DPF - Intro - C2 - Les Évolutions Du Droit De La Personne Et De La Famille (2023-2024) PDF
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This chapter introduces the evolution of family law and the rights of individuals within the family. It discusses traditional and modern families, and the changes in legal frameworks from historical periods to the present day.
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CHAPITRE 2 LES EVOLUTIONS DE LA FAMILLE ET DU DROIT DE LA PERSONNE ET DE LA FAMILLE Table Section 1. La famille tradition...
CHAPITRE 2 LES EVOLUTIONS DE LA FAMILLE ET DU DROIT DE LA PERSONNE ET DE LA FAMILLE Table Section 1. La famille traditionnelle et le droit d’ancien régime (jusqu’au XVIIIe siècle)............................................ 2 A. La famille traditionnelle.............................................................................................................................. 2 B. Le droit de la famille d’Ancien Régime....................................................................................................... 3 Section 2. La première famille moderne et le Code Napoléon.................................................................................. 4 A. La première famille moderne (1700-1960’s).............................................................................................. 4 B. Le Code Napoléon (1804) : l’indisponibilité................................................................................................ 6 1. L’imposition d’un modèle familial unique.............................................................................................. 6 2. La prévalence du collectif : hétéronomie et hiérarchie......................................................................... 7 3. La soumission des individus à des normes générales et abstraites....................................................... 8 4. Le contrôle exercé par le pouvoir judiciaire........................................................................................... 8 Section 3. La seconde famille moderne (1965) et les réformes du droit de la personne et de la famille................. 9 A. La seconde famille moderne ou la famille « postmoderne » (1965).......................................................... 9 B. Les réformes du droit de la personne et de la famille : la désinstitutionnalisation.................................. 10 1. La renonciation aux modèles............................................................................................................... 11 2. L’affirmation de l’individu : liberté et égalité....................................................................................... 12 3. La dilution des normes générales et abstraites................................................................................... 13 4. La délégation du pouvoir de dire la norme au juge et aux parties....................................................... 14 Section 4. Le futur de la famille et du droit de la personne et de la famille............................................................ 15 A. L’ambiguïté de la postmodernité familiale............................................................................................... 15 B. La recherche (permanente) d’un équilibre ténu....................................................................................... 16 Pour situer la famille que les sociologues qualifient aujourd’hui de traditionnelle, il est nécessaire de rappeler préalablement comment on peut appréhender, par rapport à nos sociétés modernes, la société traditionnelle. On décrit souvent la société traditionnelle comme une société « holiste », parce que l’homme ne s’y définit pas à partir de son individualité propre, mais, au contraire, comme englobé dans un « ordre du monde » qui constitue un « tout », qui lui assigne sa signification et auquel il se trouve « totalement » soumis. La société holiste est dès lors constituée, pour reprendre l’expression de Marcel Gauchet, « à base d’antériorité et de supériorité du principe d’ordre collectif sur la volonté des individus »1. Ce principe d’ordre collectif est lui-même d’essence religieuse, parce qu’il trouve sa source et son fondement dans un au-delà de l’homme : la puissance divine. Dès lors, dans la société holiste, le rapport de l’homme aux choses, son rapport aux autres et son rapport à lui-même y sont vécus comme si ce n’était pas l’homme qui les faisait advenir mais comme s’ils avaient été instaurés depuis toujours par Dieu. C’est par conséquent dans un « ailleurs » des hommes que réside l’ori- gine et l’essence des valeurs et des règles qui déterminent le comportement quotidien de l’homme. Gauchet qualifie alors la structure mentale de l’individu dans cette société traditionnelle, holiste ou totale organisée par Dieu de « posture symbolique d’appartenance ». L’être humain se conçoit comme appartenant à un « ordre des choses » qu’il ne perçoit pas comme relevant de son auto- nomie mais par rapport auquel il est au contraire comme dépossédé de lui-même. Les caractéristiques fondamentales de la société holiste sont dès lors : - L’hétéronomie : L’individu est entièrement institué par l’ordre du monde qui structure la so- ciété et sa manière de se comporter lui est imposée par des normes et des injonctions qui viennent d’ailleurs que lui-même. - La hiérarchie : Dans cet ordre du monde qui structure la société, chacun est assigné à une place et à un rôle spécifiques inscrits dans un ordre hiérarchique et il lui appartient de se soumettre à l’autorité de ceux qui lui sont hiérarchiquement supérieurs. - La tradition : On vit et on est contraint de vivre en respectant les règles et les usages sociaux transmis par la tradition parce que le sens de l’existence consiste à répéter et à reproduire ce qu’on a reçu et qu’on est soi-même tenu de transmettre aux générations ultérieures. Puisque la société holiste constitue un « tout », elle intègre toutes les dimensions de la vie hu- maine (religieuse, politique, économique, culturelle) y compris la vie familiale. La famille tradi- 1 M. GAUCHET, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, Paris, 1985, p. 18. 2 tionnelle n’est donc pas constituée en un champ autonome, elle n’est pas séparée de la vie so- ciale. Au contraire, elle est elle-même subordonnée au principe d’ordre collectif qui régit le monde et les hommes. Elle n’est, en d’autres termes, qu’un des éléments ou un des chaînons du « grand tout social ». Cette situation explique que la famille ne constituait pas, dans la société traditionnelle, un projet en tant que tel. Selon l’historien de la famille Philippe Ariès, elle « n’exis- tait pas comme sentiment ou comme valeur » et on ne vivait d’ailleurs pas « en famille »2. La famille et les liens familiaux étaient dans ce contexte perçus comme totalement étrangers à la volonté individuelle. Les statuts, les rôles et les comportements au sein de la famille étaient défi- nis et assignés par la collectivité. Pour reprendre une analyse devenue classique, on peut dire que la famille n’était, dans la société traditionnelle, qu’une « unité de production » et une « unité de reproduction » qui permettait, à l’instar des autres institutions sociales, de perpétuer l’ordre du monde voulu et dirigé par Dieu. Voici comment l’historien Jean-Louis Halpérin décrit le droit de la famille d’Ancien Régime : Il est possible d’identifier la présence, à la fin de l’Ancien Régime, de différentes traditions juri- diques en matière familiale. Celles-ci résultent du jeu complexe des divisions religieuses, des spé- cificités coutumières, enfin de l’opposition entre les pays de droit civil ayant reçu le droit romain, et l’Angleterre avec la spécificité de son common law. Il serait bien difficile de dessiner une carto- graphie exacte de ces droits de la famille qui manquent d’homogénéité et dont les limites territo- riales ne recoupent pas celles des États. Au XVIIIe siècle, le premier critère de différenciation dans notre domaine est religieux : le droit du mariage et, pour une part, celui de la filiation ont leur source dans la confession qui, presque tou- jours, a une position officielle et monopolistique dans chaque État. Les pays catholiques ne con- naissent que le mariage-sacrement, indissoluble et soumis au droit canon. Les pays protestants imposent une bénédiction par le pasteur de l’Église établie et admettent, de manière plus ou moins restrictive, des formes de divorce. L’anglicanisme est sur ce point plus proche du droit canon catholique que du protestantisme luthérien ou calviniste. Dans les territoires où l’orthodoxie do- mine, les règles relatives à la rupture du mariage ont également leur particularité. Les populations converties à l’islam dans les Balkans sont sous l’empire du Coran. […] Il ne faut pas confondre les immixtions législatives ou judiciaires des États dans le domaine du mariage et les premières formes de mariage civil, marginales en 1789. Le mariage célébré devant un juge laïc n’est possible qu’aux Pays-Bas et, en France, pour les protestants seulement depuis 1787. La pénétration du droit romain est la source d’autres lignes de fracture. Dans les pays les plus romanisés – ceux du sud de l’Europe, mais aussi les Pays-Bas et l’Allemagne – prévaut en principe la puissance paternelle perpétuelle. Celle-ci subsiste, quel que soit l’âge des enfants, jusqu’à la mort du père. En réalité, dans de nombreux territoires, cette puissance s’éteint lors du mariage des enfants suivi d’une habitation séparée ou à l’arrivée d’une majorité émancipatrice, souvent fixée à 25 ans par les coutumes. Le common law anglais n’est pas très différent sur ce terrain, sinon pour reconnaître une majorité plus précoce à 21 ans. Partout en Europe, par l’effet de la puissance maritale ou de l’absorption de la personnalité de l’épouse dans celle de son mari, la femme mariée est considérée comme juridiquement incapable […]. La première vague de codification, qui a donné lieu à la promulgation du Code général prussien (1794), du Code civil français (1804) et du Code civil autrichien (1811), puis des codes inspirés par 2 P. ARIES, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Seuil, coll. Points, Paris, 1973, p. 309. 3 ces modèles, est beaucoup moins audacieuse en matière de droit de la famille : elle réalise un compromis, variable d’un pays à l’autre, entre la tradition et certains apports des Lumières 3. On s’accorde généralement à considérer que c’est au cours des XVIIème et XVIIIème siècles qu’ont eu lieu, en Occident, le passage de la société traditionnelle à la première société moderne, de même que le renversement des termes de la relation entre l’individu et le « grand tout social ». L’homme se perçoit comme étant lui-même le centre et le maître d’un univers qui devient le sien propre. L’individu est affirmé comme sujet pensant et comme acteur de sa destinée personnelle et c’est à partir de lui que l’espace social est remis en perspective, redessiné et reconstruit. Dans la société moderne et démocratique, « la dispersion des atomes indépendants est réputée pre- mière et l’ordre de l’ensemble est censé résulter de la libre expression des citoyens assemblés »4. La Révolution française constitue à cet égard un moment particulièrement significatif qui marque l’avènement de la liberté de l’homme. L’humanité se délivre de la croyance qu’il existerait un ordre des choses d’essence divin auquel on ne pouvait que se soumettre et l’être humain indivi- duel apparaît désormais comme capable, par l’exercice de sa raison et de sa volonté, de définir lui-même le sens de son existence et de construire lui-même les modalités et les règles du « vivre ensemble », c’est-à-dire de ses relations avec autrui. Marcel Gauchet écrit à cet égard que « là se joue, quelque part autour de 1700, écrit, la fracture la plus profonde, certainement jamais surve- nue dans l’histoire : l’établissement du devenir des hommes aux antipodes de sa logique d’origine et de son mode de presque toujours »5. Gauchet qualifie alors la structure mentale de l’individu dans la société moderne, individualiste ou démocratique de « posture symbolique de confrontation » : l’être humain détermine les con- ditions vivre ensemble en faisant usage de son autonomie et en prenant, d’une certaine façon, possession de lui-même. Encore faut-il bien préciser que l’état d’esprit holiste, c’est-à-dire le sentiment de l’individu d’ap- partenir à une « totalité », n’a pas d’emblée entièrement disparu. Il s’est en quelque sorte dé- placé, à partir du XVIIIème siècle, du grand « tout » caractéristique de la société holiste vers l’Etat- nation et vers la famille. L’on n’avait plus le sentiment d’appartenir à un « tout » social insécable d’essence divine, mais l’on n’avait par contre le sentiment d’être défini par son appartenance à un Etat et à une famille qui émergeaient comme des collectivités à la constitution desquelles présidait non plus la volonté divine mais celle des hommes démocratiquement exprimée. Corré- lativement, le comportement des individus restait encore potentiellement déterminé dans les sphères étatique et familiale par un ordre des choses procédant de finalités collectives auxquels l’individu est nécessairement tenu de se soumettre. 3 J.-L. HALPERIN, « Les fondements historiques des droits de la famille en Europe. La lente évolution vers l’égalité », Informations sociales, 2006/1, pp. 45-47. 4 M. GAUCHET, Le désenchantement du monde, précité, p. 18. 5 M. GAUCHET, précité, p. 233. 4 La famille a donc cessé d’appartenir à un « grand tout social » et opéré sa « privatisation ». Elle a « rompu les amarres »6 avec la société plus vaste à laquelle elle appartenait, s’est « retranchée du monde »7 en érigeant le mur de sa vie privée et – suivant la formule de Jean-Claude Kaufmann – s’est constituée en un cercle privé voué à l’affection, à l’intimité domestique et à la « chaleur du foyer »8. La première famille moderne telle qu’elle apparaît dans la classe bourgeoise pour se répandre ensuite dans les différentes couches de la société se caractérise donc tant dans les men- talités que dans l’aménagement de la vie quotidienne (l’organisation de l’habitat, le rythme du déroulement de la vie quotidienne, les repas familiaux, les fêtes familiales, etc.) par un « chacun chez soi » en opposition totale avec la sociabilité communautaire qui caractérisait la société tra- ditionnelle. Mais, ainsi qu’on l’a déjà souligné, la famille du XVIIIe siècle a en quelque sorte transposé à l’in- térieur d’elle-même les valeurs holistiques de la société traditionnelle. La manière dont l’individu se comporte dans sa vie privée et familiale restera dès lors déterminée par un ordre « naturel » des choses auquel l’individu est nécessairement tenu de se soumettre. Au sein de la famille bour- geoise ou nucléaire, le sens de l’existence est prédéfini et chacun se voit attribuer un statut et un rôle qu’il ne peut choisir ou élaborer lui-même mais qui sont prescrits de manière contraignante. Pareille organisation holistique de la famille fait d’ailleurs pleinement sens au regard de la nou- velle inscription déterminante de l’individu dans un Etat et une famille dès lors que les intérêts de l’Etat et ceux des familles convergeaient dans une très large mesure : - Ainsi, dans un sens, il était dans l’intérêt de l’Etat d’instituer un « ordre familial » participant à sa cohérence et de son développement. On connaît à cet égard le mot célèbre de Portalis lors des travaux préparatoires du Code civil : « Législateurs, les familles sont les pépinières de l’Etat et c’est le mariage qui forme les familles »9. On ne cessera d’ailleurs d’affirmer, à partir de cette époque, que la famille est « au fondement » de la société ou, à tout le moins, qu’elle est la « cellule de base » de la société. - Ainsi, dans l’autre sens, il était dans l’intérêt des familles bourgeoises qui dominent la société du XIXème siècle d’assurer à travers une structure familiale stable la protection et la trans- mission de la propriété acquise par l’activité industrielle et commerçante en ne faisant d’ail- leurs que perpétuer par là une préoccupation qui existait déjà antérieurement pour la pro- tection et la transmission de la terre et de la propriété immobilière, lorsque celle-ci était la principale source de richesses et de pouvoirs. L’on ne saurait au demeurant négliger le besoin psychique d’appartenance que ressentait l’indi- vidu après l’éclatement de l’appartenance communautaire et holistique, caractéristique de la so- ciété holiste. Prenant le relais, avec l’Etat, du « grand tout social » d’ordre divin que la Révolution avait balayé, la famille privatisée et holistique conférait à l’individu une identité, un sens, une place, et plus fondamentalement, sa sécurité d’existence, tant sur le plan matériel que sur le plan affectif10. 6 E. SHORTER, Naissance de la famille moderne (XVIIIème-XXème siècle), Seuil, coll. Points, Paris, 1977, p. 11. 7 P. ARIES, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, précité, p. 306. 8 J.-C. KAUFMANN, La chaleur du foyer. Analyse du repli domestique, Méridiens Klincksieck, Paris, 1988. 9 Présentation au Corps législatif et exposé des motifs, in P.-A. FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Paris, 1827, t. IX, p. 138. 10 « L’intimité domestique, écrit à cet égard Jean-Claude Kaufmann, est apparue comme le substitut idéal du holisme vacillant de l’ancienne société » et « tout s’est passé comme si l’individu avait eu peur d’un saut trop brutal dans la modernité ; comme s’il lui avait fallu maintenir la sécurité et la stabilité d’un cocon holiste, aussi réduit soit-il ; comme 5 Le Code Napoléon de 1804 reflète les représentations sociales et culturelles qu’on se faisait alors de la famille à la frontière de la famille traditionnelle (qui constituait encore le modèle de famille le plus répandu dans la France rurale) et de la première famille moderne (qui avait émergé dans la bourgeoisie et qui allait progressivement se répandre dans d’autres couches sociales). A une famille qui se privatisait mais qui restait toujours caractérisée par un ordre naturel hétéro- nome et hiérarchique correspondait un droit de la personne et de la famille largement « indispo- nible » au sens où le statut personnel et les liens familiaux échappent à l’autonomie des volontés individuelles et s’imposent donc en règle aux individus qui ne peuvent en disposer. Cette indis- ponibilité qui caractérise le droit napoléonien de la personne et de la famille présente quatre aspects ou quatre facettes qui sont examinées ci-après. Le mariage est, dans le Code Napoléon, l’institution de base de la famille : la famille ne pouvait exister que dans et par le mariage. Il n’y avait de filiation « légitime » que dans et par le mariage. Puisque le mariage constituait l’institution sociale « obligée » permettant de légitimer le lien de couple entre un homme et une femme, le mariage était aussi la voie d’accès « obligée » pour l’établissement du seul lien juridique de filiation permettant de conférer à un enfant une identité légitime et de le rattacher à sa parenté11. Le mariage et la filiation constituaient au demeurant, avec le nom et le sexe, l’état de la personne ou, en d’autres termes, son identité civile. Evidemment, dans la perspective du Code civil de 1804, ces éléments étaient déterminés par des règles strictes et ils étaient en principe caractérisés par leur fixité ou leur immuabilité. Hors le mariage, point de légitimité et dès lors point de statut juridique ni pour le couple, ni pour les enfants12. Suivant la formule célèbre de Napoléon, « les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse d'eux ». Le sort des enfants conçus hors de l’institution matrimoniale est encore plus funeste : ce sont des « bâtards » qui restaient souvent privés de toute filiation paternelle et ne pouvaient bénéficier, même si leur filiation était établie, que de droits très limités. Le droit de la personne et de la famille napoléonien procédait donc d’une « logique normative ». Une telle logique répond au souci d’énoncer dans des textes juridiques des règles de comporte- ments qui doivent nécessairement s’imposer à tous les citoyens et qui, en raison de cette énon- ciation normative, seront présumées être adoptées par la très grande majorité d’entre eux. Dans s’il avait voulu se protéger des effets destructeurs de sa propre liberté ». « Le fait familial, ajoute-t-il, se composa autour d’un schéma qui est celui du holisme traditionnel. La famille était ce (micro) cosmos signifiant où chacun était à sa place et où chaque place avait un sens ; ce (micro) tout où l’individu n’était qu’un élément contrôlé par la (petite) communauté environnante » (J.-C. KAUFMANN, La chaleur du foyer. Analyse du repli domestique, précité, p. 63). 11 On pourrait d’ailleurs – de manière probablement plus exacte – s’exprimer de manière inverse et dire que c’était parce que le mariage était l’institution sociale qui seule permettait d’affilier de plein droit les enfants à leur mère et à leur père que le mariage constituait l’institution sociale obligée pour l’union d’un homme et d’une femme. 12 Même les obligations alimentaires familiales sont présentées, dans le Code Napoléon, comme un effet du mariage. Les articles 203 à 211 du Code civil sont en effet classés sous un Chapitre V du Titre V du Livre premier intitulé « Des obligations qui naissent du mariage ». Ce n’est qu’en 1987 que le législateur modifia l’intitulé de ce Titre V qui de- vint « Des obligations qui naissent du mariage ou de la filiation ». 6 une telle logique, le droit est normatif : il énonce une seule vérité et il conduit les destinataires de la règle vers ce qu’il considère être, pour tous, « le bien »13. Dans la perspective napoléonienne, l’individu ne s’appartient pas à lui-même mais il appartient aux communautés qui lui confèrent son identité – l’Etat nation et la famille – et l’intérêt général ou collectif de ces communautés est jugé prioritaire au regard des intérêts individuels ou parti- culiers. C’est la société ou c’est la famille qui, parce que les intérêts ou les préoccupations indivi- duels sont subordonnés aux intérêts ou aux préoccupations collectifs, exercent le pouvoir de dé- cision, dictent les règles, les usages et les comportements, et distribuent ou répartissent les fonc- tions. La personne ne dispose donc a priori d’aucune autonomie lorsqu’il s’agit d’elle-même, de sa vie, de son corps, de sa place ou de son rôle dans la famille. Si l’entrée en mariage implique le consentement personnel des deux époux, il reste que, dès le porche d’entrée franchi, le mariage était et n’était plus qu’une institution organisée par la société à des fins collectives et configurée intégralement par les deux caractéristiques de l’institutionna- lité : l’hétéronomie et la hiérarchisation14. Les effets personnels du mariage (notamment le devoir de cohabitation ou de fidélité) étaient « d’ordre public », au sens où les époux ne pouvaient ja- mais en disposer eux-mêmes, y compris lors d’une éventuelle séparation. De même, il était con- sidéré que « toute la matière du divorce est d’ordre public »15 au sens où les époux ne peuvent pas disposer de leur divorce et qu’ils ne peuvent dès lors librement se soustraire ou convenir de déroger à aucune des règles d’ordre public qui organisent le divorce. Le lien de filiation était tout autant que le mariage et même davantage que le mariage un lien soustrait aux volontés individuelles. Ainsi, la filiation établie de plein droit dans le mariage à l’égard des deux époux était pratiquement irréversible, car les conditions auxquelles était subor- donné un éventuel désaveu de paternité étaient si strictes que ce désaveu ne pouvait qu’être tout à fait exceptionnel16. Dans le mariage, le lien de filiation était dès lors tout autant imposé par la nature que par la loi, et la volonté n’y avait donc aucune place. Il n’y avait de filiation « volon- taire » qu’hors mariage, puisque l’enfant naturel devait nécessairement faire l’objet d’une recon- naissance volontaire, tant maternelle que paternelle, pour bénéficier d’un lien de filiation. Le terme était cependant trompeur, car la naissance d’un enfant hors mariage, dont le destin serait celui d’un « bâtard », c’est-à-dire un enfant dépourvu d’une véritable identité, dépourvu d’une véritable famille et, même, dépourvu des droits de l’enfant « légitime », était presque imman- quablement involontaire. 13 J. COMMAILLE, Familles sans justice ? Le droit et la justice face à la transformation de la famille, Le Centurion, Paris, 1982, p. 212 et « La famille, la fin de la loi ? Nouvelles régulations juridiques, nouvelles régulations politiques », Futu- ribles, n° 153, avril 1991. 14 Il est intéressant de relire ce qu’écrivait encore le professeur H. DE PAGE dans la première édition publiée en 1933 et dans la seconde édition publiée en 1939 du Tome Ier de son Traité élémentaire de droit civil belge (n° 567) à propos du mariage : « A raison de son importance dans l’organisation de la cité, c’est un ensemble de règles imposées par le droit, qui forment un tout, et auquel les parties ont seulement la faculté d’adhérer. A cela se limite leur liberté, ainsi que l’idée de contrat. L’acte, une fois accompli, engendre un état qui se caractérise par la durée, par la permanence et dont les effets se développent nécessairement, sans que la volonté des parties puisse encore intervenir pour les modifier ou les supprimer. Tout est désormais en dehors du champ contractuel, lequel se limite à l’acte initial ». 15 Voy. H. DE PAGE, t. I, n° 849, qui ajoute qu’« en matière de divorce et de séparation de corps, la volonté des parties est inopérante ; seule celle de la loi domine ». 16 Selon les articles 312, 313 et 316 du Code Napoléon, le désaveu n’était possible que pour deux causes strictement délimitées – l’impossibilité physique de cohabitation d’une part et le recel de la naissance et la preuve de l’adultère d’autre part – et dans des délais particulièrement courts (un ou deux mois). 7 Au sein de la structure familiale matrimoniale légitime, un ensemble resserré de règles soumet- tait les épouses et les enfants, frappés d’incapacité, à l’autorité du bonus pater familias. C’est au mari qu’était confié le pouvoir de direction du ménage. La mission « naturelle » de la femme était par contre d’être mère et de se consacrer aux soins des enfants et à la tenue du ménage. Dans cette perspective, les femmes mariées étaient, à l’instar des mineurs, frappées d’incapacité et soumises à la puissance du pater familias. Le Code Napoléon traduisait cette perception des choses à travers l’institution de la « puissance maritale » et de la « puissance paternelle ». Dans une société qui impose des modèles uniformes de comportements familiaux, les règles de droit de la famille présentaient un caractère général et abstrait. Elles énoncent, sans prendre en considération les circonstances particulières de chaque situation, une prescription univoque que tous les individus sont censés respecter. Ce caractère général et abstrait des règles de droit est intrinsèquement lié à « la logique normative » qui sous-tend l’élaboration de la norme juridique. Dans le modèle politique de la séparation des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), le rôle du juge consiste à appliquer purement et simplement aux situations individuelles les règles générales et abstraites définies par le pouvoir législatif. Dans cette perception des choses, le pou- voir judiciaire est donc institué garant de la protection de l’« ordre familial » organisé par la so- ciété et voulu par le législateur. Comme l’indiquait en 1850 un haut magistrat en parlant de la fonction du pouvoir judiciaire, « bases essentielles de toute société civilisée, le mariage, la famille, la propriété, ces grandes institutions sont mises sous notre sauvegarde »17. 17 Discours d’installation du procureur général DEVIENNE à la Cour d’appel de Bordeaux le 11 février 1850, cité par J.- P. ROYER, La société judiciaire depuis le XVIIIème siècle, PUF, Paris, 1979, p. 317. 8 La seconde famille moderne ou la famille « postmoderne » n’a émergé qu’avec le développement des valeurs individualistes dans le champ de la vie privée et affective après la seconde guerre mondiale. Ainsi, à partir de la seconde moitié du XXème siècle, et, plus exactement à partir de la décennie des « golden sixties », l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale ont été confrontées à une modification radicale des comportements familiaux et affectifs. Les mouvements sociaux qui ont eu lieu, en Amérique du Nord et en Europe, à la fin des années 1960 marquent une rupture historique caractérisée par le refus de l’autoritarisme qui caractéri- sait l’Etat et la famille, les deux structures d’appartenance qui avaient émergé ensuite de la dis- solution de l’appartenance traditionnelle au « grand tout social ». Les revendications qui se font jour dans les années 1960 conjuguent une contestation proprement politique à l’égard notam- ment des engagements militaires en Algérie (pour la France) et au Vietnam (pour les Etats-Unis) et une aspiration à la liberté dans la conduite de sa vie personnelle, sexuelle et familiale. L’indi- vidu, en quelque sorte, se détache des appartenances résiduelles qui caractérisaient la société moderne. Dans la société « postmoderne » qui se fait jour durant la seconde moitié du XXe siècle, c’est désormais à partir de lui-même que l’individu perçoit et comprend le monde sans plus accepter que des projets collectifs – politiques ou familiaux – puissent infléchir le cours de son destin au- quel doit présider sa seule autonomie. La société « postmoderne » est donc individualiste (elle fait primer l’individu sur la société) et libérale (l’organisation sociale résulte de la libre action des individus). Une telle société promeut donc le « souci de soi » et affirme la singularité fondamen- tale de chaque être humain et la légitimité voire la nécessité de son accomplissement personnel. Dans la société individualiste, l’impératif est celui de la réalisation, de l’accomplissement ou du « développement » personnel. L’individualisme et le libéralisme ont donc pénétré la sphère familiale, de la même manière qu’ils ont pénétré tous les autres secteurs de l’activité humaine (la religion, la culture, l’économie, etc.). Les hommes et les femmes ont progressivement refusé d’être soumis, dans leur vie privée et familiale, à des statuts et à des normes qui leur étaient autoritairement imposés. En d’autres termes, ils ont progressivement refusé d’être déterminés, dans l’accomplissement de leur desti- née individuelle, par un principe d’ordre collectif qui prévaudrait, de manière prescriptive et con- traignante, sur leur volonté et leurs choix personnels. Ils ont, dans des termes plus positifs, ex- primé la revendication de l’exercice de leur autonomie dans leur vie privée, affective et familiale : l’individu se perçoit désormais comme étant d’abord lui-même la raison d’être et l’acteur de son existence et c’est à partir de l’individu que l’espace social et relationnel – et, dès lors aussi, l’es- pace familial – est remis en perspective, redessiné et reconstruit. 9 Dans l’histoire de la famille, le renversement de valeurs représenté par les évènements de 1968 correspond donc à une « rupture historique »18 marquant le début de ce que l’on appellera par- fois la « désinstitutionnalisation » de la famille19. Cette rupture historique et cette désinstitution- nalisation conduisent à l’avènement de la famille « postmoderne » qui va se traduire notamment dans un infléchissement rapide et massif des données démographiques relative à la vie intime et familiale. Ainsi va-t-on assister, à partir de 1965 environ, à une diminution du nombre de mariage et à une augmentation du nombre de divorce. De même, l’âge de la première maternité recule et, de façon générale, la fécondité diminue. Ces différents éléments sont la manifestation de l’autonomie revendiquée par la personne dans le champ de sa vie privée et familiale : les liens familiaux – conjugaux et parentaux – ne sont plus perçus comme « obligatoires » et l’engagement conjugal comme la maternité ou la paternité résultent désormais des « choix » posés de façon autonome par des individus maîtres de leur destin. C’est au point d’ailleurs qu’alors que jusqu’à cette révolution individualiste la famille avait tou- jours été perçue comme un groupe ou une communauté spécifique – qu’on appelait d’ailleurs fréquemment « la cellule de base de la société »20 – beaucoup hésitent aujourd’hui à appréhen- der la famille en tant que telle et ne parlent plus, comme la Cour européenne des droits de l’homme, que de la « vie familiale » ou des « relations familiales » des individus, caractérisées au demeurant par leur flexibilité et leur mobilité dans le temps et dans l’espace. Ces profonds changements des mentalités ou du mode de penser des individus et la remise en cause de l’ordre familial sont, dans un premier temps, intervenus hors du droit. Ainsi, les idées et les comportements commençaient à changer tandis que les règles figurant dans le Code civil con- tinuaient d’exprimer une autre logique. Les juristes se sont d’ailleurs parfois accrochés à leur mo- dèle traditionnel pour s’interposer dans ce qu’ils estimaient être le risque d’une décadence des mœurs21. Ensuite, cependant, les systèmes juridiques occidentaux ont nécessairement dû s’adap- ter aux évolutions qui se produisaient et ils ont par conséquent dû eux-mêmes évoluer et se transformer. L’évolution des règles de droit a alors pu avoir à son tour un impact sur les repré- sentations et comportements sociaux et enclencher un mouvement d’entrainement réciproque exponentiel au terme duquel l’amplitude et la fréquence des réformes se sont progressivement accentués. En effet, la règle de droit, ne fût-ce que par sa dimension symbolique, contribue iné- vitablement à orienter elle-même les comportements : elle peut dès lors freiner ou, au contraire, accélérer les évolutions. 18 R. REZSOHASY, Les nouveaux enfants d’Adam et Eve. Les formes actuelles de couples et de familles, Académia, Louvain- la-Neuve, p. 33. 19 L. ROUSSEL, La famille incertaine, Odile Jacob, Paris, 1989, p. 90. 20 Voy. encore le texte de l’article 23.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui énonce expres- sément que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat ». Voy. aussi le Préambule à la Constitution française du 27 octobre 1946 qui affirme le « principe fondamen- tal » selon lequel « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ou l’article 29 toujours en vigueur de la Constitution italienne qui énonce que « la République reconnaît les droits de la famille en tant que société naturelle fondée sur le mariage ». 21 Pour un exemple d’une telle attitude, voy. J. RUTSAERT, « La destruction de la famille par la loi », J.T., 1958, p. 69, qui écrit que « si les atteintes portées à la famille par la loi civile et par la loi sociale frappent moins parce qu’elles ne se produisent point à la suite de quelque révolution ou bouleversement, mais de façon successive et fragmentaire, on ne s’en trouve pas moins en présence d’un véritable déclin du droit, signe d’un avilissement moral certain ». 10 Cette évolution du droit de la famille, qui est donc progressivement intervenue durant la seconde moitié du XXe siècle, fait advenir une nouvelle façon de concevoir et d’appliquer le droit de la personne et de la famille. Cette rationalité nouvelle présente quatre caractéristiques principales qu’il importe d’identifier clairement. Le droit de la famille a tout d’abord été modifié, en ce qu’il a partiellement renoncé à imposer des modèles uniformes de comportements affectifs, sexuels ou familiaux. Le législateur a dès lors « renoncé » à maintenir un certain nombre d’interdictions ou d’injonctions qu’il avait précédem- ment formulées dans le domaine de la vie privée, affective et familiale22. Le modèle matrimonial qui caractérisait la régulation napoléonienne s’est progressivement es- tompé. Alors que le mariage était, au regard du Code Napoléon, le seul modèle légal et légitime de vie en couple, le droit belge a progressivement reconnu la légitimité des unions non-matri- moniales. De la même manière, alors que le lien de couple paraissait en 1804 ne pouvoir natu- rellement concerner que des personnes de sexe différent, le législateur belge a également pro- gressivement reconnu la légitimité des unions homosexuelles. Dès lors que le mariage n’était plus le seul cadre légitime pour le couple et la famille, il s’imposait de faciliter l’établissement des liens de filiation hors mariage. Aiguillonné par la Cour euro- péenne des droits de l’homme dans le célébrissime arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, le législateur belge a opéré sa grande réforme du droit de la filiation en 1987 et consacré le principe fondamental de l’égalité entre les enfants nés dans le mariage et hors du mariage. De la même manière, alors que le lien de filiation paraissait en 1804 ne pouvoir naturellement se nouer qu’à l’égard d’un couple de sexe différent, le législateur belge a également progressivement consacré la filiation homoparentale. Les ordres juridiques occidentaux ont donc progressivement embrassé une vision pluraliste des comportements et des valeurs et renoncé à prescrire pour l’ensemble d’une population un mo- dèle exclusif qui n’était plus accepté par une partie importante de cette population. C’est également sur le plan de l’identité civile des individus que l’on a progressivement renoncé aux modèles. Un exemple significatif réside à cet égard dans l’abandon de l’idée qu’un enfant doit nécessairement porter le nom de son père. La loi du 8 mai 2014 offre ainsi une multitude de possibilités alternative à cette solution traditionnelle. Un autre exemple de l’abandon des mo- dèles sur le plan du statut personnel réside dans l’affirmation par la Cour constitutionnelle, dans un arrêt du 19 février 2019, de la nécessité pour le législateur de prévoir des solutions permettant la reconnaissance des identités sexuelles/de genre non-binaires, c’est-à-dire échappant aux caté- gories traditionnelles du masculin et du féminin. Le droit de la personne et de la famille contemporain procède donc d’une « logique sociale ». Une telle logique répond au souci de « prise en compte des effets sociaux des changements de pra- tiques familiales » et traduit le fait que « la préoccupation de la société et de l’Etat n’est plus de peser sur les choix orientant les comportements privés mais de se pencher de plus en plus sur les 22 Dans son livre La famille incertaine, le sociologue Louis Roussel parle expressément des « renoncements du droit », et il signifie par là que « la loi, au sens traditionnel du mot, … s’est retirée du champ de l’intimité et de la famille » (précité, p. 106 et 107). 11 effets sociaux, sur les situations sociales découlant de ces choix »23. La logique sociale consiste par conséquent, dans sa forme la plus élaborée, à se borner à organiser les conséquences juri- diques qui résultent pour les personnes intéressées des comportements qu’elles choisissent elles- mêmes d’adopter dans leur vie personnelle. Le souci de faire prévaloir l’intérêt général ou les intérêts de la collectivité sur les intérêts indivi- duels s’est de plus en plus estompé au profit d’une conception radicalement différente du statut de la personne et des relations familiales, sexuelles et affectives qui devraient désormais priori- tairement être soumises au prescrit du respect de la liberté individuelle et l’égalité entre les indi- vidus. Dès lors, les débats parlementaires qui ont abouti aux réformes récentes du droit de la famille belge mettent au premier plan l’intérêt individuel, la liberté de l’individu et l’égalité entre les individus. On retrouve les mêmes orientations dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour constitutionnelle. La fragilisation progressive du mariage par le biais de différentes réformes du droit du divorce qui en ont considérablement allégé les conditions substantielles et procédurales est assurément un exemple significatif de cette évolution. L’indissolubilité du mariage napoléonien correspon- dait à des valeurs d’engagement et de stabilité, de protection des époux économiquement faibles et des enfants. Le « droit au divorce » et son corrélat – la précarité matrimoniale – au début du XXIème siècle renvoient à d’autres préoccupations et, tout particulièrement, au souci d’affirmer la liberté individuelle24. L’on pointera aussi qu’alors que le droit civil napoléonien prévoyait un certain nombre d’empêchements à mariage fondés sur les liens de parenté ou d’al- liance, la Cour constitutionnelle et le législateur belge ont progressivement relativisé ces inter- dits et corrélativement permis la conclusion de mariages qui auraient autrefois été considérés « incestueux ». La fragilisation progressive du lien de filiation telle qu’elle résulte notamment de la loi du 1er juillet 2006 et de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle est une autre manifestation spec- taculaire de la consécration des principes de liberté et d’égalité. Dans la perspective napoléo- nienne, seul le mari de la mère d’un enfant pouvait contester sa paternité à l’égard de cet enfant telle qu’elle découlait automatiquement du mariage. Depuis 2006, la paternité du mari de la mère peut être contestée non seulement par la mère elle-même, mais également par le père biologique de l’enfant avec qui elle l’aurait conçu. En outre, l’établissement automatique de la filiation à l’égard de l’homme avec qui la mère de l’enfant est mariée peut être « désactivée » dans certains cas, notamment lorsque la mère et son mari sont séparés au moment de la con- ception de l’enfant. L’on pointera aussi qu’alors que le droit civil napoléonien excluait l’établis- sement de la filiation dans un certain nombre de cas en raison de liens de parenté ou d’alliance existant entre les parents, la Cour constitutionnelle et le législateur belge ont progressivement relativisé ces interdits et corrélativement permis l’établissement de liens qui auraient autrefois été considérés « incestueux ». 23 J. COMMAILLE, Familles sans justice ? Le droit et la justice face à la transformation de la famille, Le Centurion, Paris, 1982, p. 212 et « La famille, la fin de la loi ? Nouvelles régulations juridiques, nouvelles régulations politiques », Futu- ribles, n° 153, avril 1991, p. 82. 24 Cela a transparu de façon particulièrement claire dans les propos tenus lors de la réforme de 2007 par la ministre de la justice qui a affirmé que « le mariage n’est plus considéré comme une institution rigide et indissoluble, mais comme un pacte sui generis renouvelé au jour le jour » (Doc. parl., Ch., session 2005-2006, n° 51-2341/001, p. 6). 12 On peut aussi mettre en évidence, pour souligner le déploiement des principes de liberté et d’égalité, la circonstance que les femmes ont pu s’émanciper du régime d’incapacité mis en place par le droit civil napoléonien, tandis que l’âge de la majorité a été abaissé de 21 ans à 18 ans, les mineurs bénéficiant au demeurant d’une autonomie croissante. De même, les régimes mis en place à l’égard des majeurs vulnérables (par exemple en raison d’un trouble mental), ont progressivement été caractérisés par le souci de maintenir leur autonomie dans toute la mesure du possible, à charge pour le juge de déterminer – au cas par cas – la mesure de protection la plus adéquate au regard de la situation spécifique de la personne concernée (voy. infra). La renonciation aux modèles et la mise en avant de la liberté et de l’égalité vont nécessairement induire une dilution des normes générales et abstraites et une individualisation des règles de droit. Ainsi, les normes cessent de prétendre à la généralité et elles se personnalisent, c’est-à- dire qu’elles veillent à prendre en compte la spécificité des situations individuelles et la diversité des intérêts particuliers. On a dès lors vu apparaître dans les textes législatifs contenant les règles du droit de la famille des normes souples, qu’on a souvent appelées des « notions-cadre », c’est-à-dire des notions lé- gales à contenu indéterminé, comme, par exemple, « l’intérêt de l’enfant »25, « l’intérêt de la fa- mille »26, ou encore « les intérêts moraux ou matériels d’un des époux »27. En recourant à de telles notions, le législateur renonce à formuler une solution prédéfinie qui déterminerait le comporte- ment à adopter ou l’injonction à respecter. Il se borne à indiquer que la solution ne pourra être formulée qu’en fonction des circonstances particulières de la cause et de la spécificité des intérêts concrets qui sont en jeu. Le droit de la filiation offre, à cet égard également, un édifiant exemple. Le droit découlant de la réforme de 2006 prévoyait que lorsqu’un enfant naissait dans le mariage et qu’il nouait un lien socio-affectif avec le mari de sa mère automatiquement désigné comme son père juridique (un lien de « possession d’état »), ce lien ferait obstacle à toute contestation de la filiation paternelle que ce soit par le mari, par la mère ou par le père biologique. L’existence d’une telle relation « socio-affective » ou de « possession d’état » venait, en quelque sorte, « consolider » le lien de filiation fondé sur le mariage, même lorsque ce lien ne correspondait pas à la vérité biologique sur laquelle primait alors la « vérité affective ». Quelle qu’ait pu être la légitimité de cette règle, la Cour constitutionnelle a expressément décidé, dans plusieurs arrêts28, que l’existence d’une « possession d’état » ne pouvait constituer un obstacle absolu à la contestation de paternité. Ainsi, lorsque le mari et le père biologique se disputent la filiation d’un enfant, il y aurait lieu que le juge puisse arbitrer, au regard des circonstances particulières, leurs prétentions respectives et consacrer la filiation la plus conforme à l’intérêt de l’enfant29. 25 Voy. par exemple, les articles 329bis § 2 al. 3, 332quinquies § 2, al. 1, 375bis al. 2, 376 al. 4 et 387bis al. 1, anc. C. civ. 26 Voy. par exemple, les articles 214, 224 anc. C. civ., et les articles 2.3.29 et 2.3.40 C. civ. 27 Voy. l’article 216 anc. C. civ. 28 Voy. parmi beaucoup d’autres C. const., arrêt n° 20/2011 du 3 février 2011 et C. const., arrêt n° 122/2011 du 7 juillet 2011. 29 Aux yeux de Nathalie Massager, « nous nous trouvons à un tournant dans l’histoire du droit de la filiation et nous nous orientons vers un droit pensé par l’homme pour ‘l’homme individu’ et non plus pour ‘l’homme générique’ re- présentant la société dans son ensemble » et « la recherche de la solution la plus équilibrée, dans tous les cas et pour tous, compte tenu des situations particulières, comprises individu par individu : telle est la nouvelle donne » (N. MAS- SAGER, « La prophétie de Gerlo. Réflexion à propos des derniers arrêts de la Cour constitutionnelle en matière de filiation », Act.dr. fam., 2011, p. 130). 13 En choisissant de ne plus imposer des règles univoques applicables aux comportements familiaux, le législateur choisit, aussi, de transférer soit au juge, soit aux parties elles-mêmes la compétence de dire la règle, puisque celle-ci ne peut désormais être élaborée que dans un contexte prenant en compte les circonstances particulières de chaque situation individuelle. Ainsi, les pouvoirs du juge s’accroissent considérablement lorsque le législateur renonce à élabo- rer des règles générales et abstraites pour réglementer les relations entre les hommes et se limite à formuler, à travers des notions-cadre, des recommandations ou des indications indéterminées. Le transfert de pouvoir du législateur au juge a pu être décrit comme une « délégation du juri- dique au judiciaire » induisant « la genèse d’une justice de la famille »30 et l’on a aussi pu estimer qu’à l’aune de cette évolution le droit de la personne et de la famille se compose de plus en plus de « règles où le droit se dissout dans l’appréciation souveraine du juge » (voy. par ex. supra l’ap- préciation de l’intérêt de l’enfant en matière de filiation)31. S’agissant du transfert du pouvoir de dire la norme directement aux intéressés eux-mêmes, on peut pointer la possibilité pour les parents de déterminer eux-mêmes les modalités d’héberge- ment de l’enfant en cas de séparation conjugale. Alors que le droit napoléonien déterminait pré- cisément la façon dont étaient pris en charge les enfants de parents séparés (art. 302 anc. C. civ.), le législateur de 2006 a consacré le principe suivant lequel il appartient aux parents séparés eux- mêmes d’organiser dans le cadre d’un accord l’hébergement de leur enfant (art. 374, § 2, al. 1 anc. C. civ.) et confié au juge le rôle subsidiaire de déterminer cet hébergement à défaut d’accord ou quand l’accord est contraire à l’intérêt de l’enfant (en donnant, en principe, priorité à des modalités d’hébergement égalitaires) (art. 374, § 2, al. 2 anc. C. civ.). Les parties et/ou le juge ne parviennent cependant pas toujours à trouver une solution adé- quate, pertinente ou équitable. Il peut alors être tenté de faire rechercher les fondements ob- jectifs d’une solution appropriée par des experts dont on considère que la compétence d’appré- cier les caractéristiques spécifiques d’une situation individuelle est plus étendue. C’est ainsi, par exemple, que, lorsqu’il s’agit d’apprécier l’« intérêt de l’enfant » dans un litige entre ses parents relatif à son hébergement, le juge est fréquemment amené à désigner un expert médico-psy- chologique, généralement un pédopsychiatre ou un spécialiste en psychologie des enfants ou des adolescents, auquel il confie la mission, conformément aux articles 962 et suivants du Code judiciaire, de procéder à un ensemble de constatations et de lui donner un avis technique sur ce qui correspondra le mieux à l’intérêt de cet enfant. 30 J. COMMAILLE, Familles sans justice ?, précité, pp. 153 et 157. 31 C. LABRUSSE-RIOU, « Le juge et la loi : de leurs rôles respectifs à propos du droit des personnes et de la famille », Mélanges Rodière, 1982, p. 152. 14 L’autodétermination de l’individu, qui bouleverse fondamentalement l’ordre familial ancien, puisque celui-ci avait toujours été caractérisé, jusque et y compris dans la première famille mo- derne, par l’hétéronomie, suscite des appréciations contrastées. Il y a d’un côté les « optimistes » qui perçoivent essentiellement l’émancipation des valeurs indi- vidualistes de liberté et d’égalité dans la vie privée et familiale comme un extraordinaire courant démocratique de libération par rapport aux dogmatismes, aux contraintes et aux hiérarchies qui ont, pendant des siècles, fait peser sur les individus – et plus particulièrement sur les femmes, les enfants et les homosexuels – le poids du conformisme, de la soumission, de l’abnégation, de l’op- pression, des humiliations et, parfois ou souvent, des violences de tous ordres. Il y a d’un autre côté les « pessimistes » qui, le plus souvent nostalgiques d’une famille « holiste » assurant à chacun son identité, sa place, sa sécurité et sa protection contre les aléas de la vie, s’inquiètent de l’éclatement de la vie familiale, de l’atomisation des destinées individuelles, de la fragmentation de la société en individus esseulés, « nombrilisés » et obsédés par « la réalisation de soi », parce qu’à leurs yeux une telle évolution ne peut que déboucher sur l’indifférence gé- néralisée à autrui, sur la liquéfaction des repères collectifs, sur la solitude, sur le sentiment d’ab- surdité de la vie, en d’autres termes, sur le vide32. La réalité est certainement plus complexe que ces deux visions extrêmes. D’un côté, en effet, toutes les études contemporaines consacrées à la famille, comme au demeu- rant les multiples sondages que nous découvrons régulièrement dans la presse, montrent l’irré- pressible demande de liens affectifs et familiaux exprimée et manifestée par les hommes, les femmes et les enfants de la société individualiste. C’est que l’homme est fondamentalement un être de « lien » et qu’il ne peut d’ailleurs accéder à « soi » que dans et par la relation à autrui33. Ainsi, la famille, même devenue individualiste dans une société individualiste, est-elle, aussi, ce lieu où l’individu moderne, soucieux de se réaliser soi-même, attend cependant d’autrui le regard, la reconnaissance et l’attention bienveillante – et réciproquement, veille à donner à autrui son regard, sa reconnaissance et son attention bien- veillante – qui, par le fait même de cette réciprocité, lui permettent d’éprouver le sentiment de son existence, la valeur de son existence, et par là même, le sens de son existence. Les enquêtes effectuées régulièrement à propos de la place effective des liens familiaux dans la société contemporaine établissent d’ailleurs l’importance qui continue à s’attacher à la solidarité 32 Voy. G. LIPOVETSKY, L’ère du vide. Essai sur l’individualisme contemporain, Gallimard, Paris, 1983. « L’homme qui compose son propre micro-cosmos signifiant, écrit au demeurant Jean-Claude Kaufmann, court un risque majeur : celui de se détacher de ces valeurs qu’il bricole sans cesse, de ne plus croire en ses propres histoires, de perdre le goût des choses et les ressorts de l’action, de se voir lui-même comme un être moralement nu cherchant désespéré- ment un habit dans ce qui, pour avoir été trop maltraité, n’est plus qu’un tas de guenilles » (J.-C. KAUFMANN, La chaleur du foyer, précité, p. 31). 33 F. DE SINGLY, Le soi, le couple et la famille, Nathan, Paris, 1996. 15 et à la transmission intergénérationnelle, même si celles-ci sont devenues beaucoup plus volon- taires et négociées. D’un autre côté, cependant, il reste que la mentalité ou la « posture psychique » individualiste qui tend à laisser à chaque homme l’autodétermination de sa personne et de ses relations fami- liales dans la perspective de l’accomplissement de son épanouissement personnel, pose deux questions fondamentales : - comment l’être humain pourra-t-il faire l’expérience de l’interdit et des limites qui sont une des conditions de l’élaboration du psychisme humain, si la société renonce progressivement à les lui imposer dans un domaine de la vie humaine qui a une incidence considérable sur la construction de la personnalité de chaque individu ? - peut-on faire l’économie de l’intérêt général ou du « bien commun » dans le domaine de la vie privée et familiale et ne doit-on pas, au contraire, considérer qu’il est tout aussi indispen- sable, pour l’organisation du « vivre ensemble » des êtres humains, de se préoccuper autant de l’intérêt général que des intérêts particuliers lorsqu’il s’agit du statut de la personne hu- maine et des relations familiales que lorsqu’il s’agit des relations économiques, de la santé, de la sécurité, de l’environnement… ? Certains font d’ailleurs un lien entre le libéralisme économique et le libéralisme familial : l’idée selon laquelle chacun doit être laissé libre de rechercher son meilleur intérêt sur les marchés commerciaux ou financiers n’est pas fondamentalement différente de celle selon laquelle chacun doit être laissé libre de se déterminer comme il l’entend dans le champ de sa vie privée et fami- liale. Or, on commence à mieux cerner et connaître aujourd’hui les ravages que le libéralisme économique provoque. Le philosophe français Dany-Robert Dufour considère alors que l’individualisme libéral a fait dis- paraître non seulement les « sur-répressions » qui étaient autrefois imposées par le patriarcat mais aussi les « répressions nécessaires » à l’instauration de la société humaine. Il n’y aurait ainsi plus dans une société dominée par le « Divin marché » de limité à la « pléonexie » ou à l’« hubris » humains définis comme « le désir d’avoir toujours plus…au risque même de tout détruire autour de soi » « Plus de quoi ? Plus de biens, plus d’argent, plus de possessions, plus de jouissance, plus de pouvoir, bref, plus de tout ce qui sert à satisfaire l’orgueil, l’amour de soi, la cupidité, la con- cupiscence ». Ainsi, l’individualisme libéral susciterait chez l’être humain une recherche insatiable de satisfaction de ses pulsions (« l’âme d’en bas ») et de réalisation de ses fantasmes, y compris au regard de sa propre identité, de son corps et de ses pulsions sexuelles. Il se réfère alors aux philosophes antiques qui prônaient la sagesse et la justice comme remparts à la démesure hu- maine (la « pléonexie » et l’« hubris ») et appelle à une nouvelle « Renaissance » qui tiendrait les promesses oubliées de la première34. Les hésitations qui peuvent exister à propos des développements de la vie personnelle et familiale contemporaine trouvent évidemment un écho direct dans les controverses qui peuvent accom- pagner les évolutions de la régulation juridique du statut personnel et des liens familiaux. 34 D.-R. DUFOUR, L’individu qui vient … après le libéralisme, Paris, Denoël, 2011, p. 95. 16 Certains professeurs de droit de la personne et de la famille se félicitent globalement de l’évolu- tion qui a fait reculer l’indisponibilité caractéristique du Code Napoléon et tend à consacrer l’autonomie de l’individu dans la sphère privée et familiale. Ainsi, par exemple, Yves-Henri Leleu défend l’idée suivant laquelle le « droit structurant » a échoué et repose sur un argumentaire fragile en sorte qu’il devrait céder la place à un « droit accompagnant » les choix des individus : L’échec du droit structurant est patent. Ni la société de Balzac, ni celle de Mauriac n’ont réussi à imposer le modèle matrimonial et éviter divorces, infidélités, procréations adultères. La désaffec- tion spontanée pour le modèle familial unique et l’émergence des partenariats, vus comme ex- pression du libre choix affectif, déjugent les modèles. Les femmes et les enfants ne s’y sont pas trompés en réagissant par une demande de droits qui a été entendue […]. Certains arguments des auteurs acquis à la fonction structurante du droit des personnes et de la famille ne convainquent pas […]. L’histoire du droit des personnes et des familles est émaillée de messages de crainte que la levée, même partielles, de certains interdits ou obligations ne viole ledit « ordre symbolique », ne mène la société à la « dérive », ne la prive de ses « repères » […]. Une argumentation récurremment prédictive perd de sa force si la prédiction ne se réalise pas ou n’est pas suffisamment sensible35. D’autres professeurs de droit de la personne et de la famille expriment au contraire des réticences relativement à l’évolution qui a conduit à la désinstitutionnalisation du droit de la personne et de la famille et tend à faire primer absolument la liberté individuelle. Ainsi, par exemple, Jean-Louis Renchon émet-il de vives réserves à l’égard d’un renoncement complet du droit à structurer les psychismes et les comportements. Suivant cet auteur : Il est évidemment hors de question d’oblitérer l’immense « progrès » qu’a toujours représenté dans l’histoire de l’humanité toute organisation de la vie sociale qui valorise l’autonomie de la personne humaine. C’est un des objectifs fondamentaux de l’éducation d’un enfant comme du processus de civilisation. Mais, d’une part, la véritable « autonomie » ne se construit pas sans l’in- tégration d’un « au-delà » de la toute-puissance individuelle, et, d’autre part, il n’y a pas de liberté individuelle possible sans liberté collective, c’est-à-dire l’élaboration complexe et contraignante du « vivre-ensemble » au sein de la communauté des hommes […]. Que reste-t-il dans cette idéologie, de cet « au-delà » et, notamment, des restrictions qui s’impo- sent nécessairement aux volontés individuelles, soit qu’elles procèdent des lois naturelles, soit qu’elles résultent des contraintes du « vivre-ensemble »36? A l’aune de ces perceptions opposées de l’évolution du droit de la personne et de la famille, on comprend que l’édiction des règles procède désormais, en cette matière, d’une forme de tension entre la volonté très nette de privilégier l’autonomie des individus, d’une part, et la conscience de ce qu’il peut et doit exister un certain nombre de limites à la liberté individuelle, d’autre part. Toute la difficulté réside alors dans la définition d’un équilibre acceptable entre la volonté de respecter l’autonomie de l’individu et le souhait de protéger des intérêts collectifs ou individuels concurrents. Toutes les réformes récentes du droit de la personne et de la famille peuvent se lire au prisme de cette tension et de cette quête d’équilibre et nous nous emploierons, dans les pages qui suivent, à les mettre en évidence tant en ce qui concernes le statut juridique de la personne qu’en ce qui concerne les relations conjugales puis parentales. 35 Y.-H. LELEU, Droit des personnes et des familles, Larcier, Bruxelles, 3ème éd., 2016, pp. 28-30. 36 J.-L. RENCHON, « Quels sont les enjeux du discours politique fondant les réformes récentes du droit de la famille ? », Le Bulletin Freudien, 2013, p. 43. 17