Limites Planétaires - CERDD-Web, PDF
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This document analyzes the concept of planetary boundaries. It discusses the interaction between various processes necessary for the Earth's equilibrium. The impact of human activities is explored, emphasizing the urgent need for a change in development models, and highlighting significant environmental concerns.
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LES LIMITES PLANÉTAIRES UN SOCLE POUR REPENSER NOS MODÈLES DE SOCIÉTÉ INTRODUCTION En pensant à notre planète, nous avons tous.tes en de ce système complexe et nous peinons parfois à tête la fameuse image de la Terre, prise depuis l’espace comprendre les conséquences de ces bouleversement...
LES LIMITES PLANÉTAIRES UN SOCLE POUR REPENSER NOS MODÈLES DE SOCIÉTÉ INTRODUCTION En pensant à notre planète, nous avons tous.tes en de ce système complexe et nous peinons parfois à tête la fameuse image de la Terre, prise depuis l’espace comprendre les conséquences de ces bouleversements pour la première fois par l’équipe Apollo 17 en 1972. sur son ensemble : comment la disparition d’espèces impacte-t- elle directement nos vies ? Quelles Cette image de la Terre ronde, qui illustre notre conséquences la déforestation a-t-elle sur les pluies, finitude, nous rappelle aussi la singularité de la le vent ? À quoi correspond concrètement « +2°C » ? vie sur Terre, rendue possible par l’atmosphère, un Comprendre les réalités de ce système Terre1 est certain climat, les océans et tous les êtres vivants pourtant indispensable pour orienter nos actions qui participent du fonctionnement de cet unique et et garantir la durabilité de nos modes de vie et des complexe métabolisme. écosystèmes dont nous sommes dépendant.es. Plusieurs processus garantissent ainsi la vie sur Terre Certains signaux sont au rouge, et les records de et ont permis le développement de nos sociétés depuis catastrophes environnementales et de fortes chaleurs des siècles (agriculture, croissance démographique, se multiplient ces dernières années (voir illustration santé…) : un climat stable depuis 10 000 ans, une ci-dessous) : force est de constater que l’accumulation couche d’ozone préservée, une diversité d’êtres massive de connaissances, de rapports scientifiques vivants au cœur de nos écosystèmes façonnés par et la multiplication des sommets internationaux l’évolution, des sols fertiles, des cycles de l’eau, de n’ont pas amené de changements profonds pour l’azote et du phosphore préservés et équilibrés, des éviter l’emballement climatique et la dégradation puits de carbone qui permettent de réguler le climat… irréversible de nos écosystèmes. Les activités humaines modifient aujourd’hui drastiquement ces processus. L’exemple le plus connu est le dérèglement climatique, mais la pollution des sols, des océans et l’extraction massive de ressources perturbent aussi l’équilibre des écosystèmes. Nous 1. Le concept scientifique de « Système Terre » définit l’ensemble des interactions physiques, chimiques, biologiques qui caractérisent le fonctionnement de la Terre. Cette avons oublié que nous faisions partie intégrante dernière est ici vue comme un ensemble de sous-systèmes, tous en interaction, dont l’équilibre doit être préservé. 001 — Représentation des évolutions des températures de 1850 à 2017 : www.climate-lab- book.ac.uk 2 Ces constats appellent une accélération et une Depuis qu’on négocie sur les questions transformation profondes de nos modes de climatiques, les émissions de gaz à effet développement tout comme de nos manières de serre ont augmenté de 65%. de répondre à cet enjeu qui touche à la viabilité Il faut se poser la question de l’efficacité même de notre planète. En ce sens, nos grilles de de ce qu’on a fait jusqu’à présent. lecture et indicateurs doivent prendre en compte Malheureusement, plus on attend pour cette complexité : c’est ce que propose de faire prendre des mesures efficaces, plus le cadre des « limites planétaires ». Ce dernier ces mesures seront potentiellement schématise l’interaction entre les processus liberticides et anti-démocratiques. » indispensables à l’équilibre de notre système Terre. Ce cadre identifie des seuils, pour chacun de Aurélien Boutaud ces processus, à ne pas dépasser pour garantir la stabilité de nos écosystèmes. Il insiste également sur les interrelations entre tous ces enjeux globaux. Au fil de cette publication, vous retrouverez des extraits d’entretiens de spécialistes de la Ce dossier documentaire a pour vocation question : de présenter de manière pédagogique le cadre des limites planétaires et d’expliquer Natacha Gondran, enseignante-chercheuse- simplement les différents processus qui ingénieure à l’Institut Fayol des Mines garantissent l’équilibre de nos écosystèmes. Saint-Étienne et Aurélien Boutaud, consultant Ce cadre invite à renouveler notre manière de indépendant et chercheur associé au CNRS. Ils penser l’environnement et le développement ont co-écrit L’Empreinte Écologique (nouvelle durable, en intégrant l’importance de la vision édition 2018) et le Repère sur Les Limites systémique pour répondre aux enjeux actuels. planétaires (2019), publiés aux Éditions La Découverte. Caroline Lejeune, enseignante-chercheuse en humanités environnementales à l’Université de Lausanne, dont les travaux portent sur la justice environnementale, la durabilité forte, et les implications des limites planétaires au sein du système démocratique. 3 SOMMAIRE LA « GRANDE ACCÉLÉRATION » DE NOS IMPACTS SUR LES ÉCOSYSTÈMES 5 A. Du Club de Rome au GIEC : modèles et scénarios pour comprendre les grandes tendances 5 B. Pourquoi parler d’urgence aujourd’hui ? 6 10 PROCESSUS PLANÉTAIRES À COMPRENDRE ET À RELIER 8 A. Définir un « espace opérationnel sûr » pour l’humanité 8 B. Au cœur des processus biogéochimiques planétaires 12 C. Trois phénomènes analysés au prisme des limites planétaires 17 DU GLOBAL AU LOCAL : TERRITORIALISER LE CADRE DES LIMITES PLANÉTAIRES 20 A. La France au regard de ses limites 20 B. Les tendances en Hauts-de-France 21 C. Quelles solutions à l’échelle territoriale ? 23 UN SOCLE POUR REPENSER NOS MODÈLES DE SOCIÉTÉ 24 A. L’enjeu de la priorisation : les apports des limites planétaires aux objectifs de développement durable 24 B. Inscrire le développement durable dans une perspective de durabilité forte 26 C. Prospérer en respectant les équilibres écologiques et sociaux 28 D. Repenser la gouvernance de nos « biens communs » 31 POUR CONCLURE 32 RESSOURCES34 4 4 LA « GRANDE ACCÉLÉRATION » DE NOS IMPACTS SUR LES ÉCOSYSTÈMES L’enjeu des « limites » de nos A. DU CLUB DE ROME AU GIEC : MODÈLES ET modes de développement SCÉNARIOS POUR COMPRENDRE LES GRANDES ne date pas d’hier : il a TENDANCES traversé la fin du XXe siècle En 1972 le « Rapport Meadows » du Club de Rome sur les limites de la croissance sans réussir à occuper (The Limits to Growth) pointait déjà le fait que notre croissance se heurte à des limites naturelles : un modèle de développement fondé sur une croissance infinie le devant de la scène. dans un monde aux espaces et aux ressources limités ne peut être soutenable. Pourtant, face aux atteintes Il met en danger l’équilibre de nos écosystèmes et de nos sociétés. Des seuils existent à partir desquels la résilience de la Terre et de nos territoires et aux pressions croissantes devient impossible : le dépassement de ces seuils mène dans une « zone de nos activités envers d’incertitude » et les risques d’emballement sont multipliés, tout comme les risques de crises. l’environnement, les « limites environnementales » sont Si le Club de Rome alerte sur l’épuisement des ressources, le GIEC (Groupe d’ex- perts intergouvernemental sur l’évolution du climat) met en lumière la réalité de nouveau mobilisées du dérèglement climatique, dû aux activités humaines. Depuis sa création en pour rappeler l’urgence d’un 1988, le GIEC fait des prévisions, scénarios et propositions pour limiter ce dérè- glement. Leurs différents scénarios interrogent la compatibilité de nos modes de changement de modèle. vie avec des seuils fixés (+1,5°C par exemple), pour cibler les efforts nécessaires et se donner des objectifs. Les scénarios du groupe 3 du GIEC, qui modélisent le dérèglement climatique à +1,5°C, +2°C, ou +3°C nous alertent depuis des décennies sur les conséquences d’un réchauffement sur les écosystèmes : l’insécurité alimen- taire, l’augmentation massive des sécheresses, des famines, de la pauvreté, de plus en plus de migrations climatiques… DES LIMITES PLANÉTAIRES À L’EMPREINTE ÉCOLOGIQUE Créée par W. Rees en 1996, l’empreinte écologique est un indicateur environnemental non monétaire qui permet d’évaluer les pressions faites à l’environnement et aux ressources, notamment en mesurant les surfaces nécessaires pour garantir le mode de vie d’une personne, selon le pays2, et selon les limites que notre Terre peut supporter (biocapacité). Il faudrait ainsi presque 3 planètes pour subvenir aux besoins de chaque Français (2019). Notre empreinte écologique dépasse donc la biocapacité3 de la Terre. 2. L’empreinte écologique est très inégale selon les pays. 3. La biocapacité est la « capacité des écosystèmes à fournir des matières biologiques utiles et à assimiler des déchets générés par les Hommes en utilisant les modes de gestion et les technologies d’extraction existantes » selon www.footprintnetwork.org 5 B. POURQUOI PARLER D’URGENCE tifiques, la croissance démographique, l’altération massive AUJOURD’HUI ? des écosystèmes et l’extraction exponentielle de ressources naturelles non-renouvelables (multipliée par 3 depuis les années 1970) ont contribué à ce que l’espèce humaine Il y a toujours eu des variations climatiques, des dérègle- devienne en quelques dizaines d’années une « force géolo- ments environnementaux, et des extinctions. Ce que nous gique » à elle tout seule, capable de bouleverser l’équilibre vivons aujourd’hui atteint néanmoins des rythmes et une biologique de la Terre. Le terme « Anthropocène 4 » a été intensité jamais observés, en un laps de temps très court : proposé pour qualifier cette nouvelle époque géologique qui nous assistons à une destruction massive de la vie sur Terre. débuterait à la révolution industrielle. « L’espèce humaine Même si d’autres formes de vies apparaîtront sans doute, doit désormais se préparer à rompre avec cet ancien l’habitabilité de la Terre pour les êtres humains va être de modèle selon lequel les écosystèmes se comportent de façon plus en plus difficile. linéaire, prévisible, sur lesquels l’Homme peut maintenir son contrôle et exercer ses activités de développement. L’es- Le climat a été quasiment stable pendant plus de 10 000 ans. pèce humaine devient le principal facteur et déclencheur Mais en 60 ans, nos activités ont impacté massivement les de changements au niveau planétaire5 » : nous entrons dans écosystèmes et le climat s’est considérablement déréglé. une trajectoire périlleuse et incertaine. Théorisée par le chimiste Will Steffen et le prix Nobel de chimie Paul Crutzen en 2005, la « Grande Accélération » rend 4. Voir l’article « Notion en débat : Anthropocène » sur geoconfluences.ens-lyon.fr qui met en débat cette notion centrale dans les sciences du vivant et l’écologie compte de ces bouleversements sociaux et environnemen- contemporaine. Le nom de cette époque géologique ne fait pas consensus, taux qui ont eu lieu ces 60 dernières années, à une ampleur et tout comme sa date de commencement : elle pourrait débuter au début de la Révolution Industrielle ou après la Première Guerre mondiale par exemple. une vitesse encore jamais vues dans l’histoire humaine (voir 5. « Qu’est ce que l’Anthropocène », Francois Gemenne et Marine Denis, ci-dessous). La mondialisation, les progrès techniques et scien- sur le site gouvernemental Vie Publique, 2019 : www.vie-publique.fr 002 — Les tendances socioéconomiques de la « Grande Accélération » de l’Anthropocène de 1750 à 2010. Tourisme international : 0 → 939,9 millions d’arrivées Télécommunications : 0 → 6,48 milliards de lignes ouvertes Transport : 0 → 1281,35 m ega de véhicules Production de papier : 0 → 398,77 mégatonnes Usage de l’eau : 0 → 3,871 000m3 Grands barrages : 0,06 → 31,63 15m de haut Consommation de fertilisant : 171,46 mégatonnes Usage d’énergie primaire : 16 → 533,37 exajoule Population urbaine : 0,05 → 3,5 milliards Investissement étranger direct : 0 → 1,3 trillion (2005 USD) Population mondiale : 0,73 6,9 milliards 1750 1800 1850 1900 1950 2010 6 L’enjeu n’est donc plus uniquement le risque de pénurie de ressources (notam- ment fossiles), comme souligné dans le rapport Meadows, mais bien l’excès des pressions faites aux écosystèmes sur tous les plans, qui déséquilibrent ce dont nous dépendons. Nous ne manquons pas d’azote pour notre agriculture : au contraire, c’est son excès qui dégrade les sols, le cycle de l’eau et nuit au bon fonc- tionnement des écosystèmes. Ces derniers ne peuvent plus absorber et réguler les conséquences de nos activités. Le plastique pèse deux fois La question n’est plus de savoir si nous avons plus que tous les animaux sur Terre. La masse de tout assez de ressources à exploiter pour continuer ce qui est produit par les comme avant, mais comment participer au êtres humains (plastique, bâtiments, routes, villes) maintien de l’habitabilité du territoire dont dépasse désormais celle de nous dépendons ? » tous les êtres vivants selon une étude publiée dans la Bruno Latour, philosophe, sociologue, professeur émérite associé au medialab de Sciences Po6 revue Nature 7. D’où l’importance de fixer des seuils et des limites à nos actions : de la même manière qu’un corps a besoin d’eau, d’air, de nourriture en certaine quantité pour vivre, les écosystèmes ont besoin de certains éléments, en une certaine quantité, pour bien fonctionner. Pour vivre, nous sommes contraint.es d’accepter les règles et limites physiques de notre corps. Un sportif ne peut courir plus vite que ce que son corps permet, sinon, il risque la déchirure ! Nier ses limites mène à l’accident, parfois irréversible. Et c’est exactement pareil pour nos écosystèmes : ils possèdent des limites physiques, au-delà desquelles leur métabolisme dysfonctionne. Comme un corps en mauvaise santé ne peut lutter efficacement contre la fièvre ou un virus, si les écosystèmes sont perturbés, ils ne peuvent s’adapter aux aléas et catastrophes qui les touchent. Il en va du corps humain comme de nos écosystèmes. Des limites planétaires ont déjà été fixées : le seuil de 1,5°C, identifié par le GIEC et adopté lors des Accords de Paris, a été la première limite à être utilisée comme référence mondiale. Pour la première fois, un objectif est pensé non pas selon une consommation de ressources, comme avec l’empreinte écologique, mais à partir d’un seuil chiffré à ne pas dépasser pour garantir un équilibre global. Cependant, pour rester dans un « espace opérationnel sûr pour l’humanité », le respect de cet unique seuil climatique n’est pas suffisant. 6. « Le Covid-19 offre un cas vraiment admirable et douloureux de dépendance », Bruno Latour, extrait d’un 7. “Global human-made mass exceeds all living entretien publié dans Le Monde, 12 février 2021 : www.lemonde.fr biomass”, Emily Elhacham, Liad Ben-Uri, Jonathan Grozovski, Yinon M. Bar-On & Ron Milo, Nature, décembre 2020 : www.nature.com 7 10 PROCESSUS PLANÉTAIRES À COMPRENDRE ET RELIER A. DÉFINIR UN « ESPACE OPÉRATIONNEL SÛR » POUR L’HUMANITÉ ► Un nouveau cadre de compréhension des processus planétaires En 2009, 26 chercheur·es internationaux·ales, dont La volonté du groupe de scientifiques est d’offrir un J. Rockström et W. Steffen du Stockholm Resilience Center, « nouveau cadre à travers lequel notre compréhension scien- ont publié dans la revue Nature un rapport 8 qui a posé les tifique du système Terre pourrait être utilisée plus directe- bases d’un nouveau cadre d’analyse et d’action pour relever ment dans les processus de décision ». le défi de préservation de nos écosystèmes : les limites plané- taires (« planetary boundaries »). Ces limites planétaires sont En 2015, Will Steffen et son équipe font le constat que quatre constituées de 9 grands processus qui conditionnent et régu- limites planétaires sont désormais dépassées : le dérègle- lent la vie sur Terre et fournissent les conditions d’existence ment climatique, la perte de l’intégrité de la biosphère, le dont dépendent nos sociétés : le climat, la biodiversité, les changement d’usage des sols et la modification des cycles cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, l’occupa- biogéochimiques (phosphore et azote). Ils révisent égale- tion des sols, l’acidification des océans, l’utilisation mondiale ment leur modèle et proposent d’intégrer une dixième de l’eau, l’ozone stratosphérique, la présence d’aérosols dans limite planétaire : « l’introduction de nouvelles entités dans l’atmosphère et d’entités nouvelles dans la biosphère. Tous l’environnement » (nanoparticules, micro-plastiques…). ces processus garantissent le fonctionnement « stable » du système Terre, permettent sa régulation, et sont intimement ► Méthodologie : identifier des seuils, modéliser liés. Ils sont interdépendants et en interaction constante : le l’incertitude et les emballements en chaîne. dérèglement climatique contribue à l’érosion de la biodiver- sité, tout comme le changement d’affectation des sols qui Il existe d’autres processus qui influent eux aussi sur ce contribue également à la perturbation du cycle d’eau douce. « Système Terre », comme le cycle de l’hydrogène et du soufre, l’activité volcanique, l’interaction atmosphère-glace, Des seuils quantitatifs ont été établis par les scien- ou encore les vents. Seulement dix processus ont été retenus tifiques pour chaque processus, pour éviter d’être dans le cadre des limites planétaires pour insister sur les plus confrontés à des dérèglements irréversibles : le dépas- importants, ceux sur lesquels nous pouvons agir, et ceux sur sement d’une de ces limites a des conséquences sur lesquels nous avons assez de données à l’échelle planétaire les autres et peut entraîner des réactions en chaîne pour établir des seuils. Ces choix méthodologiques visent à qui feraient passer notre Terre dans un nouvel état rendre ce cadre opérationnel et non à réduire la complexité incertain. du système Terre à quelques facteurs. Si les seuils retenus sont des points de référence pour agir, le cadre des limites tend à évoluer et à se complexifier : il n’est pas définitif. 8. “A safe operating space for humanity”, J. Rockström et al., Nature, 23 septembre 2009 : www.nature.com 8 003 — Les limites planétaires, illustration inspirée de l’article “A safe operating space for humanity” de J. Rockström et al., Nature, 23 septembre 2009. ZONE DE SÉCURITÉ POUR LES ACTIVITÉS HUMAINES LIMITE DÉPASSÉE À CAUSE DES ACTIVITÉS HUMAINES ACTUELLES Dérèglement Acidification climatique des océans Appauvrissement de Introduction de la couche d’ozone nouvelles entités Cycle de l’azote Diffusion d’aérosols dans l’atmosphère Cycle du phosphore Érosion de la biodiversité Cycle de l’eau douce Changement dans l’utilisation des sols Frontière ou limite ? Si c’est l’expression de « limite » planétaire qui est communément utilisée, certain.es préfèrent parler de « frontière » planétaire. En effet, il est difficile de déterminer scientifiquement une limite unique à partir de laquelle un système peut basculer par rapport à une variable. « D’où l’idée de fron- tière, d’espace d’incertitude dans lesquels on peut franchir une limite, des seuils d’irréversibilité. La frontière est la valeur de base de l’incertitude. » Aurélien Boutaud 9 Les seuils sont difficiles à identifier avec précision : les outils ► Les « points de basculement » manquent, comme les données et la capacité à saisir les inte- ractions entre une multitude de phénomènes entremêlés Les chercheur·e·s du PNAS (Proceeding of the National et complexes. Les scientifiques n’ont pas encore trouvé de Academy of Sciences of the United States of America) ont consensus univoque sur ce qu’il se passe une fois ces seuils identifié en 2018 10 dix points de basculements qui pour- franchis. Cependant, à mesure que nous nous éloignons raient créer un emballement climatique, par effet domino, de la trajectoire des +2°C, à l’horizon 2030, les probabilités une fois certains seuils ou limites dépassés. d’emballement et d’incertitude s’accroissent. Si un point de rupture est franchi, des effets en cascades irréversibles Chacun des points de basculements contribue à rendre les peuvent se produire. La résilience du territoire ou des autres plus probables, puisqu’ils sont en interaction et parti- écosystèmes peut être mise à mal voire devenir impossible. cipent ensemble à la régulation du système Terre. La fonte du permafrost libère du méthane qui contribue à l’aug- L’exemple le plus connu est celui du permafrost. Avec mentation des températures. Cette température plus élevée le dérèglement climatique, la couche habituellement participe de l’intensification des feux de forêts en Australie gelée (le permafrost, présent en Alaska, en Sibérie et au et de la fonte des glaces, qui en retour favorise la montée des Canada notamment) fond de plus en plus et libère un eaux ; le réchauffement climatique bouleverse la circulation gaz initialement stocké sous ce sol glacé, le méthane : ce océanique qui perturbe à son tour les pluies et les moussons dernier est un gaz à effet de serre dont la potentialité et influe sur les cyclones, etc… (voir infographie ci-contre). de réchauffement est 86 fois plus importante que le CO2 sur les 20 premières années 9. Ce seuil de rupture Ces emballements entraîneraient des effets irréversibles, en entraînerait un emballement du climat mondial, et par cascades, et contribueraient à rendre impossible le réchauf- conséquent de toutes les limites planétaires. fement en dessous des 2°C, même en respectant les Accords de Paris. Les points de basculement, c’est comme pous- Au niveau mondial, quatre limites sont déjà dépassées et ser une assiette sur une table, dans le noir. On pousse pourtant il n’y a pas eu d’événements catastrophiques : les doucement, une fois, deux fois, dix fois, il ne se passe conséquences du dépassement de ces seuils apparaissent rien. Puis on arrive au bord sans s’en rendre compte, et en effet progressivement et entraînent une dégradation c’est la dernière petite poussée qui fait chuter l’assiette générale de tout le système, sur le long terme. Aujourd’hui, par terre : elle se casse11. les phénomènes de marées vertes sont des manifestations de ce dépassement des limites, notamment celles liées au On a du mal à connaître la distance au danger mais on sait cycle de l’azote et du phosphore. Demain, l’augmentation de qu’à partir d’un certain seuil, les écosystèmes peuvent chan- la température couplée à un mauvais état des sols et de la ger d’état et basculer dans un état inconnu. Par exemple, les biodiversité pourra accentuer les pénuries alimentaires, ou forêts génèrent leurs propres pluies grâce au phénomène de l’apparition de maladies. l’évapotranspiration. À partir d’un certain taux de destruc- tion et de réchauffement, une forêt n’est plus en capacité de le faire, ce qui va affecter tout le climat local, dont les cultures agricoles aux alentours. C’est toute la biodiversité, le cycle de l’eau, l’état des sols, des cultures, qui vont pâtir de ce point de basculement, par une réaction en chaîne. 10. “Trajectories of the Earth System in the Anthropocene”, W. Steffen, J.Rockström et al., 2018, PNAS : www.pnas.org 9. Si le méthane est un gaz qui réchauffe beaucoup plus l’atmosphère que le CO2 émis, sa durée de vie dans l’air est plus brève (environ 12 ans pour le 11. Exemple tiré de la BD Saison brune, de Philippe Squarzoni, Éditions méthane, 100 ans pour le CO2). www.ipcc.ch Delcourt, 2012 10 POINTS DE BASCULEMENT SELON L’AUGMENTATION DES TEMPÉRATURES + 1°C 3°C + 3°C 5°C > + 5°C Fonte de la calotte glaciaire au Groenland Fonte accélérée des glaciers alpins Augmentation des mégafeux dans les forêts boréales et destruction massive de la biodiversité Fonte des glaces Fonte accélérée de l’Arctique du Permafrost, rejetant d’immenses quantités de méthane Transformation du désert du Sahel Dépérissement des Accélération forêts tropicales et de la fonte augmentation des des glaces de sécheresses l’Antarctique Circulation océanique atlantique Disparition de la ralentie barrière de corail QU’EST-CE QUI CARACTÉRISE LES CRISES Selon Dominique Bourg12, philosophe et profes- ENVIRONNEMENTALES AUJOURD’HUI ? seur émérite à l’Institut de Géographie et de ► leur globalité Durabilité à l’Université de Lausanne, nous avons du mal à appréhender et à constater ► leur imperceptibilité les effets de ces dégradations mais les consé- ► leur imprévisibilité quences sont bien réelles : elles se manifestent ► l’inertie des dégradations progressivement dans le temps, à des échelles ► l’irréversibilité des dégradations et intensités multiples. 12. « Changements environnementaux globaux et défi pour la démocratie », Dominique Bourg, dans L’Enjeu mondial. L’environnement , sous la direction de François Gemenne, Éditions Presses de Sciences Po, 2015. 11 B. AU CŒUR DES PROCESSUS BIOGÉOCHIMIQUES PLANÉTAIRES Afin de mieux comprendre leurs fonctionnements, on peut classer les processus qui conditionnent la stabilité du système Terre en trois catégories : les processus globaux indispensables, les processus qui ont des conséquences plus locales, les processus dont les seuils de rupture ne sont pas encore déterminés. Pour chacun de ces dix processus, des seuils quantifiés ont été établis, à partir de points de référence. Pour être calculés, certains seuils prennent en compte l’état de l’environnement avant l’ère préindustrielle comme référentiel, c’est-à-dire avant que les activités humaines n’aient un impact massif sur les écosystèmes. C’est aussi la méthode utilisée lorsqu’on parle de limiter le réchauffement à +1,5°C par rapport à l’époque industrielle. D’autres seuils prennent en compte les composantes des écosystèmes pour déterminer leur bon équilibre : par exemple, au-delà d’une certaine quantité d’azote, les sols saturent et ne sont plus fertiles. Enfin, les seuils étant calculés à l’échelle mondiale, ils ne reflètent pas les particularités de chaque territoire et leurs seuils propres. Les fiches-identité ci-après constituent une synthèse non-exhaustive des principales causes et conséquences, des seuils et chiffres clés, pour se repérer et comprendre les enjeux de chaque processus cité. Certaines données sont scientifiques, d’autres plus prospectives. 12 DES PROCESSUS GLOBAUX INDISPENSABLES À L’ÉQUILIBRE DU SYSTÈME TERRE 1. Dérèglement climatique 2. Acidification des océans 3. Appauvrissement de la couche d’ozone DE QUOI PARLE-T-ON ? : Le climat est DE QUOI PARLE-T-ON ? : Un quart du l’ensemble des conditions météorolo - CO2 rejeté dans l’atmosphère est naturel- DE QUOI PARLE-T- ON ? : La couche giques d’un territoire (température, lement absorbé par les océans, principaux d’ozone est une partie de la stratosphère ensoleillement, vent, précipitations sur puits de carbone. Le CO 2 présent dans qui contribue à protéger les vivants des une longue période…). C’est un élément l’atmosphère se dissout dans l’eau sous rayons UV. Elle s’est considérablement fondamental de la régulation terrestre : forme d’acide carbonique : le taux de CO2 appauvrie en gaz. il se réchauffe durablement et dangereuse- dans l’atmosphère est donc corrélé avec le ment depuis quelques décennies. taux d’acidité de l’océan. CAUSES : Les activités humaines contri- buent à l’appauvrissement de la couche CAUSES : La perturbation du cycle du CAUSES : L’augmentation du CO 2 dans d’ozone, notamment via les molécules carbone, l’extraction et la combustion l’atmosphère entraîne l’acidification chlorées rejetées dans l’atmosphère, les d’énergies fossiles, l’agriculture intensive croissante des océans et déséquilibre ce bombes aérosols, les climatisations, ou les (rejet de méthane) ou encore la déforesta- phénomène naturel. solvants industriels. tion qui réduit les capacités d’absorption de CO2 par les forêts, véritables puits de CONSÉQUENCES : L’acidification altère CONSÉQUENCES : La modification du carbone13. et diminue la croissance des squelettes système de photosynthèse des plantes, (la calcification) des organismes marins développement de cancers de la peau CONSÉQUENCES : Fonte des glaciers, comme le phytoplancton, les mollusques, pour les humains. élévation du niveau de la mer, migrations ou les coraux. Ce processus affecte la distri- de populations, destruction de la biodi- bution et la reproduction des espèces. SEUIL À NE PAS DÉPASSER : Il s’agit de versité, sécheresse, crises alimentaires, C’est toute la chaîne alimentaire et les ne pas descendre en dessous d’un certain et acidification des océans. écosystèmes marins qui sont impactés. niveau de concentration d’ozone dans l’atmosphère, mesurée en unités Dobson SEUIL À NE PAS DÉPASSER : Il s’agit de SEUIL À NE PAS DÉPASSER : Le seuil (UD). Le seuil est de 275 DU, équivalent ne pas dépasser une certaine concentra- est mesuré en fonction du niveau de à 95% de son niveau préindustriel tion de CO2 dans l’atmosphère (mesurée saturation en aragonite (minéral composé (300 UD). Aujourd’hui, nous sommes en ppm : partie par million). La limite est de carbonate de calcium) dans les océans entre 280 UD et 285 UD. de 350 ppm. Nous sommes aujourd’hui à l’ère pré-industrielle. Il ne doit pas à 412 ppm. descendre en dessous de 80% de ce niveau pré-industriel. Il est aujourd’hui de 84%. 1987 C’est la date de signature du Protocole 2 SIÈCLES de Montréal, qui assure la protection de la couche d’ozone et interdit progres- C’est la période pendant laquelle la sivement l’usage de produits nocifs concentration en CO 2 a été stable 3 MILLIARDS pour cette dernière. Ainsi, il est bon de (300 ppm en moyenne), entre 1750 et rappeler que « l’identification d’une limite 1950. Depuis, les personnes nées en 1980 C’est le nombre de personnes qui dépendent de la biodiversité marine et planétaire peut permettre de mobiliser la ont vu le jour dans un monde à 340 pmm. communauté internationale16 ». Celles nées en 2020, 412 ppm. Un record côtière pour subvenir à leurs besoins depuis 3 millions d’années14. selon les Nations Unies15. 13. Qu’est ce qu’un puits de carbone ? C’est un réservoir de CO2 : il absorbe plus de CO2 qu’il n’en rejette (comme les forêts, mais aussi les sols, et les océans) et séquestre le CO2 présent dans l’atmosphère. record vieux de 3 millions d’années » (2019), National C’est un échange naturel qui participe de la régulation Geographic : www.nationalgeographic.fr du climat depuis des milliards d’années. 15. « ODD 14 : la vie aquatique », Nations Unies : 16. Les Limites Planétaires, Aurélien Boutaud et 14. « Le niveau de CO2 dans l’atmosphère bat un www.un.org Natacha Gondran, Éditions La Découverte, 2020 13 DES PROCESSUS AUX CONSÉQUENCES PLUS LOCALES 4. Érosion de la 5. Perturbation du cycle 6. Perturbation du cycle biodiversité biogéochimique de l’azote biogéochimique du phosphore DE QUOI PARLE-T-ON ? : La biodiversité DE QUOI PARLE-T-ON ? : Nutriment indis- est l’ensemble du vivant et la diversité pensable pour la croissance des végétaux DE QUOI PARLE-T- ON ? : Nutriment des espèces vivantes dans les écosystèmes et naturellement présent dans tous les majeur pour la croissance des végétaux, (micro-organismes, végétaux, animaux). milieux, l’azote est nécessaire à la vie. En il n’est pas présent dans l’atmosphère Cette « sixième extinction massive 17» du trop grande quantité, il ne peut plus être contrairement à l’azote : il se trouve majo- vivant est caractérisée par un rythme absorbé par les plantes et déséquilibre le ritairement dans les roches sédimentaires. et une intensité jamais observés dans fonctionnement des écosystèmes. Utilisé de manière artificielle comme l’Histoire. engrais en très grande quantité, son CAUSES : L’utilisation massive d’engrais surplus perturbe les écosystèmes. CAUSES : Les pratiques agricoles, l’ur- azotés (agriculture intensive), la combus- banisation et l’artificialisation des terres tion des ressources fossiles, certaines acti- CAUSES : L’agriculture intensive (engrais), qui détruisent les habitats, les nombreuses vités industrielles et le rejet des effluents les rejets d’eaux usées. pollutions (chimiques, industrielles, agri- domestiques ou agricoles. coles, de l’air), la surexploitation d’espèces, le CONSÉQUENCES : Pollution des nappes développement d’espèces invasives, et plus CONSÉQUENCES : Pollution des nappes phréatiques, déséquilibre des milieux généralement le dérèglement climatique. phréatiques, et lessivage des sols saturés aquatiques par excès de phosphore, d’azote qui participent à l’eutrophisation eutrophisation (prolifération d’algues et CONSÉQUENCES : Perte massive de la des milieux aquatiques. L’accumulation perturbation des écosystèmes). diversité, et détérioration du fonction- excessive de nutriments crée un désé- nement de tous les écosystèmes. Ce sont quilibre dans l’écosystème, entraînant SEUIL À NE PAS DÉPASSER : Le aussi les « services écosystémiques 18 » l’apparition anarchique de phytoplancton seuil a été calculé selon la quantité rendus par la nature qui se dégradent, et d’algues qui asphyxient les écosystèmes de phosphore extrait et rejeté dans tout comme la résilience des écosystèmes. lors de leur décomposition. la nature en millions de tonnes de phosphore par an. Le seuil est de SEUIL À NE PAS DÉPASSER : Le seuil SEUIL À NE PAS DÉPASSER : Le seuil 11 Mt P/an injecté dans la nature : nous est mesuré par le taux d’extinction des a été fixé entre 62 et 82 millions de sommes aujourd’hui à 22 Mt P/an. espèces, la dégradation des habitats tonnes (Mt) par an rejeté à l’échelle naturels et le taux de perte de diversité mondiale. En 2015, les rejets anthro- biologique. Le seuil est de 10 extinctions piques d’azote dans l’environnement d’espèces par an par million d’espèces. sont d’environ 150 Mt. Aujourd’hui , nous sommes à 100 extinctions par an/million d’espèces. 50 À 100 ANS 72% C’est le temps qu’il reste avant que C’est le nombre d’espèces cultivées 20 À 40 000 TONNES les réserves naturelles de phosphore en France pour l’alimentation humaine ne soient épuisées si on suit le rythme C’est la quantité d’algues vertes collec- actuel, mettant en danger les écosys- qui dépendent de l’action des insectes tée chaque année en Bretagne à cause pollinisateurs.19 tèmes et notre alimentation, dépendants des excès d’azote dans les sols.20 de ce minéral.21 14 7. Changement 8. Perturbation du cycle d’utilisation des sols de l’eau douce DE QUOI PARLE-T-ON ? : Les sols se sont DE QUOI PARLE-T-ON ? Essentielle pour 17. Rapport « Biodiversité et Services Écosysté- formés sur plusieurs milliers d’années et tous les êtres vivants, l’eau douce est pour- miques », IPBES, 2019 : www.ipbes.net leurs usages ont évolué au fil du temps tant rare puisqu’elle ne représente que 3% 18. Les services écosystémiques sont l’ensemble et des aménagements : on retrouve des eaux mondiales. Son cycle a été gran- des services que nous rendent les écosystèmes (production alimentaire, régulation des écosystèmes, aujourd’hui majoritairement les forêts, dement affecté par les activités humaines, santé….). Cette notion est cependant critiquée pour les zones humides, les espaces agricoles et ainsi que sa qualité. son anthropocentrisme et peut ne pas rendre compte urbanisés. Ils jouent un rôle majeur pour de la complexité des interactions entre écosystèmes et êtres vivants. la biodiversité, l’alimentation et la régula- CAUSES : La remobilisation de sédiments tion des cycles de l’eau, en particulier les pollués (barrages, transport fluvial...), les 19. Rapport sur l’état de l’environnement en France - sols forestiers, aujourd’hui menacés. apports anthropiques (eaux usées traitées Édition 2019, Ministère de la Transition Ecologique : ree.developpement-durable.gouv.fr/ ou non, lessivage des sols urbanisés ou CAUSES : L’extension des surfaces agri- agricoles, rejets divers...), la gestion quan- 20. Selon l’Observatoire de l’Environnement en Bretagne : www./bretagne-environnement.fr coles au détriment des espaces forestiers titative de la ressource selon les usages. (déforestation), la pression de l’urbanisa- 21. 11 infographies « Limites planétaires », tion et l’artificialisation des terres. CONSÉQUENCES : Raréfaction saison- Millénaire 3, 2019 : www.millenaire3.com nière et localisée de la ressource en eau 22. « Agriculture & Climat » article sur le site CONSÉQUENCES : Diminution de la et répartition inégale, disparition des du Cerdd, 2019 : www.cerdd.org capacité de stockage en CO2 des puits de espèces dépendantes de ces réserves et 23. « L’eau et l’agriculture », article sur le site carbone, recul de la biodiversité, perturba- des écosystèmes aux alentours (aqua- de l’ OCDE : www.oecd.org/fr tion des cycles de l’azote, du phosphore et tiques et terrestres), diminution du débit du carbone, moins d’infiltration de l’eau des rivières, augmentation de la tempéra- dans les sols et pollution de ces derniers. ture de l’eau, et baisse de sa qualité. SEUIL À NE PAS DÉPASSER : Il est établi SEUIL À NE PAS DÉPASSER : La variable à partir du pourcentage de surface fores- de contrôle est la quantité d’eau douce tière conservée par rapport à la couverture prélevée dans les eaux de surfaces et les forestière originelle (avant 1700). Le seuil d’eaux souterraines renouvelables en est de 75% de terres forestières conser- km 3 eau/an. Il faut un prélèvement vées, nous sommes aujourd’hui à 62%. maximum de 4000 km 3 d’eau/an et nous sommes actuellement à 2600 km3 d’eau/an (ce seuil dépend localement des capacités des milieux à répondre à ces pressions). 350 TERRAINS DE FOOT 70% Soit 250 ha : c’est la surface de sols C’est la part de l’eau douce mondiale fertiles qui sont artificialisés chaque jour utilisée pour l’irrigation dans en Europe.22 l’agriculture.23 15 DES PROCESSUS DONT LES SEUILS SONT ENCORE À DÉTERMINER 9. Charge atmosphérique 10. Introduction en aérosols de nouvelles entités DE QUOI PARLE-T-ON ? : La charge atmos- Ajoutées en 2015 à la liste des limites 24. « Impacts sanitaires de la pollution de l’air en France : nouvelles données et perspectives », Santé phérique en aérosols constitue l’ensemble planétaires, la notion de « nouvelles enti- Publique France, 2016 : www.santepubliquefrance.fr des particules (de très petites tailles) en tés » rassemble les nouvelles substances suspension dans l’atmosphère. chimiques de synthèse produites par 25. Aurélien Boutaud et Natacha Gondran, Les Limites Planétaires, Édition La Découverte, 2020 l’Homme et dont les conséquences sur la CAUSES : Ces particules peuvent être d’ori- santé et l’environnement sont manifestes 26. « De la nature aux humains : Jusqu’où iront gine naturelle (volcans, poussières, pollens, puisqu’elles conduisent à les perturber : les plastiques ? », WWF, 2019 : www.wwf.fr embruns marins) ou produites par des herbicides (glyphosate), Organismes Géné- activités humaines, lors des processus de tiquement Modifiés (OGM), nanoparticules, combustion par exemple. microplastiques… CONSÉQUENCES : Accélération du réchauf- Issues de l’agriculture, de la production de fement, effets néfastes sur la santé humaine. matières premières, elles peuvent se retrou- ver partout : dans nos assiettes, dans les SEUIL ENCORE À DÉTERMINER sols, dans l’eau et l’air… On citera plus parti- culièrement les POP (polluants organiques persistants), qui présentent un risque majeur à l’échelle planétaire, puisqu’ils sont « persistants, bioaccumulables, bio-amplifi- cateurs, toxiques » et surtout « mobiles sur de très longues distances 25». 48 000 2000 C’est le nombre de décès prématurés dus C’est le nombre de particules de microplas- à la pollution de l’air en France chaque tique ingérées par personne chaque année.24 semaine dans le monde, soit l’équivalent d’une carte de crédit, selon une étude de WWF en 201926. 10 LIMITES AUJOURD’HUI, COMBIEN DEMAIN ? Le cadre des limites planétaires est de nature à évoluer, au fur à mesure des constats et données supplémentaires, comme en témoigne l’ajout des « nouvelles entités » en 2015. À l’avenir, on pourrait d’ailleurs ajouter l’ensemble des risques liés à l’exploitation de l’énergie nucléaire par exemple : « le cadre des limites planétaires prend très mal en compte tout ce qui est « risques » et en particulier les risques nucléaires, la radioactivité, que l’on pourrait intégrer dans les nouvelles entités même si ce n’est pas explicitement là-dedans », rappelle Natacha Gondran. 16 C. TROIS PHÉNOMÈNES ANALYSÉS AU PRISME DES LIMITES PLANÉTAIRES ► Les pandémies, révélatrices du lien entre limites planétaires et santé environnementale Les conséquences du dépassement de certaines limites L’IPBES, dans son rapport Échapper à l’« ère des pandé- planétaires sont parfois plus complexes à identifier, sur la mies » 27 (2020) rappelle que « ce sont les mêmes activités santé par exemple. En effet, de nombreux chercheurs font humaines qui sont à l’origine du changement climatique, le lien entre atteinte à la biodiversité, activités humaines de la perte de biodiversité et, de par leurs impacts sur et pandémies. La destruction de milieux naturels favorise notre environnement, du risque de pandémie. Les le rapprochement des animaux à proximité des lieux de changements dans la manière dont nous utilisons les vie humains, augmentant en retour le risque de contact et terres, l’expansion et l’intensification de l’agriculture, la propagation de maladies entre l’animal et l’humain : ce ainsi que le commerce, la production et la consom- sont les zoonoses. C’était le cas de la tuberculose, de la rage, mation non durables perturbent les écosystèmes et du paludisme… tout comme d’Ebola, des grippes aviaires augmentent les contacts entre la faune sauvage, le et de plus de 75% des maladies infectieuses émergentes. bétail, les agents pathogènes et les êtres humains. » La concentration d’animaux de la même espèce dans les Les excès des pressions sur les écosystèmes et donc le élevages intensifs contribue aussi à augmenter le risque de dépassement de certaines limites planétaires sont en transmission de maladies et donc de pandémies. cause et pourraient amener à d’autres pandémies si rien n’est fait, prévient l’IPBES. En un mot, il n’existe donc qu’ « une seule santé » globale (One Health, voir l’illustra- tion) : santés humaine, animale et environnementale sont interdépendantes. 27. Échapper à l’ « ère des pandémies », IPBES, 2020 : www.ipbes.net 004 — « One Health, une seule santé pour la Terre, les animaux, et les hommes », 2020 © INRAE : www.inrae.fr 17 ► Les mégafeux, un exemple des effets du dépassement des limites planétaires « L’ÉPIDÉMIE DE COVID-19, UN SIGNAL D’ALARME PRÉCOCE NOUS ALERTANT DE L’ATTEINTE DES Depuis quelques années, l’intensité et la précocité des LIMITES PLANÉTAIRES ? »28 incendies sont en constante et inquiétante augmentation, en Australie, aux États-Unis, en Amazonie mais aussi dans « Les écosystèmes nous envoient des signes le sud de la France. Ceux que l’on appelle aujourd’hui des lorsqu’ils sont en train d’atteindre des niveaux de mégafeux pourraient bien devenir la norme. Même s’ils dégradation tels qu’ils ne peuvent plus assurer sont multifactoriels, les activités humaines et la hausse des les fonctions de régulation qui leur permettent températures sont en cause et permettent à ces mégafeux de se déclarer plus facilement (assèchement des sols et de la de maintenir leur équilibre. Ces signaux d’alarme végétation, manque de pluie…) et de sévir plus longtemps précoces viennent nous rappeler que les capacités (canicule, sécheresse). de la planète à absorber les pollutions et dégra- dations que nous lui imposons sont limitées. Et Ces mégafeux, en retour, contribuent au dérèglement clima- comme pour un sportif, approcher de trop près ces tique en libérant dans l’atmosphère des tonnes de dioxyde limites n’est pas sans danger… » rappellent Nata- de carbone, celles stockées par les arbres et celles issues de la combustion. Les mégafeux sont donc un exemple de ce cha Gondran et Aurélien Boutaud. qui arrive lorsque certaines limites planétaires sont dépas- sées : le changement d’affectation des sols, le dérèglement climatique, l’érosion de la biodiversité et la perturbation des cycles de l’eau douce créent un cercle vicieux. Ils témoignent de la complexité du fonctionnement et de la gestion des phénomènes naturels. Ils invitent à repenser la 28. Article paru dans The Conversation, octobre 2020 : préservation des forêts au prisme des limites planétaires et https://theconversation.com d’une approche nécessairement pluridisciplinaire. Nous ne nourrirons pas 8 milliards d’êtres humains avec des sols morts.29 » Gilles Bœuf, biologiste, ancien président du Muséum d’Histoire Naturelle et professeur invité au Collège de France sur la Chaire « Développement durable, environnement, énergie et société ». 29. « Une urgence climatique, conversation avec le biologiste Gilles Bœuf », Le Grand Continent, décembre 2019: https://legrandcontinent.eu 18 ► Les sols à la croisée des processus planétaires Souvent méconnus mais pourtant essentiels, les sols sont lutte contre le dérèglement climatique… Leurs fonctionne- des écosystèmes complexes qui jouent un rôle vital dans ments sont aujourd’hui grandement altérés par les activités le système Terre : alimentation, matières premières, biodi- humaines, au point qu’ils sont désormais au cœur du dépas- versité, régulation des flux de carbone et du cycle de l’eau, sement de toutes les limites planétaires. 80% 1/4 95% de la biodiversité mondiale de nos aliments des cultures dépendent est dans les sols viennent du sol de la pollinisation FONCTIONNEMENT FONCTIONNEMENT ALTÉRÉ NATUREL DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE Fragmentation des habitats stockage du CO2 stockage CHARGE ATMOSPHÉRIQUE du CO2 EN AÉROSOLS ÉROSION DE LA BIODIVERSITÉ Cycle de l’eau Imperméabilisation Inondation Rejets chimiques / Lessivage du sol Pollution des sols PERTURBATION DU CYCLE DE L’EAU DOUCE Sol vivant PERTURBATION DES CYCLES DU PHOSPHORE Cycles du phosphore ET DE L’AZOTE et de l’azote CHANGEMENT D’UTILISATION DES SOLS 19 DU GLOBAL AU LOCAL : TERRITORIALISER LE CADRE DES LIMITES PLANÉTAIRES Nous mettons en péril les A. LA FRANCE AU REGARD DE SES LIMITES équilibres écologiques, et par là-même, la bonne santé de ► Les limites planétaires, un cadre de plus en plus mobilisé nos sociétés et la résilience de Ce cadre de lecture, même s’il est récent, commence à être déployé et territo- nos territoires : si ces limites rialisé : depuis 2009, de nombreux.ses acteur·e·s ont intégré le cadre des limites planétaires à leur grille de lecture et d’action environnementale. sont planétaires, les consé- quences sont bien locales ! La Commission Européenne a fixé les objectifs de développement soutenable de l’Union Européenne à l’horizon 2050 à partir des limites planétaires, dans son Face aux bouleversements en rapport « Bien vivre dans les limites de notre planète 30». cours et à venir, les marges Le « Rapport sur l’État de l’environnement 31 » de l’Agence européenne pour d’action sont bien aux mains l’environnement rendu en 2020 hisse les limites planétaires au rang de « priorité des acteurs territoriaux. environnementale » et propose un cadre technique pour opérationnaliser le concept de limites planétaires. Dans le sillage du projet « Constitution écologique32 » qui souhaite que les limites planétaires soient intégrées à la Constitution, la Convention Citoyenne pour le Climat a proposé au gouvernement en 2020 de créer une « Haute Autorité des Limites Planétaires 33 » déclinable en Hautes Autorités Régionales des Limites Planétaires (HARLP). Proposées comme feuille de route à différentes échelles, les limites planétaires ont également été mobilisées pour analyser plus précisément l’état de l’environne- ment et les impacts des activités sur les écosystèmes dans chaque pays, en Suisse par exemple, mais aussi en France. 005 — Les limites planétaires et les ODD exposés devant l’Assemblée Nationale, janvier 2021, Paris 30. « Bien vivre dans les limites de notre planète », Commission Européenne, 2013 : ec.europa.eu/info/index_fr 31. “Is Europe living within the limits of our planet ?”, Agence Européenne de l’Environnement; 2020 : www.eea.europa.eu 32. https://www.notreconstitutionecologique.org/ 33. « Légiférer sur le crime d’écocide », Proposition de la Convention Citoyenne sur le Climat : https://www.ecologie.gouv.fr/suivi-convention-citoyenne-climat/ 20 ► Le rapport du MTES : un tournant en France B. LES TENDANCES dans la prise en compte des limites planétaires EN HAUTS-DE-FRANCE comme grille de lecture environnementale Publié tous les quatre ans, le Rapport sur l’État de l’Environ- Connaître l’état des lieux de son territoire au regard des nement en France34 du Ministère de la Transition Écologique limites planétaires est un pré-requis pour mener des poli- et Solidaire (MTES) a choisi en 2019 de consacrer un chapitre tiques réellement durables et systémiques, et pour évaluer entier aux Limites Planétaires. Ce chapitre se penche sur les effets d’une action sur l’ensemble de ces processus. Si de l’état de la France au regard des limites planétaires, et nombreux indicateurs sont produits à l’échelle nationale, analyse les contributions du pays au dépassement ou au il n’existe pas encore de seuils précis déterminés à l’échelle respect de ces dernières. Ce choix témoigne d’une nouvelle régionale pour analyser un territoire au prisme des limites manière d’envisager l’environnement, d’un point de vue planétaires. Il est donc difficile de comparer les territoires systémique et global, dans l’action publique. et d’identifier des seuils uniques pour chacun. Néanmoins, les indicateurs existants peuvent offrir des clés de lecture Le constat ? La France dépasse six des neufs limites intéressantes pour aider à traduire les limites planétaires planétaires. Le rapport précise aussi « qu’outre le fait en Hauts-de-France. Les indicateurs présentés sur la page de constituer un cadre d’analyse novateur, l’approche suivante ne sont pas exhaustifs et reflètent plutôt les grandes inédite des limites planétaires correspond à la néces- tendances et évolutions sur le territoire des Hauts-de-France sité d’actualiser les informations environnementales qu’il faut mettre en perspective : un important chantier est en offrant aux citoyen.nes et aux décideur.euses une à entreprendre pour territorialiser les limites planétaires compréhension plus globale de la situation nationale». et récolter des données. Malgré les enjeux méthodologiques que soulèvent la territo- rialisation des seuils et des données, c’est au niveau territo- rial, où les conséquences sont déjà visibles, que les marges de manœuvre et d’action sont possibles. Il y a deux visions : essayer de limiter la contribution du territoire à l’atteinte des limites planétaires au niveau mondial, et mieux anticiper les conséquences des limites planétaires pour le territoire. » 34. Rapport sur l’état de l’environnement en France - Édition 2019, Natacha Gondran Ministère de la Transition Écologique : ree.developpement-durable.gouv.fr 21 LES INDICATEURS RÉGIONAUX ET LEURS LIENS AVEC LES LIMITES PLANÉTAIRES + 7% DEPUIS 2013 - 9% DEPUIS 1990 Émissions de gaz à effet de serre 1 + 2°C en moyenne sur 60 ans en région 44,4% des espèces d’oiseaux nicheurs sont classées « espèces menacées » 2 16% des masses d’eau sont en bon état écologique en 2015 3 17,6 km2 sont artificialisés chaque année en région depuis 1990, soit plus que la surface de la commune de Douai. 4 50% des communes des Hauts-de-France exposées aux risques météo sensibles 5 SOURCES 3. « Évaluation environnementale du programme 5. https://plusdeuxdegres.org/ 1. « Bilan des émissions de gaz à effet de serre et de d’actions régional des Hauts-de-France », la consommation d’énergie en Hauts-de-France » Préfecture des Hauts-de-France, 2018 de l’Observatoire Climat des HdF, 2019 4. « État des lieux de la Biodiversité en Hauts-de- 2. « La Liste rouge des espèces menacées en Hauts- France », Observatoire de la biodiversité des de-France », Conservatoire botanique national de Hauts-de-France, 2019 Bailleul (CBNBL), 2019 22 C. QUELLES SOLUTIONS À L’ÉCHELLE TERRITORIALE ? ► Un cadre à mobiliser par les collectivités pour... ► L’exemple du Grand-Lyon Sensibiliser, expliquer et comprendre les équilibres En 2019, la métropole de Lyon, sous l’égide de son Centre de géophysiques et géo-biologiques qui gouvernent nos prospective Millénaire 3, a mené une étude sur les limites écosystèmes. planétaires35. Pour chacune d’entre elles, les auteur.e.s Auré- lien Boutaud et Natacha Gondran ont essayé de voir en quoi Diagnostiquer sur son territoire sa contribution au respect l’agglomération Lyonnaise était concernée par ces processus ou au dépassement de certaines limites. et comment elle pouvait agir. Établir des priorités territorialisées pour infléchir ces Changement d’occupation des sols actions dans le sens du respect des limites planétaires. Le diagnostic : 58,3% de sols artificialisés sur le Grand Lyon en 2015. Développer des systèmes d’alertes. Exemple de solution : Préserver juridiquement les terri- toires forestiers, développer les trames vertes et bleues, ou Penser les politiques et actions environnementales encore s’appuyer sur le « Plan canopée » (25 actions pour sur le long terme et de manière systémique. les forêts urbaines). Rendre son territoire plus résilient face aux chocs et crises. Perturbation du cycle de l’eau douce Exemple de solution : Changer les pratiques agricoles et modifier les comportements alimentaires ainsi que désimperméabiliser les sols. Accroissement de la charge atmosphérique en aérosols Exemple de solution : la métropole a lancé un « plan Il y a eu des politiques menées, oxygène » au niveau des transports, de l’habitat, mais aussi des entreprises. et qui continuent, pour agir directement sur les effets locaux Perturbation du cycle du phosphore Exemple de solution : l’idée serait de mettre en place des de ces limites. (…) Un moyen d’agir techniques de récupération du phosphore dans les stations c’est aussi auprès des citoyens. d’épuration urbaine (pas encore développé à Lyon). Changer certains comportements, qui n’ont pas forcément des effets locaux Il est à noter noter que chacune de ces mesures a des effets sur tous les autres processus : développer des trames vertes directs mais qui ont des effets ailleurs, et bleues améliore simultanément le cycle de l’eau, la biodi- globaux : c’est aussi un changement versité ou encore l’occupation des sols. d’approche qu’il faut réussir à faire De nombreux leviers d’action existent déjà à l’échelle passer. » des collectivités pour garantir le respect de ces équi- libres : les limites planétaires appellent néanmoins à accélérer et transformer radicalement nos modes Aurélien Boutaud d’action. 35. « Limites planétaires : Comprendre (et éviter) les menaces environnemen- tales de l’anthropocène », Millénaire 3, 2019 : www.millenaire3.com 23 UN SOCLE POUR REPENSER NOS MODÈLES DE SOCIÉTÉ Ce sont bien notre modèle A. L’ENJEU DE LA PRIORISATION : LES économique « dominant », APPORTS DES LIMITES PLANÉTAIRES AUX nos modes de production, de OBJECTIFS DE DÉVELOPPEMENT DURABLE consommation et nos modes de vie Définis lors de la Conférence des Nations unies sur le développement qui engendrent ces pressions sur durable en 2012 (dit Sommet RIO+20), et adoptés par les Nations unies en 2015, les 17 Objectifs de développement durable sont un cadre de les écosystèmes. Afin de garantir référence commun pour agir. Ils ont une vertu opérationnelle évidente : leur stabilité et d’éviter ces risques ils permettent à chaque acteur d’identifier auxquels des 17 ODD ils contribuent et de sensibiliser sur les aspects économiques et sociaux du d’emballement, comment guider développement durable. nos actions ? Vers quoi s’orienter États, entreprises, associations, collectifs, chacun·e·s peut s’engager pour respecter ces grands équilibres dans cet agenda commun à mener des actions pour lutter contre la et garantir cet « espace opérationnel faim, favoriser l’égalité entre les sexes, réduire les inégalités, lutter contre le changement climatique, consommer et produire de manière sûr pour l’humanité » ? responsable… La transformation de notre modèle implique la priorisation et/ou l’arti- culation effective de certaines actions : si la lutte contre le dérèglement Les limites planétaires invitent climatique n’est pas une priorité, tous les efforts pour la lutte contre la faim par exemple (ODD 2) seront insuffisants, puisque les dérèglements à repenser nos modes de climatiques amplifient massivement l’insécurité alimentaire, le déplace- développement pour élaborer une ment de populations et les inégalités d’accès à la nourriture. économie qui répond aux besoins et enjeux sociaux dans le respect des limites écologiques. Ce référentiel a été présenté comme une alternative au développement durable sans toutefois se présenter comme un « réel substitut », les objectifs du DD restant très généraux, abstraits et consensuels. (…) En effet, les ODD ne permettent pas d’institutionnaliser les limites écologiques et sociales dans les politiques territoriales. » Caroline Lejeune 24 006 — Les ODD repensés au prisme des limites planétaires © Stockholm Resilience Centre. D’une part, les ODD ne proposent pas explicitement de hiérarchiser ces processus indispensables à l’existence de « ET SI... TOUT ÉTAIT LIÉ ? » tous les autres et sur lesquels la vigilance doit être priori- taire. D’autre part, les limites planétaires ne montrent pas Au fil d’un questionnement plus global, l’Agenda 21 suffisamment les liens entre les phénomènes écologiques de Gironde s’est posé 33 grandes questions et sociaux. C’est pourquoi le Stockholm Resilience Center et de résilience territoriale pour penser l’inter- J. Rockstrom ont proposé une nouvelle priorisation et modé- connexion de tous les ODD et de leurs enjeux. lisation des ODD : tout en bas, les aspects qui conditionnent l’équilibre du système Terre et qui sont non-négociables En voici quelques exemples : (lutte contre le réchauffement climatique, préservation de la vie aquatique, de la biodiversité et des écosystèmes, une eau ► Et s’il y avait une rupture des services numé- propre) ; puis les ODD qui garantissent le respect des besoins riques (énergie / ressources) ? et droits humains (bonne santé, lutte contre la faim, accès à la santé et à une éducation de qualité…). Enfin, les ODD ► Et si la nourriture à un prix abordable nous qui déterminent une économie durable : la lutte contre les rendait malade ? inégalités, l’accès à des emplois décents, la consommation et la production responsables… Économie et société sont donc ► Et si l’augmentation de la population girondine intégrés à la biosphère, qui est le socle de tout le reste. renforçait la pression sur des ressources déjà en tension ?36 Les limites planétaires sont donc complémentaires avec d’autres outils existants, comme les ODD. Elles permettent d’interroger et d’enrichir ces derniers, afin de cibler les prio- rités planétaires mais aussi à l’échelle d’un territoire ou d’un projet. 36. «Et si : 33 grandes questions de résilience territoriale », Département de la Gironde : www.gironde.fr 25 B. INSCRIRE LE DÉVELOPPEMENT LA GÉO-INGÉNIERIE, SYMBOLE DURABLE DANS UNE PERSPECTIVE DE LA DURABILITÉ FAIBLE DE DURABILITÉ FORTE La géo-ingénierie consiste à modifier intention- nellement le climat à grande échelle grâce aux Notre modèle de développement est censé garantir sur le nouvelles technologies (aspirateur à CO2, fertili- long terme la viabilité de nos sociétés et donc intégrer le sation de l’océan, ensemencement des nuages, fonctionnement naturel des écosystèmes. Or ce modèle économique s’appuie sur la négation des limites, puisqu’il propulsion d’aérosols dans la stratosphère…). est fondé sur la croissance matérielle illimitée, l’accumula- Cette solution technique et technologique refait tion de richesse, l’extraction et la consommation massive de plus en plus surface comme unique recours des ressources, une économie linéaire (extraire-pro- face à l’ampleur des dérèglements climatiques : duire-consommer-jeter), et court-termiste. La destruction déjà utilisée en Chine, le GIEC a aussi intégré la des forêts, l’artificialisation massive des terres, l’agriculture géo-ingénierie dans ses scénarios. Outre le choix ou la pêche industrielle, la pollution des écosystèmes et des sols sont causés par un modèle de développement qui de société qu’implique une telle technologie, dégrade, souvent de manière irréversible, ce qui conditionne l’incertitude des effets, et le coût énergétique la bonne santé de nos sociétés. L’environnement est ici de production, l’adopter c’est aussi oublier uniquement vu soit comme une ressource à exploiter, soit l’enseignement des limites planétaires. Il existe comme une contrainte ou un coût : c’est un environnement des risques de réactions en chaîne planétaires que l’on peut maîtriser et auquel on est extérieur. Certain·es que nous ignorons, nous ne pouvons dominer considèrent que la dégradation des limites planétaires peut ainsi être surmontée grâce à la technologie. On parlera alors ces processus complexes et faire fi des consé- de « durabilité faible » puisqu’on s’accorde sur le fait que quences néfastes sur tous les autres processus. le capital naturel peut être remplacé : on ne cherche pas à réinterroger les fondements mêmes du modèle économique, on vise plutôt une amélioration du modèle existant grâce à la technologie. LIMITES OBJECTIFS 007 — PLANÉTAIRES AT SOCIAUX Les deux trajectoires du développement CLIM FA IM durable (Inspiré de l’illustration p. 127 de ÉA N l’article “Contours of a Resilient Global OC Future ”, de M.D. Gerst, P.D. Raskin, J. Rockström, Revue Sustainability, 2014 :