Abrégé des Libertés et Droits Fondamentaux - Tome 1 - 2024 - Pré-Barreau PDF

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2024

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libertés fondamentales droits fondamentaux droit constitutionnel droit français

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This document is a study guide for the Pre-Barreau program, covering fundamental freedoms and rights. It analyses their definitions, historical evolution, and various sources, along with the institutional mechanisms for their protection. It is a primer rather than an exam paper.

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LE PRÉ-BARREAU Grand Oral CRFPA BRÉVIAIRE DES LIBERTÉS ET DES DROITS FONDAMENTAUX Tome 1 2024 Toute reproduction de ce document ou comm...

LE PRÉ-BARREAU Grand Oral CRFPA BRÉVIAIRE DES LIBERTÉS ET DES DROITS FONDAMENTAUX Tome 1 2024 Toute reproduction de ce document ou communication à des personnes autres que les étudiants du Pré-Barreau – sauf autorisation expresse et écrite de notre établissement – expose son auteur à des poursuites judiciaires. _________________ 2 Copyright © 2024 Pré-Barreau SOMMAIRE DU TOME 1 MODULE I – Les notions fondamentales........................................ 5 THÈME 1 : LES DÉFINITIONS........................................................................................... 7 Fiche 1 – La notion de libertés et droits fondamentaux............................................................................... 9 Fiche 2 – La typologie des libertés et des droits fondamentaux................................................................. 15 THÈME 2 : L’ÉVOLUTION HISTORIQUE.......................................................................... 23 Fiche 3 – Les libertés avant la Révolution de 1789...................................................................................... 25 Fiche 4 – Les libertés depuis la Révolution de 1789.................................................................................... 33 Fiche 5 – L’État de droit............................................................................................................................... 41 THÈME 3 : LES SOURCES.............................................................................................. 55 Fiche 6 – Les sources constitutionnelles...................................................................................................... 57 Fiche 7 – Les sources internationales.......................................................................................................... 71 Fiche 8 – Les sources européennes............................................................................................................. 83 MODULE II – La protection institutionnelle des droits.................. 93 THÈME 4 : LA PROTECTION INSTITUTIONNELLE INTERNATIONALE................................ 95 Fiche 9 – Les juridictions pénales internationales....................................................................................... 97 Fiche 10 – La Cour européenne des droits de l’homme............................................................................ 107 Fiche 11 – Les recours devant la Cour européenne des droits de l’homme............................................. 127 THÈME 5 : LA PROTECTION INSTITUTIONNELLE NATIONALE........................................143 Fiche 12 – Le Conseil constitutionnel........................................................................................................ 145 Fiche 13 – La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)................................................................ 155 Fiche 14 – L’indépendance des juridictions............................................................................................... 163 Fiche 15 – L’autorité judiciaire.................................................................................................................. 179 Fiche 16 – Le juge administratif................................................................................................................. 189 Fiche 17 – Les recours devant le juge administratif.................................................................................. 199 Fiche 18 – La protection non-juridictionnelle des libertés....................................................................... 213 MODULE III – La protection effective des droits......................... 229 THÈME 6 : LES DROITS PROCÉDURAUX.......................................................................231 Fiche 19 – Le droit à un recours effectif.................................................................................................... 233 Fiche 20 – Le droit à un procès équitable.................................................................................................. 243 Fiche 21 – Le droit à l’exécution des décisions de justice......................................................................... 269 Fiche 22 – Le droit à la sûreté.................................................................................................................... 275 THÈME 7 : LES LIMITATIONS DES DROITS....................................................................319 Fiche 23 – Les limitations normales........................................................................................................... 321 Fiche 24 – L’ordre public........................................................................................................................... 327 Fiche 25 – Le contrôle de proportionnalité............................................................................................... 337 Fiche 26 – Les limitations exceptionnelles................................................................................................ 347 Fiche 27 – La lutte contre le terrorisme.................................................................................................... 363 _________________ 3 Copyright © 2024 Pré-Barreau _________________ 4 Copyright © 2024 Pré-Barreau MODULE I Les notions fondamentales _________________ 5 Copyright © 2024 Pré-Barreau _________________ 6 Copyright © 2024 Pré-Barreau THÈME 1 : LES DÉFINITIONS FICHE 1 – La notion de libertés et droits fondamentaux FICHE 2 – La typologie des libertés et des droits fondamentaux _________________ 7 Copyright © 2024 Pré-Barreau _________________ 8 Copyright © 2024 Pré-Barreau Fiche 1 – La notion de libertés et droits fondamentaux En bref Les « droits et libertés fondamentaux » semblent avoir remplacés les « droits de l’homme » ou les « libertés publiques ». Cette substitution sémantique témoigne d’une mutation profonde de notre ordre juridique. Ainsi, les « droits et libertés fondamentaux » bénéficient d’une protection juridictionnelle supérieure (en particulier constitutionnelle), ainsi que d’un effet normatif qui s’étend à tout l’ordre juridique. Cette mutation témoigne que la protection des droits et libertés s’exerce historiquement contre l’administration mais aussi, à présent, contre le législateur lui-même. Il convient alors, dans un souci de rigueur et de bonne compréhension de l’objet, de distinguer les « droits et libertés fondamentaux » de certaines notions voisines. Notions clefs - Droits fondamentaux / Libertés fondamentales - Droits de l’homme - Libertés publiques - Principes fondamentaux _________________ 9 Copyright © 2024 Pré-Barreau Plan Section I. Les conceptions structurantes § 1. L’approche substantialiste § 2. L’approche normativiste Section II. La distinction avec les notions voisines § 1. Droits fondamentaux et droits de l’homme § 2. Droits fondamentaux et libertés publiques A. Souveraineté législative et protection constitutionnelle B. Dimension verticale et effet horizontal § 3. Droits et principes fondamentaux _________________ 10 Copyright © 2024 Pré-Barreau La notion de libertés et droits fondamentaux Si la référence – essentiellement doctrinale – aux « libertés et droits fondamentaux » est en passe aujourd’hui de supplanter celle de « libertés publiques », cela signifie-t-il que les « libertés publiques » ont disparu ? Les deux expressions sont-elles synonymes ? Le changement de vocable traduit-il un effet de mode ou une modification profonde des ordres juridiques ? À l’analyse, il apparaît que les deux expressions correspondent à des concepts distincts et que la terminologie des « droits et libertés fondamentaux » révèle une mutation profonde. L’avènement des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité de la loi atteste en effet que la protection des droits et libertés s’exerce aujourd’hui contre l’administration mais aussi contre le législateur, tenu de respecter les droits et libertés de rang supra-législatif. Il convient de rendre compte de cette mutation, certes terminologique mais surtout conceptuelle (Section I) avant d’opérer des distinctions avec des notions voisines (Section II). Section I. Les conceptions structurantes Le recours à l’expression doctrinale « libertés et droits fondamentaux » a cours depuis le milieu des années 1970. L’expression vient d’Allemagne. Dans ce pays, la Loi fondamentale du 23 mai 1949 a consacré cette notion pour limiter le législateur, mais également le constituant allemand : la Loi fondamentale compte en effet une liste de droits subjectifs (mais qui a depuis été étendue par le juge) insusceptibles d’être remis en cause. Cette protection est assurée naturellement par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. En France, la notion est loin de faire consensus, essentiellement parce que la conception souverainiste de la loi fait obstacle à ce que des droits subjectifs puissent se constituer contre elle. Le juge comme le législateur n’emploient que rarement l’expression « libertés et droits fondamentaux ». La Constitution n’y fait pas référence, se contentant d’évoquer dans son article 61-1 les « droits et libertés que la Constitution garantit ». L’expression demeure donc de nature doctrinale. Elle renvoie par ailleurs à des conceptions différentes, qui reposent sur des approches « substantialiste » (§ 1) ou « normative » (§ 2). § 1. L’approche « substantialiste » L’expression « libertés et droits fondamentaux » peut d’abord signifier que ces droits et libertés sont, en eux-mêmes, dans leur substance, porteurs de valeurs fondamentales, c’est-à-dire qu’ils sont « fondamentaux » en termes politiques, éthiques, sociaux ou économiques. C’est à raison de leur caractère fondamental que l’ordre juridique les consacre généralement, mais pas exclusivement, à un rang éminent, en particulier constitutionnel. Cette conception du caractère « fondamental » (on peut aussi utiliser le mot « fondamentalité », qui constitue un néologisme) des droits et libertés peut être qualifiée d’approche « substantialiste » : les droits sont fondamentaux en eux-mêmes, avant et quelquefois en dépit de leur formalisation normative. Cette approche, qui a pu être qualifiée de jusnaturaliste, n’est toutefois pas la seule envisageable. § 2. L’approche « normativiste » L’expression peut aussi signifier que les droits et libertés sont « fondamentaux » parce que la norme qui les contient possède elle-même un rang fondamental. Ainsi, une grande partie de la doctrine estime que les « libertés et droits fondamentaux » sont contenus soit dans une norme constitutionnelle, soit dans une norme internationale. Autrement dit, un droit est « fondamental » quand il est contenu dans une _________________ 11 Copyright © 2024 Pré-Barreau norme de valeur supra-législative. Toutes les normes constitutionnelles n’expriment cependant pas des droits fondamentaux – par exemple le droit de grâce du président de la République ou son droit de nomination au Conseil constitutionnel. Il n’existe donc pas d’adéquation entre la notion et une source unique dans l’ordre juridique. Ces deux approches mettent ainsi en évidence la diversité des fondements des libertés et droits fondamentaux : selon la conception substantialiste/naturaliste ou positiviste du droit, la fondamentalité précède la consécration par le juge ou le constituant (un droit est constitutionnel parce que fondamental) ou, à l’inverse procède d’elle (un droit est constitutionnel donc fondamental). Selon d’autres auteurs, réalistes, l’expression n’a au fond qu’une valeur rhétorique destinée à justifier telle ou telle décision de justice. Focus : LES LIBERTÉS « FONDAMENTALES » AU SENS DE L’ARTICLE L. 521-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE L’institution du référé-liberté par la loi du 30 juin 2000, a conduit le législateur à créer une catégorie juridique particulière de « libertés fondamentales » : il s’agit des libertés fondamentales « au sens du référé-liberté » (article L. 521-2 du code de justice administrative). Cela implique, d’une part, que certains droits ou libertés considérés par ailleurs comme « fondamentaux », ne le sont pas nécessairement « au sens du référé-liberté » et, d’autre part, que certains droits ou libertés qui ne le seraient pas le deviennent « au sens du référé-liberté ». Ainsi, même si l’on remarque généralement une identité, plusieurs libertés fondamentales classiques ne sont pas pour autant des « libertés fondamentales » au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. C’est le cas, par exemple, du droit à la santé (CE, ord., 8 septembre 2005, Garde des Sceaux c/ Bunel, n° 284803). En sens inverse, des « libertés fondamentales » au sens de l’article L. 521-2 du code n’ont pas nécessairement une valeur constitutionnelle. Il en va ainsi, par exemple, du droit du patient à donner son consentement (CE, ord., 16 août 2002, Mme Feuillatey, n° 249552). Enfin certaines libertés fondamentales « au sens du référé liberté » ne se rapportent pas aux droits de la personne ; par exemple, le principe de libre administration des collectivité territoriales (CE, ord., 18 janvier 2001, Commune de Venelles, n° 229247). Focus : LE DROIT A L’AVORTEMENT, UN DROIT FONDAMENTAL DEPUIS QUAND ? L’article unique de la loi constitutionnelle du 8 mars 2024 relative à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse modifie l’article 34 de la Constitution pour y ajouter un alinéa 4 nouveau en vertu duquel « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». La Constitution reconnaît donc aux femmes la liberté d’avorter, qui, selon l’approche « normativiste » est, de ce seul fait, une liberté fondamentale. Mais il n’est pas certain que la liberté d’avorter soit fondamentale seulement depuis le 8 mars 2024. Le Conseil constitutionnel avait, dans sa décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 (Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception), identifié l’existence de « la liberté de la femme enceinte qui souhaite recourir à un interruption volontaire de grossesse » (§ 10), qu’il tire, « d’une part, [de] la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, [de] la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (§ 5). En revanche, l’affirmation expresse d’une liberté « garantie par la loi » à la femme de recourir à une interruption volontaire de grossesse rend celle-ci opposable et lui confère la nature d’un droit fondamental. Section II. La distinction avec les notions voisines Le « droit » et la « liberté », tant du point de vue philosophique que du point de la technique juridique, peuvent parfois se distinguer : une liberté renvoie à un pouvoir d’auto-détermination du sujet (un pouvoir de faire ou de ne pas faire), alors qu’un droit renvoie plus spécifiquement à une relation avec les autres sujets de droit (un droit s’exerce sur ou contre autrui). Cependant une fois la volonté du sujet posée, sa liberté rencontrera forcément celle des autres sujets de droit : on pourra ainsi parler d’un droit à la liberté (d’expression, d’association, etc.). Pour cette raison, on considère classiquement qu’il n’y a pas de différence entre « droits » fondamentaux et « libertés » fondamentales et que l’expression correspond à un concept générique. Dès lors qu’un droit ou une liberté est contenu dans une norme fondamentale, il fait partie de la catégorie générique des « libertés et droits fondamentaux ». La notion de « libertés et _________________ 12 Copyright © 2024 Pré-Barreau droits fondamentaux » peut toutefois être précisée par rapport à celles de droits de l’homme (§ 1), libertés publiques (§ 2) et principes fondamentaux (§ 3). § 1. Droits fondamentaux et droits de l’homme L’expression « droits de l’homme » est une expression qui demeure aujourd’hui dans le droit européen et international. On évoque les « human rights » (« droits humains ») dans les pays de culture anglo- saxonne. Il existe également, en Europe, la Cour européenne des « droits de l’homme ». En droit interne, cependant, la référence aux « droits de l’Homme » est historiquement située : elle renvoie au moment de la déclaration des droits de l’Homme, lors de la Révolution de 1789, ainsi qu’à une conception jusnaturaliste. Au cours du XIXe siècle, l’expression « libertés publiques », conçue comme plus « juridique », s’est peu à peu imposée par rapport à celle de « droits de l’Homme », considérée comme une notion essentiellement philosophique. Est-il utile de préciser que l’expression « droits de l’homme » inclut les droits de la femme, de l’enfant etc. ? L’évocation des « droits de la femme » par les mouvements féministes ne peut donner à penser que les droits de l’homme, par effet de miroir, ne s’appliqueraient qu’aux hommes. Une partie de la doctrine préfère alors parler de « droits humains ». Outre que cela permet d’abandonner la dimension genrée que suppose la notion de « droits de l’homme », cette expression souligne également que le destinataire des droits renvoie à la seule condition humaine, à l’exclusion des animaux ou des robots. Obéissant aux mêmes objectifs, la notion académiquement retenue au Canada francophone est celle de « droits de la personne humaine ». § 2. Droits fondamentaux et libertés publiques Les droits fondamentaux se distinguent des libertés publiques aussi bien dans leur degré de protection (A) que dans leurs effets normatifs (B). A. Souveraineté de la loi et protection constitutionnelle L’expression « libertés publiques » renvoie à l’ordre juridique bâti à partir de la IIIe République avec au centre la toute-puissance de la loi. Le triomphe des libertés publiques s’est imposé avec les grandes lois libérales (loi de 1881 sur la liberté de la presse, loi de 1884 sur la liberté syndicale, loi de 1901 sur la liberté d’association, etc.). Si, avant 1958, c’est-à-dire avant l’institution d’un contrôle de constitutionnalité des lois, l’expression « État légal » était utilisée pour qualifier la manière dont la loi s’impose à l’administration, l’expression « État de droit », que concrétise l’introduction d’un contrôle de constitutionnalité de la loi, implique que le législateur est lui-même limité par le droit. Dès lors, si les « libertés publiques », définies par le législateur, peuvent être remises en question par ce dernier, les « droits et libertés fondamentaux » sont, au contraire, « à l’abri » du législateur. Ainsi, le passage des libertés publiques aux droits et libertés fondamentaux révèle une mutation de l’ordre juridique et le remplacement de la « simple » légalité par la « constitutionnalité » et la « conventionnalité », ainsi que la montée en puissance de la figure du juge. On peut noter qu’avec le développement du droit de l’Union européenne et du droit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, notamment, la catégorie des droits et libertés fondamentaux devient plus étendue que celle des libertés publiques. _________________ 13 Copyright © 2024 Pré-Barreau B. Dimension verticale et effet horizontal Une autre différence très importante réside dans l’effet des droits fondamentaux par rapport à celui des libertés publiques. Les libertés « publiques » ne sont pas qualifiées comme telles par opposition aux libertés « individuelles » : les libertés « publiques » sont bien des libertés « individuelles » dans la mesure où elles ont toujours l’individu comme titulaire (liberté d’expression, de religion, etc.). Elles sont « publiques » dans la mesure où elles organisent un face-à-face de l’individu à l’État (effet vertical). Les libertés publiques sont donc conçues comme des normes objectives (de valeur législative) s’imposant exclusivement aux organes de l’État (essentiellement l’administration) : d’où leur épanouissement dans le contentieux administratif et, tout particulièrement, le contentieux de la légalité du type de l’excès de pouvoir. Pour leur part, les droits fondamentaux ont une dimension verticale (ils s’imposent à tous les organes de l’État y compris le législateur), mais également une dimension horizontale : ils sont aussi invocables dans les litiges entre personnes privées. Les droits fondamentaux trouvent ainsi à s’imposer dans les relations de travail, économiques ou familiales. Toutefois, l’effet horizontal des droits n’exclut aucunement l’importance du rôle de l’État, parce qu’il est souvent débiteur de l’obligation positive d’agir en faveur de l’effectivité de tel ou tel droit (par exemple en adoptant une législation protectrice des droits du travailleur, de l’enfant, etc.). § 3. Droits et principes fondamentaux Les « principes fondamentaux » renvoient d’abord aux principes objectifs sur lesquels est bâti l’ordre juridique, qui le structurent et qui lui donnent sa cohérence : c’est notamment le cas de la liberté et de l’égalité, proclamés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Mais les « principes fondamentaux » ont aussi un sens plus étroit et technique : l’expression désigne les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR). Il convient de ne pas les confondre avec les « droits et libertés fondamentaux ». En effet, si ces « principes fondamentaux » sont « reconnus » par les lois de la République, ils ont une valeur constitutionnelle et sont susceptibles, dès lors, de contenir des « droits et libertés fondamentaux ». Tel est le cas, par exemple, de la liberté d’association (Décision n° 71-44 DC du 15 juillet 1971, « Liberté d’association »), de la liberté individuelle (Décision n° 76-75 DC du 12 janvier 1977, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales), de la liberté d’enseignement (Décision n° 77-87 DC du 23 novembre 1977, « Loi relative à la liberté de l’enseignement »), de la liberté de conscience (idem), etc. Mais tous les PFRLR ne renvoient pas au droit de la personne : ainsi des PFRLR de l’indépendance des professeurs d’université (Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur), de l’indépendance de la juridiction administrative (Décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980, Loi portant validation d’actes administratifs), de la compétence de la juridiction administrative (Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence), de l’existence d’un droit dérogatoire en Alsace-Moselle (Décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, Société SOMODIA [Interdiction du travail le dimanche en Alsace-Moselle]). Retenons que si certains droits et libertés fondamentaux sont contenus dans un PFRLR, la plupart d’entre eux sont constitutionnalisés au titre de la Constitution, de la Déclaration de 1789, du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. _________________ 14 Copyright © 2024 Pré-Barreau Fiche 2 – La typologie des libertés et des droits fondamentaux En bref Les libertés et droits fondamentaux peuvent être classés en fonction de leur objet ou au regard de la génération de droits et libertés à laquelle ils se rattachent. Trois classes peuvent être distinguées. D’abord, les droits tendant à l’autodétermination du sujet appelés droits de première génération. Ensuite, les droits-créances, appelés droits de deuxième génération. Enfin, les droits liés au rapport de l’Humanité avec son environnement, appelés droits de troisième génération. Par ailleurs, les libertés et droits fondamentaux se distinguent aussi par leur mode d’exercice. Si les titulaires de ces libertés et droits peuvent être variés, il faut surtout avoir conscience que les droits et libertés fondamentaux ne sont pas absolus et doivent nécessairement se concilier entre eux ou avec l’ordre public. Notions clefs - Droits de première, deuxième, troisième génération - Droit-autonomie / droit-créance - Obligation négative / obligation positive - Individus / personnes morales - Conciliation - Intérêt général / objectifs de valeur constitutionnelle - Proportionnalité - Triple test _________________ 15 Copyright © 2024 Pré-Barreau Plan Section I. Les critères généraux de classification § 1. L’objet des libertés et droits fondamentaux A. Les droits-autonomie B. Les droits-créances § 2. Les générations de libertés et droits fondamentaux § 3. Les rapports à l’État des libertés et droits fondamentaux Section II. Les critères secondaires de distinction § 1. La diversité des titulaires § 2. L’intensité du contrôle juridictionnel A. Une conciliation nécessaire B. Une conciliation proportionnée _________________ 16 Copyright © 2024 Pré-Barreau La typologie des libertés et des droits fondamentaux La doctrine tente de dresser une typologie des libertés et droits fondamentaux à partir de différents critères. Une telle tâche renseigne sur la fonction politique ou sociale de ces droits et libertés, mais aussi sur leur rapport avec l’État et la manière de les exercer. À ces critères généraux de classification (Section I) s’ajoutent des critères techniques de distinction, tenant à leurs titulaires et au contrôle des limites susceptibles de leur être apportées (Section II). Section I. Les critères généraux de classification Les droits et libertés n’ont pas tous le même objet (§ 1). Ils sont en outre historiquement situés (§ 2) et ne se trouvent pas toujours dans un même rapport avec l’État (§ 3). Si l’on compare, par exemple, la liberté d’aller et de venir avec le droit à la protection de la santé, il apparaît, dans le premier cas, qu’il s’agit d’un pouvoir de s’émanciper de l’État (on parle classiquement de « droits-libertés » de « première génération »), alors que, dans le second cas, il s’agit d’un droit à demander une prestation à l’État (on parle alors communément de « droits-créances » de « deuxième génération »). § 1. L’objet des libertés et droits fondamentaux Il existe de nombreuses distinctions doctrinales pour classer les droits et libertés en fonction de leur objet. Certains auteurs distinguent les droits-libertés, les droits-participation, les droits-créances, les droits-garanties, le droit à l’égalité étant quant à lui, parfois, considéré de manière à part. D’autres auteurs distinguent de manière plus synthétique les droits-libertés, les droits-créances et les droits- garanties. Aucune règle juridique n’impose de tenir compte de ces distinctions, de ces classements, dans la mesure où il s’agit d’outils « doctrinaux ». Ils sont tout de même bien utiles dans la mesure où ils permettent d’identifier ce qui constitue la singularité de certaines « familles de droits » et de leur rapport entre elles. Il est possible, schématiquement, de s’en tenir à la distinction classique entre les droits- autonomie (A) et les droits-créances (B). A. Les droits-autonomie Certains droits et libertés correspondent à un pouvoir de s’émanciper de l’autorité publique. Tel est le cas des droits et libertés qui sont l’écho du libéralisme politique du XVIIIe siècle, méfiant vis-à-vis de l’État. Le droit d’aller et de venir, d’être propriétaire, de s’exprimer, etc., traduisent ainsi une philosophie particulière qui consiste à s’émanciper de l’État ou à agir sans que l’État ne s’y oppose. Il s’agit de « droits de », c’est-à-dire de droits préservant une certaine capacité de l’individu à agir selon sa volonté. Ce sont des droits qui tendent principalement à permettre à l’individu de s’autodéterminer. La référence faite par la Déclaration des droits de 1789 aux « droits naturels et imprescriptibles » de l’homme met en évidence le fondement jusnaturaliste de ces droits, qui préexistent à l’État. Quant au droit au juge ou aux droits de la défense, que l’on peut qualifier de droits-garanties, ils ne constituent pas à proprement parler un droit de s’autodéterminer. Il est néanmoins possible de les rattacher à cette dernière catégorie, à l’instar des droits politiques. En effet, les droits-garanties permettent de préserver la liberté individuelle contre l’arbitraire toujours possible de l’État. Quant aux droits politiques du citoyen, en garantissant une participation aux décisions qui le concerne, ils préservent également son autonomie. _________________ 17 Copyright © 2024 Pré-Barreau B. Les droits-créances D’autres droits présentent davantage le caractère de droits-créances. Le droit à la protection de la santé, à la protection sociale, à l’instruction et à la culture, à l’emploi, etc., reconnus notamment par le Préambule de la Constitution de 1946, possèdent un tout autre objet : ce sont des droits qui supposent ou impliquent la fourniture d’une prestation par l’autorité publique. Ces droits-créances sont désignés comme étant des « droits à ». Par ailleurs, comme l’atteste le Préambule de la Constitution de 1946, ces droits concernent moins l’individu abstraitement désigné que l’individu situé, c’est-à-dire envisagé selon un certain contexte social ou certaines conditions matérielles : « le travailleur », « la femme », « l’enfant », etc. Cette catégorie de droits, les « droits sociaux », sont parfois critiqués par les tenants d’une conception libérale de l’État et de la société, reposant sur la non-intervention du premier. Ainsi, lorsque sous la Seconde République, il a été question de reconnaître un droit au travail, Tocqueville, alors député, était monté à la tribune pour s’y opposer vigoureusement. Il s’agissait, pour ce libéral, d’une remise en cause absolue de la philosophie des droits reconnus en 1789. Certains droits ne correspondent pas tout-à-fait à des droits-créances. La référence au droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé, proclamé par l’article 1er de la Charte de l’environnement, renvoie à un autre objet : il ne constitue ni un droit d’auto-détermination de l’individu, ni, stricto sensu, un droit à demander l’exercice d’une prestation par l’autorité publique, étant donné que l’État n’est pas, à lui seul, en mesure de garantir un tel résultat. Sa réalisation suppose néanmoins la mise en œuvre de politiques publiques favorables à l’environnement. Dans cette optique, il pourrait donc être question d’un droit-créance, impliquant l’obligation positive de l’État de le rendre effectif. Mais cette obligation positive pourrait n’être aussi que la garantie apportée par l’État au libre développement de l’individu, lequel ne se conçoit, en effet, que dans le cadre d’un environnement sain. La distinction entre les deux catégories de droits qui viennent d’être évoquées est aujourd’hui remise en cause. Elle apparaît aussi fragile que dépassée, comme en témoigne la notion même d’obligation positive, qui conduit à une approche transversale des droits et libertés. § 2. Les générations de libertés et droits fondamentaux Il existe un lien entre l’objet des droits et libertés et la date de leur proclamation. En effet, les constituants qui ont procédé à la proclamation de ces droits étaient animés par une certaine philosophie des droits, une certaine conception des rapports entre l’individu et l’État. Il est ainsi possible de distinguer plusieurs générations de droits et libertés, sans qu’une antériorité historique n’emporte aucune prééminence normative d’un droit sur un autre (v. en ce sens Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, à propos des rapports entre le droit de propriété et le droit de nationaliser). La première génération concerne les droits qui s’exercent contre ou en dehors de l’État (droits- autonomie, droits-garanties, droits politiques) et qui visent à préserver la liberté individuelle. Ils s’inspirent de la philosophie libérale prégnante lors de la Révolution de 1789. Le texte qui les contient est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La deuxième génération concerne des droits que l’on qualifie de « droits-créances » (droit au travail, à la protection sociale, à la protection de la santé, etc.). Ce sont des droits inspirés par une conception socialisante et égalitariste de l’État et de la société qui viennent relativiser les droits de la première génération. Le texte de référence est le Préambule de la Constitution de 1946 qui proclame certains principes particulièrement nécessaires à notre temps. La troisième génération renvoie à des droits plus difficilement susceptibles d’être réunis sous une « étiquette » : droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit à la paix, droit au développement. Ce sont des droits nés de la globalisation économique et juridique qui ont fait prendre conscience des menaces globales pesant sur l’Humanité. La Charte de l’environnement de 2004, mais _________________ 18 Copyright © 2024 Pré-Barreau aussi et surtout plusieurs textes de valeur internationale, en constituent la source. § 3. Les rapports à l’État des libertés et droits fondamentaux Les libertés et droits fondamentaux reposent sur un rapport à l’État qui est variable. Les individus titulaires de ces droits et libertés entretiennent en effet avec l’État un rapport distinct en fonction des droits et libertés qu’ils exercent. Deux situations peuvent être distinguées. Certains droits impliquent une abstention de l’État. Ils protègent une sphère de liberté de l’individu contre l’État, ou bien appellent à une libre participation des citoyens au sein de l’État (par l’organisation d’élections libres et donc, sans intrusion arbitraire des pouvoirs publics). D’autres droits exigent, en revanche, une action de l’État, qui prend la forme d’une prestation. Cela dit, il faut se garder de penser ces catégories en termes de frontières hermétiques : la protection de la liberté individuelle peut ainsi impliquer une action positive de l’État, comme par exemple l’accès à un tribunal peut nécessiter le bénéfice d’une aide juridictionnelle. De même, la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’État a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la liberté d’expression, conformément à l’article 10 combiné à l’article 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. L’obligation positive a pour finalité de garantir l’application effective de la Convention et donc, l’effectivité des droits qu’elle consacre. En pratique, les obligations positives et négatives sont donc souvent imbriquées. Section II. Les critères secondaires de distinction D’autres distinctions peuvent être introduites au sein des libertés et droits fondamentaux, au regard de leurs titulaires (§ 1) ou du contrôle des limites qui leur sont apportées (§ 2). § 1. La diversité des titulaires Les titulaires des droits et libertés fondamentaux peuvent être des personnes physiques mais aussi des personnes morales qui en sont le prolongement : les syndicats, les sociétés, les établissements privés d’enseignement, les partis politiques, etc. Il existe ainsi un lien manifeste entre la liberté d’entreprendre et les sociétés, entre le droit de vote et les partis politiques. Il peut s’agir d’individus ou de groupements nationaux ou étrangers. On peut concevoir, dans certains cas, que les droits de ces derniers puissent faire l’objet de restrictions particulières. En effet, la liberté d’aller et de venir n’est pas identique selon qu’elle est considérée sous l’angle d’un ressortissant français, d’un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, ou bien d’un ressortissant d’un pays tiers à l’Union. De même, un ressortissant non national ne dispose pas, en principe, de droits politiques ; mais on sait que les citoyens européens peuvent exercer un droit de vote dans l’État membre d’accueil lors des élections locales et européennes. Les titulaires des droits et libertés sont encore plus variés lorsqu’on envisage l’embryon ou le fœtus d’une part, les animaux d’autre part, ou encore les générations futures. Si leur qualité de titulaires effectifs peut être questionnée, rien n’interdit de considérer que les sujets de droit actuels ont des obligations à leur égard. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a jugé que lorsque le législateur adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, il doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins (Décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023, Association Meuse nature environnement et autres [Stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs]). De même, la Cour européenne des droits de l’homme considère que, si la Convention n’a pas pour objet de protéger le bien-être animal en tant que _________________ 19 Copyright © 2024 Pré-Barreau tel, cela ne lui interdit pas de tenir compte, dans sa jurisprudence, de la question de la souffrance animale (CEDH, 13 février 2024, Executief van de Moslims van België et a. c. Belgique, n° 16760/22). § 2. L’intensité du contrôle juridictionnel Les limitations apportées aux libertés et droits fondamentaux sont nombreuses. Ils doivent en effet le plus souvent faire l’objet d’une conciliation entre eux ou avec un motif d’intérêt général (A). L’intensité du contrôle juridictionnel n’est toutefois pas identique et donne lieu, au contraire, à de subtiles distinctions (B). A. Une conciliation nécessaire Si l’idée même de fondamentalité implique une échelle, en revanche, à l’intérieur de la catégorie des libertés et droits fondamentaux, il n’y a pas lieu de faire de distinction. Il n’existe en effet aucune hiérarchie entre ces droits et libertés. Si certaines décisions du Conseil constitutionnel ont pu faire accroire que tel était le cas (par exemple à propos du principe de dignité de la personne humaine), aucun droit ni liberté de rang constitutionnel ne prime sur les autres. Par ailleurs, si certains droits sont présentés comme étant indérogeables (comme par exemple l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, ou encore la prohibition de l’esclavage), cela signifie seulement qu’ils ne sont pas susceptibles de faire l’objet de dérogations ni d’exception, sans pour autant avoir une nature supérieure aux autres droits et libertés affirmés par le même texte. L’unité constitutionnelle (ou au sein d’un instrument conventionnel) des libertés et droits fondamentaux renferme le principe de leur nécessaire conciliation, sous le contrôle du juge. Ainsi, selon le Conseil constitutionnel, « la liberté d’entreprendre n’est ni générale ni absolue ; […] il est loisible au législateur d’y apporter des limitations exigées par l’intérêt général [en particulier les exigences de la protection de la santé publique, qui ont valeur constitutionnelle] à la condition que celles-ci n’aient pas pour conséquence d’en dénaturer la portée » (Décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le tabagisme, cons. 14). Les droits et libertés fondamentaux sont également conciliés avec les fins d’intérêt général, de sorte que le Conseil constitutionnel parvient à contrôler la conciliation entre le droit de grève et la continuité des services publics (Décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, décision « droit de grève à la radio-télévision française »), la liberté de communication et les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socio-culturels (Décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982, Loi sur la communication audiovisuelle). En revanche, il n’est pas interdit de déceler dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel des « préférences » qui correspondent à de véritables choix politiques, par exemple en faveur de la liberté d’entreprendre (pour un exemple de décision critiquée : Décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, à propos des conditions du licenciement économique), ce qui justifierait, selon certains, que cette liberté fasse l’objet d’une limitation expresse dans le texte de la Constitution. Néanmoins, et d’une manière générale, la conciliation opérée varie selon chaque mesure législative, en fonction de son objet et de la finalité recherchée par le législateur. B. Une conciliation proportionnée Le principe de proportionnalité est un principe fondamental du droit des libertés, qui permet au juge de réaliser la conciliation entre elles et avec les impératifs de l’ordre public. Ce principe est ancien (v. CE, 19 mai 1933, Benjamin, à propos du contrôle des mesures de police administrative générale). Mais il n’est pas toujours mis en œuvre selon les mêmes modalités, de sorte que les atteintes portées à certaines libertés peuvent paraître davantage contrôlées que d’autres. On distingue ainsi usuellement les droits dits de « premier rang » et ceux dits de « second rang ». La liberté d’entreprendre appartient à _________________ 20 Copyright © 2024 Pré-Barreau cette dernière catégorie : en présence d’une mesure législative portant atteinte à cette liberté, le Conseil constitutionnel veille à ce que cette atteinte ne soit pas manifestement disproportionnée ou disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur. Mais l’exigence de proportionnalité semble se renforcer. Sous l’influence des techniques très sophistiquées des cours européennes, le Conseil constitutionnel a perfectionné son contrôle, notamment en matière de liberté d’expression (pour une illustration, v. Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, M. David P. [Délit de consultation habituelle de sites internet terroristes]). Il effectue alors un triple test de proportionnalité (depuis Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental), le contrôle se décomposant en trois étapes : – l’adéquation de la mesure législative au regard de la finalité poursuivie, ce qui implique de vérifier l’aptitude de la mesure à atteindre le but poursuivi par le législateur ; – sa nécessité, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas excéder, par sa nature ou ses modalités, ce qu’exige la réalisation du but poursuivi (ce qui conduit à envisager s’il existe d’autres moyens appropriés mais moins attentatoires) ; – sa proportionnalité, à savoir que la mesure ne doit pas, par les charges qu’elle crée, être hors de proportion avec le résultat recherché. Le juge administratif fait également application du triple test (CE, 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image, n° 317827, à propos du passeport biométrique), bien que sa jurisprudence ait pu être critiquée à raison de l’application peu rigoureuse qui en est faite (sur le contrôle de proportionnalité, v. infra). _________________ 21 Copyright © 2024 Pré-Barreau _________________ 22 Copyright © 2024 Pré-Barreau THÈME 2 : L’ÉVOLUTION HISTORIQUE FICHE 3 – Les libertés avant la Révolution de 1789 FICHE 4 – Les libertés depuis la Révolution de 1789 FICHE 5 – L’État de droit _________________ 23 Copyright © 2024 Pré-Barreau _________________ 24 Copyright © 2024 Pré-Barreau Fiche 3 – Les libertés avant la Révolution de 1789 En bref Les libertés fondamentales sont le fruit d’un processus dont les racines sont lointaines. L’histoire de la construction des libertés permet à la fois de mieux appréhender le droit positif et d’en saisir l’esprit. Si l’Antiquité marque l’apparition des fondements philosophiques de la pensée politique et juridique occidentale et des droits politiques et humains, ni Athènes ni Rome ne consacreront de véritables droits de l’homme pour l’individu : on ne peut tout simplement pas penser l’individu à cette époque. C’est l’influence chrétienne, très marquée au Moyen Âge, qui a permis la construction de la pensée moderne et l’émergence d’un droit des libertés. Notions clefs - Cité / démocratie / citoyen / étranger / barbare / esclave - Droit naturel classique / moderne - Aristote - Stoïcisme / Sénèque - Christianisme / Saint Thomas - Église / Inquisition - Contrat social / jusnaturalisme / Léviathan - Grotius / Locke / Hobbes / Rousseau Textes clefs - Magna Carta, 15 juin 1215 - Habeas Corpus, 27 mai 1679 - Bill of Rights, 13 février 1689 _________________ 25 Copyright © 2024 Pré-Barreau Plan Section I. L’Antiquité et les libertés § 1. La pensée gréco-romaine A. La naissance de la démocratie B. La naissance du droit naturel classique 1. L’apparition du droit naturel 2. Les limites du jusnaturalisme classique § 2. Les apports du christianisme Section II. Les libertés au Moyen-Âge § 1. La construction d’une pensée moderne § 2. L’émergence d’un droit des libertés Section III. Les libertés sous l’Ancien Régime § 1. Les Lumières et la progression des idées A. Le droit naturel moderne B. Les théories du contrat social § 2. La consolidation des libertés dans le droit positif _________________ 26 Copyright © 2024 Pré-Barreau Les libertés avant la Révolution de 1789 Les libertés fondamentales qui sont inscrites dans notre droit positif, et dans celui de l’humanité entière par le biais du droit international, sont la résultante d’un processus dont les racines sont lointaines. Elles sont le fruit d’une lente maturation des idées et des institutions, qui a connu ces derniers siècles une accélération très marquée. Elles ne peuvent donc être parfaitement comprises que si on les situe correctement dans leur genèse, et dans les liens complexes qui les unissent à la pensée politique occidentale. Il est ainsi impossible de faire l’impasse sur le monde Ancien, d’où vient notre conception du droit et des libertés. Cependant, de l’Antiquité à la Révolution, les « droits », au sens subjectif du terme, ne sont pas concevables. Cela s’explique par le fait que l’individualisme qui fonde le droit moderne ne constitue pas encore la clé de l’ordre politique et juridique ancien. Par ailleurs, le terme de « liberté » n’est sans doute pas encore entendu dans notre sens moderne, qu’il s’agisse de l’Antiquité (Section I), du Moyen Âge (Section II) ou de l’Ancien régime (Section III). Section I. Les libertés et l’Antiquité L’Antiquité est la période historique durant laquelle apparaissent les fondements philosophiques de la pensée occidentale. C’est cette pensée qui donnera sa forme à nos institutions modernes. Au-delà des droits politiques, l’Antiquité voit également se dessiner une esquisse des droits humains (§ 1), notamment sous l’effet de l’apparition de la théologie chrétienne (§ 2). § 1. La pensée gréco-romaine La pensée gréco-romaine est le système philosophique dont l’héritage traverse toute la pensée occidentale jusqu’à nos jours. Si la marque laissée tient principalement à la réflexion menée sur la question de la démocratie (A), on y trouve les prémisses d’une théorie du droit naturel, qui est le socle sur lequel les droits de l’homme pourront ensuite se développer (B). A. La naissance de la démocratie Il faut rappeler, brièvement, que les penseurs grecs ont théorisé et mis en pratique les premières formes de démocratie, comprise comme le pouvoir du peuple, dans l’histoire culturelle de l’Occident. Cette pratique, nouvelle pour l’époque, se manifeste particulièrement à Athènes dans les environs du VIe siècle avant Jésus-Christ. La démocratie grecque est une démocratie directe mais inégalitaire, puisque ne peuvent être citoyens ni les femmes, ni les esclaves, ni les étrangers. Rome reprend peu ou prou le système, en y ajoutant des institutions et des raffinements variables selon les époques. Le vote des citoyens riches y a plus de poids, et les fonctions publiques sont de fait souvent remplies par des membres de quelques familles riches et établies. B. Le droit naturel classique La pensée gréco-romaine se caractérise également en ce qu’elle pose les prémisses de ce qui deviendra la théorie du droit naturel, ou jusnaturalisme (1). Cependant, à cette époque, cette réflexion ne s’accompagne aucunement de la consécration de droits pour l’homme en tant qu’individu (2). _________________ 27 Copyright © 2024 Pré-Barreau 1. L’apparition du droit naturel Le monde grec, puis plus tard le monde romain, à la différence des autres civilisations qui leur sont contemporaines, sont les premiers à voir apparaître l’idée de la séparation entre la sphère privée et la sphère publique, entre l’individu d’une part et la Cité d’autre part. Les deux sphères ne sont cependant pas encore pensées en termes d’opposition : en effet, la Cité est conçue comme consubstantielle à l’homme. C’est ainsi que, selon Aristote (-384/-322), « l’homme est par nature un animal politique ». Le droit naturel chez les Anciens est totalement immergé dans le Kosmos. Ce n’est pas un droit transcendant qui émane d’une puissance supérieure : c’est un droit immanent, objectif, qui réside dans la nature des choses. Aussi le droit naturel classique a fort peu à voir avec l’humanisme du droit moderne : c’est un droit amoral qui renvoie à l’idée d’un maintien de l’équilibre général du monde, bien plus que de bonheur ou de liberté individuelle. Un courant infléchit néanmoins cette conception objectiviste et immanente : le stoïcisme. Ce courant très influent à Rome (Sénèque, Marc-Aurèle) oriente la pensée juridique et politique vers une morale pré- humaniste : les stoïciens formulent notamment l’idée d’une action politique qui recherche non seulement le bien de la Cité mais également la morale et la sagesse. 2. Les limites du jusnaturalisme classique Les grecs et les romains ne sont pas pour autant les pères de la conception moderne des droits individuels. Il n’y a chez eux aucune autonomie ni aucune liberté de la conscience individuelle : l’homme est un citoyen, mais n’est rien d’autre que cela, et sa liberté est conditionnée par son appartenance à la Cité, et circonscrite à la sphère politique. Si le citoyen est libre politiquement, la Cité possède en retour le pouvoir de régenter le moindre des aspects de la vie de ce dernier, sans limite : il n’y a pas de vie privée, il n’y a pas de liberté de religion et de conscience, et l’égalité est réservée aux individus de sexe masculin qui ont le statut de citoyens. Les femmes, les enfants, les esclaves (qui pourtant, parfois, avaient été citoyens d’une autre Cité) n’ont aucun droit. Rome ne réalise pas plus les droits de l’homme qu’Athènes, en dépit d’une conception plus universelle et moins ethnique du droit : l’esclavage est toujours considéré comme une chose naturelle, et les ennemis du pouvoir sont persécutés sans merci. Le christianisme va faire évoluer cet état de la pensée. § 2. Les apports du christianisme L’apparition du christianisme à la fin de l’Antiquité, et son irrésistible ascension, marquent un tournant décisif de la pensée morale et philosophique occidentale. Au cœur de la pensée chrétienne se trouvent deux idées qui vont contribuer à consacrer l’individu en tant que titulaire de droits. D’une part, l’idée que le Créateur a fait l’homme à son image emporte l’idée de la dignité de chaque individu, sans qu’aucune distinction ne soit a priori concevable : toute atteinte à un individu serait une atteinte à l’image du Créateur en lui. D’autre part, le christianisme professe que l’homme est libre, c’est ce qui lui donne la capacité à la fois de pécher et de se racheter ; ainsi l’homme est-il responsable. Aux premiers siècles de notre ère, à la fin de l’Antiquité, l’influence chrétienne ne se traduit pas encore dans le droit positif, étant donné que le christianisme ne se conçoit pas essentiellement comme un projet politique (« Mon royaume n’est pas de ce monde », reflété plus tard par la distinction thomiste entre la Cité des hommes et la Cité de Dieu). Cela n’empêche pas les romains de s’en méfier comme portant les ferments de la désobéissance, puisque la déférence due à Dieu place les chrétiens au-dessus de l’obéissance due à l’État. _________________ 28 Copyright © 2024 Pré-Barreau C’est au Moyen-âge que la pensée chrétienne commence à réellement déployer ses effets ; à la même époque, les premières libertés, formelles et concrètes, apparaissent. Section II. Les libertés au Moyen Âge Les historiens datent souvent le commencement du Moyen Âge à la fin du règne du dernier empereur romain d’Occident en 476. Contrairement à une idée reçue, le Moyen Âge n’est pas une époque de disparition totale de toute pensée éclairée et de toute liberté : c’est au contraire le moment de la construction d’une pensée moderne (§ 1) qui porte l’émergence d’un droit des libertés (§ 2). § 1. La construction d’une pensée moderne Parmi les réflexions significatives pour l’apparition d’une pensée moderne des droits de l’homme, le thème de la légitimité du pouvoir politique occupe une place essentielle, avec l’évocation d’un droit/devoir de résistance à un gouvernement injuste, qui était déjà en germe dans la pensée hellénique. C’est ainsi que se développe l’idée de conditionnalité de la domination politique, sous le regard de Dieu : Saint Thomas d’Aquin (1224/1274) met en avant la possibilité de destituer le mauvais souverain, et affirme qu’en cas de conflit entre les lois humaine et divine, la seconde doit l’emporter, ce qui autorise au moins théoriquement une certaine désobéissance au pouvoir séculier. Cette école de pensée initiée par Saint Thomas renferme d’autres réflexions, partagées par un certain nombre de ses contemporains, qui auront une influence positive sur le développement des droits humains : affirmation que la Raison aristotélicienne est compatible avec le christianisme, importance accordée à la personne humaine, affirmation de l’autonomie de la volonté de l’individu. Sous l’angle de la philosophie politique, le pouvoir du souverain se voit limité par l’exigence qui lui est opposée de poursuivre le bien commun : ce faisant, les légistes théorisent le concept de lois fondamentales qui s’imposent au Roi. C’est ainsi, par exemple, que les principes de dévolution du pouvoir s’imposent à tous, sans qu’il soit du pouvoir de quiconque de décider de ne pas les appliquer. § 2. L’émergence d’un droit des libertés La période du Moyen Âge est fertile en progrès concrets pour les droits de l’homme. Certaines communautés obtiennent la reconnaissance de libertés effectives, tandis que les juridictions de type « constitutionnel » font leur apparition. Tout d’abord, ce que l’on appelle les universitates, qui comprennent les corporations, les universités, ou encore les ordres, obtiennent la reconnaissance de libertés, franchises et exemptions de toutes sortes, sous forme de chartes concédées par le seigneur local et qui ne peuvent plus, par la suite, être remises en cause. De même, les bourgeois des villes obtiennent souvent des concessions des seigneurs qui leur offrent des garanties fiscales, mais également judiciaires, à leur bénéfice. Ce mouvement de reconnaissance des libertés et de consécration de leur valeur contraignante pour les gouvernants se retrouve également à l’échelon royal, avec des textes de portée générale. Le premier et le plus célèbre d’entre eux est sans nul doute la Magna Carta Libertatum (i.e. Grande Charte), concédée par le roi anglais Jean Sans Terre à ses sujets en 1215. Ce texte est réaffirmé en 1225. Il comprend l’énoncé que le pouvoir politique doit garantir les droits et les libertés des individus (procédure pénale équitable préfigurant l’habeas corpus, jugement par des pairs réunis en jury, liberté de circulation dans le royaume), qui peuvent les invoquer devant les tribunaux. La Charte consacre aussi divers privilèges (noblesse, Église, mais aussi corporations et Cité de Londres). Ce texte constitue l’un des documents les plus importants de l’histoire de la démocratie moderne, en ce qu’il marque le passage d’un État absolu à un État de droit où le pouvoir est limité par les règles juridiques. _________________ 29 Copyright © 2024 Pré-Barreau Enfin, des juridictions chargées de faire appliquer les lois fondamentales apparaissent un peu partout en Europe, en même temps que se diffuse dans le droit positif la consécration de règles auxquelles nul ne peut déroger, pas même le souverain. Les lois fondamentales ne comprennent pas alors formellement de libertés publiques, mais l’idée même de « fondamentalisation », et de cour constitutionnelle – à travers les parlements – est fondamentale pour la protection des libertés par la suite. Toutefois, ces acquis sont relatifs : la période est une période de profondes inégalités où, si les bourgeois des villes réussissent à obtenir quelques libertés, celles des serfs ordinaires se réduisent à presque rien. En outre, la fin du Moyen-Âge coïncide avec l’apparition de l’Inquisition, qui est un tribunal d’exception relevant de l’Église, mis en place pour lutter spécifiquement contre les manifestations de l’hérésie, c’est-à-dire la manifestation d’une opinion divergente de la doctrine de l’Église. Section III. Les libertés sous l’Ancien Régime Pour les historiens, le Moyen Âge prend fin dans la seconde moitié du XVe siècle. C’est en effet vers cette période que l’on voit émerger les institutions de l’Ancien Régime et la pensée philosophique qui les sous-tend. Pensée et pratiques s’éloignent graduellement du féodalisme pour évoluer vers un monarchisme qui, d’abord absolu, devient raisonné, pour finalement être remis en cause lors de la période révolutionnaire. Les Lumières ont ainsi rendu possible une progression des idées (§ 1) conduisant à une consolidation des libertés dans le droit positif (§ 2). § 1. Les Lumières et la progression des idées La période qui s’ouvre au XVIe siècle jusqu’à la Révolution est très fertile en idées s’inscrivant en rupture avec l’ordre établi : apparaît l’idée laïque du droit naturel (A). Parallèlement, les Lumières vont mettre en valeur la notion de contrat social (B). A. Le droit naturel moderne Le droit naturel connaît un renouveau avec l’école du droit naturel dont la figure fondatrice est celle de Hugo Grotius (Huig Van Groots, 1583/1645), son œuvre principale s’intitulant : « Du droit de la guerre et de la paix » (De jure belli ac pacis, 1625). Grotius pose l’existence d’un droit naturel rationnel qu’il rend autonome, y compris de l’existence de Dieu, car ses principes « sont clairs et évidents par eux-mêmes » grâce à l’œuvre de la raison qui « fait connaître qu’une action est honnête ou déshonnête ». Ce raisonnement aboutit à conférer un certain rôle à l’État, qui reçoit pour seule fin de protéger et garantir ces droits propres aux hommes, qui sont des « personnes libres qui se sont jointes ensemble pour jouir paisiblement de leurs droits ». B. Les théories du contrat social Ce courant de pensée se retrouve dans les écrits de John Locke (1632/1704), l’un des premiers penseurs préfigurant la pensée libérale, qui sera essentielle à l’apparition des droits de l’homme entendus dans leur forme moderne. Sa philosophie repose en partie sur l’idée selon laquelle les hommes sont naturellement dans un état de parfaite liberté. La liberté de chaque homme dans ses actions et dans la disposition de ses biens n’est limitée que par la « loi de la Nature », de sorte qu’il n’a besoin de l’autorisation d’aucun autre homme. À l’issue du raisonnement de Locke se trouve l’idée, préfigurant le libéralisme, que la société et les lois positives devront maintenir les caractéristiques naturelles de l’homme autant qu’il est possible, donc les laisser aussi libres et égaux que possible. On trouve également une référence à l’idée de contrat social, les hommes s’associant pour protéger au mieux cette liberté (et la propriété) qui leur est naturelle. _________________ 30 Copyright © 2024 Pré-Barreau Si l’idée de contrat social est présente chez Locke, elle devient centrale chez d’autres penseurs qui lui sont contemporains. Ainsi, chez Thomas Hobbes (1588/1679), l’état de nature étant un état de guerre généralisée de chaque homme contre tous les autres, le contrat permet à chacun d’obtenir la paix et la sécurité, au prix de l’aliénation de sa liberté au profit de l’État (le Léviathan, qui donne son titre à l’ouvrage publié en 1651). Jean-Jacques Rousseau (1714/1778) cherche quant à lui un système politique démocratique (Du contrat social, 1762), s’intéressant particulièrement dans ses écrits à l’égalité. Pour Rousseau, pour établir un système favorable à l’égale liberté de tous, il faut conclure un véritable contrat dans lequel chacun aliène la totalité de sa liberté : alors, tous sont égaux en tant que citoyens, tous participent à l’élaboration de la loi fondamentale et chacun, en obéissant à cette dernière, obéit en fait à lui-même. Une lecture déformante de Rousseau est à l’origine du légicentrisme français, mythe qui veut que la loi soit parfaite et soit toujours légitime. § 2. La consolidation des libertés dans le droit positif En France, l’édit de Nantes (1598) reconnaît formellement des droits aux protestants : liberté de conscience et de culte. Il sera cependant révoqué par Louis XIV en 1685. Les avancées du droit positif sont peu importantes, et consistent avant tout en une consolidation des acquis de la période antérieure, tandis que le pouvoir royal se renforce et se centralise. C’est hors de France, singulièrement en Angleterre, que les idées progressistes de la période s’incarnent le mieux dans le droit positif. Tout au long du XVIIe siècle, l’Angleterre est ainsi la terre d’élection de la concrétisation des droits de l’homme. Tout d’abord, le roi Charles Ier Stuart accorde le 26 juin 1628 la Petition of Rights aux deux chambres du Parlement, en échange de nouveaux impôts qu’il veut lever. Les 11 articles de la Petition prohibent les arrestations et détentions illégales, mais leur vie est courte puisqu’ils ne sont appliqués que deux ans. Par la suite, l’Habeas Corpus, qui se traduit par « que tu aies ton corps », est adopté par le Parlement le 27 mai 1679, et consacre les droits contenus dans la Petition of Rights, en les « constitutionnalisant ». Ainsi tout homme arrêté a le droit d’être présenté dans les trois jours à un juge qui statue sur la légalité de son arrestation ; toute détention arbitraire ouvre droit à des dommages-intérêts et à la sanction des responsables. Enfin, parachevant cette évolution, le Bill of Rights est adopté par le Parlement le 13 février 1689 et est imposé à Guillaume III d’Orange comme condition à son accession sur le trône. Il se situe dans la droite lignée des deux textes précédents, mais apporte un bouleversement profond au système anglais : en affirmant l’existence de droits traditionnels du peuple anglais et de ses représentants, il met fin à la royauté de droit divin en Angleterre, subordonnant le pouvoir royal à la loi. Il « fondamentalise » les droits énoncés en les plaçant au-dessus du pouvoir du roi et de la législation ordinaire. _________________ 31 Copyright © 2024 Pré-Barreau _________________ 32 Copyright © 2024 Pré-Barreau Fiche 4 – Les libertés depuis la Révolution de 1789 En bref La période révolutionnaire forme un tournant en matière de droits fondamentaux avec l’adoption de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen en 1789. Cette révolution a pénétré le droit positif avec lenteur, retours et tâtonnements. Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les droits et libertés fondamentaux se trouvent renouvelés, dans leur pensée et leur effectivité. La cruauté des crimes ayant marqué cette période a permis une prise de conscience collective qui a débouché sur la mise en place de mécanismes destinés à les protéger plus efficacement. Notions clefs - Déclaration des droits / jusnaturalisme - Droits et libertés / loi / souveraineté - République / principes fondamentaux reconnus par les lois de la République - Lois scélérates - Burke / traditionalisme - Maistre / Marx - Totalitarismes - Protection internationale / constitutionnalisme - Loi fondamentale - Terrorisme / limitation des libertés Textes clefs - Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 - Préambule de la Constitution de 1946 - Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 - Pactes des Nations-Unies (PIDCP/PIDESC) de 1966 - Convention européenne de sauvegarde des droits et libertés fondamentales de 1950 - Constitution de la Ve République de 1958 _________________ 33 Copyright © 2024 Pré-Barreau Plan Section I. L’héritage révolutionnaire § 1. La proclamation des libertés § 2. La marche contrariée des libertés A. La contestation des libertés B. L’œuvre républicaine Section II. Le renouveau de l’après Seconde Guerre mondiale § 1. La protection renforcée des droits et libertés A. L’internationalisation de la protection 1. Le système international 2. Les mécanismes régionaux B. Les évolutions nationales § 2. Les ambivalences de la période actuelle _________________ 34 Copyright © 2024 Pré-Barreau Les libertés depuis la Révolution de 1789 La période révolutionnaire constitue un bouleversement total de l’ordre juridique positif et des idées. Le droit ancien était fondé sur l’ordre objectif de la nature des choses, où l’homme n’était qu’un élément d’un Tout. Le droit issu de la Révolution est un droit tout entier fondé sur l’individu, sa volonté et sa subjectivité. Les libertés ne sont plus uniquement des libertés politiques ou des libertés collectives, mais des libertés reconnues à l’individu. La période révolutionnaire et son héritage sont néanmoins suivis par des phases de profondes régressions (Section I). Les libertés et droits fondamentaux connaissent toutefois un renouveau salutaire après la Seconde Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, bien que la période actuelle ne puisse apparaître comme un achèvement (Section II). Section I. L’héritage révolutionnaire La Révolution française (1789/1795) n’est pas le seul moment historique de l’affirmation des libertés. L’influence des révolutions anglaise (1688) et américaine (1776) est également sensible. La période révolutionnaire est propice à la proclamation des libertés (§ 1). Son héritage, parfois contesté, est néanmoins durable (§ 2). § 1. La proclamation des libertés La période de la Révolution, entendue jusqu’à l’instauration du Consulat qui préfigure l’Empire, est très riche parce qu’elle offre à des esprits éclairés par les Lumières le moment de reconstruire, sur la table rase de l’Ancien Régime, un nouveau système juridique, fondé sur l’humanisme et la raison. Sous l’angle des libertés, le texte central de la période révolutionnaire est la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen votée par l’Assemblée constituante les 20-26 août 1789. La Déclaration se veut universelle ; elle fait des droits de l’homme la mesure à l’aune de laquelle toute société doit être jugée. Ainsi, son article 2 énonce que « [l]e but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression » Les droits proclamés sont donc « naturels » et, par conséquent, intrinsèques à la nature humaine. La Déclaration fait de la loi la garantie des libertés : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi » (article 4). La proclamation des droits n’est donc pas pensée indépendamment de la souveraineté de la loi (article 6). La Déclaration de 1789 n’est pas le seul texte de la période révolutionnaire qui intéresse les libertés et droits fondamentaux. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793, en préambule de la Constitution de la même date, jamais appliquée, réaffirme que « [l]e gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles » au premier rang desquels figure l’égalité. Cette Déclaration va beaucoup plus loin dans la proclamation des droits de l’homme, puisqu’elle instaure des droits-créances à la charge de l’État, à savoir le secours des indigents et l’instruction pour tous (articles 21 et 22). L’œuvre législative est aussi significative. En particulier, l’abolition de l’esclavage est proclamée en 1794, bien qu’elle n’ait été définitivement acquise qu’en 1848. Les droits et libertés proclamés rencontrent toutefois d’assez vives contestations. Mise à part celles de l’Église, la critique de Burke (1729/1797), député libéral britannique, doit être soulignée. Il conteste en effet le caractère abstrait de l’affirmation des droits, et oppose à ce qu’il considère comme un rationalisme utopiste et dogmatique, une conception traditionaliste des droits et libertés qui ne sont et ne peuvent être que les produits de l’histoire. Thomas Paine (1737/1809), citoyen anglais naturalisé français, _________________ 35 Copyright © 2024 Pré-Barreau qui a pris une large part dans la Révolution américaine, défend au contraire l’idée d’un système rationnel et général fondé sur le jusnaturalisme. § 2. La marche contrariée des libertés La période qui s’ouvre avec le Consulat, et qui prend fin à la Libération en 1945, forme un continuum inégal, au sein duquel la négation (A) comme l’exaltation (B) des droits et libertés ont eu lieu, à la fois dans l’idéologie et dans les faits. A. La contestation des libertés La radicalisation de la Révolution et la période qui la suit durant le XIXe siècle ne sont pas propices à l’éclosion des libertés. La première moitié du XIXe siècle correspond à une éclipse des droits de l’homme. Si la Constitution napoléonienne de l’An VIII mentionne encore les droits et libertés individuelles, la pratique du régime ne tient aucun compte des libertés politiques. Louis-Napoléon Bonaparte (Napoléon III), quant à lui, se pose initialement en défenseur de l’acquis révolutionnaire bourgeois (droit de propriété, liberté contractuelle), mais la Constitution du 14 janvier 1852 lui laisse toute la marge nécessaire pour bafouer les libertés publiques et restaurer un régime autoritaire prenant modèle sur celui de son oncle. Par ailleurs, la période est marquée par l’apparition de critiques puissantes de l’individualisme libéral qui inspire les textes révolutionnaires. La critique marxiste des libertés est fondée sur l’illusion que représente la proclamation des libertés et des droits fondamentaux. Les libertés ainsi consacrées ne seraient que formelles, car les individus sont dans un état de dépendance et d’aliénation qui les empêche d’en faire usage, seuls les bourgeois ou capitalistes ayant les moyens d’en profiter. Les libertés sont un instrument idéologique de la classe dominante pour maintenir un ordre social injuste. La dictature du prolétariat doit au contraire conduire à l’émergence d’une société sans classes sociales où se réaliseraient les libertés réelles, accessibles à chacun des membres de la société et assurées par le biais de droits-créances. Cette critique marxiste est elle-même précédée par une critique contre-révolutionnaire du nouvel ordre issu de la Révolution. Joseph de Maistre (1753/1821), à qui l’on doit l’invention du mot « individualisme » (Des origines de la souveraineté, 1794), qu’il connote de façon particulièrement péjorative, professe une conception organiciste et théocratique de la société. Il s’agit de l’œuvre de Dieu, à laquelle il n’appartient pas à l’homme d’y changer quoi que ce soit. La raison individuelle doit céder à l’ordre social ainsi conçu ; l’esprit critique doit céder au dogme de la tradition ; l’égalité doit laisser la place à une société hiérarchisée. L’universalisme des droits de l’homme est une pure fiction : « Il n’y a point d’homme dans le monde. J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes ; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan ; mais quant à l’homme je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie ; s’il existe c’est bien à mon insu » (Considérations sur la France, 1796). Les totalitarismes concrétisent la négation des droits de l’homme. Le bolchevisme, le fascisme et le nazisme nient l’individu et sa primauté. Les droits et libertés sont annexés à la nécessité historique, celle de la lutte des classes, de l’État ou de la race. Le régime de Vichy repose sur des fondements analogues. La période 1799/1945 s’achève ainsi dans une profonde régression des libertés. B. L’œuvre républicaine Mais le mouvement n’est pas à sens unique. Pendant la même période, les régimes républicains sont également, en France, le moment de l’affirmation – non sans limites – des droits et libertés. L’apport de la IIe République est plutôt symbolique, tandis que la postérité des mesures adoptées sous la IIIe République est bien réelle. _________________ 36 Copyright © 2024 Pré-Barreau La philosophie de la IIe République consiste à instaurer un équilibre plus harmonieux entre liberté et égalité, et à y ajouter la dimension fraternelle, sous la forme d’une entraide nationale. La Constitution du 4 novembre 1848 se place dans la continuité de la Révolution tout en infléchissant ses aspects les plus bourgeois. Cette conciliation débouche sur l’énoncé de droits et libertés très complet, mêlant individualisme libéral classique et droits sociaux. Peu de réalisations concrètes ont survécu à ce régime politique, sinon la mémoire de certaines expérience marquantes (en particulier la création d’ateliers nationaux pour employer les chômeurs), ou bien ce texte décisif proclamant l’abolition définitive de l’esclavage, en 1848 sous l’impulsion déterminante de Victor Schoelcher. Les acquis de la IIIe République, en revanche, perdurent jusqu’à nos jours. Pourtant, rien ne prédisposait ce régime à consacrer les libertés : les trois lois constitutionnelles de 1875 sont extrêmement brèves et ne comportent aucun énoncé des droits ni aucun mécanisme de sauvegarde ; la République elle- même n’était d’ailleurs conçue que pour favoriser une nouvelle Restauration. Elle est toutefois à l’origine de l’affirmation législative de nombreux droits et libertés, qui ont constitué des avancées décisives : liberté de réunion (juin 1881), liberté de la presse (juillet 1881), liberté syndicale (1884), liberté d’association (1901), séparation des Églises et de l’État (1905). Ces acquis sont pérennisés sous les IVe et Ve Républiques sous la forme des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR). C’est également durant cette période que le Conseil d’État s’érige comme un instrument de protection des libertés contre les excès de pouvoir commis par l’Administration. La IIIe République n’est toutefois pas exemplaire en ce qui concerne les libertés. L’action du législateur, en l’absence de contrôle effectif de constitutionnalité, porte parfois atteinte à des libertés essentielles. Les « lois scélérates » en sont un bon exemple. L’expression, forgée par Francis de Pressensé, Émile Pouget et Léon Blum dans un pamphlet publié en 1899 (Les Lois Scélérates de 1893-1894), fustige un ensemble de lois visant à réprimer le mouvement anarchiste au mépris de la légalité pénale. Section II. Le renouveau de l’après Seconde Guerre mondiale Il n’est pas besoin de rappeler quels crimes horribles ont marqué les consciences pendant la Seconde Guerre mondiale, et ceci à l’échelle de la planète. Il s’en est suivi une prise de conscience collective très forte qui a débouché sur un renouveau des droits de l’homme, sous la double forme d’une pensée beaucoup plus engagée en leur faveur, fondée sur l’universalisme des droits de l’homme et un certain jusnaturalisme, et de la mise en place de mécanismes destinés à les protéger plus efficacement (§ 1). La période actuelle recueille cet héritage mais n’en est pas moins ambivalente sous l’angle de la protection des libertés et droits fondamentaux (§ 2). § 1. La protection renforcée des droits et libertés La période qui s’étend entre 1945 et le XXIe siècle voit la multiplication et le renforcement des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et ceci malgré l’existence jusqu’en 1991 d’un bloc soviétique à l’intérieur duquel les libertés individuelles ont disparu. Ce mouvement de consolidation se produit aussi bien au niveau international (A) que national (B). A. L’internationalisation de la protection Le phénomène sans doute le plus marquant de la seconde moitié du XXe siècle est l’internationalisation des droits de l’homme et de leur protection. Le constat de l’incapacité de certains pays pendant la guerre à résister à la tentation d’anéantir les droits de la personne humaine, couplée au désir de reconstruire un système international basé sur la paix, débouche sur la mise en place d’un système international (1) et de mécanismes régionaux (2) de protection des droits de l’homme. _________________ 37 Copyright © 2024 Pré-Barreau 1. Le système international C’est dans le cadre nouveau des Nations-Unies, organisation internationale à vocation universelle créée en 1945, que l’essentiel de la protection internationale des droits de l’homme voit le jour. La Déclaration universelle des droits de l’Homme est ainsi adoptée le 10 décembre 1948 à Paris. Inspirée par la Déclaration de 1789, elle est le premier texte mondial relatif aux droits humains fondamentaux. Bien qu’elle n’ait pas de portée juridique obligatoire, sa force d’inspiration et d’influence est bien réelle. C’est encore dans le cadre des Nations-Unies que sont adoptés deux pactes internationaux d’importance majeure le 16 décembre 1966 : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels (PIDESC). Ces pactes détaillent respectivement les droits de première et de deuxième génération, leur séparation en deux textes étant le fruit d’un bras de fer idéologique entre les deux blocs, américain et soviétique, quant au contenu des droits. L’originalité du PIDCP réside dans l’instauration d’un Comité des droits de l’homme chargé du contrôle du respect des droits proclamés. La sanction d’une violation n’est cependant que faiblement normative, avec l’établissement d’observations et de recommandations. Les Nations-Unies sont enfin le lieu de promotion des libertés et des droits individuels, avec l’adoption de textes spécifiques de lutte contre la discrimination fondée sur la race (1965) ou sur le genre (1980), ou encore relatifs aux droits de l’enfant (1989). Le droit humanitaire, qui assure d’une certaine manière le respect de la vie et de la dignité de la personne humaine, connaît aussi un essor très important (v. les Conventions de Genève de 1949), tant dans le cadre de l’ONU que dans un cadre multilatéral non institutionnel (v. à ce sujet la Convention sur les armes à sous-munitions signée par 94 États à Oslo les 3 et 4 décembre 2008). Tous ces textes sont marqués par une aspiration universaliste plus ou moins prononcée, ainsi que par la nécessité de proclamer des droits qui s’inscrivent dans une sphère qui échappe au moins en partie aux États. Le problème de cette approche, cependant, est d’être peu contraignante pour les États, l’effectivité du droit international en général étant notoirement limitée. 2. Les mécanismes régionaux La même volonté de proclamation solennelle des droits de l’homme se retrouve au niveau régional. L’initiative la plus ancienne, et la plus aboutie jusqu’ici, réside dans la construction du système européen des droits de l’homme sous la direction du Conseil de l’Europe. La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) est un traité international signé par les États membres du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950, complété ensuite par de nombreux protocoles. Son efficacité est assurée grâce à un mécanisme de protection extrêmement abouti, qui va jusqu’à offrir (depuis l’adoption du Protocole n° 11) la possibilité à toute personne présente sur le territoire d’un État signataire de saisir la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête individuelle afin de faire constater la violation de l’un des droits garantis par la CESDH. Ce droit de recours, combiné au fait que la Convention est invocable devant les tribunaux étatiques par les particuliers, en fait un instrument très efficace de protection des droits de l’homme, qui a connu un succès considérable, probablement bien au- delà de ce que les États signataires avaient anticipé. La Cour a eu le courage de mener une politique jurisprudentielle très fine mais très audacieuse qui a enrichi le texte de la Convention. Parallèlement, il faut signaler que l’Union européenne, autre organisation régionale, s’est dotée en 2000 d’une Charte des droits fondamentaux qui a une force obligatoire depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er janvier 2009. En dehors de l’Europe, des expérimentations régionales ont vu le jour en Amérique et en Afrique. Ainsi, en 1969, l’Organisation des États américains a adopté la Convention américaine des droits de l’homme, instaurant un organe de surveillance assez semblable à ce qu’était la Cour de Strasbourg à ses débuts, sous la forme d’une Cour située au Costa Rica. De même, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) s’est _________________ 38 Copyright © 2024 Pré-Barreau dotée en 1981 d’une Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, dont le contenu est plus riche que les seuls droits hérités de la tradition occidentale. L’effectivité de la Charte est assurée par la création, en 2004, en vertu de l’article 1er de son Protocole, de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. B. Les évolutions nationales À leur niveau individuel, de très nombreux États ont mené une réflexion sur la multiplication et le renforcement des droits de l’homme au sein de leur ordre juridique. Par exemple, la Loi fondamentale allemande de 1949 consacre ses premiers articles à une énumération de droits garantis, qui sont placés à un niveau supra-législatif avec la garantie qu’offre l’existence d’une cour constitutionnelle. La France ne fait pas exception à ce mouvement. Le Préambule de la Constitution de la IVe République (1946) est l’occasion pour la France de se doter d’une nouvelle déclaration des droits, destinée à compléter la Déclaration de 1789. C’est ainsi que le Préambule s’attache à consacrer la deuxième génération de droits, sous la forme de droits-créances, qui se caractérisent par le fait qu’ils nécessitent, pour se réaliser, le concours actif de l’État, dont les prestations vont permettre à l’individu de s’épanouir. On peut citer parmi eux le droit à l’emploi, à l’instruction, ou à la protection sociale. L’idée de ces droits n’est pas neuve, mais ils sont formulés pour la première fois avec netteté, y compris dans leur dimension de créance détenue par l’individu sur la société. La Constitution de la Ve République, en revanche, ne comporte aucune déclaration des droits. Son Préambule se contente de renvoyer à des références historiques, sans que cela n’ait de portée normative dans l’esprit de ses rédacteurs. Tout au plus peut-on relever la mention de la devise de la République, « liberté, égalité et fraternité ». La création du Conseil Constitutionnel, qui n’est au départ que le « chien de garde du parlementarisme rationalisé », va devenir au fil des années un des principaux garants des libertés et des droits constitutionnels en France. § 2. Les ambivalences de la période actuelle La décennie qui vient de s’écouler est marquée par une relative régression des droits de l’homme, qui est cependant tempérée par quelques signes encourageants. De nombreux auteurs notent ainsi que la période contemporaine marque un net recul dans les droits et libertés des individus en Occident. Les attentats du 11 septembre aux États-Unis et les guerres qui s’en sont suivies, avec une exposition accrue au risque terroriste, a été un prétexte pour renforcer les pouvoirs de l’État dans sa dimension policière. Les États-Unis ont donné le ton de cette tendance avec le Patriot Act du 26 octobre 2001, qui diminue les droits de la défense, renforce les pouvoirs de l’Administration chargée de lutter contre le terrorisme, érode la protection de la vie privée et porte atteinte à la liberté d’expression. La création de la catégorie juridique de combattant illégal, l’usage de la torture avéré à Guantanamo et sur le théâtre des opérations de guerre, les enlèvements et détentions arbitraires au nom de la lutte contre le terrorisme sont autant de manifestations de la dérive de l’État américain. Le dernier étant le Muslim ban qui interdit l’accès au territoire américain à des citoyens relevant de certains États à majorité musulmane. Il est douteux que ces atteintes portées aux droits fondamentaux aient été pleinement nécessaires et tout à fait proportionnées. La Cour suprême a néanmoins décidé de le remettre en vigueur après une brève période de suspension. De très nombreux autres États occidentaux ont suivi cette tendance générale de limitations des libertés au nom de la sécurité publique et de la lutte contre le terrorisme, dont la France. La plupart des observateurs sont d’accord pour dire que, sans être menacées pour autant de disparition, les libertés publiques ont subi de sévères restrictions ces dernières années en France (vidéosurveillance, procédure pénale, fichiers, etc.). La volonté des autorités d’inscrire le droit de l’état d’urgence dans le droit commun constitue une manifestation non négligeable de cette nouvelle manière d’appréhender les libertés. _________________ 39 Copyright © 2024 Pré-Barreau Il faut toutefois relativiser cette régression qui s’inscrit dans le court terme. Une quatrième génération des droits, qui protégeraient la personne humaine contre les nouveaux dangers auxquels les progrès de la technique l’exposent maintenant (manipulations génétiques, surveillance automatisée, etc.) semble faire son apparition. Par ailleurs, même si elles ne sont pas à l’abri des critiques, les juridictions constitutionnelles, régionales et internationales ont joué un rôle modérateur qui n’a pas toujours été au détriment des libertés et droits fondamentaux. _________________ 40 Copyright © 2024 Pré-Barreau Fiche 5 – L’État de droit En bref Les libertés et droits fondamentaux sont intimement liés à l’État de droit. La théorie de l’État de droit permet de comprendre comment les droits fondamentaux ont bouleversé notre conception de l’État. Celui-ci s’affirme moins comme un pouvoir souverain qu’un pouvoir contrôlé, limité et visant, aussi bien matériellement (la protection des droits) que dans sa forme (les garanties contre l’arbitraire), à la protection des droits des individus. La démocratie illibérale ou démocrature est un système politique qui tend à se développer dans certains États du Conseil de l’Europe. Ce type de régime adhère formellement aux principes de la démocratie et de la souveraineté du peuple, tout en refusant en substance les valeurs de l’État de droit au profit de valeurs plus autoritaires. L’émergence de ce nouveau rapport aux libertés mobilise nécessairement les institutions européennes, lesquelles entendent se fonder sur les valeurs de la société démocratique. Notions clefs - État légal / État de droit - Légicentrisme / constitutionnalisme - Prééminence du droit - Normes / hiérarchie des normes - Clause d’éternité - Juge / contrôle juridictionnel / garanties juridictionnelles - Actes de gouvernement / mesures d’ordre intérieur - Droit au juge / droit à l’exécution des décisions de justice - Droit au Droit / qualité du droit / sécurité juridique - Démocratie illibérale - Dictature de la majorité - Cours suprêmes - État de droit / valeurs de l’Union - Populisme / souveraineté - Commission de Venise Textes clefs - Article 7 du Traité sur l’Union européenne _________________ 41 Copyright © 2024 Pré-Barreau Plan Section I. Le pouvoir neutralisé § 1. Le règne de la norme § 2. L’empire du juge A. Une confiance singulière B. Des limites rémanentes Section II. Les garanties généralisées § 1. Le droit au juge A. Le droit d’accès à un tribunal B. Le droit à l’exécution des décisions de justice § 2. Le « droit au Droit » A. La qualité des normes B. La sécurité juridique Section III. La démocratie sans l’État de droit : la démocratie illibérale § 1. Les composantes de la démocratie illibérale A. L’utilisation de la forme démocratique B. La contestation de l’État de droit 1. Le refus des contre-pouvoirs 2. Le refus des valeurs de la société démocratique § 2. L’Europe contre la démocratie illibérale A. L’Union européenne contre la démocratie illibérale 1. La procédure de prévention : l’« alerte précoce » de la Commission 2. La procédure de sanction : le recours à l’article 7 du TUE B. Le Conseil de l’Europe contre la démocratie illibérale 1. L’inconstance de la Cour EDH

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