TD Droit Constitutionnel L1S1 2023-2024 Université d'Orléans - PDF

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These are lecture notes for a first-year law student course on constitutional law at the University of Orleans for the year 2023-2024. The notes cover methods, bibliography, and session outlines. The schedule includes methodological, constitutional, and historical topics.

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UNIVERSITE D’ORLEANS Première année de Licence de droit Année universitaire 2023-2024 – premier semestre Droit constitutionnel Théorie et Histoire Cours magistral du professeur LECOUTRE Recueil de documents pédagogiques Séances de travaux dirigés n° 1 à 10 2 Tabl...

UNIVERSITE D’ORLEANS Première année de Licence de droit Année universitaire 2023-2024 – premier semestre Droit constitutionnel Théorie et Histoire Cours magistral du professeur LECOUTRE Recueil de documents pédagogiques Séances de travaux dirigés n° 1 à 10 2 Table des matières Séance n° 1 – Repères méthodologiques...... 4 Séance n° 2 – La Constitution et son évolution................................................................. 20 Séance n° 3 – L’état et le système juridique 42 Séance n° 4 – Le fédéralisme...................... 62 Séance n° 5 – Gouvernement représentatif et démocratie................................................ 79 Séance n° 6 – La désignation des représentants............................................ 97 Séance n° 7 – Aspects du libéralisme (I) : La séparation des pouvoirs...........................118 Séance n° 8 – Aspects du libéralisme (II) : la garantie des droits et la Justice constitutionnelle...................139 Séance n° 9 - histoire constitutionnelle française (1789-1875)...............................162 Séance n° 10 – Les Troisième et Quatrieme Républiques (1875-1958)..........................184 3 SEANCE N° 1 – REPERES METHODOLOGIQUES Bibliographie générale (1 er semestre) NB : Les ouvrages dont la lecture est particulièrement recommandée sont indiqués en gras. Il est toujours préférable de consulter l’édition la plus récente d’un ouvrage. Indispensables : - F. Hamon, M. Troper, Droit constitutionnel, 43e édition, Paris, LGDJ, 2022. - A. Le Divellec, M. de Villiers, Dictionnaire du droit constitutionnel, 13e édition, Paris, Sirey, 2022. Commentaires de la Constitution - G. Carcassonne, M. Guillaume, La Constitution introduite et commentée, 16e édition, Paris, Points, 2022. - M. de Villiers, T. Renoux, X. Magnon, Code constitutionnel, 10e édition, Paris, Litec, 2021. Histoire politique et constitutionnelle - J.-J. Becker, Histoire politique de la France depuis 1945, 11e édition, Paris, A. Colin, 2015. - S. Berstein, M. Winock, Histoire de la France politique – La République recommencée, de 1914 à nos jours, Paris, Points, 2017, vol. 4. - Jean-Jacques Chevallier, Gérard Conac, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours, Paris, Dalloz, 8e éd., 1991. - M. Morabito, Histoire constitutionnelle de la France de 1789 à nos jours, 17e édition, Paris, Montchrestien, 2022. - M. Winock, La France politique : XIXe – XXe siècle, Paris, Points, 2003. Usuels - D. Alland, S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, 2003. - J. Andriantsimbazovina, H. Gaudin, Jean-Pierre Marguénaud, et al. (dir.), Dictionnaire des droits de l’Homme, Paris, PUF, 2008. - D. Chagnollaud, M. Troper (dir.), Traité international de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 3 vol., 2012-2013. - G. Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 14e édition, 2022. - J.-F. Sirinelli (dir.), Dictionnaire historique de la vie politique française au XXème siècle, Paris, PUF, 2003. - Guillaume Tusseau, Contentieux constitutionnel comparé. Une introduction critique au droit processus constitutionnel, Paris, LGDJ, 2021. 4 Travail attendu des étudiants L’enseignement se compose d’un cours magistral (CM), dispensé en amphithéâtre, et de séances de travaux dirigés (TD) où les étudiants sont répartis en groupes plus restreints. v La présence des étudiants n’est pas obligatoire en CM. Toutefois, il est très vivement recommandé d’y assister attentivement et de prendre des notes. Il est non moins recommandé de compléter ce qui aura été vu en cours par des lectures personnelles. À la veille de l’examen, rien de ce qui été traité en cours ne doit demeurer incompris. L’enseignement dispensé pendant le CM est sanctionné par un examen partiel qui aura lieu à la fin du semestre. Il s’agit d’une épreuve de trois heures, au cours de laquelle les étudiants devront choisir de rédiger une dissertation ou un commentaire de texte. v La présence des étudiants est absolument obligatoire en TD. Les TD permettent de préciser et d’approfondir les connaissances acquises en CM. Ils permettent aussi de s’entrainer à l’examen partiel. Chaque séance de TD est consacrée à un thème déterminé. Un ensemble de documents, relatifs à ce thème, permet de préparer la séance. C’est ce que l’on appelle communément une « fiche de TD ». En CM comme en TD, les étudiants veilleront à être parfaitement ponctuels. Un étudiant arrivant en retard ne sera admis ni en amphithéâtre ni en salle de TD. Chaque séance de TD doit être impérativement préparée. Ce n’est que de cette manière que l’étudiant progressera véritablement. Ce travail est fondamental. Il exige un temps variable (généralement, cinq à sept heures de travail pour une séance). Avant chaque séance, les étudiants doivent nécessairement : v Relire les passages du cours magistral qu’ils ont pris en notes et qui correspondent au thème de la séance de TD. Il est très recommandé de compléter ce travail par des lectures personnelles (manuels ou articles scientifiques). La bibliographie générale et le recueil pédagogique aideront les étudiants à sélectionner les documents pertinents. v Lire, comprendre et apprendre les définitions ou les articles de la Constitution listés dans la fiche de TD. o Les définitions conceptuelles doivent être recherchées dans l’ouvrage suivant : Michel de Villiers, Armel Le Divellec, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey (quelle que soit l’édition). Les étudiants pourront être interrogés sur ces définitions au cours de la séance de TD. o Le texte brut de la constitution est disponible dans de nombreuses éditions et selon des formats variés. Il est également possible (et recommandé) d’en télécharger gratuitement la dernière version à jour, sur le site du Conseil constitutionnel (http://www.conseil-constitutionnel.fr). Pour mieux comprendre la mise en œuvre politique et jurisprudentielle de ces dispositions, on pourra se référer à un commentaire de la constitution. Sont particulièrement recommandés : § Guy Carcassonne, Marc Guillaume, La Constitution, introduite et commentée, Paris, Seuil, coll. « essais ». Ouvrage d’introduction facile à lire, ce commentaire met l’accent sur la pratique politique des institutions. § Thierry S. Renoux, Michel de Villiers, Xavier Magnon, Code constitutionnel, Paris, Litec. Ouvrage beaucoup plus complet et plus détaillé que le précédent, sa lecture est plus exigeante. L’insistance est surtout mise sur la jurisprudence constitutionnelle. v Lire précisément tous les documents de la fiche. Cette lecture doit être attentive et minutieuse. Il faut s’assurer, pour chaque texte, d’en avoir compris le sens et la portée. Une telle lecture peut impliquer de s’y reprendre à plusieurs fois, de prendre des notes ou de chercher des informations mal comprises dans d’autres sources (manuels, usuels, doctrine, textes juridiques, etc.). Les étudiants pourront être interrogés sur ces documents. 5 v Préparer l'exercice hebdomadaire donné par le chargé de TD. ¨ Il s’agira, le plus souvent, d’un plan détaillé de dissertation ou de commentaire, précédé d’une introduction entièrement rédigée. Ces exercices permettent aux étudiants de se préparer pour l’examen partiel. Ils pourront être ramassés et notés par le chargé de TD. Il est donc impératif d’y porter le plus grand soin. Les étudiants trouveront dans la présente fiche des conseils détaillés sur la manière de rédiger une dissertation et un commentaire. ¨ Le chargé de TD donnera parfois un autre exercice aux étudiants. Il pourra s’agir, par exemple, d’un petit travail de recherche, de lectures supplémentaires ou d’un questionnaire auquel l’étudiant devra répondre. ¨ Quelle que soit sa nature, l’exercice sera corrigé oralement par le chargé de TD. Cette correction permettra aux étudiants de comprendre et de rectifier les erreurs commises. Elle leur montrera également comment l’on doit procéder pour composer un devoir. C’est aussi l’occasion, pour les étudiants, d’interroger leurs chargés de TD et d’apprendre les astuces qui permettent de traiter efficacement un sujet d’examen. Évidemment, un étudiant qui n’aurait pas préparé l’exercice ne retirerait rien de la séance. Quelques remarques pédagogiques : v Il est attendu des étudiants qu’ils soient autonomes. Cela signifie qu’ils ne doivent pas hésiter à prendre des initiatives pour compléter leurs connaissances, ou simplement parce que telle ou telle question les intéresse. Les connaissances les plus durables sont généralement celles que l’on a trouvées soi-même parce qu’elles répondaient à une question que l’on se posait. v Les étudiants sont vivement encouragés à travailler régulièrement. La régularité du travail est essentielle dans l’acquisition des connaissances. Au contraire, le « bachotage » (révisions frénétiques menées sur une courte période) ne permet pas d’acquérir des connaissances solides et durables. Étant donné la regrettable brièveté de l’année universitaire, il est essentiel de s’investir dès la première séance dans le travail. v Il ne faut jamais laisser un point incompris. Lorsqu’une difficulté de compréhension survient, il faut relire les informations disponibles. Lorsqu’elles paraissent trop complexes, il faut rechercher l’explication dans une autre source. Si l’incompréhension persiste, il faut interroger un camarade ou un enseignant. Enfin, si les informations récoltées semblent contradictoires, il convient de les comparer à tête reposée et d’évaluer leurs pertinences respectives. v Enfin, les étudiants sont vivement encouragés à opérer des choix conscients et à les mettre en œuvre de façon conséquente. La pire solution consisterait à assister passivement aux seuls enseignements obligatoires, sans y prêter une attention véritable. Cette méthode donne immanquablement des résultats décevants. Il est préférable, soit d’abandonner franchement ses études (et de réinvestir le temps ainsi dégagé dans une autre activité), soit de s’adonner pleinement à ses études et de mettre à profit chaque heure passée à la faculté, à la bibliothèque ou à la table de travail. 6 Évaluation et notation des étudiants en TD Tous les étudiants de la section sont évalués selon la même grille de notation. Chaque semestre, les chargés de TD attribuent trois notes aux étudiants de leurs groupes. Ces trois notes sont les suivantes : v Une note de participation (sur 20 points). Cette note mesure l’implication générale de l’étudiant dans le TD. o Elle prend en compte : son assiduité et sa ponctualité, le nombre et la qualité de ses interventions orales, le travail investi dans la préparation des séances. o Durant le semestre, le chargé de TD ramassera, inopinément, les exercices préparés par les étudiants. Il pourra le faire aussi souvent qu’il le souhaite. L’évaluation de ces travaux affectera la note de participation. v Une note d’interrogation écrite (sur 20 points). Deux interrogations écrites, portant sur des points de cours, seront organisées au cours du semestre (20 minutes par interrogation). Les étudiants en seront avertis. Chaque interrogation est notée sur 10 points. L’addition des deux composera une note sur 20 points. v Une note d’examen blanc (sur 20 points). Au cours de chaque semestre, les étudiants seront réunis en dehors des horaires normaux du cours magistral. Un sujet de dissertation ou de commentaire, qu’ils devront traiter en trois heures, leur sera soumis. Les étudiants pourront ainsi s’entraîner efficacement pour l’examen. Les copies des étudiants seront corrigées par leur propre chargé de TD. Les trois notes ainsi obtenues seront additionnées puis divisées par trois afin de calculer la moyenne de TD. Aucun coefficient ne sera appliqué. Pour des raisons d’équité entre les groupes de TD, il se peut en revanche qu’un petit rééquilibrage soit opéré. Ainsi, les étudiants appartenant à un groupe dont le chargé de TD note un peu plus durement ne seront pas pénalisés. Nota bene : lorsqu’il est procédé à un tel rééquilibrage, il se fait toujours au profit des étudiants. Autrement dit, on homogénéise les notes en relevant les groupes les plus bas, et non en diminuant les moyennes les plus hautes. 7 La dissertation juridique La dissertation est un travail rédigé qui répond à des critères formels précis. Elle consiste à répondre à une question (la « problématique »), grâce à une démonstration organisée selon un ordre déterminé. Les points essentiels d’une bonne dissertation sont : v La qualité de la problématique et de l’argumentation. Une bonne dissertation doit présenter un raisonnement, c’est-à-dire répondre à une question en utilisant des arguments solidement étayés. v Une connaissance suffisante du sujet qui se traduit par l’utilisation d’exemples pertinents et variés. v Le respect des exigences formelles (registre écrit, orthographe, structure du plan, etc.). Le plan d’une dissertation doit être clair et lisible. Dans l’évaluation d’une dissertation, la forme compte presque autant que le fond. Il est donc essentiel de respecter les critères formels. Ceci est également valable pour les autres exercices académiques. La dissertation est structurée de la manière suivante : Introduction o Analyse du sujet (contexte, définitions, délimitation, justification et construction de la problématique). Environ 80 % de l’introduction. o Problématique. Environ 10 % de l’introduction. o Annonce du plan. Environ 10 % de l’introduction. I. Titre de la première partie Brève Annonce du plan de la partie I (ou « chapeau ») A) Titre de la première sous-partie B) Titre de la deuxième sous-partie Brève transition (quelques phrases) II. Titre de la deuxième partie Brève Annonce du plan de la partie II (ou « chapeau ») A) Titre de la première sous-partie B) Titre de la deuxième sous-partie Conclusion (facultative) o Résumé des principales thèses (réponse à la problématique) o Ouverture Les différentes composantes de la dissertation sont les suivantes : - Une introduction qui sert à présenter et analyser le sujet, à déterminer le problème et à annoncer le plan du devoir. - Deux parties elles-mêmes divisées en deux sous-parties. o Chaque partie doit avoir une unité thématique, logique ou chronologique. Chaque partie est introduite par un titre qui rend compte de cette unité. Chaque titre de partie est suivi par une annonce du plan de la partie (« chapeau »). Les parties sont reliées entre elles par quelques phrases de transition. o Chaque sous-partie doit avoir une unité thématique, logique ou chronologique. Chaque sous-partie est introduite par un titre qui rend compte de cette unité. Les 8 sous-parties (et donc les parties) doivent être équilibrées, c’est-à-dire avoir à peu près la même longueur. - Une conclusion qui résume le propos (c’est-à-dire répond à la problématique) et ouvre le problème. En droit, on considère souvent que la conclusion est facultative. Elle permet toutefois de ramasser la démonstration et de lui donner de la force. NB : Ce plan type est valable non seulement pour les dissertations mais aussi pour les exposés, les plans détaillés, les examens oraux et les commentaires de textes. A. Avant de rédiger 1. Lire et analyser le sujet On peut distinguer deux types de sujet : les sujets posés sous forme interrogative et les sujets non problématisés. Ceux du premier type sont plus simples à traiter mais ils laissent moins de liberté au candidat. v Sujet problématisé. Dans cette hypothèse, la problématique est explicitement formulée par le libellé : il faut alors répondre strictement à la question posée. Exemple : « Quelles sont les frontières de l’Europe ? ». Il faut toutefois expliquer les enjeux de cette problématique (intérêt, actualité, rapports avec d’autres problèmes) et les différentes dimensions qu’elle comporte. Il est souvent bienvenu de reformuler la question, afin d’en préciser très explicitement les enjeux. Exemple : « Faut-il définir l’Europe comme un territoire, comme un leg culturel ou encore comme un projet politique commun ? ». v Sujet non problématisé. Dans ce cas, le sujet n’est pas une question. Exemple : « Élargissement et approfondissement de l’Union européenne ». Il revient alors au candidat de formuler lui-même la problématique (sous la forme d’une question). Exemple : « L’élargissement de l’Union européenne a-t-il été préjudiciable à son approfondissement ? » D’une façon générale, le candidat doit lire très attentivement le sujet, s’assurer qu’il en comprend tous les termes puis les analyser. Cette phase préalable est essentielle, il faut donc lui consacrer du temps. En effet, elle permet de cerner la problématique et de ne pas en sortir. Quand le sujet n’est pas problématisé, la phase d’analyse est encore plus importante. De fait, ce type de sujet contient plusieurs questions potentielles, entre lesquelles le candidat doit choisir celle qui lui semble la plus intéressante. Une dissertation ne peut avoir qu’une seule problématique. Au candidat de trouver la plus fructueuse et d’éviter ainsi de traiter un problème secondaire ou de s’acharner à démontrer des évidences. Une fois que le sujet est bien compris, que ses termes sont clairs, et que la problématique est bien précisée, le candidat peut commencer le travail préparatoire. Dans un premier temps, il est souvent utile de noter pêle-mêle tout ce que l’on sait sur un sujet. Puis, on effectuera un tri. Certains des éléments notés sortent de la problématique ou ne correspondent pas à la question : il faut les éliminer pour éviter le « hors-sujet ». Certains éléments se recoupent ou entretiennent un lien de cause à effet : il faut les regrouper. Certains éléments sont antérieurs logiquement ou chronologiquement à d’autres : il faut les classer. Quand ce travail préalable est fait, il faut déterminer la réponse que l’on veut apporter à la problématique (et noter scrupuleusement cette réponse pour éviter de se contredire lors de la phase de rédaction). Le plan doit servir cette réponse en la démontrant. Dans une bonne dissertation, le candidat placera en premier les thèses qu’il souhaite écarter, et en dernière partie celle qu’il veut démontrer. La démonstration doit toujours être une progression. 9 2. Bâtir un plan Dans une dissertation, le propos du candidat doit être organisé selon un plan déterminé (voir supra). Ce plan doit correspondre aux grandes articulations de l’argumentation. Bien que cette liste soit seulement indicative, on peut distinguer plusieurs types de plan. v Le plan dialectique (« thèse – antithèse ») : chacune des parties présente une opinion opposée. La première partie développe une thèse qui sera contredite ou nuancée dans la seconde partie (antithèse). Par convention, c’est toujours dans la dernière partie du devoir que le candidat présente la thèse à laquelle il adhère. Le plan dialectique est le plus courant et le plus facile à utiliser ; il correspond à la plupart des sujets, pour peu que la problématique et la réponse aient été clairement dégagées. Attention, toutefois, à ne pas tenir un propos contradictoire. v Le plan chronologique : chaque partie traite une période historique donnée. Ce type de plan est particulièrement adapté aux sujets qui ont une forte dimension historique. Le plan chronologique est assez facile à organiser mais il ne rend pas toujours bien compte de la structure argumentative utilisée. v Le plan thématique : chacune des parties aborde un thème déterminé. Très clair, ce plan est néanmoins risqué car la transition entre les parties n’est pas toujours aisée. Le risque est de juxtaposer des éléments sans les lier vraiment et sans répondre à la problématique. v Le plan causes / conséquences : dans ce type de plan, la première partie développe les causes d’un phénomène, et la seconde traite de ses conséquences. Ce plan est à mi- chemin entre le plan chronologique et le plan thématique. Sa visée est surtout explicative. v Le plan points communs / divergences : c’est le plan le plus simple pour procéder à une comparaison. Il faut évidemment que les développements expliquent les raisons des convergences et des divergences, et ne se réduisent pas à un catalogue. Comme dans le plan thématique, la difficulté réside dans le lien entre les parties. B. La rédaction 1. L’introduction L’introduction se compose de trois parties : v L’analyse du sujet : le candidat y présente le problème de façon générale. Il s’agit avant tout de définir précisément les termes du sujet et de relier entre elles ces définitions. Ce travail d’élucidation conceptuelle est absolument nécessaire à l’élaboration de la problématique. Il permet non seulement de construire le problème à traiter mais il est aussi, pour le candidat, un véritable garde-fou. En précisant les termes du sujet et en s’en tenant à cela, le candidat devrait en effet éviter le « hors-sujet ». La phase d’analyse du sujet doit aussi permettre de replacer la question à traiter dans son contexte (social, historique, juridique ou intellectuel). Bref, la fonction de ce long paragraphe n’est pas d’entasser des éléments disparates mais de « décortiquer » le libellé du sujet et de justifier ainsi la pertinence de la problématique retenue. Cette explication du sujet et cette justification de la problématique doivent permettre au lecteur d’entrer de plain-pied dans le devoir. Tout le reste est superflu. L’analyse représente environ les trois quarts de l’introduction. o NB : il n’est pas recommandé de commencer l’analyse du sujet par une citation supposément clinquante. Il est bien rare, en effet, que de telles citations soient pertinentes, originales ou simplement exactes. Immanquablement, elles éloignent le candidat du sujet et l’entrainent vers de fausses pistes. Quant au correcteur, il sera immanquablement navré de découvrir, en lieu et place du solide raisonnement qu’il attend, le triste étalage d’une érudition de pacotille. v La problématique : la problématique est la question à laquelle le candidat va tenter de répondre. Il est préférable de la poser sous forme interrogative et de la formuler de façon très précise. Il faut surtout préciser les différentes dimensions qu’elle comporte, c’est-à- 10 dire ce qu’elle implique d’analyser. Si l’analyse du sujet a été bien menée, l’énonciation de la problématique semblera à la fois naturelle et justifiée. v L’annonce du plan : dans un troisième temps, le candidat annonce les deux parties principales de son plan. Il est inutile d’aller jusqu’aux sous-parties car cela nuirait à la clarté de l’exposé. NB : il faut marquer de façon typographique les trois phases de l’introduction, en allant à la ligne et en faisant un alinéa. 2. Rédiger une partie et ses sous-parties Le corps du devoir est formé de deux parties qui sont elles-mêmes subdivisées en deux sous- parties. Exceptionnellement, on pourra construire un plan en trois parties, qu’il faudra alors diviser en trois sous-parties. Chaque partie doit posséder une cohérence interne. Pour en rendre compte, il faut donner à chaque partie et à chaque sous-partie un titre. A la lecture d’un titre, le correcteur doit comprendre quelle est l’idée centrale de la partie ou de la sous-partie. En lisant successivement tous les titres, il doit pouvoir saisir d’un coup d’œil les grandes articulations de la démonstration. Chaque titre doit pouvoir être lu de manière autonome, c’est-à-dire sans se référer aux autres titres. On proscrira donc absolument les titres « marabouts… bout-de-ficelle… » (ex. : « A. Une constitution…. / B. … largement parlementaire »). Par convention, on évite généralement d’introduire des verbes conjugués dans les titres. De manière générale, le candidat veillera à la brièveté et à la clarté des titres. Après les titres des deux grandes parties (I et II), le candidat annoncera brièvement les sous-parties qui suivent (A. et B.). Ces quelques lignes, qui doivent être claires et concises, sont généralement appelées des « chapeaux ». Il est inutile de rédiger des « chapeaux » au sein des sous-parties. Les parties sont reliées entre elles par quelques phrases de transition qui résument ce qui a été dit, et surtout, annoncent la suite du propos. Entre les sous-parties, il n’est pas nécessaire de glisser des phrases de transition car cela risquerait d’alourdir le propos. Pour l’équilibre de la dissertation, il est important que les parties aient grosso modo la même longueur. Il en va de même pour les sous-parties. Pour mieux s’en rendre compte (et pour que le correcteur s’en aperçoive) il est nécessaire de sauter des lignes entre les parties et de revenir à la ligne entre les sous-parties. Comme les parties, les sous-parties doivent posséder une cohérence interne. Chaque sous-partie doit impérativement contenir : v Un ou plusieurs argument(s) pleinement développé(s) : c’est le cœur de la démonstration. Exemple : « Si l’on s’en tient à la définition classique du parlementarisme, on peut considérer la Ve République comme un régime parlementaire. Stricto sensu, cette définition suppose que le gouvernement soit responsable devant le parlement. Or, la constitution de 1958 établit très explicitement la responsabilité politique du gouvernement. » v Les éléments de preuve, qui justifient ce ou ces argument(s). Il s’agit généralement de connaissances positives, d’ordre juridique, historique ou logique. En reprenant l’exemple précédent : « L’art. 20 al. 3 de la constitution du 4 octobre 1958 dispose que le gouvernement « est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 ». Le premier de ces deux articles prévoit plusieurs modalités d’exercice de cette responsabilité », etc. v Une phrase synthétique qui résume les principales idées développées dans la sous-partie. Exemple : « La Ve République est un régime parlementaire ». L’ordre dans lequel apparaissent ces éléments est laissé au choix du candidat. Il est parfois habile de faire semblant de découvrir ce que l’on démontre, mais souvent plus commode de l’annoncer clairement avant de le prouver. Le candidat veillera à présenter sa démonstration de la manière la plus claire et la plus convaincante. 11 3. La conclusion La conclusion est facultative dans les dissertations juridiques. Si le candidat tient à conclure, il veillera à faire apparaître les deux parties attendues dans une conclusion. v Un résumé : très brièvement, et sans fournir d’exemples, le candidat résume les principales thèses défendues dans sa dissertation. Ce faisant, il répond à la problématique posée en introduction. Cette réponse doit être explicite, et ne pas consister en une proposition vague, confuse ou contradictoire. v Ouverture : de façon brève (deux phrases maximum), le candidat fait valoir un aspect de la question qui n’a pas été pris en compte. Il évitera, ce faisant, de verser dans le pathos et dans le lyrisme ronflant. C. Quelques erreurs fréquentes Il est impossible de lister tous les éléments qui font une mauvaise dissertation. Toutefois, le candidat veillera à éviter soigneusement les erreurs qui suivent. 1. Défauts consécutifs à une analyse insuffisante du sujet La phase de réflexion qui précède la rédaction est absolument essentielle (voir : infra A.1). Lorsque le candidat n’y consacre pas assez de temps et d’attention, les résultats s’en ressentent immanquablement. Les défauts qui en résultent sont les plus graves. Entre autres : v « Hors-sujet » ou manque de pertinence : le candidat traite des questions qui n’entretiennent aucun rapport avec le sujet. Cette erreur est très lourdement sanctionnée, y compris lorsque les développements qui sont « hors-sujet » sont en eux-mêmes exacts. En effet, la dissertation n’est pas un exercice d’évaluation générale des connaissances acquises. Le candidat doit répondre à une question, et tout ce qui ne concerne pas cette question est considéré comme nul. v Absence de démonstration (grave) : le devoir n’aboutit à aucune démonstration claire. Typiquement, les termes du sujet n’ont pas été bien compris (ou ont été trop rapidement analysés). Il s’ensuit que la problématique est assez floue. La question étant imprécise, le candidat n’est pas en mesure de fournir une réponse claire. L’exercice est donc raté. v Absence de démonstration (bénigne) : le candidat a cerné la problématique, mais il se refuse à répondre clairement. Ce cas est moins grave que le précédent, mais le devoir ne peut prétendre à une bonne note car il ne contient pas de véritable démonstration. Or c’est précisément le but de l’exercice. v Plan peu convaincant : le plan retenu pour aboutir à la démonstration n’est pas adapté. Mal organisée, la démonstration paraît bien fragile. C’est ici la conception du plan qui est fautive. Cette erreur est particulièrement fréquente lorsque le sujet renvoie à deux notions (par exemple : « liberté et égalité »), et que le candidat en fait deux parties dépourvues de tout lien (I. La liberté ; II. L’égalité). Attention aux plans thématiques trop rapides et mal maîtrisés. 2. Défauts d’argumentation Ces erreurs se repèrent généralement à la lecture des sous-parties. v Absence d’argument : la sous-partie ne contient aucun argument ou aucun argument neuf. Selon les cas, elle est absurde (dépourvue de sens), creuse (aucune information), ou redondante (elle répète une autre sous-partie). C’est souvent le signe d’un gros défaut de construction. v Arguments contradictoires : l’argument présenté entre en contradiction avec un argument précédemment (ou conjointement) énoncé. Le candidat dit une chose et son contraire, le correcteur n’est pas en mesure de déterminer ce qu’il pense être juste. Même dans un plan 12 dialectique, on ne peut pas tenir pour vraies deux propositions qui se contredisent. Soit, il faut prendre parti, soit il faut montrer clairement que la contradiction n’est qu’apparente. v Argument non démontré : un argument est avancé sans aucune preuve. Il ne peut donc pas être tenu pour démontré, même lorsqu’il est exact. C’est généralement le signe d’un défaut de connaissances juridiques (Cf. : supra point 2.2.). 3. Défauts formels Ils résultent d’une franche ignorance des consignes contenues dans ce document. v Ignorance de la forme : le propos n’est pas structuré comme il le devrait (introduction incomplète, absence de parties ou des sous-parties, absence de titre, etc.). Un devoir de ce type est toujours très mal noté. Surtout quand les candidats disposent de consignes claires. v Devoir incomplet : le devoir n’est pas terminé. Pour éviter cela, les étudiants se muniront d’une montre et veilleront à bien gérer leur temps. Il est généralement vain, par exemple, de rédiger entièrement le devoir au brouillon avant de le recopier. Il est bien préférable de composer un brouillon précis. v Registre de langue impropre : le devoir est rédigé dans un style impropre. Sans affectation inutile, les candidats s’exprimeront d’une manière aussi simple et précise que possible. Ils éviteront les registres familiers, journalistiques ou exagérément emphatiques. Le but est d’être clair et précis. v Orthographe, grammaire, syntaxe : le devoir contient de grosses fautes de langue. Naturellement, quelques « coquilles » peuvent être tolérées. Toutefois, le candidat fera de son mieux pour les éliminer, en relisant son devoir attentivement dans les dernières minutes de l’épreuve. Il est absolument nécessaire de maitriser la syntaxe, l’orthographe et les règles élémentaires de la grammaire. Si ce n’est pas le cas, le candidat est invité à rattraper ses lacunes par un travail personnel tout au long du semestre. v Remarques : o Les abréviations ne sont pas admises car le devoir doit être compréhensible par n’importe qui (et non pour son seul auteur). On écrira donc « Président de la République » et non « PR » ; « Conseil constitutionnel » et non « CC » ; « gouvernement » et non « gvt » ; « Constitution » et non « C° », etc. o En dehors des années et des articles, les chiffres s’écrivent en toutes lettres. On écrira ainsi : « deuxième délibération » et non « 2ème délibération » ; « Premier ministre » et non « 1er ministre » ; « 4 octobre 1958 » et non « 4/10/58 », etc. 13 Le commentaire de texte Le commentaire est un exercice d’argumentation qui consiste à répondre à une question en s’appuyant à la fois sur un document et sur ses propres connaissances. Les points essentiels d’un bon commentaire sont : v Une lecture intelligente du texte. Il ne s’agit pas seulement de comprendre et d’expliquer les intentions de l’auteur, mais aussi de percevoir les enjeux plus ou moins implicites du texte. v Une argumentation solide. Un bon commentaire repose sur des raisonnements qui illustrent, explicitent, relativisent, infirment ou confirment le propos de l’auteur. v Une capacité critique. L’exercice du commentaire ne suppose pas d’adhérer nécessairement aux propos de l’auteur. Il faut aussi en montrer les limites, les insuffisances et éventuellement les erreurs. v Une connaissance suffisante de l’objet, qui se traduit par l’utilisation d’exemples pertinents et variés. Contrairement à une croyance très répandue, le commentaire demande souvent plus de connaissances positives que la dissertation. v Le respect des exigences formelles (registre écrit, orthographe, structure du plan, etc.). Le plan d’un commentaire doit être clair et lisible. Dans l’évaluation de l’exercice, la forme compte presque autant que le fond. Il est donc essentiel de respecter les critères formels. Ceci est également valable pour les autres exercices académiques. D’un point de vue formel, le commentaire répond aux mêmes exigences que la dissertation. Il est donc structuré de manière identique (se reporter au document précédent). A. Avant de rédiger 1. Le texte En droit constitutionnel, les textes à commenter sont de nature très variée. En général, l’origine du texte est indiquée, il est donc difficile de se tromper sur sa nature. La majeure partie des textes à commenter sont : v Des dispositions constitutionnelles ou législatives. Lorsque ces dispositions sont en vigueur, le commentaire suppose de bonnes connaissances juridiques. Lorsqu’elles sont caduques, le candidat fera davantage appel à l’histoire constitutionnelle ou à l’histoire des idées politiques. La juridicité des textes ne doit pas freiner l’esprit critique du candidat. S’il pense que c’est pertinent, il peut très bien s’employer à démontrer les défauts du texte ou les abus auxquels aboutit sa pratique. v Des décisions, des arrêts ou des jugements (rendus par des tribunaux). Il peut s’agir, typiquement, d’une décision du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État ou d’une juridiction étrangère exerçant une fonction analogue. Encore une fois, le respect dû à une institution de ce type ne signifie pas qu’il faille approuver sa jurisprudence sans examen critique. v Des discours d’acteurs politiques ou des travaux préparatoires. Il peut s’agir de discours publics, d’entretiens retranscrits, de restitutions de débats, de mémoires d’hommes politiques, de rapports d’évaluation, etc. L’intérêt de ce type de texte n’est pas mince : en effet, la stratégie des acteurs joue un rôle fondamental car elle informe la production, l’interprétation et la pratique du droit constitutionnel. Il est souvent fructueux de percer les intentions de l’auteur du texte et de montrer ce qu’il a voulu obtenir (mobiliser des électeurs, influencer le législateur, proposer une réforme, etc.). On pourra aussi comparer ses idées à l’état antérieur ou ultérieur du droit, ou encore en montrer les forces et les faiblesses. v Des travaux doctrinaux (commentaire d’une décision, extraits d’un article ou d’un manuel, etc.). Bien qu’il se présente volontiers comme un discours d’expertise, et qu’à ce titre il 14 prétende généralement à la neutralité, le discours doctrinal peut et doit être soumis à la critique. D’une part, parce que cette neutralité est rarement atteinte. D’autre part, parce que les concepts forgés pour décrire la réalité juridique peuvent être démentis par elle, ou concurrencés par des catégories intellectuelles plus pertinentes. Parfois, le texte est accompagné d’une série de questions destinées à orienter la lecture du candidat. Il faut alors se demander ce que le texte signifie, mais aussi ce que les questions révèlent implicitement de l’interprétation du correcteur. La longueur du texte n’est pas anodine. Lorsqu’il est long, il est généralement plus difficile de repérer les idées essentielles. Il est alors particulièrement important de pointer avec exactitude les passages les plus révélateurs du texte. Toutefois, la longueur n’est pas nécessairement synonyme de richesse : il peut arriver qu’une idée simple soit longuement détaillée et qu’une théorie complexe soit résumée en une phrase. Lorsque le texte est très bref, l’exercice se rapproche un peu d’une dissertation. L’essentiel est alors de tirer de ces quelques lignes la principale question qu’elles soulèvent. Cette question fournira la problématique du devoir. 2. Lire et analyser le texte Quand on débute un commentaire, la phase de lecture du texte est absolument fondamentale. Les commentaires ratés résultent bien souvent d’une lecture superficielle du sujet. Il faut donc consacrer beaucoup de temps et d’attention à la lecture du document. Les candidats sont invités à lire le texte au moins trois fois, intégralement, avant de commencer à l’annoter. Ils pourront alors commencer à répondre aux questions classiques que soulève tout document : v Quel est le contexte ? Le contexte historique, politique et constitutionnel participe en effet à la signification d’un texte. Par ailleurs, le texte peut être révélateur d’un courant de pensée dont la naissance et le développement s’expliquent par le contexte. La date du texte, généralement indiquée, doit être prise en compte. v Qui est l’auteur ? Idéalement, la réponse doit dépasser le stade du nom et de la fonction. Il faut se demander, par exemple : à quel courant de pensée l’auteur appartient-il ? Quel est son statut ou quelle est sa fonction au moment où il émet le texte ? Qu’a-t-il fait auparavant, et que fera-t-il par la suite ? v Quels effets sont visés ? Les textes sont aussi des actes : ils visent à obtenir certains effets. Ces effets peuvent être juridiques (produire une nouvelle constitution, opérer un revirement de jurisprudence, etc.) ou politiques (influencer le législateur ou le constituant, galvaniser un électorat, etc.). Il est essentiel de comprendre les effets que cherche à obtenir l’auteur. Le cas échéant, ils peuvent ou doivent être rapportés aux effets réels du texte. NB : la structure formelle du texte est parfois très révélatrice des intentions de l’auteur (par exemple : un paragraphe consacré au diagnostic d’un problème, le suivant proposant d’y apporter une solution). v Quels sont les enjeux explicites du texte ? Cela ne signifie pas que les enjeux du texte soient tous explicites. Mais il convient de les identifier clairement, avant de s’interroger sur ses enjeux implicites. NB : répondre à ces quatre questions ne suffit pas : il faut articuler les réponses. C’est en croisant ces réponses que l’on peut comprendre les principaux enjeux du texte. Par exemple, le discours prononcé à Bayeux par Charles De Gaulle, en juin 1946, ne prend son sens que si l’on se souvient conjointement des points suivants. (1) Contexte : le projet de constitution du mois d’avril 1946 a été rejeté par le corps électoral (référendum du 5 mai) ; le 2 juin, une nouvelle assemblée constituante a été élue ; sa composition politique est très proche de celle de la précédente assemblée constituante. (2) Auteur : Ch. De Gaulle a évidemment dirigé la Résistance ; il a aussi démissionné du gouvernement à la fin du mois de janvier ; ses ambitions politiques ne sont sans doute pas éteintes ; il a affiché clairement son désaccord avec le projet de constitution d’avril 1946 (3). Effets attendus : Ch. De Gaulle entend influencer le 15 constituant et opérer un retour sur le devant de la scène politique. (4) Enjeu explicite du texte : Ch. De Gaulle indique le type de régime qu’il souhaite voir émerger. A titre de travail préparatoire, le candidat est encouragé à se livrer à une analyse linéaire du texte. Cela revient à lire toutes les phrases dans l’ordre et à prendre en note, au brouillon, les commentaires que lui inspire chacune d’elle. L’avantage de cette méthode est qu’elle permet de ne rien oublier, à condition, du moins, de s’interroger réellement sur chaque phrase. Toutefois, l’exercice demandé n’est pas un commentaire linéaire, et ce dernier ne saurait jouer d’autre rôle que préparatoire. A ce stade, le candidat devrait être en mesure de dégager la problématique. Dans un commentaire de texte, cela signifie formuler de manière claire et précise le principal problème que soulève le texte. L’une des difficultés de l’exercice est de poser une question assez large pour rendre compte de tous les aspects du texte, mais suffisamment restreinte pour avoir un sens. Le candidat évitera soigneusement les fausses problématiques, telles que : « nous nous demanderons ce que dit le texte », « il serait intéressant d’examiner les propos de l’auteur », ou encore, « nous allons commenter ce document ». Quand ce travail préalable est fait, il faut déterminer la réponse que l’on veut apporter à la problématique (et noter scrupuleusement cette réponse pour éviter de se contredire lors de la phase de rédaction). Le plan doit servir cette réponse en la démontrant. La difficulté de l’exercice est de ne pas oublier le texte en construisant le plan et en rédigeant le devoir. Il est bon d’y faire référence de manière régulière au cours du devoir. Rappelons enfin que l’un des principaux buts du commentaire est de développer l’esprit critique du candidat. Cela suppose que la nature de sa réponse puisse différer de celle de l’auteur du texte. 3. Bâtir le plan Comme dans la dissertation, le propos du candidat doit être organisé selon un plan déterminé. Ici, ce qui est vrai pour la dissertation l’est également pour le commentaire (voir la fiche méthodologique correspondante). La principale différence est que le candidat pourrait être tenté, quand il rédige un commentaire, de suivre un plan analogue à celui de l’auteur du texte. In fine, le devoir se présenterait donc comme un commentaire linéaire. Ce type de plan n’est pas interdit : il arrive que ce soit la meilleure manière de rendre compte d’un texte lui-même structuré en deux parties d’égale importance. Toutefois, il faut manier cette technique avec une extrême prudence. Tout d’abord, parce qu’elle apparaît toujours paresseuse au correcteur. Ensuite, parce qu’elle risque d’entraîner le candidat sur la pente savonneuse de la paraphrase. Enfin, parce qu’il est assez rare que le commentaire linéaire soit le meilleur moyen de rendre compte d’un texte. B. La rédaction 1. L’introduction, le plan et la conclusion L’introduction, le plan et la conclusion d’un commentaire sont comparables à ceux d’une dissertation et se composent des mêmes éléments (voir la fiche méthodologique correspondante). Il faut néanmoins souligner les points suivants. v Dans le commentaire, l’accroche de l’introduction joue un rôle extrêmement important car elle donne l’occasion au candidat de prouver sa bonne connaissance de l’auteur et du contexte. L’intérêt du texte doit apparaître dès l’introduction. Rappelons que l’accroche ne consiste pas en un entassement de dates et de faits, mais vise à justifier la problématique retenue. v Les parties et les sous-parties se rédigent comme celles d’une dissertation. La principale différence est que, dans le commentaire, il faut parfois citer le texte commenté. 16 2. Faire référence au texte Le candidat veillera à citer le texte de manière exacte. Les citations (qui se font avec des guillemets) ne doivent pas être trop longues. Elles ne doivent contenir que les éléments strictement nécessaires, et il faut qu’elles soient directement compréhensibles par le correcteur. Soit le texte suivant (extrait du discours de Bayeux de Ch. De Gaulle) : « Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d'aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu'un assemblage de délégations. » Exemples de ce qu’il faut éviter : v Selon Charles de Gaulle, du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder. [Problème : l’absence de guillemets. La citation n’est pas signalée comme telle]. v Selon Charles de Gaulle : « Du Parlement […] délégations ». [Problème : le correcteur est obligé de se reporter au texte pour saisir le sens de la citation. Or, le texte du candidat doit être intégralement compréhensible]. v Selon Charles de Gaulle : « Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d'aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu'un assemblage de délégations ». [C’est correct mais, à l’évidence, la citation est inutilement longue]. Il vaut mieux opter pour l’une des solutions suivantes : v Selon Charles de Gaulle : « Du Parlement […] il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder ». L’auteur soutient en effet qu’un tel système aboutirait à la « confusion des pouvoirs ». v Charles de Gaulle affirme que le gouvernement « ne saurait procéder » des chambres, car il y voit une atteinte à la séparation des pouvoirs. 3. Rédiger une partie et ses sous-parties Ici aussi, on se réfèrera aux conseils donnés pour la dissertation. Rappelons qu’une sous-partie doit toujours contenir : v Un ou plusieurs argument(s) pleinement développé(s). Ici, une citation de l’auteur du texte étudié ne prouve rien en soi (elle prouve seulement que l’auteur a pensé ceci ou cela). Si le candidat tient cette idée pour juste (ou fausse), il doit le prouver par des connaissances positives, d’ordre juridique ou historique, voire par un raisonnement logique. v Les éléments de preuve, qui justifient ce ou ces argument(s). Il peut s’agir d’éléments du texte : il faut alors les illustrer. Il peut aussi s’agir d’exemples qui ne figurent pas dans le texte ; le candidat prouve ainsi son érudition. Il peut enfin s’agir d’une démonstration logique. v Une phrase synthétique qui rassemble les principaux points de l’argumentation. La particularité du commentaire est que le candidat doit traiter un ensemble d’informations dont il n’est pas l’auteur. Ce faisant le risque est de répéter ces informations sans les enrichir : c’est la paraphrase. Pour l’éviter, le candidat veillera toujours à vérifier que son interprétation enrichit bel et bien le texte. Enrichir le texte peut signifier plusieurs choses. Notamment : v Illustrer le propos. L’auteur tient un discours à portée générale où il définit abstraitement une classe d’objets. Le candidat montre quels sont les objets concernés, ou quelles espèces entrent dans la classe ainsi définie. v Résumer le propos de l’auteur. Le candidat ramène un ensemble de propositions à une proposition plus générale. Il faut alors prendre garde aux raccourcis trop rapides. 17 v Expliciter le propos de l’auteur. Souvent, les auteurs font des références allusives à tel ou tel élément de la réalité. Le candidat fournit alors des exemples, ou des connaissances juridiques, qui éclairent l’allusion et montrent qu’il en a percé le sens. v Dégager les intentions implicites de l’auteur. Le candidat montre, qu’indirectement, l’auteur cherche à atteindre tel ou tel effet politique ou juridique qu’il n’expose pas ouvertement. Il est alors particulièrement judicieux de montrer pourquoi l’auteur agit ainsi. v Étendre ou restreindre le propos de l’auteur. On s’approche alors d’une forme de critique. L’auteur tient un discours à portée générale (ou définit une classe). Le candidat montre que ce propos est vrai a fortiori pour d’autres objets (ou que d’autres espèces entrent dans la classe définie). Inversement, le candidat peut démontrer que la portée conférée à son discours par l’auteur est trop générale. Qu’il y a des exceptions, c’est-à-dire des espèces qu’on ne peut pas classer de cette manière. v Critiquer le propos de l’auteur. Suivant les cas, cela peut vouloir dire approuver ou rejeter le propos de l’auteur. En toute hypothèse, une critique doit absolument être démontrée, par la mobilisation d’exemples et d’arguments. Les exemples doivent avoir une pertinence juridique ou historique. Les arguments doivent être suffisamment solides et cohérents pour résister à un contre-examen critique. C. Quelques erreurs fréquentes Le mauvais commentaire entretient une parenté très étroite avec la mauvaise dissertation (voir, supra). Les vices sont les mêmes. Il faut y ajouter les variantes suivantes. 1. Défauts consécutifs à une analyse insuffisante du Texte Lorsque le candidat ne consacre pas assez de temps et d’attention à l’analyse du texte, les résultats s’en ressentent immanquablement. Les défauts qui en résultent sont les plus graves. Entre autres : v Occultation du texte : le candidat délaisse complètement ou partiellement le texte. Cette erreur, plus fréquente qu’on ne le croit, est très lourdement sanctionnée. Il faut éviter, en particulier, de laisser un passage important du texte non commenté. De la même manière, il ne faut pas qu’une partie du commentaire soit sans lien avec le texte. v Contresens : le candidat se trompe lourdement sur le propos de l’auteur. L’exercice critique du commentaire suppose une compréhension préalable du texte. Quand l’interprétation est fautive, la critique ne peut pas être pertinente. Même quand il ne porte que sur une partie du texte, le contresens est lourdement pénalisé. v Citations et références mal à propos : le candidat cite le texte à l’appui d’une idée qui n’a pas de rapport avec sa citation. On se rapproche alors du contresens, le texte étant manifestement mal compris. v Absence de démonstration grave ou bénigne : Cf. supra. v Plan peu convaincant : Cf. supra. Les plans qui reprennent exactement celui du texte sont rarement convaincants. Ils manquent généralement de recul sur l’objet. 2. Défauts d’argumentation Ces erreurs se repèrent généralement à la lecture des sous-parties. v Absence d’argument, arguments contradictoires ou non démontrés : Cf. supra. Rappelons que les citations du texte ne sont pas à proprement parler des arguments : elles ne doivent être que leur point de départ. v Paraphrase : le candidat se contente de répéter le propos de l’auteur, sans l’enrichir. La paraphrase est le travers le plus fréquent des mauvais commentaires. Elle signe l’échec du devoir. Se reporter au point B.3. pour l’éviter. 18 v Absence de recul critique : le candidat ne parvient pas à donner une lecture critique du texte. Il faut rappeler que le commentaire est une invitation à l’exercice critique. Cette critique gagne certes à être nuancée, elle peut même être discrète, mais elle ne doit pas être absente. 3. Défauts formels Ils résultent d’une franche ignorance des consignes contenues dans ce document. v Ignorance de la forme : Cf. supra. v Registre de langue impropre : Cf. supra. v Orthographe, grammaire, syntaxe : Cf. supra. v Citations et références fautives : le candidat cite mal le texte. Pour l’éviter, se reporter au point B.2. 19 SEANCE N° 2 – LA CONSTITUTION ET SON EVOLUTION Consignes A. Objet de la séance Le terme de « constitution » est employé dans bien des sens. Il est nécessaire, pour aborder sereinement la matière, de distinguer ces significations et de saisir leurs implications (parfois implicites). Les documents présentés ci-dessous mettent l’accent sur des éléments qui débordent la notion purement formelle de constitution. Ils visent aussi à démontrer que l’évolution d’un système politique peut résulter d’autres facteurs que de la seule révision constitutionnelle. B. Définitions à rechercher Assemblée constituante, Bloc de constitutionnalité, Constitution, Constitution au sens formel, Constitution au sens matériel, Constitution rigide, Constitution souple, Conventions de Constitution, Loi Fondamentale, Loi organique, Pouvoir constituant, Pouvoir de révision. C. Bibliographie A. Antoine, « La question de l’adoption d’un nouveau Bill of Rights » au Royaume-Uni », Revue internationale de droit comparé, 2010, n° 3, p. 685-712. P. Avril, « Coutume constitutionnelle et conventions de la Constitution », in M. Troper et D. Chagnollaud (dir.), Traité international de droit constitutionnel, Dalloz, 2012, tome 1, p. 375 et s. P. Bastid, L’idée de Constitution, Economica, 1985. G. Burdeau, « Une survivance : la notion de Constitution », L’évolution du droit public. Études offertes à Achille Mestre, Sirey, 1956 (spéc. p. 54). R. Capitant, « La coutume constitutionnelle », RDP, 1979 (spéc. pp. 669-670 et 697-698). R. Guastini, Leçons de théorie constitutionnelle, Dalloz, 2010, spéc. p. 101-108. L. Heuschling, « La Constitution formelle », in M. Troper et D. Chagnollaud (dir.), Traité international de droit constitutionnel, Dalloz, 2012, tome 1, p. 265 et s. C. Klein, Théorie et pratique du pouvoir constituant, PUF, 1996 (spéc. pp. 8-15). D. Oliver, « Vers une constitution britannique fondée sur des principes normatifs », Revue internationale de droit comparé, 2008, n° 4, p. 807-818. C. Schmitt, Théorie de la Constitution, PUF, 1993 (spéc. pp. 151-157, 241-243). 20 D. Exercices 1) Exercice obligatoire (révision). Cherchez la signification des notions suivantes dans les différents ouvrages et lexiques spécialisés à votre disposition. Présentez-les de manière contrastée, sous la forme d’un tableau : a. Pouvoir constituant / pouvoir constitué b. Pouvoir constituant originaire / pouvoir constituant dérivé c. Pouvoir constituant dérivé / pouvoir de révision constitutionnel d. Constitution écrite / constitution coutumière e. Constitution rigide / constitution souple f. Constitution au sens formel / constitution au sens matériel g. Révision de la constitution / changement constitutionnel 2) Exercice : « la révision constitutionnelle ». A l’aide du dernier extrait du document 8 (art. 89 de la constitution française de 1958) et du document 9 (procédures de révision des constitutions étrangères), répondez aux questions suivantes : a. Ces constitutions sont-elles rigides ou souples ? Pour chaque constitution, indiquez les mécanismes qui induisent l’éventuelle rigidité (majorité qualifiée, délais, multiplication des organes, etc.). Quelles constitutions vous paraissent les plus rigides ? b. Le peuple joue-t-il un rôle dans la révision constitutionnelle ? Si oui, caractérisez- le (initiative, approbation, consultation facultative ou obligatoire, rôle direct ou indirect) ? c. Quelles constitutions font appel à des « clauses d’éternité » ? Le cas échéant, quelles sont les dispositions ainsi protégées ? Quelles constitutions ignorent ce mécanisme ? Pour quelles raisons, selon vous ? d. En quoi la révision d’une constitution d’Etat fédéral est-elle singulière ? A quels mécanismes fait-elle généralement appel et pourquoi ? 3) Dissertation : « Y a-t-il des limites au pouvoir de réviser une Constitution ? » 4) Dissertation : « La supraconstitutionnalité » 5) Dissertation : en vous aidant de vos connaissances, vous discuterez cette disposition issue de la constitution de l’an I (constitution française du 24 juin 1793, déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 28) : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations suivantes. » 6) Commentaire : en la replaçant dans son contexte historique, vous commenterez l’ordonnance du 9 août 1944. Vous montrerez quelles questions théoriques et politiques elle soulève. *** 21 1. H. Kelsen : la constitution Source : Hans Kelsen, Théorie pure du droit, trad. C. Eisenmann, 2e éd., Dalloz, Paris, 1962, p. 300-302. La Constitution peut être créée soit par voie de coutume, soit par un acte ayant cet objet et ayant pour auteurs un individu ou plusieurs individus, autrement dit : par acte de législation. Dans le second cas, elle est toujours consignée dans un document ; pour cette raison, on l’appelle une Constitution « écrite » ; alors que la Constitution coutumière est une Constitution non-écrite. Il se peut aussi qu’une Constitution au sens matériel se compose pour partie de normes légiférées et écrites, pour partie de normes coutumières et non-écrites. Il est également possible que les normes d’une Constitution créée coutumièrement soient codifiées à un moment donné ; si cette codification est l’œuvre d’un organe de création du droit et a par suite un caractère obligatoire, la Constitution née coutumière devient une Constitution écrite. Le terme Constitution est pris en un sens forme : la Constitution au sens formel est un document qualifié de Constitution, qui – en tant que Constitution écrite – contient non seulement des normes qui règlent la création des normes juridiques générales, c’est-à-dire la législation, mais également des normes qui se rapportent à d’autres objets politiquement importants, et, en outre, des dispositions aux termes desquelles les normes contenues dans ce document ne peuvent pas être abrogées ou modifiées de la même façon que les lois ordinaires, mais seulement par une procédure particulière, à des conditions de difficulté accrue. Ces dispositions représentent la forme constitutionnelle ; en tant que forme, cette forme constitutionnelle peut recevoir n’importe quel contenu, et elle sert en première ligne à stabiliser les normes que l’on a appelées la Constitution matérielle, et qui sont la base positive de l’ensemble de l’ordre juridique étatique. […] Lorsqu’elle est Constitution écrite, la Constitution de l’État se présente parfois dans une forme spécifiquement constitutionnelle, c’est-à-dire sous forme de normes qui ne peuvent pas être abrogées ou modifiées comme les lois ordinaires, mais seulement à des conditions d’une difficulté accrue. Il se peut cependant que ce ne soit pas le cas ; ce ne l’est évidemment pas pour les États dont la Constitution est de caractère coutumier, c’est-à-dire est née de la conduite coutumière habituelle des individus soumis à l’ordre juridique étatique et n’a pas été codifiée par la suite. En ce cas, les normes qui ont le caractère de Constitution matérielle peuvent, elles aussi, être soit abrogées soit modifiées par les lois ordinaires ou par le droit coutumier. Il est possible que le pouvoir d’édicter, d’abroger et de modifier les lois constitutionnelles au sens spécifiquement formel, soit attribué à un organe différent de celui qui a le pouvoir d’édicter, abroger et modifier les lois ordinaires. Par exemple, il se peut que la composition et le mode d’élection de l’organe investi de la fonction constituante soient différents de ceux de l’organe investi de la fonction de législation ordinaire, – ce sera par exemple une Assemblée constituante, il serait plus exact de dire : une Assemblée législative constitutionnelle. Le plus souvent cependant, les deux fonctions sont exercées par un seul et même organe. La Constitution qui règle la création des normes générales peut déterminer aussi le contenu de certaines lois futures ; et les Constitutions positives le font assez fréquemment en prescrivant certains contenus ou en excluant certains contenus. Dans le premier cas, on n’a affaire, le plus souvent, qu’à une promesse que des lois seront édictées, sans qu’il y ait véritablement obligation de les édicter, parce qu’il n’est guère possible, ne serait-ce qu’en raison de facteurs de technique juridique, d’attacher une sanction à la non-édiction de lois ayant 22 le contenu prescrit. Par contre, il est plus facile d’exclure constitutionnellement de façon efficace l’édiction de lois d’un contenu déterminé. Le catalogue de droits et libertés fondamentaux qui forme un contenu typique des Constitutions modernes n’est pour l’essentiel rien d’autre chose qu’une tentative pour prévenir l’établissement de telles lois. Il est efficace si l’édiction d’une telle loi – par exemple d’une loi qui lèse la liberté de la personne ou la liberté de la conscience ou l’égalité – engage la responsabilité personnelle de certains organes associés à l’édiction – chef de l’État, ministres –, ou si est instituée la possibilité de les attaquer et d’obtenir leur annulation. À supposer, bien entendu, que la loi ordinaire ne possède pas la force de déroger à la loi constitutionnelle qui règle sa création et son contenu, que les lois constitutionnelles ne puissent être modifiées ou abrogées qu’à des conditions plus difficiles, telles que majorité qualifiée, quorum supérieur, etc…, c’est-à-dire à condition que la Constitution prescrive pour sa propre modification ou abrogation une procédure différente de la procédure de la législation ordinaire, et plus difficile, qu’il y ait à côté de la « forme de loi » une « forme de Constitution » distincte et originale. 2. A. Mathiot : le régime politique britannique Source : André Mathiot, Le Régime politique britannique, A. Colin, 1955, p. 190-195 Que veut-on désigner lorsque l’on parle de Constitution britannique ? Un ensemble complexe, une « structure vivante », continuellement modelée, au cours de l’histoire et sous nos yeux encore, par les actions et les réactions individuelles et collectives, en fonction des exigences de circonstance changeantes ; des règles qui ne présentent, par rapport au droit du pays, aucune originalité formelle et que le législateur peut modifier, mais à la modification desquelles participent aussi les organes même chargés d’appliquer cette constitution. Est-ce à dire qu’ils soient libres de la modifier ? Pas le moins du monde et, suivant l’expression d’un auteur, la clé du développement constitutionnel britannique est l’interaction de la Couronne et de la nation, un processus de discussion et d’accord auquel participent le Parlement et l’opinion. Le fondement du respect dû à la Constitution, qui est aussi la base de tout le système juridique, c’est la rule of law. Ce principe de contenu assez imprécis, caractérise le libéralisme. Il n’impose pas seulement le respect, par les citoyens, du droit de l’État ; il limite le pouvoir des autorités qui gouvernent et administrent ; il consacre à la fois la conception de l’État légal et de l’État libéral, dans lequel le droit oppose certaines barrières à l’action du pouvoir. Avec son contenu extensif, la rule of law peut exprimer aussi bien les vues d’un théoricien que l’analyse exacte de la pratique gouvernementale. Mais, si l’on examine cette pratique et le fonctionnement du régime, on constate que la rule of law l’inspire effectivement et que ses formules un peu vagues fournissent en réalité les critères du gouvernement libéral ou y conduisent : elles postulent des élections libres, l’accord du gouvernement avec la nation, d’où découle la possibilité d’écarter un gouvernement en désaccord avec l’opinion ; elles impliquent l’égalité de tous devant le droit du pays et le caractère fondamental de certaines libertés du citoyen et, finalement, une atmosphère générale de liberté, plus difficile à analyser qu’à ressentir, mais qui exclut l’arbitraire et associe l’opposition au gouvernement. Beaucoup d’États ont cherché à atteindre de tels résultats par l’insertion de règles précises dans une Constitution écrite. En Grande-Bretagne, ces règles dont l’inspiration permanente est dans la rule of law forment aussi une constitution, mais très particulière à bien des égards et notamment quant aux éléments qui la composent. 23 Il est d’abord frappant, du point de vue du libéralisme même, que l’organisation des pouvoirs publics, les compétences, le fonctionnement du régime, ne relèvent pas d’une loi fondamentale ; les règles constitutionnelles ne sont pas plus fondamentales que les autres règles du droit anglais. Il est remarquable aussi que ces règles, non seulement n’aient rien d’immuable, mais soient considérées comme d’autant meilleures qu’elles seront plus facilement adaptables à des nécessités nouvelles. Mais, surtout, comme la loi du pays, dont elle n’est qu’un aspect, la Constitution est un mélange de règles de natures diverses. Elles semblent correspondre, si l’on s’attache à l’objet, à quatre éléments d’inégal intérêt. La législation est un élément de la constitution qui n’appelle pas de longs commentaires. Soit pour trancher un problème constitutionnel discuté, soit pour établir une réforme, le législateur britannique est souvent intervenu. Il est des documents fondamentaux. Nous avons déjà dit l’importance historique de quelques grands textes qui ont été arrachés au souverain ou consentis par lui aux dates capitales de la lutte contre l’absolutisme. S’ils continuent d’être vénérés, c’est à la fois par respect de la tradition et par attachement aux idées qui les ont inspirées, mais leurs dispositions, on le sait, n’ont plus grand rapport avec les problèmes actuels de gouvernement. En fait, la plupart des actes fondamentaux intervenus depuis la Grande Charte ont aujourd’hui une valeur symbolique. Ils ont fini par revêtir, dans l’esprit des citoyens, une signification et une portée libérales plus fortes qu’ils n’avaient lors de leur élaboration. C’est pourquoi ils sont considérés comme sacrés. Leur contenu importe moins et, d’ailleurs, aucune force juridique particulière ne leur est attachée ; la Grande Charte pourrait être abrogée par le Parlement exactement comme il peut fixer le statut de la télévision ou modifier une simple loi fiscale. À côté des textes fondamentaux, d’autres statutes touchent à des matières constitutionnelles : succession au trône, statut des juges, élections, statut de l’Irlande du Nord, organisation administrative. Le deuxième élément de la Constitution est le case law. Les décisions des juges ont sans doute une moindre importance politique que dans les pays qui pratiquent le contrôle de la constitutionnalité des lois, mais les plus nombreuses règles du common law qui ont une portée politique font partie du droit judiciaire ; par référence à ses principes, les juges interprètent les lois et l’on peut dire que les libertés du citoyen, notamment, ont été définies et donc protégées par les cours. Un troisième élément, non dépourvu d’importance, est constitué par the Law and Custom of Parliament. Certaines règles concernant les pouvoirs publics n’ont jamais été incorporées à un statute et sont hors de la compétence des cours : c’est ainsi que, sauf exception, le droit de siéger à la Chambre des Lords est déterminé par la Chambre elle-même ; les deux Chambres règlementent elles-mêmes leur procédure et, s’agissant de la procédure des Communes, c’est bien souvent les règles du régime parlementaire qu’elle fixe ; le système parlementaire des partis, la pratique des questions orales, les manquements aux privilèges de la Chambre des Communes relèvent ainsi du droit et des coutumes du Parlement. Comment le Law and Custom of Parliament est-il connu ? Parfois, il s’agit de règles coutumières dont l’observation est attestée par les registres des clerks ; parfois, la règle résulte de résolutions de la chambre ou de décisions du Speaker ; parfois, il s’agit de droit parlementaire n’ayant donné lieu à aucune résolution ou décision et c’est le cas des relations entre le Cabinet et l’opposition. 24 On se rapproche alors des conventions constitutionnelles, l’élément le plus caractéristique, à coup sûr, de la Constitution britannique. Elles ne diffèrent pas de la coutume telle qu’elle peut se développer en matière constitutionnelle, mais, comme, ici, les règles constitutionnelles n’ont aucune rigidité et n’ont même pas de forme particulière, les conventions de la Constitution ont pris une importance considérable. On peut dire sans exagération que tout le fonctionnement du régime parlementaire dépend de conventions de cet ordre. La plus frappante concerne le gouvernement de Cabinet lui-même et la possibilité pour le Cabinet d’exercer les pouvoirs de la Couronne pourvu qu’il ait la confiance des Communes ; la responsabilité politique du Cabinet aux Communes, l’obligation pour lui, s’il n’a plus la confiance des Communes, d’obtenir la dissolution du Parlement ou de démissionner, résultent aussi de conventions ; de même, des conventions constitutionnelles établissent l’opinion pour le Souverain de donner son assentiment à une loi dûment votée par le Parlement, l’impossibilité pour la Chambre des Lords de renverser le Cabinet et pour un Pari de devenir Premier Ministre, l’existence d’une opposition parlementaire, les pouvoirs du Premier Ministre et bien d’autres règles d’application constante. Établies sur la base de précédents reconnus comme obligatoires, les conventions se développent le plus souvent dans les domaines où il n’y a pas de case law et pas de législation ou une ou une législation insuffisante. Elles sont, a-t-on dit, la chair qui recouvre le squelette de la loi et assure la marche de la Constitution ; elles accordent l’application de la loi avec la théorie constitutionnelle dominante à l’époque. Parfois, les conventions se développent contrairement au texte de la loi, sans que le Parlement juge nécessaire de modifier ce texte. Le droit légal, law, le droit strict, a un caractère obligatoire théorique et juridictionnellement sanctionné. Les conventions constitutionnelles, dont les cours n’assurent pas, à proprement parler, la sanction, et qui ne peuvent abroger le droit strict, peuvent le compléter, en modifier l’interprétation, en paralyser les effets. […] Parfois, ayant atteint un certain degré d’achèvement, la convention constitutionnelle est transformée en droit strict : le Parlement l’incorpore à une loi, lui donnant une précision qu’elle n’avait pas lorsqu’il fallait, auparavant, interpréter les précédents et en mesurer la force. […] Ces conventions constitutionnelles, le professeur Dicey, qui, dès 1885, en avait signalé l’importance, affirmait volontiers que leur autorité se trouvait en partie dans l’opinion publique, mais surtout dans l’obligation où se trouverait le gouvernement qui les violerait, soit d’abandonner le pouvoir, soit de méconnaître certaines dispositions expresses de la loi. On retrouve ici l’importance du sens constitutionnel du peuple britannique, fait d’attachement aux règles du jeu parlementaire, et qui est indéniable et profond. La violation de règles reconnues, même si elles ne sont pas écrites, ou le simple fait de ne pas s’y conformer loyalement, soulèverait la réprobation générale. La Constitution est importante, mais l’essentiel est la « constitution constitutionnelle » d’une nation qui, toute entière, veut le respect du fair play en politique et le maintien de principes et de pratiques, facilement modifiables en droit, mais politiquement intangibles aussi longtemps que l’opinion y adhère. 25 3. E. Zoller : l’invention de la « constitutionnalité » Source : Elisabeth Zoller, Droit constitutionnel, Paris, PUF, 1998, p. 33-40. La découverte de la distinction entre « légalité » et « constitutionnalité » Au début des années 1760, lorsque commença avec l’Angleterre la controverse qui devait les mener à la Déclaration d’Indépendance (1776), les Américains n’avaient pas en matière constitutionnelle des idées différentes de celles des Anglais. Comme eux, ils pensaient que les plus grandes menaces contre les droits de la Common Law incorporés dans le passé anglais provenaient des prérogatives de la couronne, pouvoirs royaux vagues et discrétionnaires, mais ancestraux au même titre que les libertés anglaises. Comme eux, ils savaient que c’était par des documents écrits, tels la Grande Charte (1215) ou le Bill des droits de la Glorieuse Révolution (1689), que le Parlement avait su arracher au pouvoir royal la garantie de ces droits et libertés, « principes établis par raison », dont découlait, selon Bolingbroke, la constitution anglaise. En tant que représentant de l’aristocratie et du peuple, le Parlement anglais avait joué un tel rôle dans la conquête et la défense des droits et libertés anglaises qu’il était tout naturellement considéré comme le rempart des droits du peuple anglais contre les empiètements du pouvoir royal. La Pétition du droit (1628), l’Acte d’Amendement de l’Habeas Corpus (1679), le Bill des droits (1689) étaient tous des actes du Parlement, des lois nullement différentes en leur forme des autres lois passées par lui. Dans ces conditions, comme devait l’expliquer le grand juriste anglais Blackstone, il ne peut pas y avoir pour un Anglais de différence entre une « constitution ou un système de gouvernement » et un « système de lois ». Système de gouvernement et système de lois sont l’avers et l’envers d’une même médaille. Toute loi du Parlement est partie intégrante de la constitution, et toute règle, qu’elle soit coutumière ou législative, est dès lors nécessairement constitutionnelle. Ainsi les mots « constitutionnel » et « inconstitutionnel » ne peuvent-ils rien signifier d’autre que respectivement « légal » et « illégal ». C’est très précisément sur cette équivalence entre « légal » et « constitutionnel » que les Américains se sont séparés de la tradition britannique. Au cours des années 1760 et 1770, les colons américains découvrirent qu’une loi du Parlement britannique comme le Stamp Act de 1765 (droit de timbre sur certains papiers officiels) pouvaient être parfaitement légale, c'est-à- dire avoir été adoptée conformément aux conditions procédurales et substantielles de l’élaboration de la loi, et pourtant se trouver grevée d’une constitutionnalité douteuse au regard des droits et libertés anglaises, partie intégrante de la constitution d’Angleterre. Par le Stamp Act, le Parlement de Londres avait en réalité établi un véritable impôt intérieur dans les colonies américaines, à la différence de la pratique antérieure au cours de laquelle il s’était contenté d’augmenter les droits de douane, lesquels n’étaient pas assimilés à des impôts. Pour les colons, la loi sur le timbre qui créait un impôt était contraire aux libertés anglaises – donc, « inconstitutionnelle » – car elle avait été établie sans que ses assujettis soient directement représentés au Parlement de Londres, alors que, depuis la Grande Charte (1215), figurait parmi les droits les plus précieux des citoyens anglais le principe No taxation without representation. Ils en déduisaient que si, formellement, des textes comme le Bill des droits de 1689 ou l’Acte d’établissement étaient bien des lois du Parlement, ils devaient être matériellement d’une « nature plus sacrée que les loi établissant des péages sur les routes ». Et c’est ainsi que, sous la pression de événements, les Américains en vinrent à penser que les principes fondamentaux de la constitution d’Angleterre devaient être sortis des compétences du Parlement pour être 26 placés dans une position hiérarchiquement supérieure à lui. « Dans tous les États libres, dira Samuel Adams en 1768, la constitution est fixe ; et, dans la mesure où le pouvoir législatif tire ses compétences et son autorité de la constitution, il ne peut pas outrepasser les limites posées par celle-ci sans détruire ses propres fondements ». […] Une nouvelle conception de la constitution À l’issu de la Révolution américaine, une nouvelle conception de la constitution était née. Les apports américains à l’idée moderne de constitution étaient les suivants : a) une constitution est un document écrit, b) le respect d’une constitution est garanti par le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois. La conception normative de la constitution telle que les Américains l’on façonnée plonge en vérité ses racines au plus profond dans l’histoire de la pensée politique occidentale. L’idée selon laquelle le pouvoir est limité par des lois fondamentales remonte au mythe d’Antigone. Elle a nourri la réflexion politique pendant des siècles. Là où la Révolution américaine a innové, c’est en ce qu’elle a créé des procédés juridiques et des mécanismes institutionnels qui permettent non seulement de limiter effectivement le pouvoir, amis encore de modifier le cadre normatif dans lequel celui-ci opère. 4. M. Barberis : les sens du mot « constitution » Source : Mauro Barberis, « Idéologies de la constitution – Histoire du constitutionnalisme », in : M. Troper et D. Chagnollaud (dir.), Traité international de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2012, vol. 1er, p. 113 et s. (ponctuation modifiée). Pour analyser les doctrines ou idéologies de la constitution, on peut distinguer au moins trois sens du terme « constitution ». Dans un premier sens, le terme « constitution » désigne un document qui institue les pouvoirs politiques et qui les limite : la « constitution-document », à l’exemple des constitutions écrites formulées à partir du XVIIIème siècle. Dans un deuxième sens, « constitution » désigne des règles (non écrites) qui instituent les pouvoirs politiques et qui les limitent : la constitution fonctionnelle, illustrée par l’importante partie non écrite de la constitution anglaise. Dans un troisième sens, le terme « constitution » désigne des pratiques régulières qui instituent les pouvoirs politiques mais ne les limitent pas : la constitution matérielle illustrée par tous les régimes politiques – qu’ils soient ou non dotés d’une constitution « de façade » – dans lesquels les pouvoirs politiques ne sont pas soumis à des règles. Toute société, en tous temps, à toujours une constitution matérielle, c’est-à-dire des pratiques régulières relatives à la distribution des pouvoirs politiques. De nombreuses sociétés ont ensuite développé, à partir de ces pratiques régulières, d’authentiques règles instituant et limitant le pouvoir, et en particulier des constitutions fonctionnelles. Enfin, parmi ces mêmes sociétés, nombres d’entre elles se sont dotées, à partir du XVIIIème siècle de « constitutions- documents ». L’histoire séculaire des idéologies de la constitution, et en particulier, de la discussion entre les doctrines constitutionnalistes, favorables à la limitation du pouvoir, et les doctrines anti-constitutionnalistes, sceptiques ou hostiles à une telle limitation, embrasse les trois sens du terme « constitution » : on discute précisément sur le point de savoir si les constitutions fonctionnelles ou les documents pourront un jour se substituer intégralement à la constitution matérielle. 27 5. O. Beaud : Quelle limitation au pouvoir de révision constitutionnelle ? Source : Olivier Beaud, « Le cas français : l’obstination de la jurisprudence et de la doctrine à refuser toute idée de limitation au pouvoir de révision constitutionnelle », Jus Politicum, n°18, 2017, p. 93-115. Le cas français offre un cas assez étonnant en ce qui concerne la question de la limitation du pouvoir de révision, en raison du décalage entre le texte et la pratique jurisprudentielle. En effet, d’un côté, l’article 89 de la Constitution de la Ve République, qui porte sur la révision, prévoit explicitement deux types de limites à une telle révision. D’abord, une limite d’ordre temporel est contenue dans l’alinéa 4 selon lequel « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ». Ensuite une limite d’ordre substantiel ou matériel, figure à l’alinéa 5 aux termes duquel « la forme républicaine du gouvernement ne peut être abrogée ». Il y a donc une forte analogie avec l’article 139 de la Constitution italienne de 1946, qui dispose : « La forme républicaine ne peut faire l’objet d’une révision constitutionnelle ». Les deux constitutions, française et italienne, comportent donc la même « clause d’éternité » pour reprendre une formule ciselée par la doctrine allemande (Ewigkeitsklausel) pour décrire l’article 79 de la Loi fondamentale. D’un autre côté, malgré la lettre de la Constitution qui semble autoriser des limites matérielles à la révision, ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’État n’ont souhaité s’engager dans l’idée d’un contrôle matériel des lois de révision constitutionnelle. La différence est cette fois frappante avec la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne qui a, elle, accepté, au moins une fois, de s’engager dans un tel contrôle. […] Le droit positif : le refus d’admettre l’existence de limites matérielles juridiques au pouvoir de révision constitutionnelle Il faut commencer par rappeler que l’article 89 alinéa 5 de l’actuelle Constitution (cité plus haut) a une longue histoire. C’est en effet sous la IIIe République qu’est apparue, lors de la révision de 1884 – consacrant la victoire politique des républicains sur les monarchistes –, la disposition constitutionnelle selon laquelle « la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une proposition de révision ». Elle modifiait l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, afin d’empêcher un retour légal à la monarchie que le maréchal de Mac Mahon s’était longtemps évertué à provoquer. Une telle prohibition revient à interdire la modification de la forme du gouvernement. La doctrine constitutionnelle française a, le plus souvent, adopté une position sceptique à l’égard d’une telle disposition. De ce point de vue, le grand Traité de droit constitutionnel de la seconde partie de la IIIe République, celui de Joseph Barthélémy et de Paul Duez, résume une position jugée réaliste : la limitation introduite en 1884 n’est pour eux qu’une « barrière de papier » dans la mesure où une telle interdiction peut être aisément contournée par une « révision de la révision », en déconstitutionnalisant cet article, puis en proposant une révision totale. Mais, si Duguit avait déjà défendu cette thèse de la « double révision », Barthélémy et Duez vont un cran plus loin dans le scepticisme en déniant toute valeur juridique à la limitation introduite en 1884. Selon eux, du strict point de vue juridique, ce procédé consistant à déclarer intangible une forme de gouvernement « est manifestement sans valeur puisqu’il consacre, en somme, l’intangibilité absolue d’une partie de la constitution ». Ils considèrent donc que de telles dispositions sont de « simples vœux sans force juridique obligatoire pour les successeurs 28 des constituants4 ». À l’intangibilité proclamée par le texte constitutionnel, la doctrine française, par la voix autorisée de Joseph Barthélémy, oppose la mutabilité du droit constitutionnel, qui serait illustrée par la révision de la Constitution. […] En 2013, le Conseil constitutionnel fut saisi par des sénateurs socialistes qui contestaient la constitutionnalité de la loi constitutionnelle portant « organisation décentralisée de la République » et adoptée le 17 mars 2003 par le Parlement réuni en Congrès. Ceux-ci estimaient notamment que la nouvelle formulation de l’article 72 de la Constitution selon laquelle « son organisation est décentralisée » serait contraire au principe d’indivisibilité de la République. Il y aurait donc une contradiction interne entre le principe unitaire de l’État fixé à l’article 1 et le principe de la décentralisation de l’État reconnu à cet article 72 par la nouvelle révision de la Constitution. Plutôt que de se prononcer sur le fond, le Conseil constitutionnel rejeta la saisine en se prononçant exclusivement sur la seule question de sa propre compétence. La réponse du Conseil, dans sa décision du 26 mars 2003 (2003- 469 DC) est donnée sous la forme d’un considérant de principe : « le Conseil constitutionnel ne tient ni de l’article 61, ni de l’article 89 de la Constitution, ni d’aucune autre disposition, le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle ». De façon alors très logique, il en tire la conclusion qu’il ne peut contrôler la révision sur la décentralisation qui résulte de la loi constitutionnelle qui lui est déférée. […] À l’instar du Conseil constitutionnel, la doctrine publiciste française entend bien justifier la limitation du contrôle des lois de révision aux seules questions de la forme (compétence, procédure) ; elle rejette nettement l’idée que l’on puisse s’aventurer dans un contrôle du fond du droit. Cette idée se trouve parfaitement exprimée par Guy Carcassonne qui reproche au Conseil constitutionnel de ne pas avoir, dans sa décision de 2003, formulé sa solution de la manière suivante : « [L]’exercice du pouvoir de réviser la Constitution n’est limité que par les conditions de temps, de forme, de procédure que celle-ci énonce et par le dernier alinéa de l’article 89. Point ici de supra-constitutionnalité, mais point non plus de blanc-seing donné par avance à n’importe quelle révision votée n’importe comment, par n’importe qui, dans n’importe quelles circonstances ». 6. A. Le Divellec : la notion d’ordre constitutionnel Source : Armel Le Divellec, « Un ordre constitutionnel confus. Indicibilité et incertitudes de la Constitution française », in D. Chagnollaud (dir.) Les cinquante ans de la Constitution, 2008. Tout bien considéré, la présence d’une constitution formelle ne change donc pas radicalement la nature du pouvoir de domination légitime. Que les règles gouvernant l’exercice du pouvoir politique et garantissant les droits des citoyens soient écrites ou non, que nombre d’entre elles, parmi les plus importantes, soient dotées d’une force supérieure ou non, leur analyse est toujours complexe, marquée par la fluidité, par un caractère évolutif. Sans sacrifier le moins du monde à la rigueur juridique, il convient de prendre conscience qu’il serait vain de se laisser hypnotiser par la Constitution écrite, autrement dit par ce qui sert seulement de support au pouvoir de Gouvernement. Une constitution ne saurait donc être réduite à une loi écrite, fût- 29 elle « suprême ». Car l’écrit ne peut jamais être autosuffisant. Les dispositions qu’il contient ne peuvent presque jamais opérer sans recourir à des notions et concepts sous-tendus par lui, ni sans un principe d’énergie qui vient des forces extérieures aux normes juridiques formelles. De même que la notion d’ordre juridique (même si elle est parfois contestée) présente une grande utilité pour traduire le fait que le droit ne peut être simplement ramené à une simple compilation disparate de normes, mais qu’il est « un ensemble organisé d’éléments interdépendants formant une unité » (Ch. Leben), la notion d’ordre constitutionnel traduit probablement mieux que le terme de constitution (trompeur parce que marqué par une polysémie dont on a vu qu’elle révélait différents aspects d’un même phénomène irréductiblement complexe), ce fait que le droit constitutionnel, l’étude du Gouvernement des hommes au moyen du droit dans un corps politique donné, présuppose un tout qui dépasse la simple addition des objets le composant. En particulier, cette notion dépasse le seul aspect des normes strictement juridiques dont l’étude ne peut être complètement séparée des composants proprement politiques. Peu employée en France, l’idée d’ordre constitutionnel est en fait implicite chez nombre d’auteurs. Elle est plus courante à l’étranger, notamment en Allemagne, où ce terme (« verfassungsmässige Ordnung ») est évoqué à l’article 20 (al. 3) de la Loi fondamentale et régulièrement employé non seulement par la doctrine mais aussi par les juges constitutionnels. 7. P. Avril : les conventions de la constitutions Source : Pierre Avril, Les Conventions de la constitution, Paris, PUF, 1997, p. 157- 163. En tant qu’elle désigne la Constitution comme un ensemble de prescriptions énoncées dans un texte, la maxime de Daunou (la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution) n’a certes pas perdu sa valeur : elle a servi naguère, dans une conjoncture délicate, en montrant que le principe simple qu’elle contient fournissait aux rapports politiques un service minimum normatif. Nécessaire, elle n’est cependant pas suffisante. Benjamin Constant devait l’observer un peu plus tard : « Quand on dit : la Constitution ! l’on a raison, toute la Constitution ! l’on a raison, mais lorsqu’on ajoute : rien que la Constitution ! l’on ajoute une ineptie. La Constitution, toute la Constitution, et tout ce qui est nécessaire pour faire marcher la Constitution, cela seul est sensé ». Au terme d’une recherche sur les normes non écrites, l’objet constitutionnel apparaît bien plus complexe et mobile que ne le laissait penser la maxime de Daunou. En la corrigeant Benjamin Constant nous avait, si j’ose dire, mis la puce à l’oreille : « Rien que la Constitution » (c'est-à-dire que l’énoncé du texte constitutionnel) est une « ineptie » puisqu’il faut ajouter : « Et tout ce qui est nécessaire pour faire marcher la Constitution ». Dès lors que la voie était ouverte, qui suggérait que cet énoncé appelait une suite qui prolonge la Constitution au-delà de sa promulgation et jusqu’au stade de son application. Parallèlement, il se révélait que la Constitution désigne, selon l’angle sous lequel on choisit de l’observer, le fondement de l’édifice politique ou le sommet de la hiérarchie juridique ; le choc des images de la base et du sommet provoquant un léger vertige, le malaise ne peut être surmonté qu’en prenant conscience que les deux figures n’appartiennent pas à la même dimension. Le paramètre de cette double spirale, qui se déploie dans le temps concret et dans l’espace métaphorique, est donné par la 30 combinaison du droit et de la politique ou, pour dire les choses plus brièvement, par une exacte définition du droit constitutionnel, qui est un droit politique. 1) La Constitution réelle d’un pays ne se réduit pas à son texte, la cause paraît entendue, mais le constat implique qu’elle se décline sur deux modes temporels : elle s’identifie à l’acte souverain initial, et elle se manifeste alors a priori, mais elle s’observe aussi a posteriori en intégrant la jurisprudence qui précise la portée des dispositions édictées par cet acte à l’occasion du contentieux de leur application, ainsi que les normes conventionnelles qui naissent de l’exercice des pouvoirs que ces dispositions attribuent et réglementent. L’acte fondateur est en même temps le début d’une histoire. En tant qu’elle réunit l’ensemble des prescriptions destinées à régir le gouvernement du pays et qu’elle les énonce sur le mode juridique, la Constitution est affectée d’une inévitable incomplétude pour la simple raison que ses prescriptions ne peuvent fournir de solution automatique à toutes les situations auxquelles son application se trouvera confrontée. Benjamin Constant l’avait observé : « Il est impossible de tout régler, de tout écrire, et de faire de la vie et des relations des hommes entre un procès-verbal rédigé d’avance, où les noms seuls restent en blanc, et qui dispense à l’avenir les générations qui se succèdent, de tout examen, de toute pensée, de tout recours à l’intelligence… Quoiqu’on fasse, il reste toujours dans les affaires humaines, quelque chose de discrétionnaire ». Il existe par conséquent une zone d’indétermination que l’on pourrait qualifier d’inhérente au droit, et qui exclut, dans l’hypothèse d’école d’un texte idéalement « clair », la parfaite coïncidence de la constitution décidée avec la Constitution appliquée. Et on a vu ce qu’il fallait penser de l’hypothèse du texte « clair ». Cette indétermination technique est commune à toutes les prescriptions juridiques. Mais il ne s’agit pas ici du code pénal ni de la procédure civile, il ‘agit de régler le gouvernement du pays : la Constitution est l’instrument par lequel se réalise la politique et sur lequel la politique réagit pour l’adapter aux contraintes de l’action. Les exigences auxquelles l’application du texte devront faire face l’orienteront en révélant (by trial and error, disait J. S. Mill) les virtualités qu’il offre comme les effets pervers qu’il recèle : les ressources de l’interprétation y pourvoiront et l

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