Un Simple Soupçon PDF - Sandrine Beau

Summary

This captivating novel, "Un simple soupçon," by Sandrine Beau, details the unfortunate circumstances faced by Jacob and his family, showcasing an underlying theme of injustice, and exploring themes of family relationships and societal pressures. The story revolves around challenges faced in a seemingly normal family.

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Sandrine Beau SANDRINE BEAU SANDRINE BEAU UN SIMPLE SOUPÇON « Je suis le docteur Kayser, le médecin chef de la SCAS. C’est moi qui suis responsable de votre dossier. Et je ne vous cache pas que vous avez un très sérieux problème. » Voilà les mots qui...

Sandrine Beau SANDRINE BEAU SANDRINE BEAU UN SIMPLE SOUPÇON « Je suis le docteur Kayser, le médecin chef de la SCAS. C’est moi qui suis responsable de votre dossier. Et je ne vous cache pas que vous avez un très sérieux problème. » Voilà les mots qui font basculer la vie Un simple soupçon de Jacob et sa famille. Pour quelques kilos en trop et un simple soupçon, les quatre enfants et leurs parents se retrouvent mis à l’écart de la société. Avec l’aide de Bonnie, sa meilleure amie, l’ado va essayer de sortir de cette spirale infernale… - zone J ,!7IC8H4-cdbged! 8,50 EUR ISBN 978-2-87423-164-3 Du même auteur chez le même éditeur SANDRINE BEAU Peur dans la neige, 2019. roman © 2021, Éditions Mijade Rue de l’Ouvrage, 18 B-5000 Namur www.mijade.be Illustration de couverture : Zoé Donnay / Shutterstock D/2021/3712/20 ISBN 978-2-87423-164-3 Imprimé en Bulgarie À tous ceux et celles qui savent regarder au-delà des différences. À tous ceux et celles qui luttent contre l’injustice. À Malou, Loli, Emma et Quentin, mes enfants, et à Ritchy, leur papa, qui font partie de ceux et celles-là. PROLOGUE – Donnez-nous la friteuse ! Ma mère les a regardés avec un air ahuri. – La friteuse ? – N’essayez pas de faire les malins avec nous, a ajouté le second type. Donnez-nous la friteuse. – Mais… Quelle friteuse ? – « Votre » friteuse. – On n’a pas de friteuse… La voix de ma mère n’était plus qu’un filet. – Bon… puisque vous la jouez comme ça. C’est vous qui voyez, madame Fati. – Mais je ne joue pas, s’est défendue faiblement ma mère, qui ne comprenait toujours pas ce qui se passait. – Rassemblez vos enfants, s’il vous plaît. – Pour quoi faire ? – Rassemblez vos enfants, je vous dis. – Je vais les chercher, Maman, je suis intervenu. – Toi, le petit gros, a repris le type, tu ne bouges pas. 7 Maman m’a regardé avec des yeux pleins de détresse. – Pourquoi on cherche des choses sur lui ? La colère bouillait en moi. – Parce qu’il a fait quelque chose de mal. – Ce n’est pas grave, Jacob, a soufflé Maman. – Elle a fait quelque chose de mal, Maman ? a voulu Puis elle a appelé : savoir May, qui ne riait plus du tout. – Edna, May, Sissi, venez, les filles ! – Non, non ! j’ai rassuré mes sœurs. Elle n’a rien fait, On a entendu une nuée de petits pieds dans le couloir Maman. et mes trois sœurs sont arrivées. – Mais alors, pourquoi ils sont chez nous ? s’est inquié- – Qu’est-ce qui se passe ? a demandé Edna. tée Edna, en jetant un regard torve vers le bonhomme – C’est qui, les monsieurs ? a fait Sissi en enfilant un qui nous surveillait. doigt dans sa narine. – Ils cherchent une friteuse. – C’est rien, j’ai répondu. – Une friteuse ? Le type m’a regardé avec un sale air. – Oui, est intervenu le type (celui que l’autre avait – Nous sommes ici dans le cadre d’une enquête, il a appelé « Yate »). Et d’ailleurs, vous pouvez me dire où dit à mes sœurs. votre maman la cache ? Puis, il s’est tourné vers son collègue : – C’est quoi, une friteuse ? a repris Sissi, sans prêter – Yate, tu restes avec les gosses. Tu essaies de leur tirer attention au bonhomme. les vers du nez, pendant que j’accompagne la mère à la J’ai expliqué : cuisine. – C’est un appareil pour faire des frites. Sissi m’a tiré par la manche : – Miam, miam ! J’aimerais bien qu’on ait une friteuse, – Jacob, on a des vers dans nos nez ? moi ! a fait ma petite sœur en se léchant les babines. – Mais non, ma puce, on n’a rien du tout dans nos nez. – C’est mal, d’avoir une friteuse ? a rigolé May, qui Pendant que May rigolait en essayant de se cacher retrouvait sa bonne humeur. derrière sa main, Sissi continuait : – Apparemment. – Jacob, c’est quoi, une enquête ? May s’est mise à pouffer. Sissi, qui ne veut jamais – C’est quand on cherche des choses sur quelqu’un. qu’on se marre sans elle, a éclaté de rire. Edna essayait 8 9 de garder son sérieux, mais il n’a pas fallu longtemps avant que son rire en cascade rejoigne celui des autres. Et moi, à les voir si jolies avec leurs yeux rieurs, je n’ai pas pu résister longtemps. CAHIER DE JACOB – Ça suffit ! a hurlé le premier homme en sortant de la cuisine. On n’est pas là pour rigoler. Et vous allez QUELQUES MOIS AUPARAVANT vite le comprendre, croyez-moi ! 1er janvier Chaque début d’année, j’aime dresser un bilan de mon année passée et, en même temps, repenser à ma vie. Ça fait peut-être un peu bizarre de dire ça quand on a seulement quatorze ans, mais, même si ma vie est encore courte, elle mérite d’être passée à la loupe et puis, j’aime me souvenir des jolis moments qui me sont arrivés. Pour commencer, les présentations : je m’appelle Jacob Fati et j’aime deux choses dans ma vie. Enfin, trois, pour être précis, mais la troisième, je préfère la garder pour moi pour l’instant. C’est bien aussi de ne pas tout dire et d’avoir un petit secret à conserver précieusement au chaud. 11 Donc, j’aime deux choses : ma famille et jouer du fois chanter cet air qu’elle avait fini par le connaître par ukulélé. cœur, elle aussi. On a continué à chanter en se regardant. Quand je prends ma « petite guitare », comme l’appe- Quelques minutes plus tard, ma sœur May a glissé lait ma plus jeune sœur Sissi, avant que je lui apprenne son petit visage curieux par la porte. Elle est repartie et, à prononcer correctement « ukulélé », c’est comme si je quand elle est revenue, Edna était derrière elle. Sa tête partais pour ailleurs. J’oublie tout et j’ai l’impression par-dessus celle de notre sœur, dans l’entrebâillement de d’être transporté loin de mon quotidien. Et parfois, ça la porte. Puis, Maman et Papa les ont rejointes. Papa a fait drôlement du bien. Surtout les jours où la vie ne vous poussé doucement le battant, ils sont entrés en silence et fait pas de cadeau. se sont sagement alignés contre le mur de notre chambre. Je sors mon ukulélé de son étui, je le cale contre moi Je voyais leurs visages heureux et je me suis dit que et mes mains commencent à bouger presque toutes seules cet instant suspendu était la plus jolie chose que j’avais sur les cordes. réussie dans ma vie. J’ai appris à en jouer en cherchant, en regardant des Voilà un des moments importants de cette année. vidéos, en observant les doigts des autres et maintenant, je connais plusieurs morceaux. Mais mon préféré, c’est J’ai toujours vécu entouré de mes sœurs. Même si, tech- toujours le même. Le premier que j’ai eu envie d’inter- niquement, ce n’est pas vrai. J’avais quatre ans quand préter, le premier que j’ai su jouer, le premier aussi qui Edna a pointé le bout de son nez, mais, bizarrement, je m’a donné envie de chanter. Celui sur lequel, depuis cette n’ai presque aucun souvenir d’avant Edna. J’ai l’impres- année, ma petite sœur m’accompagne. sion qu’elle a toujours été là, qu’on a toujours été deux. May, je m’en souviens. J’avais six ans. On était allés Un jour, Sissi est entrée dans notre chambre sans bruit voir Maman à la clinique. Edna serrait le cou de Papa, et, par-dessus ma voix basse, j’ai entendu une voix claire comme si elle voulait ne plus jamais être posée à terre. Elle et acidulée. Je me suis retourné et je l’ai vue qui rosissait. avait regardé ce petit bébé dans son berceau transparent, D’un geste du menton, je l’ai invitée à s’asseoir en face de avec des yeux effrayés, et elle n’avait accepté de quitter les moi, sur son lit. Je suppose qu’elle m’avait écouté tant de bras de Papa que pour se réfugier dans le lit, aux côtés de 12 13 Maman. Moi, j’avais passé notre heure de visite agrippé Je passais de longs moments à regarder sa jolie bouche au rebord du berceau, à parler à ma toute petite sœur. framboise, son nez en trompette, ses toutes petites mains Je me rappelle que je voulais lui présenter sa famille, lui aux longs doigts, terminées par de minuscules ongles expliquer comment était notre appartement et lui dire parfaits. Je ne me lassais pas du spectacle de ce tout qu’elle allait être bien avec nous. Je me souviens encore nouveau bébé. de ses billes grandes ouvertes qui me fixaient intensément, Quand Sissi se réveillait et qu’elle me voyait, sa bouche pendant que je babillais au-dessus d’elle. s’étirait en un grand sourire. Une fois plus grande, si Quand Sissi, ma dernière sœur, a débarqué dans notre vie, j’étais plus grand. J’avais neuf ans et, dès que je l’ai c’était elle qui ouvrait les paupières la première, elle venait aperçue dans son berceau, je n’ai plus pu la quitter des aussitôt se glisser entre mes draps. Je sentais ses petits yeux. C’était le plus beau bébé que j’aie jamais vu. pieds se coller sur mes jambes, puis son corps chaud se Pour l’arrivée de Sissi, on avait fabriqué un gâteau. lovait contre moi. J’entendais ensuite le bruit de succion Papa supervisait les opérations, mes sœurs et moi, on de son pouce, qu’elle venait de glisser dans sa bouche. avait touillé la pâte à tour de rôle. May avait eu le pri- Une fois calée, elle attendait patiemment que je me réveille vilège de beurrer le moule, Edna celui de peser les ingré- complètement. dients et moi, de porter le gâteau jusqu’au four. Ç’avait été un moment très solennel. Lorsqu’on joue à un jeu, en famille, le soir, Sissi s’ins- Quand Maman était rentrée avec ma nouvelle petite talle toujours sur mes genoux, puis elle proclame : sœur dans les bras, elle s’était exclamée de joie devant la – Jacob et moi, on fait équipe. jolie table que nous avions préparée et la grande bande- role accrochée au mur, qui disait : « Bienvenue, Maman – Ah bon ? sourit mon père. et Sissi ! » – Quelle surprise ! s’exclame ma mère. Comme la chambre des filles était déjà bien pleine, – Ça va drôlement nous changer, pouffe Edna, pendant c’est tout naturellement que Sissi a atterri dans la mienne. que May rigole en découvrant toutes ses mignonnes dents Peut-être que d’autres auraient râlé, moi, j’étais ravi ! de lait. 14 15 Si on s’installe dans le canapé pour regarder un dessin animé, je me retrouve avec une toute petite fille qui m’es- calade et qui vient se caler contre moi. C’est devenu tellement normal que le jour où elle arrêtera, ça va me faire tout drôle. Des fois, j’y pense et CAHIER DE JACOB je me dis que j’aurai l’impression qu’il me manque un bout de moi ! LA DEMANDE D’AIDE Bref, ma vie, avec ma famille et la musique, me plaît beaucoup. Et j’espère que cette année, plein de nouvelles belles choses vont m’arriver ! 20 janvier Sissi a déboulé dans ma chambre et s’est jetée dans mes bras. – Ah, ça y est, vous êtes rentrés ? – Je veux plus aller là-bas, Jacob ! Je veux voir le docteur Rabah. Comme avant. Je veux plus y aller ! – Mais qu’est-ce qui s’est passé, Sissi ? – Les gens de la Section, ils sont pas gentils. Ma sœur reniflait dans sa manche. – Pourquoi tu dis ça, Choupette ? Sissi m’a raconté l’attente dans le couloir, l’homme en blouse blanche qui ne souriait pas, les questions sèches, les yeux froids. 17 – Il a demandé à Papa et à Maman s’ils me faisaient à – Tu as raison, Jacob. Mais visiblement, ce monsieur manger. Si c’est pas eux qui mangeaient tout. a beaucoup de mal à voir les personnes qui souffrent – Quoi ? C’est vrai, Sissi ? d’obésité comme des gens normaux… – Oui. Et il ne m’a même pas donné un bonbon avant – On a eu droit à un questionnaire hallucinant, a ajouté ma mère. Je me suis sentie humiliée comme jamais… Ça de partir ! ne serait pas arrivé avec le docteur Rabah. Lui, il sait que J’ai pris ma sœur dans mes bras et je l’ai posée devant je suis une bonne mère et que j’essaie de faire au mieux le bocal coloré : pour mes enfants. Et il ne mélange pas tout. – Venge-toi ! Avale tout ce que tu veux ! Et tu sais quoi ? – Et pour Sissi, il a dit quoi ? On s’en fiche du bonhomme de la Section ! – Rien. Il a fait un dossier et maintenant, ils vont Ma sœur m’a fait un grand sourire en plongeant son étudier son cas. bras au milieu des jelly belly beans. – Et ensuite ? Je suis allé dans la cuisine et j’ai trouvé mes parents – Ensuite, on ne sait pas trop. Ils ont dit qu’ils nous rappelleraient. enlacés. Ma mère a essuyé une larme en me voyant arriver. – Ça ne va pas, Maman ? – Si, si, tout va bien, mon chéri. Ne t’inquiète pas. – C’est vrai, ce que m’a raconté Sissi ? Le toubib vous a demandé si vous mangiez tout, au lieu de nourrir votre fille ? – Pas tout à fait, a soupiré Papa. Mais oui, il nous a regardés avec des yeux soupçonneux. Comme si le fait d’être trop gros faisait de nous des affameurs d’enfants ! – Mais c’est dégueulasse ! Il n’a pas le droit de dire des trucs pareils ! 18 BONNIE Je n’a.vais jamais vu de bâtiments aussi hauts avant d’arriver ici. Enfin, c’est le souvenir que j’en ai. Au début, je n’habitais pas dans ce quartier, en périphé- rie. J’avais seulement sept ans quand, avec ma maman, on est venues s’installer ici. C’est à peu près à l’époque où mon abruti de père (« Ton père n’est pas un abruti, Bonnie ! » me reprend ma mère à chaque fois que je parle de lui, mais moi, je crois surtout qu’elle est trop gentille avec l’abruti. « De toute façon, tu ne m’empêcheras pas de penser ce que je pense ! » je réponds.) Donc, c’est à peu près à l’époque où cet abruti a préféré s’occuper de sa bière plutôt que de sa famille. Avant, on vivait dans une rue près du centre-ville, où toutes les maisons se ressemblaient. Une enfilade de façades blanches identiques, collées les unes aux autres. Il n’y avait que les portes qui mettaient un peu de fantaisie 21 au milieu de tout ce blanc : marron, noire, bleue… La d’histoire-géo tout à fait correct, mais ça ne suffisait nôtre était rouge, avec une poignée en métal brillant pas pour continuer à vivre dans ce quartier. Comme, en dans laquelle la lumière se reflétait et que j’adorais taper plus, la pension qu’aurait dû verser l’abruti se perdait contre le montant en bois. visiblement dans l’océan, entre le Kenya et ici, il n’y a La rue aux maisons blanches fait partie de mes « sou- pas eu d’autre solution que de déménager. venirs nets ». Tout comme le jardin avec sa balançoire en On a dû changer de district et on est arrivées dans bois, suspendue au seul arbre qui faisait le fier au milieu de notre minuscule pelouse. notre appartement de maintenant, au cinquième étage La vie avec l’abruti fait partie de mes « souvenirs du bâtiment F. Il y a une chambre pour moi, avec des flous ». photos, des dessins, une guirlande qui fait comme des J’avais à peine quatre ans quand il a commencé à étoiles quand on l’allume et un poster de Calamity Jane aller fabriquer de la bière à Nairobi. À l’époque, j’avais (mon héroïne !) accrochés au mur. Ma maman déplie le entendu « nez robi ». Je ne savais pas ce que c’était, ce canapé dans le salon chaque soir, pour se coucher. Ce « robi », et en plus, j’avais du mal à comprendre ce que n’est pas très grand, mais on est bien dans notre tanière, mon père pouvait aller faire dans un « nez » ! Après, j’ai toutes les deux. appris que c’était le nom d’une ville. Très, très loin, sur un autre continent qui s’appelle l’Afrique. Au début, l’abruti Dans le quartier, il y a beaucoup de familles comme rentrait chez nous au bout de quelques semaines d’ab- la nôtre : des mamans seules avec des enfants. Il y a sence, puis ses missions ont été de plus en plus longues. aussi beaucoup de papys et mamies, beaucoup de gens Et un jour, il n’est plus revenu du tout. de toutes les couleurs également. Ça parle un peu toutes Parfait, moi j’dis ! Va dessécher au Kenya, espèce de les langues au pied des immeubles, c’est très gai ! Le point lâche ! commun de tous ces gens : des fins de mois difficiles et, Bref, c’est peu de temps après que la maison à la parfois, des débuts compliqués aussi. porte rouge, dans la rue blanche, est devenue trop N’empêche, ici, je suis très heureuse. chère pour Maman. Elle avait un salaire de professeure Je connais tous mes voisins : 22 23 Madame Khan, ses cinq garçons, Ali, Hamza, J’ai donc la chance d’avoir une vue dégagée qui me Shadan, Rhada, Kumail, et son unique petite fille, permet de profiter des derniers rayons du jour, quand ils Malala. colorent de rouge, d’orangé et de rose les habitations au Monsieur Jones, qui se déplace avec sa canne et loin. C’est magnifique ! qui, même quand il fait cinquante degrés et que, Quand on est arrivées ici, Maman me portait chaque personnellement, je rêverais d’enlever ma peau, ne soir dans ses bras pour que je sois à la hauteur de la quitte jamais son gilet vert à carreaux. fenêtre et on regardait, en s’exclamant de joie, la beauté Monsieur et madame Zhang Min, qu’on croise qui s’offrait à nous. rarement parce qu’ils partent très tôt de chez eux et rentrent très tard. Bon, c’est sûr, dans mon quartier, si t’aimes le vert, Maxine et Obadele qui ont fait une fête pour leur t’es mal ! mariage l’année dernière, et qui nous ont apporté Des arbres et de la verdure, ça ne court pas les rues. Le des petits pains à la noix de coco que j’ai boulottés leader de notre district et son équipe ont décidé de tout en une soirée, tellement ils étaient délicieux ! arracher il y a quelques années, pour « ouvrir des pers- Il y a aussi Owen, Moussa et Harry, qui passent leurs pectives et faire des places et des rues minérales ». Pour journées à discuter et à pianoter sur leurs téléphones, résumer, tu supprimes tout ce qui est joli, qui apporte de assis sur les marches du rez-de-chaussée. l’ombre et de la fraîcheur aux habitants et tu recouvres Tout ce petit monde fait partie de mon univers et chaque parcelle de pavés moches, qui glissent dès qu’il maintenant, je n’imagine même pas aller vivre ailleurs. pleut et qui font grimper la température dès qu’il fait chaud. Maman m’a raconté qu’il y avait eu une pétition Je suis entourée de bâtiments, mais ce que j’adore, c’est dans le quartier pour sauver les arbres, soutenue par que, depuis ma chambre, je peux admirer le coucher du une association de naturalistes, mais ça n’a servi à rien. soleil chaque soir. Ma tour n’est pas plus haute que les « Les places minérales, c’est plus facile à entretenir, tu autres, mais elle est la dernière du quartier, juste en face comprends ! Et ça coûte moins cher », voilà ce que m’a d’un terrain vague, entouré d’une palissade en bois. expliqué Maman. 24 25 Moi, je trouve ça complètement idiot, parce que des J’adore les regarder. J’essaie aussi de les attraper, mais arbres, de l’herbe et des buissons, c’est quand même plus elles sont trop rapides pour moi. Je n’ai réussi qu’une agréable à regarder et puis, c’est plus confortable aussi seule fois et quand j’ai ouvert mes mains pour voir si pour s’asseoir que leurs bancs métalliques qui te gèlent la bestiole était bien là, elle a bondi par-dessus ma tête les fesses en hiver et te les brûlent en été. avant même que j’aie le temps de la contempler. Ça m’a Mais comme le chef du district se moque de mon tellement surprise que j’ai basculé en arrière et je me suis retrouvée étalée dans l’herbe. avis (et pas que du mien, apparemment !) comme de son Je ne sais pas si quelqu’un m’a vue depuis les tours, premier éplucheur à légumes, on ne peut pas y changer mais j’espère pour lui (ou elle) parce que moi, ça m’a grand-chose. On a donc une grande place sans un coin bien fait rigoler ! d’ombre, entourée de quelques bancs où personne ne se pose. Et entre les tours B et D, un « parc » pour les enfants, recouvert d’un sol vert (pour imiter l’herbe qu’ils ont arrachée, je suppose) et un peu mou (pour limiter les bosses, ça, j’en suis certaine), avec trois balançoires fixées au sol, qui ne se balancent plus vraiment, mais qui servent quand même de montures immobiles aux petits du quartier. Heureusement, ils n’ont pas encore touché au terrain vague. Là, derrière les planches de bois, il y a plusieurs arbres et quand j’ouvre ma fenêtre, tôt, le matin, j’entends chanter les oiseaux. L’herbe est haute par endroits et si on s’accroupit au milieu des longues tiges vertes, on peut observer des sauterelles. Elles sont gris clair, toutes petites, mais elles font des bonds gigantesques ! 26 CAHIER DE JACOB LA CONVOCATION 25 janvier J’ai pris le courrier dans la boîte, comme tous les midis, en rentrant du collège. Il y avait une enveloppe bleue. Je l’ai tout de suite remarquée. Je l’ai retournée dans tous les sens. Il y avait un sigle dessus : SCAS. En montant les escaliers, j’imaginais les noms qui pou- vaient se cacher derrière cette abréviation. « Service du Centre d’Activités Sportives ». « Saletés de Cornichons et d’Artichauts Sourdingues ». « Sortie de Classe en Apnée Surveillée ». « Silence pour les Cochons Atteints de Stupidité ». J’ai poussé la porte et j’ai donné le courrier à ma mère. Je posais mon blouson sur le porte­manteau quand j’ai entendu sa voix inquiète : 29 – Qu’est-ce que c’est que ça ? Sergi, regarde ce papier, Alors, Maman et Papa ont décidé de demander de je ne comprends pas. l’aide. Mon père fronçait les sourcils au-dessus de la feuille Le docteur Rabah est à la retraite maintenant. Il ne qu’il serrait entre ses mains. réclamait pas souvent le prix de la consultation, notre – On est convoqués par la SCAS. médecin. Et il n’a jamais rien demandé à ma mère. En – C’est quoi, Papa, la SCAS ? temps normal donc, mes parents seraient allés voir le – C’est la Section du Centre d’Action Sanitaire. Tu sais, docteur Rabah, mais ils n’ont pas eu le choix, alors ils là où on est allés la semaine dernière pour Sissi. sont allés à la Section du Centre d’Action Sanitaire. Pour On est tous un peu enrobés dans la famille. Enfin, des gens comme nous, avec des petits moyens, c’est le gros, selon certains, si j’en crois les réflexions que je me plus simple. prends au collège. Mais ma petite sœur, elle, est plutôt mince. Même très mince. Avec un appétit de moineau. Et Maman continuait : des habits taille trois/quatre ans, alors qu’elle va bientôt – Ils nous convoquent pour quelle raison ? souffler ses cinq bougies. Une brindille au milieu des – Je ne sais pas, ce n’est pas marqué. Ils disent juste baobabs. qu’il faut venir avec tous les enfants, cette fois. Je ne À force de regarder sa toute petite fille qui ne gran- pourrai pas aller avec vous, Ania. C’est jeudi prochain, dissait pas beaucoup, qui ne grossissait presque pas, for- à dix-sept heures. Ils disent qu’il faudra prendre leurs cément, Maman s’est alarmée. Elle a eu peur que Sissi carnets de santé, tu n’oublieras pas ? souffre d’un retard de croissance. Elle lui cuisinait des plats spéciaux, rien que pour elle, avec tout ce qu’elle – Je n’aime pas ça, Sergi… aimait. Elle lui a fait des gâteaux tous les jours. Sissi avait – Ne t’inquiète pas, ma chérie. Y a pas de raison. C’est même un accès illimité au bocal de bonbons, la veinarde ! sûrement pour rencontrer les frères et sœurs de Sissi. Mais rien n’y faisait. – Quand même. Une convocation… 30 31 Moi non plus, quoi qu’en dise mon père, je ne trouvais pas ça rassurant. Quand on a une « convocation », on a tout de suite l’impression d’être coupable. Mais coupable de quoi ? Je n’arrivais pas à imaginer ce que notre famille avait à se reprocher. BONNIE L’année de mes dix ans, le frigo est tombé en panne. Ça faisait sept mois qu’il n’y avait plus de lumière quand on ouvrait la porte. Quand nos yoghourts, nos beans et nos tomates s’étaient retrouvés pour la première fois dans le noir, j’étais passée voir Maxine pour lui demander de l’aide. Maxine, c’est un peu notre SOS dépannage ! (Cette année, par exemple, elle a réparé une fuite d’eau chez monsieur Jones, changé une pièce du four de madame Khan et fixé des étagères chez Moussa). J’ai sonné à sa porte, elle a attrapé sa caisse à outils bleue un peu cabossée et elle m’a suivie. Elle a regardé notre appareil sous toutes les coutures et, à la grimace qu’elle affichait quand elle a refermé la porte, j’ai compris que ça ne sentait pas bon. 33 – Désolée, Janice, je ne peux rien faire, cette fois-ci. compliquée ? Quand, pour payer le loyer, l’électricité, l’eau Pas possible d’atteindre l’ampoule : c’est tout moulé, et les courses, on est déjà super limite ? là-dedans. De mon côté, je réfléchissais à ce que je pouvais faire – Mince… a soupiré ma mère. pour gagner un peu d’argent, mais je ne trouvais aucune Elle s’est assise sur une chaise. idée qui tienne la route. À part mon téléphone et mes – Je ne peux vraiment pas en acheter un autre. dessins, je n’avais rien qui puisse se vendre. Mon télé- – J’ai inspecté tout le reste, a dit Maxine. Y a pas phone, c’est ce qui me permettait d’écouter de la musique. d’autres soucis. À part l’éclairage, ton frigo marche par- M’en priver, c’était comme me demander d’arrêter de faitement. Si vous arrivez à faire sans la lumière, vous boire ou de manger : impossible ! Vendre mes dessins, ça m’aurait fait mal au cœur, mais surtout, je ne voyais pas pouvez encore l’utiliser. qui ça aurait pu intéresser. Je ne suis pas Picasso, non – Mais c’est une super nouvelle, ça, Maman ! On s’en plus ! fiche complètement de la lumière ! Pas vrai ? J’aurais pu me proposer pour du baby-­sitting, mais Ma mère m’a souri, puis elle s’est tournée vers Maxine dans le quartier, tout le monde est fauché. Personne n’a avec une mine tracassée. de quoi payer quelqu’un d’autre pour garder ses enfants. – Quand ça commence à lâcher comme ça, c’est pas On a cogité sur cette histoire de frigo pendant un rassurant, hein ? moment et puis, comme il continuait à fonctionner, on a Maxine a refait la grimace. fini par moins y penser et, quelques mois plus tard, il est – Je ne veux pas être pessimiste, mais ce n’est pas sûr carrément sorti de nos têtes. qu’il fonctionne encore des années… Sauf que ce matin-là de l’année de mes dix ans, c’était Cette histoire de frigo, c’est bête, mais ça a tracassé la ca-ta ! ma mère pendant des semaines. Je la voyais le soir sortir Avec Maman, on a dû se rendre à l’évidence : notre un cahier et faire des calculs. Mais comment économiser frigo n’avait toujours plus de lumière, mais en supplé- le prix d’un nouveau frigo quand chaque fin de mois est ment, il ne faisait plus de froid. 34 35 Évidemment, Maxine est revenue avec sa caisse à outils Ça m’a trotté dans la tête toute la journée du lendemain. et elle est repartie avec une grimace encore plus tordue J’en ai parlé à ma copine Alicia, qui m’a appris que sa que la dernière fois. mère recevait une aide des services sociaux qui leur per- – Désolée, Janice. J’aime pas annoncer des mauvaises mettait de ne plus paniquer chaque fin de mois. Depuis, nouvelles, mais ton frigo est mort. leur quotidien était plus simple. – Ne t’excuse pas, Maxine, lui a répondu ma mère. Et Le soir même, j’ai sauté sur Maman, toute contente de merci encore de t’être déplacée. lui annoncer la nouvelle qui allait changer notre vie : il y – C’est normal, a fait notre voisine en quittant avait des employés, dans ce district, dont le travail était l’appartement. d’aider des gens comme nous quand ils se trouvaient dans – Comment on va faire, Maman ? j’ai demandé aussitôt. une situation difficile. Ma mère tournait en rond dans notre minuscule Enfin, on n’allait plus être dans la galère ! cuisine. – Je ne sais pas, Sweetie. – Tu ne peux pas appeler l’autre abruti ? – Ça fait des années que je n’ai plus de contact avec lui. Je me vois mal envoyer un message : « Tu peux m’acheter un nouveau frigo, s’il te plaît ? » J’ai grogné : – Franchement, il pourrait ! – Il pourrait, c’est vrai. Mais je n’ai pas envie de lui demander quoi que ce soit. Je n’ai pas insisté, même si je trouvais que c’était quand même fou qu’il vive sa vie de son côté, peinard comme un calamar, sans se préoccuper de la mienne, ni de celle de ma maman. 36 CAHIER DE JACOB LA BALANCE 2 février On est tous en culotte dans cette pièce froide. Edna, qui ne supporte pas que quelqu’un entre dans la salle de bains quand elle s’y trouve, croise ses bras sur son torse nu. Sissi grelotte, collée à moi, et May lance des regards effrayés dès que la porte s’ouvre. Ça fait une heure qu’on est arrivés. On nous a fait attendre dans un couloir, puis on a dit à Maman de s’asseoir sur une chaise en face d’un bureau vide. Enfin, une femme en blouse blanche nous a emmenés tous les quatre à l’autre bout de la pièce. – Déshabillez-vous, nous a ordonné la femme. Vous ne gardez que votre slip. 39 Elle a vérifié qu’on enlevait tous nos vêtements et – Vous pouvez vous rhabiller, nous a enfin dit Blouse elle est ressortie. Un homme en blouse, lui aussi, est blanche. arrivé quelques minutes après. Il nous a détaillés de la tête aux pieds sans rien dire. Il est allé jusqu’au bureau, Pendant que j’enfilais mon pantalon, je l’ai entendue il a consulté un dossier, il nous a encore regardés et il qui énumérait : est sorti. – Jacob, 14 ans. Surpoids important. Edna, 10 ans. – J’ai froid, a gémi Sissi. Surpoids modérément excessif. May, 8 ans. Surpoids – Restez calmes, les enfants, a dit Maman en nous excessif. souriant. Entre chaque phrase, elle poussait un soupir, comme Un pauvre petit sourire pas rassuré. si on était les personnes les plus décourageantes qu’elle ait rencontrées de sa vie. La porte s’est ouverte une nouvelle fois et la femme – Et pour finir, Sissi, 5 ans, là, je ne comprends pas ! en blouse blanche est revenue. Elle a pris une feuille L’excès inverse : maigreur excessive. dans le dossier sur le bureau et elle s’est approchée de – Justement, a tenté d’expliquer ma mère. C’est pour nous, son crayon à la main. ça qu’on a fait appel à vous. Parce qu’on s’inquiète pour – On va commencer par toi, elle a dit, en tendant le bras dans ma direction. Monte là-dessus. la santé de la petite. Là-dessus, c’était sur une balance posée en face d’un – Mais Madame ! a pratiquement rugi Blouse mur verdâtre, à la peinture écaillée. blanche. Moi, c’est pour la santé de tous vos enfants que La femme s’est alors penchée pour voir le chiffre qui je m’inquiète ! Il y a un énorme problème. C’est le cas de s’affichait et elle l’a noté sur sa feuille. Elle m’a ensuite le dire. Je vous donne un rendez-vous pour la semaine demandé de m’adosser au mur sous une toise, elle a prochaine avec notre médecin chef. Et cette fois, tâchez baissé le mètre et, là encore, elle a griffonné sur son d’être accompagnée par votre mari, s’il vous plaît. papier. – Mon mari travaille. C’est compliqué pour lui de Après, ça a été au tour de chacune de mes sœurs. s’absenter en journée. 40 41 – Vous faites comme vous voulez. Mais je vous conseille fortement de venir tous les deux, jeudi prochain. N’attendez pas qu’on soit obligés d’aller vous chercher à votre domicile, ce serait un très mauvais point pour votre dossier… BONNIE Mon cartable posé, j’ai raconté la grande nouvelle que ma copine m’avait révélée le matin même : des per- sonnes travaillaient dans notre district pour aider les gens qui avaient des problèmes d’argent ! – Tu te rends compte ? je me suis exclamée. On ne le savait même pas ! Maman n’a pas sauté de joie comme je l’espérais. – En fait, Bonnie, je suis au courant. – Ah bon ? Mais pourquoi tu ne les as pas déjà appelés, alors ? – C’est un peu compliqué… a soupiré Maman. Comme je voulais comprendre ce qui était compli- qué, Maman m’a expliqué : quand on est arrivées ici – mais j’étais trop petite pour m’en souvenir –, une dame qui vivait dans notre bâtiment avait contacté les services sociaux parce qu’elle aussi rencontrait des difficultés 43 financières. Finalement, ces gens-là lui avaient retiré son autoritaire que les journalistes l’avaient vite surnom- petit garçon, qui avait quatre ans, à l’époque. mée « La dame de fer ». Cette dame de fer avait fait J’ai regardé Maman sans comprendre. Mon cerveau passer une loi qui avait complètement changé la vie de dix ans n’arrivait pas à assimiler l’information. des familles. – Pourquoi ils lui ont pris son fils ? On n’aide pas les Grâce à cette loi, un enfant pouvait être retiré de sa gens en leur enlevant leurs enfants ! famille à partir d’un simple soupçon de maltraitance. Maman était d’accord avec moi, évidemment. Elle m’a – C’est atroce ! On ne vérifie même pas si c’est expliqué qu’il y avait eu une suspicion de maltraitance. vraiment le cas ? Si cette dame avait fait du mal à son enfant, je com- – Non. Soupçonner une famille est suffisant. prenais un peu mieux. Ma gorge est devenue sèche comme si j’avais mâché Sauf que non ! m’a dit Maman. Il n’y avait pas du du carton. tout de maltraitance. Tout le monde l’a certifié dans le – Cette loi est toujours en place ? voisinage : cette maman était adorable avec son petit – Malheureusement, oui. garçon. Même le médecin qui avait examiné l’enfant à Maman a continué son cours d’histoire : le gouverne- la demande des services sociaux n’avait rien remarqué ment a fixé aux districts un quota d’enfants qui devaient de suspect et avait noté dans son rapport que le petit allait bien. être placés en foyers, puis adoptés, chaque année. Et – Mais alors, pourquoi ils l’ont enlevé à sa maman ? si les districts n’atteignaient pas le nombre d’enfants je me suis écriée. exigés, le gouvernement leur supprimait le budget alloué J’étais horrifiée. aux services sociaux. J’avais l’impression que ma mère me racontait le Ce jour-là, ma mère m’a fait un cours d’histoire à scénario d’un film de science-­fiction. Ça ne ressemblait domicile. pas à quelque chose qui pouvait arriver pour de vrai Dans notre pays, quelques années auparavant, une dans notre pays. Le genre d’info qu’on a du mal à croire femme était devenue Premier ministre. Elle était si tellement ça dépasse notre logique ! 44 45 – J’ai entendu beaucoup d’histoires comme celle de notre ancienne voisine, a fait Maman. Une jeune ado, Ensuite, en en parlant autour de moi, j’ai appris que malheureuse avec sa mère, qui fait une fugue pour revoir tout le monde avait peur. Personne n’osait rien dire, son papa et qui est placée dans un foyer à l’autre bout du de crainte de devenir à son tour victime de ce système pays, alors que son père proposait d’en avoir la garde. injuste. Toute ma peau s’est hérissée pendant qu’elle parlait. Je me suis dit que ma copine Alicia avait beaucoup Une bonne grosse chair de poule. de chance d’être encore avec sa maman. Malheureusement, Maman avait d’autres exemples : Et que nous, on n’était pas près d’avoir un nouveau – Il y a eu aussi cette mère à qui on a retiré ses deux frigo. petites filles parce qu’elles s’étaient bagarrées. La plus jeune s’est plainte de la grande qui l’avait tapée la veille, en montrant un bleu sur sa jambe à l’école. La directrice a téléphoné aux services sociaux, qui sont passés récu- pérer les deux sœurs à la sortie des classes. Leur maman ne les a jamais revues, malgré ses demandes incessantes, ses lettres et même l’intervention d’un avocat… J’avais la gorge serrée en pensant à cette femme et à ses petites. – Des histoires toutes plus injustes les unes que les autres, a conclu Maman. – C’est pour ça que tu ne veux pas demander leur aide ? – Oui, Bonnie. Si on peut ne pas se faire remarquer et rester en dehors de leur radar, ça me rassure. J’étais sonnée. 46 CAHIER DE JACOB PESÉE N° 2 9 février – Ils ont intérêt à avoir une bonne raison de me faire venir, a râlé mon père dans le couloir. Parce que perdre une demi-journée de congé pour me retrouver entre ces murs verts horribles, ça ne me fait pas rire. – On le fait pour la santé des enfants, Sergi, l’a consolé ma mère. – Non, mais sérieux, qui a eu l’idée d’acheter cette couleur immonde ? – Quelqu’un qui adore le chou bouilli ? a proposé Edna. – Quelqu’un qui adore les crapauds moisis ? a ajouté May. – Quelqu’un qui adore le vomi pourri ! a explosé de rire Sissi. 49 – Ah ! Dégoûtant ! Beuuurk ! ont hurlé mes sœurs. Quelques minutes plus tard, ils nous ont fait entrer Pour la première fois depuis qu’on avait franchi la à notre tour. Dans la salle de consultation, mon père fi- porte du Centre, ma mère et mon père ont souri. J’ai nissait de boutonner sa chemise, ma mère remettait ses remercié intérieurement mes sœurs de nous avoir changé chaussures et ils étaient aussi pâles l’un que l’autre. les idées. – Asseyez-vous ici, nous a ordonné la femme en nous montrant des chaises. Au bout d’un quart d’heure, mon père s’est levé de sa De l’autre côté du bureau, il y avait l’homme qu’on chaise. avait brièvement vu quand on nous avait pesés, nous, les – On va encore poireauter combien de temps comme enfants. Il s’est raclé la gorge avant de commencer. ça ? – Je suis le docteur Kayser, le médecin chef de la SCAS. – C’est hyper long, Papa, a couiné Edna. La dernière C’est moi qui suis responsable de votre dossier. Et je fois, on a attendu mille heures ici, et encore mille heures ne vous cache pas que vous avez un problème. Un très en culotte dans la salle. sérieux problème. Vous et votre femme, monsieur Fati, Mon père a soupiré et il s’est passé la main sur le visage, souffrez d’obésité. comme pour chasser une grande fatigue. – Nous le savons, Monsieur, est intervenu mon père. La porte s’est enfin ouverte. Blouse blanche était Notre médecin de famille nous suivait attentivement et il derrière. Elle a levé les yeux vers nous et a appelé : nous faisait passer régulièrement des examens. – Monsieur et madame Fati, suivez-moi. – Il n’est plus question d’examens, monsieur Fati. Car, On s’est tous levés. voyez-vous, vos enfants souffrent, pour trois d’entre – Non. Pour l’instant, vos enfants attendent ici. eux, d’un problème de surpoids, alors que la dernière est – Jacob, tu surveilles tes sœurs et vous êtes tous sympas, sous-alimentée. d’accord ? a dit Maman. – Sissi n’est pas sous-alimentée ! s’est rebellée ma mère. – Ça va durer longtemps ? a demandé Sissi. Elle mange tout ce qu’elle veut. – Le temps qu’il faudra, a répondu sèchement Blouse – C’est vrai ! a confirmé ma petite sœur. J’ai même le blanche. droit de prendre des bonbons toute la journée, si je veux ! 50 51 Le docteur Kayser a levé les yeux au plafond. J’ai dévisagé ce bonhomme sans être sûr d’avoir – C’est bien ce que je disais, il y a un énorme problème compris ce qu’il venait de dire. Plus je l’observais, plus je dans la gestion de la nourriture dans votre famille ! Et me rendais compte qu’il affichait l’air de quelqu’un qui cessez de m’interrompre, s’il vous plaît. est certain d’être un héros. Il a feuilleté un dossier sans plus rien dire. Au bout d’un Il se prenait vraiment pour un genre de sauveur ? Alors long moment, il a redressé la tête et a fixé mes parents que tout allait bien avec nos parents et qu’on ne craignait absolument rien avec eux ? J’avais la tête qui tournait d’un regard sombre. tellement la situation était devenue incompréhensible. – Présenter une surcharge pondérale telle que la vôtre – Je veux pas qu’il s’occupe de nous, m’a chuchoté et telle que celle de vos enfants, est un critère de maltrai- May en se relevant. tance reconnu par nos services. – Moi non plus, je lui ai répondu. – Un critère de maltraitance ? a répété mon père, visi- Et j’ai pensé : « Mais ça m’étonnerait qu’il nous blement perdu. écoute… » – Tout à fait, monsieur Fati. On ne peut pas vous laisser continuer à mettre en danger la santé de vos enfants. Mon père a regardé ma mère avec un air abasourdi. Le médecin chef a continué, comme si de rien n’était : – Nous ne retenons pas de charges contre vous, pour l’instant. Mais une enquête va être lancée afin de cerner la situation. Vous aurez l’obligeance de bien vouloir laisser travailler les enquêteurs, sans intervenir de quelque façon que ce soit. Il a ensuite fait pivoter son siège vers nous. – Les enfants, ne craignez rien, maintenant, on va s’oc- cuper de vous. 52 BONNIE C’est fou comme je me souviens bien de cette histoire de frigo ! Il faut dire que c’est à cause de cette panne que j’ai appris des choses hallucinantes sur le fonctionnement de mon pays et de ses districts. Avant, je ne savais pas qu’on pouvait avoir peur juste parce qu’on n’avait pas assez d’argent… Finalement, notre problème de frigo s’est réglé sim- plement parce qu’Obadele, le mari de Maxine, a parlé à Maman d’une famille dans le quartier qui se débarrassait de son vieux modèle. Ils étaient d’accord pour nous le vendre. Comme il n’était pas cher, Maman a dit oui et on a récupéré un appareil avec une grande rayure sur la porte, mais qui faisait du froid comme il faut. Tout s’est arrangé. 55 C’est aussi grâce à notre ancien frigo que j’ai appris à bricoler. J’ai décidé que je ne voulais plus jamais me retrouver dans une situation où il fallait demander de l’aide. Je voulais me débrouiller toute seule. Je suis donc allée frapper chez Maxine et je lui ai demandé si elle était CAHIER DE JACOB d’accord pour m’apprendre tout ce qu’elle savait. Son rire a résonné fort dans la cage d’escalier et elle a LA FOUILLE DES PLACARDS répondu : – Tout ce que je sais ? Tu ne fais pas les choses à moitié ! Entre, Bonnie, on va commencer dès maintenant, puisque tu es motivée. 16 février Quatre ans plus tard, j’ai des connaissances en élec- tricité, je sais peindre, tapisser, changer une vitre cassée, « On n’est pas là pour rigoler », c’est ce que nous avait me servir d’une perceuse et fixer une étagère à un mur, hurlé le type qui avait débarqué chez nous, le jour de la monter un meuble… Je ne me trompe plus quand Maxine friteuse, pour faire une « enquête ». Il avait même aboyé me demande de lui passer une pince à crémaillère ou une qu’on allait vite comprendre. clé Allen. Effectivement, une fois qu’ils ont quitté notre appar- J’adore ça. tement avec, sur leur dos, un grand sac, on a compris. Je me sens forte et puissante. On a retrouvé notre mère dans la cuisine. Prostrée sur Et ça, selon moi, c’est très important dans la vie ! une chaise. Autour d’elle, nos placards étaient grands ouverts et entièrement vides. Il y avait de la vaisselle posée partout. Sur la table, sur le rebord d’une fenêtre, sur un tabouret. Des boîtes de conserve aussi, des bouteilles, des torchons… un bazar indescriptible. – Qu’est-ce qu’il a fait ? Ça va, Maman ? 57 – Oui, ça va. Tu vois, il a tout vidé, tout sorti et il n’a – Écoute, Jacob… Peut-être qu’ils ont raison… J’avoue pas arrêté de prendre des notes dans un carnet. que je ne sais plus… Le docteur Rabah parlait de facteur – C’était quoi, son grand sac ? a demandé Edna. génétique, mais il était âgé. Peut-être qu’il était dépassé – Il s’en est servi, une fois sa visite terminée, pour ou pas au courant des découvertes récentes. Peut-être que ranger les « mauvais aliments », qu’il a « réquisitionnés ». vous n’aurez pas de problèmes de poids, après leur pro- Je n’ai pas pu m’empêcher de hurler : gramme. Peut-être que ce n’est pas une fatalité d’être gros – Quoi ? de père en fils, ou de mère en fille. – Il a pris les fromages et le pot de crème dans le frigo, – On n’est pas gros, Maman ! a rugi Edna. On n’est a détaillé Maman. Il a récupéré les boîtes de gâteaux et pas tous pareils, c’est pas la même chose ! les bonbons. Il nous a laissé un paquet de pâtes et un de – Y a qu’à la télé que les gens sont tous les mêmes. riz. Et il a aussi emporté notre machine à pop-corn. Dans la rue, à l’école, personne ne se ressemble. Ils le – Mais pourquoi ? a couiné Sissi. voient pas, les gens de la Section, ou quoi ? s’est énervée – C’est chez nous. C’est nos affaires ! Il n’a pas le droit ! May. s’est révolté May. – En plus, regarde, a fait Sissi en se montrant. Même – C’est vrai, Maman, c’est n’importe quoi ! On devrait à la maison, on est tous différents. porter plainte. C’est interdit de venir chez les gens et de faire ça ! Ça faisait un moment que je trouvais que l’ambiance – Jacob… a soupiré Maman. On n’a rien à dire. On fait changeait. On nous abreuvait de messages dans les partie de leur tout nouveau programme « Santé-Kilos ». journaux, dans les émissions et même sur des immenses C’est ce qui a été décidé par la Section, dans le cadre de affiches qui avaient commencé à fleurir dans les rues de la lutte anti-obésité, mise en place par le leader de notre la ville. district. On va être suivis par une équipe de spécialistes. « Mangez 5 fruits et légumes chaque jour ! » Ils disent qu’on ne fait pas ce qu’il faut. Qu’on met en « Bougez plus ! » danger votre santé à tous. « Évitez de grignoter entre les repas ! » – C’est n’importe quoi ! « 10 000 pas quotidiens, pour mon bien ! » 58 59 « Mangez sain ! » – Ça veut dire montrer du doigt quelqu’un parce qu’on « L’obésité est un suicide. » estime qu’il fait quelque chose de mal. « Évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé ! » – Et donc, être gros, c’est faire quelque chose de mal, Des messages « pour notre santé », mais qui, à force pour les gens dont parlait le docteur ? a demandé May d’être martelés, avaient l’air de dire : « Être mince, c’est avec des yeux écarquillés. simple ! Si t’es toujours gros, c’est de ta faute : c’est parce – Oui, c’est ça, a dit Maman. que tu ne fais pas ce qu’il faut ! » – Ils sont dingos, ceux-là ! a conclu Sissi. Merci pour la dose de culpabilisation quotidienne ! « Dingos » peut-être, mais sûrs d’avoir raison. Je m’en Sacré soutien ! suis rendu compte la fois où je me suis retrouvé dévisagé Et puis, récemment, il y avait eu la taxe anti-obésité avec dégoût par une femme parce que je grignotais un sur les sodas. Ça m’avait super agacé. Je me souvenais pain au chocolat dans le bus. J’avais eu envie de lui bien des mots du docteur Rabah, à l’époque où on allait hurler : « Quoi ? On n’a pas le droit de manger un pain encore le voir : au chocolat si on fait plus de quarante kilos, c’est ça ? » – Vous pouvez manger de tout ! Il n’y a pas d’aliments Mais évidemment, je n’avais rien rétorqué. mauvais ou d’aliments tabous. Il faut juste manger en Au collège, c’est pareil, je n’ose jamais rien dire. quantité raisonnable. À sa faim, pas plus. Ce n’est pas Au début, j’avais tout le temps envie de pleurer. plus compliqué que cela. Et si tu as envie d’un croissant, Maintenant, je ne leur montre plus rien. Pas envie de Jacob, tu peux en manger un. Pas deux ou trois, un. Et leur faire plaisir en craquant. Dès que je franchis la pas tous les jours, bien sûr. grille d’entrée, j’enfile ma carapace. Il faut qu’elle soit Je suis certain qu’il aurait dit la même chose pour un solide pour résister à toutes leurs insultes. « Gros tas », verre de soda. « Bouboule », « Sumo », « Montgolfière », les mecs de Ce jour-là, il avait ajouté pour ma mère : ma classe ont plein d’idées hyper marrantes pour me – Je ne supporte pas qu’on stigmatise les gros. rebaptiser. Mais depuis l’année dernière, une insulte Une fois sortis de son cabinet, j’avais voulu savoir : remporte plus de succès que les autres : « Cachalot ». Il – Ça veut dire quoi, « stigmatiser », Maman ? était tout content de lui, ce crétin de Ben, quand il l’a 60 61 sortie. Ses potes se sont esclaffés et, depuis, c’est resté. Ils m’appellent tous « le cachalot ». Je me suis renseigné sur ce cétacé et j’ai découvert que c’est l’animal qui a le cerveau le plus lourd (ça vous en bouche un coin, les crétins !) Pour trouver sa nourriture, BONNIE le cachalot plonge à des profondeurs abyssales, où aucun homme n’a réussi à aller. C’est aussi un être bon et doux avec ses semblables, qu’il cherche toujours à aider. Les chercheurs qui les ont étudiés se sont aperçus que les cachalots parlent plusieurs langues, en fonction d’où ils Hier soir, Maman m’a montré le film qui fait que je vivent et qu’ils peuvent même en apprendre une autre s’ils m’appelle Bonnie. rejoignent un nouveau clan. Et l’info que j’ai préférée : Elle adore cette histoire, elle adore ce couple de héros, quand ils sont en groupe, à la surface de l’océan, parfois, elle adore aussi visiblement l’acteur principal «Tu vas voir, les cachalots dansent ! Warren Beatty est tellement cuuute ! » et, évidemment, elle Bref, je suis pratiquement tombé amoureux de ce grand adore le personnage féminin : la fameuse Bonnie. mammifère marin. Bonnie and Clyde1 est un vieux film qui raconte l’his- Ça a adouci ma peine d’apprendre tout cela. Et ça m’a toire de deux gangsters américains, qui ont vraiment fait tellement plaisir de comprendre que les décérébrés qui existé, et ça finit mal. Mais Maman a raison, c’est un film m’entourent ne se doutent absolument pas qu’en fait, ils génial ! Quand le générique a défilé, même si je pleurais me font un compliment en m’appelant de la sorte. (ça finit vraiment mal !), j’étais drôlement fière de porter Dommage, les crétins ! mon prénom ! J’ai découvert ensuite qu’un chanteur français a fait une chanson sur eux. Je l’ai déjà écoutée cinquante-deux 1. Bonnie and Clyde est un film américain réalisé par Arthur Penn en 1967. 63 fois (environ). Je ne me lasse pas de la façon dont l’ac- Ça me fatigue. trice, qui est en duo avec le chanteur français, prononce En même temps, ils ne peuvent pas être tous comme ça. « Bonnie » d’une voix un peu traînante2. Sauf que, pour l’instant, à part deux ou trois exceptions, C’est devenu ma chanson favorite ! je n’ai rencontré que des champions du monde, dans la catégorie « gros lourd bien pénible ». J’espère que moi aussi, je rencontrerai mon Clyde, un Quand ils sont plus grands, on dirait qu’ils deviennent jour. moins bêtes. Par contre, je croise les doigts pour que ça ne finisse Alors, j’attends. pas aussi mal ! J’ai déjà versé un hectolitre de larmes Et puis, si je n’en trouve pas un qui me plaise, c’est (minimum !) en regardant le film, je n’ai pas envie de pas grave. pleurer pour de vrai, dans la vraie vie ! Je n’ai pas besoin d’un garçon pour exister ni pour Bon, de toute façon, je ne suis pas sûre de tomber amou- être heureuse. reuse un jour. Les garçons sont si bêtes dans mon collège ! Bonnie sans Clyde, y a moyen aussi ! Trois sujets les passionnent : les motos, les voitures et les filles. Et s’ils pouvaient parler des filles comme ils parlent de motos, ce serait bien. Mais non, c’est toujours pour nous juger ! Notre poids, notre façon de nous habiller, notre maquillage, nos poils, notre comportement… Il y a toujours quelque chose à critiquer. Et plus je les fréquente, plus j’ai l’impression que, quoi qu’on fasse, quand on est une fille, c’est raté d’avance. Tu te maquilles : t’es une pute (désolée, mais c’est ce qu’ils disent !) Tu ne te maquilles pas : t’es négligée. 2. Bonnie and Clyde est une chanson française écrite, composée et chantée en duo par Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot en 1968. 64 RAPPORT DU 19 FÉVRIER DE LA SCAS PAR MESSIEURS HARDING ET YATES Aliments réquisitionnés au domicile de la famille Fati : 2 fromages Un pot de 150 g de mayonnaise 200 g de lard fumé 2 tablettes de 250 g de beurre 1 paquet de crèmes dessert 1 bombe de chantilly 4 kg de pâtes 3 kg de riz 1 kg de semoule 4 boîtes de lentilles 2 boîtes de haricots beans 1 boîte de sardines à l’huile 3 bocaux de fruits au sirop 67 6 bocaux de confitures, marmelades et chutneys Au vu de ces éléments et après une visite complète de leur (divers parfums) domicile, il ne nous semble donc pas déplacé de parler de 1 bouteille de sirop à la menthe maltraitance par négligence. Nous recommandons un suivi 1 pot de crème à tartiner au chocolat de cette famille, dont les parents représentent un danger 3 paquets de biscuits potentiel élevé pour leur progéniture. 1 paquet de chips Notes annexes : Aucun aliment allégé n’est présent chez eux. Une machine à pop-corn a également été réquisitionnée. La famille n’a visiblement pas de friteuse. Conclusion : Les époux Fati ne nous semblent pas en mesure d’assurer une éducation convenable à leurs enfants, dans des condi- tions sanitaires acceptables. La maison est, certes, propre et ordonnée. Les enfants ne présentent pas de traces visibles de maltraitance physique ou psycho­logique. Cependant, les parents ne paraissent pas capables de transmettre les règles d’une alimentation équilibrée. Eux-mêmes obèses, ils ne prennent manifestement pas la pleine mesure de l’état de santé très inquiétant de leurs enfants. Trois sont en surpoids et la plus jeune semble souffrir d’un retard de croissance. 68 BONNIE On s’est carrément pris la tête dans la cour, après les maths, ce matin. Curtis a commencé à nous saouler avec ses réflexions à Alicia. On discutait du contrôle surprise que nous avait donné le prof. – C’est vraiment un bâtard, ce prof ! Il nous avait même pas prévenus ! s’est énervé Curtis. Alicia s’est marrée. – C’est le principe du contrôle surprise. – Ça se fait pas de pas prévenir, a continué à râler Curtis. – T’es au courant que les profs font ce qu’ils veulent ? – Ouais, ben il aurait pu prévenir, ce bâtard ! – Tu pourrais aussi bosser un peu, a fait ma pote en continuant à rigoler. Le visage de Curtis est devenu entièrement rouge. 71 – Ta gueule, la grosse ! Occupe-toi de ton gros cul au Je déteste Curtis. Je déteste les crétins qui font du lieu de me donner des leçons ! Ça t’évitera de prendre mal aux autres sous prétexte de kilos soi-disant en trop, toute la place dans les couloirs ! d’oreilles soi-disant décollées ou de jupes soi-disant trop Alicia n’a rien répondu. Comme étourdie après un courtes. coup de poing dans le ventre. J’ai vu ses yeux devenir J’ai peut-être pas beaucoup d’amis, mais mes amies, très brillants. Je me suis relevée du banc d’un bond et je Alicia et Nour, ne sont pas comme ça. Elles ne passent me suis collée contre Curtis. pas leur temps à critiquer et à juger, et leur sport préféré – Tu parles pas comme ça, OK ? C’est toi, le bâtard, n’est pas de blesser les autres. Curtis. Alors, Curtis, tu peux faire le malin avec ta bande, je Il a tourné le dos. suis bien plus heureuse sur mon banc, dans le coin de la – Reste avec ta pote l’hippopotame, si ça t’amuse, cour, avec mes deux copines. Bonnie. De toute façon, t’es même pas capable d’avoir des amis normaux. Ça m’a fait aussi le coup du poing dans le ventre, mais contrairement à Alicia, je me suis jetée sur Curtis. Je l’ai plaqué contre un arbre. J’avais tellement la rage que j’aurais pu lui exploser sa petite tête de débile. Je sentais que j’avais la force pour ça. Il a dû le sentir aussi parce qu’il a couiné : – C’est bon, Bonnie, lâche-moi. – Tu dis encore une fois un truc à Alicia, je défonce ta petite face de rat. T’as pigé ? Il essayait de faire le malin, mais j’ai bien vu qu’il était à deux doigts de pleurer. J’ai baissé mon poing et je l’ai laissé partir. 72 TE DE LA SCAS CONCLUSION DE L’ENQUÊ 21 février CAHIER DE JACOB cile ite à l’en qu ête de me ssi eu rs Harding et Yates au domi Su rier, il est apparu que : de la famille Fati, le 19 fév édu-  L es ép ou x Fa ti ne so nt pa s en mesure d’assurer une J’ai regardé le papier sans comprendre. 1/ ons enfants, dans des conditi Il était sur la table de notre salon, devant ma mère en cation convenable à leurs larmes. sanitaires acceptables. – Ça veut dire quoi, exactement, ce qui est écrit dans mal- M  êm e si les en fa nt s ne présentent pas de traces de ce torchon, Maman ? 2/ nt hologique, les parents ne so – Oh, Jacob… Tu as lu : ils disent qu’on vous maltraite. traitance physique ou psyc a- e les règles d’une aliment pas capables de transmettr Qu’on n’est pas capables de vous élever comme de bons tion équilibrée. parents. J’avais du mal à avaler ma salive. re de  L es pa ren ts, ob ès es , ne prennent pas l’entière mesu – C’est quoi, un « suivi de la famille » ? 3/ ois tant de leurs enfants. (Tr l’état de santé très inquié de – Je ne sais pas. On doit y retourner jeudi, on est encore s jeune présente un retard sont en surpoids et la plu convoqués. croissance). – Ça va s’arrêter quand, Maman ? e que nts collectés, la SCAS estim – S’arrêter ? a demandé ma mère, les yeux pleins de Au vu des différents éléme l’inca- dame Ania Fati sont dans larmes. Je crois que ça ne fait que commencer… monsieur Sergi Fati et ma Sissi fants, Jacob, Edna, May et pacité d’éduquer leurs en Fati. Je me suis assis à côté d’elle et je l’ai prise dans mes forte. ce par négligence est très La suspicion de maltraitan bras. nc être mis en place. Un suivi de la famille va do 75 BONNIE Monsieur Jones, qui habite l’appartement en face du nôtre, est parti quelques jours chez sa fille. Quand on lui a fait au revoir avec Maman, depuis les marches du perron, il avait encore une fois son gilet vert sur le dos. On a regardé la petite voiture s’éloigner et on est remontées chez nous, où nous attendait Poppy3, son chat. Monsieur Jones l’a appelé comme ça en souvenir de son métier de cantonnier. Jusqu’à sa retraite, c’est lui qui s’occupait des coquelicots et autres fleurs sauvages, des feuilles des arbres quand elles tombaient, qui coupait les branches et plantait des massifs de tulipes et de myosotis. Il a même travaillé quelques années dans notre district et, quand il m’en parle, ça avait l’air tellement joli que j’ai presque envie de pleurer. 3. Coquelicot, en anglais. 77 On va donc s’occuper de Poppy, le chat le plus gentil en tailleur sur la couette à rayures, un garçon chantait en que je connaisse, pendant les deux prochaines semaines. s’accompagnant d’une guitare. Je suis trop contente ! La litière à changer, ce n’est pas ce À force de le regarder, je l’ai reconnu. Je ne sais pas que je préfère, mais les câlins et les caresses, c’est trop, comment il s’appelle, mais il est dans mon collège et on trop bien ! prend le bus à la même heure, le matin. Pas traumatisé par le départ de son maître, Poppy, Incroyable ! Je ne savais pas que ce mec si discret avait matou noir et blanc, était déjà étalé en plein milieu de un talent caché ! mon lit. En me voyant, il a basculé sur le dos avec un petit Je suis restée sans bouger jusqu’à la fin de sa chanson. miaulement qui voulait dire « J’ai absolument besoin de Il a posé sa petite guitare à côté de lui, il a relevé les yeux gratouillis sur le ventre, maintenant ! » Comme je n’aime et il m’a vue. Je lui ai souri et j’ai fait un petit signe de la pas décevoir ce chat pas franchement désagréable, je me main. suis exécutée pendant qu’un concert de ronrons débutait. Demain, après avoir montré ma carte au chauffeur, Quand monsieur Jones s’absente, c’est aussi moi qui j’irai le voir et je lui dirai que c’était super beau ! prends soin de ses plantes. Il a vingt-six pots dans son salon (j’ai compté !). Il me laisse toujours une feuille noircie de sa belle écriture fine, où il m’indique les quan- tités d’eau à verser à chaque plante. J’attrape le petit arrosoir vert pomme et j’attaque la séance d’arrosage. Hier, j’avais ouvert pour aérer son appartement et, après avoir fini mon travail, j’ai entendu de la musique. Une mélodie délicate qui m’a attirée à la fenêtre. Je me suis accoudée au rebord et j’ai cherché d’où venait la voix qui avait maintenant rejoint la guitare. Dans le bâtiment d’en face, une fenêtre était ouverte aussi. Elle donnait sur une chambre avec un lit. Et installé 78 CAHIER DE JACOB LE DÉMÉNAGEMENT 1er mars Les gros sont incapables d’être raisonnables. Ils ne savent pas se retenir. Ils mangent toute la journée et n’importe quoi. Bien sûr, ils sont trop stupides pour suivre des recom- mandations diététiques simples. La pâte à tartiner au chocolat, ils la mangent avec du beurre dessous, et ils mettent de la crème pour que la mayonnaise soit meilleure. Tout le monde sait ça. C’est pour ça qu’on doit déménager. J’exagère, bien sûr, mais à peine. Mes parents ont eu du mal à me répéter les mots pro- noncés par le docteur Kayser. J’ai dû insister pour savoir. Je leur ai expliqué que j’avais besoin de comprendre. 81 Alors, ils ont fini par me raconter ce dernier rendez-vous – Et puis, estimez-vous heureux, il y a quelques mois à la SCAS. encore, on vous aurait retiré les enfants. Vous avez de la Notre famille est « condamnée » à déménager. chance qu’on vous ait repérés, juste quand ce nouveau Suite à la conclusion de l’enquête, la SCAS prend programme vient d’être mis en place ! notre famille en charge. Comme ils ont des doutes im- Il les avait raccompagnés à la porte et leur avait dit portants sur la capacité de mes parents à nous nourrir en leur serrant la main : correctement, ils appliquent à notre famille leur tout – Préparez-vous dès maintenant, vous emménagez nouveau programme « Santé-Kilos ». On est les premiers dans La Maison le 1er mars ! à en bénéficier. C’est un programme révolutionnaire – C’est dans cinq jours, avait paniqué ma mère. qui se déroule dans un endroit conçu spécialement par – C’est pour cette raison que je vous invite à vous le district, pour des gens dans notre cas. On va donc organiser rapidement. emménager dans La Maison et on aura des visites régu- lières de spécialistes de la santé et du poids. Depuis cinq jours, on court donc dans tous les sens, Mon père avait suggéré qu’on reste chez nous, pour en remplissant des valises et des cartons. ne pas nous perturber, nous, les enfants, et aussi pour – Ne prenez que le nécessaire, les enfants, nous re- nous éviter les longs trajets jusqu’à l’école et le collège, commande chaque matin mon père. On ne va là-bas puisque La Maison est loin de notre quartier. que provisoirement. Mais le médecin a été catégorique : – Provisoirement, c’est combien de temps, Papa ? J’ai – Votre attitude vis-à-vis de la nourriture et de la voulu savoir. santé de vos enfants n’est absolument pas satisfaisante, – Je ne sais pas, Jacob. Quelques semaines, j’imagine. monsieur Fati. On ne peut plus vous faire confiance, la situation est devenue critique. Et de toute façon, un Ce matin, ça y est : on s’en va. suivi à domicile serait trop compliqué. Croyez-moi, c’est Un minivan nous attend en bas. Le camion avec nos la meilleure solution. cartons est déjà parti. Sissi fait un dernier tour de l’ap- Il les avait regardés intensément : partement : 82 83 – Au revoir, la cuisine ! Au revoir, le salon ! Au revoir, ma chambre ! Au revoir, le balcon ! – Allez, Sissi, dépêche-toi. On va être en retard. Je l’installe sur la banquette du minibus et je m’appuie contre la vitre. Il est tôt, ce matin. Le soleil passe juste BONNIE au-dessus du toit du bâtiment en face. Je vois Bonnie qui me regarde à sa fenêtre. Elle lève la main pour me faire coucou. J’ai juste le temps d’aperce- voir son sourire quand on démarre. Il s’appelle Jacob. Adieu, mon ancienne vie ! Et il a appris à jouer du ukulélé tout seul ! Adieu, les rendez-vous sous les branches du saule Les cours coûtent cher, alors il « a cherché les notes et, pleureur avec Bonnie ! à force de gratter les cordes, il a trouvé ». C’est ce qu’il m’a expliqué, comme si savoir jouer d’un instrument était aussi simple que se laver les dents ! Il est marrant, lui ! Il n’a même pas l’air de se rendre compte qu’il est doué ! On a parlé pendant tout le trajet jusqu’au collège et ce soir, en rentrant, je me suis assise à côté de lui. On s’est un peu raconté nos vies et elles sont complè- tement différentes, c’est fou. Moi, je suis toute seule avec Maman. Lui, il a trois sœurs et ses deux parents. Ça a l’air trop chouette, chez lui. J’espère qu’il m’invitera quand on se connaîtra mieux ! Sinon, rien à voir, mais ce soir, avec Maman, on est tombées sur une interview du leader de notre district à 85 la télé. Plus il parlait, plus j’avais l’impression de ne rien – Tu as raison, m’a confirmé ma mère. C’est exacte- comprendre du tout. J’ai dû demander à Maman si j’étais ment pareil. On pourrait avoir le même raisonnement à côté de la plaque ou si son discours était vraiment aussi avec toutes les addictions. Sauf que selon le leader, avec surréaliste que ce que je pensais. une alimentation appropriée et de l’activité physique, les Elle m’a confirmé que j’avais bien saisi ses propos et problèmes de poids, eux, se règlent facilement. qu’elle aussi était atterrée par ce qu’elle venait d’entendre. J’étais sciée. – Il veut qu’il n’y ait plus de gros ? Si on résume, c’est – Ah ouais. Donc, si on l’écoute, ceux qui sont gros le bien ce qu’il a annoncé ? veulent bien, en fait ! – Oui, a fait ma mère en secouant la tête. Tu as entendu – C’est un peu ça. L’alcool et la cigarette, c’est festif. ses mots comme moi : « C’est un enjeu de santé publique Les kilos, c’est honteux et synonyme de faiblesse. pour notre pays et pour notre district ». Je me suis levée parce que j’étais trop énervée pour Une fois dans ma chambre, je suis allée regarder un rester assise. documentaire sur le sujet. – Et la raison, c’est parce que les personnes en surpoids Je n’ai pas tout retenu, mais c’est bien ce que je pensais : coûtent trop d’argent au district… Mais c’est quoi, ce prendre du poids ou en perdre, ce n’est pas aussi simple délire ? que le laisse croire notre leader. Il peut y avoir beaucoup Ma mère m’a expliqué que certaines maladies ou pa- de facteurs qui déclenchent une prise de poids : un dérè- thologies pouvaient être liées à un poids trop élevé et que, glement hormonal, un traumatisme, le stress, une dépres- donc, la prise en charge médicale de ces maladies était sion… Ils ont aussi parlé de facteurs génétiques. Bref, je une dépense que le district trouvait trop importante. Il ne suis pas devenue une spécialiste du sujet, mais j’en ai était essentiel, selon notre leader, de faire des économies appris assez pour me rendre compte que son discours était sur ce poste. Il y avait un truc qui me chiffonnait : mais alors, les injuste et sans réalité médicale. fumeurs ? Et ceux qui ont un problème d’addiction à Ce qui l’est encore plus, c’est la grande campagne de l’alcool ? C’était la même chose, non ? santé publique qui a été lancée dans notre district. Les médecins, et le personnel soignant dans son ensemble, 86 87 sont « invités » à signaler les personnes en surpoids qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur travail. Ça ne res- semble pas à de la délation, ça ? Ce qui est en train de se passer est hallucinant ! CAHIER DE JACOB J’ai tout de suite pensé à ma copine Alicia. Qu’est-ce LA MAISON qu’elle allait ressentir ? Et Jacob et sa famille ? Et tous les autres, qui vivent déjà une vie compliquée entre les jugements, les réflexions et les moqueries ? Leur quotidien allait être encore pire. 1er mars L’image de Curtis s’est affichée dans ma tête. En voilà un qui allait encore moins se gêner pour être odieux, – Comme c’est beau, ici ! Comme c’est grand ! maintenant que le leader avait mis un coup de projecteur – Regarde, Maman, la cuisine est toute neuve ! – On a un frigo rouge ! dégueulasse sur toutes ces personnes ! Mes sœurs poussaient des cris de joie, au milieu des Désormais, je sais comment s’appelle le comportement cartons. de Curtis (et pas que le sien, malheureusement) : c’est Le minibus venait de nous déposer devant notre de la grosso­phobie. Quand on juge quelqu’un sur son nouveau lieu de vie. La fameuse Maison, dont le docteur poids, qu’on se comporte de façon hostile avec lui ou Kayser avait vanté les mérites à mes parents. La solution avec elle, qu’on le stigmatise ou qu’on l’empêche de faire à nos problèmes. L’endroit où on allait pouvoir profiter des choses. de ce fameux programme révolutionnaire. Ça peut aller loin, puisque j’ai découvert qu’une femme J’ai vite trouvé que la révolution imaginée par la SCAS obèse a huit fois moins de chance qu’une personne mince avait une drôle de tête… de trouver un travail ! – On ne peut rien ouvrir, a dit May. Quand je me suis couchée, ma colère n’était pas – C’est bizarre, on dirait que c’est bloqué… a ajouté retombée. Edna. 89 – Vous avez vu ? Il y a un cadenas sur les portes du ouvrira le placard, qui contient la boîte de haricots placard, a remarqué Sissi. verts, si c’est ce qui est marqué sur le menu. – Mais qu’est-ce que c’est que cette cuisine ? a grogné – On n’est pas des sauvages, a marmonné mon père. ma mère en tirant de toutes ses forces sur les poignées On est capables de gérer ce qu’on mange tout seuls… des meubles. – Monsieur Fati, croyez-moi, tout a été pensé par des – Ne nous énervons pas, s’est exclamé mon père. spécialistes, ici. Vous avez la chance d’être la première J’appelle la SCAS pour leur signaler le problème. famille à en profiter. Prenez-le comme une aide, comme un Trois minutes après, il nous annonçait : formidable coup de pouce. Dans La Maison, la tentation, – On nous envoie un technicien. c’est fini ! On ne mange que quand le corps en a besoin, Quinze minutes plus tard, il avait perdu son grand et uniquement ce dont il a besoin. sourire. Ma mère ne disait pas un mot. Le technicien était venu et il avait constaté que… – Vous verrez, a continué le technicien. Vous serez tout était normal ! surpris de constater comme vous allez changer. Et vous Il en avait profité pour nous expliquer le fonction- pourrez même le vérifier noir sur blanc. Regardez ce petit nement de La Maison et de son « centre névralgique » : boîtier, en bas de la porte. Il comptabilise vos entrées et la cuisine. vos sorties dans la cuisine. Eh bien, je suis sûr qu’au bout – Ici, tout a été conçu pour vous faciliter la vie. Ce de quelques semaines, vous pourrez observer que vous y qui explique tout un tas de petits aménagements : le entrez beaucoup moins. Moins de tentations égale moins frigo ne s’ouvre qu’une demi-heure avant les repas, les d’envies, égale moins de craquages ! placards ont des cadenas qui, eux aussi, se débloquent Sur cette phrase aux allures de slogan à trois cents, le à une heure précise et en fonction des menus qui vous technicien est parti. sont établis. – Ça veut dire quoi ? a demandé May. J’ai demandé à mes parents : – Ça veut dire que vous allez recevoir une feuille de – Alors c’est ça, leur programme « Santé-Kilos » ? C’est menus pour chaque repas et que cette cuisine intelligente de cette façon qu’on est censés aller mieux ? 90 91 – Jacob, je vais être franche avec toi, a déclaré Maman. Je ne trouve pas ça normal et ça ne me plaît pas du tout. Mais à les entendre, on a fait n’importe quoi avec vous. Je ne suis pas doctoresse. Donc… je suis obligée de leur faire confiance. Ils savent mieux que nous et ils pensent BONNIE que c’est la solution idéale. – Cette maison a l’air idéale, Maman, tu trouves ? – Non évidemment, Jacob. Mais tu sais, je ne peux pas m’empêcher de culpabiliser. Je m’en veux de n’avoir pas pris soin de vous correctement. Alors, si c’est la meilleure Je suis allée dans l’appartement de Jacob et sa famille ! solution, restons ici. De toute façon, on n’y est pas pour C’était trop bien. Ses petites sœurs sont super chou ! la vie. On suit leur programme à la lettre, comme ça, on Sissi a voulu me montrer tous ses jouets et Edna n’arrê- va tous mieux et on rentre chez nous sans tarder. tait pas de me poser des questions : « T’es dans la même classe que Jacob ?

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