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THÈME VI : LA RESP ONSABILI T É DE L’ADMINI STRATI ON Le droit de la responsabilité publique prend une importance toujours accrue. Le régime de la responsabilité publique a connu depuis près d’un siècle et demi, une profonde mutation avec le passage de l’irresponsabilité de l’État à l’admission de l...

THÈME VI : LA RESP ONSABILI T É DE L’ADMINI STRATI ON Le droit de la responsabilité publique prend une importance toujours accrue. Le régime de la responsabilité publique a connu depuis près d’un siècle et demi, une profonde mutation avec le passage de l’irresponsabilité de l’État à l’admission de la responsabilité de l’État dans l’arrêt TC, 8 février 1873, Blanco en tant que responsabilité autonome, spécifique et différente de la responsabilité civile. Mais le principe d’irresponsabilité de l’État connaissait des exceptions : - La loi du 28 pluviôse an VIII confiait aux conseils de préfecture la réparation des dommages causés par des travaux publics ; - Les tribunaux judiciaires pouvaient engager la responsabilité de l’État du fait de la gestion de son domaine privé. L’abandon du principe d’irresponsabilité de la puissance publique, y compris pour les fautes commises par le service de police, est intervenu avec l’arrêt CE, 10 février 1905, Tomaso Grecco. Conclusions Romieu sous l’arrêt CE, 1905, Tomasco Grecco : les mêmes principes que dans l’arrêt Blanco doivent être appliqués à « toute erreur, toute négligence, toute irrégularité [qui] n’entraîne pas nécessairement la responsabilité pécuniaire de la personne publique. Il appartient au juge de déterminer, dans chaque espèce s’il y a une faute caractérisée du service de nature à engager sa responsabilité, et de tenir compte, à cet effet, tout à la fois de la nature de ce service, des aléas et des difficultés qu’il comporte, de la part d’initiative et de liberté dont il a besoin, en même temps que de la nature des droits individuels intéressés […] ». C’est l’exigence initiale d’une faute lourde : « pour s’acquitter de la lourde tâche de maintenir l’ordre dans la rue, les forces de police ne doivent pas voir leur action énervée par des menaces permanentes de complications contentieuses ». Au cours des décennies qui ont suivi, les règles du droit de la responsabilité publique ont cependant évolué de façon que les règles de responsabilité administrative ne sont plus toujours favorables à l’Administration et qu’elles se distinguent moins de celles de la responsabilité privée (même si elles gardent une certaine spécificité). L’autonomie de la responsabilité administrative est ainsi devenue relative : 1) La condition de faute lourde a largement été abandonnée par le juge, une faute simple suffit désormais dans la majorité des cas et parfois aucune faute n’est même exigée (pas de faute à prouver). 2) L’arrêt CE, 24 novembre 1961, Consorts Letisserand : Traditionnellement, la jurisprudence administrative exigeait que le préjudice subi soit évaluable en argent et refusait d’aller plus loin et d’indemniser la douleur morale, le chagrin. Cette solution était différente de celle des tribunaux judiciaires qui acceptent depuis la fin du XIXe siècle de réparer la douleur morale. Le revirement de jurisprudence est intervenu en 1961. 3) L’évolution du droit de la responsabilité publique s’est opérée sous l’influence de la CESDH, notamment sur le fondement de son article 6 § 1. CE, 28 juin 2002, ministre de la Justice contre Magiera : engagement de la responsabilité de l’État sur le fondement du droit pour les justiciables à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable (vous devez bien connaître cet arrêt, car il pose la responsabilité de l’État du fait de la justice défaillante pour faute simple). 4) Un certain nombre de régimes spéciaux de responsabilité ont en outre été institués par des textes dans le souci de mieux protéger les victimes dans certaines circonstances particulières. Le droit de la responsabilité est aujourd’hui articulé autour de deux axes principaux : la responsabilité pour faute (Chapitre I) et la responsabilité sans faute (Chapitre II). Objectif Barreau — Droit administratif 143 CHAPITRE I – LA RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE POUR FAUTE La responsabilité pour faute ne peut être engagée que si trois éléments sont réunis : une faute imputable à l’Administration ou à un de ses agents (Section 1), un préjudice (Section 2), et un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi (Section 3). Il faut ajouter, enfin, pour être complet, la question de la faute personnelle ou de service pour savoir qui sera responsable en définitive de l’Administration ou de ses agents (Section 4). SECTION 1 – LA FAUTE Concernant la question de la faute, deux aspects sont essentiels : la preuve de la faute (I) et la qualification de la faute (II). I. Preuve de la faute Une faute n’est pas nécessairement une illégalité. Mais toute illégalité constitue une faute (CE, 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ Sieur Driancourt ; CE, 30 janvier 2013, M. Michel Imbert). La faute doit, en principe, être prouvée par la victime. Il existe cependant certains domaines où la faute est présumée, ce qui renverse la charge de la preuve puisqu’il appartiendra à l’Administration de prouver qu’aucune faute ne lui est imputable (contrairement au régime de la responsabilité sans faute, les présomptions de faute peuvent être renversées par l’Administration qui peut échapper à toute responsabilité en démontrant qu’elle n’a commis aucune faute). C’est le cas : — S’agissant des établissements publics de santé, d’une part, de la contamination par le virus de l’hépatite C (article 102 de la loi no 2002-303 du 4 mars 2002 ; CE, 10 octobre 2003, Mme T.) et, d’autre part, des infections iatrogènes et des affections nosocomiales, c’est-à-dire des maladies contractées dans les établissements de santé (CE, 9 décembre 1988, Cohen). Ici, la présomption de faute est, en pratique, irréfragable : « […] le fait qu’une telle infection ait pu néanmoins se produire, révèle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier […] » (CE, 9 décembre 1988, Cohen). — Pour les dommages causés aux usagers d’un ouvrage public. De tels dommages sont aussi appelés dommages de travaux publics (voir infra). Ici, le juge renverse la charge de la preuve ; il présume que l’accident résulte d’une faute de l’Administration, faute appelée « défaut d’entretien normal » de l’ouvrage public. Il appartient à l’Administration de prouver qu’elle n’a pas commis de faute, qu’elle a entretenu normalement l’ouvrage public. Il s’agit donc ici d’une présomption simple (« réfragable »). Définition : Dommages de travaux publics : l’expression « dommages de travaux publics » désigne aussi bien les dommages causés par l’exécution de travaux publics que les dommages qui sont dus à l’existence même ou au fonctionnement de l’ouvrage construit. II. La qualification de la faute La responsabilité de l’Administration n’étant « ni générale ni absolue », il existe certaines hypothèses où la faute doit revêtir un certain degré de gravité pour entraîner la responsabilité publique. Le principe aujourd’hui est celui de la responsabilité pour faute simple, mais il reste certains domaines où l’exigence d’une faute lourde a été maintenue comme, par exemple ; — La police administrative : Initialement, l’activité de police administrative excluait toute responsabilité. Puis, il s’est produit un revirement de jurisprudence : CE, 10 février 1905, Tomaso Grecco. Toutefois, cette responsabilité n’est pas soumise à un régime uniforme. S’agissant de la responsabilité pour faute, qui constitue le principe, le juge procède à une distinction entre les activités juridiques de police (édiction de mesures de police, organisation du service…) et les activités matérielles de police sur le terrain. Une faute simple suffit pour engager la responsabilité de l’administration au titre des activités juridiques de police (CE, 4 décembre 1995, Objectif Barreau — Droit administratif 144 Delavallade). En revanche, exception faite des missions de simple surveillance, une faute lourde était nécessaire pour engager la responsabilité administrative au titre des activités matérielles de police sur le terrain (CE, 5 avril 1991, Société européenne de location de service ; CE, 4 décembre 1995, Delavallade). Mais, la jurisprudence récente témoigne d’un recul quasi-total de la faute lourde, même dans le domaine des activités matérielles de police. Ainsi, pour les activités de secours (lutte contre les incendies, services médicaux d’urgence, secours en mer etc) on est passé à la faute simple (CE, 1998, Cne Hannappes ; CE, 1997, Theux, CE 1998, Améon). La faute lourde demeure dans quelques cas. Est subordonné à la commission d’une faute lourde l’engagement de la responsabilité de l’État du fait de l’absence de mise en œuvre par le préfet de ses pouvoirs de substitution aux autorités municipales en matière de police (CE, 7 avril 1967, commune de La Roque-Gageac ; CE, 25 juillet 2007, Société France Télécom). Attention, il a récemment été admis que la responsabilité des services de police, à l’égard des personnes visées par une opération de police, était engagée pour faute simple en cas d’utilisation d’une arme très dangereuse, comme un flashball (CAA Nantes, 5 juillet 2018). — Activités militaires : CAA de Bordeaux, 16 juin 2003, M. et Mme D., no 00BX01446 : « Considérant que le fait d’avoir laissé M. D. assister à l’essai nucléaire en cause face à la montagne, à l’extérieur de l’abri antiatomique existant, puis participer à plusieurs reprises sans protection particulière au prélèvement d’échantillons dans la zone contaminée dans les semaines ayant suivi l’explosion, constitue une faute lourde de l’État susceptible d’engager sa responsabilité. » Depuis plusieurs années, on assiste à un rétrécissement du champ de la faute lourde. La jurisprudence, après avoir exigé une faute lourde, a opéré un revirement pour se contenter d’une faute simple pour ce qui est de l’engagement de la responsabilité dans les domaines suivants : l’activité des services fiscaux, les activités de secours ou de sauvetage, l’administration pénitentiaire et les établissements publics de santé. Actualité importante : Dans un arrêt CE, 9 octobre 2020, Lactalis, le Conseil d’État rappelle qu’en principe la responsabilité du fait de l’exercice de la fonction juridictionnelle, s’agissant de la justice administrative, ne peut être engagée qu’en cas de préjudice résultant d’une faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle et non du fait du contenu d’une décision de justice. Il n’existe qu’une exception à cette impossibilité dans le cas où, par son contenu, la décision litigieuse est entachée d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne. L’arrêt définit ce qu’il convient d’entendre par cette expression. D’une part, il convient de tenir compte de tous les éléments caractérisant la situation qui est soumise au juge national, notamment du degré de clarté et de précision de la règle de droit de l’Union en question, de l’étendue de la marge d’appréciation que cette règle laisse aux autorités nationales, du caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, du caractère excusable ou inexcusable de l’éventuelle erreur de droit, de la position prise, le cas échéant, par une institution de l’Union européenne et ayant pu contribuer à l’adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit de l’Union ainsi que de la méconnaissance, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel au titre du troisième alinéa de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. D’autre part, il est constant qu’une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée lorsque la décision juridictionnelle concernée est intervenue en méconnaissance manifeste d’une jurisprudence bien établie de la CJUE. SECTION 2 — LE PRÉJUDICE La jurisprudence exige que le préjudice invoqué soit : - Direct : il doit avoir pour cause directe le fait imputé à l’Administration, - Et certain. Mais un préjudice certain n’est pas nécessairement un préjudice actuel, déjà réalisé. Un préjudice futur peut donner lieu à réparation dès lors que sa réalisation est certaine. C’est le cas par exemple de la perte d’une chance sérieuse. L’exigence que le préjudice soit certain exclut les préjudices qui ne présentent qu’un « caractère éventuel » (CE, 26 avril 2006, Mme Viviane A.). Le préjudice peut toutefois être futur (p. ex, l’invalidité d’un enfant qui réduira ses capacités professionnelles ; CE, 1981, Centre Hospialier de Lisieux), ou résulter d’une perte de chance Objectif Barreau — Droit administratif 145 « suffisamment sérieuse » pour être indemnisée : ex, candidat irrégulièrement évincé d’un concours, CE, 1987, Legoff ; ou le candidat à un contrat irrégulièrement évincé CE, 2017, Sté Bancel). Le préjudice doit aussi être évaluable en argent. Si longtemps, la douleur physique était exclue de l’indemnisation, les souffrances physiques « d’une certaine importance » sont désormais indemnisables (CE, 1958, Cne Grigny). De même, le juge indemnise désormais la douleur morale (CE, 1961, Letisserand), et le préjudice d’anxiété (ex : la conscience du risque de développer une pathologie grave ; CE, 2016, Mme Bindjouli). SECTION 3 – LE LIEN DE CAUSALITÉ Pour que l’Administration puisse être déclarée responsable, il faut que le préjudice se rattache à son fait, qu’il y ait un lien direct entre le fait générateur (fautif ou non) et le préjudice subi. Le préjudice doit être imputable à la personne dont on recherche la responsabilité. Il ne suffit pas que l’activité de la personne ait rendu possible le préjudice, il faut qu’elle l’ait provoqué. Exemple de Pierre Laurent Frier dans son manuel : un paysan achète une vache malade à un vendeur. Cette vache meurt, contamine tout le troupeau, le paysan devient dépressif et se suicide, sa femme est obligée de vendre la ferme. On oppose traditionnellement en la matière la théorie de l’équivalence de conditions selon laquelle tout fait, sans lequel le dommage ne se serait pas produit, est considéré comme la cause du dommage (dans l’exemple, le vendeur doit répondre de tout ce qui résulte de la vente de la vache malade) à celle de la causalité adéquate selon laquelle seul le fait de nature à provoquer le dommage, selon le cours normal des choses, sera considéré comme une cause de celui-ci (donc dans l’exemple, la vente de la vache serait considérée comme la cause de la contamination du troupeau, mais pas de la fragilité mentale du paysan et de son suicide consécutif). La jurisprudence administrative semble s’inspirer plutôt de la seconde méthode d’appréciation de la relation de cause à effet. Le juge exige qu’il existe un lien direct de cause à effet entre le fait et le préjudice : CE, 17 décembre 2008, Garde des Sceaux c. Zaouiya : « qu’eu égard notamment à la rapidité du décès de M. X par inhalation des fumées toxiques dégagées par la combustion des matelas enflammés, la cour n’a pas davantage donné aux faits de l’espèce une inexacte qualification en retenant un lien de causalité direct entre les fautes commises et le préjudice invoqué par les requérants ». Objectif Barreau — Droit administratif 146 Focus : la question du préjudice lié à la naissance d’un enfant avec un handicap Cette problématique a donné lieu à des jurisprudences controversées, y compris en contentieux administratif, qui ont débouché sur une intervention législative ayant pour but de substituer la réparation sur le terrain de la responsabilité par des mécanismes de solidarité nationale (fonds d’indemnisation). CE, 14 février 1997, Centre hospitalier régional de Nice c. Époux Quarez. Dans le cas où un enfant naît atteint d’un handicap congénital (qui ne résulte pas d’une opération médicale) et que ce handicap, qui aurait dû être décelé au cours d’un examen prénatal et permettre ainsi une éventuelle IVG, ne l’a pas été en raison d’une faute médicale, la jurisprudence administrative a recherché une solution mesurée. Le CE a en effet jugé dans cet arrêt que l’absence de diagnostic de la trisomie 21, liée aux conditions dans lesquelles l’examen avait été pratiqué par un hôpital public, « avait faussement conduit les parents à la certitude que l’enfant conçu n’était pas porteur d’une trisomie et que la grossesse pouvait être normalement menée à son terme », et que cette faute devait « être regardée comme la cause directe des préjudices entraînés pour les parents par l’infirmité dont est atteint leur enfant ». N. B. : Seuls les parents, mais non l’enfant né dans ces conditions, sont considérés comme ayant subi un préjudice réparable. Cependant, le CE considérait qu’il y avait lieu de réparer non seulement le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence des parents, mais aussi les charges particulières découlant pour eux de l’infirmité de l’enfant. Il a alloué à ce titre une indemnité aux parents en capital représentant le versement d’une rente mensuelle pendant toute la durée de la vie de l’enfant. La loi du 4 mars 2002 fait expressément obstacle à ce que les parents puissent obtenir de l’auteur de la faute la réparation du préjudice correspondant aux charges particulières découlant du handicap de l’enfant, tout au long de sa vie (paralysie de la jurisprudence Époux Quarez), elle prévoit en effet que cette compensation relève de la solidarité nationale (et cette loi a également exclu toute indemnisation du fait de la naissance, dispositif dit « anti-Perruche », mais c’est une autre question, qui est abordée plus en détail dans votre fascicule de droit des obligations et que vous devez connaître au titre de votre culture juridique générale). Les présomptions de lien de causalité : les vaccinatrices obligatoires Il existe des régimes législatifs de présomption de faute qui conduisent à atténuer l’exigence d’établissement du lien de causalité. Tel est le cas en matière de vaccination obligatoire, où de manière générale, ce lien peut être établi par des faisceaux d’indices concordants, le juge estime que ce lien ne peut être écarté qu’en l’absence de toute probabilité de l’existence d’un lien de causalité entre administration du vaccin et effets secondaires subis par le patient (CE, 29 sept 2021, no 435323). Quoiqu’il en soit, les faits générateurs de préjudices dont doit répondre la collectivité publique résultant presque toujours de l’action ou de la carence de personnes physiques qui agissent pour le compte de l’Administration, une difficulté se présente pour savoir qui, de l’Administration ou de ses agents, doit répondre de ces faits dommageables. SECTION 4 – LA QUESTION DE LA FAUTE PERSONNELLE OU DE SERVICE ET DES POURSUITES ENGAGÉES POUR OBTENIR RÉPARATION I. L’origine de la distinction entre faute personnelle et faute de service : TC, 30 juillet 1873, Pelletier En vertu de l’article 75 de la Constitution de l’An VIII, instituant « la garantie des fonctionnaires », un particulier ne pouvait poursuivre un fonctionnaire devant les tribunaux judiciaires qu’avec l’autorisation du CE, qui n’était accordée que très exceptionnellement. Cet article avait pour but d’éviter l’immixtion des juges dans le fonctionnement de l’Administration, mais privait les particuliers de toute réparation, l’irresponsabilité étant encore le principe à l’époque. Objectif Barreau — Droit administratif 147 Le décret du 19 septembre 1870 abrogea l’article 75 de la Constitution ainsi que toutes les autres dispositions des lois générales ou spéciales ayant pour objet d’entraver les poursuites dirigées contre des fonctionnaires publics de tout ordre. Ce décret enlevait ainsi aux fonctionnaires toute « garantie » contre d’éventuelles poursuites et les soumettait au droit commun et aux tribunaux ordinaires. Cependant, le TC a donné à ce texte une interprétation très restrictive, en estimant qu’il devait être combiné (et non pas constituer une dérogation) aux lois révolutionnaires sur la séparation des autorités judiciaires et administratives. De cette interprétation découle la distinction entre la faute personnelle et la faute de service. II. La faute personnelle La faute personnelle, souvent qualifiée de « détachable » en ce sens qu’elle doit se détacher suffisamment du service pour que le juge judiciaire puisse la constater et en tirer les conséquences sans porter une appréciation sur le fonctionnement même de l’Administration, engage l’agent sur son patrimoine personnel avec application par le juge judiciaire des règles du droit civil. En principe, toute faute commise en dehors du service est personnelle. Cependant, la faute commise pendant le service peut être personnelle si elle est d’une exceptionnelle gravité, et si elle est intentionnelle ; ce sont les fautes inexcusables telles que celle commise par l’officier qui organise un exercice de tir à balles réelles, au risque d’exposer à la mort les soldats présents, en l’absence de toute nécessité : CE, 17 décembre 1999, Moine : « La faute commise, bien qu’étant intervenue dans le service, avait le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice par l’intéressé de ses fonctions ; qu’en raison de son extrême gravité cette faute justifie qu’ait été mise à la charge du requérant la totalité des conséquences dommageables qui en sont résultées ». Et également CE, 12 avril 2002, Papon : « qu’un tel comportement, qui ne peut s’expliquer par la seule pression exercée sur l’intéressé par l’occupant allemand, revêt, eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, un caractère inexcusable et constitue par là même une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions ; que la circonstance, invoquée par M. Papon que les faits ont été commis dans le cadre du service ou ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service est sans influence sur leur caractère de faute personnelle ». Comment cette faute est-elle appréciée et qualifiée ? Les conclusions prononcées par Mme Boissard sur l’arrêt Papon du 12 avril 2002 dégageaient trois grandes hypothèses de fautes personnelles détachables : les fautes révélant des préoccupations d’ordre privé, du type animosité ou volonté d’enrichissement personnel ; les excès de comportement, du type violences physiques ou verbales ; et les fautes dont les conséquences sont d’une particulière gravité ou qui sont moralement inexcusables. Cette approche est confirmée puisque le juge qualifie une faute personnelle en considération de « sa nature, aux conditions dans lesquelles elle a été commise, aux objectifs poursuivis par son auteur et aux fonctions exercées par celui-ci est d’une particulière gravité » (CE, 11 fév. 2015, Ministre de la Justice). Cette faute peut justifier que l’administration refuse la protection fonctionnelle à l’agent l’ayant commise (idem). III. La faute de service La faute de service est celle qui ne peut être détachée de l’exercice des fonctions de l’agent qui la commet : si elle est le fait d’un agent, elle n’en révèle pas moins le fonctionnement défectueux du service auquel il appartient. Elle engage normalement la responsabilité de l’Administration. N. B. : Lorsqu’il y a une faute de service, cela ne signifie pas qu’il est impossible d’identifier l’agent à l’origine des faits. La faute de service peut être collective (le CE l’a reconnu dans l’arrêt Papon). Rappelant tous les actes qui ont précédé et rendu possibles les arrestations et déportations de personnes juives (mise en place d’un service des questions juives, recensement des personnes de « race juive », création de camps d’internement spéciaux et cela sans attendre les ordres ou même les souhaits des forces d’occupation), le commissaire du gouvernement a Objectif Barreau — Droit administratif 148 souligné « qu’il y a bien eu pendant la Seconde Guerre mondiale, entre le mois de juin 1940 et le mois d’août 1944, non pas seulement une collection de fautes personnelles imputables à des personnes précisément identifiées, mais également une faute collective des différents services administratifs qui ont participé à cette politique ». Le CE a ainsi qualifié de faute de service ces « actes ou agissements de l’Administration française qui ne résultaient pas directement d’une contrainte de l’occupant ». IV. Problèmes et solutions liés à la distinction entre les fautes personnelles et les fautes de services La distinction rigide entre les fautes personnelles et de service présente des inconvénients, surtout quand la faute personnelle a été commise pendant le service. En outre, compte tenu du risque d’insolvabilité des fonctionnaires, il est de l’intérêt des victimes des préjudices commis par l’Administration de pouvoir mettre en cause la responsabilité de la collectivité publique, même lorsque la faute ou l’une des fautes à l’origine revêt le caractère d’une faute personnelle. Le but est d’engager la responsabilité administrative même à l’occasion d’une faute personnelle. Le juge administratif a mis au point plusieurs techniques qui jouent dans différentes hypothèses. A. L’hypothèse de la faute personnelle cumulée avec une faute de service : CE, 3 février 1911, Anguet Le juge administratif a d’abord admis que la victime d’un préjudice, causé tout à la fois par une faute de service et par une faute personnelle, pouvait demander réparation de la totalité de son préjudice à l’Administration en raison de ce cumul de fautes. Dans l’arrêt Anguet, le sieur Anguet était entré à 8 heures et demie du soir dans un bureau de poste pour y encaisser un mandat. Lorsqu’il voulut sortir, la porte normalement destinée au passage du public était fermée (ce qui traduisait une faute de service), et sur les indications d’un employé, il traversa les locaux réservés au personnel pour pouvoir sortir. Deux employés le poussèrent dehors violemment et il se cassa la jambe (ces violences constituant une faute personnelle). L’idée ici est que « si la cause directe et matérielle de l’accident était la faute personnelle des agents, cette faute n’avait été rendue possible que par une faute de service. L’existence de cette faute du service suffit à rendre l’Administration responsable du dommage » (GAJA). Ici, il y a bien deux faits distincts constitutifs de deux fautes différentes, simplement c’est la faute de service qui a rendu possible la faute personnelle. Dans ce cas, il est possible de demander à l’Administration de réparer intégralement le préjudice. N. B. : Cette jurisprudence a d’ailleurs trouvé un nouveau champ d’application : la coexistence de deux faits distincts à l’origine d’un même dommage peut servir dans certains cas de fondement à la répartition par le juge administratif, entre l’Administration et son agent, de la charge de l’indemnité due à la victime (arrêts Delville et Papon). B. L’hypothèse du cumul de responsabilité lorsqu’il n’y a qu’une faute personnelle de l’agent (commise dans le service ou en dehors du service) Dans l’arrêt CE, 26 juillet 1918, Époux Lemonnier, le CE admet le cumul de responsabilités (responsabilité personnelle de l’agent et responsabilité de la puissance publique) pour une seule faute, due essentiellement au fait personnel de l’agent. Dans ce cas, la victime a alors le choix de demander réparation du préjudice qu’elle a subi soit à l’agent – devant le juge judiciaire – soit à la collectivité publique elle-même – devant le juge administratif (elle peut même faire les deux, comme en l’espèce, mais le principe du non-cumul des indemnités joue dans ce cas). Pour que la responsabilité de la puissance publique soit engagée pour une faute essentiellement due au fait personnel de l’agent, le juge administratif exigeait jusqu’en 1949 la commission d’une faute personnelle dans le service ou à l’occasion du service (il n’y a plus besoin du cumul de deux fautes comme dans l’arrêt Anguet). Objectif Barreau — Droit administratif 149 L’idée de cumul de deux fautes (faute personnelle et faute de service) disparait. La faute personnelle est exclusive de la faute de service, mais son accomplissement dans le service ou à l’occasion du service suffit à obliger le service à en répondre. Cependant, la responsabilité de l’Administration restait exclue lorsque la faute personnelle était commise en dehors du service (CE, 1948, Dame Veuve Buffevant). Cette jurisprudence a été abandonnée en 1949. C. La responsabilité de l’Administration pour une faute personnelle commise hors du service Dans l’arrêt, CE, 18 novembre 1949, Mimeur, le CE a reconnu la responsabilité pour une faute personnelle commise hors du service. Il était question d’un accident causé par des automobiles de l’Administration utilisées par leurs conducteurs en dehors de leur affectation normale (l’agent avait fait un détour et quitté l’itinéraire normal et causé un dommage). Il n’y avait pas de faute de service et la faute n’avait pas été commise à l’occasion ou dans le service. L’application de la jurisprudence antérieure devait en ce cas aboutir au rejet de la demande, mais selon le commissaire du gouvernement, ce rejet « s’il satisfait la logique heurte gravement l’équité ». Le CE a donc considéré que « l’accident litigieux survenu du fait d’un véhicule qui avait été confié au conducteur pour l’exécution d’un service public, ne saurait, dans les circonstances de l’affaire, être regardé comme dépourvu de tout lien avec le service ». Ainsi, est admise la responsabilité de l’Administration pour des fautes personnelles commises hors du service, sans faute de service, même présumée, dès lors que ces fautes personnelles ne sont pas dépourvues de tout lien avec le service. N. B. : S’agissant des accidents de véhicules, la loi du 31 décembre 1957 a tari cette source d’application de la responsabilité administrative pour faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service. Cependant, le CE a appliqué les principes de l’arrêt Mimeur au cas de fautes personnelles commises par des policiers, militaires ou douaniers hors du service grâce aux moyens (notamment les armes) dont le service leur permet de disposer. En ce sens, dans l’arrêt CE, 26 octobre 1973, Sadoudi, le CE a ainsi jugé que la mort accidentelle d’un gardien de la paix tué par un de ses collègues qui avait manipulé maladroitement dans leur chambre commune son pistolet de service « ne peut être regardée comme dépourvue de tout lien avec le service » (l’arrêt relève deux circonstances particulières : l’obligation faite aux policiers de conserver leur pistolet à domicile et le caractère dangereux d’une arme à feu). Cependant, le CE refuse d’admettre la responsabilité de l’Administration pour l’usage d’armes à feu par ses agents hors du service lorsqu’elles ont été utilisées avec une volonté de nuire (CE, 12 mars 1975, Pothier). Sous réserve de cette nuance, cette jurisprudence est protectrice des intérêts des victimes puisque la responsabilité de l’Administration pour faute de ses agents peut non seulement être engagée en cas de faute de service de ceux-ci (TC, 1873, Pelletier), mais aussi en cas de faute personnelle cumulée avec une faute de service (CE, 1911, Anguet), soit en cas de faute personnelle commise dans le service ou à l’occasion du service, soit même en cas de faute personnelle commise en dehors du service, mais non dépourvue de lien avec le service (CE, 1949, Mimeur). Cette jurisprudence leur offre une option entre l’exercice d’une action en responsabilité personnelle contre l’agent de l’Administration ou une action en responsabilité contre l’Administration. Ces deux actions peuvent être présentées simultanément (TC, 2014, Berthet c/ Filippi). Ce choix laissé aux requérants, victimes de faits dommageables commis dans l’exercice des activités administratives ou avec les moyens de l’Administration, pourrait cependant conduire en pratique à une irresponsabilité de fait des fonctionnaires, dans la mesure où ils seront tentés de se retourner systématiquement contre l’Administration pour éviter tout risque d’insolvabilité. Le jeu des actions récursoires peut permettre d’éviter que cette option n’aboutisse à de telles conséquences. Objectif Barreau — Droit administratif 150 D. La question de la réparation définitive de la charge indemnitaire Si la collectivité publique est obligée de réparer le préjudice subi dans ces cas en intégralité, cela ne signifie pas qu’elle contribue intégralement à cette dette in fine. • Action récursoire de l’Administration contre son agent. Lorsque l’Administration a indemnisé la victime de l’intégralité du préjudice, elle peut se retourner contre son agent depuis l’arrêt CE, 28 juillet 1951, Laruelle (revirement de la jurisprudence CE, 1924 Poursines qui interdisait de telles poursuites). ATTENTION : l’Administration engage la responsabilité personnelle de l’agent du fait du préjudice qu’elle a subi directement du fait qu’elle a été tenue d’indemniser la victime (responsabilité des agents publics envers leur Administration). • Action récursoire de l’agent contre l’Administration. Lorsque l’agent a indemnisé la victime de l’intégralité du préjudice, il peut se retourner contre l’Administration, devant les tribunaux administratifs pour récupérer tout ou partie de l’indemnité. CE, 1951, Delville et CE, 2002, Papon. Cette action porte également sur la réparation du préjudice subi par l’agent. Au-delà des possibilités d’engager la responsabilité de l’Administration pour faute, il existe de nombreuses hypothèses de responsabilité sans faute, cette responsabilité ayant gagné du terrain tout au long de l’histoire du contentieux administratif de la responsabilité. Résumé : faute personnelle et faute de service Personnes engageant leur responsabilité Agent Agent et administration (CE 1918 Lemonnier ; CE 1949 Mimeur) Juge compétent Contribution à la dette Juge judiciaire Juge judiciaire et juge administratif (libre choix de la victime) Faute de service Administration Juge administratif Cumul de faute personnelle et de service Agent et administration (CE, 1911, Anguet) Juge judiciaire et juge administratif (libre choix de la victime) Seul l’agent indemnise Administration peut demander remboursement intégral à l’agent (CE 1951 Laruelle) Seule l’administration indemnise Contribution de l’administration et l’agent à hauteur des fautes de chacun (devant le JA ; CE, 1951, Delville) Faute personnelle Faute personnelle commise dans ou hors du service ayant un lien avec le service Objectif Barreau — Droit administratif 151 CHAPITRE II – LA RESPONSABILITÉ SANS FAUTE Aujourd’hui, le fondement de la responsabilité n’est plus essentiellement constitué par la notion de faute, mais par le principe constitutionnel d’égalité de tous devant les charges publiques. En vertu de ce principe, lorsqu’un individu supporte dans l’intérêt général une charge que les autres membres de la collectivité publique ne supportent pas alors il y a rupture de l’égalité de tous devant les charges publiques et le seul moyen de rétablir l’égalité ainsi rompue est d’attribuer une compensation financière. La conséquence normale de ce principe devrait être qu’à chaque fois qu’un membre de la collectivité subit un préjudice du fait – fautif ou non – de l’Administration, ce préjudice devrait être réparé. On serait alors dans un système de responsabilité sans faute généralisé. Ce n’est bien évidemment pas le cas. L’Administration ne peut pas être contrainte de réparer le moindre préjudice qu’elle cause à ses administrés dans le cadre de ses activités d’intérêt général, pour deux raisons au moins : • Lorsqu’on appartient à une collectivité, il est normal de supporter un certain nombre d’inconvénients qui résultent de cette appartenance. Il y a des préjudices et des inconvénients normaux qui sont la contrepartie des avantages procurés par la collectivité dont on fait partie. • En termes de coût pour les finances publiques, s’il fallait réparer le moindre préjudice, cela coûterait trop cher à l’État et donc au contribuable. C’est pourquoi, malgré ce fondement constitutionnel de l’égalité de tous devant les charges publiques, il n’est pas consacré de système de responsabilité sans faute généralisé. Quel que soit le système de responsabilité dans lequel on se trouve (pour faute ou sans faute), il faut toujours qu’existe un élément d’anormalité. Cet élément d’anormalité peut se situer soit au niveau du fait générateur soit au niveau du préjudice lui-même. • Élément d’anormalité au niveau du fait générateur : → L’activité de l’Administration présente un caractère fautif (cf. le cours sur la responsabilité pour faute). → L’activité de l’Administration à l’origine du dommage faisait courir des risques exceptionnels aux administrés, c’est la responsabilité sans faute pour risque créé (I). • Élément d’anormalité au niveau du préjudice lui-même : → Il s’agit ici de réparer un préjudice anormal, l’anormalité tenant ici fondamentalement à la gravité du préjudice subi c’est la responsabilité sans faute pour préjudice anormal, dite responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques (II). La responsabilité sans faute ne signifie donc en aucune façon qu’il y a responsabilité de la puissance publique du seul fait qu’existe un préjudice réparable et un lien direct de causalité entre ce préjudice et le fait d’une personne publique. Il faut une troisième condition (un élément d’anormalité) qui « remplace » en quelque sorte celle constituée par la faute. I. La responsabilité sans faute pour risque créé A. La responsabilité à l’égard des collaborateurs du service public Initialement, le CE avait admis que la responsabilité de l’État puisse être engagée même sans faute dans l’hypothèse d’un accident professionnel subi par un ouvrier (donc fonctionnaire ou agent public) de l’État (CE, 21 juin 1895, Cames). Dans cette hypothèse, l’Administration doit réparer tout dommage, car son action, sans que cela puisse lui être reproché, est à l’origine d’un « risque spécial/exceptionnel ». Cette jurisprudence ne présente plus qu’un intérêt historique pour les fonctionnaires ou les agents publics, car peu après la décision du CE la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail (remplacée par la loi du Objectif Barreau — Droit administratif 152 30 octobre 1946 puis par le Code de la Sécurité sociale) a mis en place des mécanismes forfaitaires et automatiques de réparation pour tous les ouvriers. Cette responsabilité concerne aujourd’hui essentiellement les victimes tierces par rapport à l’action administrative c’est-à-dire les collaborateurs occasionnels du service public. Un droit à réparation est en effet ouvert, à certaines conditions, à toute personne qui a participé à l’exécution d’un service public et a subi un dommage à cette occasion. L’arrêt CE, 22 novembre 1946, Commune de Saint-Priest-La-Plaine constitue le point d’aboutissement d’une longue évolution tendant à accorder aux collaborateurs des services publics le droit d’obtenir réparation des préjudices subis par eux dans l’accomplissement de leur mission (lorsque aucune faute ne peut être relevée ni à leur charge ni à la charge de l’Administration). Pendant un certain temps, seuls les collaborateurs réquisitionnés pouvaient bénéficier de cette réparation, les collaborateurs volontaires et bénévoles ne pouvaient obtenir réparation qu’en prouvant une faute de l’Administration. L’arrêt Commune de Saint-Priest de La Plaine met un terme à cette jurisprudence en admettant la responsabilité de la commune à l’égard d’un collaborateur bénévole dans une affaire identique à celle qui avait donné lieu en 1943 à une décision en sens contraire (CE, 1943, Sarda). Trois conditions de l’engagement de la responsabilité pour risque des personnes publiques à l’égard des collaborateurs occasionnels du service public sont exigées : - Il faut qu’il y ait un service public ; - Il faut qu’il ait eu une collaboration effective ; - Et que celle-ci ait été obligée (requis) ou spontanée (collaborateurs volontaires). Point cas pratique : La nécessité d’un service public étant une condition, n’oubliez pas de le qualifier ! (voir supra) B. La responsabilité sans faute liée aux risques exceptionnels que l’Administration fait encourir à la population par l’utilisation de choses dangereuses ou du fait d’activités dangereuses L’explosion du fort de la Courneuve en 1919 est à l’origine de cette jurisprudence. Bien qu’aucune faute de l’armée n’ait pu être relevée, sa responsabilité fut engagée à l’égard des tiers voisins (CE, 28 mars 1919, Regnault-Desroziers). Le risque exceptionnel peut résulter de l’utilisation de choses dangereuses, comme des ouvrages publics dangereux, tels que les bâtiments contenant des explosifs, les armes à feu (pour les victimes de balles perdues lors d’opérations de police), les produits dangereux (donc lorsque la chose est considérée comme dangereuse, il n’y a pas besoin de prouver de faute…). Il peut également résulter de l’utilisation de méthodes dangereuses. Certaines activités mettent en œuvre, pour des raisons d’intérêt général, des méthodes qui sont à l’origine de risques exceptionnels pour les tiers. L’indemnisation des conséquences préjudiciables de ces méthodes n’est, le cas échéant, pas liée à la preuve d’une faute. Depuis la décision du CE, 3 février 1956, Thouzellier, le CE admet que l’utilisation de méthodes éducatives ou thérapeutiques en « milieu ouvert » (c’est-à-dire d’autres méthodes que l’incarcération) puisse ouvrir droit à réparation même sans faute de l’Administration. C’est le cas lorsque l’Administration expérimente de nouvelles méthodes de réinsertion sociale telles qu’un régime de semi-liberté pour les mineurs délinquants, des permissions de sortie accordées aux détenus ou des sorties d’essai pour des malades psychiatriques soit des « méthodes modernes de rééducation, de réinsertion et de soins pour les délinquants ou malades mentaux, dont la mise en œuvre laisse aux bénéficiaires une liberté leur permettant d’accomplir des méfaits » (GAJA). L’assouplissement des règles de discipline crée un risque exceptionnel/spécial pour les tiers, mais le CE vérifie toujours l’existence d’un lien de causalité entre le fonctionnement de l’institution et le préjudice subi. Le LBD, une arme dangereuse ? Bien qu’une Cour administrative d’appel ait qualifié cet instrument « d’arme dangereuse comportant des risques exceptionnels pour les personnes » (CAA Nantes, 5 juil. 2018), le Conseil d’État a quant à lui estimé leur usage légal et rejeté un référé-liberté tendant à en interdire l’utilisation (CE, ord., Objectif Barreau — Droit administratif 153 1er fév. 2019, Syndicat des avocats) – ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il refuserait de les qualifier d’armes dangereuses dans le cadre d’un contentieux indemnitaire. Focus : Les mineurs relevant de l’assistance éducative Il s’agit d’un ensemble de mesures pouvant être prises par le juge des enfants, lorsque : • La santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé est en danger ; • Ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises. Le juge peut maintenir l’enfant dans sa famille sous certaines conditions ou le placer, le cas échéant, dans un établissement qui relève de l’autorité de l’État (par ex. : un service départemental de l’aide sociale à l’enfance). Dans l’arrêt CE, 2005, Cie Axa Courtage, le CE a jugé qu’en cas d’attribution de la garde d’un mineur, au titre de l’assistance éducative, à une personne, celle-ci a « la responsabilité d’organiser, diriger et contrôler la vie du mineur » ; « lorsque le mineur a été confié à un service ou un établissement qui relève de l’autorité de l’État, la responsabilité de celui-ci est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ». Ce qui est un peu curieux ici est que le mineur n’est pas dangereux, mais en danger. Le problème ici c’est qu’il était difficile de dire que le placement d’un mineur en danger dans un service de protection judiciaire de la jeunesse peut créer un risque spécial pour les tiers, il fallait donc trouver un autre fondement. La responsabilité sans faute du service est fondée sur la notion de garde, comme en droit civil pour la responsabilité « de plein droit » des parents du fait de leurs enfants mineurs. Ce régime de responsabilité sans faute rejoint en effet la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la garde d’autrui, issue de l’article 375 C.Civ. Il est donc difficile de rattacher cette jurisprudence à la responsabilité sans faute pour risque spécial du fait de l’utilisation de méthodes dangereuses. Cette jurisprudence consacre un fondement autonome (et nouveau) de la responsabilité sans faute qui tient dans la garde d’autrui par l’Administration ou sous son contrôle, indépendamment du risque spécial que présentent les méthodes éducatives. Cette jurisprudence a été appliquée dans le cas de placements de mineurs délinquants dans des établissements dépendant de la protection judiciaire de la jeunesse : CE, 2009, Association tutélaire des inadaptés, et ce, alors même que les dommages ont été causés à un mineur également placé dans l’établissement (donc pas un tiers, mais un usager du service public de la justice). En l’espèce, le requérant aurait-il pu invoquer le risque spécial que lui causait le placement, alors que ce placement était une mesure de protection et qu’il était usager ? En dehors de ce fondement particulier, il reste que le risque spécial du fait d’activités dangereuses continue de constituer un fondement de la responsabilité sans faute de l’Administration. Ce fondement avait d’ailleurs été utilisé par le juge administratif en matière médicale. • Pour la fourniture de produits sanguins : le CE a en effet admis « qu’eu égard aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables, même en l’absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis. » (CE, 26 mai 1995, Consorts N’Guyen) Ou, en cas de défaillance des produits et appareils de santé utilisés. • Pour les cas dans lesquels le dommage résulte de l’utilisation d’une méthode thérapeutique susceptible de se révéler dangereuse pour le patient, dans des cas exceptionnels, alors que l’état initial du patient ne permettait pas de prévoir le préjudice subi par le malade. CE, 1993, Bianchi et CE, 1997, Hôpital Joseph Imbert d’Arles : « considérant que lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l’existence est connue, mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité » (Bianchi). Solution admise « alors même que l’acte médical – une circoncision rituelle – a été pratiqué lors d’une intervention dépourvue de fin thérapeutique » (Hôpital Joseph Imbert d’Arles). Objectif Barreau — Droit administratif 154 Le problème ici, c’est qu’il n’y a pas de lien de causalité direct entre l’agissement de l’hôpital (même non fautif) et le préjudice. La loi du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a unifié et simplifié le régime d’indemnisation des victimes d’aléas thérapeutiques. Elle est prise en charge au titre de la solidarité nationale et a été confiée à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Cet établissement public administratif, financé par la Sécurité sociale, indemnise les victimes d’accidents médicaux lorsque la responsabilité des établissements de santé ne peut être engagée, et que ces accidents ont des conséquences anormales eu égard à l’état de santé du patient. Il indemnise également les victimes d’infections nosocomiales graves et les victimes de contamination par le VIH à la suite d’une transfusion sanguine. Cette loi a posé plusieurs principes : - Les dommages découlant d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soin engagent la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé pour faute (L. 1142-1 CSP). - Ceux liés à une infection nosocomiale sont réparés sans faute, sauf cause étrangère, lorsqu’elle a été contractée dans l’établissement de soin (L. 1142-1 al 2 CSP). La victime doit prouver la faute du praticien si elle l’a contractée chez lui (L. 1142-1, II CSP). - En cas d’accident médical ou d’infection nosocomiale résultant d’une cause étrangère, même si la responsabilité des professionnels de santé ne peut être engagée, les préjudices en découlant sont indemnisés au titre de la solidarité nationale par l’ONIAM – mais encore faut-il prouver l’absence de responsabilité des professionnels de santé ou de l’établissement (L. 1142-1, II CSP). C. Le régime légal de responsabilité sans faute de l’État du fait des dommages commis par des attroupements ou rassemblements Ce régime est celui déterminé par le Conseil d’État dans l’avis CE, avis, 10 avril 1990, Cofiroute. La charge de la responsabilité a été transférée des communes à l’État par les lois des 7 et 9 janvier 1986, codifiées à l’article L 2216-3 du CGCT (Aujourd’hui codifié à l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure). Ce texte prévoit que : « L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée. » Il y a donc plusieurs conditions : - Le dommage doit avoir été commis sans résistance des forces de l’ordre ou par violence. - Il doit résulter d’un crime ou délit. Attention, si les actes délictuels résultent d’une action préméditée et organisée dans le seul but de les commettre, le régime de responsabilité du CSI ne s’applique pas (CE, 28 oct. 2022, SANEF). - Il doit avoir été commis par un attroupement ou un rassemblement, organisé ou spontané. Cela exclut les dommages commis par un petit groupe détachable de l’attroupement, agissant de manière isolée. - Tous les préjudices sont réparables, même les préjudices commerciaux. Les dommages doivent résulter d’un attroupement ou d’un rassemblement (mais pas de l’action de casseurs), les actes commis doivent avoir le caractère de crimes ou de délits et l’ensemble des préjudices subis de ce fait est réparable, ce qui couvre aussi les préjudices commerciaux. Objectif Barreau — Droit administratif 155 II. La responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques Pour rappel, ce type de responsabilité intervient quand l’élément d’anormalité se situe au niveau du préjudice ; c’est la responsabilité pour préjudice anormal. Dans cette hypothèse, l’activité de l’Administration n’est pas fautive et elle ne crée pas de risque exceptionnel à la charge des administrés. Cependant, l’activité cause un préjudice qui présente des caractéristiques telles qu’il paraîtrait anormal que les administrés qui en sont victimes en supportent la charge. Toute la question est de savoir à partir de quand un préjudice est anormal. L’anormalité du préjudice est appréciée au regard de trois critères : • La spécialité : le préjudice ne doit concerner qu’un nombre restreint de personnes et non la généralité des administrés ou des catégories trop larges. • La gravité : le préjudice doit excéder les sujétions que les citoyens sont normalement tenus de supporter. • Le dommage ne doit pas consister dans la réalisation d’un aléa qui pesait normalement sur la victime compte tenu de l’activité qui est la sienne ou auquel elle s’était délibérément exposée. Attention, dans cette hypothèse de responsabilité sans faute, la réparation du préjudice n’est pas intégrale, elle ne couvre que la partie du préjudice qui se situe au-delà de la normalité. A. L’Administration ne prend pas les dispositions qu’elle devrait normalement adopter La responsabilité de l’État est engagée sans faute pour préjudice anormal lorsque, pour des motifs d’intérêt général, elle ne prend pas les dispositions qu’elle devrait usuellement adopter. Par exemple dans l’arrêt CE, 30 novembre 1923, Couitéas, le CE indemnise un justiciable qui n’obtient pas l’exécution d’un jugement, sans que, dans les circonstances exceptionnelles de l’affaire, le refus du concours de la force publique puisse être considéré comme un excès de pouvoir : « le préjudice qui peut résulter de ce refus ne saurait, s’il excède une certaine durée, être regardé comme une charge incombant normalement à l’intéressé, et qu’il appartient au juge de déterminer la limite à partir de laquelle il doit être supporté par la collectivité ». B. La responsabilité de la personne publique en raison de mesures entraînant des préjudices anormaux La responsabilité de l’Administration se trouve encore engagée sans faute lorsque positivement, sont adoptées, en toute légalité, des mesures entraînant des préjudices anormaux. 1) Responsabilité du fait des décisions réglementaires légales Les décisions réglementaires peuvent entraîner des préjudices qui, dans la mesure où ils présentent un caractère anormal, doivent être réparés par la collectivité qui les a causés. C’est ce qu’a admis le CE à propos de règlements de police (pris en toute légalité) interdisant le passage des piétons sur une voie d’accès à un site touristique très fréquenté et où étaient établis des commerçants tirant l’essentiel de leur activité de cette circulation : CE, 22 février 1963, Commune de Gavarnie. Les lois et les conventions internationales peuvent également entraîner des préjudices anormaux. 2) Responsabilité du fait des lois Un siècle avant l’arrêt CE, 14 janvier 1938, La Fleurette le CE avait conclu à l’irresponsabilité totale de l’État législateur pour une loi interdisant la fabrication, la vente et la circulation du tabac factice et ne prévoyant pas d’indemnité pour ceux dont cette interdiction lèserait les intérêts (CE, 11 janvier 1838, Duchâtellier). Cette jurisprudence se comprenait bien à une époque où la responsabilité de l’État administrateur n’était pas encore entièrement reconnue. Cependant, dès le dernier quart du XIXe siècle, l’irresponsabilité de l’État Objectif Barreau — Droit administratif 156 législateur, suivant l’évolution de la responsabilité de l’Administration, ne s’est plus imposée avec la même évidence. Ainsi, un droit à indemnité fut reconnu aux cocontractants de l’État qui, du fait de dispositions législatives nouvelles, subissaient des charges nouvelles et imprévues (CE, 1906, Compagnie PLM et CE, 1932, Société des Mines de Joudreville). En dehors de ce cas particulier, le CE continuait à refuser d’accorder une indemnité aux requérants qui se plaignaient d’avoir été lésés par une loi. Cependant, il ne se fondait plus sur des motifs aussi généraux et absolus que par le passé. Il se fondait sur la volonté du législateur qui avait été, dans les premiers cas soumis au contentieux, d’interdire la fabrication de produits dangereux pour la santé publique ou de mettre fin à des activités critiquables (par ex. : CE, 1921, Société Premier et Henry, interdiction de la fabrication d’absinthe). Il fallait déduire de ces formules que, si les dispositions législatives en cause n’avaient pas eu pour objet de mettre fin à des situations ou activités critiquables/dangereuses pour la santé publique, la responsabilité de l’État législateur aurait pu être engagée. Dans l’arrêt CE, 14 janvier 1938, Société anonyme des produits laitiers La Fleurette le CE analyse la volonté du législateur et conclut que ce dernier n’a pas « entendu faire supporter à l’intéressée une charge qui ne lui incombe pas normalement ». Il vérifie également que l’activité n’a pas un caractère répréhensible ou nuisible pour la société et conclut par la négative. N. B. : Le juge ne peut pas vérifier la régularité de la loi… La responsabilité du fait des lois peut donc être engagée si deux conditions sont remplies : • Il doit ressortir de la loi ou des travaux préparatoires que le législateur n’a pas entendu exclure toute indemnisation (condition tenant à la volonté du législateur). Le problème est que pour le Conseil d’État, existait une présomption d’exclusion d’indemnisation qui empêchait en pratique l’application de cette responsabilité au contentieux. Depuis l’arrêt CE, 2 novembre 2005, Coopérative agricole Ax’ion, le CE ne fait plus jouer cette présomption : « Considérant qu’il résulte des principes qui gouvernent l’engagement de la responsabilité sans faute de l’État que le silence d’une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre, ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est suscept

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