Relations Internationales Face au Défi de la Mondialisation - RI Chapitre IV - PDF
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This document provides an overview of international relations and the challenges posed by globalization. It explores the historical context and development of globalization, encompassing its impact on economic and political relationships. The document also touches upon the emergence of transnational actors and the changing power dynamics within international relations.
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CHAPITRE IV LES RELATIONS INTERNATIONALES FACE AU DEFI DE LA MONDIALISATION Le terme mondialisation est apparu depuis la fin de la Guerre froide dans le vocabulaire des experts, notamment des économistes. Selon le FMI la mondialisa...
CHAPITRE IV LES RELATIONS INTERNATIONALES FACE AU DEFI DE LA MONDIALISATION Le terme mondialisation est apparu depuis la fin de la Guerre froide dans le vocabulaire des experts, notamment des économistes. Selon le FMI la mondialisation désigne « l’interdépendance économique croissante de l’ensemble des pays du monde, provoqué par l’augmentation du volume et de la variété des transactions transfrontalières de biens et services, ainsi que des flux internationaux de capitaux, en même temps que par la diffusion accélérée et généralisée de la technologie »1. La mondialisation se réfère ainsi au processus d’interconnexion croissante des économies et sociétés découlant du développement des échanges, des transports, des technologies de l’information et de la communication et des idées. Ces transactions transfrontalières accrues permettent de conclure à un processus de transnationalisation des relations internationales (Section1). Ce processus se traduit aussi par une reconfiguration des rapports de puissances avec le phénomène des pays émergents (Section 2). Plan du chapitre : Section 1 : La mondialisation accélérateur de la transnationalisation des RI Section 2 : La reconfiguration des rapports de puissance Section 1 – La mondialisation accélérateur de la transnationalisation des RI L’une des évolutions majeures des relations internationales depuis le XXème siècle est le développement des flux transnationaux mondialisés. Les relations internationales se « transnationalisent », un processus alimenté par la mondialisation. 1 Rapport annuel sur les Perspectives de l’économie mondiale, Washington, 1997. 1 À quand remonte la mondialisation ? Est-ce un phénomène spécifique à la période contemporaine ou plonge-t-il ses racines loin dans l’histoire (§ 1) ? Des acteurs et des réseaux multiples et divers par leur nature et leur influence sont au cœur de la « gouvernance » de la mondialisation (§ 2). Cette gouvernance doit en particulier répondre aux défis majeurs engendrés par la multiplication et l’accélération des flux et des échanges transnationaux de toute nature et de toutes origines qui affectent le rôle et la place de l’État souverain (§3). Plan de la section 1 : § 1 – La mondialisation : un processus historique § 2 – Les nouveaux acteurs de la gouvernance de la mondialisation § 3 – La « transnationalisation » des rapports internationaux § 1 – La mondialisation : un processus historique S’il est difficile de situer précisément dans le temps le début de la mondialisation, ce phénomène est étroitement lié au développement des premières grandes civilisations. Certains auteurs la font coïncider avec les premières religions monothéistes qui prônaient un message universel et intemporel à destination de tous les hommes, d’autres la situent au Moyen-âge, d’autre encore à l’apparition du modèle capitaliste de l’économie 2. La mondialisation est souvent liée à l’expansion du commerce. Dès le début, la mondialisation se traduisit par la projection de la puissance politique, mais surtout économique et l’expansion des échanges par voie terrestre et maritime avec les routes de la soie et des épices : — les routes terrestres de la soie de la Chine au Moyen-Orient et à la Méditerranée orientale se sont développées dès 200 av. J.-C. sous la dynastie Han ; — les routes des épices, essentiellement maritimes, reliaient les côtes du Moyen-Orient, de l’Océan Indien et de l’Insulinde à la Chine. NB : la traite des esclaves africains depuis l’antiquité à travers le Sahara vers le Maghreb, l’Égypte et la péninsule arabique puis depuis le XVIe siècle vers les Amériques (commerce triangulaire), constituent aussi des réseaux mondialisés. 2 Voir Régis Bénichi, Histoire de la mondialisation. Éditions Jacques Marseilles (Paris), 2003 ; et Gérard Vindt, La mondialisation de Vasco de Gama à Bill Gates. 500 ans de capitalisme, éditions Mille et nuits (Paris), 1998. 2 L’historien britannique Peter Frankopan (The Silk Road. A New History of the World, 2015 – trad. Les routes de la soie, l’histoire du cœur du monde) nous décrit 2 500 ans d'histoire qui ont façonné le « cœur du monde », à mi-chemin entre Orient et Occident, des rives de la Méditerranée à l'Himalaya, berceau des premiers réseaux commerciaux mondialisés : les « routes de la soie ». Ce carrefour des civilisations est devenu au XXIème siècle le centre névralgique du globe. Aujourd’hui le projet phare du président Xi Jinping de « nouvelle route de la soie » vise à relancer l’entreprise séculaire qui reliait l’ « Empire du Milieu » à la Méditerranée depuis l’antiquité symbolisant aussi l’Âge d’or de l’influence chinoise sur le monde. C’est sous la dynastie Han (-200 av. J.C.) que la Chine prend le contrôle des routes commerciales, reliant la Mongolie au Turkestan. Une autre route reliait le Yunnan à l’Inde par la Birmanie. Soie, jades, objets métalliques, fourrures et chevaux sont les produits de ce commerce. Les nouvelles routes de la soie, l’initiative « La ceinture et la route » (« Belt and Road ») est un projet stratégique chinois initié en 2013 par le Président Xi Jinping et visant financer un vaste projet de « corridors économiques » consistant en un vaste réseau d’infrastructures routières, ferroviaires, fluviales et maritimes reliant la Chine à l’Europe et au Moyen-Orient à travers l’Asie centrale et la Russie. En mai 2017, la Chine avait annoncé que 68 pays étaient désormais officiellement associés au projet (représentant 4,4 milliards d’habitants et 40% du produit intérieur brut mondial) et que 270 accords de coopération avaient été signés dans ce cadre. C’est un instrument de l’extension de l’influence économique et politique chinoise dans le monde. NB : En octobre 2023, les représentants de 130 pays ont participé au « Forum des Nouvelles routes de la soie » à Pékin à l’occasion du 10ème anniversaire du lancement de l’initiative « La ceinture et la route » par Xi Jinping. La « route des épices », une route maritime qui reliait dès le premier millénaire avant notre ère, les côtes chinoises à celles de l’Asie du Sud-Est, de l’Inde et de l’Indonésie. Épices, aromates, encens, céramique, pierres précieuses sont les principaux produits de ce commerce. Cette route maritime persista même après l’interruption de la route terrestre (route de la soie), sous l’effet des grandes invasions des peuples des steppes (Xiongnu et Huns au IIIe siècle puis 3 Mongoles au XIIIe siècle)3. Cette voie commerciale essentielle sera perturbée à partir du XVIème siècle par l’arrivée des Portugais dans l’Océan Indien. Dans le sillage des grandes découvertes, la mondialisation devient désormais européenne pour plusieurs siècles. En découvrant l’Amérique alors qu’ils cherchaient à atteindre les richesses des Indes et du « fabuleux pays de Cathay », les navigateurs espagnols, portugais, hollandais, français et britanniques créaient de nouveaux réseaux commerciaux mondialisés qui devaient couvrir toute la planète. Les frontières de la mondialisation sont désormais tracées par les puissances européennes. Il y’a « européanisation de la mondialisation » avec l’expansion coloniale et la projection de la puissance militaire et économique ainsi que de l’influence politique et diplomatique des Européens. Après le Moyen-Orient et la Chine, l’Europe devient le moteur de la mondialisation. Les explorations maritimes et les conquêtes coloniales dès le XVIIe siècle ont permis l’intégration des Amériques, de l’Asie puis de l’Afrique dans le système de l’« économie monde » décrit par Fernand Braudel (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVè- XVIIè siècle, 1979). Avec le développement des modes de production et des échanges capitalistes ainsi que la révolution industrielle, la mondialisation moderne à l’échelle planétaire se dessine. À partir de la fin du XIXème siècle, la construction de routes, de voies ferrées, le développement des transports maritimes et aériens de masse, ainsi que des réseaux de communication et des flux transnationaux de personnes et de marchandises marquent une accélération et une sophistication de la mondialisation, à commencer par une remise en cause du rôle central de l’État. § 2 – Les nouveaux acteurs de la gouvernance de la mondialisation En dehors de l’État, quels sont les acteurs de la mondialisation ? Quels sont les réseaux qui l’animent ? Quelle est leur influence dans le mode de gouvernance du processus de mondialisation à l’œuvre ? On constate que progressivement se mettent en place les éléments d’une gouvernance globalisée de la mondialisation associant acteurs intergouvernementaux (A) et acteurs non-étatiques (B). 3 Ces invasions et « l’effet domino » qu’ils provoquent vinrent venir à bout des principaux empires (l’Empire romain d’occident, la dynastie chinoise des Han). 4 A. Les cadres intergouvernementaux : « G7 » et « G20 » Compte tenu du caractère fonctionnaliste de leurs mandats certaines organisations intergouvernementales ou internationales apparaissent comme des acteurs majeurs dans la gouvernance de la mondialisation économique, financière et commerciale : le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Il est utile de souligner le rôle spécifique de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dans le développement d’un commerce mondialisé sans barrières douanières, ni subventions, ni protectionnisme 4. Par les arbitrages qu’elle rend dans le règlement des conflits commerciaux (Organe de règlement des différends), l’OMC s’efforce de prévenir et d’atténuer les guerres commerciales. Mais elle est aussi le symbole tant décrié par les opposants au libre-échange mondialisé. Quant aux institutions financières comme le Fond monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, elles jouent depuis leur création par les Accords de Bretton Woods (1944) un rôle clé dans la régulation et la coopération financière et monétaire au plan mondial. Le FMI assure une surveillance et une évaluation régulière de l’économie mondiale, lui permettant d’identifier les facteurs de crise et recommander aux États les mesures de stabilisation et de gestion des crises 5. La Banque mondiale intervient de manière plus spécifique dans l’aide aux pays en développement, en finançant des projets (prêts à long terme à des taux préférentiels) afin d’intégrer ces pays dans l’économie mondialisée. Les prêts accordés par la Banque mondiale sont conditionnés par l’adoption de réformes structurelles (Programmes d’ajustements structurels) par les États bénéficiaires, afin de libéraliser leurs politiques économiques, d’ouvrir leur marché et de démanteler les monopoles d’États ce qui a des implications sociales considérables se traduisant par le développement des inégalités. Mais, au côté de acteurs institutionnels, sont apparus des acteurs informels à caractère intergouvernemental, les « groupes » d’Etats tels le « G7 » et le « G20 ». La création de ces groupes visait à pallier les insuffisances du système des institutions multilatérales incarné par l’ONU et le FMI au profit d’un multilatéralisme plus souple. Avec les « G7 » et « G20 », les principales puissances ont établi un cadre de concertation et de coordination de leurs politiques économiques et financières en vue de prévenir les crises. Le rôle du « G7 » et du 4 L’OMC fut créé en 1995 par les Accords de Marrakech et prend la suite du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. 5 Voir le Rapport annuel sur les Perspectives de l’économie mondiale et le Rapport annuel sur la stabilité financière dans le monde. 5 « G20 », comme cadres de gouvernance politique de la mondialisation s’est renforcé avec la multiplication et l’aggravation des crises économiques et financières depuis 2008. L’agenda et les décisions du « G20 » comme du « G7 » sont largement influencés par les États-Unis, première puissance économique. Depuis le 1er Sommet à Rambouillet (15-17 novembre 1975) qui a vu sa création au 50ème Sommet à Borgo Egnazia en Italie (13-15 juin 2024), le « G7 » rassemble les pays les plus développés (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) représentant environ 50% du PIB mondial 6. Les sommets du Groupe sont précédés par des réunions ministérielles sectorielles (économie, éducation, énergie, santé, environnement) et se traduisent généralement par l’adoption par consensus d’une déclaration finale, et parfois d’un programme d’action (ex : l’aide au développement de l’Afrique en 2005). Un signe révélateur doit être souligné, le « G7 » s’efface derrière le « G20 », où l’influence des Occidentaux se dilue au profit des pays émergents. Le « G20 » regroupe les pays du « G7 », l’Union européenne ainsi que douze pays émergents (Afrique du Sud, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique, Russie, Turquie) et l’Union africaine. Il s’agit ici de favoriser la concertation entre les principales puissances du monde pour identifier et apporter des réponses aux problèmes d’une économie mondialisée. Le poids des pays émergents comme la Chine, l’Inde ou le Brésil s’y fait de plus en plus sentir face aux puissances économiques traditionnelles (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni). Le « G20 » représentait en 2023, plus de 90% du PIB mondial et les deux tiers du commerce et de la population mondiale. Crée en 1999 à la suite des crises financières des années 1990, le « G20 » se réunit au niveau des Chefs d’États et de gouvernements et au niveau ministériel (« G20 finances » et « G20 social »). Du premier sommet du « G20 » à Washington (15 septembre 2008) au 20ème Sommet à Rio de Janeiro (18-19 novembre 2024) parmi les décisions prises figurent la recapitalisation à hauteur de 1000 milliards de dollars du FMI et de la Banque mondiale, l’élaboration d’une liste noire des paradis fiscaux et de nouvelles règles de gouvernance des marchés financiers, ou encore la finance du climat et la réforme des institutions multilatérales. Le « G20 » prend de l’importance en s’affirmant 6 Le Groupe s’est dénommé « G 8 » avec l’admission de la Russie de 1997 à 2013. Mais, suite à l’annexion de la Crimée par la Russie, la participation de ce pays aux réunions du Groupe fut gelée. Le Groupe redevient « G7 » 6 comme un forum plus représentatif, du fait de la présence des principales pays émergents (Afrique du Sud, Brésil, Chine, Corée du Sud, , Inde, Indonésie, Mexique, Turquie). B. Les cadres non-gouvernementaux : Forum de Davos et Forum social mondial Mais, la mondialisation a permis l’émergence d’acteurs transnationaux. Il s’agit d’acteurs non étatiques qui sont le produit de la transnationalisation croissante des rapports internationaux, au sens de flux et d’échanges de toutes natures qui traversent les frontières. De nouveaux cadres transnationaux informels et non-étatiques qui ont pour vocation de développer la concertation et le débat sur les enjeux de la mondialisation ont émergé, le Forum de Davos et le Forum social mondial. 1) Le « Forum de Davos » Le « Forum économique mondial » (« World Economic Forum ») fut fondé en 1971 en tant que fondation à but non lucratif, fruit d’une initiative d’entreprises multinationales parmi les plus importantes dans leur secteur d’activité. Les réunions annuelles (le 52ème Forum s’est tenu en janvier 2024) se déroulent dans la station de sport d’hiver suisse de Davos d’où l’appellation « Forum de Davos ». Elles rassemblent chaque année, outre les dirigeants des grandes multinationales, des responsables politiques (chefs d’États, ministres), des diplomates (ambassadeurs, fonctionnaires internationaux), des représentants d’ONG, des chefs religieux, des universitaires, des journalistes, tous réunis pour débattre des grandes questions internationales (politiques, économiques, sociales et environnementales) liées à la mondialisation. C’est aussi l’occasion d’une diplomatie parallèle en vue de résoudre certains conflits entre États (Déclaration de Davos en 1988 sur les différends territoriaux et maritimes entre la Grèce et la Turquie, ou la réconciliation entre le Président Frederik de Klerk, Nelson Mandela et le chef zoulou Mangosuthu Buthelezi au nom de la nation sud-africaine à l’occasion du Forum de 1992). 2) Le « Forum social mondial » Le Forum de Davos a suscité la création d’un contre-modèle, le Forum social mondial (FSM) fondé en janvier 2001 à Porto Alegre (Brésil) par des mouvements qui se 7 qualifient d’ « altermondialistes » et militent pour une autre mondialisation. Leurs positions s’articulent autour de la dénonciation des méfaits de la mondialisation et de ses dérives libre- échangistes. Cela se traduit par une critique du « consensus de Washington » imposant aux États de se soumettre aux lois du marché, de l’OMC, du FMI, de la Banque mondiale, du « G7 ». Chaque forum est conçu comme un espace autonome et ouvert de débat s’organisant autour d’un cadre thématique, continental (Forum social européen, Forum social des Amériques, Forum social africain, Forum social asiatique), régional (Forum social de la Méditerranée, Forum social du Maghreb, Forum social du Moyen-Orient), national ou local. L’hétérogénéité et la diversité des courants participants au FSM ne les empêchent pas d’identifier des objectifs communs telle la lutte pour le développement durable, la souveraineté alimentaire et les droits humains, ainsi que la promotion de la démocratie participative, du commerce équitable, de la paix et du désarmement nucléaire. Leur credo est la défense d’une mondialisation plus égalitaire (à l’intérieur des États, mais aussi dans les rapports internationaux), moins dominée par une logique de marchandisation et de financiarisation du monde. Les altermondialistes mobilisés autour du slogan « un autre monde est possible » sont engagés dans une réflexion centrée sur la sortie du néolibéralisme. NB : Le FSM 2023 réunit à Genève s’est concentré sur la contribution de la science, de la technologie et de l'innovation à la promotion des droits de l'homme et à la protection écologique. § 3 – La « transnationalisation » des rapports internationaux Sous l’effet de l’ouverture progressive des frontières aux échanges de toutes natures, les relations transnationales connaissent un développement considérable. Les rapports transnationaux peuvent être définies selon Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts (Le retournement du monde, Sociologie de la scène internationale, 1995) comme « toute relation, qui, par volonté délibérée ou par destination, se construit dans l’espace mondial au-delà du cadre étatique national et qui se réalise en échappant au moins partiellement au contrôle ou à l’action médiatrice des États ». Comme le constatait l’ancien Secrétaire général des Nations unies, Boutros Ghali, nous passons d’un ordre international conçu « comme un ordre politique et sédentaire » à 8 « monde économique et nomade »7. Il fait implicitement référence à l’importance croissante des acteurs transnationaux non-étatiques qui ont émergé dans la Société internationale. Ils constituent les principaux bénéficiaires du développement des flux et des échanges transnationaux induit par la mondialisation qui a pour effet une érosion des pouvoirs de l’État souverain (A). Deux catégories d’acteurs contribuent à cette transnationalisation des rapports internationaux : l’entreprise transnationale dite « multinationale » d’une part (B) et l’organisation non-gouvernementale (ONG) d’autre part (C). A. L’érosion des pouvoirs de l’État-souverain Pour les théoriciens du courant mondialiste 8, « l’Ordre westphalien » qui a organisé les relations internationales depuis 1648 autour des notions d’État et de souveraineté est dépassé car désormais, le système de relations internationales est plus décentralisé. Ainsi John Burton (World Society, 1972) caractérise « l’Ordre post-westphalien » découlant du processus de mondialisation comme une société humaine globale structurée qui se nourrit d'une nébuleuse d'interactions politiques, économiques, sociale, religieuse dépassant le cadre de l'État nation. L’État classique comme sujet du droit international se voit concurrencé par l’apparition d’acteurs nouveaux, transnationaux qui à l’instar des firmes multinationales ou des ONG prennent une importance croissante dans les rapports internationaux. La prééminence de l’État souverain est de plus en plus contrariée par le phénomène de mondialisation caractérisé par le développement des flux et des échanges transnationaux. Quelles sont les implications de la mondialisation sur les États ? Pour une partie de la doctrine, la mondialisation a indéniablement affaibli le rôle de l’État. Pour Dominique Carreau et Pierre Julliard (Droit international économique, 1998), « le phénomène de la mondialisation sans cesse croissante de l’économie internationale a fait pencher le fléau de la balance dans le sens du libéralisme. Le marché a ainsi terrassé l’État, du moins provisoirement ». Les politiques libérales inspirées par le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC ont débouché sur un désengagement de l’État de la sphère économique. 7 Déclaration à l’occasion de la remise du diplôme de Docteur "honoris causa" de l'Université Carlos III à Madrid, le 15 avril 1994. 8 Voir théories des relations internationales, chapitre introductif du cours. 9 Le processus de mondialisation se traduirait par un phénomène d’érosion des pouvoirs de l’État et de contournement de celui-ci par le développement des relations transnationales. Ces dernières ont pour effet de remettre en cause directement ou indirectement la souveraineté des États et leur volonté d’agir comme acteur exclusif des rapports internationaux. S’il continue d’exercer son influence dans le contexte de la mondialisation à travers son action au sein des organisations intergouvernementales, l’État se voit assigner un rôle subalterne de garant du bon fonctionnement du marché. Certains auteurs comme Bertand Badie et Marie-Claude Smouts (Le retournement du monde, Sociologie de la scène internationale, 1995) évoquent le « contournement de l’État ». Pour autant peut-on parler de fin de l’État ? Non, mais un affaiblissement de l’entité étatique, si l’on considère que les États perdraient le contrôle des mouvements migratoires, des échanges de biens et services, ainsi que des flux financiers. L’émergence de nouveaux acteurs entame aussi le monopole de l’État sur les relations internationales, mais, celui-ci jaloux de ses prérogatives veut continuer à jouer un rôle régulateur, en accordant une liberté plus ou moins large aux individus et aux entreprises, pour tisser des rapports transnationaux et agir sur leur propre territoire (rôle du droit national). B. L’entreprise transnationale, un acteur influent de la mondialisation La première société transnationale fut la Compagnie des Indes fondée en 1602. Après la 2ème Guerre mondiale, les sociétés transnationales connaissent un développement considérable, en raison de la multiplication des échanges sous le double effet de l’abaissement des barrières douanières et de la levée progressive du protectionnisme. Définition : La firme ou société transnationale est une entreprise qui tout en ayant un siège central dans un pays, exerce son activité dans plusieurs pays où elle est représentée par des filiales, dont la stratégie et la gestion relèvent d’un centre de décision unique. Il est utile ici d’examiner à la fois les caractéristiques de cet acteur transnational (1) et la nature des rapports qu’il entretient avec l’État (2). 10 1) Des acteurs clés de la mondialisation économique et financière Les principaux acteurs de la mondialisation économiques sont les firmes ou sociétés dites « transnationales » ou « multinationales ». Elles bénéficient de la libéralisation des marchés et contribuent à la globalisation de l’économie. Si elles sont généralement des sociétés à capitaux privés, rien n’exclut la présence de capitaux publics. La puissance financière de ces sociétés est parfois supérieure à celle des États. La plupart des sociétés transnationales sont originaires des pays développés où elles établissent leur siège social. Elles interviennent dans pratiquement tous les secteurs d’activités : énergie (Exxon, Total), industries automobile (Ford, Renault), alimentaire (Coca Cola, Mac Donald, Nestlé), pharmaceutique (Roche, Pfizer, Sanofi), bancaires (HSBC), informatique (Microsoft, Apple), des télécommunications (Samsung), assurances (Allianz, Axa Group), militaire (Boeing) ou spatiale (Space X). Ces firmes contribuent pour une large part aux IDE (investissements directs à l’étranger). 2) Des rapports complexes avec les États Les rapports qu’entretiennent les sociétés transnationales avec les États sont complexes et souvent conflictuels. Ces deux types d’acteurs ont des moyens de pression réciproques, les uns à l’égard des autres. Les moyens de pression des États sont principalement la nationalisation, la fiscalité ou le contrôle de rapatriement des bénéfices. Les moyens de pression des sociétés transnationales résident essentiellement dans la corruption, la menace de retrait des investissements ou le financement des partis politiques. Dans certains pays, elles ont abusivement utilisé leur puissance financière pour infléchir la politique gouvernementale, voir exceptionnellement pour déstabiliser ou renverser un gouvernement en place et favoriser l’avènement d’un pouvoir plus compréhensif. Ce fut ainsi le cas en Amérique du Sud ou l’expression « république bananière » a vu le jour pour illustrer l’influence excessive exercée dans la vie politique des États d’Amérique latine par des multinationales américaines comme United Fruit Company (devenue Chiquita Brand international) sur le contrôle de la production et de l’exportation de la banane (appui au coup d’État contre le Président Àrbenz Guzmàn au Guatemala en 1954 qui avait nationalisé les terres de la United Fruit Company). 11 La principale différence entre les États et les firmes transnationales est que ces dernières ne connaissent pas de frontières, elles interviennent là où les profits sont les plus importants en tenant bien sûre compte des garanties de sécurité des investissements et de stabilité politique. Les intérêts des multinationales et des États ne coïncident pas toujours, même si ces derniers ont souvent tendance à appuyer les stratégies de conquête des marchés élaborées par les premières (avantages fiscaux, primes à la création d’emploi). En cas de litige ou de différends entre une firme transnationale et un État, il y’a recours à l’arbitrage international qui s’est développé sous l’effet de la mondialisation. Les firmes peuvent également saisir le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) crée en 1965 sous les auspices de la Banque mondiale. Face à l’absence de réglementation à l’échelle internationale des activités des sociétés transnationales, certains pays, en particulier le Groupe des 77 (pays en voie de développement), ont proposé une codification dans ce domaine. Mais, la plupart des pays dont sont originaires ces firmes s’opposent à toute codification qui porterait atteinte, selon eux, au principe de la liberté de commerce et d’industrie. Cependant, des procédures très souples d’encadrement des activités des firmes transnationales ont été élaborées notamment dans le cadre du système des Nations unies : - Déclaration tripartite sur les principes concernant les entreprises multinationales et la politique sociale de l’Organisation internationale du travail (OIT) ; - Principes directeurs pour les sociétés transnationales de l’OCDE ; - Projet de traité sur les multinationales et le respect des droits humains (ONU); - Promotion de la « responsabilité sociale et environnementales » (RSE) des entreprises. Généralement ces firmes sont invitées à ne pas enfreindre la législation des États en matière sociale (code du travail), de protection de l’environnement ou encore de ne pas abuser de position dominante (les ententes concertées qui faussent la concurrence sont sanctionnées). C. Les ONG ou la mondialisation de la solidarité Les organisations non gouvernementales (ONG) sont en expansion croissante depuis le milieu du XXe siècle, sous l’effet de la multiplication des échanges et le développement 12 des moyens de communication. Contrairement à l’organisation intergouvernementale, l’ONG est hors de la sphère d’influence étatique avec laquelle elle se trouve fréquemment en conflit. L’ONG est une entité qui a des origines religieuses, philanthropique et philosophique. Marcel Merle la définissait comme : « Tout groupement, association ou mouvement constitué de façon durable par des particuliers appartenant à différents pays, en vue de la poursuite d’objectifs non lucratifs ». Une ONG est en fait une association internationale fondée par des personnes privées ou publiques, physiques ou morales de différentes nationalités. Une présentation générale de ces acteurs transnationaux est nécessaire (A), avant d’aborder leurs missions (B). 1) Présentation générale Le statut d’ONG est accordé si les conditions suivantes sont remplies : - Création à la suite d’une initiative privée et non gouvernementale ; - Composante à caractère internationale ; - Mission à vocation universelle ; - Poursuite de buts non lucratifs. Aucun accord international ne réglemente les activités des ONG, en raison du souci d’éviter toute ingérence des États dans leurs activités. Toutefois, une ONG créée ou implantée sur le territoire d’un État est rattachée au droit interne de cet État. Les premières ONG se sont développées en Europe et en Amérique du Nord au XIXème siècle dans le cadre de l’abolition de l’esclavage (British and Foreign Anti-Slavery Society en 1823) ou de l’assistance aux victimes de guerre (la Croix-Rouge internationale en 1863). Elles se sont multipliées au XXème siècle. Les ONG sont devenues des groupes de pression dont les États doivent tenir compte. Elles sont perçues avec méfiance par certains gouvernements. S’ils ont besoin du consentement des États pour agir sur leur territoire, les ONG n’en influent pas moins sur ceux-ci et parviennent souvent à infléchir la politique gouvernementale dans les domaines où elles interviennent. Elles entretiennent également des rapports avec les organisations 13 internationales. Certaines ONG bénéficient même d’un statut consultatif auprès de ces organisations (statut consultatif à l’ECOSOC9 ou au Conseil de l’Europe). Ainsi, l’action humanitaire déployée par des ONG vient renforcer et compléter celle des organisations du système des Nations unies comme le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), le Programme alimentaire mondial (PAM) ou le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF). 2) Diversité des missions Il existerait plusieurs milliers d’ONG dans le monde. Elles sont caractérisées par leur très grande diversité, tant par l’importance que par la variété de leurs missions. Une classification des ONG en fonction de leur domaine d’activité nous amène à les classer en sept catégories : - Les ONG religieuses ou confessionnelles : elles sont parmi les plus anciennes, on citera en particulier le Conseil œcuménique des Églises (Églises protestantes et orthodoxes), le Congrès juif mondial, la Ligue islamique mondiale ; il faut remarquer aussi le rôle joué par les ordres religieux - qui ne sont pas des ONG au sens classique - dans le domaine de l’assistance aux démunis (ex : l’Ordre hospitalier des chevaliers de Malte, le Secours catholique, le Secours islamique). - Les ONG sportives : les plus importantes sont le Comité international olympique (CIO crée en 1895 par le baron Pierre de Coubertin, ainsi que les fédérations internationales des sports, notamment la Fédération internationale de football association (FIFA) fondée en 1904 et qui organisa la première coupe du monde en 1930, ou la Fédération internationale des sports automobiles (FISA). - Les ONG politiques et idéologiques : telles les internationales de partis (International socialiste) ou de syndicats (la Confédération internationale des syndicats libres, CISL), ou encore celles vouées à la protection des journalistes (Reporter sans frontières). - Les ONG scientifiques et culturelles : notamment, les associations de chercheurs universitaires dans les différentes disciplines (droit, économie, médecine, astronomie, etc.). - Les ONG pour la promotion du développement : parmi les plus importantes on citera Oxfam, Action contre la faim (ACF), ATD Quart Monde, Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD). - Les ONG écologiques : la plus connue est Greenpeace, pour ses actions contre le nucléaire et la protection de la faune (ex : baleines). Elles disposent souvent de groupes nationaux dans un nombre croissant de pays (Greenpeace France). 9 En vertu de l’article 71 de la Charte des Nations unies. 14 - Les ONG humanitaires : elles sont parmi les plus connues du fait de leurs interventions dans les guerres et les situations de catastrophe naturelles. La plus ancienne et la plus active avec un statut particulier est le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) reconnu pour l’action qu’il mène en faveur des victimes des conflits armés. Mais, d’autres ONG comme Médecins sans frontières, Handicap international, Architectes de l’Urgence ou Secours islamique, mènent des actions humanitaires dans le cadre de leurs mandats respectifs. Il faudrait noter également, le développement des actions d’ONG de défense des droits de l’homme, telles Amnesty International, Human Rights Watch ou la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). La plupart des ONG ont vu le jour dans États développés (Europe et Amérique du Nord) alors que leur terrain d’action se situe principalement dans les pays en développement (Afrique, Asie, Amérique du Sud et Caraïbes). Les plus puissantes sont celles qui disposent de moyens et de relais médiatiques, c'est-à-dire les ONG européennes et américaines. Section 2 : La reconfiguration des rapports de puissance Le nombre des États s’est sensiblement accru depuis la deuxième moitié du XXème siècle sous l’effet principalement de la décolonisation (une soixantaine de nouveaux États depuis les années 1960, majoritairement en Afrique) et de la fin de la Guerre froide (dislocation de l’URSS et de la Yougoslavie). Ainsi, l’ONU comptait 51 États membres en 1945 pour atteindre 193 Etats depuis 2014. Cette fragmentation de la scène des acteurs étatiques dissimule mal leur inégalité de puissance politique, économique et militaire. Les rapports de force entre les États évoluent en permanence avec le déclin de certaines puissances et l’émergence de nouvelles. Il s’agit d’une reconfiguration constante de la puissance dans laquelle les éléments économique, financier et technologique sont tout aussi déterminant que les dimensions politique et militaire (§1). Le phénomène des « États émergents » avec les BRICS est à cet égard symptomatique de ce « basculement du monde » (§2). Ce basculement des rapports de puissances se fait aujourd’hui aux dépens de l’Occident sous l’effet d’un processus de « désoccidentalisation » du monde qui s’accélère (§3). Plan de la Section 2 : § 1 – Les critères de la puissance de l’État § 2 – Les États émergents, acteurs du basculement du monde § 3 – La « désoccidentalisation » du monde 15 § 1 – Les critères de la puissance de l’État On peut lire dans la Charte de l’ONU que « l’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de tous ses membres » (article 2 § 1). En vertu de ce principe, tous les États sont égaux, quelle que soit leur puissance militaire ou économique ou leur influence politique. Cette égalité se traduit au niveau des votes à l’Assemblée générale (1 État = 1 voix). La principale conséquence du principe d’égalité est la réciprocité des droits et obligations des États10. Ce principe qui a pour fonction indirecte d’assure la protection juridique des États les plus faibles cache une inégalité de fait dans la pratique et le comportement des États dans les Relations internationales. A. Les données de la puissance dans les RI Mais dans la pratique, l’égalité souveraine des États est confrontée à la réalité des relations internationales, caractérisée pour reprendre le crédo des théoriciens réalistes, par des rapports de force et la rivalité de puissances. D’autre part, le principe de l’égalité juridique se heurte à des inégalités de fait entre États sur les plans économique, politique, militaire et démographique consacrées dans les statuts de certaines organisations internationales. Ainsi, le « droit de veto » institué dans le cadre du Conseil de sécurité est un privilège réservé aux cinq membres permanents, créant ainsi une discrimination de jure entre États inscrite dans la Charte des Nations Unies. Dans cette logique, un système de vote pondéré en fonction du montant de la cotisation calculée au prorata du PIB dans l’économie mondiale (calcul des quotes-parts) est prévu dans le processus de décision du FMI. Les principaux critères et données structurelles de la puissance concernent le niveau de développement économique, scientifique et technologique, le potentiel militaire, le rayonnement culturel et la cohésion sociale et politique. Ainsi, la possession d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité, ou la participation comme membre du « G7 », du « G20 » constituent une indication directe quant au statut reconnu de puissance d’un pays. 10 La Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 stipule qu’ « une violation substantielle, d’un traité bilatéral par l’une des parties autorise l’autre partie à invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou suspendre son application en totalité ou en partie » (article 60). 16 Le niveau de développement économique d’un pays constitue un facteur majeur dans l’évaluation de sa puissance et de son influence dans le monde. Une économie prospère est d’abord caractérisée par un revenu par habitant (PIB/hab) et un indice de développement humain (IDH) élevés. Ces données permettent d’évaluer le niveau de vie moyen de la population et de mesurer le degré de performance des systèmes sociaux, éducatifs et de santé. D’autres critères tels, la valeur de la monnaie, l’importance des places financières et des investissements à l’étranger ou le volume du commerce extérieur sont aussi importants pour mesurer la puissance économique d’un État. Toutefois, ces éléments rendent insuffisamment compte du niveau de développement scientifique et technologique qui peut être apprécié en recourant à des critères plus fins tels que le pourcentage du PNB consacré à la recherche-développement, la création de brevets (inventions) ou l’octroi de prix d’excellence (Prix Nobel). Une maîtrise des technologies et de la recherche scientifique appuyée sur une capacité d’innovation assurent une certaine prépondérance dans les rapports entre États. La puissance militaire mesurée selon des critères quantitatifs et qualitatifs (dépenses militaires, effectifs, armes, industrie d’armement, technologie militaire) est souvent perçue comme le facteur le plus direct de la puissance d’un État. Toutefois, cette puissance militaire se mesure non seulement dans la possession ou non de l’arme nucléaire, de satellites militaires, mais aussi en termes de dynamisme de son industrie militaire (recherche- développement et exportations d’armes), de présence et de déploiement permanent de troupes hors des frontières nationales (capacité de projection des forces). D’autres facteurs tels que le rayonnement culturel (langue, civilisation, production littéraire et artistique) sont également à prendre en compte dans l’évaluation de la puissance d’un État et de son influence dans les relations internationales. C’est une caractéristique du « soft Power ». Ce critère repose sur la capacité de diffusion de la langue et de la culture (musique, cinéma, médias, mode vestimentaire, art culinaire) dans le reste du monde (ex : les Centres culturels français ou les Instituts Confucius déployés par la Chine). Enfin, la cohésion sociale et politique est un atout en termes de puissance, l’absence d’une telle cohésion affectant les fondations et la stabilité de l’État. Un sentiment d’appartenance à la communauté nationale et l’existence d’un consensus social appuyé sur 17 des instruments efficaces de règlement des conflits sociaux et de gouvernance politique constituent des éléments objectifs permettant de mesurer la stabilité d’un État politique et institutionnelle d’un État. Qu’en est-il d’un pays qui ne disposerait pas de ces critères de la puissance ? Il sera contraint de rechercher des alliances, l’objectif étant de démultiplier sa puissance. Un pays disposant d’alliances extérieures, qui plus est d’alliés puissants militairement ou économiquement, renforce sa position diplomatique et géopolitique. B. Les alliances, un démultiplicateur de puissance Les premières alliances ou associations entre États étaient de nature politico- militaire, c’est à dire des coalitions fondées sur des pactes à caractère défensif ou offensif. Ces alliances étaient le plus souvent limitées dans le temps (caractère conjoncturel pour prévenir ou neutraliser une menace perçue comme imminente). La forme institutionnalisée des alliances telle qu’on la connaît aujourd’hui est une caractéristique du XXe siècle (ex : l’OTAN). Le propre des alliances c’est leur instabilité. Elles se font et se défont en fonction des conjonctures, et plus précisément des rapports de forces et des équilibres de puissance. Elles précèdent souvent un conflit armé et constituent ainsi un moyen destiné à se prémunir contre un voisin ou une coalition menaçante11. Mais, la constitution d’alliances militaires a aussi permis de prévenir un conflit armé par le jeu de de la dissuasion et de l’équilibre des forces, comme ce fut le cas pendant la Guerre froide (« l’équilibre de la terreur ») entre l’Alliance atlantique12 et l’Organisation du Pacte de Varsovie13 fondées à l’initiative des États-Unis et de l’URSS pendant la Guerre froide. Pour Bertrand Badie (La diplomatie de connivence. Les dérives oligarchiques du système international, 2013), les alliances de blocs du type de celles de la Guerre froide n’ont plus court, c’est le temps des « alliances de connivence » pour défendre des intérêts de 11 Ce fut le cas pendant les deux grands conflits mondiaux avec la constitution de la Triplice et de la Triple Entente (1914- 1918) et de l’Axe Berlin Rome Tokyo face à l’alliance anglo-américano-russe (1939-1945). 12 Cette alliance fut instituée en 1949 par le Traité de Washington liant les États-Unis, le Canada et une dizaine de pays européens. 13 Le Pacte de Varsovie conclu le 14 mai 1955 crée une organisation militaire, des pays socialistes d'Europe de l'est. 18 circonstance par pragmatisme (Russie-Turquie, Russie-Corée du Nord, Russie-Iran, Chine- Iran, Maroc-Israël). Dans un monde post-bipolaire la logique de connivence prendrait le pas sur la logique d’alliance. La décision des États-Unis (sous la Présidence Bush père) de pérenniser l’OTAN malgré la dissolution du Pacte de Varsovie14, aussi anachronique soit-elle relève de la volonté de maintenir leur leadership en Europe, d’unifier l’Occident autour de valeurs communes (démocratie libérale) en vue de faire face aux « nouvelles menaces » et contrer les « puissances révisionnistes » eurasiatiques (Russie et Chine). Une « nouvelle Sainte-Alliance » à l’image de celle instituée en 1815 pour contrer les idées révolutionnaires (droit des peuples) se met place en Europe, mais aussi en Asie-Pacifique avec l’AUKUS (Australie/États-Unis/Royaume-Uni) destinée à contrer la montée en puissance de la Chine. NB 1 : AUKUS (acronyme de l'anglais Australia, United Kingdom et United States) est un accord de coopération militaire instituant une alliance stratégique entre ces trois pays, elle fut rendue public en septembre 2021 lors de l’annonce d’un contrat de vente de sous-marins américains à propulsion nucléaire à l’Australie. NB 2 : La Russie a pris l’initiative d’instituer en 2002 l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) en tant qu’alliance regroupant la Russie et les ex-républiques soviétiques (Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan). L’OTSC qui fait suite au Traité de sécurité collective de 1994 suite à l’effondrement de l’URSS qui vise à renforcer la sécurité commune et lutter contre le terrorisme et la criminalité transnationale dans la région Eurasie. L’alliance militaire n’est toutefois pas la seule forme d’association entre États. Il existe aussi des alliances non militaires. Elles se sont développées en vue de la réalisation d’objectifs économiques, politiques ou même culturels. Les plus nombreuses visent à créer un marché commun ou une union économique et monétaire (Union européenne), une union douanière (MERCOSUR), une zone de libre-échange (Association nord-américaine de libre- échange - ALENA). D’autres enfin sont axées sur le partage d’une langue commune comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et le Commonwealth of Nations, ou d’une religion commune l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Mais, les alliances, qu’elles soient de nature politico-militaire (OTAN) ou de nature politico-économique (Union européenne) ont toujours pour effet de réduire la capacité d’action individuelle des États qui les composent au nom de la solidarité collective et de l’impératif de coordination. Cette situation peut s’apparenter à un abandon partiel de 14 Cet accord avait institué en 1955 l’Alliance militaire entre l’URSS et ses alliés d’Europe centrale et orientale pour faire face à l’Alliance atlantique. 19 souveraineté compte-tenu de la dépendance stratégique des membres à l’égard de l’alliance collective, voir à l’égard de l’allié dominant (États-Unis au sein de l’OTAN). Ainsi, dans ce contexte, on peut dire que les alliances ont aussi servi de cadre à la manifestation des politiques d’hégémonie et de sphères d’influences. Le rôle hégémonique de cette « superpuissance » ou « hyperpuissance » pour reprendre l’expression d’Hubert Védrine (Face à l’hyperpuissance, 2003) est aujourd’hui contraint par l’émergence d’une nouvelle puissance à vocation globale, la Chine. § 2 – Les États émergents, acteurs du basculement du monde La distinction entre pays riches et pays pauvres, ou entre pays développés et pays en développement ou du Tiers-monde est moins pertinente aujourd’hui qu’elle ne le fut. On lui préfère, celle distinguant « pays émergents » et « pays en développement », les « pays les moins avancés » pour ceux accusant un retard économique et social considérable. Les pays classés à l’intérieur de ces groupes selon des critères essentiellement économiques sont très divers et le passage d’un groupe à l’autre est toujours possible. A. La notion d’« Etats émergents » Dès les années 1980, le développement économique accéléré des pays asiatiques leur valut l’appellation de « nouveaux pays industrialisés » (NPI), de « dragons » ou encore de « tigres » pour illustrer leur puissance. C’est pour traduire la place croissante de l’Asie dans l’économie mondiale que fut institué le Forum Asie Pacifique en 1986 réunissant les trois principales puissances économiques du monde (Etats-Unis, Chine, Japon). Depuis, cette zone constitue en effet le principal moteur de la croissance et du développement mondial. La notion de « pays émergents » est apparue dans les années 1980 avec l’ouverture à l’économie de marché (notamment au marché financier et boursier) de pays en développement. Les pays qui connaissent un taux de croissance économique significatif et constant, une économie dynamique et diversifiée, un commerce extérieur en développement, un niveau de vie moyen de la population qui s’accroit et offrent de nouvelles opportunités d’investissements sont alors qualifiés par les économistes de la Banque mondiale de « marchés émergents » (« emerging markets »). Ces pays sont principalement situés en 20 Amérique latine (Argentine, Brésil, Mexique, Chili, Colombie) et en Asie (Corée du Sud, Taïwan, Indonésie, Malaisie, Turquie, Singapour, Thaïlande, Philippines, Vietnam), mais aussi au Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Qatar, Émirats arabes unis) et limitativement en Afrique (Afrique du Sud). La fin de la Guerre froide crée de nouvelles opportunités stratégiques et géopolitiques recentrant les enjeux sur les questions économiques. C’est l’accélération de la mondialisation à l’échelle de la planète. Les « pays émergents » apparaissent comme les principaux bénéficiaires de cette mondialisation. Même si la plupart d’entre eux n’ont pas encore atteint le niveau des pays développés de l’OCDE (notamment en termes de PIB par habitant), les « émergents » s’imposent progressivement comme des acteurs potentiellement concurrents des puissances traditionnelles (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni). Conscients de leur poids croissant, les pays émergents ont commencé par coordonner leurs positions dans les organisations internationales ou à l’échelle régionale en vue de constituer des coalitions d’abord régionales pour défendre leurs intérêts : 1. Le MERCOSUR institué par le Traité d’Asunción (1981) crée un marché commun entre des pays d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Venezuela). 2. L’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique) créé en 1967 est une organisation régionale de coopération politique et économique regroupant la Thaïlande, le Vietnam, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, les Philippines, le Laos, le Cambodge et le Brunei. Les pays émergents ont déployé une diplomatie de plus en plus active en formant des coalitions au sein des organisations internationales et dans les négociations multilatérales. Ainsi, à l’OMC, le Brésil, l’Inde et la Chine constituent un front commun pour défendre les intérêts des pays en développement sur la question des subventions agricoles. Dans les négociations sur le changement climatique, la lutte est menée par les émergent du groupe « BASIC » (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine) sur la question des mesures restrictives en faveur de l’environnement rejetant la responsabilité historique des émissions de gaz à effet de serre sur les pays développés du Nord. Ils se présentent ainsi comme les alliés objectifs du « Groupe des 77 », coalition de pays en développement crée en 1964 pour défendre les intérêts du Sud au sein des organisations internationales (rassemble 133 Etats). 21 En 2003, un premier groupe de pays émergents constitué par les trois principales démocraties du Sud est institué comme IBAS (Inde, Brésil, Afrique du Sud) avec pour objectif de peser en faveur d’une réforme de la gouvernance mondiale et notamment du Conseil de sécurité de l’ONU au sein duquel ils se déclarent candidats pour un siège de membres permanents. L’IBAS qui a tenu son premier sommet en 2008 vise principalement à développer une coopération trilatérale Sud-Sud, mais il a progressivement laissé la place au développement du forum des BRICS qui s’avère être un cadre plus large et plus efficace pour défendre les intérêts des émergents. B. Les BRICS, une coalition d’intérêts La liste des pays émergents comporte généralement le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, la pour lesquels l’acronyme BRIC fut utilisé pour la première fois en 2001 par Jim O’Neill, économiste à la banque Goldman Sachs, pour désigner les puissances connaissant une forte croissance économique et ayant les marchés les plus prometteurs du monde. Constitué à l’origine par une réunion informelle des ministres des affaires étrangères brésilien, chinois, indien et russe à New-York en septembre 2006 (en marge de la session annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies), le groupe des BRIC a tenu son premier sommet à Ekaterinbourg en juin 2009. Il fut rejoint par l’Afrique du Sud en 2011 (Sommet de Sanya) et devenir BRICS (« S » pour « South Africa »). Les BRICS représentaient en 2023, 40% de la population mondiale, 31,5 % du PIB mondial dépassant pour la première fois la part du G7 (30,7 % du PIB mondial) et 17% du commerce mondial. CE Groupe rassemble les deuxième (Chine), cinquième (Inde), neuvième (Russie), dixième (Brésil) et trente- deuxième (Afrique du Sud) puissances économiques mondiales rapporté à leur PIB : - La Chine a connu depuis le lancement par Deng Xiao Ping des « 4 modernisations » (1979), une montée en puissance continue appuyée sur une croissance à deux chiffres la hissant dès 2010 au rang de 2ème puissance économique mondiale grâce au fait qu’elle soit devenue un exportateur « hyper-compétitif » de produits manufacturiers ; - L’Inde, autre géant asiatique puissance nucléaire candidat pour un siège de membre permanent du Conseil de sécurité a spécialisé son économie dans les services informatiques ; - La Russie mise sur ses atouts énergétiques (gaz, pétrole), tout en s’efforçant de préserver son influence économique et politique dans l’ancien pré-carré soviétique (Ukraine et Biélorussie, Caucase et Asie centrale) ; 22 - Le Brésil autre candidat pour un siège de membre permanent au Conseil de sécurité est un agro-exportateur redoutable dont les entreprises ont réussi à conquérir des marchés en Amérique latine, Afrique et Asie aux dépens des sociétés occidentales ; - L’Afrique du Sud, première puissance économique du continent africain dispose d’un potentiel minier considérable. Les BRICS sont parvenus progressivement à transformer leurs atouts économiques en influence sur la scène internationale. Leur discours commun met l’accent sur l’objectif d’un « Ordre mondial multipolaire », équitable et démocratique fondé sur le droit international, l’égalité, le respect mutuel, la coopération et la prise de décision collective. Ils adoptent des positions proches sur des questions de relations internationales (opposition à l’invasion américaine de l’Irak en 2003, neutralité dans la guerre en Ukraine, condamnation de la guerre d’Israël contre Gaza). Ainsi, lors de leur 6ème sommet à Fortaleza (juillet 2014), les BRICS décidèrent de créer la « Nouvelle Banque pour le développement » dotée d’un capital de 50 milliards de dollars destinée à financer des projets d’infrastructures dans les pays en développement, ainsi qu’un fonds de réserve en devises de 100 milliards. Ces initiatives s’inscrivent dans une stratégie visant à contourner la suprématie du dollar sur les transactions financières internationales et à contrer la main mise anglo-américaine sur le système financier mondial. Mais, c’est une stratégie risquée car une grande partie des avoirs détenus par les BRICS est précisément libellée en dollars. Dans le même esprit, les BRICS décidaient en 2012 de développer leur réseau de câbles sous-marins par lequel transiteraient les communications téléphoniques et d’internet. Une grande partie des flux pourraient transiter par ce nouveau réseau de câbles reliant Vladivostok (Russie), à Shantou (Chine), à Chennai (Inde), au Cap (Afrique du Sud) et à Fortaleza (Brésil), offrant ainsi une alternative au réseau transatlantique dont ils soupçonnent les Anglo-saxons d’intercepter les données (suite aux révélations d’Edward Snowden en 2013, un transfuge de la NSA). Lors du 15eme sommet des BRICS en août 2023, il fut décidé d’accueillir cinq nouveaux membres (Arabie saoudite, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie et Iran) dans le Group sans écarter la possibilité d’un élargissement ultérieur vers d’autres États candidats. À cette date, 23 pays ont officiellement soumis leur candidature pour rejoindre les 23 BRICS (dont Algérie, Bangladesh, Cuba, Indonésie, Kazakhstan, Koweït, Nigeria, Thaïlande, Venezuela et Viêt Nam). Mais, les BRICS en tant que coalition d’intérêts qui s’est imposée comme une figure de proue des émergents peuvent-ils proposer un projet alternatif compte-tenu de leur hétérogénéité ? Leur agenda commun est fondé sur une critique implicite des puissances occidentales à travers l’invocation rituelle de quelques principes : défense de la souveraineté politique mais aussi économique ; rejet des politiques d’ingérence dans les affaires intérieures des États ; appui au multilatéralisme et à l’amélioration de la gouvernance mondiale. Toutefois, ce groupe d’Etats émergents est constitué de pays très divers par leur culture, leur tradition politique et leur conception de la démocratie. Leurs intérêts économiques et diplomatiques ne coïncident pas toujours, ces puissances s'avérant même parfois rivaux15. § 3 – La « désoccidentalisation » du monde L’historien britannique Niall Ferguson (Civilization, 2011) nous explique comment l’Europe occidentale est parvenue à partir du XVème siècle à prendre le dessus sur la Chine, l’Inde et l’Empire ottoman au faîte de leur puissance, et à imposer au monde ses normes et son mode de vie. Ceci est principalement le fait selon lui des « six idées géniales » qui ont permis à l’Occident de dominer le monde : - La concurrence, source d’innovation ; - La science, garantie de la supériorité militaire ; - Le droit de propriété, pilier de la démocratie représentative ; - La médecine, source de mieux-être collectif ; - La société de consommation, moteur de l’industrialisation ; et - L’éthique du travail, ciment des institutions. Si l’Occident « a manifestement profité d’une avancée réelle et durable sur le reste du monde au cours des cinq derniers siècles », par des politiques inspirées par un impérialisme militaire et économique (colonisation) sa suprématie semble toucher à sa fin comme l’illustre les progrès économiques et technologiques considérables accomplis depuis la 2 ème moitié du 15 Ainsi, l’Inde est candidat à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité, mais Pékin est peu enthousiasmé par la candidature de ce pays avec lequel elle a un contentieux territorial. Le rapprochement sino-russe dont la matrice est la dénonciation de l’unilatéralisme américain est empreint de méfiance, Moscou s’inquiétant de l’activisme chinois dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. 24 XXème siècle par les pays asiatiques (Japon, Chine, Singapour, Corée du sud) et d’Amérique latine (Brésil, Mexique) A. Déclin de l’Occident et « Monde post-américain » Dès 1918, le philosophe allemand Oswald Spengler prédisait le « Déclin de l’Occidents ». Estimant que l’humanité vit et pense selon des systèmes culturels uniques, il en déduit qu’à la culture de l’Occident parvenue à son apogée et entamant son déclin succéderaient d’autres cultures. Dans le même esprit l’historien britannique Arnold Toynbee (A Study of History, 1934-1951) estimait que l’impérialisme occidental a fait l’union de la planète, mais cela ne signifie pas que l’Occident soit appelé à dominer éternellement le monde, sur les plans matériel et intellectuel. Quant à Samuel Huntington (« The Clash of Civilizations », Foreign Affairs, 1993), il estimait que les Occidentaux devraient désormais reconnaître que leur civilisation n’est plus universelle. L’écart de richesse et de développement ne cesse de se réduire entre les Occidentaux et les émergents. La banque Goldman and Sachs prévoit qu’à l’horizon 2030-2040, le PIB total des BRICS pourrait dépasser celui des pays occidentaux. Ce Groupe détiendrait plus de 40% des réserves monétaires mondiales, le plaçant ainsi en position de force face à l’Union européenne et aux Etats-Unis. Les émergents contestent de plus en plus ouvertement la domination occidentale sur les institutions financières internationales. Sous la pression des BRICS une redistribution des droits de vote au sein du FMI fut décidée en 2010 au profit des grands pays émergents (Chine, Brésil Inde). Sur les vingt-quatre sièges au conseil d’administration Fonds, l’Europe en perd deux aux profits des pays émergents. D’autre part, les émergents contestent la règle non écrite appliquée depuis 1944 qui réserve le poste de directeur du FMI à un Européen et celui de la Banque mondiale à un Américain. En 2011, lors de l’élection de Mme Christine Lagarde comme directrice-générale du FMI, ils obtiennent qu’un Chinois M. Zhu Min soit son adjoint. Mme Kristalina Georgieva qui succéda en 2019 à Mme Lagarde comme directrice générale du FMI a pour directrice générale adjointe Mme Gita Gopinath originaire d’Inde. Les renouvellements de la direction 25 des institutions financières internationales donnent lieu à des bras de fer entre Occidentaux et émergents. NB : La répartition du droit de vote (quote-parts) en 2023 au sein du FMI est la suivante: États-Unis : 16,5% (avant :17%) Chine : 6,1% (avant : 2,9%) France : 4% (avant : 4,9%) Inde : 2,6% (avant : 1,9%) Russie : 2,5% (avant : 2,7%) Brésil : 2,2 % (avant : 1,4 %). Au FMI, les décisions sont prises à une majorité qualifiée de 85 % des droits de vote. La « désoccidentalisation » du monde serait-elle le signe d’un déclin de l’Occident, d’un Monde post-américain ? Un processus de « désoccidentalisation » serait-il déjà à l’œuvre ? La « désoccidentalisation » du monde traduit-elle un déclin, une crise de civilisation ou une métamorphose de l’Occident ? N’exprime-t-elle pas un essoufflement du modèle occidental qui a dominé les relations internationales depuis plus de cinq siècles ? C’est paradoxalement au moment où ils affirment leur suprématie après la chute de l’URSS que les États-Unis amorcent un processus de déclin lié à une fragilisation de leur cohésion intérieure (question raciale, immigration, criminalité) et à une altération de leur domination économique et financière (émergence d’une « zone euro » qui affecte la domination du dollar et montée en puissance de la monnaie chinoise16). D’autre part, de l’Afghanistan à l’Irak, en passant par le conflit israélo-palestinien, la diplomatie et la force militaire américaine ont révélé leurs limites. B. Vers l’émergence d’un « Sud global » Jean Ziegler (La haine de l’Occident, 2008) met en exergue l’hostilité croissante envers l’Occident en Afrique, en Amérique du sud et en Asie nourrit par la mémoire et l’histoire. Selon lui, les peuples du Sud ont bien raison de haïr l'Occident. Les Occidentaux ont arraché à leurs foyers et déporté outre-Atlantique des dizaines de millions d'Africains dont ils ont fait des esclaves. Plus tard, par le fer et le feu, ils ont colonisé et exterminé les peuples qui vivaient sur les terres de leurs ancêtres en en Australie et aux Amériques. Le temps a 16 En novembre 2015, le FMI décida que le Yuan (RMB) rejoindra le panier de devises de référence du FMI. 26 coulé depuis mais écrit J. Ziegler « les peuples, se souviennent des humiliations, des horreurs subies dans le passé. Ils ont décidé de demander des comptes à l'Occident ». Dans le même esprit, Bertrand Badie (Le Temps des humiliés. Pathologie des relations internationales, 2014) met en exergue l’« humiliation » devenue l’ordinaire des relations internationales. Rabaisser un État, le sanctionner, le mettre sous tutelle, le tenir à l’écart des lieux de décision, stigmatiser ses dirigeants sont autant de pratiques diplomatiques qui se sont banalisées au fil du temps. Ces pratiques sont antinomiques d’un Ordre international multipolaire fondé sur le respect du droit international et l’égalité des nations. C’est au Moyen-Orient qui connaît de profonds bouleversements depuis la Révolution islamique iranienne (1979) que se situent les manifestations de l’anti-américanisme et de l’anti-occidentalisme prenant parfois la forme d’organisations djihadistes (Al-Qaïda et Daech). Les ingérences et les interventions militaires des Occidentaux dans la région (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie). Leur soutien à Israël et leur complicité avec l’occupation du territoire palestinien quant au même ils condamnent l’intervention militaire russe en Ukraine contribuent au sentiment général de « double standard » s’agissant de l’application du droit international. C’est un sentiment d’échec des puissances occidentales et de leur propension à privilégier le recours à la force et la diplomatie coercitive à la carte sur les solutions diplomatiques. L’impasse stratégique dans laquelle se trouve la région du Moyen- Orient offre une opportunité à d’autres puissances comme la Russie et la Chine une marge croissante d’action aux dépens de l’influence américaine (soutiens militaires russes à la Syrie et aux États du Sahel. Zbigniew Brezinski (Le Grand Échiquier. L’Amérique et le reste du monde, 1997) expliquait pourquoi et comment les États-Unis d’Amérique sont devenus les garants de l’ordre mondial. L’ancien conseiller du Président Carter (1977-1981) montre la situation paradoxale des États-Unis qui, pour maintenir leur leadership, doivent avant tout maîtriser le grand échiquier que représente l’Eurasie (Europe et Asie orientale), où se joue l’avenir du monde. Mais, pour Henry Kissinger (Diplomatie, 1996), si l’Amérique « affirme une position dominante qu’elle n’avait pas [pendant la Guerre froide], sa puissance est devenue plus diffuse. De sorte que sa capacité à modeler le reste de la planète, a, en réalité diminuée ». L’ « Empire américain » doit à terme consentir à une redistribution des forces à l’échelle mondiale avec des puissances émergentes. 27 La Chine s’intéresse déjà de près au continent le plus riche en ressources pour former une « Chinafrique » dont elle entend déloger les anciennes puissances coloniales. Son Initiative de « Nouvelles routes de la soie » qui inclue non seulement l’Eurasie mais aussi l’Afrique s’inscrit dans cette vision planétaire de sa diplomatie. D’autre part, la Chine est à l’initiative d’un accord de commerce Asie-Pacifique, le « Partenarial régional économique global » depuis 2020 qui rassemble 15 Etats dont les dix membres de l’ASEAN 17 ainsi que l'Australie, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. Cet accord qui vise la libéralisation du commerce et de l’investissement constitue la plus vaste zone de libre- échange du monde représentant 30% du PIB mondial et de populations de la planète (2 milliards d’habitants). Pékin profite ainsi d’un contexte de retrait des États-Unis du Traité de libre-échange Asie-pacifique (TPP) décidé par le Président Trump, pour accroître son influence économique dans cette vaste région. Une attention particulière doit être accordée ici à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) instituée en 2001 entre la Chine, la Russie et cinq pays d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan) 18, qui s’est élargie depuis à d’autres États (Inde, Pakistan, Iran, Mongolie, Afghanistan). Il s’agit de promouvoir la sécurité collective et la coopération économique en Eurasie. Les deux poids lourds de cette organisation (Chine et Russie) souhaitent en faire une alliance anti-occidentale. Une tendance qui s’est affirmée plus nettement à l’occasion du Sommet de Samarcande (septembre 2022) sous fonds de guerre en Ukraine et de tensions à propos de Taïwan. L’OCS regroupe près de la moitié de la population mondiale et attire un nombre croissant d’États désabusés par les politiques des puissances occidentales (atteintes au respect de la souveraineté). Puissance dominante, la Chine souhaite faire de l’OCS un support pour sa stratégie des « nouvelles routes de la soie » et un contrepoids à l’influence américaine en Eurasie. La rivalité sino-américaine est déjà à l’œuvre aussi dans le cyberespace et dans la zone Asie-Pacifique où Washington tente d’endiguer les ambitions chinoises en tissant des liens étroits avec les Etats de la région qu’inquiètent la montée en puissance de la Chine (Australie, 17 Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei. 18 Elle est l’émanation du « groupe de Shanghai » constitué en 1996. Plusieurs États sont candidats à l’adhésion (Biélorussie, Égypte, Arabie saoudite, Qatar, Bahreïn, Maldives, Émirats arabes unis, Koweït, Birmanie, Turquie). Les demandes de Statut d’observateur des Etats-Unis et du Japon ont été rejetées. 28 Japon, Vietnam, Indonésie). Sur le front européen, les Etats-Unis poursuivent l’objectif de l’expansion vers l’Est du système « euro-atlantique ». En réaction, la Russie décide d’envahir l’Ukraine (février 2022) dont le régime est accusé de pactiser avec les Occidentaux en vue d’adhérer à l’Union européenne et à l’OTAN, développe son Partenariat stratégique avec la Chine et relance ses ambitions de puissance eurasienne face à ce qu’elle considère comme une stratégie occidentale visant à l’isoler. Graham Allison (Destined for War : Can America and China Escape Thucydides's Trap? 2017), évoque le « piège de Thucydide » en référence à la guerre du Péloponnèse opposant Athènes à Sparte en comparaison au contexte de « nouvelle guerre froide sino- américaine ». Préoccupée par la montée en puissance de la Chine, les gouvernements américains depuis la Présidence Obama ont engagé le basculement de la stratégie américaine vers le « pivot » Asie-Pacifique. Cela se traduit par la réactivation des alliances avec l’Australie (AUKUS), le Japon et l’Inde (« Quad »), les réassurances données à Taïwan dans l’hypothèse d’une invasion chinoise de l’île, les soutiens diplomatiques aux pays de la région ayant des différends avec Pékin à propos de la souveraineté sur les îles de la mer de Chine orientale (Vietnam, Philippines, Indonésie). NB : La constitution en 2007 du « Quad » à l’initiative de Washington en 2007 marque un premier pilier de l’alliance des puissances qui comptent (Australie, Inde, Japon) en vue « d’endiguer » la Chine, pour reprendre une vieille notion au cœur de la doctrine Truman de « containment » destinée en son temps à contrer l’URSS19. Ainsi, la fin de la Guerre froide fait entrer les relations internationales dans un processus de recomposition, une période dangereuse d’instabilité dont nul ne peut mesurer ni la durée, ni l’intensité. Le système international est en pleine transition. À la prédominance américaine post-Guerre froide succèderait une phase de redistribution des forces à l’échelle mondiale, un monde plus multipolaire dominé par quelques puissances émergentes. Cette redistribution pourrait conduire soit à une configuration de type « ChinAmérica », c’est-à-dire un retour vers un nouveau duopole qui rappelle la cogestion des affaires du monde par les deux superpuissances durant la Guerre froide. 19 Un Sommet du « Quad » a réuni à Tokyo en mai 2022, les dirigeants de l’Australie (Anthony Albanese), des États-Unis (Joe Biden), de l’Inde (Narendra Modi) et du Japon (Fumio Kishida). 29 D’autre part, le conflit entre la Russie et l’Ukraine depuis 2022 a accéléré le processus de réalignement dans le monde, révélant un « Sud global » qui affirme une posture non- alignée dans l’opposition Occident - Russie. La majorité des pays qui ont refusé de condamner l’invasion russe se trouve au Sud (Afrique du Sud, Algérie, Inde, Iran, Kazakhstan, Vénezuela, Vietnam). Est-ce le renouveau de la politique de non-alignement durant la Guerre froide ? Tout semble le laisser penser comme l’illustre le refus du « Sud global » de s’engager dans la rivalité sino-américaine, dans une nouvelle Guerre froide. Conseils de lecture. Bertrand Badie, Fin du leadership américain ? L’État du monde 2020, La Découverte, 2019.. Bertrand Badie, Le Temps des humiliés. Pathologie des relations internationales, Odile Jacob, 2014,.. Georges Corm, Le nouveau gouvernement du monde. Idéologies, structures, contre-pouvoirs, La Découverte, 2010.. Sylvie Delannoy, Géopolitique des pays émergents. Ils changent le monde, PUF, Coll. Major, 2012.. Peter Frankopan, Les routes de la soie, l’histoire du cœur du monde, Nevicata, 2017.. Peter Frankopan, Les nouvelles routes de la soie, L'émergence d'un Nouveau Monde, Nevicata, 2018.. Gustave Massiah, Une stratégie altermondialiste, La Découverte, 2011.. Philippe Ryfman, Les ONG, 3è édition, La Découverte, 2014.. Jean Ziegler, L’empire de la honte, Fayard poche, 2007. 30