Séance 10 - Transition Énergétique PDF

Summary

Ce document présente une analyse de la notion de transition énergétique, en se concentrant sur son émergence dans les années 1970. Il explore les différentes perspectives sur cette transition, y compris les arguments en faveur du nucléaire et des énergies renouvelables. Le texte met l'accent sur les débats politiques et idéologiques qui ont entouré ce concept.

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Chapitre 11 : L'invention de la crise énergétique. Dans les années 1970, la notion de « transition énergétique » émerge dans le contexte de la crise énergétique, initialement liée à des difficultés d'approvisionnement en électricité et amplifiée par les enjeux géopolitiques du pétrole. Ce concept p...

Chapitre 11 : L'invention de la crise énergétique. Dans les années 1970, la notion de « transition énergétique » émerge dans le contexte de la crise énergétique, initialement liée à des difficultés d'approvisionnement en électricité et amplifiée par les enjeux géopolitiques du pétrole. Ce concept prend racine bien avant le choc pétrolier de 1973, notamment grâce à l'influence du lobby nucléaire américain. La décennie 1960 est marquée par des coupures de courant répétées, attribuées à divers facteurs économiques et réglementaires : priorisation des exportations de coke sidérurgique, durcissement des normes environnementales et sanitaires, et difficultés liées au développement des centrales nucléaires. Ces crises d’approvisionnement servent d’opportunité pour les promoteurs du nucléaire, qui introduisent le concept de « crise énergétique » dans le débat public dès 1969 pour contrer le mouvement antinucléaire. L’Atomic Energy Commission (AEC) et d'autres acteurs pro-nucléaires mobilisent la rhétorique de la « crise énergétique » pour justifier l'urgence du développement nucléaire. Ce discours, largement relayé par des institutions comme la presse et le Congrès américain, positionne le nucléaire comme solution centrale aux crises énergétiques et environnementales. En parallèle, des initiatives comme le programme de surgénérateurs visent à convaincre les décideurs et industriels de soutenir le nucléaire face aux critiques environnementalistes. L’expression « crise énergétique », inventée pour promouvoir l’atome, se diffuse rapidement dans les débats publics et institutionnels, prenant de l’ampleur après le choc pétrolier de 1973. La « transition énergétique » devient alors un concept polysémique, englobant des visions multiples. Pour certains, elle incarne une transformation économique et technologique, comme la réduction de la dépendance énergétique par des innovations ou l’adoption d’un modèle de croissance zéro (ZEG). Des figures comme Amory Lovins, physicien et militant environnemental, popularisent une alternative au nucléaire, proposant des énergies renouvelables décentralisées, « résilientes » et accessibles. Lovins critique l’inefficacité des systèmes centralisés comme le nucléaire et prône des solutions locales et moins énergivores. Son influence s'étend au point d'impacter la politique énergétique de l'administration Carter. Cependant, l'adoption de la notion de « transition énergétique » par divers acteurs, y compris les ONG environnementalistes, engendre des contradictions. Tandis que certains, comme Lester Brown, envisagent une transition « inévitable » face à l’épuisement des ressources fossiles, d'autres, y compris des entreprises pro-charbon ou pro-nucléaire, utilisent le terme pour des agendas opposés. La flexibilité sémantique du concept permet de regrouper des stratégies disparates sous un même vocable. Dans les administrations Nixon et Carter, la « transition énergétique » sert un discours de souveraineté nationale, visant à réduire la dépendance au pétrole étranger tout en promouvant le charbon domestique, le nucléaire et l’efficacité énergétique. Bien que les programmes restent souvent conservateurs dans leur essence, la rhétorique de la transition leur confère une image futuriste. Le concept devient ainsi un outil stratégique, symbolisant des futurs énergétiques variés tout en masquant les contradictions sous-jacentes des politiques proposées. Ce résumé met en lumière comment la notion de transition énergétique a émergé comme un cadre discursif flexible et politisé, permettant de concilier des intérêts variés dans un contexte de tensions énergétiques et environnementales. Le discours du président Jimmy Carter en 1977 marque un tournant dans l’histoire des idées sur l’énergie. Il évoque trois grandes transitions énergétiques : du bois au charbon, puis au pétrole et au gaz naturel, et enfin, la nécessaire transition vers les énergies renouvelables et les économies d’énergie. Cette prise de position contribue à populariser le concept de « transition énergétique », relayé peu après par des institutions internationales comme l’ONU et l’OCDE. Des événements comme la conférence de Nairobi de 1981 globalisent le terme, bien que les résultats concrets restent limités. Carter s'appuie sur des données du National Energy Plan, inspirées par les travaux de Cesare Marchetti. Ce physicien italien avait développé des modèles basés sur des courbes logistiques pour décrire l'évolution historique des systèmes énergétiques. Plutôt que de considérer l’épuisement des ressources comme moteur des transitions, Marchetti met en avant l'obsolescence des énergies précédentes. Ainsi, le charbon aurait remplacé le bois non parce que ce dernier manquait, mais parce qu’il était technologiquement dépassé. Marchetti est également connu pour son rôle dans la promotion de l'économie de l'hydrogène, envisageant un futur où l’hydrogène produit par des centrales nucléaires remplacerait les combustibles fossiles. Bien que ses idées soient ambitieuses, leur réalisation, notamment le développement de chaînes globales d'approvisionnement en hydrogène, reste largement hypothétique. Après le choc pétrolier, il participe à des projets de prospective énergétique au sein de l’International Institute of Advanced Systems Analysis (IIASA). Cet institut, issu de la période de détente entre l'Est et l'Ouest, se concentre sur les transitions énergétiques, utilisant des modèles informatiques pour explorer des scénarios possibles. Marchetti, sceptique quant aux scénarios développés par ses collègues, souligne l’inertie du système énergétique mondial. Selon lui, les transitions énergétiques sont lentes, souvent sur plus d’un siècle, et sont principalement contraintes par l’amortissement des infrastructures et le temps nécessaire à la diffusion des nouvelles technologies. Il critique la prétention des décideurs à « gouverner » ces transitions, insistant sur le fait que le système énergétique suit sa propre logique historique, indépendante des volontés politiques. Ses courbes logistiques influencent fortement la manière dont les experts conçoivent les transitions énergétiques, mais elles introduisent une confusion entre diffusion technologique et décarbonation. Marchetti suppose que l'adoption de nouvelles technologies entraînera automatiquement la disparition des anciennes, ce qui s’est révélé faux, comme le montre l’augmentation de l’usage du charbon après 1980. Cette confusion persiste dans les études contemporaines, où l'accent mis sur l'innovation technologique occulte les défis liés à la suppression des énergies fossiles. Enfin, le texte critique l’approche centrée sur l'innovation des années 1980-2000, qui a souvent négligé les enjeux climatiques. Les courbes de substitution, perçues comme des modèles explicatifs, ont nourri des théories de croissance et d’innovation, mais n’ont pas permis de comprendre l’inflexibilité du système énergétique face aux impératifs de décarbonation. Ce déterminisme, bien qu'influent, reste un obstacle à une réelle transition énergétique globale.

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