Summary

This text is an excerpt from a medieval French poem, likely part of a larger work. The story is centered around a French medieval setting with a focus on knights, and the tale highlights themes of courtly love and the behaviors expected of knights in the setting.

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YVAIN ou LE CHEVALIER AU LION Arthur, le bon roi de Bretagne qui, par sa prouesse, nous1 enseigne à être preux et courtois, tenait une cour somptueuse et vraiment royale lors de cette fête si coûteuse qui s'appelle fort j ustement la Pentecôte'. La cour se trouvait à Carduel au pays de...

YVAIN ou LE CHEVALIER AU LION Arthur, le bon roi de Bretagne qui, par sa prouesse, nous1 enseigne à être preux et courtois, tenait une cour somptueuse et vraiment royale lors de cette fête si coûteuse qui s'appelle fort j ustement la Pentecôte'. La cour se trouvait à Carduel au pays de Galles. Après le repas, dans toutes les salles du château, les chevaliers s'assemblèrent là où les dames et les demoiselles les avaient invités'. Les uns racontaient des histoires, les autres parlaient d'Amour ainsi que des tour­ ments, des souffrances et des grands bienfaits que ressentirent souvent les disciples de sa règle, j adis très douce et agréable. Aujourd' hui cependant, le nombre de ses fidèles a bien dimi­ nué ; presque tous l'ont abandonnée. La réputation d' Amour en est fort amoindrie, car les amoureux d'antan passaient pour être courtois, preux, généreux et honnêtes. Maintenant, Amour est la fable de tout le monde, parce que ceux qui lui restent étrangers disent aimer mais ils mentent, et ceux qui se vantent à tort d'aimer donnent dans la fable et le mensonge. Artus", li boens rois de Bretaingne Et des granz biens qu'orent sovant La cui proesce nos enseigne " Li deciple de son covant, OEe nos soiens preu et cortois, QBi lors eStoit mout dolz et buens. 4 Tint cort si riche corne rois Mes or i a mout po des suens A cele feSte qui tant coS!e, OE' a bien pres l'ont ja mit lessiee, OE'an doit clamer la PantecoSte. 20 S'an eSt Amors mout abessiee, La corz fu a Carduel en Gales ; Car cil qui soloient amer A prés mangier, parmi ces sales Se feisoient cortois clamer Li' chevalier s'atropelerent Et preu et large et enorable. La ou dames les apelerent " Or eSt Amors tornee a fable Ou dameiseles ou puceles. Por ce que cil qui rien n'en santent 12 Li un recontoient noveles, Dïent qu'il aiment, mes il mantenr, Li autre parloient d' Amors, Et cil fable et mançonge an font Des angoisses et des dolors 28 Q_-g.i s'an vantent et droit n'i ont. 3 4° Yvain ou le Chevalier au Lion Mais parlons plutôt des amoureux d' autrefois et laissons ceux d'auj ourd' hui ! Car mieux vaut, à mon avis, un homme courtois et mort qu'un ruStre vivant'. Voilà pourquoi il me plaît de raconter une hiStoire captivante au suj et du roi dont l'extraordinaire renommée s'eSt répandue partout de nos jours. Je m' accorde sur ce point aux Bretons : son nom vivra touj ours et, grâce à lui, on conserve le souvenir des chevaliers d' élite qui souffraient pour conquérir l' honneur. Ce j our-là toutefois, les chevaliers s' étonnèrent beaucoup de voir le roi se lever et quitter leur compagnie. Cela déplut fort à certains qui se lancèrent dans de longs commentaires, car ils n' avaient j amais vu le roi, lors d'une si grande fête, se rendre dans sa chambre pour aller dormir et pour se reposer. Ce jour-là, pourtant, la reine le retint auprès d' elle ; il demeura tant à ses côtés qu'il s' oublia et s' endormit. Dehors, à la porte de la chambre, se trouvaient Dodine!' , Sagremor' , Keu, monsei­ gneur Gauvain et monseigneur Yvain. Calogrenant se tenait en leur compagnie' ; ce chevalier fort avenant avait entre­ pris pour eux un conte, moins à son honneur qu' à sa honte. La reine prêta l'oreille au récit qu'il avait commencé ; elle quitta le lit du roi et s'approcha d' eux fort discrète­ ment. Sans être remarquée de personne, elle se glissa parmi eux. Seul, Calogrenant se leva preStement en la voyant. Keu, touj ours très acerbe, perfide, pointu et venimeux, Mes or parlons de cez qui furent, Q,ie la reïne le detint, Si leissons cez qui ancor durent, Si demora tant de lez li Car mout valt mialz, ce m'eSt avis, " Q,i' il s'oblia et endormi. 2 3 Uns cortois morz c'uns vilains vis. A l'uis de la chanbre defors Par ce me pleSt a reconter Fu Didonez et Sagremors C hose qui face a escou ter Et Kex et messireb Gauvains, Del roi qui fu de tel tesmoing 56 Et si i fu messire Yvains, 36 Q,i' an en parole et pres et !oing ; Et avoec ax Q,ialogrenanz, Si m' acort de tant as Bretons Uns chevaliers mout avenanz, Q,ie toz j orz durra li renons QW !or a comancié un conte, Et par lui sont amenteü 60 Non de s' annor, mes de sa honte. 0 4 Li boen chevalier esleü Q,ie que il son conte contait, QW a enor se traveillierent. Et la reine l' escoutoit, Mes ce! jar mout se merveillierent Si s' eSt delez le roi levee Del roi qui d' antr'aus se leva, 64 Et vient sor ax tot a celee, " Si ot de tex cui mout greva Q,i'ainz que nus la poïSt veoir, Et qui mout gram parole an firent, Se fu lessiee entr'ax cheoir, Par ce que onques mes ne! virent Fors que Calogrenanz sanz plus A si grant feSte an chanbre antrer " Sailli an piez contre li sus. " Par dormir ne par reposer. Et Kex, qui mout fu ranponeus, Mes ce! jar ensi li avint Fel et poignanz et venimeus', [7 1 - I I zj La Pentecôte à Carduel lui dit alors' : « Par Dieu, Calogrenant, le beau saut et la belle prouesse que voilà ! Vraiment, il me plaît que vous soyez le plus courtois d' entre nous ! C'eSt ce que vous croyez, à coup sûr, tellement vous manquez de cervelle ! Ma dame eSt en droit de penser que vous êtes plus courtois et plus preux que nous tous. C'eSt par paresse que nous ne nous sommes pas levés, sans doute, ou alors c'eSt parce que nous n' avons daigné le faire. Par Dieu, messire, si nous ne l'avons pas c' eSt que nous n' avions pas encore vu notre reine alors que vous étiez déj à debout. - Vraiment, Keu, je pense que vous auriez éclaté auj ourd' hui, fait la reine, si vous n' aviez pu vider votre abondant venin. Q!!e lle déteStable et vilaine atti­ tude de chercher querelle à vos compagnons ! - Ma dame, fit Keu, si nous ne gagnons rien à vous fréquenter, faites en sorte que nous n'y perdions pas non plus ! Je ne pense pas avoir dit quelque chose qui puisse m' être reprochée et, s' il vous plaît, changeons de suj et ! Il n'eSt ni courtois ni intel­ ligent d' éterniser une conversation Stérile. Celle-ci ne saurait se poursuivre car elle n' honorerait personne. Incitez-le plutôt à poursuivre l' hiStoire qu' il a commencée car, ici, il n'y a aucune raison de se battre ! - Ma dame, répliqua Calo­ grenant, cette dispute ne m'affeél:e guère. Tout cela m'eSt bien égal et je n'y prête guère ttention. Si Keu m'a insulté, j e n' aurai nullement à e n pâtir. A d e plus vaillants e t plus sages Li diSt : « Par Deu, logrenant, 92 - Dame, se nos n'i gaeignons, 72 Mout vosa voi or preu et saillant, Fet Kex, an voStre conpaignie, Et cerces mout m' eSt bel quant vos Gardez que nos n' i perdiens mie ! EStes li plus corcois de nos ; Je ne cuit avoir chose dite Et bien sai que vos le cuidiez, 9 6 Qi,ii me doie eStre a mal escrite, 76 Tant eStes vos de san vuidiez. Et, s'il vos pleSt, teisons nos an ! S' eSt droiz que ma dame le cuit Il n' eSt corteisie ne san O!oie vos avez plus que nos cuit De plet d'oiseuse maintenir. De corceisie et de proesce. 00 CiSt plez ne doit avant venir, '° Ja le leissames por peresce, Qi,ie nus ne! doit an pris monter. Espoir, que nos ne nos levames Mes feites nos avant conter Ou por ce que nos ne deignames. Ce qu'il avait encomancié, Mes par Deu, sire, nel feïsmes, 104 Car ci ne doit avoir tancié. » 84 Mes por ce que nos ne veïsmes A ceSte parole s' esponc Ma dame, ainz fuStes vos levez. logrenanz, et si respont : - Certes, Kex, j a fussiez crevez, « Dame, fet il, de la rançon Pet la reïne, au mien cuidier, 108 Ne sui mie en grant sospeçon ; 88 Se ne vos poissiez vuidier Petit m'an eSt, et mout po pris. Del venin don vos eStes plains. Se Kex a envers moi mespris, Enuieus eStes, et vilains, Je n'i avrai ja nul domage : De tancier a voz conpaignons. '" A mialz vaillant et a plus sage, 3 42 Yvain ou le Chevalier au Lion que moi, messire Keu, vous avez adressé des propos honteux ou odieux, car vous êtes coutumier du fait. Il en va toujours ainsi : le fumier doit nécessairement puer, les taons doivent piquer, les bourdons bruire, et les traîtres se rendre odieux et nuire. Mais je ne poursuivrai pas mon hiStoire si ma dame ne m' implore pas de le faire. Je la prie de ne pas insiSter et de ne pas me demander quelque chose qui me gênerait, de grâce ! - Dame, tous ceux qui sont ici, fait Keu, vous sauront gré de lui faire cette demande et ils écouteront volontiers son récit. Ne le faites surtout pas pour moi mais, par la foi que vous devez au roi qui eSt votre seigneur et le mien, demandez-lui de continuer et ce sera bien ! Calogrenant, dit la reine, oubliez - la provocation de messire Keu, le sénéchal. Médire eSt devenu pour lui une habitude et il eSt impossible de l'en corriger. Je vous demande, j e vous implore d' étouffer en vous tout ressentiment. Ne vous privez pas, à cause de lui, d'un récit agréable à entendre, si vous voulez conserver mon amitié. Reprenez donc depuis le commencement ! - Assurément, ma dame, il me pèse d'obéir à vos ordres ! Si je ne redoutais pas de vous mécontenter, je me laisserais arracher une dent plutôt que de leur raconter encore quelque chose aujourd' hui. Mais je ferai ce qui vous convient, quoi qu'il doive m'en coûter'. Puisque tel eSt votre plaisir, écoutez donc ! Prêtez-moi le cœur et !' oreille car la parole se perd si le cœur ne !' entend pas. Messire Kex, que je ne sui, Mon seignor Keu le seneschal ! Avez vos dit honte et enui, Costumiers est de dire mal, Car bien an estes costumiers. Si qu'an ne l'en puet chastier. "' Toz j orz doit puir li fumiers, 136 Comander vos vue! et prier Et toons poindre, et maloz bruire, e ja n'en aiez au cuer ire, Et felons enuier et nuire. Ne por lui ne lessiez a dire Mes je ne conterai hui mes, C hose qui nos pleise a oïr, 120 Se ma dame m'an leisse an pes, 1.. Se de m' amor volez joïr, Et je li pri qu'ele s'an teise, Mes comanciez tot de rechief. Q!Je la chose qui me despleise - Certes, dame, ce m'est mout grief Ne me cornant, soe merci. Q!Je vos me comandez a feire ; 1 24 - Dame, treStuit cil qui sont ci, 1 44 Einz me leissasseun des danz traire, Fet Kex, boen gré vos en savront Se correcier ne vos dotasse, Et volantiers l' escoteront ; Q!Je je hui mes rien !or contasse ; Ne n' an faites j a rien por moi, Mes je ferai ce qu'il vos siet, "' Mes, foi que vos devez le roi, "' Cornant que il onques me griet ! Le" vostre seignor et le mien, Des qu'il vos pl est, or escotez ! Comandez li, si feroiz bien. Cuers et oroilles m'aportez, - Q!Jalogrenant , dist la reine, Car parole est tote perdue '" Ne vos chaille de !' ataïne "' S'ele n'est de cuer entandue. [ 1 5 3 - 1 94] Le récit de Calogrenant 3 43 I l y a d e s gens qui entendent une chose incompréhensible pour eux et qui l' approuvent ; en fait, ils n' en retiennent que le bruit puisque le cœur ne l'a pas comprise. La parole vient aux oreilles comme le vent qui vole, mais elle ne s'y arrête ni demeure ; elle s' en va, en un rien de temps, si le cœur n'est pas assez éveillé ni exercé pour la saisir au vol. Car, s'il peut la saisir à l' état de bruit, s'il peut l'enfermer et la retenir, les oreilles sont la voie et le conduit qui amènent la voix jusqu' au cœur. Le cœur saisit alors, dans la poitrine, la voix qui entre par l' oreille. Ainsi, celui qui voudra me comprendre doit me confier son cœur et ses oreilles car je ne veux proférer ni songe, ni fable, ni mensonge. « Il y a plus de sept ans, il advint que j e me trouvai seul comme une âme en peine. J' étais parti en quête d' aventures, armé de pied en cap comme il sied à un chevalier. J'avais pris un chemin sur ma droite et m'engageais dans une épaisse forêt. C'était un sentier assez traître, plein de ronces et d'épines. Non sans peine, je suivis cette voie et ce sentier. Je chevauchai pendant presque une j ournée j usqu'au moment où je quittai la forêt, celle de Brocéliande1 Sorti de la forêt, j 'arrivai dans une lande et vis une bretèche à une demi-lieue galloise' , un peu moins peut-être mais certainement pas plus. Je m'orientai dans cette direétion au etit trot. Je vis l'enceinte ainsi que le fossé large et profonJqui l'entourait. De cez i a qui la chose ôent O!!e j e , seus corne païsanz, Qy' il n' entandent, et si la lôent ; Aloie querant aventures, Et cil n'en ont ne mes l' oïe, 1 76 Armez de totes armeüres 156 Des que li cuers n' i entant mie. Si corne chevaliers doit eStre ; As oroilles vient la parole, Et tomai mon chemin a deStre Ausi corne li vanz qui vole, Parmi une foreSt espesse. Mes n' i areSte ne de more, 180 Mout i ot voie felenesse, 1 60 Einz s'an part en mout petit d'ore, De ronces et d' espines plainne ; Se li cuers n' eSt si esveilliez A quelqu'enui, a quelque painne, Qy' au prendre soit apareilliez ; Ting cele voie et ce santier. Car, s'il le puet an son oïr "' A bien pres tot le jor antier u u Prendre, et anclorre, et retenir, M'en al ai chevalchant issi, Les oroilles sont voie" et doiz Tant que de la foreSt issi, Par ou s' an vient au cuer la voiz ; Et ce fu an Broceliande. Et li cuers prant dedanz le vantre 188 De la foreSt, en une lande 168 La voiz, qui par l'oroille i antre. Entrai, et vi une bretesche Et qui or me voldra entandre, A demie liue galesche ; Cuer et oroilles me doit randre, Se tant i ot, plus n' i ot pas. Car ne vue! pas parler de songe, 192 Cele part ving plus que le pas, 172 Ne de fable, ne de mançonge. Vi le baille' et le fossé « Il m'avint plus a de set anz Tot anviron parfont et lé, 3 44 Yvain ou le Chevalier au Lion Sur le pont se trouvait le propriétaire de la forteresse ; il tenait sur son poing un autour qui avait mué. Je l'avais à peine salué qu' il vint me tenir l' étrier et me demanda de descendre. Je m' exécutai car il n'y avait rien d'autre à faire et j ' avais besoin d'un gîte. Aussitôt, il me dit plus de sept fois d'aflilée : · Béni soit le chemin qui vous a conduit j usqu'ici. " Ensuite, nous entrâmes dans la cour et passâmes le pont et la porte. Au milieu de la cour du vavasseur - que Dieu lui rende la j oie et l' honneur qu'il me fit ce soir-là ! - pendait un disque où il n'y avait, je crois, ni fer, ni bois, ni rien qui ne fût en cuivre. Le vavasseur frappa trois coups s?-r ce disque, à l' aide d'un marteau pendu à un petit poteau. A l' intérieur de la demeure, les domestiques entendirent cet appel. Ils sortirent dans la cour. L'un d'eux courut vers mon cheval et en prit soin. Je vis alors qu'une j eune fille belle et distinguée venait à ma ren­ contre. Je contemplai sa sveltesse et sa taille élancée. Elle me désarma fort adroitement, en s'y prenant très bien, très élé­ gamment ; elle me revêtit d'un court manteau d'écarlate, couleur bleu de paon et fourré de vair. Puis, tout le monde disparut, de sorte qu'il ne resta plus personne hormis la j eune fille et moi. Cela me plut car je ne tenais pas à voir beaucoup de gens autour de moi. Elle m'emmena m'asseoir dans le plus j oli petit pré du monde' ; il était entouré d'un muret. Et sor le pont an piez e oit, 216 Qyi panduz ert a un po el, '" Cil cui la forteresce e oit, Feri li vavasors trois cos. Sor son poing un o or müé. Cil qui leissus erent anclos Ne l'oi mie bien salüé, Oïrent la voiz et le son, O!!ant il me vint a l' rié prendre, 220 S' issirent fors de la meison 200 Si me comanda a descendre. Et vienent an la cort aval. Je descendi, qu'il n' i ot el, Li un corent a mon cheval a , Car me ier avoie d'o el ; E t uns des sergenz le prenoit ; Et il me di toc maintenant "' Et j e vi que vers moi venoit "" Plus de set foiz en un tenant, Une puce le be le et gente. Q]Je beneoite fu la voie En li esgarder mis m'antente, Par ou leanz entrez e oie. Q]J' ele oit gresle", et longue, et A tant en la cort en antrames, 228 De moi desarmer fu adroite [droite. 208 Le pont et la porte passames. Q]J' ele le li et bien et bel, Enmi la cort au vavasor, Et m'afubla d'un cort mante! Cui Dex doint et j oie et enor Vair d'escarlate peonace ; Tant corn il li moi cele nuit, 232 Et se nos guerpirent la place "' Pendoir une table ; ce cuit Q]Je avoec moi ne avoec li Q]J' il n' i avoit ne fer ne fu Ne reme nus ; ce m'abeli, Ne rien qui de cuivre ne fu. Q]Je plus n'i queroie veoir. Sor cele table, d'un martel 236 Et ele me mena seoir Le vavasseur hospitalier 345 Là, j e l a trouvais si bien élevée, si cultivée e t s' exprimant si bien, d'un tel charme enfin et d'une telle diSl:inél:ion que j e me plus fort en sa compagnie. Et j amais, pour rien au monde, je n' aurais voulu me séparer d'elle. Mais ce soir-là, le vavasseur me dérangea en venant me chercher à l' heure du souper. Impossible de m' attarder davantage ; j 'obéis donc. Du sou­ per, je vous dirai seulement qu'il répondit tout à fait à mon attente, surtout quand la j eune fille s' assit devant moi. Après le repas, le vavasseur m'avoua qu'il ignorait depuis quand il avait hébergé des chevaliers errants en quête d'aventure. Cela faisait longtemps qu'il n' en avait plus accueilli aucun. Ensuite, il me de revenir chez lui, sur le chemin du retour, pour si toutefois cela était possible. Je lui répondis : " Volontiers, sire ! car il eût été honteux de refu­ " ser. J' aurais tenu mon hôte en piètre eSl:ime si je lui avais refusé cette faveur. « Cette nuit-là, j e fus très bien logé et mon cheval fut sellé, dès le point du j our, comme je l'avais inSl:amment demandé la veille au soir. On avait ainsi accédé à ma demande. Je recommandai au Saint-Esprit mon aimable hôte et sa chère fille. Je pris congé de tous et m'en allai dès que je pus. Je n' étais guère éloigné de mon gîte quand je trouvai, dans un essart, des taureaux aussi sauvages que des léopards' ; El plus bel praelet del monde, Q_l!i aventure alaSt querant ; Clos de bas mur a la reonde. N'en oc, piece a, nul herbergié. La la trovai si afeitiee, 260 Aprés me repria que gié "" Si bien parlant, si anseigniee, Par son oStel m' an revenisse De tel solaz et de tel eStre, An guerredon, se je poïsse", O!!e mout m'i delitoit a efüe, Et j e li dis : " Volentiers, sire '', Ne ja mes por nul eStovoir "' O!!e honte fuSt de l' escondire ; 244 Ne m'an queïsse removoir ; Petit por mon oSte feïsse Mes tant me fiSt, la nuit, de guerre Se ceSt don li escondeïsse. Li vavasors, qu'il me vint guerre, « Mout fui bien la nuit oStelez, Qant de soper fu tans et ore ; 268 Et mes chevax fu enselez "' N'i poi plus feire de demore, Lués que l'en pot le jor veoir, Si fis lors son comandemant. O!!e g' en oi mout proié le soir ; Del soper vos dirai briemant Si fu bien fette ma proiere. O!!'il fu del cot a ma devise, "' Mon boen oSte et sa fille chiere 252 Des que devant moi fu assise Au Saint Esperit comandai ; La pucele qui s'i assiSt. A treStoz congié demandai, Aprés mangier itant me diSt Si m'en alai lués que je poi. Li vavasors qu'il ne savait 2;6 L' oStel gaires esloignié n'ai, 256 Le terme, puis que il avoit Qant j e trovai, en uns essarz, Herbergié chevalier errant Tors salvages corne lieparz', Yvain ou le Chevalier au Lion ils s' affrontaient entre eux et faisaient un tel bruit, mani­ feStaient une telle cruauté et une telle sauvagerie que, si vous voulez savoir la vérité, j ' eus un moment de recul ; aucun animal en effet n'eSt plus sauvage et plus farouche que le taureau. Un paysan qui ressemblait à un Maure 1 , démesurément laid et hideux - décrire une telle laideur eSt impossible ! -, s' était assis sur une souche et tenait une grande massue à la main. Je m' approchai du paysan et vis qu' il avait la tête plus qu'un roncin2 ou qu' une autre bête, les cheveux et le front pelé, large de presque deux empans, les oreilles velues et grandes comme celles d'un éléphant, les sourcils énormes, la face plate, des yeux de chouette, un nez de chat, une bouche fendue comme celle du loup, des dents de sanglier, acérées et rousses, une barbe rousse, des mouStaches entortillées, le menton accolé à la poitrine, l' échine voûtée et bossue. Appuyé sur sa massue, il portait un habit bien étrange, sans lin ni laine, mais, à son cou, étaient attachées deux peaux fraîchement écorchées de deux taureaux ou de deux bœufs. L e paysan s e dressa s u r ses j ambes d è s qu'il m e vit appro­ cher. Je ne savais pas s'il voulait me toucher et j ' ignorais ce qu'il cherchait au j uSte mais je me tenais sur mes gardes j us­ qu'à ce que j e le voie debout, tout coi et immobile ; il était monté sur un tronc d' arbre et mesurait bien dix-sept pied s '. QEi s'antreconbatoient tuit 300 Ialz de çuete, et nes de chat, 280 Et demenoient si grant bruit Boche fandue corne lous, Et tel fierté et tel orgue!, Danz de sengler aguz et rous, Se voir conuiStre vos an vuel, Barbe rosse, grenons tortiz, C'une piece me treis arriere 304 Et le manton aers au piz, "' O!!e nule beSte n' eSt tant liere Longue eschine torte et boçue ; Ne plus orguelleuse de tor. Apoiez fu sor sa maçue, Uns vileins, qui resanbloit Mor, VeStuz de robe si eStrange Leiz et hideus a desmesure, 308 O!!'il n'i avoir ne lin ne lange, 288 Einsi tres leide criature Einz ot a son col atachiez O!!'an ne porroit dire de boche Deus cuirs de nove! escorchiez, Assis s' eStoit sor une çoche, Ou de deus tors ou de deus bués. Une grant maçue en sa main. '" An piez sailli li vilains, lués 292 Je m' aprochai vers le vilain, O!!' il me vit vers lui aprochier. Si vi qu'il ot grosse la teSte Ne sai s'il me voloit rochier, Plus que roncins ne autre beSte, Ne ne sai qu'il voloit enprendre, Chevox mechiez et front pelé, 318 Mes je me garni de desfandre, "' S' ot pres de deus espanz de lé Tant que je vi que il eStut Oroilles mossues et granz En piez toz coiz, ne ne se mut, Autiex corn a uns olifanz, Et fu montez desor un tronc, Les sorcix granz et le vis plat, 320 S' ot bien dis et set piez de Jonc ; L 'homme sauvage 3 47 Il me regarda sans mot dire, tout comme l' aurait fait une bête. Je croyais qu'il n' avait pas l' usage de la parole et qu ' il était dépourvu d' intelligence. Néanmoins, j e m' enhardis suffisamment pour lui dire : " Hé, là ! Dis-moi donc si tu es une bonne créature ou non ! - Je suis un homme, me ré­ pondit-il. - De quelle sorte ? - De l' espèce que tu vois ! Je ne change j amais 1 - e fais-tu ici ? - Je m'y tiens et j e garde les bêtes d e c e bois. - T u les gardes ? Par saint Pierre de Rome, elles ne savent pas alors ce qu'eSt un homme ! Depuis quand garde-t-on une bête sauvage, dans une plaine, un bois ou ailleurs, sans l' attacher ou la parquer ? - Je garde pourtant celles-ci et les soumets à ma volonté : j amais elles ne quitteront cet enclos. - Tu les soumets ? Dis-moi la vérité ! - Aucune n' ose bouger dès qu' elles me voient venir. and j ' en attrape une, j e l'empoigne fer­ mement et puissamment par les cornes. Alors, toutes les autres tremblent de peur et m' entourent comme pour crier grâce. Mais toute autre personne que moi qui se trouverait au milieu d'elles ne pourrait éviter upe mort immédiate. C ' eSt ainsi que j e règne sur mes bêtes. A ton tour de me dire quel homme tu es et ce que tu cherches ! - Je suis, comme tu vois, un chevalier qui cherche l' introuvable. Ma quête a duré longtemps et, pourtant, elle eSt reStée vaine. - Et que voudrais-tu trouver ? - L' aventure, pour mettre à Si m' esgarda, ne mot ne diSt, - Et tu cornant ? Di m'an le voir ! Ne plus c' une beSte feïSt, - N'i a celi qui s'oSl: movoir Et je cuidai qu'il ne seüSt Des que ele me voit venir, 324 Parler, ne reison point n'eüSt. 344 Car quant j ' en puis une tenir, Tate voie tant m'anhardi, Si l' eStraing si par les deus corz, Q,e je li dis : " Va, car me di As poinz que j ' ai et durs et forz, Se tu es boene chose ou non ! " Q,e les autres de peor tranblent 328 Et il me diSt : "Je sui uns hon. 348 Et tot environ moi s' asanblent, - Q,iex hom iés tu ? - Tex con tu voiz ; Ausi con par merci crïer ; Si ne sui autres nule foiz. Ne nus ne s'i porroit fier, - Q,e fez tu ci ? - Ge m'i eStois, Fors moi, s' antr' el es s' estait mis, 332 Et gart les beStes de ceSt bois. "' Q,' il ne fuSt maintenant ocis. - Gardes ? Por saint Pere de Rome, Einsi sui de mes beStes sire, Ja ne conuissent el es home ; Et tu me redevroies dire Ne cuit qu'an plain ne an boschage Q,iex hom tu iés, et que tu quiers. 336 Puisse an garder beSte sauvage, 35 6 - Je sui, ce voiz, unsb chevaliers N'en autre leu, par nule chose, Q,i quier ce que trover ne puis ; S' ele n' eSt lïee et an close. Assez ai quis, et rien ne truis. - Je gart si ceStes et j uStis - Et que voldroies tu trover ? "° Q,e j a n' iStront de ceSt porpris. 360 - Avanture, por esprover Yvain ou le Chevalier au Lion l' épreuve ma vaillance et mon courage. Je te prie , j e te d emande et je t' implore de me conseiller une aventure ou une merveille, si tu en connais une. - Il faudra que tu te passes d ' aventure, fait-il , car je n'y connais rien et n'en ai j amais entendu parler. Mais, si tu voulais aller tout près d ' ici, j usqu' à une fontaine, tu n'en reviendrais pas sans mal , à condition de lui rendre ce qu'elle mérite. Tout près d ' ici, tu trouveras un sentier proche qui t'y mènera. Va tout droit, si tu veux économiser tes pas , car tu risquerais vite de t' égarer : il y a beaucoup d' autres chemins ! Tu verras la fo ntaine qui bout ' , et pourtant elle eSt plus froide que le marbre. Le plus bel arbre j amais formé par la Nature lui offre son ombrage. Il garde son feuillage en toutes saisons et nul hiver ne saurait le priver de ses feuilles. Un bassin de fer y pend , lui-même suspendu à une ch îne si longue qu'elle descend j usque dans la fo n ­ taine. A c ô t é de la fontaine, tu trouveras un perron ; i l m' eSt impossible de te le décrire c a r j e n'en a i j amais v u de semblable. De l' autre côté, se trouve une chapelle, petite mais fort belle'. Si tu puises d e l' eau avec le bassin et si tu la répands sur le perron, tu verras se produire une tempête à faire fuir toutes les bêtes de la forêt : chevreuils, cerfs, daims, sangliers ou oiseaux la quitteront, car tu verras s' abattre la foudre et le vent, tu verras les arbres se briser, Ma proesce et mon hardemant. Conques poïSt former Nature. Or te pri et quier et demant, En toz tens sa fuelle li dure, Se tu sez , que tu me consoille 'il ne la pert par nul iver. 364 Ou d'aventure ou de mervoille 384 Et s' i pant uns bacins de fer" - A ce, fet il, faudras tu bien : A une si longue chaainne D'aventure ne sai je rien, G.!Ji dure j usqu'an la fontainne. N' onques mes n'en oï parler. Lez la fontainne troverras 368 Mes se tu voloies aler 388 Un perron, tel con tu verras ; Ci pres j usqu' a une fontainne, Je ne te sai a dire quel, N'en revandroies pas sanz painne, e je n'en vi onques nul tel ; Se tu li" randoies son droit. Et d'autre part une chapele 372 Ci pres troveras orendroit 392 Petite, mes ele eSt mout bele. Un santier qui la te manra. S'au' bacin viax de l'eve prandre Tate la droite voie va, Et desus le perron espandre, Se bien viax tes pas anploier, La verras une tel tanpeSte 376 G.!!e toSt porroies desvoier : 396 QB'an ceSt bois ne ramanra beSte, Il i a d'autres voies mout. Chevriax ne cers, ne dains ne pors, La fontainne verras qui bout, Nes li oisel s'an ifüont fors ; S' eSt ele plus froide que marbres. Car tu verras si foudroier, 380 Onbre li fet li plus biax arbres 400 Vanter, et arbres peçoier, La fontaine de Barenton 3 49 la pluie, le tonnerre et les éclairs se déchaîner. Si tu peux y échapper sans grands ennuis et sans tu seras le plus chanceux des chevaliers à être allé " Je quittai le pay ­ san dès qu' il m' eut indiqué le chemin. L' heure de tierce était peut-être passée et on devait être aux alentours de midi quand j ' aperçus l' arbre et la fontaine. Je sais parfaitement que l' ai;bre était le plus beau pin qui eût j amais poussé sur la terre. A mon avis, j amais une goutte de pluie, même s'il avait plu assez fort, n'aurait pu le traverser ; elle aurait plu­ tôt coulé par-dessus. Je vis le bassin qui pendait à l'arbre ; il était de l'or le plus fin j amais vendu dans une foire. nt à la fontaine, vous pouvez me croire, elle bouillonnait comme de l' eau chaude. Son perron, d'une seule émeraude percée comme une outre 1 , était soutenu par quatre rubis plus flamboyants et vermeils que le soleil du matin se levant à l' orient. Je ne vous raconterai pas le moindre mensonge à ce propos, en toute connaissance de cause. Le speél:acle mer­ veilleux de la tempête et de l' orage me plut et, à cause de lui, je ne me considère plus comme quelqu' un de raisonnable, car j e devrais me repentir sans tarder, si cela était possible, d'avoir arrosé la pierre percée avec l' eau du bassin. J'en avais trop versé, assurément, car je vis le ciel si déchiré qu'en plus de quatorze endroits les éclairs me frappaient les yeux alors que les nuées j etaient, pêle-mêle, pluie, neige et grêle. Plovoir, toner et espartir, L i perrons ert d' une esmeraude Q!Je, se tu t'an puez departir Perciee ausi corn une boz, Sanz grant enui et sanz pesance, "' Et s'a quatre rubiz desoz, "" Tu seras de meillor cheance Plus flanboianz et plus vermauz Q!Je chevaliers qui i fust onques. " Q!Je n' est au matin li solauz, Del vilain me parti adonques, Qant il apert en oriant ; Q!Je bien m'ot" la voie mostree. 428 Ja, que je sache a esciant, 408 Espoir si fu tierce passee, Ne vos an mantirai de mot. Et pot estre pres de midi, La mervoille a veoir me plot Q!Jant l' arbre et la fontainne vi. De la tanpeste et de l'orage, Bien sai de l'arbre, c' est la lins, '" Don je ne me ting mie a sage, "' Q!Je ce estoit li plus biax pins Q!Je volentiers m' an repantisse Qi,;i onques sor terre creüst. Tot maintenant, se je poïsse, Ne cuit c'onques si fort pleüst Q!Jant je oi le perron crosé Q!Je d' eve i passast une gote, 436 De l'eve au bacin arasé. "' Einçois coloit par desor tote. Mes trop en i verssai, ce dot ; A l'arbre vi le bacin pandre, Q!Je lors vi le ciel si derot Del plus lin or qui fust a vandre Q!Je de plus de quatorze parz Encor onques en nule foire. "" Me feroit es ialz li esparz ; 420 De la fontainne, pë>ez croire, Et les nues tot mesle mesle Q!j' ele boloit corn iaue chaude". Gitoient pluie, noif et gresle. 3 5° Yvain ou le Chevalier au Lion La tempête fut si mauvaise et si forte que j e crus mourir cent fois de la foudre qui tombait autour de moi et des arbres qui se brisaient'. Sachez que mon immense frayeur dura j usqu' à ce que le temps se radoucît. Mais Dieu me rassura bientôt car la tempête ne dura guère et tous les vents s' apaisèrent. Aussitôt que Dieu le décida, ils n'osèrent plus souffler. nd je vis la clarté et la pureté de l'air, j e retrouvai ma j oyeuse sérénité car la j oie, si j ' ai j amais appris à la connaître, fait vite oublier les grands tourments. Après la tempête, des oiseaux se rassem­ blèrent sur le pin et, le croira qui voudra, chaque branche, chaque feuille en était recouverte. L'arbre n'en était que plus beau. Le doux chant des oiseaux laissait entendre une harmo­ nieuse musique. Chacun chantait une mélodie différente ; nul ne reprenait l' air entonné par les autres. Leur j oie me réj ouit ; j e les écoutai j usqu' à la fin de leur office. Jamais mes oreilles n'avaient encore eu droit à pareille fête. Personne, je pense, n'aurait pu j ouir autant que moi d'une telle musique ; celle-ci me procurait un plaisir suave, à en perdre la raison. Je reSl:ai dans cet état j usqu'à ce que j ' entende arriver un chevalier, à ce qu'il me semblait du moins. Je crus d' abord qu'ils étaient dix, tant l'unique chevalier qui venait faisait de bruit et de fracas'. « nd j e le vis arriver seul, j e passai aussitôt la bride à mon cheval et ne tardai guère à l'enfourcher ; et lui, comme en Tant fu li tans pesmes et forz 464 Si que mout bien s'antr'acordoient ; "' Qye cent foiz cuidai estre morz Et divers chanz chantoit chascuns ; Des foudres qu'antor moi cheoient, Conques ce que chantoit li uns Et des arbres qui peceoient. A l'autre chanter ne oï. Sachiez que mout fui esmaiez, '" De !or j oie me resjoï ; '" Tant que li tans fu rapaiez. S' escoutai tant qu'il orent fet Mes Dex tost me rasegura Lor servise treStot a tret ; Qye li tans gaires ne dura, Qye mes n' oï si bele j oie Et tuit li vant se reposerent ; 472 Ne ja ne cuit que nus hom l'oie, "' Des que Deu plot, vanter n' oserent. Se il ne va oïr celi Et quant j e vis l'air cler et pur, Qyi tant me plot et abeli De joie fui toz asseür ; Qye j e m'an dui por fol' tenir. Qye joie, s'onques la conui, 47 6 Tant i fui que j ' oï venir '" Pet tost oblïer grant enui. Chevaliers, ce me fu avis ; Des que ' li tans fu trespassez Bien cuidai que il fussent dis, Vi sor le pin toz amassez Tel noise et tel bruit demenoit Oisiax, s'est qui croire le vuelle, 480 Uns seus chevaliers qui venoit. 460 Qy'il n'i paroit branche ne fuelle, « Qant ge le vi rot seul venant, Qye tot ne fust covert d'oisiax ; Mon cheval restraing maintenant, S'an estoit li arbres plus biax. N'a monter demore ne fis ; Doucemant li oisel chantoient, 484 Et cil, corne mautalentis, Le défenseur de la fontaine 351 proie à la colère, arriva plus vite qu'un alérion' et plus farouche qu'un lion. Il me défia en hurlant : " Vassal, vous m'avez odieusement outragé en négligeant de me défier. Vous auriez dû me lancer un défi, s'il y avait eu un motif de querelle entre nous, ou tout au moins vous auriez dû réclamer votre bon droit avant de me faire la guerre. Mais si je le seigneur vassal, je ferai retomber sur vous cette grave Partout alentour, ma forêt ravagée produit la preuve du dommage que j ' ai subi. Celui qui eSl: lésé doit se plaindre ; c'eSl: pourquoi j e me plains, j ' en ai le droit, car vous m' avez contraint à sortir de chez moi à cause de la foudre et de la pluie. Vous me tourmentez, et malheur à qui s' en réj ouit ! Une grande tour et une haute muraille ne m'auraient été d' aucune utilité et d'aucun secours pour contrer les terribles ravages que vous avez infligés à mon bois et à mon château. Face à ce cataclysme, il n'eSl: pas de forteresse en pierre ou en bois où l'on soit en sécurité. Mais sachez biep. que désormais je ne vous accorderai plus ni trêve ni paix. A ces mots, nous " nous assaillîmes ; chacun tenait son écu au bras et se proté­ geait derrière lui. Le chevalier avait un cheval vif et une lance roide ; il me dépassait d'une tête environ. Je me trouvai donc en infériorité, car j ' étais plus petit que lui et son cheval était meilleur que le mien. Sachez bien que j e vous dis la Striéte vérité pour couvrir ma honte. Je lui assenai le plus grand coup Vint plus tost c' uns alerions, · an mon bois et an mon chaste! Fiers par sanblant corne lions. M' avez feite te le envaïe, De si haut con il pot crier soa Ou meStier ne m' eüSt aïe "' Me comança a desfier, Ne de grant tor ne de haut mur. Et diSt : " Vassax, mout m'avez fet, Onques n'i ot home asseür Sanz desfiance, honte et let. An forteresce qui i fust Desfier me deüssiez vos, "' De dure pierre ne de fust. "' Se il eüst querele entre nos, Mes sachiez bien que desormes oua au moins droiture requerre, N' avroiz de moi trives ne pes ! " Einz que vos me meüssiez guerre. A ceSt mot, nos antrevenimes, Mes se je puis, sire vasax, 516 Les escuz anbraciez tenimes, 496 Sor vos retornera ciSt max Si se covri chascuns del suen. Del damage qui est paranz ; Li chevaliers ot cheval buen Environ moi est li garanz Et lance roide, et fu sanz dote De mon bois qui est abatuz. "0 Plus granz de moi la teste tote. ''° Plaindre se doit qui est batuz ; Einsi del tot a meschief fui, Et je me plaing, si ai reison, e j e fui plus petiz de lui Q.Be vos m'avez de ma meison Et ses chevax miaudres del mien. Fors chacié a foudre et a pluie ; 5 24 Parmi le voir, ce sachiez bien, so-1 Fet m'avez chose qui m'enuie, M' an vois par ma honte covrir. Et dahez ait cui ce est bel, Si grant cop con j e poi ferir 352 Yvain ou le Chevalier au Lion que je pus car j e ne fais j amais semblant de me battre. Je l' atteignis sur la boucle de l'écu. J' avais mis toute ma puis­ sance dans ce coup de sorte que ma lance vola en éclats ; la sienne resta intaéte, car elle n' était pas légère mais pesait plus lourd , à mon avis, que n'importe quelle lance de chevalier : j amais j e n'en vis d'aussi grosse. Le chevalier me frappa si durement qu'il me fit tomber par terre, par-dessus la croupe de mon cheval. Il m'abandonna à ma honte et à ma confusion, sans me j eter le moindre regard. Il prit mon cheval mais, moi, il me laissa et s'en retourna par où il était venu. Je ne savais plus où aller. Je restai là, en proie à des pensées inquiètes. Je m' assis un instant près de la fontaine et m'y reposai. Je n' osai pas suivre le chevalier car je craignais de commettre une folie. Même si j ' avais osé le suivre, j e ne savais pas en réalité ce qu'il était devenu. Finalement, j e me décidai à respeéter ma pro­ messe envers mon hôte et à retourner chez lui. Aussitôt dit, aussitôt fait. Je me débarrassai, auparavant, de toutes mes armes pour marcher plus à mon aise et je revins chez lui, cou­ vert de honte. « Qgand j 'arrivai de nuit à son logis, j e trouvai mon hôte tel qu'en lui-même, aussi gai et aussi courtois que lors de ma première visite. Ni chez sa fille ni chez lui, je ne remarquai le moindre changement : ils m'accueillirent avec autant d' amabi­ lité et de prévenance que la nuit précédente. Ils m'accordèrent Li clonai, c'onques ne m'an fains, Un petit , si me reposaib ; 5 28 El conble de l' escu l'a tains ; "' Le chevalier siudre n'osai S' i mis treStote ma puissance OEe folie feire dotasse. Si qu'an pieces vola ma lance ; Et, se je bien siudre l' osasse, Et la soe remeSt antiere, Ne sai ge que il se devint. 2 53 OE'ele n'eStoit mie legiere, 55 2 En la fin, volantez me vint Einz pesoit plus, au mien cuidier, · a mon oSte cavant tanroie OEe nu le lance a chevalier, Et que a lui m'an revanroie. Qg' ainz nu le si grosse ne vi. Ensi me plot, ensi le lis, 536 Et li chevaliers me feri 55 6 Mes jus rotes mes armes mis Si durement que del cheval Por plus aler legieremant, Parmi la crope, contreval, Si m'an reving honteusemant. Me miSt a la terre toc plat ; « Qant je ving la nuit a oStel s.io Si me leissa honteus et mat, 5 60 Trovai mon oSte tot autel, Conques puis" ne me regarda. Ausi lié et ausî cortois, Mon cheval priSt et moi leissa ; Come j ' avoie fec einçois. Si se miSt arriere a la voie. Onques de rien ne m' aparçui, 544 Et je, qui mon roi ne savoie, 5 "' Ne de sa fille ne de lui, Remés angoisseus et pansis. QBe moins volentiers me veïssent Delez la fontainne m' asis Ne que moins d'enor me feïssent L 'humiliation de CaIogrenant 353 tous de grands égards et j e leur témoignai ma reconnaissance. Ils avaient entendu dire que j amais personne n'avait pu s'échapper de l' endroit d'où j 'étais revenu ; tous ceux qui avaient tenté l'aventure étaient morts là-bas ou y avaient été retenus. Ainsi j ' allai, ainsi je revins ! Au retour, je me consi­ dérai moi-même comme fou. Je vous ai raconté ma folle hiStoire. Jamais encore je n'avais osé le faire ! - Par ma tête, fait monseigneur Yvain, vous êtes mon cousin germain. Nous devons avoir l'un pour l' autre une grande affeél:ion mais vous méritez le titre de fou pour m' avoir caché si longtemps cette hiStoire. Si je vous traite de fou, ne vous en offusquez pas, car si je le puis, et j ' en suis capable, j 'irai venger votre honte. - On voit bien que le repas eSt terminé, s' écrie Keu, inca­ pable de se taire. Il y a plus de paroles dans un plein pot de vin que dans un muid de cervoise et l'on dit bien que chat repu eSt tout joyeux. Après manger, sans bouger, chacun part tuer Loradin1 et vous, vous irez même vous venger de Forré 2 ! Votre coussin de selle eSt-il rembourré, vos chausses de fer sont-elles fourbies et vos bannières déployées ? Allez, dépêchez-vous, au nom du Ciel, monseigneur Yvain ! Parti­ rez-vous ce soir ou demain ? Faites-nous savoir, cher sei­ gneur, quand vous irez à ce martyre car nous voulons vous accompagner. Aucun prévôt et aucun voyer ne refusera de vous escorter. Aussi, je vous en prie, quoi qu'il advienne, (bi'il avoient fet l'autre nuit. G'irai voStre honte vangier. 5 68 Grant enor me porterent tuit, "' - Bien pert que c' eSt aprés mangier ! Les lor merciz, an la meison, Fet Kex, qui teire ne se pot : Et disaient c' onques mes hom Plus a paroles an plain pot N'an eschapa, que il seüssent De vin qu'an un mui de cervoise ; 12 5 Ne que il oï dire eüssent, 592 L'en dit que chaz saous s'anvoise. De la don j ' eStoie venuz, A prés mangier, sanz remüer, (bi'il n' i fuSt morz ou retenuz. Vet chascuns Loradin tüer, Ensi alai, ensi reving ; Et vos iroiz vengier Forré ! "' Au revenir por fol me ting. '" Sont voStre panel aborré Si vos ai conté corne fos Et voz chauces de fer froiees Ce c'onques mes conter ne vos. Et voz banieres desploiees ? - Par mon chief, fet messire Yvains, Or toSt, por Deu, messire Yvain, 80 5 Vos eStes mes cosins germains ; 600 Movroiz vos enuit ou demain ? Si nos devons mout entr'amer ; Feites le nos savoir, biax sire, Mes de ce vos puis fol clamer Qgant vos iroiz an ceSt martire, (biant vos tant le m'avez celé. (bie nos vos voldrons convoier ; "' Se j e vos ai fol apelé, 604 N' i avra prevoSt ne voier Je vos pri qu'il ne vos an poiSt, Q!JÎ volantiers ne vos convoit. (bie, se je puis, et il me loiSt, Et si vos pri, cornant qu'il soit, 3 54 Yvain ou le Chevalier au Lion ne partez pas sans nous demander votre congé. Et si cette nuit vous faites un cauchemar, alors reStez ici' ! - Comment ? Avez-vous perdu la tête, messire Keu, fait la reine, que votre langue ne s' arrête j amais ? Maudite soit votre langue amère comme la scammonée ! Assurément, elle vous trahit car elle débite à chacun les pires insanités qu'elle a apprises, quoi qu' il arrive. Maudite soit la langue qui ne renonce j amais à dire du mal ! La vôtre réussit à vous faire déteSter partout : elle ne peut pas mieux vous trahir. Sachez-le, je l' accuserais de trahison si elle m' appartenait. Celui qu'on ne corri­ ger, on devrait l'attacher dans l' église comme un furieux devant les grilles du chœur. - Assurément, ma dame, fait monseigneur Yvain, ces insultes me laissent indifférent. Mes­ sire Keu a tant de pouvoir, de savoir et de valeur que, d,ans n'importe quelle cour, il ne reStera j amais muet ni sourd ! A la méchanceté, il oppose des réponses pleines d'intelligence et de courtoisie ; j amais il n'a agi autrement. Vous savez perti­ nemment si je mens ou non. Mais trêve de querelles ou de sottises ! Ce n'eSt pas celui qui assène le premier coup qui eSt responsable de la mêlée mais plutôt celui qui réplique. Celui qui insulte son compagnon irait j usqu' à se disputer avec un inconnu. Je ne veux pas ressembler au mâtin qui se hérisse et grince des dents quand un autre mâtin lui montre ses crocs. » N'en alez pas sanz noz congiez. 628 - Certes, dame, de ses rampronesa , 608 Et se vos anquenuit songiez Fet messire Yvains, n e m e chaut. Malvés songe, si remenez ! Tant puer, et tant set, et tant vaut - Cornant ? Es-tes vos forssenez, Messire Kex, an rotes corz, Messire Kex, fet la reïne, 632 'il n'i iert ja müez ne sorz. 612 e voStre leingue onques ne fine ? Bien set ancontre vilenie La voStre leingue soit honie Respondre san et corteisie, e tant i a d' escamonie ! Ne ne! fiSt onques autremant. Certes, voStre leingue vos het 636 Or, savez vos bien se j e mant ; "' e tot le pis que ele set Mes je n'ai cure de tancier, Dir a chascun, cornant qu'il soit. Ne de folie ancomancier ; Leingue qui onques ne recroit e cil ne fet pas la meslee De mal dire soit maleoite ! 640 fiert la premiere colee, 620 La voStre leingue si esploite Einz la fet cil qui se revange. · ele vos fer par rot haïr : Bien tanceroit a u n eStrange Mialz ne vos puer ele traïr. ranpone son conpaignon. Bien sachiez, j e !' apeleroie "' Ne vue! pas sanbler le gaignon 624 De traïson, s' ele estoit moie. se herice et reguingne' [ gne. » Home qu' an ne puer chaStïer t autres gaingnons le rechin­ Devroit en au moStier lïer e que il parlaient ensi, Come desvé, devant les prones. "' Li rois fors de la chanbre issi Les insolences de Keu 355 Durant leur conversation, le roi sortit de la chambre où il était reSté un bon moment. Pendant tout ce temps, il s' érait assoupi. Dès que ses hommes le virent, ils se levèrent brus­ quement mais il les fit tous se rasseoir. Il prit place à côté de la reine qui lui raconta aussitôt, au mot près, l' hiStoire de Calogrenant, parce qu' elle savait très bien raconter. Le roi écouta attentivement et j ura à trois reprises, sur l'âme d ' Uterpendragon son père, sur celle de son fils' et celle de sa mère, qu' il irait voir la fontaine et la tempête merveilleuses avant la fin de cette quinzaine. Il y arrivera la veille de mon­ seigneur saint Jean BaptiSte' et y logera pour la nuit. « Tous ceux qui le souhaitent peuvent venir » , précise-t-il. La cour entière apprécia fort ces paroles du souverain car beaucoup de barons et de j eunes gens voulaient se rendre là-bas. En dépit de la j oie et de l' enthousiasme général , monseigneur Yvain avait l'air sombre, parce qu'il voulait partir tout seul. Ce voyage proj eté par le roi le gênait et l'ennuyait. Ce qui l'inquiétait surtout, c' était le privilège du premier combat que Keu obtiendrait sûrement avant lui. Si Keu le deman­ dait, on n'oserait le lui refuser ; à moins peut-être que Gauvain en personne ne demandât ce privilège. Si aucun de ces deux chevaliers ne le réclamait, alors on ne le lui refuserait pas '. Aussi, il ne les attendra pas ; il leur faussera compagnie. Ou il ot fet longue demore, Tuit cil qui aler i voldroient. Q!Je dormi ot j usqu' a ceSte ore. De ce que li rois devisa 672 Et li baron, quant il le virent, Tote la corz mialz l'en prisa, '" Tuit an piez contre lui saillirent, Car mout i voloient aler Et il toz raseoir les fiSt. Li baron et li bacheler. De lez la reïne s'asiSt, Mes qui qu'an soit liez et joianz, Et la reïne maintenant '" Messire Y vains an fu dolanz, "' Les noveles Calogrenant Q!J'il i cuidoit aler toz seus ; Lia reconta tot mot a mot, Si fu deStroiz et angoisseus, Q!Je bien et bel conter li sot. Del roi qui aler i devoir. Li rois les oï volantiers "° Por ce seulemant il grevoit 660 Et fiSt trois sairemanz antiers, Q!J'il savroit bien que la bataille L'ame Uterpandragon son pere, Avroit messire Kex, sanz faille, Et la son fil, et la sa mere, Einz que il ; s'il la requeroit, Q!J'il iroit veoir la fontaine, 684 Ja vehee ne li seroit. 66-; Ja einz ne passerait quinzaine, Ou messire Gauvains meïsmes, Et la tempeSte et la mervoille, Espoir, li demandera primes. Si que il i vanra la voille Se nus de ces deus la requiert, Monseignor saint J ehan BaptiSte, 88 6 Ja contredite ne lor iert. "' Et s' i panra la nuit son giSte, Mes il ne les atendra mie, Et dit que avoec lui iroient Q!J' il n'a soing de !or conpaignie, Yvain ou le Chevalier au Lion Il ira tout seul, comme il le souhaite, pour sa j oie ou pour sa peine. Qy' importent ceux qui veulent reSter ; lui, il se rendra à Brocéliande en trois j ours tout au plus et cherchera, s'il le peut, l' étroit sentier tout buissonneux. Il a trop envie de connaître la lande et le château fort, l'accueil plaisant de la courtoise demoiselle, si avenante et si belle, ainsi que le noble seigneur qui, avec sa fille, honore inlassablement ses hôtes, tant il eSt de noble et bonne famille. Il verra ensuite l'essart, les taureaux et le géant qui les garde. Il lui tarde de voir le paysan si laid, si grand, hideux, contrefait et noir comme un forgeron. Il verra ensuite, peut-être, le perron, la fontaine et le bassin ainsi que les oiseaux sur le pin. Il provoquera la pluie et le vent. Toutefois, il se garde de toute vantardise ; il sou­ haite même une discrétion absolue envers quiconque tant qu'il ne connaîtra pas une grande honte ou un grand hon­ neur ; alors seulement, il sera temps de tout divulguer. Monseigneur Yvain s' éloigne de la cour sans aucune compagnie. Il se rend chez lui incognito. Il y trouve ses gens et commande qu'on selle son cheval. Il appelle un de ses écuyers à qui il ne cachait rien : « Hé là ! fait-il. Suis­ moi dehors et apporte-moi mes armes. Je vais sortir à l'inStant par cette porte, sur mon palefroi. Dépêche-toi, car je m' en vais très loin ! Fais bien ferrer mon cheval Einçois ira toz seus, son vuel, 712 Puis verra, s'il puet, le perron, 692 Ou a sa j oie ou a son duel, Et la fontainne, et le bacin, Et, qui que remaigne a sejor, Et les oisiax desor le pin ; Il vialt eStre j usqu'a tierz jor Si fera plovoir et vanter. An Broceliande, et querra, 716 Mes il ne s'en quiert ja vanter, 696 s· il puet, tant que il troverra Ne ja, son vuel, nus nel savra L' eStroit santier tot boissoneus, Jusque tant que il en avra Q;,e trop an eSt cusançoneus, Grant honte ou gram enor eüe, Et la lande et la meison fort '"' Puis si soit la chose seüe. ''° Et le solaz et le deport Messire Yvains de la cort s'anble De la cortoise dameisele Si qu'a nul home ne s'asanble, Q!!Ïmout eSt avenanz et bele, Mes sens vers son oStel s' en va. Et le prodome avoec sa fille 724 Tore sa mesniee trova, 704 Qgi a enor feire s' essille, Si comande a metre sa sele Tant eSt frans et de boene part. Et un suen escuier apele Puis verra les tors' et l' essart Cui il ne celoit nule rien. Et le gram vilain qui les' garde. 728 « Di, va ! fet il, aprése moi vien "' Li veoirs li demore et tarde La fors, et mes armes m' aporte ! Del vilain qui tant par eSt lez, Je m' an iStrai par cele porte Granz, et hideus, et contrefez, Sor mon palefroi, rot le pas. Et noirs a guise de ferron. "' Garde ne demorer tu pas, Départ d'Yvain pour Barenton 3 57 et amène-le-moi vite ! Ensuite tu ramèneras mon palefroi. Mais évite - c'est u n ordre ! - d e donner d e mes nouvelles à qui t'interrogerait. Si tu ne faisais pas ce que je te dis, cela pourrait te coûter cher ! - Seigneur, soyez tranquille ! fait-il. Personne ne saura rien de moi. Partez ! Je vous suivrai là­ bas. » Monseigneur Yvain enfourche immédiatement sa mon­ ture ; il vengera, s'il le peut, la honte infligée à son cousin, avant de regagner sa demeure. L'écuyer se précipite aussitôt sur le bon cheval et l' enfourche sans tarder ; il ne manquait pas un fer et pas un clou à cette monture. L'écuyer suivit son maître au grand galop ; soudain, il l'aperçut à pied. Yvain l'attendait depuis peu, à l'écart du chemin, dans un lieu retiré. L'écuyer lui apporta tout son harnais, puis il l'aida à s'équiper. Aussitôt armé, monseigneur Yvain ne s'attarda pas davantage et chevaucha, plusieurs jours durant, par monts et par vaux, à travers d'immenses forêts ainsi que des lieux inconnus et sau­ vages. Il traversa plus d'un endroit traître, dangereux et encaissé, pour arriver enfin à l' étroit sentier plein de ronces et de ténèbres. Maintenant, il était tranquille : il ne pouvait plus s'égarer. Dût-il le payer cher ' , il avancera j usqu'à ce qu'il voie le pin ombrageant la fontaine ainsi que le perron et la tour­ mente qui déchaîne la grêle, la pluie, le tonnerre et le vent. GE' il me covient mout !oing errer. GE' il l'avoir un po atendu Et mon cheval fai bien ferrer, Loing del chemin, en un destor. Si l' amainne toSt aprés moi, 75 6 Tot son hernois et son ator "' Puis ramanras mon palefroi. En aporte, et sib l'atorna. Mes garde bien, ce te cornant, Messire Yvains ne sejorna, S'est nus qui de moi te demant, Puis qu'armez fu, ne tant ne quant, GEe ja noveles li an dies. 760 Einçois erra, chascun jor, tant 7 40 Se or de rien an moi te fies, Par montaignes et par valees, J a mar t' i fieroies mes. Et par forez longues et lees, - Sire, fet il, or aiez pes, Par !eus estranges et salvages, GEe ja par moi nus ne! savra. "' Et passa mainz felons passages, "" Alez, que je vos siudrai la ! » Et maint peril et maint destroit, Messire Yvains maintenant monte Tant qu'il vint au santier estroit GE' il vangera, s'il puet, la honte Plain de ronces et d'oscurté' ; Son cosin, einz que il retort. ' Et lors fu il a seürté" 748 Li escuiers maintenant cort GE' il ne pooit mes esgarer. Au boen cheval, si monta sus, Q}!i que le doie conparer, GEe de demore n' i ot plus, Ne finera tant que il voie GE' il n' i failloit ne fers ne clos. "' Le pin qui la fontainne onbroie, "' Son seignor siust toz les esclos Et le perron et la tormante [vante. Tant que il le vit descendu, Q}!i grausle, et pluet, et tone, et Yvain ou le Chevalier au Lion Cette nuit-là, sachez-le, il rencontra l' hôte qu'il désirait car le vavasseur lui manifeSta plus de faveurs et d' égards que tout ce qu'on lui avait dit et raconté. Il remarqua dans la j eune fille cent fois plus d' intelligence et de beauté que n' avait dit Calogrenant, car il eSt impossible d' énu­ mérer toutes les vertus que possède un homme ou une femme d e bien. Dès qu' une personne de ce genre cultive une grande bonté, la parole ne suffit plus pour l' expri­ mer, car il eSt impossible avec des mots la per­ feétion morale d ' un homme de Monseigneur Yvain profita c ette nuit-là d'un bon logis et cela lui fit grand plaisir. Le lendemain, il arriva dans les essarts, vit les tau­ reaux, et le paysan qui lui indiqua le chemin. Toutefois, il fit plus de cent fois le signe de croix devant ce prodige : comment Nature avait-elle pu produire une œuvre aussi laide et aussi fruSte ? Il se rendit ensuite j usqu' à la fontaine et vit ce qu'il voulait voir. Sans perdre de temps, il versa sur le perron l' eau du bassin plein à ras bord. Aussitôt, il venta, il plut et la tempête se leva comme prévu. Qgand Dieu ramena le beau temps 1 , les oiseaux arrivèrent sur le pin et laissèrent éclater leur merveilleuse j oie au-dessus de la fontaine périlleuse. Ils n'avaient pas encore fini qu'ar­ riva, dans une flambée de colère, un chevalier tonitruant comme s ' il pourchassait un cerf en rut. Dès qu'ils s'aper­ çurent, ils s' élancèrent l'un contre l' autre et se montrèrent La nuit ot, ce pôez savoir, De la mervoille que il ot, 77 6 Tel oSte corn il voSt avoir ; '" Cornant Nature feire sot Car plus de bien et plus d' enor Oevre si leide et si vilainne. Trueve il assez el vavasor Puis erra j usqu'a la fontainne, OB' an ne li ot conté ne dit", Si vit qanqu'il voloit veoir. "' Et an la pucele revit 800 Sanz areSter et sanz seoir De san et de biauté cent ranz Verssa sor le perron de plain OBe n'ot conté Calogrenanz ; De 1' eve le bacin toc plain. OB' an ne puer pas dire la some Et maintenant vanta et plut, '" De prode fame et de prodome. "" Et fist tel tans con faire dut. Des qu'il s'atorne a grant bonté, Et quant Dex redona le bel Ja n' iert rot dit ne tot conté Sor le pin vindrent li oisel OBe leingue ne puer pas retreire Et firent joie merveilleuse "' Tant d'enor con prodon set feire. '°' Sor la fontainne perilleuse. Messire Yvains ce le nuit ot Einz que la joie fust remeise, Mout boen ostel, et mout li plot. Vint, d'ire plus ardanz que breise, Et vint es essarz l'andemain, Uns chevaliers, a si gram bruit 792 Si vit les tors et le vilain 812 Con s'il chaçast un cerf de ruit ; Q)!i la voie li anseingna ; Et maintenant qu'il s' antrevirent, Mes plus de cent foiz se seingna S' antrevindrent et sanblant firent [8 r 5 -8 5 2] Yvain combat le défenseur de la fontaine 3 59 clairement qu'ils s e d éteStaient à mort. C hacun d' eux p o s ­ sédait u n e lance roide et solide. I l s s e portaient d e s coups violents à en perforer leurs écus ; leurs hauberts s e démaillaient, leurs lances se fendaient et éclataient ; les tronçons volaient en l ' air. Ils se battirent alors à l' épée ; chaque coup tranchait un peu plus les courroies de leurs écus. Ceux-ci, hachés par-dessus et par-dessous, lais ­ saient pendre des lambeaux et ne servaient plus à rien. Les écus d échiquetés contraignirent les combattants à éprouver leurs épées étincelantes direétement sur les ais ­ selles, la poitrine ou les hanches de leur adversaire. Ils se mirent farouchement à l' épreuve et, solidement plantés comme deux rocs, ils ne reculèrent pas d ' un pouce. Jamais deux chevaliers ne dépensèrent autant d' énergie pour hâter leur propre mort. Ils ne pas d e gaspiller leurs coups et en tiraient le qu'ils pouvaient. Ils cabossaient et défonçaient leurs heaumes, faisaient voler les mailles de leurs hauberts et leur sang coulait à flots. Leurs coups les avaient tellement échauffés que leurs hauberts étaient devenus pour eux aussi inutiles que le froc d'un moine. Ils se frappaient d' eSl:oc au milieu du visage. Il fallait s' émerveiller de voir s' éterniser une bataille si féroce et si rud e. Mais l'un et l' autre avaient le cœur si farouche qu'ils ne cédèrent pas un pouce de ter­ rain, sans avoir au préalable blessé à mort l' adversaire. OB' il s'antrehaïssent de mort. N'onques d'un estal ne se muevent '" Chascuns ot lance roide et fort ; Ne plus que feïssent dui gres. Si s' antredonent si granz cos 836 Einz dui chevalier plus angrés OB' and eus les escuz de lor cos Ne furent de lor mort ha.Ster. Percent, et li hauberc deslicent ; N'ont cure de lor cos ga.ster, "" Les lances fandent et esclicent, Q!J" rrùalz qu'il pueent les anploient. Et li tronçon volent an haut. "° Les hiaumes anbuingnent et ploient Li uns l' autre a l' espee assaut, Et des haubers les mailles volent, Si ont au chaple des espees Si que del sanc assez se tolent ; "' Les guiges des escuz colpees Car d'ax meïsmes sont si chaut Et les escuz dehachiez toz "" Lor hauberc que li suens ne vaut Et par desus et par desoz A chascun gueres plus d'un froc. Si que les pieces an depandent, Anz el vis se fierent d' estoc, 828 N'il ne s'an cuevrent ne desfandent ; S'est mervoille cornant tant dure Car si les ont harigotez "' Bataille si fiere et si dure. OB' a delivre, sor les costez, Mes andui sont de si fier cuer Et sor les piz, et sor les hanches, OBe li uns por l'autre a nul fuer "' Essaient les espees blanches. De terre un pié ne guerpiroit Felenessemant s'antr'espruevent, 852 Se j usqu'a mort ne l' enpiroit. Yvain ou le Chevalier au Lion Ils se comportèrent en vrais preux car ils ne frappèrent ni n' eStropièrent j amais les chevaux : ce n'était pas dans leur intention et ils n'auraient même pas daigné le faire. Ils ne quit­ tèrent pas la selle de leur cheval ; pas une seule fois ils ne mirent pied à terre : ia bataille n'en fut que plus belle. Finalement, monseigneur Yvain fit éclater le heaume du chevalier. Sous la force du coup, son adversaire fut ébranlé et perdit tous ses moyens. Il prit peur ; j amais il n'avait essuyé un coup aussi atroce. Sous la coiffe, son crâne était fendu j usqu'à la cervelle ; des lambeaux de son cerveau et des taches de sang maculaient les mailles de son éclatant haubert. Il éprouva une si violente douleur que son cœur manqua de défaillir. Il ne lui reStait plus qu'à fuir parce qu'il se sentait blessé à mort. Il ne lui servait plus à rien de se défendre. Il s' enfuit vers son château, au galop, dès qu'il revint à lui. Le pont-levis était abaissé à son inten­ tion et la porte grande ouverte. Monseigneur Yvain talonna le fuyard, autant qu'il put en piquant des deux. On aurait dit un gerfaut s'élançant sur une grue : parti de loin, il s'approche doucement d'elle, croyant la capturer, mais il eSt incapable finalement de l'atteindre. De la même façon, le chevalier fuit, Yvain le pourchasse, arrive à sa portée mais finalement ne peut pas l'atteindre. Il était pourtant par­ venu assez près de lui pour l'entendre se plaindre de la dou­ leur qui l'étreignait. Mais le chevalier ne pense qu'à fuir Et de ce firent mout que preu Car riens ne li valut desfansse. Conques !or cheval an nul leu Si toSt s' an fuit corn il s' apansse Ne ferirent ne maheignierent, Vers son chaStel toz esleissiez, 8" Q)J'il ne vofuent ne ne deignierent, 8" Et li ponz li fu abeissiez Mes toz j orz a cheval se tienent Et la porte overte a bandon ; Q)Je nule foiz a pié ne vienent : Et messire Y vains de randon, S'an fu la bataille plus bele. nqu'il puet, aprés esperone. 860 En la lin, son hiaume escartele 880 Si con girfauz grue randone, Au chevalier messire Yvains ; QW de !oing muet et tant ]' aproche Del cap fu eStonez et vains Q)J' il la cuide parue et n' i tache. Li chevaliers ; mout s' esmaia Ensi cil fuit, et cil le chace "' Q)J' ainz si felon cap n' essaia, "' Si pres qu'a po qu'il ne l'anbrace, Q)J' il li ot desoz le chape! Et si ne le par puet ataindre, Le chieffandu j usqu'au cervel, Et s' eSt si pres que il l'ot plaindre Tant que del cervel et del sanc De la deStrece que il sant. 868 Taine la maille del hauberc blanc, "' Mes toz j orz a fair entant, Don si tres grant dolor santi Et cil de chacier s'esvertue, Q)J' a po li cuers ne li manti. Q)J' il crient sa poinne avoir perdue S'il s' an foï, n'a mie tort, Se mort ou vif ne le retient, 892 872 · il se santi navrez a mort ; Q)Je des ranpones li sovient Le défenseur bat en retraite et Yvain s' efforce de l' atteindre. Il craindrait de perdre sa peine s' il ne le prenait pas mort ou vif, car il se souvient encore très bien des insolences de messire Keu. Il n' eSt pas encore quitte de la promesse qu'il a faite à son cousin. Personne ne le croira s: il n'apporte pas les preuves manifeStes de son exploit. A force d' éperonner, le chevalier le mena j usqu' à la porte du château. Ils entrèrent tous les deux et ne trouvèrent ni homme ni femme dans les rues où ils passèrent. Ils arrivèrent tous les deux devant les murs du palais. La porte, pourtant haute et large, offrait une entrée si étroite que deux hommes ou deux chevaux ne pouvaient pas la franchir en même temps sans dommage. Impossible de s'y croiser également, car on aurait dit un piège qui guette le rat prêt à commettre son larcin : une lame se trouve suspen­ due en l'air j usqu'à ce que soudain elle j aillisse, frappe et tue, car elle se déclenche et s' abat dès que le moindre toucher effieure le déclic. Sur le seuil se trouvaient deux trébuchets qui retenaient en l'air une porte à coulisses en fer bien émoulu. Si quelqu'un mettait le pied sur ce sysrème, la porte s' abattait et surprenait en hachant menu celui qui se trouvait en dessous'. Au milieu de l' entrée, le passage était aussi étroit que sur un simple sentier. Le chevalier s'y était engagé fort adroitement et monseigneur Yvain commit la folie Q!!e messire Kex li ot dites. Le rat, quant il vient au forfet, N'eSt pas de la promesse quîtes Et l' espee eSt an son aguet Q!!e son cosin avoit promise, Desus, qui tret et liert et prant, 896 Ne creüz n' iert an nule guise "' Q!!' ele eschape lors et descent S' anseignes veraies n'an porte. Q!!e riens nule adoise a la clef, A esperon j usqu' a la porte" Ja n' i cochera si soef. De son chaSte1 1' en a mené ; Ensi desoz' la porte eStoient 900 Si sont anz enbedui antré ; "' Dui trabuchet qui soStenoient Home ne fame n'i troverent Amont une porte colant Es rues par ou il antrerent, De fer esmolue et tranchant ; Si vindrent anbedui d' eslés Se riens sor ces engins montoir, '°' Jusqu'a' la porte del palés. "' La porte d' amont descendoit, La porte fu mout haute et lee, S' eStoit pris et dehachiez toz Si avoit si eStroite antree Cui la porte ateignoit desoz. Q!!e dui home ne dui cheval Et tot enmi a droit conpas 908 Sanz anconbrier et sanz grant mal '" EStoit si eStroiz li trespas N' i pooient ansanble antrer Con se fuSt uns santiers batuz. N'anmi la porte entr'ancontrer ; El droit santier s'eSt anbatuz Car ele eStoit autresi faite Li chevaliers, mout sagemant, '" Con l' arbaleSte qui agaite "' Et messire Yveins folemant Yvain ou le Chevalier au Lion de le suivre, à bride abattue. Le fuyard était maintenant presque à sa portée et Yvain le retenait par l'arçon. Heu­ reusement alors, Yvain se en avant sans quoi il aurait été littéralement Son cheval avait en effet posé le pied sur le mécanisme qui retenait la porte de fer. Comme un diable surgi de l'enfer, la porte descendit et s' abattit brusquement ; elle atteignit la selle d'Yvain et la croupe du cheval ; elle coupa en deux ce qu'elle rencontra mais, Dieu merci, elle ne toucha pas monseigneur Yvain. Elle lui frôla le dos et lui seétionna les deux éperons au ras des talons. Saisi d' une belle frayeur, Yvain s' effondra ; ainsi lui échappait celui qu'il venait de blesser à mort. Après cette porte, il y en avait une autre, tout à fait identique à la précédente. Le fuyard franchit cette seconde porte qui retomba derrière lui. Désormais, monseigneur Yvain se retrouvait prisonnier. Anxieux et Stupéfait, il reSta enfer­ mé dans la salle au plafond orné1 de dorures et aux murs recouverts de riches et chatoyantes peintures. Toutefois, ce qui le désespérait le plus, c' était d' ignorer la direétion dans laquelle le fuyard était parti. Il entendit s' ouvrir la petite porte d' une chambrette voisine alors qu'il se trou­ vait en grand désarroi. Une demoiselle au corps gracieux et au visage séduisant entra. Elle referma la porte derrière elle. En voyant monseigneur Yvain, elle éprouva d ' abord Hurte grant aleüre aprés, Li eschapa en tel meniere. Si le vint ateignant si pres Une autel porte avoit derriere Qi,' a !' arçon derriere le tint ; Come cele devant estoit. 936 Et de ce mout bien li avine 95 6 Li chevaliers qui s'an fuioit Qi,' il se fu avant estanduz : Par cele porte s' an foï, Toz eüst esté porfanduz, Et la porte aprés lui cheï. Se ceste avanture ne fust, Ensi fu messire Yvains pris. 940 Qi,e li chevax marcha le fust 960 Mout angoisseus et antrepris Q!!i tenoit la porte de fer. Remest dedanz la sale a clos, Si con li deables d' anfer, Q!!i cote estoit cielee a clos Descent la porte et chiet a val, Dorez, et pointes les meisieres 9"' S' ataint la sele et le cheval "' De boene oevre et de colors chieres. Derriere, et tranche tot par mi, Mes de rien si grant duel n'avoit Mes ne tocha, la Deu merci, Con de ce que il ne savoit Monseignor Yvein fors que tant Qi,el part cil an estoit alez. "' Qi,' a res del dos li vint reant, 9 68 D'une' chanbrete iqui delez Si c' anbedeus les esperons Oï ovrir und huis eStroit, Li trancha a res des talons, Qi,e que il ert an son destroit, Et il cheï mout esmaiez ; S'an issi une dameisele, "' Cil qui estoit a mort plaiez '" Gente de cors et de vis bele, [97 3 - r o r o) Yvain pris au piège de Barenton quelque inquiétude : « Assurément, chevalier, fait-elle, j e crains que vous n e soyez pas le bienvenu par ici ! S i l on vous capture en ces lieux, attendez-vous à être taillé en pièces, car mon seigneur est blessé à mort et j e sais bien que c' est vous le coupable. Ma dame manifeste un tel deuil et ses gens poussent de tels cris de désespoir que cette détresse pourrait bien les amener au suicide. Ils savent parfaitement que vous êtes ici mais leur immense douleur les empêche, pour l' instant, de s'occuper de vous. Ils ont pourtant l' intention de vous tuer ou de vous faire prisonnier. Vous ne leur échapperez pas quand ils auront décidé de s'e!1 prendre à vous. » Monseigneur Yvain lui répondit : « A Dieu ne plaise, j amais ils ne me tueront, car j amais j e ne tomberai entre leurs mains ! Effeétivement, fait-elle, c r - je ferai pour vous tout ce qui est en mon pouvoir ! Le preux ne craint pas plus qu' il ne faut. pense que vous êtes un preux car vous n' êtes pas trop ; aussi, sachez bien, si cela est en mon pouvoir, je me mettrai à votre service. Je vous témoignerai des égards car, j adis, vous avez fait de même envers moi. Un j our, ma dame m' envoya porter un message à la cour du roi. Sans doute n' avais-je pas la pru­ dence, la courtoisie ou le comportement qui sied à une j eune fille, en tout cas aucun chevalier ne m' adressa la parole, excepté vous ! Oui, soyez-en vivement remercié, Et l'uis aprés li referma. 992 « Ja, se Deu pleSt, ne m'ocirront Qi,iant monseignor Yvein trova, Ne ja par aus pris ne serai. Si I' esmaia mout de premiers : - Non, fet ele, que g'en ferai 6 97 « Certes, fet ele, chevaliers, Avoec vos ma puissance tote. Je criem que mal soiez venuz ! "' N'est mie prodon qui trop dote : Se vos estes ceanz tenuz Por ce cuit que prodom soiez Vos i seroiz toz depeciez, Q!Je n'iestes pas trop esmaiez. '80 Q!Je mes sire est a mort bleciez" Et sachiez bien, se je pooie, Et bien sai que vos l' avez mort. 1 000 Servise et enor vos feroie, Ma dame an fet un duel si fort Car vos la feïstes ja moi. Et ses genz anviron lui crient, Une foiz, a la cort le roi "' Q!Je par po de duel ne s' ocïent. M' envoia ma dame an message ; Si vos sevent il bien ceanz, 1 004 Espoir, si ne fui pas si sage, Mes entr' ax est li diax si granz Si cortoise, ne de tel estre Q!Je il n' i pueent or entandre, Come pucele deüst estre, "' Si vos voelent ocirre ou prandre : Mes onques chevalier n' i ot A ce ne pueent il faillir, 100 Q!J' a moi deignM! parler un mot Qant il vos voldront assaillir. » Fors vos, tot seul, qui eStes ci ; Et messire Yvains li respont : Mes vos, la voStre grant merci, Yvain ou le Chevalier au Lion [ 1 0 1 1 - 1 0 5 0] vous m' avez honorée et rendu service. Je vous offrirai désormais la j uSte récompense de l' honneur que vous m' avez témoigné alors. Je sais qui vous êtes. Je vous ai par­ faitement reconnu : vous êtes le fils du roi Urien et vous vous appelez monseigneur Yvain. Soyez sûr que désormais, si vous vous en remettez à moi, vous ne serez ni capturé ni maltraité. Prenez ma petite bague ! La voici ! Et, s'il vous plaît, rendez-la-moi lorsque je vous aurai délivré ! » Elle lui confia alors sa petite bague et lui dit qu'elle avait exaél:ement la même vertu que l' écorce qui recouvre le bois pour le rendre invisible 1 Toutefois, il fallait prendre une précau­ tion : en passant !' anneau à son doigt, on devait dissimuler la pierre du chaton dans le poing fermé. Celui qui portait ainsi cette bague devenait invisible pour tout le monde, même pour une personne écarquillant les yeux. Il reStait aussi invi­ sible que le bois recouvert de l' écorce qu'il a produite. Cela plut beaucoup à monseigneur Yvain. Après ces explica­ tions, la j eune fille le fit asseoir à côté d ' elle sur un lit recou­ vert d' une somptueuse couette : j amais le duc d' Autriche n'en posséda une semblable. Elle lui proposa de lui à manger et il répondit que cela lui serait La demoiselle courut aussitôt dans sa chambre et revint aussi vite : elle lui apportait un chapon rôti et une large tranche de pain ainsi qu' une nappe, un pichet de vin d'un bon cru M' i enoraStes et serviStes ; Cil qui l' anel an son doi a, 1012 De l'enor que vos m'i feïStes 1 0" Q.!Je ja veoir ne le porra Vos rancirai j a le guerredon. Nus hom, tant ait les ialz overz, Bien sai cornant vos avez non Ne que le fuSI: qui eSI: coverz Et reconeü vos ai bien : De l' escorce qui sor lui neSI:. 1016 Filz eStes au roi Urïen, 1036 Ice monseignor Yvain pleSt a , Et s' avez non messire Yvains. E t , quant ele l i o t c e dit, Or soiez seürs et certains Sel mena seoir en un lit Qge ja, se croire me volez, Covert d' une coute si riche 1020 N'i seroiz pris ne afolez. 1040 Q_!!'ainz n'ot tel li dus d'OSl:eriche. Et ceSI: mien anelet prendroiz Cele dit que, se il voloit, Et, s'il vos pleSI:, sel me randroïz A mangier li aporteroit ; QE"nt je vos avrai delivré. » Et il diSt qu'il li eStoit bel. 1024 Lors li a l' anelet livré, ""' La dameisele cort isnel Si li diSI: qu'il avoir tel force En sa chanbre, et revint mout toSt, Corn a, desus le fuSI:, l' escorce S' aporta un chapon en roSt, Qiel le cuevre qu'ann'en voit point : Et un gaStel, et une nape, 102 Mes il covient que l'en l' anpoint 1048 Et vin qui fu de boene grape, Si qu' el poing soit la pierre anclose ; Plain pot d'un blanc henap covert, Puis n'a garde de nu le chose Si li a a mangier offert. [ rop - r o92] La rencontre d'Yvain et de Lunette et recouvert d'un hanap étincelant. Elle lui offrit ainsi c e s viétuailles et Yvain, qui avait très faim, mangea et but géné­ reusement. Après son repas, les chevaliers qui le cherchaient se répan­ dirent dans le château. Ils voulaient leur seigneur qu'on avait déjà mis en bière. La j eune lui dit alors : « Ami, vous entendez ? Ils sont à vos trousses ! Qgel bruit ! Qgel vacarme ! En dépit des allées et venues, ne bougez pas d'ici, même si vous entendez du bruit, car personne ne vous trouvera si vous ne quittez pas ce lit. Vous allez voir cette pièce remplie de gens hoSl:iles et méchants qui penseront vous y trouver. Ils apporteront sans doute par ici le corps du défunt pour l'inhumer. Ils se mettront à vous chercher sous les bancs et sous le lit. Qgel soulagement et quel délice pour un homme intrépide de voir des gens qui, eux, n'y voient goutte ! Ils seront tellement illusionnés, confondus et abusés qu'ils vont tous enrager de colère. Je ne vois plus rien à vous dire, je n' ose m' attarder. Puissé-je rendre grâce à Dieu de m'avoir donné l'occasion et le plaisir de vous être agréable, car j ' en avais fort envie ! » Elle se retira et, après son départ, toute l' engeance armée de bâtons et d' épées fit irruption dans la pièce, de deux côtés à la fois. Cette foule se composait d' individus agressifs et excités. Devant la porte, ils aperçurent la moitié du cheval coupé en deux. Et cil", cui bien estoit mestiers, 1012 Si seroit solaz et deliz ' 05' Menj a et but mout volentiers. A home qui peor n'avroit, Qant il oc mangié et beü, O!!ant gent si avugle verroit : Furent par leanz espandu OE' il seront cuit si avuglé, Li chevalier qui le queroient, 10'° Si desconlit, si desjuglé, 10" Qyi lor seignor vangier voloient, OEe il anrageront cuit d' ire ; Qyi ja estoit an biere mis. Je ne vos sai ore plus dire, Et ce le li a dit : « Amis, Ne je n'i os plus demorer. Ô ez qu'il vos quierent ja cuit ; 1080 Mes Deu puissé je aorer 1 060 Mout i a grant noise et grant bruit, Qyi m'a doné le leu et l' eise Mes,quique veigne', ecquiquevoise, De feire chose qui vos pleise, Ne vos movez ja por la noise, OEe mout grant talant en avoie. » Qge vos ne seroiz ja trovez, 1084 Lors s' eSt arriers mise a la voie 1 064 Se de ceSt lit ne vos movez ; Et, quant ele s'an fu tornee, J a verroiz plainne ceste sale Fu cote la genz atornee De gent mout enuieuse et male Qyi de deus parz as portes vindrent Q!!Ïtrover vos i cuideront ; 1088 Et bastons et espees tindrent ; '"" Et si cuit qu'il aporteront Si oc mout grant foie et grant presse Par ci le cors por metre an terre ; De gent felenesse et angresse ; Si vos comanceront a guerre Et virent del cheval tranchié, Et desoz bans et desoz liz. 1092 Devant la porte, la mitié. Yvain ou le Chevalier au Lion Ils eurent alors la certitude qu'en ouvrant la porte ils trou­ veraient celui qu'ils cherchaient pour le mettre à mort. Ils firent ensuite relever les portes qui avaient causé la mort de bien des gens ; il n'y eut alors pour leur passage ni trébuchet ni piège tendu. Au contraire, ils entrèrent tous comme un seul homme. Ils aperçurent la seconde moitié du cheval mort devant le seuil mais aucun d' eux n' eut les yeux qu' il fallait pour voir monseigneur Yvain qu'ils voulaient tuer de leurs mains. Yvain, quant à lui, les voyait enrager et s'emporter : « Oye se passe-t-il ? disaient-ils. Dans cette pièce, il n'y a pourtant aucune porte ni aucune fenêtre par où il aurait pu s' enfuir, à moins d' être un oiseau, un écu­ reuil , un souslic, une bête aussi petite ou encore plus minus­ cule. Les fenêtres sont closes de grilles, et on a fermé les portes lorsque notre seigneur eSt sorti d'ici. Mort ou vif, celui que nous cherchons eSt ici. Il ne peut pas être dehors ! Une moitié de sa selle se trouve à l' intérieur, nous le voyons bien, mais il n'y a aucune trace de sa présence, excepté les tronçons d' éperons tombés de ses pieds. Cherchons dans tous les recoins et trêve de bavardages ! Il eSt encore ici, sûrement ! Sinon, on nous a tous ensorcelés ou alors des esprits nous l' ont ravi. » É chauffés par la colère, ils le cher­ chaient partout dans la salle, tapant sur les murs, sur les lits et sur les bancs. Les coups n' atteignirent pourtant pas Lors si cuidoient eStre cert, Ou beste ausi petite ou plus, Qant li huis seroient overt, Q.)Je les fenestres sont ferrees, Q.)Je dedanz celui troveroient 11" Et les portes furent fermees "" Q.)Je il por ocirre queroient. Lors que mes sire en issi fors. Puis firent traire amont les portes Morz ou vis eSt ceanz li cors, Par coi maintes genz furent mortes, Q.)Je defors ne remest il mie ; Mes il n' i ot a celui triege 1 1 20 La sele assez plus que demie 1 100 Tandu ne trebuchet ne" piege, Est ça dedanz, ce veons bien, Einz i entrerent tuit de front. Ne de lui ne trovomes rien Et l' autre mitié trovee ont Fors que les esperons tranchiez 1 124 Q.)Ji Del cheval mort devant le sue! ; li cheïrent de ses piez ; 1104 Mes onques entr' ax n' ore nt oel Or au cerchier par toz ces engles, Don monseignor Yvain veïssent Si lessomes ester ces gengles, Q.)Je mout volentiers oceïssent ; OB' ancor eSt il ceanz, ce cuit, 1128 Et il les veoit anragier, Ou nos somes anchanté tuit, 1 108 Et forssener, et correcier, Ou tolu le nos ont maufé. » Et disaient : « Ce que puet estre ? Ensi trestuit d' ire eschaufé Q.)Je ceanz n'a huis ne fenestre Parmi la sale le queroient Par ou riens nule s' an ala.St, 1 1 32 Et parmi les paroiz feroient, 1112 Se ce n'ert oisiax qui volast, Et par les liz, et par les bans, Ou escuriax, ou cisemus, Mes des cos fu quîtes et frans Yvain efl recherché le lit où le chevalier était couché ; il ne reçut pas le moindre choc ; on ne l' effieura même pas. Néanmoins, ils frap ­ paient tout autour de lui et menaient une bien belle bataille avec leurs bâtons, comme des aveugles qui chercheraient quelque chose à tâtons. Pendant qu'ils fouillaient sous le lit et sous les escabeaux, arriva une des plus belles dames qu'un mortel puisse contempler. Personne n' évoqua j amais une chrétienne d'une telle beauté. Elle était toute­ fois si éperdue de douleur qu' elle faillit attenter plusieurs fois à sa vie. Elle criait le plus fort possible puis tombait inanimée. Aussitôt debout, comme une folle, elle se mettait à se lacérer, à s' arracher les cheveux et à déchirer ses vête­ ments. Elle s' évanouissait à chaque pas ; rien ne pouvait la consoler parce qu'elle voyait devant elle, sur un brancard, son époux qu'on emportait. Jamais, pensait-elle, elle ne s'en consolerait. C ' eSt pour cette raison qu'elle criait à haute voix. L' eau bénite, les croix, les cierges ouvraient le cortège avec les dames d ' un couvent ; ensuite venaient les Livres saints, les thuriféraires et les clercs chargés de pro­ curer le bienfait suprême, consolation de l' âme affiigée. Monseigneur Yvain entendit les cris et le désespoir in­ dicible de la dame ; à ce j our, on n'en a j amais décrit un semblable, dans aucun livre. La procession passa. Toutefois, au milieu de la salle, régna soudain une grande agitation Li liz, ou cil eStoit couchiez, 1156 Et ses chevols a detirera ; 1136 Q!J' il n'i fu feruz ne rochiez. Ses mains detuert et ront ses dras, Mes assez ferirent antor Si se repasme a chascun pas, Et mout randirent grant eStor Ne riens ne la pu et conforter, Par tot leanz de lor bas-tons, 11" Q!Je son seignor en voit porter 1 1 40 Corn avugles qui a taStons Devant li, en la biere, mort, Va aucune chose cerchant. Don ja ne cuide avoir confort ; Q!Je qu'il aloient reverchant Por ce crioit a haute voiz. Desoz liz, et desoz eschames, 1 164 L' eve beneoite, et les croiz, '"' Vint une des plus beles dames Et li cierge, aloient avant C'onques veïSt riens terrïene. Avoec les dames d'un covant, De si tres bele creStïene Et li texte, et li ancenssier, Ne fu onques plez ne parole ; "" Et li clerc, qui sont despanssier '"" Mes de duel feire eStoit si fole De feire la haute despansse Q!J'a po qu'ele ne s'ocioit A cui la cheitive ame pansse. A la foiee, si crioit Messire Yvains oï les criz Si haut corn ele pooit plus, 1 1 72 Et le duel, qui ja n' iert descriz, "" Et recheoit pasmee j us. Ne nus ne le porroit descrivre, Et quant ele eStoit relevee, Ne tex ne fut escriz an livre ; Ausi corne fame desvee, Et la processions passa, Se comançoit a dessirer 1176 Mes enmi la sale amassa Yvain ou le Chevalier au Lion [ 1 1 77- 1 2 1 6) autour du brancard car un sang vermeil encore chaud se mit à couler des plaies du cadavre. C ' était la preuve manifeSte que celui qui s' était battu avec le mort, celui qui l' avait vaincu et tué, se trouvait encore dans la Alors, ils cherchèrent partout et sans relâche ; ils rent les lieux et les remuèrent de fond en comble j us­ qu'à suer d' angoisse et d' excitation, pour avoir vu ce sang vermeil coulant goutte à goutte. Cette fois, monsei­ gneur Yvain reçut une volée de coups à l' endroit où il se trouvait mais il ne bougea pas pour autant. Les gens criaient d e plus belle en voyant les plaies se rouvrir. Ils s' étonnaient de les voir saigner sans trouver la personne qu' elles accusaient. Chacun se disait : « L' assassin eSt par­ mi nous et nous ne le voyons pas ! OEel prodige diaboli­ que ! » Cela aiguisait encore le désespoir de la dame qui perdait l' esprit et criait comme une folle : « Ah, Dieu ! Ne trouvera-t-on pas le criminel, le traître qui a tué mon brave époux ? Brave ? Oh, non ! C ' était le meilleur des meilleurs. V rai Dieu , il faudrait t' accuser si tu le laissais s'échapper. Tu le dissimules à mon regard et je ne peux en blâmer personne d' autre que toi. A-t-on j amais vu un abus et un outrage aussi offensants que ceux que tu m' in­ fliges ? Tu m' interdis même de voir celui qui eSt si près de moi ! Je peux l' affirmer avec certitude : si j e ne le vois pas, Entor la biere uns granz toauz, Et dit chascuns et cil et ciSI: : Ql!e li sans chauz, clers et vermauz « Entre nos eSI: cil qui l'ociSI:, Rissi au mort parmi la plaie ; Ne nos ne le veomes mie : 1 1 80 Et ce fu provance veraie 1200 Ce eSI: mervoille et deablie. » QJ!'ancor eSl:oit leanz, sanz faille, Por ce tel duel par demenoit Cil qui ot feite la bataille La dame, qu'ele forssenoit, Et" qui l'avoit mort et conquis. Et criait corne fors del san : 1184 Lors ont par rot cerchié et quis, 1204 « Ha ! Dex, don ne rrovera l'an Et reverchié, et tremüé L'omecide, le traïtor, Si que tuit furent tressüé QW m'a ocis mon boen seignor ? De gram angoisse et de tooil, Boen ? Voire le meillor des buens ! 1 1 88 QJ!' il orent por le sanc vermoil 1208 Vairs Dex, li torz an serait tuens Q!,!i devant aus fu degotez ; Se ru l'en leisses eschaper. Puis fu mout feruz et botez Autrui que toi n'en doi blasmer Messire Yveins, la ou il jut. Ql!e tu le m' anbles a veüe. u92 Mes ainz por ce ne se remut, 1212 Einz tex force ne fu veüe, Et les genz plus et plus criaient Ne si lez torz con ru me fez, Por les plaies qui escrevoient. OEe nes veoir ne le me lez, Si se mervoillent por coi seinnent, Celui qui eSI: si pres de moi. 1 1" N' il ne truevent de coi se pleingnent 1216 Bien puis dire, quant j e nel voi, ( 1 2 1 7- 1 2 5 8] Yvain refte invisible c'eSt qu'un fantôme ou un démon s'eSt introduit/ armi n o u s , j ' en suis tout envoûtée ; ou alors, c' eSt un couar et il a peur de moi ! Oui, c'eSt bien un couard puisqu'il me craint : sa grande couardise l'empêche de se montrer à moi. Ah ! fan­ tôme, couarde créature, pourquoi tant de lâcheté envers moi alors que tu manifeStais tant de hardiesse envers mon époux ? Qge n'es-tu à présent en mon pouvoir ? Ta puissance serait déjà réduite à néant ! Pourquoi ne puis-je te tenir à présent ? Comment as-tu pu tuer mon époux sinon par traîtrise ? Jamais tu n'aurais vaincu mon époux, s'il avait pu te voir ! Dans le monde entier, il n'avait pas son égal : ni Dieu ni les hommes ne lui en connaissaient un et, désormais, il eSt inutile d'en cher­ cher un autre. Certes, si tu avais été un mortel, tu n'aurais pas osé affronter mon époux car nul ne pouvait le surpasser. » C' eSt ainsi que la dame luttait contre elle-même ; c' eSt ainsi malmenait et abîmait tout son corps. Ses gens mani­ avec elle le plus grand deuil du 111onde ; ils empor­ tèrent le corps du défunt et l'inhumèrent. A force de fouiller partout et de tout remuer, ils étaient épuisés. De guerre lasse, ils abandonnèrent leur quête, incapables de trouver la moindre confirmation de leurs soupçons. Les nonnes et les prêtres avaient déjà terminé l'office funèbre. Après avoir l'église, ils se rendirent sur la sépulture. Mais la n'avait cure de tout cela ; elle se souvenait de monseigneur Yvain e antre nos s' eSt ceanz mis Certes, se tu fusses mortex, Ou fantosmes ou anemis. N'osasses mon seignor atendre S' an sui anfantosmee tote ; 1 "" OE'a lui ne se pooit nus prendre. » "20 Ou il eSt coarz, si me dote. Ensi la dame se de bat, Coarz eSl il, quant il me crient ; Ensi tot par li se conbat, De grant coardise li vient, Ensi tot par li se confont Qant devant moi mostrer ne s' ose. 1 244 Et, avoec lie, ses genz refont 1 224 Ha ! fantasme, coard

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