avait pu connaître à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, entreprît une classification de leur maladie, attirant l’attention sur le bref intervalle qui séparait l’accouchement du début de l’affection. Il en examina l’étiologie, l’évolution et le pronostic et publia son article princeps initialement dans un journal, puis l’inclut en tant que chapitre dans son livre Des maladies mentales dont la première édition date de 1838. Vingt ans après, Louis-Victor Marcé, élève d’Esquirol, publia la première monographie entièrement consacrée à la maternité et à ses troubles intitulée Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des nourrices. Ainsi, deux des plus importantes publications, références de la psychologie périnatale, ont été publiées par des psychiatres français. Leur impact s’est ressenti aussi bien en France qu’à l’étranger, et il était par exemple courant que des psychiatres anglais citent ou se réfèrent aux découvertes de leurs collègues français. La réciproque était d’ailleurs à cette époque aussi fréquente. Il s’agit peut-être d’une impression fausse mais fondée sur tout ce que j’ai pu découvrir de la littérature, il semble que depuis la seconde moitié du xixe siècle jusqu’à une époque très récente, l’intérêt porté aux troubles men- taux périnataux avait décliné en France, tandis qu’il s’était développé dans les pays anglo-saxons et scandinaves. La plupart des découvertes récentes, tant cliniques qu’épidémiologiques, émanent de la Grande-Bretagne, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Scandinavie et de l’Amérique du Nord. De plus, la plupart des psychiatres influents, mais aussi des XIII   psychologues, qui ont été à la base des récents développements portant sur ce sujet ont, comme Esquirol et Marcé, bénéficié d’une formation orientée vers ce qui est actuellement nommé la psychiatrie générale de l’adulte. Sans surprise, la plupart des débats ont continué à porter sur l’existence d’entités pathologiques autonomes et leurs possibles étiologies, tandis que l’essentiel de la recherche s’est centrée sur la clinique de l’état maternel, incluant le traitement et le pronostic, et bien entendu l’épidémiologie. Le nouveau-né, qui pouvait légitimement être perçu comme étant à la source des troubles, n’avait paradoxalement reçu que peu d’attention en dehors de la littérature psychanalytique. Il avait bien entendu été reconnu que les bébés pouvaient être victimes des impulsions homicides des parents, et des lois telles que l’Infanticide Act of England and Wales (1938) furent promulguées pour éviter aux mères mentalement malades la peine de mort pour infanticide. Le risque de maltraiter ou négliger l’enfant était un des motifs pour lesquels il était considéré comme inadéquat que les mères mentalement malades prennent soin elles-mêmes de leur bébé. C’est un psychanalyste anglais, Tom Main, qui rompit avec la tradi- tion en 1948 et admit pour la première fois un bébé avec sa mère malade mentale dans un hôpital psychiatrique. L’avantage d’une telle méthode se répandit comme une traînée de poudre et il fut rapidement admis que la vigilance clinique pouvait contrebalancer les risques potentiels. En réfé- rence aux théories qu’avait développées Bowlby à propos de l’attachement, un nombre restreint d’unités psychiatriques mères-bébés dirigées par des psychiatres d’adultes firent rapidement leur apparition en Angleterre, puis en Australie, Nouvelle-Zélande et Canada. Pourquoi n’a-t-on pas observé de développement semblable en d’autres pays ? En France, Racamier publia son travail novateur sur les mères et les bébés en 1961 mais il fallut attendre près de vingt-cinq ans avant que ne surgisse un intérêt explosif parmi les psychiatres français pour le développement et la création de services appropriés aux mères et à leurs bébés. Hormis quelques notables exceptions, le mouvement actuel pour améliorer la qualité des soins est essentiellement mené en France par des psychiatres d’enfants qui, pour la plupart, sinon tous, ont reçu une formation psychanalytique. Le nouveau- né est ainsi revenu au centre du débat et il est bien qu’il en soit ainsi. La question n’est plus simplement de savoir s’il faut garder ensemble la mère et son bébé, mais plutôt de savoir comment le faire au mieux de l’intérêt du bébé et de son développement, et quand procéder à une sépa- ration pour le protéger. Concernant les soins à porter aux nouveau-nés et aux nourrissons, il demeure de nombreuses questions sans réponse à côté d’une grande quantité de théories, de dogmes et d’ignorance. Il n’y pas si longtemps, on croyait que les bébés ne ressentaient pas la douleur, étaient opérés sans anesthésie, nourris selon des horaires stéréotypés et séparés de leur mère dans des nurseries « stériles ». XIV   Il existe actuellement une opportunité pour que surgisse un mouvement créatif émergeant du dialogue entre les traditions cliniques plutôt diffé- rentes de part et d’autre de la Manche. Les avancées se feront à travers une évaluation empirique des différentes idées et hypothèses, ce qui requiert une large ouverture d’esprit de chacun des interlocuteurs. L’alternative consisterait à se réfugier dans une mutuelle incompréhension en invoquant l’obstacle présenté par le langage, autant dans ses manifestations concep- tuelles que linguistiques. Il est heureux que Jacques Dayan, qui est un psychiatre d’enfants ayant reçu une formation psychanalytique et travaillant à Caen, soit autant à l’aise avec l’usage des psychotropes qu’avec l’abord des mécanismes psy- chiques. Il a rédigé un très érudit et stimulant traité couvrant la plupart des domaines-clés de la psychiatrie périnatale. Il est clair que les opinions déve- loppées dans cet ouvrage lui sont propres, basées sur l’expérience clinique et sur une connaissance approfondie de la littérature, à la fois française et internationale. Un auteur unique ne peut prétendre à être un expert inter- national de chaque sujet qu’il aborde mais offre en revanche une perspec- tive personnelle qui est ici inestimable du fait de la démarche ouverte et pragmatique avec laquelle Dayan a exploré un sujet à l’interface de nom- breux travaux, concepts et perspectives. Il explique mais ne simplifie pas à l’extrême, il documente les conflits et les désaccords sans embrouiller le lecteur et quand il laisse des questions sans réponse évidente, plutôt que d’offrir une solution à tout prix, il souligne les directions vers lesquelles le lecteur peut s’engager. En un mot, c’est un excellent thérapeute. Il aborde le sujet d’une manière panoramique. Le livre commence par l’examen de la psychologie de la parentalité et notamment de l’adaptation que nécessitent les rôles changeants de la maternité, ce qui le conduit logi- quement à l’étude des processus d’attachement et des mécanismes intergé- nérationnels, ainsi qu’à la répercussion sur l’enfant des dysfonctionnements parentaux. Il évoque succinctement la psychopathologie maternelle durant la grossesse, incluant un important et très intéressant examen du phéno- mène de déni de grossesse. Passant à la période post-natale, Dayan demande si le blues de la maternité doit être considéré comme un trouble mental, s’il peut entraîner des conséquences péjoratives pour la mère ou pour l’enfant et enfin s’il nécessite d’entreprendre une démarche thérapeutique. De telles interrogations peuvent inéluctablement s’appliquer à la dépression du post- partum ainsi qu’à la psychose puerpérale. Aucune réponse n’est possible en l’absence d’un consensus sur les définitions et les critères diagnostiques, sauf à accepter une cacophonie d’avis discordants. En ce qui concerne la dépression, on peut aussi se demander si le caractère post-natal est une simple coïncidence ou s’il implique une signification étiologique. En ce qui concerne la psychose, il persiste un doute quant à l’existence d’une entité singulière qui puisse être qualifiée de puerpérale. Dayan n’impose pas une XV   solution mais guide le lecteur à travers le labyrinthe kaléidoscopique de la terminologie : bouffée délirante, psychose cycloïde, psychose schizophréni- forme, psychose schizo-affective, psychose psychogénique et psychose hys- térique. Après tout, peut-être Esquirol n’avait-il pas tort ? Peut-être aucun trait clinique ne distingue-t-il la psychose puerpérale ? Dès lors comment interpréter l’écart de temps si bref entre la naissance et la période de haut risque d’émergence de l’affection, surtout en cas de troubles récurrents ? Comme Dayan le remarque pour ces raisons précises, les troubles mentaux de la puerpéralité offrent un modèle d’un intérêt exceptionnel pour les études étiopathologiques. Les pères réagissent différemment. Les études systématiques les concernant sont à peu près inexistantes mais l’opportu- nité est présente pour les développer. Les demandes de soins pour les mères schizophrènes et leurs enfants vont augmenter car le développement des prises en charge ambulatoires et les nouveaux traitements qui n’affectent pas la fertilité entraîneront davantage de grossesses. Quel est le mieux pour un bébé qui grandit dans un environnement marqué par la présence d’une mère sévèrement malade mentale ? Dayan examine l’impact additionnel des psychotropes prescrits, et non prescrits, sur la grossesse et sur le fœtus qui, déjà, présente un handicap génétique pouvant être encore aggravé par un mode de vie maternel déstructuré. Les sociétés peuvent apprendre les unes des autres quelle est la meil- leure manière d’agir lorsque la mère renonce volontairement à élever son enfant ou bien lorsque la société la prive de ses droits parentaux. Quels sont les effets sur l’enfant de l’absence de sa mère ? Les enfants qui vivent en institution souffrent mais ceux qui demeurent auprès de leurs parents peuvent aussi en pâtir. Plusieurs chapitres qui approfondissent cette question sont accompagnés d’un regard dirigé à la fois vers le passé et vers l’avenir. Les facteurs psychologiques jouent assurément un rôle dans la stérilité mais comment ? Les méthodes d’assistance médicale à la pro- création créent des difficultés potentielles sans précédent pour l’individu et la société. Quelles en seront les conséquences psychologiques pour les enfants conçus selon ces techniques ? Il n’y a pas tant de littérature capable de nous aider à répondre à cette question. Nous sommes en ter- rain plus sûr concernant l’accouchement prématuré, sujet pour lequel il existe de remarquables études qui abordent les facteurs de risque psy- chosociaux tout comme les conséquences. Il en est de même pour l’inter- ruption de grossesse. Pour terminer, un excellent chapitre conclut par la description de l’organisation des unités de soin mère-enfant et de la psychiatrie de liaison, insiste sur l’importance de la psychothérapie aussi bien que sur les risques et bénéfices de la prescription de psychotropes pendant la grossesse et au cours de l’allaitement. L’engagement de Jacques Dayan pour cet important sujet est clairement apparent, tout autant que la profondeur de ses connaissances et sa capacité XVI   de transmettre au lecteur des informations d’une manière stimulante qui suggère de nouvelles voies d’analyse. Bien que beaucoup de ces perspectives soient familières aux cliniciens et chercheurs français, elles peuvent amener de nouvelles idées et permettre de porter un regard neuf sur de vieux pro- blèmes. Pour cette seule raison, mais il y en a bien d’autres, je souhaite à l’ouvrage un grand succès. De plus, ce livre fournit un accès à la littérature anglo-saxonne dont autrement beaucoup de collègues français ne dispose- raient pas. J’ai bon espoir qu’il existera bientôt une traduction en anglais qui permettra réciproquement d’offrir à un public travaillant en Angleterre et ailleurs un accès aux travaux français. R. Channi Kumar Professeur de psychiatrie périnatale, Institut de psychiatrie, hôpitaux Bethlem et Maudsley, Londres Introduction La deuxième édition de cet ouvrage, actualisée et remaniée, rassemble les éléments essentiels à l’approche de la psychopathologie périnatale. Cette psychopathologie a pour objet l’interrelation entre les parents et l’enfant, les troubles parentaux et le développement de l’enfant, des aléas de la conception aux premiers mois après la naissance. La première partie consiste en l’étude générale des phénomènes de parenté et des processus de parentalité et de leurs effets sur l’enfant. Des notions y sont emprun- tées à l’anthropologie, à la sociologie, au droit. Elle se réfère également à des résultats d’études expérimentales. Prendre en compte tant les données culturelles que celles issues du laboratoire nous a semblé indispensable à la compréhension des modifications psychiques contemporaines de la nais- sance, normales ou pathologiques. L’application en est faite à l’étude des parentalités les plus habituelles comme à certaines formes de parentalités minoritaires (grossesses à l’adolescence, homoparentalité, adoption), aux conflits de parentalité (e.g. garde alternée) et aux impasses de la parenta- lité (abandon, infanticide). La seconde partie de l’ouvrage a pour objet la psychopathologie périnatale proprement dite. Celle-ci consiste en l’étude systématique des troubles psychiques caractérisés lors de la transition à la parentalité ainsi que leurs retentissements sur l’enfant. Les questions classiques de la dépression périnatale et des psychoses puerpérales sont actualisées. D’autres thèmes sont approfondis ou réexaminés : addiction et maternité, troubles anxieux, le deuil et sa prise en charge, l’infanticide et le déni de grossesse, les troubles du comportement alimentaire, la schizo- phrénie. Le chapitre sur les troubles de la paternalité a été approfondi. Les conséquences physiologiques et psychologiques des différents troubles sur l’enfant sont exposées et discutées. Un dernier chapitre porte sur les théra- peutiques – psychotropes, psychothérapies et soins institutionnels - avec de nombreuses références pour une aide à la décision. La psychopathologie périnatale est une discipline récente. A l’interface de la psychiatrie de l’enfant et de la psychiatrie générale de l’adulte, elle présente certaines spécificités. La première est de s’intéresser constamment à deux sujets simultanément, à leur interaction au sein d’une dyade profondément asymétrique. La seconde est de prendre en compte l’extrême plasticité et la volatilité de la symptomatologie en cette période, qui ne peuvent être compa- rées dans ce domaine qu’aux modifications psychiques de l’adolescence. La troisième est d’aller de pair avec d’intenses modifications corporelles qui affectent tous les systèmes biologiques, chez le nourrisson comme chez la mère. La quatrième, évoquée depuis longtemps, mais établie plus récemment, est d’impliquer massivement et extrêmement précocement des processus de XXII   socialisation, qui sont aussi des processus « d’inter-subjectivation ». Enfin une cinquième spécificité est d’être indissociable de l’étude des processus de développement de l’enfant, qu’il s’agisse de l’action de la relation sur le déve- loppement ou du développement sur la relation. Nous accordons un intérêt particulier à la réactivité parentale, d’impor- tance majeure dans les interactions précoces. Les recherches actuelles, chaque jour davantage, montrent la variété des facteurs qui y sont impli- qués. La réactivité parentale est affectée par l’histoire du sujet et répond à l’héritage infantile, premiers soins et éducation. Elle dépend aussi de fac- teurs biologiques, psychologiques ou psychiatriques, sociaux et culturels. Elle vient à influencer l’enfant. Dans une spirale interactive, elle tend, non inéluctablement, à une forme de reproduction des patterns relationnels personnels et intergénérationnels, et peut être, au delà, des mécanismes biologiques qui les sous tendent. En effet, si l’enfant hérite des parents un capital génétique, on considère aujourd’hui que l’expressivité de ce capital est très variable, s’exprime en termes probabilistes et dépend en général de l’environnement. Malgré le poids de ces multiples facteurs, la sympto- matologie de la dyade reste très sensible à l’environnement immédiat et à la thérapeutique. Cette plasticité sémiologique répond à la plasticité des phénomènes biologiques contemporains de cette période de la vie, pour le nouveau-né bien sûr, mais aussi dans une certaine mesure chez le parent. L’évolution des regards portés sur la périnatalité est rendue visible par la multiplicité des épistémologies qui les sous-tendent. Les premières concep- tions cohérentes des processus psychiques associées à la naissance, tant chez la mère que chez le nourrisson, sont dues à la psychanalyse - à des auteurs tels que D. W. Winnicott ou Th. Benedek. D’autres approches en sont issues, telles la théorie de l’attachement fondée par J. Bowlby – qui enrichie de la cybernétique et de l’éthologie, postule un instinct primaire d’attachement. Comme le rappelle dans sa préface R. Kumar, c’est un psy- chiatre psychanalyste Tom Main qui a permis pour la première fois en 1948 une hospitalisation conjointe en psychiatrie d’une mère et de son bébé. Parmi les notions mises en place à cette période, certaines restent robustes, notamment la précocité de la vie psychique et la nature des phénomènes intersubjectifs consubstantiels au développement. L’évolution des tech- niques d’imagerie et plus généralement de traitement du signal, une meil- leure connaissance des systèmes biologiques, une nouvelle considération de l’épigénétique, une compréhension encore balbutiante mais sans cesse approfondie du cerveau fonctionnel et de la plasticité synaptique offrent la voie à la création de nouveaux paradigmes. Dans la pratique thérapeutique contemporaine, de nombreux progrés restent à effectuer et nous espérons que cet ouvrage y contribuera. La sous-estimation de la souffrance psychique de certaines mères ou leur infantilisation quand elles viennent à se plaindre sont encore très répandues. Lorsqu’elles présentent XXIII   des troubles sévères, leur hospitalisation reste commune dans des dispositifs psychiatriques peu ou pas adaptés à leur maternité. La banalisation, voire le déni par l’institution soignante de la position centrale de l’accès à la paren- talité est fréquente. L’accès à la maternité est souvent essentiel dans la sur- venue des troubles et joue encore un rôle, comme cela a été montré, dans leur dynamique évolutive. Lorsqu’il existe, le sentiment d’avoir été incomprise ou ignorée en tant que mère, voire maltraitée par l’institution, la honte ou la colère qui peut en résulter, accroit le risque du développement de relations inadéquates avec le bébé ou au sein du couple. Il arrive encore qu’aucune prévention adéquate des troubles sévères ne soit mise en place. Parfois même, le fait n’est pas exceptionnel, le choix thérapeutique maximalise le risque d’émergence délirante postnatale : sup- pression de toute thérapeutique pendant la grossesse de femmes bipolaires type I (« psychose maniaco-dépressive ») au motif du risque tératogène mal- gré l’existence de traitement substitutif, alternative exclusive entre allaiter ou recevoir des psychotropes et enfin mise à l’isolement en cas d’émergence délirante et séparation durable avec le bébé. La violence des jugements sociaux envers les mères en difficulté psychologique, a beaucoup décru, notamment grâce aux travaux sur la dépression périnatale, mais elle ne s’est pas éteinte. Des formes rigides de puériculture négligeant l’interaction ou le développement précoce de la sensorialité, persistent ci et là, entrainant à chaque fois la mise en difficulté des mères les plus vulnérables. Le père reste quant à lui assez en retrait de toute prise en charge et un objet obscur et rare de la recherche, malgré son implication de plus en plus répandue dans les soins précoces. Cet ouvrage trouve son origine dans une familiarisation aux relations précoces mère-bébé à l’hôpital Saint-Anne auprès des docteurs Pierre Bour- dier et Ilse Barrande. Cliniciens de l’enfance hors pair et psychanalystes, ils avaient pris la suite de Pierre Male, fondateur d’une approche conceptuelle novatrice de l’Adolescence, simultanément psychodynamique, sociale et biologique, et enrichissaient leur pratique de celle d’Alice Doumic et de ses travaux pionniers sur les relations précoces. Ils n’hésitaient pas, par leur familiarité avec la pédiatrie, à accorder leur intérêt aux méthodes d’objec- tivation de l’activité cérébrale, alors représentées essentiellement par l’élec- troencéphalographie. Plus tard, le professeur R. Channi Kumar m’a invité à travailler à Londres, à l’institut Mausdley, comme Consultant puis Pro- fesseur Associé. Premier titulaire international d’une chaire de psychiatrie périnatale, il m’a conduit à une approche scientifique dans une concep- tion multidisciplinaire, associant des domaines aussi variés que l’endo- crinologie, l’épidémiologie ou la pharmacologie. Dans ce contexte, son intérêt constant pour les phénomènes culturels était un fait marquant et original. Ma réflexion a été soutenue par la permanence d’un travail colla- boratif avec des cliniciens et des chercheurs, parmi les premiers d’entre eux XXIV   Gwenaëlle Andro, psychiatre, Christian Creveuil, biostatisticien et Keiko Yoshida aujourd’hui professeur de pédopsychiatrie au Japon. Bérengère Guillery-Girard et le professeur Francis Eustache m’ont ouvert les portes du vaste domaine des sciences cognitives devenues indispensables à l’étude des relations précoces. Je remercie Sylvie Larmenier au nom de ceux qui m’accompagnent dans le travail clinique quotidien, ses innovations et ses vicissitudes. Je remercie aussi ceux qui ont ici apporté leur expertise. A tous, je rends hommage car ils m’ont permis d’investiguer le champ de la périna- talité avec intérêt et plaisir. Ce livre est dédié aux familles qui constamment enrichissent ce champ de leurs propres réflexions. Jacques Dayan Psychopathologie I de la parentalité Nous étudierons, dans cette première partie, le concept de parentalité et les liens théoriques qu’il entretient avec les aspects anthropologiques, sociaux et juridiques de la parenté, puis le processus psychique de parentalisation et enfin plusieurs formes spécifiques de la parentalité : parentalité à l’adoles- cence, homoparentalité et parentalité adoptive, en portant un intérêt parti- culier au développement de l’enfant. Nous terminerons par l’étude des rup- tures et discontinuités de la parentalité à travers l’abandon et l’infanticide. 1 La parentalité : concepts et modèles Le terme de « parentalité » est emprunté à l’anglais parenthood. Sa pre- mière occurrence dans un dictionnaire est signalée en 1856. Il désigne à son origine le rôle des parents dans une perspective pratique, morale ou civilisatrice. Il a évolué depuis dans plusieurs directions ; il a désormais, notamment, une connotation psychologique. En 1931, le psychanalyste Zilboorg introduit ce terme à propos de la dépression postnatale essentielle- ment paternelle. H. Deutsch, puis ses « élèves » Thérèse Benedek (1959) et Bibring (1961) se décentrèrent de l’exclusive de la pathologie psychiatrique pour aborder les échecs de l’attachement, la haine ou l’hostilité contre le fœtus ou l’enfant, certains aléas physiques de la grossesse et l’infertilité. Il est devenu constitutif des procédés d’analyse des troubles en psychopa- thologie périnatale. Introduit en 1961, il connaît en France une progression constante, et est utilisé aujourd’hui couramment par les démographes, les travailleurs sociaux et les anthropologues. Le concept de parentalité nécessitera alors une définition qui ne soit pas réduite au processus (diachronie) et qui puisse être utilisée à un moment donné de l’évolution (synchronie). Il ne se cantonne plus, comme à son origine, à la seule pathologie psychiatrique. Pour distinguer parentalité synchronique et processuelle, Stoleru et Lebovici (1995) désignaient par le terme de parentification la « transition vers la parentalité ». Le terme de parentalisation, autre néologisme, est aujourd’hui plus employé dans cette occurence, d’autant qu’il ne se confond pas avec le sens plus commun de « parentification » qui est de donner aux enfants un rôle parental inversant les places et attributs au sein de la famille. Les termes parentalité et parenté sont polysémiques. Sauf précisions, nous ferons ici référence à la parentalité en tant que processus et état, et à la parenté en tant que statut. La parentalité comme processus psychique Une dimension développementale et maturative Apports de la psychanalyse Le terme « parentalité » est introduit en France en 1961 par le psychiatre, psychanalyste et thérapeute de famille, Racamier, à travers l’étude des psychoses puerpérales, manifestations délirantes aiguës du post-partum. L’auteur interprète ces troubles comme une forme d’échec du processus de Psychopathologie de la périnatalité et de la parentalité © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 4 Psychopathologie de la parentalité parentalité. Celui-ci peut être défini comme le processus psychologique, prin- cipalement inconscient, qui conduit à rendre possible pour le sujet l’expérience, l’exercice et la pratique du statut de parent. Il s’accompagne de modifica- tions des préoccupations du sujet, de son humeur ou de sa réactivité. Ces ­modifications sont à l’œuvre, pour la mère notamment, dès la grossesse et se consolident dans le post-partum immédiat. L’accès à la maternité entraîne une crise développementale dont l’issue générale est maturative. Tout en actualisant des vœux infantiles, il s’accompagne de la reviviscence de conflits du développement. Cette reviviscence prend rarement spontané- ment une allure mnésique ; plus que la remémoration, c’est la reviviscence d’affects sans contenus représentatifs conscients qui est au premier plan. Ils sont facilement mobilisables chez le sujet en assez bonne santé psychique, ce que Bydlowski (1997) a nommé la transparence psychique. Le processus de parentalisation ne s’arrête pas à la naissance mais se poursuit toute la vie. Des remaniements importants peuvent encore se manifester, lors de la nais- sance de frères et sœurs. Une crise maturative. Pour des auteurs tels que Benedek (1959) et Bibring (1961), la grossesse et la naissance représentent une phase du développement psychoaffectif de la femme. Comme la crise de l’adolescence à laquelle on l’a comparée, elle fait intervenir de multiples facteurs biologiques et sociaux. Elle contribue à la réactivation mais aussi à des réaménagements plus « écono- miques » des conflits latents, qu’il s’agisse de la problématique œdipienne ou préœdipienne, ou plus généralement, de l’ensemble de l’évolution libidinale. Elle s’accompagne de moments de régression. Les transformations corpo- relles entraînent des modifications de la représentation de soi et de l’image du corps, une mise en tension, avec parfois dissolution et reconstruction des identifications précoces, en particulier à la mère. Le sens de l’identité person- nelle peut devenir fluctuant et fragile, la relation d’objet s’établit sur le mode de la confusion de soi et d’autrui. Pourtant, la grossesse est aussi le moment d’un épanouissement et d’une affirmation de soi, en partie d’un soi infantile et archaïque. Cette satisfaction régressive n’est atteinte que lorsque la mère peut s’y laisser aller, ce qui suppose la sécurité de l’environnement et le sou- tien à la future mère. Les études n’ont pas fait beaucoup de place à l’accès à la paternité qui s’accompagne aussi de modifications psychiques, biologiques et sociales (cf. chapitre « Paternité »). Une dimension inter et transgénérationnelle Définitions. Il est habituel de nommer intergénérationnels les « phénomènes » transmis ayant trait aux générations en présence, et transgénérationnels ceux liés aux générations en rupture, trop éloignées pour se rencontrer. Celles-ci peuvent être séparées par le temps et aussi par la disparition, ­souvent la mort, parfois l’abandon ou d’autres motifs. Les phénomènes étudiés par les psy- chopathologues (thérapeutes familiaux et ­psychanalystes) sont représentés La parentalité : concepts et modèles 5 par des manifestations pathologiques et ils éclairent la transmission normale de phénomènes psychiques. Cette transmission a conduit à l’émergence d’un vocabulaire nouveau en psychopathologie, empruntant pour partie à l’anthropologie. Il a pour objet les représentations chargées d’affect qui sont transmises, les moyens de cette transmission ou media (comportements, tics langagiers, silences et secrets, etc.), leur forme (mythes notamment), leur contenu (réincarnation, reproduction non sexuée, mort ou naissance, etc.). Mandat et dettes. Dans le cadre de la psychopathologie, les événements auxquels se rapporte cette transmission sont essentiellement des phénomènes négatifs : les ruptures de filiation, les événements chargés d’effroi ou de honte, les deuils, les maladies. Ils sont transmis sous forme de fantasmes de dettes générationnelles (le « grand livre de comptes » de Boszormenyi-Nagy, 1973), projection souvent inconsciente sur la descendance du devoir de réincarner un acteur d’un événement devenu en partie mythique, ou de man- dat (Lebovici, 1983), également inconscient, de répéter ou de réparer une hypothétique faute ou transgression d’un ascendant. Abraham et Torok (1978), deux psychanalystes français ont mis en avant un modèle de t­ransmission sans conscience de l’objet transmis, même par levée du refoulement. Torok a nommé crypte cette variété de clivage du moi, ­transmise à propos du deuil. Ce mécanisme prive le sujet de tout accès au sens et ne laisse à la troisième génération que le trouble et des fragments non ­interprétables. Ce mode de transmission évoque une autre hypothèse, celle de la transmission (incons- ciente) des représentations traumatiques intergénérationnelles, qui n’est pas exclusive de la connaissance (consciente) de l’histoire traumatique familiale et peut venir la compléter sous une forme ouverte ou cachée comme dans le « secret de famille » (Dekel et G­ oldblatt, 2008 ; Dayan, 1994). Une dimension phylogénétique du fantasme Fantasmes d’origine et fantasmes originaires. À travers la notion de fantasme d’origine, Freud soutient une innéité de la vie fantasmatique commune à l’espèce humaine. Ces trames ou représentations fantasmatiques seraient des scénarios inconscients communs à l’espèce, réélaborés dans l’histoire individuelle et dans chaque société. Ces fantasmes d’origine ou « origi- naires » incluent les fantasmes de naissance, de scène primitive, de séduction (dans un sens parfois proche de celui de viol), et le roman familial, représen- tation idéale du complexe familial. Ils seraient à base phylogénétique. Ces scénarios mettent en jeu des traces mnésiques irrécupérables directement. Il s’agirait d’une connaissance implicite transmise à l’espèce et liée à son développement. Son articulation peut être retrouvée à travers les rêves, les scénarios anxieux, certains comportements innés, mais aussi à travers des éléments culturels tels le choix du prénom ou les codes v ­ estimentaires. Ils demeurent en règle non accessibles à la conscience, en un mot des « fan- tasmes ». Elle pourrait être la trace d’un codage génétique, et mise en œuvre à travers le développement et les interactions humaines. 6 Psychopathologie de la parentalité Le concept de roman familial apparaît chez Freud dans un article de 1909, intégré à l’ouvrage d’Otto Rank « Le mythe de la naissance du héros ». Selon Freud, la sensation de ne pas voir ses propres sentiments pleinement payés de retour fait naître, durant les premières années de l’enfance, l’idée d’être un enfant d’un autre lit ou un enfant adopté. Si, précise-t-il, pour le petit enfant, les parents sont d’abord l’unique autorité et la source de toute croyance, avec les progrès du développement intellectuel, il ne peut manquer de faire « la connaissance d’autres parents, les compare aux siens et acquiert ainsi le droit de douter du caractère incomparable et unique qu’il leur avait attribué. » Il s’assigne lui-même une filiation imaginaire qui répond à la fois à la satisfaction de la rivalité œdipienne et à l’idéalisation première de ses parents, encore munie chez l’adulte névrosé des traits per- ceptibles de l’enfance. Selon Freud, cette construction peut être perceptible dans les rêveries diurnes de l’enfance mais reste refoulée chez l’adulte. Il présente ainsi une forme de formation universelle du mythe familial chez l’individu, qu’il distingue en une période asexuelle et une période sexuelle. Surtout ajoute-t-il : « Ce qui entre encore en ligne de compte, c’est le plus ou moins grand effort d’élaboration nécessaire pour que les fantasmes attei- gnent à la vraisemblance. Ce stade est atteint à un moment où l’enfant n’a pas encore la connaissance des conditions sexuelles de la venue au monde. » Modèles intégratifs Modèle psychoanthropologique de Guyotat (1980) Trouble psychiatrique et fonction parentale, référés à la filiation. Guyotat pro- pose en 1980 un modèle dont l’ambition est de rendre compte de la sur- venue de troubles psychiatriques en période périnatale. L’anthropologie lui offre une référence pour présenter un modèle cohérent. Sa pratique de psychiatre de liaison dans les services d’obstétrique, qu’il fut l’un des premiers à exercer en France, l’amène à observer les liens tissés, entre des récits de stérilité, de fausses couches à répétition, de traumas familiaux anciens ou actuels et l’émergence de troubles psychiatriques sévères, de la dépression à la psychose. Il recueille l’histoire personnelle et familiale avec ses traumas, secrets, dettes et mythes. Son essai théorique embrasse non seulement l’accès à la parentalité, mais aussi le processus de filiation dans son ensemble. Il part de l’hypothèse qu’un ensemble de données sociales et symbo- liques articulées autour du système de filiation, particulier à la famille du sujet ou étendu à un peuple, un clan, une lignée, etc., préexiste au sujet et le confronte à certaines exigences implicites. La conflictualité autour de ces exigences se retrouve au cœur de certains processus délirants. La conflictualité réactualisée par le fait de devenir parent n’est donc pas seu- lement individuelle, mais aussi transgénérationnelle et sociétale. Elle peut La parentalité : concepts et modèles 7 s’organiser en un trouble psychiatrique patent. Guyotat rappelle, comme Racamier (1978), que l’acceptation d’une dette de filiation est en rapport avec la constitution de l’organisation symbolique du sujet et que son déficit marque la psychose. Filiation narcissique et filiation instituée. L’auteur distingue et oppose deux types de filiations psychiques : la filiation instituée et la filiation narcis- sique. La filiation instituée est de l’ordre du langage, de la désignation des places et fonctions dans l’ordre juridique et social. Elle peut être évoquée comme une figure du langage, la métaphore. Elle se constitue dans un monde d’échanges symboliques et de déplacements, à travers le langage, les rites, les lois et structures qui désignent l’enfant dans son rapport de filiation. Guyotat qualifie de métonymique la filiation narcissique, consti- tuée dans une relation de contiguïté et de déni de la filiation paternelle. L’aphorisme « la chair de ma chair » met clairement en exergue une sorte de naissance par scissiparité, revendiquée absente de tout tiers et en même temps de toute institution. Il donne des exemples, des thèmes qui sont tout à la fois des mythes et des contenus délirants, caractérisant la filiation métonymique : naissances sans interventions sexuelles, naissances par la tête, etc. Ces naissances éliminent la figure du tiers, en tout cas humain. Pour l’auteur, le mythe dérive d’une forme psychologique de rapport à la filiation, le rapport narcissique, et non l’inverse. De la nature du rapport entre filiation instituée et narcissique, Guyotat fait un élément central de nombreux troubles psychopathologiques, au premier rang desquels les processus psychotiques (Guyotat, 1995). La psychose puer- pérale est un délire de filiation projeté sur la descendance. Il cite plusieurs cas de délire pouvant éclore à l’occasion de l’accès à la paternité ou bien chez la mère adoptante, exemples illustrant sa proposition selon laquelle le primum movens du délire n’est pas lié à la maternité stricto sensu. L’ensemble du modèle de Guyotat est utilisable dans le cadre d’une prise en charge psychothérapique, contrairement aux modèles présentés ci-après, plus opératoires et collaboratifs. Modèles multidimensionnels Un modèle à orientation socio-juridique (Théry, 1998). Irène Théry, sociologue, distingue la parentalité domestique, assimilable à la possession d’état, la parentalité généalogique fondée sur le droit et la parentalité biologique. Cette dernière peut elle-même se décomposer en parentalité génétique asexuée (fécondation in vitro) ou sexuée. Cette classification illustre le caractère objectif de la parentalité ordinaire : l’idéal social de deux parents géniteurs, éducateurs et époux, du fait des recompositions familiales n’est pleinement atteint qu’à peine une fois sur deux dans la population fran- çaise avec une pléthore de formes incomplètes. Un modèle psychosocial (Houzel et Dayan, 2000). Didier Houzel et Jacques Dayan, aidés de collaborateurs psychanalystes, philosophes, 8 Psychopathologie de la parentalité travailleurs sociaux, psychologues et psychiatres, ont cherché à partir de l’analyse de cas d’enfants ayant posé des difficultés majeures dans leur prise en charge autour de la naissance ou lors des premières années de vie, à définir des composantes de la parentalité dont la spécificité serait de pouvoir être utilisée avec profit dans le travail médico-social. Leur objectif était aussi de fournir un outil d’analyse permettant un travail de distanciation et de formation, minimisant les jugements moraux et les a priori qui, bien qu’implicites et souvent réprimés, menacent en perma- nence le travail social. Trois axes ont été isolés : l’« exercice » de la parentalité dont la description se rapproche de celle qu’opère Guyotat de la filiation instituée, l’« expé- rience » qui renvoie à l’« éprouvé » de la parentalité, étudiée à travers les représentations fantasmatiques ainsi que les éventuels troubles psychiques associés à l’état d’être parent, et enfin la « pratique » de la parentalité déployée à travers les soins les plus ordinaires, le care et le cure, l’emphase étant mise sur la dimension psychique des échanges comportementaux. Une quatrième dimension, hors champ, s’ajoutait à ces trois premières, la parentalité « attestée », qui consistait en la qualité du développement de l’enfant. L’ensemble pouvait donner lieu à une appréciation dynamique et offrait une lecture des difficultés ouvrant à des interventions positives dans les champs non spontanément abordés sous cet angle par les travailleurs sociaux, celui de l’exercice des droits et celui de la souffrance psychique. Dissociation médico-juridique entre sexualité et parentalité* L’exemple des couples contaminés par le VIH et/ou l’hépatite Depuis plusieurs années, les équipes d’assistance médicale à la procréation (AMP) sont sollicitées par des couples désirant un enfant, dont l’un des partenaires ou les deux sont infectés par le VIH et/ou le virus de l’hépatite C (VHC). Ces demandes sont en augmentation constante. La technique pro- créative proposée, aide médicale à la procréation avec préparation du sperme, est la méthode de référence. Elle est le prélude à la construction d’un indi- vidu issu d’un couple qui accède au statut de parents par l’entremise, à la fois de la fiction d’une sexualité stérile et de la contrainte de la non-transmission à l’enfant du caractère dangereux de leurs émissions sexuelles. Depuis 2001, ces techniques, entraînant une innocuité virale complète chez le futur bébé, ont permis la naissance de plusieurs milliers d’enfants en France. * Texte rédigé par O. Rosenblum. La parentalité : concepts et modèles 9 Comment fabrique-t-on des parents en bonne santé ? L’objectif ici est d’éviter la transmission à l’enfant d’une maladie d’une particulière gravité selon l’article 152-2 du Code de santé publique paru en 1994. Les conditions sont pour le couple d’être vivant, en âge de procréer, apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant aux interventions. L’AMP étant destinée à répondre à la demande parentale d’un couple, les membres de l’équipe médicale s’attelleront à vérifier la motivation des deux membres du couple. L’AMP chez les couples séropositifs vient lever l’interdit, du fait du danger de la contamination parent-enfant, et autoriser une réinscription au sein du champ social. Le couple passe du statut de survivants à celui de parents potentiels leur ouvrant le champ à une immortalité enfin envisageable. Ainsi, un des aspects primordiaux auxquels le clinicien est confronté de manière manifeste est l’insistance des couples à se promouvoir comme des futurs parents. Quand la médecine parraine une nouvelle famille En France, le 10 mai 2001 paraît un arrêté modifiant l’arrêté du 12 janvier 1999 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques en AMP. Cet arrêté fixe les conditions particulières de la prise en charge du couple : il s’engage à avoir une vie sexuelle protégée, y compris pendant la grossesse et l’allaitement, et il est tenu au respect des conditions sérologiques pour confir- mer la séronégativité du conjoint qui n’est pas infecté. De plus, la charge virale du conjoint infecté doit être quasiment indétectable dans le sang et nulle dans le sperme, si l’homme est infecté. Par ailleurs, le couple ayant reçu les informations sur les risques d’une grossesse chez une femme séroposi- tive, signe un consentement, les traitements antirétroviraux pris pendant la grossesse pouvant avoir un caractère délétère sur le développement du futur enfant (Rosenblum, 2012 ; Rosenblum et al., 2012). Ces dispositions contraignantes maintiennent le couple sous la tutelle d’une sexualité codifiée par la quantification normée des constantes biologiques. Ici, l’intimité des conduites et du corps désirant se traduit par une objectivation biologique, prélude à la naissance d’un corps filtré, indemne de toute contagion virale. Dans ces conditions, l’AMP devient une nouvelle forme de reproduction, parce qu’elle féconde selon ses propres procédés qui deviennent, selon M. Iacub (2002), aussi contrai- gnants, sinon plus, que ceux de la nature. Par l’action « régénérative » de la technique, une famille peut enfin émerger effaçant les éventuelles transgressions passées. La prise en charge ­médicalisée des couples séropositifs s’appuie sur les modes admis habituelle- ment des systèmes de parenté, avec les conditions du « comme si » : être 10 Psychopathologie de la parentalité vivant et en âge de procréer. L’« autre » du couple est une personne du sexe opposé en âge de procréer, qui prend son traitement de manière efficace et qui, plus est, abrite un virus présent, si possible indétectable, définissant par là le caractère sain à partir d’une norme définie par la quantité de virus lui-même. Ici, un des modes de la « fabrication de l’homme occidental », selon l’expression de P. Legendre (1996), est la prise en charge médicalisée de ses futurs parents. Ils conservent les stigmates de la faute originelle, sous l’apparence du virus rendu à l’état quiescent par les vertus du traitement. L’accès au devenir parent pérennise l’institution Par le jeu entre biologie et société, un certain type d’idéal du moi, « être parent soigné d’un enfant sain », va intervenir dans l’économie des désirs de l’individu séropositif et contribuer en même temps à la reproduction des rapports de parenté et des rapports sociaux auquel appartient cet individu. Cette position peut permettre de « domestiquer » chez l’enfant à venir, d’une manière anticipée, sa future sexualité polymorphe, déjà hypothéquée, en appartenant d’emblée à la société l’ayant fabriqué. Ses parents dépendant de manière vitale de la société qui les traite à vie, l’enfant à venir sera contraint par une dette contractée par eux. Cette créance a un prix, fixé par la société ; c’est, par exemple ici, le coût du traitement médicamenteux antirétroviral administré aux parents. Cette dette se trouve en compétition avec la dette de vie de l’enfant vis-à-vis de ses parents, décrit par M. Bydlowski (1997). Ici, par conséquent, la filiation s’origine à partir d’un double regis- tre, à la fois social et symbolique. À partir du moment où les couples séropositifs se sont soumis à la voca- tion reproductive de leur sexualité, ils n’en demeurent pas moins captifs de l’injonction médicale paradoxale suivante : pour se parer des habits respectables d’une figure parentale, ils sont instamment priés de ne pas se situer comme les agents transmetteurs vis-à-vis de leur progéniture. Plus encore, la non-transmission est la qualité parentale érigée en valeur suprême et requise comme condition unique pour offrir au futur enfant son inscription dans le champ de la filiation instituée par la société qui prend en charge ses parents. L’accompagnement psychologique des futurs parents à risque viral L’arrêté du 10 mai 2001 introduit d’emblée la nécessité de la présence d’un psychologue ou psychiatre impliqué dans l’accompagnement des couples à risque viral et des équipes pluridisciplinaires – infectiologues, obstétriciens et biologistes de la reproduction – qui en ont la charge. La position du professionnel du psychisme n’a pas vocation d’expertise ni de jugement, en revanche, celui-ci soutient les capacités élaboratives de la demande La parentalité : concepts et modèles 11 parentale d’un couple, tout en se rendant disponible aux partenaires pour les rencontrer tout au long des étapes de l’AMP, de la grossesse éventuelle et de la période du post-partum. Ainsi, il suscite et accompagne le travail d’élaboration du couple dans le cadre d’un suivi médical long et aléatoire et la capacité de l’homme et de la femme à travailler les difficultés inhérentes à une prise en charge où le risque de l’enfant à venir est posé par la situation même de l’abord thérapeutique antirétroviral des futurs parents et des effets éventuels sur leur progéniture. Enfin, il tente d’éclairer, par l’abord de la dynamique psychique propre au processus de parentalisation et de ses ava- tars, les décisions élaborées par l’équipe pluridisciplinaire ayant la respon- sabilité médicale du suivi des couples dans le cadre de l’AMP à risque viral. Parenté et anthropologie Les liens étroits entre l’organisation de la parenté et le phénomène de parentalité sont devenus plus évidents, à travers les perspectives intégrant les observations et concepts des différentes disciplines : anthropologie, psy- chologie, psychanalyse, neurosciences… Le sujet institué comme parent est à même de développer avec le plus de facilité l’investissement parental. Il reçoit le soutien de l’organisation sociale d’où il tire son identité de sujet et de parent. Des droits lui sont attribués et les moyens de les assurer. Il est soumis à des devoirs. Seul le parent légitime est appelé en droit à pouvoir exercer pleinement sa paren- talité. Dans le cas contraire, selon son statut social et la société à laquelle il appartient, le sujet en sera gêné, interdit ou même violemment sanctionné, parfois jusqu’à la mort. Les structures de parenté Prohibitions et obligations. Dans une perspective structurale, la parenté désigne les liens d’alliance, de filiation et de consanguinité organisant la structure familiale. Cette organisation joue un rôle considérable dans celle de la structure sociale et par extension dans les rôles sociaux. Lévi-Strauss (1967) nomme structure élémentaire de la parenté l’organisation qui résulte de la prescription conjointe des liens de parenté autorisés et interdits. La mobilité sociale est généralement plus limitée lorsque s’associent, en nom- bre élevé, prohibitions et obligations. Lorsque seuls sont prescrits les inter- dits, et qu’ils restent en nombre modéré, l’interdit de l’inceste en étant le plus universel, les structures d’alliance qui se créent sont plus diverses, variées et susceptibles d’évolution. Elles sont nommées structures complexes de la parenté. Lévi-Strauss considère les systèmes de mariage et de parenté comme des structures d’échange des femmes. Selon Godelier (2004), une autre fonction essentielle de l’organisation de la parenté est le maintien de la reproduction de l’« individu », de la lignée, de la société dans son ensemble. 12 Psychopathologie de la parentalité Acculturation, déculturation. En Europe, les familles issues de sociétés tra- ditionnelles sont confrontées à des prohibitions et obligations différentes de celles de leur pays d’origine. Les études sociologiques montrent une tendance spontanée à travers les générations à créer des compromis ou des formes intermédiaires entre les modèles familiaux d’origine et d’accueil, source parfois de tension intrafamiliale. Toutefois, certaines familles peu- vent être arc-boutées sur les formes originelles de leur système de parenté, particulièrement quand la société d’accueil ne leur offre pas d’autres formes de réassurance narcissique indispensables à leur évolution. Ceci est ainsi parfois le cas d’hommes issus de la seconde ou troisième génération qui per- dent autorité et gratification que leur conférait leur statut masculin, tandis que les femmes se trouvent revalorisées. Dans tous les cas, le passage d’un système de parenté à un autre demande un travail psychique particulier, long et complexe, à travers des formes intermédiaires de compromis, avec parmi les freins les plus importants à toute modification des représentations mentales, la loi et la religion, mais plus encore « une armature de traditions, […] qui, de génération en génération, sont transmises, sous de multiples formes, par les divers systèmes d’éducation, celles dont le langage, les rites, les convenances sociales constituent le soutien solide » (Duby, 1972). Œdipe, interdit de l’inceste, exogamie. La prohibition de l’inceste demeure l’interdit majeur dont la compréhension donne lieu à de vives contro- verses. Universel, il répondrait pour certains à une hypothétique détermination instinctuelle qui conduirait à une irrésistible tendance à rechercher des partenaires sexuels en dehors des proches, répondant à un mécanisme d’inhibition involontaire d’origine génétique et à parti- cipation en partie hormonale. Les approches socioanthropologiques, telle celle de Durkheim, mettent en avant des phénomènes culturels et sociaux qui associent systématiquement interdit de l’inceste et exogamie. Les croyances totémiques rendent pérennes à travers les générations le sentiment d’horreur religieuse pour le sang apparenté au totem. L’interdit de l’inceste dans les sociétés occidentales dériverait de telles croyances. La psychanalyse qui fait aussi de cet interdit un point central de la théorie, à travers notamment le « complexe d’Œdipe », n’offre pas d’hypothèse scientifique mais un mythe anthropologique : les fils coupables après le meurtre du père de la horde primitive s’interdisent d’épouser les mères et les autres femmes du groupe totémique laissées libres. Les fonctions de la parenté Godelier (2004) définit ce qu’il nomme les fonctions de la parenté, c’est-à- dire ce que l’organisation structurelle de la filiation oblige, interdit et permet. Il met la parenté au service de la parentalité. Il établit un lien dialectique entre organisations sociales et fonctions parentales. Il reprend en l’étendant et en la précisant une liste établie par E. Goody à-propos des structures de la La parentalité : concepts et modèles 13 parenté en Afrique de l’Ouest. Comme Malinowski, il fait de la parentalité la base de la structure sociale. En retour, il est aisé de s’apercevoir que les modi­ fications pérennes des structures socio-économiques, qu’elles résultent d’acculturation ou de déculturation, ou qu’elles soient fondées sur une dynamique interne, les progrès scientifiques aussi, agissent à leur tour en modifiant aux points de tangence, essentiels dans les organisations, l’orga- nisation de la parenté. Il définit ainsi sept fonctions : (1) instituer certains individus comme parents (2) élever les enfants, qui inclut : les nourrir et les protéger (3) les éduquer (4) les doter d’un statut et de droits spécifiques implicites ou explicites dont le premier est d’avoir un nom (5) avoir sur les enfants, en échange des devoirs à assumer envers eux, des droits particuliers qui dans certaines sociétés peuvent être de les vendre ou de les mettre à mort (7), définir les prohibitions sexuelles et leurs limites. La sixième fonction est l’articulation entre l’autorité parentale, l’obéissance et le respect atten- dus de l’enfant envers ses parents. Dans cette analyse, les fonctions de la parenté sont d’assurer la reproduction sociale, au sens le plus vital du terme, c’est-à-dire le maintien de l’existence d’une société donnée et de ses mem- bres à travers les générations, en tenant compte du poids de sa culture et de ses mythes propres, des modifications objectives de l’environnement, des techniques, du savoir et de la richesse. Ceci, malgré et avec les pressions contradictoires que chaque composante de cette dynamique peut exercer sur les autres et sur le système. Si les fonctions sont considérées comme universelles, les formes de la parenté sont elles-mêmes très variables. Cette variabilité qui était mise en évidence à travers l’histoire des civilisations et à travers la géographie des peuples, connaît actuellement une accélération qui conduit pour certaines générations dans les sociétés industrialisées à faire coexister des représentations différentes de la parenté et de ses fonctions chez le même sujet, source de tension interne et sociétale. Parenté et droit Filiation et lignées Filiation et descendance. Selon Godelier (2004), la filiation est définie comme les liens qui attachent l’individu à son père et à sa mère. La descendance est distribuée selon trois modalités principales : unilinéaire (patri ou matrili- néaire), bilinéaire (père et mère) et cognatique. Le système de descendance n’est ni universel ni la traduction d’un état de nature mais celle de son interprétation. Les principes qui touchent à la filiation sont « politiques » et « religieux », ils concernent les rapports de solidarité et de domination entre les sexes et entre les générations. Lignée et nom du père. La lignée accepte plusieurs définitions, la plus ­simple étant l’ensemble de la descendance d’un individu ou ancêtre. La lignée en 14 Psychopathologie de la parentalité anthropologie est en grande partie imaginaire et dépend du système de parenté. En effet, il ne s’agit pas de l’héritage biologique réel et contrôlé, comme les petits pois de Mendel, mais d’une formation imaginaire, quoique s’appuyant sur des vraisemblances biologiques, au regard de l’imaginaire bio- logique lui-même. Depuis très longtemps, notre système de descendance est juridiquement fondé sur un modèle généalogique à dominante patrilinéaire : le statut de père y est accordé par le mariage avec la mère. Dans le monde actuel, le nom qui marque la lignée reste le plus souvent celui d’un père ancestral, et se transmet par les fils. Ce système fixe le nom de famille, depuis la période 1000-1200 en France, à un ancêtre mâle supposé. Des dizaines de générations ultérieures porteront ce nom, occultant le nom de tous les autres hommes des lignées maternelles, comme bien sûr de toutes les femmes. La dation du nom reste un élément symbolique fondateur de l’identité dans notre société, pauvre en rituels. Elle est établie par un acte d’état civil. Elle favorise une représentation implicite de l’intangibilité de l’origine, en un ancêtre unique, sorte de père de la horde auquel l’enfant sera rattaché et en même temps différencié par le prénom. Ce mythe invisible est mis en tension notamment par l’adoption, l’enfant adultérin et la transmission médicale des gamètes extérieurs au couple. La référence à un ancêtre commun se retrouve encore communément aujourd’hui à travers la lecture du patronyme, « Ben » en arabe, « O’ » en Irlande, « Mac » en Écosse, « Son » ou « Sohn » dans les langues germaniques, signifiant « fils de ». Les modèles de parenté sont aujourd’hui en reconstruction en Europe de l’Ouest, pour de multiples motifs dont le délaissement du mariage et la fréquence des recompositions familiales après séparation. Malgré cela, le système de dation du nom résiste particulièrement bien. Il est demeuré en France, jusqu’en 1994, le seuil qui séparait juridiquement, par inscription à l’état civil, l’homicide de l’infanticide. En France encore, la possibilité nouvelle de choisir pour l’enfant dans certaines conditions le patronyme de la mère, en place ou à côté de celui du père, est peu utilisé : ce n’est étrangement pas sur le nom du père que s’établissent les luttes politiques et idéologiques. Les catégories juridiques de la filiation La filiation juridique, à l’image des systèmes de parenté, n’est pas un fait biologique mais une institution, dont l’ordre et l’essence sont, selon ­Lefebvre-Teillard (1996), politiques. Le droit présente une inertie moindre que les systèmes de parenté. Il marque les changements évolutifs sous une forme qui permet d’en concilier la structure de base : principaux interdits, prescriptions, et alliances restent conservés. La filiation légitime repose en France sur le mariage et non sur un fait de nature, la reproduction sexuée : tout enfant né pendant le mariage est a priori celui du père. Deux bouleversements récents ont ébranlé, sans encore La parentalité : concepts et modèles 15 la détruire, cette fondation imaginaire : la fréquence des naissances hors mariage reconnues par les deux géniteurs et la possibilité de rendre certaine la filiation paternelle par la recherche d’ADN. Beaucoup d’autres change- ments ont encore fragilisé cette construction : le don de gamètes, le don d’embryons, la gestation pour autrui et in fine le mariage homosexuel. La filiation maternelle est exceptionnellement mise en doute, reconnue comme telle à travers le fait observé que la mère a accouché. Les deux autres types de filiation sont les filiations « naturelle » (naissance en dehors du mariage) et « adoptive ». Le droit français contemporain (ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005) supprime les notions d’enfants « légitimes » ou « natu- rels » pour les remplacer par celles d’enfants issus de couples mariés ou de couples non mariés. Le problème est alors déplacé vers la question de la reconnaissance des enfants par le père et la mère. La filiation adoptive en droit français connaît une forme originale, l’adoption plénière, qui rompt tous les liens institués avec les géniteurs, les attribuant en totalité aux parents adoptants. Limites de la parenté généalogique Le statut des enfants nés hors mariage a attendu des siècles pour trouver une certaine équivalence à celui des enfants nés et élevés par leurs géniteurs mariés. Jusqu’en 2001, l’enfant né d’un tiers, alors que ses parents étaient mariés, avait ses droits amputés de moitié dans la succession du parent adultère. L’enfant adultérin était distingué de l’enfant naturel issu de deux personnes non mariées. L’enfant pouvait être légitimé par le mariage de sa mère et une reconnaissance de paternité de l’époux. Longtemps, l’opprobre a conduit ces enfants à un destin souvent difficile, favorisant, pour le moindre mal, le secret de la filiation et, pour le pire, toutes formes de violence. Aujourd’hui encore, aucune statistique fiable n’est publiée sur le nombre d’enfants adultérins alors qu’une évaluation pourrait être assez aisément conduite dans les centres de greffe. Les chiffres souvent avancés de 5 à 10 % tiennent plus de l’opinion que de la science et ne distinguent pas les parents informés de ceux qui ne le sont pas. Les lois sur l’adoption ont évolué ainsi que les droits de l’enfant adopté. L’originalité de la filiation plénière consiste, en France, à ôter à l’enfant adopté les droits attendus de la filiation par ses géniteurs et en retour à lui offrir ceux des adoptants. Les progrès techniques en matière de procréation ont amené de nouvelles formes de parenté, de plus en plus complexes, où la position de géniteur se dissocie de celle d’être parent. Elles ont soulevé et soulè- vent parfois encore autant de questions passionnées qu’autrefois le statut de l’enfant abandonné ou adultérin. Une première particularité est la pos- sibilité d’une naissance qui n’a pas été précédée d’un acte sexuel fécon- dant entre les géniteurs. Dans certains cas, le couple n’a plus de rapports 16 Psychopathologie de la parentalité sexuels depuis des mois, voire des années. Ce point donne lieu à peu de débats, ce que l’on peut comprendre étant donné que les relations entre acte sexuel et parentalité font l’objet d’une certaine réserve voire de tabous. Dans d’autres cas, comme le don de gamètes (ovules ou spermatozoïdes) et don d’embryons, les parents ne transmettent pas leurs gènes à leur enfant, l’identité des géniteurs reste connue seulement des autorités médicales : cette position commence à être contestée. Dans la gestation pour autrui (GPA), au départ initiée pour répon- dre aux demandes de femmes sans utérus fonctionnel, les gamètes peuvent appartenir aux « parents » mais l’enfant est porté par un tiers. Il est mainte- nant des cas où la femme gestante porte un embryon dont un des gamètes est issu d’une femme qui n’exercera pas elle-même de rôle maternel, notamment en cas de couple homosexuel masculin. Dans ce cas complexe, l’enfant aura été porté par une femme, une partie de ses gènes étant issue d’une seconde femme et lui-même pouvant être élevé seulement par deux hommes, dont un seul a donné ses gènes. Ce mode de filiation engendre de nombreuses questions éthiques nouvelles à propos de ce que représente idéologique- ment, philosophiquement, objectivement le corps de la femme qui engendre que ce soit dans le cadre d’un couple hétérosexuel antérieur, dans le cadre d’une adoption ou du recours à la procréation médicalement assistée. Récem- ment en France, la possibilité du mariage homosexuel laisse augurer la pos- sibilité d’une homoparenté ou au moins des débats à ce sujet. Dans presque toutes ces situations, à l’exception aujourd’hui de la gestation pour autrui (GPA), la position en droit dans la filiation est précisée sans ambiguïté : des personnes (le père et la mère ou la mère seule) sont reconnues légalement comme le parent de l’enfant, qu’ils exercent ou non leur fonction parentale. Le non-parent cohabitant. Des droits se profilent pour le beau- parent, c’est-à-dire l’allié (hétérosexuel en général) non-parent cohabitant ou marié avec le parent (step father). Leur présence fut jusqu’à la fin du Moyen-Âge presque exclusivement liée au décès d’un des parents qui sur- venaient près d’une fois sur deux avant les 15 ans de l’enfant. D’autres formes de ­coparentalité se dessinent aussi parmi les couples homosexuels, phénomène marginal quantitativement, mais appelant à modifier la repré- sentation sexuée que nous avons de la parenté. Normes et acceptabilité sociale Le succès du terme de « parentalité » s’étend aux démographes et aux socio- logues. La terminologie opère alors un léger glissement sémantique, qui confère au terme un sens intermédiaire entre structure de parenté et pro- cessus de parentalité, à travers deux déterminants majeurs, la domesticité et l’autorité. Dès le début des années 1970, le terme est décliné dans une version sociologique avec une perspective familialiste : monoparentalité, homoparentalité et coparentalité. La parentalité : concepts et modèles 17 Démographie Monoparentalité. On nomme monoparentales « les familles où un parent seul (aujourd’hui, dans 85 % des cas la mère), vit sans conjoint avec un ou plusieurs enfants de moins de 25 ans dans un même logement ». Jusque vers les années 1960, ces familles se composaient majoritairement de « filles-mères », « veuves de guerre » et « veuves civiles ». La terminolo- gie nouvelle participe à réduire leur stigmatisation, d’autant qu’elles n’ont cessé de croître : en 2005, 18 % des enfants de moins de 25 ans vivent dans une famille monoparentale, contre 8 % en 1968. En 1999, 75 % (Chardon et al., 2008) des familles monoparentales étaient dues à la séparation d’un couple établi, 15 % résultaient d’un couple jamais formé et 10 % du veu- vage. Si les revendications se font croissantes sur le droit des pères seuls, le nombre de familles monoparentales « paternelles » a peu évolué ces vingt dernières années. Homoparentalité. Le terme a été introduit en 1997 sur l’initiative de groupes militants pour désigner « toutes les situations familiales dans lesquelles au moins un adulte, se désignant lui-même comme homosexuel, est le parent d’au moins un enfant ». Cette définition assez vague, le terme parent n’est pas clairement défini, est en partie tautologique et les situations répondant à ce critère étant multiples, elle permet une assez large possibilité de consensus. Les configurations homoparentales résultent soit d’une recomposition familiale après une union hétérosexuelle, soit d’un projet élaboré avant la naissance par un couple ou une personne homosexuelle. Pour devenir parent, un couple de même sexe sans enfant ou une personne homosexuelle doit adopter (sur une base individuelle dans la loi française) ou bien utiliser une technique de procréation médicalement assistée (don de gamètes, sur une base individuelle dans la loi française) associée dans le cas d’un couple homosexuel masculin à un processus de gestation pour autrui (à ce jour illégal en France). La coparentalité. Le terme est employé dans des contextes diffé- rents. Juridiquement, il désigne l’exercice de l’autorité parentale partagé par les deux parents, même séparés. À côté de cette définition, il est aussi employé avec d’autres significations. Il est le nom donné à l’exercice par le conjoint non parent de « l’autorité parentale » pratique et de l’engage- ment dans l’éducation en cas de familles hétérosexuelles recomposées ou de parents séparés. En France, il n’est pas accordé de droits particuliers au beau-parent exerçant une forme de parentalité contrairement à la latitude donnée après un acte légal dans le droit britannique et aus- tralien notamment. La coparentalité peut aussi désigner une forme de parentalité à plus de deux parents (femmes, dont une au moins est homosexuelle) s’accordant pour avoir un enfant ensemble et l’élever conjointement. 18 Psychopathologie de la parentalité Les métamorphoses de la parenté (Godelier, 2004) : acceptabilité sociale Le rejet que peut susciter l’introduction de formes nouvelles de parenté est à mettre en rapport avec le bouleversement de la construction fictionnelle ou mythique établie par chaque société de l’ordre dit naturel ou légitime de la filiation. Les déviations aux formes standard de la parenté peuvent être interdites voire punies sévèrement dans telle société et calmement autorisées voire encouragées dans d’autres : gémellité, mariage entre cou- sins germains, rapt et viol des jeunes filles, nubilité déclarée dès le début de la puberté, parenté de couples non mariés, monoparentalité féminine et aujourd’hui homoparentalité. La légitimité des différentes formes de parenté varie historiquement et selon les peuples et la géographie : elle est donc éminemment culturelle. Les formes autorisées de la parenté sont sou- vent représentées au regard de l’état de nature, désigné soit comme modèle, soit comme repoussoir. Dans le monde occidental dominé par des structures complexes de la parenté, et donc par la possibilité d’une variation étendue des formes d’alliance, le statut du parent et de l’enfant n’a évolué que lentement. Des formes d’alliance éloignées du modèle standard ont toujours existé, souvent en très grand nombre, mais tenues en marge ou au secret. Le rejet des formes non standard d’exercice de la parenté a rarement été motivé par l’intérêt de l’enfant même si celui-ci a été souvent évoqué. Il provient de sources religieuses, culturelles, politiques notamment. Les formes de parenté admises dans une société donnée participent de la superstructure régulant l’organisation des alliances, elles-mêmes liées au partage et à la transmission des biens matériels et immatériels, à l’organisation poli- tique, économique et militaire. Le recul, apporté par le temps comme par les études ethnologiques et psychologiques, montre que les enfants souf- fraient non tant du fait de l’exercice de ces formes de parenté nouvelles que de la déqualification sociale, voire intrafamiliale, qui en résultait. Ceci est évident aujourd’hui pour les enfants illégitimes mais nombre d’écrits ont fait porter pendant des siècles sur l’illégitimité même les « vices » de l’enfant. Il y a à peine quelques années, des auteurs y compris au sein de sociétés savantes, avait mis en avant le risque d’évolution psy- chotique des enfants nés par don de gamètes, propos qui ne sont plus rapportés maintenant. D’autres spéculent aujourd’hui sur un risque de nature non précisée, que présenteraient les enfants élevés par des parents homosexuels. D’un point de vue individuel, la passion entraînée par les débats autour des modifications du statut parental résulte de la remise en question d’une fiction identitaire fondamentale et organisatrice de l’ordre social en géné- ral, et de la psyché en particulier. La parentalité : concepts et modèles 19 Alors que les nouvelles parentés issues des techniques médicales de pro- création ou du mariage homosexuel, autorisé depuis peu en France, concer- nent relativement peu de familles, elles interrogent pourtant l’ensemble du statut de la filiation. En effet, elles sont susceptibles de remettre en cause les constructions culturelles de la parenté à partir desquelles les sujets d’une société donnée établissent une part essentielle de leur identité. Elles ne deviendront acceptables que lorsqu’elles seront assimilées à des formes antérieures et légitimes de parenté, fonctionnant en quelque sorte par cooptation. Des études entreprises à ce jour semblent montrer qu’elles n’affectent pas plus l’enfant que les formes standard de la parenté. La construction progressive de la personne La fonction de parent est consubstantielle à la naissance de l’enfant. Cette naissance n’est pas seulement biologique, elle est aussi sociale et symbo- lique. Le fœtus et le

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