Personne et famille intra (PDF)

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Summary

Ce document traite de la personne et de la famille en droit public et privé au Canada, en se concentrant sur les droits de l'embryon et du foetus. Il présente des cas juridiques importants concernant la Charte canadienne des droits et libertés et ses implications pour les droits des enfants à concevoir.

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Personne et famille intra En droit privé comme en droit public, la naissance est le moment qui marque le début de l'existence humaine et donc de la personnalité juridique. Dès lors, il est important que cet événement soit constaté, déclaré et acté dans les registres de l'état civil (art. 111 à 117 C...

Personne et famille intra En droit privé comme en droit public, la naissance est le moment qui marque le début de l'existence humaine et donc de la personnalité juridique. Dès lors, il est important que cet événement soit constaté, déclaré et acté dans les registres de l'état civil (art. 111 à 117 C.c.Q.). L'embryon et le foetus n'étant pas des personnes au sens juridique du terme, ils ne jouissent pas des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés6] et par la Charte des droits et libertés de la personne7]. §1 – L'enfant conçu et les chartes 3 – On ne trouve ni dans la Charte canadienne ni dans la Charte des droits et libertés, de référence spécifique à l'enfant conçu qui n'est pas encore né. On peut donc légitimement se demander si certaines dispositions de portée générale au sein des chartes peuvent être interprétées comme incluant l'embryon et le foetus. Le mot « embryon » désigne ici l'enfant à naître jusqu'au cinquante-sixième jour de développement suivant la fécondation ou la création, alors que le mot « foetus » réfère à la période depuis le cinquante-septième jour de la fécondation ou la création jusqu'à la naissance8]. 4 – La Charte canadienne et l'enfant à naître : une question presque réglée – L'embryon et le foetus sont-ils protégés par l'article 7 de la Charte canadienne ? Cette disposition garantit à chacun « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », un droit qui ne peut être limité qu'en conformité avec « les principes de justice fondamentale » et qui ne peut être restreint que par « une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique » (art. 1). Les tribunaux ont jusqu'à maintenant répondu par la négative, sans que jamais la Cour suprême ne se soit prononcée expressément sur la question. L'apparition de la personnalité humaine GOUBAU, Dominique 5 – L'arrêt-clé, en la matière, est la décision Borowski c. Procureur général du Canada9]. Dans cette affaire, l'appelant demandait que soient invalidées les dispositions de l'article 251 du Code criminel10] (aujourd'hui, art. 287 C.cr.) et plus particulièrement la défense d'immunité contenue dans cette même disposition « légalisant » l'avortement thérapeutique, comme constituant une violation des droits à la vie, à la liberté et à la sécurité du foetus garantis tant par l'article 1a) de la Déclaration canadienne des droits11], que par l'article 7 de la Charte canadienne. L'appelant s'appuyait sur des arguments d'ordre linguistique, notamment sur l'emploi par le législateur des mots « individu » dans la Déclaration canadienne des droits et « chacun » dans la Charte canadienne, par opposition à « toute personne ». Invoquant l'absence de tout fondement qui puisse juridiquement autoriser la conclusion que le foetus est une personne, le fait qu'aucun des deux textes ne permet de dégager une intention claire ni de la part du législateur ni du constituant, ainsi que la nature des autres droits garantis par l'un et l'autre de ces instruments où l'on réfère aux mots « individu » et « chacun », la Cour d'appel de la Saskatchewan a rejeté la demande. Saisie de l'affaire, la Cour suprême du Canada a confirmé la décision, mais pour d'autres motifs12]. Elle ne s'est pas prononcée sur le fond, pour les raisons suivantes : l'appel est théorique, car il ne résout pas un litige ; l'appelant n'a pas la qualité pour agir puisqu'il n'invoque pas une violation de ses droits, mais de ceux du foetus ; le contexte législatif de la demande a disparu, l'article 251 du Code criminel ayant été invalidé, entre-temps, par la Cour suprême13]. Un peu plus tard, la Cour suprême refusa encore une fois d'intervenir alors que dans une affaire où une personne avait été accusée d'enfreindre la législation provinciale sur l'accès aux services d'avortement, en raison du fait qu'elle avait manifesté devant une clinique d'avortement, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique avait rappelé dans son arrêt R. c. Demers14] que le foetus, n'étant pas une personne, ne bénéficie pas du droit à la vie qui est protégé par l'article 7 de la Charte canadienne. Dans cet arrêt, les juges de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique sont d'avis que, lorsque la Cour suprême avait décidé, dans Office des services à l'enfant et à la famille de Winnipeg (région du Nord-Ouest) c. G. (D.F.), 3 R.C.S. 925, REJB 1997-02909, que l'absence de personnalité juridique de l'enfant à naître est un « principe général applicable dans tous les domaines du droit » (par. 3), cette affirmation s'étend également à la Charte canadienne. Autrement dit, l'interprétation que donne la Cour d'appel de la Colombie-Britannique à la jurisprudence de la Cour suprême est à l'effet que cette dernière se serait donc indirectement prononcée sur la question de l'absence de protection constitutionnelle du foetus dans le cadre de la Charte canadienne. Si la Cour suprême du Canada a donc, dans l'arrêt Winnipeg, clairement consacré le principe juridique de la primauté de l'autonomie de la femme enceinte, cette solution juridique laisse cependant intacte la question de l'obligation morale de la femme enceinte en regard de sa grossesse15]. 6 – La Charte des droits et libertés de la personne : un débat qui est clos – Sur la scène provinciale, c'est en regard de la généralité du terme « être humain » employé tant à l'article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne16] qu'à l'article 1 du Code civil du Québec et sur l'emploi de ce même terme qu'on retrouve à la fois dans le préambule et à l'article 2 de la Charte17], par opposition au mot « personne » utilisé aux articles suivants, que le débat s'est engagé. Et c'est sur le terrain du droit privé qu'il a été tranché. La réponse ne souffre aujourd'hui aucune ambiguïté : la Cour suprême, dans l'arrêt Tremblay c. Daigle18], a établi que dans l'un et l'autre cas, les mots « être humain » réfèrent à la personne juridique et que, pour avoir la qualité de personne, il faut naître vivant et viable. Selon le raisonnement de la Cour suprême, le foetus ne possède donc pas la personnalité juridique en droit québécois. 7 – L'affaire Daigle c. Tremblay – Dans cette affaire, s'appuyant sur ces mêmes dispositions ainsi que L'apparition de la personnalité humaine GOUBAU, Dominique sur les articles 752 et 753 du Code de procédure civile de l'époque, le compagnon d'une jeune femme s'est adressé aux tribunaux en vue d'obtenir une injonction interlocutoire ordonnant à cette dernière « de s'abstenir, sous toute peine que de droit, de se soumettre à un avortement ou de recourir volontairement à toutes méthodes qui, directement ou indirectement, conduiraient à la mort du foetus qu'elle porte ». Une ordonnance à cet effet fut rendue par la Cour supérieure19]. La Cour d'appel, à la majorité, confirma la décision20]. L'affaire fut portée devant la Cour suprême du Canada qui accueillit le pourvoi et infirma le jugement de la Cour d'appel, cassant l'injonction prononcée dans les instances antérieures. Une fois de plus, la Cour a rejeté les arguments d'ordre linguistique, s'appuyant sur des arguments d'ordre contextuel et, plus particulièrement, les dispositions du Code civil du Québec qui, dans certains cas, permettent de faire rétroagir à la date de la conception l'acquisition de la personnalité juridique. La Cour a écarté l'argument selon lequel le foetus serait un être humain au sens ordinaire du terme : « Le sens de l'expression ‘‘être humain” est pour le moins une question hautement controversée, qui ne peut être réglée par une décision linguistique, un argument purement linguistique présente la même faille qu'un argument purement scientifique : il tente de trancher le débat juridique par des moyens non juridiques [...] » (p. 554-555). Dès le départ, la Cour a tenu à préciser qu'elle n'entendait pas intervenir dans des débats d'ordre métaphysique : « Cet argument [selon lequel le foetus est ‘‘un être humain”, qui à ce titre a droit à la vie et droit au secours] doit être examiné dans le contexte de la législation en cause. La Cour n'est pas tenue d'intervenir dans les débats philosophiques et théologiques quant à savoir si le foetus est une personne ; sa tâche est plutôt de répondre à une question juridique, à savoir si le législateur québécois a attribué au foetus le statut de personne. Pour pertinents que puissent être les arguments métaphysiques, ils ne sont pas l'objet principal de l'analyse. Les arguments scientifiques sur le statut biologique du foetus ne sont pas déterminants non plus. La classification juridique et la classification scientifique du foetus sont deux démarches différentes. L'attribution de la personnalité au foetus est en droit une tâche essentiellement normative. Elle a pour conséquence la reconnaissance de droits et d'obligations – une préoccupation totalement étrangère à la classification scientifique. Bref, la tâche de cette Cour est juridique. Les décisions fondées sur des choix sociaux, politiques, moraux et économiques au sens large, doivent plutôt être confiées au législateur » (p. 553). Quant à l'argument tenant au fait que dans son préambule et aux articles 1 et 2, la Charte parle d'« êtres humains » et de « personnes » dans les articles suivants, distinction importante selon l'intimé, l'expression « être humain » étant plus large que le terme « personne » et incluant donc, à ses yeux, le foetus, la Cour n'a pas plus souscrit à ce point de vue. D'abord parce que l'expression « être humain » ne fait ici que qualifier le mot « personne », reflétant probablement l'intention du législateur d'empêcher les personnes artificielles, soit les personnes morales21], de bénéficier des droits et libertés conférés par la Charte au même titre que les personnes physiques. De l'avis de de la Cour, la Charte québécoise, prise dans son ensemble, ne traduit aucune intention manifeste de la part du législateur de prendre en considération le foetus, ce qui ressort à la fois des termes mêmes du préambule et de l'absence de définition des termes « être humain » et « personne » (p. 553-554). Analysant ensuite les dispositions pertinentes du Code civil qui reconnaissent des droits patrimoniaux et mettent en place des mécanismes en vue de préserver les intérêts du foetus22], la Cour en est venue à la conclusion que la portée de ces dispositions est limitée, puisqu'à moins que le foetus ne naisse vivant et viable, il ne bénéficiera pas des droits qui y sont reconnus (p. 554). Selon la Cour, ces dispositions tendent plutôt à justifier la conclusion contraire, à savoir que le foetus n'a pas la personnalité juridique Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 3 L'apparition de la personnalité humaine GOUBAU, Dominique aux termes du Code civil (p. 558). En d'autres termes, « le foetus n'est traité comme une personne que dans les cas où il est nécessaire de le faire pour protéger ses intérêts après sa naissance » (p. 560). 8 – Dans cet arrêt de droit civil québécois, la Cour suprême a étendu son analyse à la common law et elle a, depuis, eu l'occasion de confirmer cette extension. Réitérant le principe que le foetus n'a pas le statut de personne, la Cour a décidé dans une affaire provenant du Manitoba qu'elle n'avait pas compétence pour ordonner la garde en établissement d'une femme enceinte qui inhalait des vapeurs de solvant. La demande d'internement visait à soumettre cette femme à des soins médicaux et à protéger le foetus23]. La Cour estime que le droit « a toujours considéré que la femme enceinte et l'enfant qu'elle porte ne formaient qu'une seule et même personne » et que ce n'est qu'après la naissance que l'enfant acquiert une personnalité juridique distincte. En ce sens, « Intenter une poursuite contre la femme enceinte au nom du foetus, c'est poser en principe une anomalie puisqu'une partie d'une entité juridique et physique agirait en justice contre elle-même »24]. Enfin « rendre une ordonnance visant à protéger le foetus empièterait donc radicalement sur les libertés fondamentales de la femme enceinte, qu'il s'agisse du choix de son mode de vie, de sa manière d'être ou de l'endroit où elle choisit de vivre » 25], un pouvoir qui n'appartient pas aux tribunaux, mais bien plutôt au législateur26]. Il convient donc de s'arrêter sur les raisons qui, du point de vue du droit civil, gouvernent l'acquisition de la personnalité juridique, c'est-à-dire la naissance vivante et la viabilité de l'enfant né. §2 – Les conditions d'acquisition de la personnalité juridique A. Le principe 9 – La personnalité juridique n'appartient qu'à l'enfant qui naît vivant et viable – L'enfant mort-né, de même que l'enfant né vivant, mais dont la conformation ne lui permet pas de survivre (malformations qui rendent la mort inéluctable, enfant dont les organes sont insuffisamment développés et qui ne peut avoir de vie indépendante parce que né trop prématurément) ne sont pas des personnes aux yeux du droit. Ils sont considérés comme n'ayant jamais eu d'existence civile27]. Par voie de conséquence, les géniteurs d'un enfant mort-né ne peuvent prétendre à des droits en leur qualité de parents28]. Le droit québécois ne définit pas le concept de naissance, contrairement au droit de certaines provinces canadiennes29]. Pour naître vivant, l'enfant sorti du sein de sa mère doit avoir respiré complètement30], peu importe s'il meurt peu de temps après la naissance. L'essentiel est qu'il ait vécu, ne fût-ce qu'un court instant ; il sera réputé avoir eu la personnalité juridique, sauf à rapporter la preuve qu'en raison de sa conformation il était dans l'incapacité d'avoir une vie autonome. L'enfant né vivant est présumé viable ; c'est donc à ceux qui allèguent la non-viabilité qu'il appartient d'en faire la preuve31]. S'agissant d'un fait juridique, cette preuve peut se faire par tous les moyens, même si l'expertise médicale est généralement incontournable. L'objet de l'expertise est en soi problématique. En effet, on assiste aujourd'hui à un recul des frontières de la viabilité puisque la technologie médicale permet désormais de pallier le défaut de maturité, voire les erreurs de la nature. En ce sens, la survie d'un enfant né prématurément ou souffrant de certaines malformations dépend très largement de l'équipement disponible32]. « Dès lors, les experts doivent-ils rechercher si, concrètement, l'utilisation de moyens disponibles et éprouvés aurait permis à l'enfant de survivre [...] Peuvent-ils tenir compte de découvertes scientifiques encore mal connues et en tous cas inapplicables dans les circonstances de temps et de lieu considérées ? La première méthode aboutit à une relativité de la notion peu satisfaisante ; la seconde risque de faire naître des controverses sur l'appréciation des mérites de recherches savantes et d'expériences parfois lointaines » 33]. Par ailleurs, Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 4 L'apparition de la personnalité humaine GOUBAU, Dominique peut-on, au motif qu'ils ne sont pas nés viables, ne pas reconnaître comme des personnes juridiques des enfants par exemple les enfants anencéphales, dont l'expectative de vie peut aller de quelques jours à quelques mois, ou est autrement lourdement hypothéquée ? La réponse s'impose, tant il est évident que ces enfants, pendant leur courte vie, doivent pouvoir bénéficier des droits de la personnalité, dont évidemment le droit à l'intégrité physique. L'exemple de l'enfant anencéphale illustre à quel point l'exigence de viabilité comme condition d'octroi de la personnalité juridique est devenue désuète. Certains pays ont coupé court aux difficultés en accordant la personnalité juridique à tout enfant né vivant, même non viable. C'est le cas, notamment, de l'Allemagne34] et de la Suisse35] qui évitent ainsi les difficultés inhérentes à la définition et au constat de la viabilité de l'enfant né vivant. À supposer que la viabilité soit encore une condition acceptable d'octroi de la personnalité juridique, et donc de l'acquisition des droits, il faut bien convenir que la question ne peut se poser que dans les cas exceptionnels où l'enfant meurt immédiatement après la naissance. Elle détermine alors l'attribution rétroactive d'une certaine protection intra- utérine. Le droit se préoccupe en effet des intérêts patrimoniaux des personnes futures et, dans certains cas, fait remonter l'aptitude à acquérir des droits à la date de la conception. B. La consécration d'une maxime coutumière 10 – La personnalité de l'enfant né vivant et viable rétroagit, dans son intérêt, à la date de sa conception – Si l'enfant conçu n'acquiert la personnalité juridique qu'à partir du moment où il est capable de vie autonome, le droit civil lui permet, une fois qu'il a accédé au statut de personne, de réclamer certains droits acquis pendant sa vie intra-utérine, de sa vie au stade « préembryonnaire » dans le cas de la fécondation in vitro ou de sa vie « en suspension » lorsque, avant l'implantation dans l'utérus « maternel », on a procédé à sa cryogénisation. Il s'agit d'une fiction du droit, qui trouve son expression dans une maxime coutumière, elle-même héritée du droit romain, selon laquelle l'enfant conçu est réputé né chaque fois qu'il s'agit de ses intérêts (infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur)36]. Érigée au statut de principe général de droit, cette maxime constitue une source de droit positif37]. Le Code civil du Québec, au même titre que son prédécesseur le Code civil du Bas Canada, prévoit une série de situations où cet adage trouve application. C'est le cas en matière de successions (art. 617, al. 1 C.c.Q.), de substitutions (art. 1242 C.c.Q.), de fiducies (art. 1279 C.c.Q.), de donations (art. 1814, al. 1 C.c.Q.) et en matière d'assurances de personnes (art. 2447 C.c.Q.). Dans certains cas (en matière de donation, de fiducie, de succession), le Code va même au-delà de la maxime classique en permettant d'avantager des enfants à naître et non encore conçus38]. Les exemples d'application de la maxime infans conceptus que l'on retrouve dans le Code civil ainsi que dans d'autres lois, comme en matière d'assurance automobile39], ne sont cependant pas limitatifs. La Cour suprême du Canada a en effet reconnu que la maxime était d'application générale en droit civil. Ainsi, l'enfant, une fois né, peut réclamer des dommages-intérêts pour le préjudice résultant du fait d'un tiers et de l'atteinte portée à son intégrité alors qu'il était encore dans le ventre de sa mère. Cette application générale de la maxime a été mise de l'avant par la Cour suprême dans l'arrêt-clé Montreal Tramways Co. c. Léveillé 40]. Dans cette affaire, un enfant était né avec un handicap (des pieds bots) alors que la preuve avait permis d'établir que cette difformité résultait d'un accident imputable à la faute du conducteur de tramway survenu pendant la grossesse de la mère. Appliquant la maxime infans conceptus la Cour suprême accorde à l'enfant, né vivant et viable, une indemnisation pour le dommage subit in utero : Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 5 L'apparition de la personnalité humaine GOUBAU, Dominique À l'argument [...] qu'un enfant non encore né, étant donné qu'il fait simplement partie de sa mère, n'a pas d'existence indépendante et ne saurait en conséquence intenter une action (en responsabilité), il faut, selon moi, répondre que, bien que l'enfant ne fût pas en fait né au moment où la société par sa faute a créé les conditions qui ont provoqué la malformation de ses pieds, il est néanmoins réputé l'avoir été en droit civil si cela est dans son intérêt. Par conséquent, quand l'enfant est par la suite né vivant et viable, il se trouvait revêtu de tous les droits d'action qu'il aurait possédés s'il avait réellement existé lors de l'accident. La lésion occasionnée par l'acte délictuel de la société s'est manifestée à la naissance de l'enfant et le droit d'action était dès lors acquis.41] Ainsi, l'enfant ou son représentant pourraient intenter une action en responsabilité contre le médecin ou l'établissement hospitalier pour un préjudice subi pendant la gestation ou au cours de l'accouchement et obtenir réparation sous forme d'indemnité 42]. La maxime infans conceptus consacre ainsi une fiction juridique qui joue en sa faveur, jamais contre lui43]. 11 – L'action en responsabilité pour vie préjudiciable – Sources de progrès, la médecine prénatale et la médecine génétique sont à l'origine de revendications nouvelles. En effet, le foetus est devenu, sans pour autant en avoir la qualité, une forme de « patient » 44] et la relation contractuelle entre sa mère et son médecin emportent des obligations à son endroit. De fait, et par l'intermédiaire de la femme qui le porte, le foetus « jouit aujourd'hui de toute une gamme de services de santé, allant des examens prénatals aux interventions intra-utérines » 45]. Mais grâce au dépistage et aux tests génétiques, il est possible également de prévenir le handicap. Cela soulève une question d'un autre ordre : l'enfant dont le handicap aurait pu être diagnostiqué pendant la grossesse ou encore anticipé, en raison d'antécédents familiaux, a-t-il un recours contre les professionnels de la médecine qui n'auraient pas fourni les informations qui, si elles avaient été portées à la connaissance de la future mère, auraient amené celle-ci à décider d'avorter et, plutôt que de poursuivre une grossesse à risque, à privilégier la voie de l'adoption ou de la procréation assistée ? L'enfant pourrait-il poursuivre en responsabilité pour vie préjudiciable le laboratoire qui a procédé aux analyses, en cas d'erreur de diagnostic (faux négatif) ? Au Québec, comme dans les provinces canadiennes de common law, les tribunaux ont refusé jusqu'à présent de reconnaître un recours à l'enfant, invoquant des considérations d'ordre social46], sans compter les difficultés que peut soulever l'évaluation des dommages. Comment en effet comparer la vie avec le néant, c'est-à-dire la non-existence d'un être humain ? De l'avis de certains auteurs, rien n'autorise théoriquement à rejeter ce genre d'action, en common law, comme en droit civil47]. La question demeurerait donc en suspens. Par contre, dans un système comme dans l'autre, les parents peuvent se faire indemniser dans la mesure où ils peuvent prouver l'existence d'un préjudice qui leur est propre48]. 12 – Le recours de l'enfant contre sa mère – S'il est impensable, en l'état actuel du droit au Québec, qu'on puisse contraindre une femme à subir une césarienne ou qu'en raison de son style de vie et compte tenu des incidences qu'il peut avoir sur le développement normal du foetus (tabagisme, alcoolisme, toxicomanie), on puisse, pendant la gestation, mettre cette personne sous tutelle49], qu'en est-il d'un éventuel recours en dommages de l'enfant, né vivant et viable, contre sa propre mère ? Si l'on applique les principes dégagés par la Cour suprême dans l'arrêt Montreal Tramways, il est possible de soutenir qu'un enfant, une fois né, puisse réclamer des dommages et intérêts pour le handicap avec lequel il est venu au monde et qui serait imputable au comportement de sa mère pendant la grossesse. On peut songer au cas de l'enfant souffrant d'un sévère syndrome d'alcoolisation foetale. Dans l'arrêt Montreal Tramways, le juge Lamont, s'exprimant au nom de la Cour à la majorité, écrivait que Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 6 L'apparition de la personnalité humaine GOUBAU, Dominique « permettre à l'enfant né vivant et viable d'agir en justice afin d'obtenir réparation du préjudice infligé à tort à sa personne alors qu'il était dans le ventre de sa mère est simplement conforme à la justice naturelle »50]. Peut-on transposer cette affirmation à la situation de l'enfant victime d'un comportement fautif de sa propre mère pendant la grossesse ? La question du droit de l'enfant de poursuivre sa mère s'est posée à la Cour suprême dans une affaire provenant du Nouveau-Brunswick et qui a donné lieu à un arrêt de principe dans Dobson51]. Dans cette cause, un enfant né prématurément et handicapé à la suite d'un accident d'automobile, dont sa mère, alors enceinte de sept mois, était responsable, réclame de celle-ci des dommages-intérêts à titre d'indemnisation. Appliquant les principes de la responsabilité délictuelle de la common law et constatant que l'imposition à la femme enceinte d'une obligation légale de diligence à l'égard du foetus qu'elle porte constituerait une intrusion grave dans la façon dont les femmes entendent vivre leur grossesse, la Cour suprême conclut que la mère doit bénéficier d'une immunité générale. L'enfant ne peut donc poursuivre sa mère pour les dommages qu'il a subis in utero par la faute de celle-ci. Ce faisant, la Cour suprême met de l'avant le droit des femmes à la vie privée et à l'autonomie52]. En obiter, la Cour suprême suggère cependant que le législateur pourrait fort bien créer une exception à ce principe d'immunité de la mère en matière délictuelle afin de permettre une indemnisation, soigneusement balisée, en faveur de l'enfant victime d'un tel accident de la circulation avant sa naissance53]. 13 – On peut questionner le fait que cette immunité parentale dont jouit la mère de l'enfant au titre de la common law, telle qu'interprétée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Dobson, puisse être transposée en droit civil québécois, compte tenu du devoir général de « respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi s'imposent à toute personne », édicté à l'article 1457 C.c.Q. et qui n'existe pas comme tel en common law. Il est vrai que la décision rendue par cette même cour dans l'affaire Montreal Tramway c. Léveillé , fut rendue à l'occasion d'un litige québécois et que l'on pourrait être tenté d'y voir une porte ouverte à l'idée d'un recours de l'enfant contre sa propre mère 54]. Une telle possibilité ne nous semble pourtant pas envisageable. En effet, rappelons d'abord que dans l'arrêt Dobson la Cour suprême réfère directement à son arrêt Montreal Tramways et souligne que rien dans cet arrêt ne permet de penser que la Cour avait, à l'époque, envisagé la délicate question de la responsabilité de la mère pour une négligence commise avant la naissance et que, dès lors, « l'arrêt Montreal Tramways, bien qu'il soit important, ne devrait pas être considéré comme décisif » en ce qui concerne la question soulevée dans l'affaire Dobson. Il est, de plus, tout à fait probable que pour des considérations d'ordre social, les tribunaux québécois saisis d'une telle action invoquent les valeurs fondamentales de la société, dont la notion d'ordre public (art. 9 C.c.Q.), pour écarter toute action intentée au nom de l'enfant une fois né, contre sa mère, en raison du préjudice imputable à sa négligence pendant sa grossesse. Il n'y a aucune raison pour que le caractère exceptionnel de la relation qu'entretient la femme enceinte avec le foetus qu'elle porte, si différente des rapports avec les tiers, et les conséquences qui pourraient en résulter, pour la femme enceinte, sur le plan de son autonomie, invoquées par la Cour suprême dans l'affaire Dobson, ne puissent être invoqués avec la même efficacité dans le contexte du droit québécois55]. Certains ont avancé l'idée que le père qui serait poursuivi par l'enfant pour des dommages subis pendant la grossesse pourrait avancer les mêmes arguments que la mère en se basant sur l'arrêt Dobson56]. À notre avis, un tel argumentaire ferait abstraction du fait que la Cour suprême a basé tout son raisonnement sur la nature exceptionnelle et unique du lien entre la mère et son enfant. Pendant la grossesse, le père est en réalité un tiers et ne peut prétendre à un statut particulier, comme le rappelait d'ailleurs la Cour suprême dans l'arrêt Tremblay c. Daigle57]. Il est incontestable que dans l'état actuel du droit, l'enfant à naître ne jouit d'aucun attribut attaché à la Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 7 L'apparition de la personnalité humaine GOUBAU, Dominique qualité de personne. On ne peut donc invoquer à son profit des droits extrapatrimoniaux58], ce que confirme l'article 192, al. 2 C.c.Q. qui institue les père et mère tuteurs légaux de leur enfant conçu pour lequel ils sont chargés d'agir « dans tous les cas où son intérêt patrimonial l'exige ». En d'autres termes, l'enfant conçu ne devient porteur de droits propres que s'il naît vivant et viable. S'il ne remplit pas ces deux conditions, il ne peut prétendre à l'acquisition de la personnalité juridique. En ce sens, le statut de l'enfant conçu est, en droit civil, à la fois relatif et conditionnel : – relatif, parce qu'il est tributaire de l'intérêt de l'enfant et qu'il ne peut donc jamais jouer contre lui 59] ; – conditionnel, puisqu'il est subordonné à l'acquisition de la qualité de personne, ce qui apparaît donc comme une condition suspensive60]. 14 – La détermination de la date de la conception – L'enfant qui est né vivant et viable (ou son représentant) et qui se réclame de la maxime infans conceptus doit pouvoir faire la preuve qu'au moment où les droits qu'il revendique sont réputés être ouverts, il était déjà conçu61]. Une preuve qui, au moins lorsqu'il s'agit de procréation naturelle, ne peut être faite directement. Aussi, c'est à partir de la date de la naissance et en fonction de la durée probable de la gestation telle qu'établie par la loi, au titre de la filiation, soit 300 jours62], que sera déterminée la date de la conception. Il s'agit cependant d'une présomption simple qui, en conséquence, peut être renversée par une preuve contraire63]. 15 – La protection des intérêts patrimoniaux de l'enfant conçu – Le législateur a remplacé la curatelle au ventre du Code civil du Bas Canada par la tutelle légale des père et mère64]. Ce sont donc les parents qui administreront, jusqu'à la naissance de l'enfant et après l'événement, jusqu'à sa majorité, les biens qui lui adviendront s'il est né vivant et viable. Dans le cas contraire, les tuteurs devront rendre compte de leur administration aux personnes qui recueilleront les biens à sa place. À noter cependant, pour qu'un enfant soit considéré comme conçu, mais non encore né aux fins de la loi (et donc représenté par son ou ses tuteurs), « la mère ou la personne qui donnera naissance doit être enceinte de cet enfant » (art. 34.1 C.c.Q.)65], ce qui exclut le cas de l'embryon pendant la période pré-implantatoire. Cette tutelle légale des parents de l'enfant conçu laisse cependant perplexe. En effet, comment les père et mère peuvent-ils être investis d'une telle fonction alors que, juridiquement parlant, l'enfant conçu n'a pas d'état et que, conséquemment, il n'a ni père ni mère ? Il y a là une ambiguïté qui tend à démontrer que la situation de l'enfant conçu pose problème66]. Si les futurs parents de l'enfant conçu sont tous les deux mineurs et non émancipés, il faudra soit demander leur émancipation67], soit faire nommer un tuteur datif au cas où l'enfant conçu aurait un patrimoine à gérer ou des droits à exercer. La tutelle légale est, en effet, réservée aux parents majeurs ou émancipés selon l'article 192 C.c.Q. Il y a là une situation qui ressemble à celle du curateur au ventre des articles 338 et 345 C.c.B.C., institution qui avait au moins le mérite d'assurer une certaine cohérence à la représentation de l'enfant conçu68], mais dont la résurgence, sous cette forme, renvoie à la portée qui a été donnée à la maxime infans conceptus. Pour certains observateurs, en effet, on voit mal comment il est possible de reconnaître une protection des intérêts économiques du foetus sans lui attribuer du même coup des droits de la personnalité69]. La personnalité juridique s'éteint avec la vie110]. Comme pour le début de l'existence, la réalité biologique dicte la fin de l'existence juridique de la personne. Le temps est révolu où le droit prévoyait des cas de « mort civile », qui était une sanction s'ajoutant à certaines peines criminelles les plus graves 111 ]. Les personnes visées étaient considérées comme juridiquement mortes, perdant ainsi leurs droits civils. Cette mesure impliquait la confiscation de tous les biens du condamné112]. Même si l'on dit souvent que la mort civile entraînait la perte de la quasi-totalité des droits, il faut nuancer cette affirmation puisque le Code prévoyait une liste, importante certes, des droits confisqués qui ne visait que les droits patrimoniaux et judiciaires. Par ailleurs, le Code prévoyait que le pardon, la libération, la remise de la peine ou sa commutation en une autre qui n'emportait pas mort civile, « rendent la vie »113 ]. Ce n'est qu'en 1906 que la mort civile fut abolie114]. Elle fut remplacée par la dégradation civique, qui emportait la perte des droits civiques et politiques, mais non la perte de la personnalité civile, en cas de condamnation à une peine afflictive perpétuelle. La dégradation civique fut elle-même abolie en 1971115]. 23 – Puisque la mort marque la fin de la personnalité juridique, elle doit être constatée et actée. De multiples effets sont attachés à cet événement. Ainsi, la mort provoque la dissolution du mariage ou de l'union civile et c'est à ce moment que s'ouvre la succession du défunt et que les héritiers sont saisis de son patrimoine. Malgré le fait que la mort représente la fin juridique de la personne, le droit admet un certain prolongement de la personnalité au-delà du décès, comme en témoignent notamment les règles relatives au respect du corps post-mortem. §1 – La constatation de la mort 24 – Au même titre que la naissance, le décès doit faire l'objet d'un constat, d'une déclaration et d'une insertion au registre de l'état civil116]. En principe la mort doit être constatée par un médecin117]. En cas d'impossibilité de faire constater le décès par un médecin dans un délai raisonnable, et à la condition que le décès soit évident, le constat peut être fait par deux agents de la paix118]. C'est sur la base de ce constat que doit être faite la déclaration au Directeur de l'état civil, soit par le conjoint du défunt, soit Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 1 L'extinction de la personnalité GOUBAU, Dominique par un proche parent ou un allié, soit, à défaut, par toute autre personne capable d'identifier le défunt119 ]. Le droit québécois ne définit cependant pas la mort, contrairement au droit de certains pays120] et de quelques provinces canadiennes où l'on retrouve tantôt une définition générale, tantôt une définition ad hoc pour l'application d'une loi précise. Ainsi, au Manitoba, la loi prévoit une définition générale de la mort : « Pour tout ce qui relève de la compétence législative de la Législature du Manitoba, le décès d'une personne a lieu au moment où se produit une cessation irréversible de toutes les fonctions cérébrales de cette personne. » 121]. En Nouvelle- Écosse, la loi définit la mort, mais seulement pour l'application des règles en matière de dons d'organes et de tissus : « ‘‘death” means the irreversible cessation of the functioning of the organism as a whole as determined by the irreversible loss of the brain's ability to control and co-ordinate all of the organism's critical functions »122]. Au Québec, comme dans plusieurs provinces canadiennes, la loi se contente de mettre en place des règles en vue de consigner le décès, laissant à la médecine le soin d'en définir les paramètres. C'est un autre exemple où « la science médicale dit, la science juridique constate »123]. Les développements de la médecine moderne ont remis en cause le critère qui jusqu'alors paraissait immuable, soit l'arrêt des fonctions cardiaques et respiratoires (désigné de « mort clinique »), projetant ainsi un certain flou sur la détermination du décès. Deux faits en particulier ont obligé médecins et juristes à repenser le problème de la détermination et de la constatation de la mort : 1o la possibilité d'assurer par des moyens artificiels la circulation d'un sang oxygéné dans un organisme atteint d'une manière irréversible ; 2o la transplantation d'organes prélevés sur le cadavre, qui acquiert ainsi une utilité sociale. Dès lors, une première question se pose : quel est le statut juridique du patient dont la « vie » est maintenue artificiellement ? Doit-on s'en tenir au critère classique de la mort clinique ou doit-on retenir la notion plus moderne de la décérébration ou coma dépassé qui correspond à la mort biologique (c.-à-d. la cessation de toutes les fonctions cérébrales, aussi bien celles du cortex, c.-à-d. de la conscience, que celles du tronc cérébral, c.-à-d. respiration, circulation, régulation thermique) quand bien même les fonctions circulatoire et respiratoire seraient artificiellement assurées ? En d'autres termes, où et quand, dans une telle hypothèse, peuvent être faits le constat et la déclaration de décès ? La question est d'autant plus importante, qu'au-delà du problème technique de l'administration de la preuve, les organes nobles de ces malades sont en excellent état et constituent une des meilleures sources possible de greffes disponibles aujourd'hui ; peut-on alors autoriser le médecin à prélever un de ces organes sur un patient qui, quoique médicalement irrécupérable, n'est pas encore véritablement un cadavre124] ? Au-delà de ces questions qui, sur le plan légal, obligent à circonscrire la responsabilité civile et criminelle du médecin effectuant le prélèvement et qui posent donc la question de savoir si le droit doit s'impliquer plus avant dans le processus graduel qui conduit à la mort, surgit un autre problème : le médecin a-t-il l'obligation de prolonger la vie d'une personne dont la mort est inévitable, est-il légalement et déontologiquement seul maître de la décision d'interrompre les moyens mécaniques ou le traitement qui sert de support à la vie d'un patient déjà engagé dans le processus de la mort ? C'est tout le problème de l'euthanasie et de la dignité devant la mort qui se trouve posé (voir infra, le chapitre sur l'intégrité physique). 25 – Le problème d'une définition – Il existe aujourd'hui un certain consensus au sein du corps médical sur les critères de définition de la mort125], au Québec comme ailleurs au Canada126], mais plusieurs Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 2 L'extinction de la personnalité GOUBAU, Dominique s'interrogent sur l'opportunité d'une définition législative127]. La question est d'autant plus pertinente qu'il existe une certaine confusion dans l'application concrète du critère de la mort cérébrale, l'accomplissement d'examens cliniques n'éliminant en rien le diagnostic, qui reste l'apanage du médecin. Les demandes d'organes, qui se font de plus en plus pressantes, font aussi que les regards se tournent vers des personnes qui, bien que ne répondant pas aux critères de la mort cérébrale, sont considérées par certains comme des morts vivants128]. D'un autre côté, il peut être risqué de fixer des critères rigides dans un domaine où le diagnostic clinique demeure prééminent et où les connaissances évoluent rapidement. C'est la position du ministre de la Justice qui dans ses Commentaires indiquait : « Il n'a pas été nécessaire de donner une définition de la mort ; celle-ci est un fait dont l'appréciation relève de critères autres que juridiques. D'ailleurs une telle définition n'aurait pu être que provisoire, compte tenu de l'évolution de la science. » 129] À tout le moins le législateur québécois a-t-il prévu un certain encadrement autour de la disposition du corps humain décédé, en aménageant un chapitre sur le respect du corps après le décès et en édictant des règles strictes relatives aux prélèvements post-mortem 130 ]. Le législateur québécois reste donc muet quant à la définition de la mort. Par contre, la Cour supérieure a eu l'occasion de se pencher sur la question dans une affaire où, pour des raisons d'ordre successoral, il fallait déterminer si une mère et son enfant, victimes d'un accident de la route, étaient décédés simultanément ou si l'un avait survécu à l'autre131]. Dans cette affaire, le tribunal rejette la proposition qui voudrait que le constat de la simple mort néocorticale (c.-à-d. la mort du cortex cérébral) soit suffisant pour conclure au décès de la personne. Le tribunal est plutôt d'avis que le principe de l'arrêt de toute fonction cérébrale comme condition du décès doit également inclure l'arrêt irréversible de toute fonction du tronc cérébral. Le juge Bureau affirme que « la mort n'est pas un processus évolutif, mais plutôt un élément factuel qui se produit à un moment donné », soit l'arrêt irréversible de toutes les fonctions cérébrales. Conscient du fait que cette définition apporte une sérieuse restriction en matière de prélèvements d'organe, le juge écrit que « la société québécoise n'est pas encore disposée à accepter qu'un être humain, quelles que soient les atteintes cérébrales dont il peut être victime, soit déclaré mort tant et aussi longtemps qu'il démontre des fonctions cardio-respiratoires autonomes » 132]. La solution serait évidemment différente s'il était démontré que les fonctions cardio- respiratoires sont maintenues artificiellement alors que la fin irréversible des fonctions cérébrales est constatée133]. La question de l'opportunité d'une définition légale de la mort demeure donc posée. Certains estiment que le constat de la mort et sa définition doivent être laissés aux médecins agissant « de façon compétente, attentive et consciencieuse »134]. Pourtant, dans l'affaire Leclerc (Succession de) c. Turmel 135 ], l'urgentologue appelé comme témoin expert avançait que l'enfant était décédé, s'appuyant sur la notion de mort néocorticale136], définition rejetée par le tribunal. Ni la compétence ni le caractère consciencieux et attentif du travail de l'expert n'étaient mis en doute. Il reste que sa définition de la mort ne correspondait pas à celle qui semble désormais dominante, soit la mort cérébrale complète, ce qui milite probablement en faveur d'une définition légale uniforme137]. §2 – Les pouvoirs de la volonté au-delà de la mort 26 – Autant le début de la personnalité juridique a pu et peut faire débat, autant il y a unanimité sur la question du terme. Tous les juristes s'entendent sur le fait que le décès de la personne emporte la fin de la personnalité juridique. Ce principe n'empêche pas pour autant le droit d'organiser une certaine protection de la personne après sa mort. Le culte des morts s'inscrit traditionnellement dans le champ des croyances et de la religion. Les règles juridiques relatives au corps après le décès reflètent aussi le Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 3 L'extinction de la personnalité GOUBAU, Dominique respect de l'individu comme valeur sociale primordiale et elles indiquent que la personne, même décédée, participe encore d'une certaine façon du genre humain. En ce sens, on peut dire que, même au-delà de la mort, le droit reconnaît à la personne une forme de dignité, comme en témoignent les règles relatives au respect du cadavre et de la mémoire du défunt. Le testament, la fondation et la fiducie – La manifestation la plus tangible de ce prolongement de la personnalité est le testament, acte unilatéral par lequel une personne dispose à la fois de ses biens139] et de son corps140], pour le temps où il ne sera plus. Plus remarquable cependant est le cas de la fondation ou de la fiducie par lesquels la personne peut prétendre, par-delà la mort, imprimer à perpétuité une certaine destination à ses biens141]. Cette possibilité réelle de faire valoir sa volonté au- delà de la mort amène certains à considérer que la personne décédée est en quelque sorte une « semi-personne juridique » ou une « personne résiduelle »142]. Quant au pouvoir de disposition sur son corps, il se rattache aux droits de la personnalité. Il sera donc analysé infra, au chapitre sur l'intégrité physique. 29 – Le respect du cadavre et la protection de la mémoire du défunt – Toute personne a un devoir moral de traiter le cadavre avec respect et de voir aux funérailles du défunt143], un devoir que le législateur a transformé en obligation légale144]. Alors qu'autrefois, à défaut pour le défunt d'avoir pris de son vivant des dispositions à cet égard, le Code civil s'en remettait à l'usage145], ce sont les héritiers ou les successibles146] qui, aujourd'hui, sont tenus de veiller au règlement des funérailles (art. 625, al. 3 C.c.Q.)147]. Il en est de même de la disposition du corps, c.-à-d. du choix entre la cryogénie, l'inhumation, l'incinération et la disposition des cendres qui, tout comme dans le cas des funérailles, doit respecter les volontés qui auraient pu être exprimées, même verbalement, par le défunt148]. On peut comprendre que l'introduction de cette règle permette « d'éviter certains conflits entre les héritiers ou entre celui qui acquitte les frais et les héritiers » 149], mais elle semble accorder bien peu d'importance aux sentiments des proches lorsque ceux-ci ne sont pas eux-mêmes héritiers150]. L'usage qui, selon la jurisprudence antérieure, voulait que ces décisions reviennent au conjoint ou aux plus proches parents 151 ] était sans doute plus respectueux de la volonté du défunt. Le cadavre est digne de respect et plusieurs législations reconnaissent ce principe. C'est le cas du Code de déontologie des coroners qui édicte que « le coroner doit s'assurer que tout cadavre dont il a la garde et la possession soit traité avec dignité et respect » 152]. La loi de 2016 sur les activités funéraires est encore plus explicite puisque, comme l'indiquent les notes explicatives, elle vise à assurer, notamment, « le respect de la dignité des personnes décédées », alors que son article 4 édicte qu'« [e]n toutes circonstances, la manipulation et la disposition d'un cadavre ou de cendres humaines doivent être faites Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 4 de manière à assurer le respect de la dignité de la personne décédée » 153]. Il n'en demeure pas moins que le cadavre est une chose et qu'on ne saurait lui reconnaître un quelconque droit de la personnalité. Cela n'exclut pas la possibilité pour ses ayants cause d'agir en justice en cas d'atteinte à son image, à sa mémoire ou à sa dignité 154]. Mais c'est alors à titre personnel et en raison de l'atteinte qui a pu être portée au respect de leur vie privée ou à leur sentiment personnel de l'honneur que ces derniers pourront agir155]. 169 – Du respect de la personne à celui de sa dépouille mortelle – Dans toutes les civilisations et à toutes les époques, les êtres humains ont manifesté une forme de respect à l'égard de la mort et du corps après le décès. Ce culte des morts, l'une des plus vieilles et des plus profondes idées religieuses de l'humanité, est passé dans la norme juridique424]. Le droit criminel sanctionne très sévèrement toute indignité commise sur les cadavres et il fait du défaut de sépulture un délit425]. Quant au droit civil, il affirme le principe de l'inviolabilité du corps humain même au-delà de la mort. Le Code civil du Québec consacre tout un chapitre, sous le titre des droits de la personnalité, au respect du corps après le décès. Dans ses Commentaires, le ministre de la Justice énonce que « le droit d'une personne à la sauvegarde de sa dignité continue même après sa mort : son corps doit être l'objet de soins particuliers »426]. Cette affirmation du ministre mérite d'être rappelée face à des événements comme l'organisation d'expositions dont l'objet est la mise en scène quasi ludique de dépouilles mortelles « plastinées »427]. La notion de piété qu'on trouvait exprimée dans le Code civil du Bas Canada428] fait place dans le Code civil du Québec à la notion de dignité, qui fonde la souveraineté posthume de la personne sur son corps et le respect de son intimité au-delà de la mort. Car « le respect des morts commence [...] par le respect de leur volonté »429]. Souveraine quant à la disposition de ses biens par testament, la volonté du de cujus est aussi souveraine quant à la disposition de son cadavre. À défaut de dispositions expresses, la loi s'en remet aux héritiers ou aux successibles pour les funérailles et à la famille quant à la disposition du cadavre. Ce n'est que par exception, lorsqu'un intérêt supérieur le justifie, qu'on pourra passer outre à la volonté du de cujus ou de ses proches. C'est le cas, notamment, lorsque le décès ne paraît pas avoir résulté de causes naturelles ou accidentelles ou pour des raisons de santé publique430]. Cependant, la médecine moderne a ouvert des perspectives qui obligent à trouver un équilibre entre le principe de l'intégrité du corps après la mort et l'impératif social de procéder à des transplantations d'organes. Considéré autrefois sous l'angle des valeurs morales et affectives qu'il représentait, le cadavre est désormais vu aussi comme une source de vie pour d'autres. Ainsi la loi autorise dans Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 1 Du respect du corps après le décès GOUBAU, Dominique certaines circonstances l'utilisation des cadavres aux fins d'étude anatomique431] et, en cas de nécessité, le prélèvement d'organes et de tissus sur le corps du défunt. §1 – Les funérailles et la disposition du corps 170 – Le droit de disposer librement de son cadavre – Le majeur doué de la capacité requise par la loi peut fixer librement les modalités de ses funérailles (art. 42 C.c.Q.), sous réserve des dispositions impératives de certaines législations dont l'objet est de réglementer les questions relatives à la présentation, à l'exposition et au transport du cadavre, à l'inhumation, à l'exhumation432], à l'embaumement, à la crémation ou à la thanatopraxie433]. Généralement, la volonté de la personne quant à la disposition de son corps prendra la forme d'un contrat ou d'une clause testamentaire434]. Mais elle peut être simplement verbale. Par exemple, la personne peut avoir déclaré vouloir que ses cendres soient dispersées à un endroit précis. Sauf motif sérieux ou circonstances exceptionnelles, cette volonté doit être respectée435]. Cependant, la loi prévoit que « nul ne peut disperser des cendres humaines à un endroit où elles pourraient constituer une nuisance ou d'une manière qui ne respecte pas la dignité de la personne décédée » 436]. Une telle disposition verbale qui serait postérieure à une clause testamentaire relative aux funérailles aurait pour résultat d'annuler cette clause du testament437]. Il appartient ainsi à la personne de préciser le caractère civil ou religieux, public ou privé, de la cérémonie et de décider du mode de disposition de son cadavre. Le respect des volontés du défunt est le principe premier lorsqu'il s'agit de la disposition du corps438]. Bien que les volontés ainsi exprimées par le défunt puissent paraître comme une composante de la liberté de tester, il faut comprendre que ce droit de disposition reconnu à l'individu constitue essentiellement une composante du droit à l'autonomie corporelle. Ainsi, le mineur est privé du droit de disposer de ses biens de valeur par testament (art. 708 C.c.Q.), mais il peut néanmoins régler les questions de la disposition de son corps, pourvu qu'il ait le consentement écrit du titulaire de l'autorité parentale ou, le cas échéant, de son tuteur (art. 42 C.c.Q.). À défaut de volontés connues, ce sont les héritiers qui décident du mode de disposition du corps et leur volonté doit être respectée439]. Le Code précise que les frais relatifs aux funérailles ou à la disposition du cadavre sont à la charge de la succession440]. Celui qui a acquitté les frais des funérailles peut donc en demander le remboursement à la succession441]. On comprend aussi qu'au regard de cette obligation, la loi confie à ces mêmes héritiers ou successibles le soin de choisir les conditions des funérailles ainsi que le mode de disposition du cadavre442]. Par souci de sécurité, l'article 48 C.c.Q. prévoit que l'incinération ou l'inhumation ne peuvent avoir lieu avant que le constat de décès n'ait été dressé et qu'il ne se soit écoulé six heures depuis le constat. §2 – Le don et le prélèvement d'organes 171 – La personne peut faire don de ses organes – Le don d'organes est une nécessité sociale puisqu'il permet d'améliorer la qualité de vie de personnes malades et de sauver des vies443]. Une personne peut ainsi faire preuve d'altruisme et décider de faire don de son corps à la science, comme il peut consentir au prélèvement post-mortem d'organes ou de tissus sur son cadavre444]. Il s'agit d'une liberté qui peut également être exercée par le mineur âgé de 14 ans et plus. Le commentaire du ministre précise : « Cet article ne retient pas comme nécessaire l'autorisation du titulaire de l'autorité parentale ou du tuteur dans le cas du mineur de 14 ans et plus. En effet, si dans le cas des funérailles on pouvait craindre que le mineur exprime des volontés disproportionnées par rapport à sa fortune, cette crainte ne subsiste plus lorsqu'il s'agit du don de son cadavre ou de prélèvements sur celui-ci. »445]. Le mineur de moins de 14 Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 2 Du respect du corps après le décès GOUBAU, Dominique ans peut également agir en ce sens, mais seulement avec l'autorisation du titulaire de l'autorité parentale ou du tuteur446]. Ces volontés sont être exprimées soit verbalement devant deux témoins, soit par écrit. Elles peuvent être révoquées de la même manière (art. 43, al. 2 C.c.Q.). De manière à prévenir les conflits entre la volonté exprimée par le défunt et celle des membres de sa famille, le Code précise qu'il « doit être donné effet à la volonté exprimée, sauf motif impérieux » 447]. Ces motifs peuvent tenir, par exemple, au caractère impropre des organes. En l'absence de sanction spécifique, sauf à invoquer l'indignité qui rend inhabile à succéder, il faut conclure qu'il s'agit d'une obligation liant la seule conscience des médecins et de la famille. En théorie, on pourrait envisager une poursuite engagée par les héritiers et fondée sur la réparation du dommage moral, le dommage s'exprimant dans le « mépris de la volonté exprimée par le défunt »448]. Une des difficultés soulevées par le don d'organes, au-delà de celle de la définition même de la mort449] qui demeure une des questions les plus controversées450], dans un contexte juridique où cela relève de la volonté individuelle, est de convaincre les personnes à faire ce genre de don. L'autre difficulté consiste à savoir si la personne décédée a effectivement consenti ou non au prélèvement de ses organes. Afin de faciliter cette vérification, la loi encadre depuis 2005 la mise en place et la gestion d'un registre des dons d'organes et de tissus sous la responsabilité de la Chambre des notaires du Québec451]. Dans le souci de généraliser la pratique, le législateur est ensuite intervenu pour mettre en place un système global d'enregistrement des volontés en matière de don d'organes, encadré depuis 2011 par la Loi facilitant les dons d'organes et de tissus452]. Par ailleurs, l'introduction de l'aide médicale à mourir dans le portrait juridique canadien pose une nouvelle question, celle de la légitimité et de l'éthique du don d'organes par un patient bénéficiaire de l'aide médicale à mourir453]. Certains de ces patients représentent un grand potentiel de dons d'organe, mais on peut penser que ces personnes sont possiblement dans une situation de grande vulnérabilité. Il convient dès lors d'être vigilant afin d'assurer le caractère libre et volontaire du don dans un tel contexte. Par ailleurs, le respect de l'autonomie de la personne demeure un impératif et il serait discriminatoire de nier à quelqu'un le droit de donner ses organes pour la seule raison que cette personne a fait une demande d'aide médicale à mourir. La Commission de l'éthique en science et en technologie du gouvernement du Québec s'est penchée sur ces délicates questions et a formulé plusieurs recommandations454]. Ainsi, cet organisme recommande que la demande d'aide médicale à mourir soit traitée avant celle concernant le don et que les deux demandes soient examinées par des équipes distinctes. D'un autre côté, précise la Commission, ces équipes doivent respecter « l'autonomie du patient et sa volonté de faire don de ses organes ». 172 – Le prélèvement d'organes en l'absence de volontés exprimées ou connues – Lorsque la personne a exprimé verbalement ou par écrit sa volonté de faire don de ses organes, cette volonté suffit pour procéder aux prélèvements en cas de décès. Cette expression de volonté doit être respectée, sauf motif impérieux. Cependant, dans de nombreux cas, on ne connaît pas la volonté de la personne. La loi met donc en place un mécanisme qui reflète l'équilibre entre le respect du corps et l'utilité des prélèvements d'organes. L'article 44, alinéa 1 C.c.Q. autorise le consentement substitué par les personnes qui peuvent consentir aux soins. C'est donc le titulaire de l'autorité parentale ou le tuteur qui peut autoriser les prélèvements sur le corps d'un mineur (art. 14 C.c.Q.). Quant au majeur, la loi désigne d'abord le mandataire, le tuteur et, à défaut, le conjoint et, en dernière instance, un proche parent ou une personne qui démontre pour la personne un intérêt particulier, comme en matière de soins (art. 15 C.c.Q.). Ce pouvoir n'est pas accordé à l'héritier. Le cadavre, pas plus que le corps vivant, ne peut être considéré comme un bien et si les héritiers doivent honorer leurs morts et les ensevelir, ils n'en ont pas la Éditions Yvon Blais, une société Thomson Reuters. ©Thomson Reuters Canada Limitée. Tous droits réservés. Page 3 Du respect du corps après le décès GOUBAU, Dominique propriété. Droit extrapatrimonial, le droit sur le cadavre s'analyse comme un prolongement de la protection de la personne. Le pouvoir décisionnel en matière de don d'organes revient donc naturellement à ceux qui peuvent être les plus fidèles interprètes de la volonté de la personne. Ici encore, et dans le souci de sauver des vies humaines, l'urgence représente une importante exception à l'exigence du consentement. Entre l'inviolabilité du corps humain décédé et la vie des autres, le législateur fait un choix facile puisqu'en cas d'urgence et lorsque l'on peut raisonnablement espérer sauver une vie humaine ou en améliorer la qualité, les prélèvements sur le cadavre sont possibles455]. C'est un compromis entre la thèse du opting in (obligation de consentement) et celle du opting out (présomption de consentement)456] qui tend à privilégier la qualité de la vie. S'agissant d'un pouvoir exceptionnel, la loi le délimite strictement. On exige l'attestation écrite de deux médecins qui confirment que le consentement ne peut être obtenu en temps utile, qu'il y a urgence à procéder à l'intervention et qu'il existe un espoir sérieux de sauver une vie humaine ou d'en améliorer sensiblement la qualité. Afin d'éviter tout conflit d'intérêts, l'article 45 C.c.Q. précise en outre que le prélèvement ne peut être effectué avant que le décès du donneur n'ait été constaté par deux médecins qui ne participent ni au prélèvement ni à la transplantation. La manipulation, le stockage et l'utilisation des organes sont soumis à des règles fédérales particulières de sécurité et de contrôle457].

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