Summary

L'histoire de l'oeil d'émeraude. Il s'agit d'une nouvelle écrite par Henri Vernes relatant l'aventure de Bob Morane. L'histoire est située en Chine aux environs de Hong Kong.

Full Transcript

L’œil d’émeraude (une aventure du héros Bob Morane) Une nouvelle écrite par Henri Vernes et publiée dans le cadre de l’action «La fureur de lire» (FWB) * -Cette jonque qui nous suit sans a...

L’œil d’émeraude (une aventure du héros Bob Morane) Une nouvelle écrite par Henri Vernes et publiée dans le cadre de l’action «La fureur de lire» (FWB) * -Cette jonque qui nous suit sans arrêt commence à m’inquiéter mon vieux Bob... Le personnage qui venait de parler était un jeune homme blond, sympathique, de type parfaitement britannique. Il s’adressait à un grand gaillard musclé, au 5 visage énergique couronné par des cheveux noirs coupés en brosse et qui tenait la barre du cotre qui louvoyait à travers les nombreuses îles et îlots parsemant la mer aux environs de Hong-Kong. L’homme aux cheveux en brosse tourna la tête à son tour en direction de la jonque à un seul mât qui, depuis plus d’une heure, voguait dans leur sillage. Il fit la 10 grimace. -Peut-être s’agit-il de simples pêcheurs, dit-il. Je me demande cependant pourquoi ils auraient peint leur vaisseau en noir... Longuement, il regarda autour de lui, comme s’il cherchait quelque chose sur l’étendue verte de la mer, mais il n’y avait que les îlots, au-delà desquels, sur la 15 gauche, on apercevait le ruban sombre de la côte chinoise. -Un coin de rêve pour une agression, dit encore l’homme aux cheveux en brosse. À part nous et cette jonque, pas un seul bateau dans les parages et, si un vaisseau de Sa majesté faisait son apparition, je me mettrais aussitôt à croire aux miracles... Cela faisait une huitaine de jours que Bob Morane, revenant du Japon, était 20 arrivé à Hong-Kong, pour y passer quelque temps chez son ami Peter Quimby, fils d’un riche commerçant anglais. Depuis la veille, les deux compagnons étaient partis pour une brève croisière à bord du voilier de Peter, qui voulait faire visiter à Morane les environs de la grande cité commerciale asiatique. Quimby n’avait cessé de regarder en direction de la jonque. 25 -On dirait qu’elle se rapproche de plus en plus, fit-il remarquer. Morane tourna à nouveau la tête, et il lui fallut se rendre à l’évidence : la jonque grossissait sans cesse. -Je me demande comment cela peut être possible, fit-il. Nous avons toute notre toile, et ce rafiot, avec sa mauvaise voile de roseaux ne doit même pas atteindre la 30 moitié de notre vitesse... -Pourtant, il n’y a pas à douter, dit Peter, elle nous remonte sans coup férir... L’Anglais venait à peine de prononcer ces paroles qu’un bruit de moteur se fit entendre. -Un diesel ! s’exclama Morane. Cette vieille barcasse marche au diesel ! Je veux 35 bien être pendu par les pouces si cela ne cache pas quelque chose de louche... À cet instant précis, un pavillon monta à la pomme du mât de la jonque, qui ne se trouvait plus à présent qu’à quelques encablures du voilier. C’était un vulgaire carré de drap noir sur lequel était cousu un dragon rouge stylisé, coupé lui aussi dans un morceau de drap. 40 -Le Dragon Rouge ! dit Quimby. Nous avons affaire à ce bandit de Tao Su ! Tao Su était un pirate chinois célèbre dans la région de Hong-Kong et de Macao et dont les jonques menaçaient sans cesse les voies de communications maritimes. Malgré plusieurs expéditions punitives entreprises contre lui par les unités de la Navy stationnées à Hong-Kong, on n’avait pu encore mettre fin à ses 45 agissements. -J’ai entendu parler de ce Tao Su, fit Bob, et il ne doit pas avoir l’habitude de plaisanter. Ou je me trompe fort, ou il serait temps de nous défiler... -Et comment ! jeta Peter Quimby en disparaissant par l’écoutille menant à la cale arrière. 50 Morane l’entendit qui s’expliquait avec le moteur qui, presque aussitôt, se mit à tourner. Son étrave soulevée au-dessus de l’eau comme celle d’un canot automobile, le cotre1 fila à une vitesse accrue. Malgré cela, il s’avéra bientôt qu’il ne pourrait parvenir à distancer le bâtiment pirate qui, entraîné par son puissant diesel, se rapprochait même toujours davantage. 55 -Je me demande ce que ces bandits peuvent bien nous vouloir, demanda Morane. Ils doivent quand même bien se douter qu’un yacht de plaisance ne transporte pas de cargaison de valeur... -Non, mais les passagers peuvent avoir de l’argent, ou encore servir d’otages en prévision d’une demande de rançon. 60 Une détonation sourde retentit et un obus vint faire jaillir une gerbe d’eau à une vingtaine de mètres en avant du cotre. -L’artillerie à présent, fit Bob. Notre petite excursion prend une allure de plus en plus sinistre. Cependant, après plusieurs nouveaux coups de canon, il fut aisé de se rendre 65 compte que les pirates ne voulaient pas couler le yacht, mais seulement intimider ses passagers. -S’ils nous coulent, fit remarquer Peter, l’argent que nous pouvons transporter coulera lui aussi et sera perdu pour tout le monde. Voilà pourquoi ils préféreront assurément nous capturer. 70 La canonnade avait en effet cessé et la jonque se rapprochait de plus en plus. Visiblement, ses occupants s’apprêtaient à l’abordage. Peter Quimby disparut dans la cabine et en revint quelques instants plus tard avec deux lourds colts automatiques. Il en tendit un, avec plusieurs chargeurs, à Morane, en disant : 1 Petit navire à voile à un seul mât. 75 -Quand ils aborderont, nous nous mettrons à tirer tous deux ensemble, en tentant d’abattre le plus de pirates possible. Ensuite, ce sera à la grâce du ciel... Morane glissa l’automatique dans sa ceinture et les chargeurs dans sa poche. -Nous défendre serait bien, dit-il, mais nous ne tarderions pas à succomber sous le nombre. Mieux vaudrait tenter de nous échapper... 80 -Nous échapper ? interrogea le jeune Anglais. Je ne vois pas comment nous pourrions y réussir. Cette maudite jonque gagne sans cesse sur nous. Tendant le bras, Morane montra sur la gauche un groupe d’îlots formant un labyrinthe d’eau et de rocs. -Glissons-nous entre ces rochers, dit-il. Notre bateau est assurément plus facile à 85 manœuvrer que la jonque, et nous parviendrons peut-être ainsi à la distancer. -Tentons notre chance, approuva Quimby. Tout ce que nous pouvons risquer, c’est d’améliorer notre position. Sous l’impulsion du gouvernail, le yacht se dirigea vers le groupe d’îlots, entre lesquels il s’engagea bientôt. Pourtant, malgré tous les efforts de Bob, ils ne 90 parvinrent pas à distancer la jonque de façon appréciable. Certes, elle avait disparu au détour des rochers, mais on entendait toujours le bruit de son moteur, tout proche. C’est alors que Peter Quimby désigna une faille étroite dans les falaises d’un îlot et qui, après avoir fait un coude, semblait se prolonger assez loin à l’intérieur du rocher. 95 -Allons nous dissimuler au fond de cette faille, dit l’Anglais. En passant devant, les pirates ne nous apercevront pas et nous perdront. Par la suite, ils se lasseront peut-être et nous laisseront en paix... Sans hésiter, Morane engagea le yacht dans la faille, qui se révéla par bonheur trop étroite pour laisser passage à la jonque. Après un coude à angle droit, derrière 100 lequel le cotre devait passer totalement inaperçu, le passage se terminait brusquement en un cul-de-sac au fond duquel s’ouvrait une caverne à laquelle on pouvait accéder en gravissant un éboulis de rochers. Peter Quimby avait arrêté le moteur du yacht et l’on entendait celui de la jonque qui se rapprochait sans cesse, pour décroître, puis devenir à nouveau plus intense, et 105 ainsi de suite. -Ils continuent à nous chercher, dit Bob. S’ils repassent par ici, ils ne finiront pas avoir leur attention attirée par la faille. Ils enverront alors une embarcation quelconque l’explorer et... Le Français n’acheva pas sa phrase. Il passait et repassait les doigts dans la 110 brosse de ses cheveux en signe d’incertitude. Finalement, il tendit le bras vers l’entrée de la caverne, au sommet de l’éboulis. -Et si nous allions nous réfugier là-haut ? fit-il. Avec nos revolvers, nous parviendrons à tenir tête pendant un bon bout de temps à nos ennemis et peut- être les coups de feu finiront-ils par attirer quelque patrouilleur britannique qui 115 enverra une chaloupe de ce côté... Peter alla chercher une torche électrique dans la cabine du cotre et les deux hommes, quittant le bord, se mirent à grimper le long de l’éboulis, jusqu’à ce qu’ils eussent atteint l’entrée de la caverne. Du menton, Morane désigna l’intérieur. 120 -Jetons un coup d’œil là-dedans, fit-il. Si les pirates s’avisent de venir nous traquer jusqu’ici, peut- être serons-nous heureux de connaître les lieux. Sans prononcer une parole, les deux amis s’enfoncèrent dans la grotte que la lumière, venant du dehors, éclairait de façon indirecte. Au fur et à mesure qu’ils avançaient, l’obscurité se faisait plus épaisse, et Peter 125 allait allumer sa lampe, quand ils s’arrêtèrent stupéfaits. Devant eux, des centaines d’yeux scintillaient, ronds comme des pièces d’or et tous braqués dans leur direction. Quimby avait reculé d’un pas en disant, avec un peu de frayeur dans la voix : -La caverne aux Mille Regards !... Nous sommes dans la caverne aux Mille Regards! 130 -Et si vous allumiez votre lampe, dit Morane sans chercher à comprendre paroles de son compagnon. Peut-être verrions-nous de quoi il retourne... L’Anglais pressa sur le bouton de sa torche et le faisceau lumineux éclaira un étrange spectacle. Tout le long de la paroi rocheuse, profitant de chaque crevasse, de chaque aspérité pour se poser, des centaines de hiboux étaient perchés. 135 Cette fois, toute frayeur avait quitté Quimby. Il se mit à rire. -Voilà donc le secret de la caverne aux Mille Regards ! Ce sont ces pauvres hiboux qui, venus de la côte pour se mettre à l’abri du jour dans ces grottes profondes, ont créé la légende... -Et si vous me contiez un peu de quoi il s’agit, Peter, fit Morane. Je ne comprends 140 rien de rien à ce que vous me racontez avec votre caverne aux Mille Regards. -C’est vrai, Bob, vous ne pouvez savoir. Laissez- moi donc vous conter l’histoire du mandarin Lin-Peï- Min et du méchant Lou-Tchin-Si... * -Voilà un siècle environ, commença Peter Quimby, vivait à Hong-Kong un riche 145 mandarin, Lin-Peï-Min, renommé pour sa sagesse et sa bonté. Dans sa jeunesse, Lin-Peï-Min avait, à la suite d’un accident, perdu un œil qu’on avait remplacé par une bille d’émeraude taillée. Mais, malgré son œil postiche, Lin-Peï-Min était estimé de tous, sauf d’un autre mandarin qui le haïssait justement à cause de sa renommée. Ce mandarin, nommé Lou-Tchin-Si, fit une nuit enlever Lin-Peï-Min par 150 ses sbires, le mena dans une grotte située sur une île et, là, le fit décapiter. Ce crime fut puni sans retard, car comme le jour était venu, alors qu’ils transportaient le corps de leur victime, cousu dans un sac, hors de la caverne, Lou-Tchin-Si et ses complices aperçurent des milliers d’yeux allumés dans les ténèbres et braquant sur eux des regards pleins de reproches. Devenus subitement fous, les assassins 155 coururent jusqu’à la mer et s’y précipitèrent, abandonnant au gré des flots la dépouille mutilée de Lin-Peï-Min. On connaît l’attachement que les Chinois portent à leurs morts. Ils pensent que ceux-ci ne peuvent accéder au Royaume des Bienheureux qu’à condition d’être intacts. Les parents de Lin-Peï-Min ayant réussi à retrouver son corps, qui avait été recueilli par des pêcheurs, firent recoudre la tête 160 sur les épaules, mais ils s’aperçurent alors que l’œil d’émeraude manquait. Il avait appartenu au mandarin durant la plus grande partie de sa vie ; sans lui, Lin-Peï-Min demeurerait une âme errante jusqu’à la fin des temps. L’œil d’émeraude ne fut jamais retrouvé par la suite, ni d’ailleurs la grotte où avait eu lieu le crime. Seuls quelques-uns des hommes de Lou-Tchin-Si avaient réussi à regagner Hong-Kong, où 165 ils propagèrent la légende de la caverne aux Mille Regards. Aujourd’hui encore, dans son mausolée en marbre, la momie du mandarin attend le miracle qui lui rendra son œil perdu, lequel, suivant la tradition lui permettrait seul de gagner le repos éternel... Quand Peter Quimby eut fini de parler, Morane hocha doucement la tête. 170 -Une bien belle histoire, fit-il, un peu sinistre mais belle quand même. Rien ne dit cependant que nous nous trouvions dans la caverne où ce pauvre Lin-Peï-Min a été assassiné. Il doit y avoir pas mal d’excavations semblables creusées dans ces îlots, où d’autres hiboux viennent se réfugier eux aussi... -Bien sûr, bien sûr... reconnut l’anglais. Mais cela ne doit pas nous empêcher 175 d’explorer cette caverne. Je n’entends plus le moteur de la jonque. Sans doute les pirates, lassés, ont-ils décidé de s’éloigner. Morane ne répondit pas immédiatement. Malgré la menace des pirates qui, comme venait de le supposer Peter, semblaient avoir interrompu leurs recherches, il se sentait intéressé par la caverne aux Mille Regards et par sa légende. 180 -Vous avez raison, Peter, dit-il enfin. Jetons un coup d’œil au fond de cette grotte. Après tout, nous n’avons rien à y perdre... Sans se soucier autrement des inoffensifs hiboux, Bob et son ami continuèrent à avancer, empruntant un couloir si étroit que, parfois, ils devaient progresser de côté. Ils parvinrent enfin à une sorte de rotonde dont le plafond laissait passer la 185 lumière du jour par une étroite crevasse. À une dizaine de mètres l’un de l’autre, deux squelettes humains gisaient sur le sol. À côté de celui se trouvant le plus près de la sortie un sac de cuir pourri laissait échapper des objets précieux : petits bouddhas d’or massif incrustés de pierreries, brûle-parfums richement ciselés, colliers, bagues et joyaux de toutes sortes... 190 En inspectant les deux squelettes, Peter reconstitua rapidement le drame qui s’était déroulé là. -Sans doute s’agit-il de deux voleurs, supposa-t-il. Après avoir pillé la jonque de quelque riche marchand, ils se seront réfugiés ici pour partager leur butin. Au lieu de cela, ils se seront entre-tués, et le vainqueur se sera traîné vers la sortie de la 195 caverne, sans pouvoir l’atteindre cependant, car il succomba presque aussitôt à ses blessures. Mais Bob ne semblait pas prêter attention aux paroles de son compagnon. Avec intérêt, il tournait et retournait entre ses doigts un objet qu’il venait de découvrir au fond du sac en cuir : une sorte de bille taillée dans une matière 200 verdâtre. -On dirait une émeraude, fit-il enfin. Mais comme elle est étrangement travaillée ! Elle ressemble à un œil... Les regards des deux hommes se croisèrent. Une même idée leur était venue, mais ils ne la formulèrent pas immédiatement. Ce qui leur arrivait leur semblait 205 tellement incroyable qu’ils se demandaient s’ils n’étaient pas le jouet d’une hallucination. Peter Quimby, le premier, parla. -Serait-il possible que nous ayons trouvé ce que la famille de Lin-Peï-Min cherche depuis un siècle ? Ce que je me demande, dans ce cas, c’est comment ces voleurs ont pu entrer en possession de l’œil d’émeraude... 210 -Sans doute les hommes de Lou-Tchin-si, après avoir décapité Lin-Peï-Min, cachèrent-ils les trésors qu’ils lui avaient dérobés, en même temps que l’œil d’émeraude, quelque part dans la caverne, tenta d’expliquer Morane. Par la suite, deux d’entre eux, ayant échappé à la mort et à la folie, peuvent être revenus ici pour récupérer le trésor. Ils se seront battus pour la possession de celui-ci et aucun 215 d’entre eux n’aura survécu à ses blessures... Bob se tut un bref instant, pour reprendre ensuite : -Naturellement, ce ne sont là que des suppositions, mais cette théorie en vaut bien une autre. Quimby haussa les épaules et dit : 220 -Tout cela a d’ailleurs bien peu d’importance. Le hasard fait souvent bien les choses, Bob, et le principal est que nous ayons trouvé l’œil. Je connais les descendants de Lin-Peï-Min, qui habitent toujours Hong-Kong. Ils seront heureux de pouvoir joindre l’œil d’émeraude à la momie de leur malheureux ancêtre et, en même temps, assurer son repos éternel. 225 Morane ne put s’empêcher de faire la grimace. -Il nous faudrait avant tout regagner Hong-Kong. Reste à savoir si les pirates de Tao Su nous en laisseront la possibilité. Mais retournons au yacht. Là, nous verrons bien de quel côté souffle le vent. Après avoir enveloppé les richesses contenues dans le sac de cuir dans une de 230 leurs vestes, les deux hommes se mirent en devoir de quitter la caverne. Quand ils se retrouvèrent à bord du cotre, ils prêtèrent longuement l’oreille, mais aucun son ne leur parvint. -Je crois que nous pouvons tenter notre chance, dit Bob. Les pirates auront cru que nous avons réussi à fuir, et ils seront partis à la recherche d’autres victimes. 235 Ils mirent le moteur en marche et sortirent de la faille. Nulle part, ils ne devaient apercevoir la jonque pirate. Ils menèrent alors le cotre parmi les îlots et regagnèrent la pleine mer. Là, ils hissèrent les voiles et mirent le cap sur Hong- Kong. Cela faisait dix minutes à peine qu’ils naviguaient ainsi quand, soudain, Bob, qui 240 tenait la barre, poussa une exclamation dans laquelle le dépit et la peur se mêlaient. -Là, la jonque ! Elle venait d’apparaître en effet de derrière un îlot proche, par l’avant et il n’y avait plus, cette fois, ni moyen de fuir, ni de lui échapper. 245 -Préparons-nous à nous défendre, dit Bob en tirant son automatique. La jonque noire arrivait droit sur le yacht et Peter Quimby s’était jeté à plat ventre derrière le bordage, prêt à ouvrir le feu sur les agresseurs. Au moment où les vaisseaux n’étaient plus qu’à quelques mètres l’un de l’autre, Morane donna un adroit coup de barre et le cotre, docile comme un cheval dompté, fila soudain le 250 long des flancs du bateau pirate, si près que trois Chinois, enjambant la lisse2, purent se laisser tomber sur le pont du yacht. Presque en même temps, Bob et Peter en foudroyèrent un chacun d’un coup de feu. Le troisième s’était précipité sur Bob, son large coupe-coupe levé. Avant même que le Français ait eu le temps de presser une seconde fois la détente de son automatique, le pirate était sur lui. Le coupe- 255 coupe s’abattit mais Bob, d’un retrait du corps, réussit à l’éviter de justesse. Il entendit le sifflement de la lame à son oreille puis, comme le pirate, emporté par son élan, avait trébuché, il le frappa derrière la nuque à l’aide du canon de son arme et, le saisissant de sa main libre par le fond du pantalon, il le fit passer par- dessus bord. 260 Le cotre avait à présent dépassé la jonque. Bob reprit la barre qu’il avait dû abandonner pendant un instant. Le bateau pirate, plus lourd à manœuvrer, avait été laissé en arrière, mais ce succès ne devait être que fugitif car, dans la ligne droite, avec son puissant diesel, il n’aurait aucune peine à rejoindre le yacht. 2 Pièce horizontale d'un garde-fou. -Nous ne nous en tirerons par, fit Peter Quimby d’une voix désespérée. Quand ces 265 bandits se lanceront en masse à l’abordage, nous succomberons sous le nombre. -Et ce qui me fait enrager davantage encore, dit Morane en serrant les dents et en songeant aux objets précieux et à l’œil d’émeraude trouvés dans la caverne aux Mille Regards, c’est que cette fois leur butin ne sera pas négligeable. Mais presque aussitôt, son visage s’éclaira. 270 -Sauvés ! s’écria-t-il. Sauvés ! Nous sommes sauvés !... De derrière un groupe de rochers en forme de crocs gigantesques, la longue forme grise d’un destroyer britannique venait d’apparaître. La jonque pirate tenta bien de fuir, mais un obus la toucha en plein sous la ligne de flottaison et elle coula aussitôt. Il ne resta plus alors aux marins du destroyer qu’à mettre des canots à la 275 mer pour recueillir les pirates survivants. Peter Quimby s’était mis à rire nerveusement. -Vous voyez, Bob, qu’il ne faut jamais désespérer des marins de Sa Majesté... Bob Morane ne répondit pas, mais il songeait que c’eût été avec allégresse qu’il aurait serré chacun de ces marins-là sur son cœur. 280 Le lendemain, le yacht regagnait Hong-Kong. Aussitôt, Bob et Peter devaient se rendre chez les héritiers du mandarin Lin-Peï-Min, auxquels ils remirent l’œil d’émeraude. Cependant, ces héritiers, qui étaient riches, refusèrent de recevoir les autres objets précieux trouvés dans le sac de cuir, et ils prièrent les deux amis de les accepter en 285 souvenir de leur ancêtre. Et c’est ainsi que, grâce à l’esprit aventureux de Bob Morane et de son ami anglais Peter Quimby, l’esprit de l’infortuné mandarin Lin- Peï-Min put enfin gagner le Royaume des Bienheureux. 9

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