Pourquoi faut-il s'intéresser aux inégalités sociales de santé ? PDF

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Ce document étudie les inégalités sociales de santé. Il explique comment les inégalités sociales se traduisent par des inégalités de santé et examine divers modèles pour réduire ces inégalités. L'auteur souligne la complexité du problème et l'importance de la recherche pour développer des stratégies efficaces.

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# Pourquoi faut-il s'intéresser aux inégalités sociales de santé ? ## Introduction **Résumé :** La réduction des inégalités constitue le défi prioritaire des systèmes de santé dans la plupart des pays du monde. Existe-t-il des modèles pour les réduire ? Ce chapitre propose des balises conceptuell...

# Pourquoi faut-il s'intéresser aux inégalités sociales de santé ? ## Introduction **Résumé :** La réduction des inégalités constitue le défi prioritaire des systèmes de santé dans la plupart des pays du monde. Existe-t-il des modèles pour les réduire ? Ce chapitre propose des balises conceptuelles et méthodologiques aux décideurs et aux intervenants de terrain, de plus en plus interpellés sur cette question. Où l'on découvre qu'il n'existe pas de modèle miracle. Mais la connaissance a fortement progressé au cours des dernières décennies : ces modèles commencent à expliquer comment les inégalités sociales se transforment en inégalités de santé. Ils soulignent la très grande difficulté de l'évaluation et la pauvreté de la recherche sur l'efficacité des actions, laquelle doit impérativement être développée. Mais ils mettent aussi en avant l'existence de stratégies prometteuses. Toutes ces connaissances sont très largement inexplorées. La poursuite du développement des connaissances est cruciale ; elle permettra d'accroître l'efficacité des actions de réduction des inégalités de santé. **Mots clés:** inégalités sociales de santé, modèles, intervention, équité. ## Introduction Après des décennies passées à faire la preuve de l'existence des inégalités sociales de santé, on constate aujourd'hui que non seulement de telles inégalités existent mais qu'elles pourraient, du moins en partie, résulter - comme un effet inattendu - des actions des systèmes de santé, ainsi que le montre le chapitre de Potvin, Ginot et Moquet un peu plus loin dans cette section. Après une longue période d'oubli, la lutte contre les inégalités sociales de santé est redevenue une action prioritaire, une priorité devenue une urgence mondiale sous les effets de la crise économique. Si les appels nationaux et internationaux à l'action ne cessent de se faire plus pressants, il convient de se mettre à l'écoute des acteurs soucieux de s'engager dans l'action. Malheureusement, si on dispose aujourd'hui d'importantes données faisant état de ces disparités sur des indicateurs multiples de santé, les mesures à entreprendre pour diminuer les inégalités de santé et leur efficacité demeurent largement inexplorées. Cette situation contraste avec le foisonnement des actions entreprises localement auprès des publics défavorisés, qui se donnent explicitement cet objectif mais qui n'en mesurent pas toujours les effets réels, positifs ou négatifs. Or, on sait bien aujourd'hui que la bonne volonté ne suffit pas dans un champ aussi complexe et délicat. Il faut aussi reconnaître que le champ recouvert par la notion générique d'inégalités sociales de santé n'est pas toujours clair et que, idéalement, les modalités d'action pour s'attaquer à ces inégalités relèveraient moins de l'intuition et du militantisme que de la mise en place d'une véritable stratégie d'action mêlant différents niveaux d'intervention, d'acteurs et de responsabilités politiques. C'est pourquoi il nous est apparu essentiel d'introduire cet ouvrage par ce présent chapitre qui s'attarde à définir les inégalités sociales de santé, à expliquer la façon dont elles émergent, ainsi qu'à resituer la place et le rôle des acteurs de la promotion de la santé dans cette lutte. ## Comprendre les inégalités sociales de santé ### Précarité, pauvreté, exclusion, inégalités sociales de santé de qui ou de quoi parle-t-on ? Si pour les spécialistes du sujet ces concepts sont bien différenciés quant aux réalités et aux processus qu'ils recouvrent, ils sont souvent utilisés de façon interchangeable dans le langage courant pour désigner les publics en difficultés sociales et économiques. Cette indifférenciation terminologique tend à occulter les enjeux stratégiques propres à la spécificité des situations se rattachant à ces concepts. Il est donc crucial de clarifier ces notions pour appréhender plus efficacement les différentes figures des inégalités de santé et mieux y faire face. ### La précarité La précarité, ce sont l'instabilité, la fragilité des situations de vie. La notion de précarité englobe celle de pauvreté. Elle fait référence aux incertitudes et aux aléas qui pèsent sur les individus au-delà même de leurs ressources du moment. Pour aborder les situations de précarité, on peut se référer à la définition de Wresinski qui décrit la précarité comme "l'absence d'une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible." ### La pauvreté L'état de pauvreté concerne les personnes dont les ressources matérielles, culturelles et sociales sont si faibles qu'elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans l'État dans lequel elles vivent. La définition européenne de la pauvreté, adoptée par le Conseil des ministres de l'Union européenne du 19 décembre 1984, considère comme pauvres "les personnes dont les ressources matérielles, culturelles et sociales sont si faibles qu'elles sont exclues des modes de vie minimaux acceptables dans l'État dans lequel elles vivent." Cette définition met l'accent sur le caractère multi-dimensionnel de la pauvreté qui ne doit pas se réduire au seul revenu monétaire, mais aussi prendre en compte les conditions de vie des ménages pauvres au-delà de la privation matérielle. En France, l'étude des situations de pauvreté privilégie une approche monétaire dite relative, c'est-à-dire qui fixe le seuil de pauvreté en fonction du niveau de vie de l'ensemble de la population considérée. Un individu ou un ménage est alors considéré comme pauvre, au sens monétaire, lorsque son revenu disponible est inférieur à une certaine fraction du revenu médian de la population. Cette définition diffère de celle d'autres pays, comme aux États-Unis ou au Canada où l'on aborde la pauvreté de façon plus absolue avec des indicateurs qui mesurent la capacité d'acquérir un certain nombre de ressources fondamentales. Le seuil de pauvreté monétaire retenu dans les enquêtes françaises sur la question est souvent en décalage avec la pauvreté perçue qui prend plus largement en compte les conditions de vie et les difficultés rencontrées. En effet, vivre en situation de pauvreté implique un plus grand niveau de stress, un plus grand sentiment d'absence de contrôle de sa vie et de devoir composer avec moins d'opportunités et de ressources que les populations plus nanties matériellement ou socialement. ### L'exclusion sociale L'exclusion sociale consiste en un phénomène de relégation ou de marginalisation sociale de personnes ne correspondant pas ou plus au modèle dominant d'une société. Pour l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, l'exclusion n'a ni mesure ni définition. Elle est la négation ou le non-respect des droits fondamentaux et notamment des droits sociaux, ces derniers étant caractérisés par le droit à une certaine qualité de vie minimale, ainsi que par celui de participer aux principales institutions sociales et professionnelles. Pour des sociologues tels que Bourdieu ou Paugam, l'exclusion sociale consiste en un phénomène de relégation ou de marginalisation sociale de personnes ne correspondant pas ou plus au modèle dominant d'une société. Elle se caractérise par un processus plus ou moins brutal de rupture des liens sociaux, généralement non choisi et mal perçu socialement. Dans nos sociétés occidentales, on considère aujourd'hui que l'éloignement de la participation active au marché du travail constitue une situation d'exclusion. Dans son rapport à la Commission des déterminants sociaux de la santé de l'OMS, le réseau de développement de connaissances sur l'exclusion sociale définit l'exclusion non pas comme un état, ce qui demeure stigmatisant, mais comme un processus qui engendre les inégalités sociales de santé. Le processus d'exclusion trouve ses origines dans des relations de pouvoir inégales opérant dans quatre sphères de la vie : politique, économique, sociale et culturelle. ### Les inégalités sociales de santé Les inégalités sociales de santé font référence à la relation étroite entre la santé et l'appartenance à un groupe social. Pour le Groupe technique national de définition des objectifs, dans le cadre de l'élaboration de la loi relative à la politique de santé publique, on parle de précarité (qui peut être sociale, économique, juridique) pour qualifier des effets structurels s'appliquant aux individus les plus vulnérables (désaffiliation sociale, fragilité de l'emploi, instabilité du statut). On parle d'inégalités pour qualifier ces mêmes effets structurels analysés cette fois au niveau de la société tout entière (écarts entre des catégories dont certaines sont plus ou moins précaires). Les deux termes sont évidemment liés, mais la précarité concerne le bas de l'échelle sociale alors que l'étude des inégalités s'appuie sur des comparaisons entre groupes sociaux, comparaisons qui englobent généralement l'ensemble de la population. Les inégalités sociales de santé font référence à toute relation entre la santé et l'appartenance à une catégorie sociale. Elles renvoient aux écarts, généralement évitables, entre hommes et femmes, entre groupes socioéconomiques et entre territoires, qui ont un impact sur de nombreux aspects de la santé des populations. Pour l'anthropologue Didier Fassin, les inégalités sociales de santé sont le résultat des inégalités produites par les sociétés et qui s'expriment dans les corps. Autrement dit, les inégalités sociales de santé sont l'aboutissement des processus par lesquels le social passe sous la peau. ### Le Black Report [14] et le gradient de santé Le Black Report (rapport Black), paru en Angleterre en 1980, fut l'un des premiers à révéler que la position d'un individu dans la structure sociale est étroitement associée à son état de santé. Le gradient de santé sert à décrire le phénomène par lequel ceux qui sont au sommet de la pyramide sociale jouissent d'une meilleure santé que ceux qui sont directement au-dessous d’eux, et qui eux-mêmes sont en meilleure santé que ceux qui sont juste en dessous et ainsi de suite jusqu'aux plus bas échelons. Ce rapport qui jeta les bases de l'épidémiologie sociale constitue aujourd'hui encore une référence incontournable dans le domaine. Se basant sur un suivi longitudinal de cohortes appartenant à différents milieux sociaux en Grande-Bretagne, ce rapport démontre que si, globalement, l'espérance de vie et la morbidité évoluèrent favorablement après la mise en place d'un système de soins d'accès universel, les différences observées entre les groupes selon leur position sociale, soit entre travailleurs manuels et cadres supérieurs par exemple, ne se sont pas atténuées avec l'instauration d'un régime d'assurances universel. Depuis trente ans, l'accumulation des données dans ce domaine a permis de montrer que la relation entre l'état de santé et la position sociale n'est pas limitée aux groupes les plus défavorisés, mais qu'il existe un gradient entre les différentes mesures de la position sociale et l'état de santé. L'expression gradient de santé désigne cette association entre la position dans la hiérarchie sociale et l'état de santé. En d'autres termes, les personnes qui jouissent d'un statut social plus élevé sont en meilleure santé que ceux qui sont juste au-dessous et ainsi de suite jusqu'aux plus démunis. Cette démonstration constitue l'un des résultats les plus marquants et des plus robustes en épidémiologie sociale Par position sociale, on entend la situation d'un individu donné sur l'échelle sociale considérée le plus souvent en termes d'âge, d'éducation, de profession ou de niveau de revenus. Différentes lectures de cette définition existent recouvrant des enjeux méthodologiques et politiques propres, comme par exemple la prise en compte du genre ou de l'origine ethnique. Mais, indépendamment des caractéristiques propres à chaque individu, on considère que la position sociale correspond à un niveau de ressources matérielles, comportementales et psychosociales, ainsi qu'à l'exposition à certains facteurs de risque qui, en se combinant, produisent un niveau de santé. ### Inégalités de santé et équité Alors que les inégalités de santé décrivent des écarts entre des sous-groupes pour certains indicateurs de santé, l'équité en matière de santé renvoie à des aspects normatifs, à un jugement de valeur concernant le caractère juste ou injuste de ces écarts. La notion d'inégalité sociale de santé fait essentiellement référence à l'observation de différences quantitatives au regard d'un indicateur spécifique de santé entre des groupes dans une population. La question d'équité en matière de santé renvoie, quant à elle, à des aspects normatifs, à un jugement de valeur concernant les inégalités observées. Elle renvoie à la qualification, pour chaque société, des différences qui sont socialement acceptables, compte tenu des valeurs et des conditions d'existence. Il existe donc plusieurs façons de définir l'équité; la distribution d'un bien ou d'une ressource ne se fait pas simplement sur une base égalitaire, mais doit aussi prendre en compte la pertinence de cette ressource, compte tenu des besoins différentiels de chacun. Pour ce qui est de l'équité en matière de santé, Armatya Sen, récipiendaire d'un prix Nobel d'économie, suggère que celle-ci joue un rôle central dans la poursuite de la justice sociale. Contrairement à d'autres ressources, la santé est une dimension essentielle de la capacité humaine de poursuivre des buts et des objectifs de vie. La question de la distribution équitable des ressources qui mènent à la santé est donc au cœur des débats de justice sociale. Un tel débat suppose cependant que l'on s'entende sur deux éléments essentiels. Le premier élément est l'identification des ressources pertinentes qui doivent faire l'objet d'une distribution équitable, compte tenu de leur rareté. Ainsi on ne jugera pas équivalentes des ressources qui sont gérées et distribuées par l'État comme l'accès aux soins, et des ressources qui sont plutôt liées à des comportements individuels, comme l'alimentation, même si ceux-ci sont souvent façonnés par des conditions environnementales hors du contrôle des individus. Le second élément est l'identification des différences jugées acceptables dans le niveau d'obtention de cette ressource entre des groupes spécifiques. Les caractéristiques, tels l'âge, le genre, l'orientation sexuelle, l'origine ethnique, le statut de pauvreté, la culture, sont souvent utilisées comme paramètre de justice en matière de santé. ## Comment les inégalités sociales se transforment-elles en inégalités de santé ? Plusieurs auteurs se sont efforcés de rendre compte de la complexité des déterminants sociaux en modélisant de façon synthétique l'ensemble des résultats de recherches en la matière. Il existe dans la littérature une grande variété de modèles, plus ou moins dynamiques, et permettant plus ou moins de hiérarchiser la part respective des différents déterminants qui participent à la genèse des inégalités au sein d'une société et qui structurent les inégalités de santé. Suivant leurs orientations, on voit pour chacun se dessiner les points d'entrée pour des actions. Nous présenterons ici les principaux modèles qui font autorité dans le domaine. ### L'approche écosociale Le modèle de Dahlgren et Whitehead présenté à la figure 1 est sans doute le plus connu et le plus utilisé en épidémiologie sociale. Il tente d'articuler les trois niveaux d'expression des déterminants sociaux: individuel, environnemental et sociétal. La pluralité de ces déterminants est ici illustrée en couches superposées avec, au centre, les individus, caractérisés par leur âge, leur genre et des facteurs constitutifs (génétiques par exemple), dont l'effet sur la santé est indéniable, mais qui sont généralement inchangeables. Immédiatement au-dessus, on trouve les comportements individuels et notamment les facteurs de risque (tabac, alcool et autres) dont on sait qu'ils affectent plus fréquemment les personnes désavantagées. La strate suivante montre les influences de la société, de la communauté et des réseaux sociaux dans lesquels s'inscrivent les individus. Dans les zones marquées par un plus grand dénuement, on sait par exemple que l'organisation en réseau est rendue plus difficile de même que l'accès à des services ou à des équipements sociaux et sanitaires. Dans la strate supérieure, on trouve les facteurs liés aux conditions de vie et de travail, l'accès aux ressources, aux infrastructures et services essentiels. Ici, les mauvaises conditions de logement ou de travail (stress, exposition à des substances toxiques par exemple) et un accès limité aux services exposent les personnes socialement défavorisées à des risques différentiels. Enfin, au-dessus de tous les autres niveaux, on trouve les conditions socioéconomiques, culturelles et environnementales présentes dans l'ensemble de la société. Ici, la situation économique (richesse) d'un pays et le marché du travail, par exemple, ont un impact sur toutes les autres strates. La richesse d'un pays peut influencer les choix et les capacités d'un individu à se loger, à trouver un travail, à accéder à des soins de qualité, ou à des modes de consommation. De la même façon, on sait que certains aspects d'ordre culturel ou relevant de croyances peuvent influencer fortement les attitudes (rapport aux communautés minoritaires ou place des femmes). Autrement dit, les individus tendent à incorporer différents aspects de leur contexte de vie et de travail qui interagissent de façon directe et synergique entre exposition, susceptibilité et résistance à la maladie. Les effets cumulés dans le temps de l'exposition à ces différents facteurs fragilisent la santé exerçant en retour un impact sur la situation sociale. ### Le modèle de Diderichsen et Hallqvist : stratification sociale et genèse de la maladie Ce modèle adapté par Diderichsen, Evans et Whitehead en 2001 met l'accent sur la façon dont les contextes sociaux génèrent une stratification sociale et affectent les individus en fonction de leur position sociale. La figure 2 illustre la façon dont la position sociale des individus influence leur santé et leur capacité à faire des choix plus "sains" pour eux. La flèche A renvoie aux facteurs qui produisent des positions sociales différenciées. Il s'agit des facteurs structurels inscrits au plus profond de l'organisation sociale comme la répartition du pouvoir, des richesses ou des risques (par exemple : le système éducatif, les politiques de l'emploi, les normes relatives au genre ou aux minorités ethniques, les institutions politiques). La flèche (I) indique comment la stratification sociale génère à son tour une exposition différentielle aux risques ou à des conditions défavorables pour la santé (II) produisant alors une vulnérabilité différentielle (III), qui aboutit à des états de santé différentiels. Enfin, le bloc des conséquences sociales illustre les effets consécutifs de l'état de santé sur les conditions de vie, d'emploi, etc., d'un individu ou de sa famille. ### Le modèle de Mackenbach : effet de sélection et relations de causalité Le modèle de Mackenbach, présenté à la figure 3, met l'accent sur les mécanismes qui génèrent des inégalités par effet de sélection ou par relation de cause à effet. L'effet de sélection est illustré par les flèches qui portent le numéro 1 qui montrent comment des problèmes de santé survenus dans l'enfance se répercutent sur la situation socioéconomique et les états de santé à l'âge adulte. L'intérêt de ce modèle est de prendre aussi en compte la façon dont les problèmes de santé survenus à l'âge adulte affectent la situation sociale et économique. Les relations de causalité entre la position socioéconomique et les problèmes de santé sont représentées par les flèches qui portent le numéro 2. Elles impliquent trois groupes de déterminants intermédiaires : ceux liés au mode de vie, ceux de nature structurelle ou environnementale, et enfin les facteurs psychosociaux liés au stress. ### Le modèle des influences multiples tout au long de la vie (life course model) Ce modèle positionne les inégalités sociales de santé comme le résultat d'expositions multiples et différentielles à certains risques (environnementaux, psychologiques et comportementaux) dès le plus jeune âge et tout au long de la vie. Il met l'accent sur les effets à long terme des événements précoces et des événements de vie sur la santé à l'âge adulte. Il illustre l'idée d'un effet cumulatif des événements précoces associés à des conditions négatives (ressources matérielles, événements de vie, santé, carrière professionnelle, statut de l'emploi) qui ne se réduisent pas à une simple agrégation de facteurs différentiels mais qui se fondent dans les trajectoires individuelles, conduisant à une accumulation de situations d'événements et de conditions défavorables. Pour Pierre Aïach, les écarts de santé sont à rechercher dans l'accumulation des désavantages/avantages sociaux et psychologiques qui participent, tout au long de la vie, à accentuer les écarts de santé, l'expression précoce de maladies, de leur évolution plus ou moins grave et dans la survie différentielle, une fois ces maladies déclarées. Dans ce processus cumulatif, deux effets jouent un rôle essentiel: un phénomène d'amplification où l'effet produit par la survenue d'un facteur de risque ou un désavantage physique ou social est démultiplié lorsqu'on se situe dans un groupe marqué par des formes diverses de vulnérabilité, et un effet d'augmentation ou de maintien des inégalités qu'Henry Deleek (cité par Aïach et Cèbe) définit comme la tendance de ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie sociale à tirer davantage profit des mesures sociales et politiques de redistribution des ressources que les groupes socioéconomiques plus bas. Aïach et Cèbe parlent d'une disposition différentielle à s'approprier les progrès accomplis en matière de thérapeutiques et de technologies ou à adopter les comportements favorables à la santé. Si tous ces modèles ont la volonté d'expliquer les mécanismes producteurs des inégalités de santé, leurs divergences sont notoires: intégration ou non d'une perspective tout au long de la vie qui met la priorité sur les événements et les conditions de vie du plus jeune âge, prise en compte ou non de l'effet inverse de la santé sur le statut social et économique, importance donnée aux mécanismes biologiques ou ignorance totale de ces aspects. ### La Commission des déterminants sociaux de la santé (CDSS) de l'OMS La Commission des déterminants sociaux de la santé de l'OMS, formée en 2005, regroupe des responsables politiques, des universitaires, d'anciens chefs d'État et des ministres. Présidée par l'épidémiologiste britannique Sir Michael Marmot, cette Commission a pour objectif d'étudier les données disponibles pour en tirer des recommandations relatives aux interventions et aux politiques efficaces afin d'améliorer la santé des populations et de réduire les inégalités en matière de santé. L'originalité de ce travail tient à la composition de la Commission, à l'état d'esprit qui a prévalu dans l'abord du phénomène ainsi qu'à la procédure de recueil de données. La Commission a axé ses travaux sur les "causes des causes" des inégalités dans et entre pays, c'est-à-dire les facteurs sociaux qui déterminent la façon dont les gens grandissent, vivent, travaillent et vieillissent. Elle a appuyé ses travaux sur l'idée que les inégalités de santé résultent d'interactions complexes entre différents facteurs présents aux niveaux mondial, national et local. Le contexte mondial tient une place prépondérante dans les travaux de la Commission et le positionne à la source des relations internationales qui façonnent elles-mêmes les normes et les politiques nationales. Ces normes et ces politiques viennent à leur tour influencer l'organisation des sociétés aux niveaux national et local. Cette organisation sociale est à l'origine des positions et de la hiérarchie sociale des individus. Pour parvenir à ses objectifs, la Commission a développé neuf réseaux de connaissances, composés d'universitaires et de praticiens issus du monde entier ayant pour mandat de recueillir des données sur les politiques et les interventions susceptibles d'améliorer la santé et de réduire les inégalités de santé. Ces réseaux touchaient le développement du jeune enfant, les conditions de travail, la mondialisation, la condition féminine et l'égalité des sexes, les milieux urbains, l'exclusion sociale et le système de santé. La Commission a, par ailleurs, conclu de nombreux partenariats avec plusieurs pays déterminés à combattre les inégalités sociales de santé ou à participer activement au changement à l'avenir. En amont, la Commission a dû surmonter les limites des modèles présentés ci-dessus et travailler à l'élaboration d'un cadre conceptuel plus intégré des déterminants sociaux. Il en résulte le modèle présenté à la figure 4. Ce dernier montre l'accent mis par la Commission sur les causes fondamentales sociales et structurelles des inégalités sociales de santé - les "causes des causes" - et illustre la façon dont elles agissent sur d'autres facteurs intermédiaires et successifs pour déterminer in fine les états de santé différentiels des populations. Il constitue aujourd'hui le modèle le plus abouti pour expliquer la genèse des inégalités sociales de santé. ## Agir sur les inégalités sociales de santé : les conditions de l'action ### La place/légitimité de la promotion de la santé dans la lutte contre les inégalités sociales de santé En 1986, la première conférence internationale pour la promotion de la santé posait les principes fondamentaux du champ et définissait son cadre d'action à travers l'identification d'un certain nombre de déterminants sociaux de la santé, tels la sécurité, un abri et autres éléments, ayant une influence sur des facteurs de risques connus comme le tabagisme, la consommation d'alcool, les habitudes alimentaires ou l'inactivité physique. Ces déterminants regroupaient des facteurs économiques et sociaux, tels le revenu, l'éducation, l'emploi et les conditions de travail. Depuis plus de vingt ans, dans le cadre de son activité, la promotion de la santé s'efforce de donner aux populations la possibilité et les moyens d'assurer un plus grand contrôle sur leur santé en développant les compétences personnelles, en agissant sur les milieux favorables, en suscitant le développement de politiques adaptées aux besoins, en renforçant l'action de proximité, et en réorientant les services de santé vers des actions plus globales. De plus, la charte d'Ottawa pour la promotion de la santé, adoptée à cette occasion par l'OMS-Europe, énonçait une série d'engagements de la part des États signataires dont la poursuite de l'équité en matière de santé en se fondant d'emblée sur un principe de justice sociale. Ses rédacteurs soulignaient que "ses interventions ont pour but de réduire les écarts actuels caractérisant l'état de santé et d'offrir à tous les individus les mêmes ressources et possibilités pour réaliser pleinement leur potentiel santé". À la différence de toute autre politique européenne ou d'envergure nationale, la charte se plaçait d'emblée à l'échelle internationale. "C'était le premier et, jusqu'à maintenant, c'est encore le seul document qui établit un agenda pour la santé. " ### Rôle du secteur santé et des décideurs dans la lutte contre les inégalités sociales de santé La première conclusion des travaux de la Commission des déterminants sociaux de la santé de l'OMS (CDSS) avance que les principaux facteurs qui façonnent les inégalités de santé dans les sociétés se trouvent à l'extérieur du domaine d'action traditionnellement dévolu à la santé. En effet, la régulation des conditions de vie et de la distribution inéquitable du pouvoir, de l'argent et des ressources est généralement assurée par d'autres secteurs de l'activité des pouvoirs publics. L'action intersectorielle, qui est une réponse administrative au cloisonnement résultant de la spécialisation des fonctions et de la concentration des compétences au sein des administrations publiques, est maintenant construite comme un passage obligé pour aborder les problèmes complexes, dont les inégalités sociales de santé. C'est donc l'ensemble de l'appareil administratif qui doit être interpellé par la question des inégalités sociales de santé, ce qui ne libère pas pour autant le secteur sanitaire de l'exercice du leadership nécessaire pour la poursuite d'objectifs d'équité en matière de santé. Cet exercice de leadership se décline selon quatre niveaux d'engagement. Le premier niveau est d'abord et avant tout un engagement du secteur sanitaire pour réduire les inégalités sociales de santé. Cet engagement se traduit généralement par l'identification de la réduction des inégalités sociales de santé comme une priorité sectorielle, au même titre que l'amélioration de la santé de la population. Un tel engagement constitue une condition préalable nécessaire pour légitimer les interventions suivantes: l'action des décideurs pour développer des partenariats avec d'autres secteurs, la constitution de bases de données qui contiennent les informations nécessaires à la surveillance des inégalités sociales de santé, l'établissement de stratégies et de plans d'actions pour mettre en œuvre cette priorité, et l'évaluation des programmes selon leurs effets sur les inégalités sociales de santé. Au deuxième niveau, il appartient aux acteurs de la santé de développer les nécessaires partenariats avec les autres secteurs de l'administration publique mais aussi avec la société civile et le secteur corporatif pour développer et mettre en œuvre des stratégies qui visent à transformer les conditions qui sont à l'origine des inégalités sociales de santé. À un troisième niveau et suivant l'exemple récent de certaines administrations publiques comme au Québec et en Finlande, il est possible de conférer au ministre de la Santé des pouvoirs d'analyse, de révision et de recommandation des projets législatifs en fonction de leur impact sur la santé des populations, notamment sur les écarts qui existent entre certains groupes de populations. Une telle institutionnalisation des évaluations d'impact sur la santé requiert cependant au préalable le développement de capacités qui ne sont pas toujours présentes dans les ministères. À un quatrième niveau d'engagement, le secteur sanitaire doit mettre en œuvre les actions nécessaires pour atténuer l'impact des inégalités sociales sur la santé dans un plan d'action et des stratégies concertées. Il est généralement reconnu que les personnes les plus vulnérables socialement sont aussi celles pour lesquelles l'utilisation des services de soins se situe parmi les plus faibles, et ce, en dépit des régimes d'assurance universels. ### Rôle des intervenants de terrain dans la lutte contre les inégalités sociales de santé Les intervenants de terrain forment l'interface entre le système de santé, la population et les intervenants des autres secteurs de l'administration publique. Ils ont une double responsabilité : 1) mettre en œuvre localement des programmes qui traduisent les priorités nationales en action; 2) faire remonter auprès des planificateurs les besoins et les expériences vécues des populations pour nourrir les exercices de planification, les acteurs de terrain ont la responsabilité de mettre en œuvre les actions intersectorielles et d'opérer directement les ajustements, les négociations et les alignements nécessaires au bon fonctionnement de ces partenariats. Ce sont aussi aux acteurs de terrain que revient la tâche de mobiliser les associations de la société civile qui, souvent, portent la parole au nom des groupes les plus démunis. En contrepartie, les acteurs de terrain jouent un rôle clé dans la capacité du système à adapter ses priorités et son action en fonction des besoins de la population. Opérateurs locaux au cœur de l'action, leurs rapports fournissent les données essentielles à la fois sur les besoins de la population et sur les écarts entre les intentions de programmes et les possibilités réelles d'implantation, compte tenu de l'environnement. La recherche récente montre bien l'irréalisme d'une conception du travail des opérateurs locaux comme de simples courroies de transmission entre une intention ministérielle et les besoins de la population. Ce sont de véritables médiateurs dont la fonction essentielle est de réinterpréter et de traduire les intentions des programmes pour les relier aux intérêts des acteurs clés qui agissent localement de même qu'aux circonstances particulières des populations auprès desquelles ils travaillent. ### Rôle de la recherche dans la lutte contre les inégalités sociales de santé La troisième recommandation de la CDSS de l'OMS est d'accroître la recherche sur les inégalités sociales de santé à trois niveaux: 1) mesurer le problème, 2) comprendre ses mécanismes, 3) évaluer l'impact des actions. Bien qu'essentielles, ces trois formes de recherche n'ont certes pas la même reconnaissance dans les faits. Les études épidémiologiques, qui permettent d'identifier l'expression des inégalités sociales en inégalités de santé, sont maintenant légion dans la littérature scientifique. Les variables qui mettent en évidence la structuration sociale des phénomènes de santé sont bien identifiées; leur association avec la plupart des indicateurs de la santé de la population est robuste pour les sociétés occidentales. On peut se fier aux données de recherche pour identifier les objectifs à poursuivre de façon à réduire les inégalités sociales de santé. Le défi le plus important en ce qui concerne la mesure du phénomène réside dans la mise en place de systèmes nationaux de surveillance qui recueillent les informations sociales et sanitaires nécessaires pour établir cette surveillance. En ce qui concerne la recherche étiologique nécessaire pour comprendre les mécanismes par lesquels les inégalités sociales se transforment en inégalités de santé, et qui constitueraient des cibles potentielles pour les interventions de réduction des inégalités de santé, malheureusement les résultats de recherche sont beaucoup moins probants. En effet, bien que certains mécanismes comme le stress lié au manque chronique de ressources et l'accumulation des risques tout au long de la vie apparaissent régulièrement sur la liste des mécanismes suspects, il reste encore beaucoup d'incertitudes quant aux cibles spécifiques que devraient viser les actions de réduction des inégalités sociales de santé. Enfin, les besoins de recherche les plus criants concernent l'évaluation des interventions de réduction des inégalités de santé. Il n'existe que très peu de recherches sur les effets des interventions qui visent à augmenter la santé de la population générale, la mesure des effets d'interaction avec les variables sociales étant encore plus rare. Selon la méthode épidémiologique habituelle-ment utilisée, le chercheur contrôle les variables sociales et les variations dans les conditions de mise en œuvre des actions; il ne mesure pas en quoi elles interagissent avec les interventions pour produire les effets observés. Bref, si l'état actuel de nos connaissances permet d'identifier adéquatement pourquoi il est nécessaire d'agir pour réduire les inégalités de santé, les connaissances sont beaucoup moins probantes quant aux objectifs spécifiques de ces interventions et encore moins en ce qui concerne comment ces actions doivent être développées et mises en œuvre. C'est pourquoi il est important de coupler les actions de réduction des inégalités de santé avec des dispositifs de recherche qui permettront le développement des connaissances nécessaires au déploiement d'actions efficaces de réduction des inégalités de santé. ## Conclusion La santé publique, qui, depuis le milieu du xixe siècle, incarne la responsabilité étatique de la santé des populations, subit, depuis la fin du xxe siècle, des transformations majeures. En effet, il n'est plus suffisant de cibler l'objectif utilitariste d'augmenter la santé des populations d'une manière globale. Depuis la déclaration d'Alma Ata en 1978 qui proposait le slogan "La santé pour tous en l'an 2000", les organisations nationales et internationales de santé publique sont interpellées pour poursuivre des objectifs d'équité en matière de santé et de justice sociale. Les inégalités sociales de santé, quelles que soient leur expression ou leur origine, deviennent, dans un nombre croissant de pays, le défi prioritaire des systèmes de santé. La recherche sur les inégalités sociales de santé produit chaque année un nombre de plus en plus important d'articles, de livres ou de rapports. Les chercheurs, tout comme les décideurs, commencent à s'entendre sur certaines définitions de même que sur certains modèles qui permettent d'expliquer comment les inégalités sociales se transforment en inégalités de santé. Dans ce chapitre, nous fournissons aux intervenants les outils de base pour appréhender ce champ. Malheureusement, comme l'a souligné le rapport Marmot, lorsqu'il s'agit de problématiques aussi complexes que celle des inégalités sociales de santé, la traduction en action des éléments d'un modèle explicatif ne coule pas de source. L'enchevêtrement des facteurs en cause et la forte composante normative du phénomène font en sorte que l'action sur les inégalités sociales de santé dépasse largement les solutions d'expert. D'ailleurs, la pauvreté des résultats de recherche concernant l'efficacité des actions de réduction des inégalités sociales de santé témoigne de cette énorme difficulté de planifier, de mettre en œuvre et d'évaluer des actions de lutte contre les inégalités de santé. Cette pauvreté des résultats ne devrait pas mener au découragement ni à déclarer le problème insoluble, bien au contraire. Dans cet ouvrage, nous apportons quelques balises conceptuelles et méthodologiques aux intervenants qui se sentent interpellés par cette question des inégalités sociales de santé. Pas plus que les autres réseaux, commissions, comités d'enquêtes, notre groupe n'est à même de proposer des actions spécifiques. Nous croyons cependant que certaines stratégies sont plus prometteuses, et c'est pourquoi nous dédions une section entière aux politiques publiques, une autre aux approches en partenariat, en plus d'explorer les expériences menées à l'intérieur du système de soins. Enfin, nous croyons que c'est en réfléchissant sur les actions entreprises que l'on pourra dégager des principes d'action pour lutter contre les inégalités sociales de santé

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