Leçon 5 : Les évolutions à l’époque moderne (sources du droit) PDF
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Université Toulouse Capitole
2024
Philippe Nelidoff
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These notes cover the evolution of legal sources in modern France (16th to 18th centuries). Topics include the official codification of customs and the rise of royal legislation, including significant legal texts.
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Leçon 5 : Les évolutions à l’époque moderne (sources du droit) Philippe NELIDOFF Licence 1 Droit - UE 3 Introduction à l'histoire du droit Septembre 2024 Pr. Philippe NÉLIDOFF - L1 Droit - Introduction à l'histoire du droi...
Leçon 5 : Les évolutions à l’époque moderne (sources du droit) Philippe NELIDOFF Licence 1 Droit - UE 3 Introduction à l'histoire du droit Septembre 2024 Pr. Philippe NÉLIDOFF - L1 Droit - Introduction à l'histoire du droit - Cours protégé par le droit d'auteur - Septembre 2024 Table des matières Objectifs 3 Introduction 5 I - L'évolution des sources traditionnelles du droit 6 1. La rédaction officielle des coutumes et ses conséquences............................................................... 6 2. La seconde renaissance du droit romain.................................................................................................. 8 3. L’impact du gallicanisme sur la réception du droit canonique......................................................... 9 II - La montée en puissance de la législation royale 11 1. Le développement de la législation royale........................................................................................... 11 2. L'enseignement du droit français............................................................................................................. 13 III - Les lois fondamentales du royaume 16 1. La transmission de la Couronne................................................................................................................ 16 2. Le statut du domaine royal : l’inaliénabilité.......................................................................................... 18 2 Objectifs La leçon 5 a pour objectif de traiter de l’évolution des sources du droit entre le XVIe et le XVIIIe siècles. Description : La première section aborde l’évolution des sources traditionnelles du droit, avec le mouvement de rédaction officielle des coutumes, la seconde renaissance du droit romain, l’humanisme juridique ainsi que les influences gallicanes. La seconde section traite de la montée en puissance de la monarchie française qui se traduit concrètement par un renouveau de l’activité législative, et l’introduction de l’enseignement du droit français, qui vient compléter l’enseignement traditionnel des droits savants dans les Facultés de droit. Une troisième section aborde les « lois fondamentales du royaume », Constitution coutumière de l’ancienne France. Conseils méthodologiques : il est demandé aux étudiants de pouvoir situer dans le temps les grands règnes à partir du XVIe siècle. Durée de la leçon : 5h Chronologie de l’époque moderne concernant les leçons 5 et 6 Règnes des rois de France : François Ier : 1515-1547 Henri II : 1547-1559 François II 1559-1560 Charles IX : 1560-1574 Henri III : 1574-1589 Henri IV : 1589-1610 Louis XIII : 1610-1643 Louis XIV : 1643-1715 Louis XV : 1715-1774 Louis XVI : 1774-1792 Grands textes juridiques : 1510 : rédaction officielle de la coutume de Paris (réformée en 1580) 1516 : concordat de Bologne entre la royauté et la papauté portant notamment sur la procédure de nomination des évêques 1522-1590 : Jacques Cujas, principal représentant de l’humanisme juridique 1539 : Ordonnance de Villers-Cotterets (registres paroissiaux des baptêmes et des décès), abandon du latin dans les actes juridiques civils 1566 : ordonnance et édit de Moulins 1579 : ordonnance de Blois : réception partielle des réformes opérées par le concile de Trente (1545- 1563) : publicité des mariages, tenue des registres paroissiaux prouvant les mariages 1598 : édit de Nantes mettant fin aux affrontements entre catholiques et protestants 1667 : ordonnance sur la procédure civile 1669 : ordonnance forestière 1670 : ordonnance sur la procédure criminelle 3 Objectifs 1673 : ordonnance sur le commerce de terre 1679 : édit de St Germain créant les professeurs royaux de droit français 1681 : ordonnance sur la Marine 1682 : Déclaration des 4 articles : charte du gallicanisme 1685 : « code noir » sur l’esclavage 1685 : révocation de l’édit de Nantes 1731 : ordonnance sur les donations 1735 : ordonnance sur les testaments 1747 : ordonnance sur les substitutions 1787 : édit de tolérance instaurant le mariage civil pour les protestants 4 Introduction Il faut tout d’abord s’entendre sur les mots et sur les dates. On appelle époque moderne, en France, la période qui suit le Moyen-Age et se termine avec la Révolution française, ce qui englobe les XVIe, XVIIe, et XVIIIe siècles. On peut hésiter sur le point de départ exact de cette période. On pourrait prendre pour référence la date de 1492 qui correspond à la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, à la fin de la reconquête de l’Espagne par les rois catholiques (prise de Grenade), au début des guerres menées par la France en Italie (époque de Charles VIII) et la publication par Antonio de Nebrija de la Gramatica Castellana, première grammaire rédigée dans une langue vernaculaire (nationale par opposition au latin) imprimée en Europe, alors que la date classiquement retenue pour la publication de la Bible de Gutenberg (premier livre imprimé en Europe) est celle de 1455. De manière classique, nous retiendrons la date de 1453 qui correspond à la fois à la fin de la guerre de Cent ans et à la prise de Constantinople par les Ottomans, mettant ainsi fin à l’Empire romain (en Orient). On voit que tous ces découpages sont discutables. Ils reposent sur la prise en compte d’évènements majeurs du point de vue politique, militaire ou culturel, avec un arrière-plan national qu’il ne faut pas négliger non plus. Pour notre sujet centré sur les sources du droit et la justice, qui constitue le prisme d’une réflexion plus générale sur l’évolution du pouvoir politique, des institutions et de l’Etat, la toile de fond est bien celle de la montée en puissance de la monarchie française, qui reprend à son profit les idées romaines, incarne la souveraineté et a acquis son indépendance, tant à l’égard de l’empereur germanique que de la papauté. Les légistes français ont beaucoup contribué à cette affirmation de la monarchie qui était féodale, puis tempérée et qui devient de plus en plus administrative et centralisée, à travers l’évolution de ses institutions et de ses pratiques. Les trois siècles sur lesquels porte notre étude sont jalonnés de règnes importants : ceux d’Henri IV (1589-1610), de Louis XIII (1610-1643), Louis XIV (1643-1715), Louis XV (1715-1774) et Louis XVI (de 1774 à la Révolution française). Trois questions retiendront tout particulièrement notre attention : l’évolution durant cette période des sources traditionnelles du droit, tant du côté du droit coutumier que des droits savants, la montée en puissance de l’activité législative de la monarchie et la question des lois fondamentales du royaume. 5 I L'évolution des sources traditionnelles du droit Il nous faut ici nous tourner à nouveau vers le droit coutumier et les droits savants et voir comment ils évoluent sous l’Ancien Régime. 1. La rédaction officielle des coutumes et ses conséquences Par rapport à l’époque médiévale caractérisée qui était l’âge d’or de la coutume, nous observons, à l’époque moderne, une évolution de l’extrême diversité coutumière vers l’émergence d’un droit commun coutumier, une évolution qui doit beaucoup à la rédaction officielle des coutumes qui va produite d’importantes conséquences sur le temps long. Nous avons déjà vu que longtemps orales, les coutumes ont fait l’objet dès l’époque médiévale d’une rédaction, soit à l’initiative de praticiens du droit, soit des autorités municipales. Ce mouvement va s’amplifier considérablement à l’époque moderne lorsque la monarchie va conduire, elle- même, le mouvement. Cette évolution doit être rattachée à un phénomène beaucoup plus général qui est celui de la reprise en main du royaume au sortir de la guerre de Cent ans, sous le règne de Charles VII. Plusieurs décisions importantes sont prises à cette époque. Elles vont toutes dans le sens de la construction de l’Etat monarchique : Une ordonnance de 1439 crée l’armée royale permanente, en mettant fin aux armées féodales, une armée qui va être désormais financée par l’impôt de la taille royale, impôt direct de répartition dont la noblesse est exemptée, dans la mesure où elle paie « l’impôt du sang », c’est-à-dire supporte les risques inhérents à la guerre. Nous avons déjà mentionné le début de l’installation en province des parlements, en particulier l’installation définitive du parlement à Toulouse en 1444. A partir de cette période donc, il est manifeste que la justice royale surplombe l’ensemble de l’édifice juridictionnel, et notamment en raison de la généralisation de la procédure de l’appel relatif aux décisions rendues par les juridictions laïques inférieures : les juridictions royales et les autres, réserve faite des affaires de moindre importance. C’est l’ordonnance de Montils-les-Tours (1454), en son article 125, qui va lancer le mouvement de rédaction officielle des coutumes en France. Si le roi intervient, c’est parce qu’il est le garant d’une bonne administration de la justice, engagement qu’il a pris solennellement au moment de son sacre. Pour rendre une meilleure justice, il est donc décidé de mettre par écrit, de manière officielle, les différentes coutumes. La mise en œuvre de cette décision se heurtera à bien des difficultés concrètes, faute d’une procédure équilibrée qui respecte les intérêts de tous : du roi, des justiciables, des praticiens, les traditions et habitudes locales. Peu de coutumes sont donc rédigées dans la seconde moitié du XVe siècle, si ce n’est dans des régions où le roi est très présent (l’Anjou, le Maine, la Touraine) ou lorsqu’une autorité princière dispose d’un pouvoir suffisamment fort pour imposer la rédaction officielle de la coutume, comme en Bourgogne, à l’époque du duc Philippe de Bourgogne (1459) et antérieurement donc au rattachement de ce territoire au domaine royal (1480, après la mort du dernier duc Charles le Téméraire). Ce n’est qu’à l’extrême fin du XVe siècle, au début du règne de Louis XII (1498) qu’une procédure est enfin acceptée par toutes les parties, rendant ainsi possible l’application concrète de l’ordonnance de 1454. Dans un premier temps, un projet de rédaction officielle de la coutume est rédigé par les praticiens du droit locaux (juges, avocats, notaires…). Ce projet est ensuite soumis aux habitants concernés, en respectant leur représentation par ordres (clergé, noblesse et Tiers-état). Chaque article du projet de coutume est donc discuté, dans chacune de ces trois assemblées, en présence des représentants officiels du roi (des membres du parlement de Paris ou du parlement de la province concernée). A l’issue d’un vote, l’article est donc accordé ou discordé (refusé). 6 L'évolution des sources traditionnelles du droit Enfin, tous ces documents sont réunis, comparés et synthétisés par les représentants du roi (magistrats du parlement) avant publication officielle de la coutume. En application de cette procédure, la plupart des coutumes pourront faire l’objet d’une rédaction officielle dans la première partie du XVIe siècle, qui est la grande époque de la rédaction officielle des coutumes. Ainsi par exemple la coutume de Clermont et surtout celle de Paris qui font l’objet de cette publication en 1510. La coutume de Paris, souvent qualifiée de « coutume princesse » est bien entendu la plus importante parce qu’elle fait l’objet d’une application par le parlement de Paris dans toute l’étendue de son ressort qui est immense. On a donc, à partir de cette époque, un texte officiel de la coutume, applicable par les juridictions des pays coutumiers alors que le droit romain continue à s’appliquer dans les pays de droit écrit, comme tel est le cas pour le ressort du parlement de Toulouse ou de celui de Provence (Aix). Il faut insister sur le fait que la rédaction, même officielle, de la coutume ne la fige pas de manière définitive. Elle permet une application plus sûre du droit, ce qui est dans l’intérêt des justiciables mais le droit reste par nature coutumier, donc évolutif. C’est la raison pour laquelle on assistera, de manière non systématique, à une nouvelle rédaction de la coutume dans la seconde partie du XVIe siècle, à l’époque de la « réformation des coutumes ». Il faut, en effet, tenir compte de l’évolution des idées et des mentalités en un siècle qui est celui des réformes dans tous les domaines de la pensée et aussi du travail de réflexion qui sera mené par les juristes français qui disposent désormais d’un texte qu’il vont pouvoir analyser, commenter, critiquer, comparer aux autres coutumes voisines, à la coutume de Paris, au droit romain, car les influences sont diverses et multiples entre les deux droits et il ne faut pas penser qu’il y a entre eux une cloison étanche. C’est ainsi que la coutume de Paris fera l’objet d’une seconde publication en 1580 et c’est sous cette forme qu’elle constituera plus tard l’un des matériaux de base utilisés par les rédacteurs du Code civil. Ce n’est pas ici le lieu de détailler tous ces commentaires de coutumes. Il suffit d’avoir présent à l’esprit que les praticiens du droit vont exceller dans ce genre qui est celui des commentaires des grandes coutumes. Toutes les coutumes ont leurs commentateurs et la littérature juridique française accordera une place de choix à tous ces commentaires qui feront progresser la science juridique. On parle parfois de conférence de coutumes, ou de conférence entre telle et telle coutume et le droit romain. On peut citer, à titre d’exemple bien connu le commentaire de la coutume du Nivernais par Gui Coquille (1607) ou encore celui sur la coutume de Paris de Charles Dumoulin (1539) ou les Institutes coutumières de Charles Loysel (1607), œuvre dans laquelle ce juriste est parvenu à résumer en adages juridiques les principales règles posées par la coutume de Paris. Tous ces travaux considérables, qui sont souvent l’œuvre d’une vie de méditation et de réflexion, parfois publiés d’ailleurs à titre posthume, vont permettre de dégager un certain nombre de règles, de principes coutumiers communs, d’où la lente élaboration de ce que l’on appelle le droit commun coutumier qui va apparaitre, de plus en plus, comme « le vrai naturel français », c’est-à-dire l’expression la plus pure d’un véritable droit national, alors que, dans les mentalités juridiques classiques, c’est le droit romain qui était considéré comme le «ius commune ». Du point de vue des méthodes d’interprétation du droit, la lente émergence de principes coutumiers communs permet de faire une application large des principes communs, au contraire restrictive de ce qui apparait spécial, voire d’écarter des règles qui apparaissent trop archaïques. Dans le silence de la coutume et, tenant compte de la pluralité des opinions des auteurs coutumiers, on aura tendance à trouver la solution, soit dans les principes communs du droit coutumier, soit dans la coutume de Paris, soit dans une coutume voisine et, à défaut, dans les règles romaines, ce droit apparaissant alors de nature supplétive. On voit, en tout cas, pour conclure sur ce point, que la rédaction officielle des coutumes, même si elle a pris du temps, et s’est d’ailleurs prolongée, jusqu’à la Révolution française, a permis d’intégrer la diversité coutumière au vaste mouvement de fond qui est celui de l’unification du droit français, une unification et une structuration qui seront également renforcées par le travail opéré sur le droit romain au moment de la Renaissance. 7 L'évolution des sources traditionnelles du droit 2. La seconde renaissance du droit romain Le XVIe siècle est le grand siècle en Europe de la Renaissance qui concerne tous les domaines de la pensée et de l’activité humaine. On pense, bien-sûr, aux arts de manière générale : la littérature, la sculpture, la peinture, la musique, l’architecture, l’art des jardins, les sciences et les techniques. Le mot d’ordre est celui de la réforme qui, dans les mentalités de l’époque, est lié au retour à l’Antiquité, considérée comme un âge d’or. Réformer, ce n’est pas innover, c’est plutôt redresser, corriger. Cet esprit de réforme va gagner également la philosophie avec la pensée humaniste, la religion chrétienne, avec la réforme protestante puis catholique et bien entendu, le droit. Le développement de l’humanisme juridique qui va caractériser cette période est précédé de nombreuses critiques faites au monde des juristes, que l’on trouve, en particulier dans l’œuvre de Rabelais, contemporain de la première Renaissance. Sur le mode de la critique burlesque, souvent exagérée, de nombreux passages de l’œuvre de Rabelais critiquent les juges, les avocats, le monde de la justice et de l’université. Les Bartolistes ne sont pas épargnés et leur pensée est considérée comme labyrinthique. A force de multiplier les hypothèses, les arguments dans un sens et en sens contraire, les autorités, on se perd dans les développements et on ne voit plus un raisonnement intelligible. D’où une nouvelle manière et de nouvelles méthodes de penser le droit autour de l’humanisme juridique, avec un certain nombre d’auteurs qui permettront la transition entre la pensée médiévale et la pensée humaniste. L’humanisme juridique est en grande partie de nature historique. Il prône un retour aux sources, une connaissance érudite des textes de droit romain produits dans l’Antiquité et rédigés en latin ou en grec. Il y a donc une approche philologique qui consiste à retrouver la pureté des textes légués par l’antiquité romaine. Il y a aussi le goût d’une interprétation de nature historique qui consiste à intégrer le contexte dans lequel ils ont été rédigés. Il est favorisé par le développement de l’imprimerie (au milieu du XVe siècle par Gutenberg en Allemagne) qui permet une diffusion beaucoup plus grande des savoirs. Initié par André Alciat (+1550), jurisconsulte italien qui enseigna à Bologne et à Pavie, très influencé par l’immense savant que fut Guillaume Budé (+1540), l’humanisme juridique est principalement représenté par Jacques Cujas (1522-1590), fameux juriste d’origine toulousaine dont on célèbre cette année le cinq-centième anniversaire de la naissance, d’où un certain nombre de manifestations scientifiques qui jalonnent cette année académique. Docteur de Toulouse, Jacques Cujas connaitra la vie itinérante qui était celle des professeurs et des étudiants et enseignera surtout à l’université de Bourges qui illustrera le mieux la pensée humaniste appliquée au droit. Il forma plusieurs générations de juristes dont Antoine Loysel et Pierre Pithou, surtout connu pour son traité consacré aux Libertés gallicanes. La réputation de Cujas fut si importante qu’on lui demanda de rejoindre Bologne et même il fut proposé semble-t-il de lever, pour lui, de manière exceptionnelle, l’interdiction d’enseigner le droit romain à Paris (interdiction qui datait de 1219 et qui ne disparaitra finalement qu’à l’époque de Louis XIV). Cujas a travaillé à la fois sur le droit antérieur à Justinien, sur les compilations justiniennes et le droit postérieur à Justinien. Il est parvenu à restituer de nombreuses œuvres de l’Antiquité romaine : l’édit perpétuel du préteur, les Règles d’Ulpien, à la reconstitution des Sentences de Paul, a beaucoup travaillé les commentaires sur Papinien. Il utilise ce que les spécialistes appellent « les basiliques », c’est-à-dire la version grecque byzantine amalgamée du Digeste et du Code qui datait du IXe siècle. Il a publié également des super-gloses qui correspondent à des commentaires portant sur la Grande glose d’Accurse datant du milieu du XIIIe siècle. L’humanisme juridique est prolongé historiquement par l’Ecole du droit naturel ou jus-naturalisme qui marquera la pensée juridique des XVIIe et XVIIIe siècle, avec des auteurs tels que le Hollandais Grotius et l’Allemand Puffendorf ainsi que leurs disciples et continuateurs, tels que le Français Barbeyrac. Marqués par la pensée réformatrice protestante, ces auteurs s’écartent davantage des modes de pensée issus du Moyen- Age. Ils recherchent plutôt les principes généraux du droit, valables dans toutes les sociétés et applicables à toutes les époques car inscrits dans le cœur de tout homme. Ce courant de pensée influencera les œuvres très importantes de Jean Domat au XVIIe siècle et Pothier au XVIIIe siècle, que l’on peut présenter comme les précurseurs du Code civil. 8 L'évolution des sources traditionnelles du droit 3. L’impact du gallicanisme sur la réception du droit canonique Le gallicanisme fait partie des grandes idées politiques qui imprègnent l’Ancien Régime et gouvernent les relations complexes entre la monarchie française et l’Eglise catholique. La monarchie française est évidemment une monarchie chrétienne, en raison de l’ancienneté de la conversion au christianisme (le baptême de Clovis), de l’importance du sacre des rois de France, depuis les Carolingiens, un sacre qui fait de l’héritier de la couronne désigné par les lois fondamentales du royaume le lieutenant de Dieu, celui qui est élu par Dieu pour gouverner son peuple. Le roi de France est qualifié officiellement de « rex christianissimus », roi très chrétien. Pour autant, les rois de France ont défendu très tôt l’indépendance du royaume par rapport à la papauté reconnue dans sa fonction pétrinienne, comme pasteur suprême à la tête de l’Eglise universelle. Mais le royaume est indépendant et les interventions directes de la papauté dans les affaires du royaume de France ne sont pas admises. Les origines historiques du gallicanisme sont anciennes. Un roi aussi religieux que Louis IX, défendra l’indépendance de la justice royale dès le début du XIIIe siècle. A la fin du siècle et au début du XIVe siècle auront lieu les grands conflits entre Philippe le Bel, un roi particulièrement religieux (et qui bénéficie du prestige de la canonisation de son grand-père Louis IX en 1297) et le Pape Boniface VIII, au sujet de la fiscalité puis de la justice royale. Deux théories s’opposent : celle de la théocratie pontificale et de l’autorité directe des papes sur tous les monarques chrétiens, et d’autre part, la théocratie royale qui défend l’indépendance du roi de France qui, en vertu du sacre, est désigné par Dieu pour gouverner son royaume. Il faut d’ailleurs remarquer que le prélat consécrateur lors de la cérémonie du sacre est l’archevêque de Reims et que le Pape n’y participe pas. A une époque qui connait l’ascension des légistes, les juristes de Philippe le Bel, au premier rang desquels il faut placer Guillaume de Nogaret et un certain nombre d’ecclésiastiques ont joué un rôle prépondérant dans l’affirmation de l’indépendance du roi de France. Après l’épisode d’Anagni (septembre 1303), qui est suivi de la mort du Pape boniface VIII un mois plus tard, ce conflit est gagné par le roi de France et ce n’est pas un hasard si l’on a une succession de Papes français au XIVe siècle et si ces Papes résident en Avignon, à proximité immédiate de la monarchie française. Au temps du grand schisme d’Occident (1378-1417) qui voit l’affrontement de deux puis de trois Papes, le gallicanisme se renforce avec la Pragmatique sanction de Bourges (1438) qui prévoit l’élection des évêques par les chapitres cathédraux et des abbés par les religieux, ainsi que la suppression des annates (impôt dû à la papauté durant la première année d’exercice des fonctions). A partir de cette époque, le gallicanisme royal est fermement établi et connaitra d’autres applications, en particulier du côté de l’épiscopat. A partir du concordat de Bologne (1516), il est établi jusqu’à la Révolution française que les évêques français sont proposés par le roi et que l’investiture canonique (le pouvoir religieux) est donnée par la papauté librement. A partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, les évêques français se réunissent régulièrement en Assemblée pour évoquer tant les questions théologiques que toutes les questions liées à la fiscalité puisque l’Eglise de France participe aux charges financières du royaume à travers le système du don gratuit que verse le clergé. Le gallicanisme a également des applications du côté des parlements qui défendent les prérogatives royales et mèneront une politique très offensive en restreignant le plus possible les compétences des justices de l’Eglise, en particulier au moyen de la théorie des cas royaux selon laquelle les affaires qui intéressent les intérêts généraux de la monarchie doivent être jugées par les justices royales et par la procédure de l’appel comme d’abus qui permet aux parlements de recevoir l’appel interjeté par des plaideurs qui estiment que la juridiction ou l’autorité ecclésiastique a outrepassé ses compétences. Comme la répartition exacte des compétences n’a jamais été établie, il y a là un moyen très efficace de réduire la juridiction de l’Eglise. Nombre de controverses auront des répercussions dans la politique religieuse menée par les parlements, qu’il s’agisse du jansénisme ou de la question des Jésuites au XVIIIe siècle. 9 L'évolution des sources traditionnelles du droit Le thème des libertés de l’Eglise gallicane sera particulièrement réactivé au XVIe siècle au moment des affrontements entre catholiques et protestants. La question de la catholicité du roi sera posée au moment de la difficile accession d’Henri IV au trône de France (1589). De cette époque, date le Traité des libertés gallicanes de Pierre Pithou (1594), en 83 articles. Au XVIIe siècle encore, le gallicanisme royal connaitra de nouveaux rebondissements sous le règne de Louis XIV au moment du conflit de la régale (1673-1693) au cours duquel l’Assemblée du clergé publiera, sous l’influence de Bossuet, la déclaration des quatre articles (1682) qui est un véritable manifeste du gallicanisme, tant dans sa dimension temporelle que spirituelle (avec la reprise des théories conciliaristes qui reconnaissent la supériorité du concile universel sur la papauté. Texte que Louis XIV devra retirer (en 1693) en raison de l’opposition durable et efficace de la papauté qui refuse l’investiture canonique aux ecclésiastiques signataires de la Déclaration des quatre articles pour « défaut de saine doctrine ». La question de la réception du droit canonique s’inscrit donc au sein de cette très vaste question du gallicanisme qui a régi en grande partie les relations complexes entre le roi, l’Eglise de France et la papauté. En vertu des principes gallicans, le droit canonique ne s’applique pas directement en France. Il faut qu’une loi française reprenne telle ou telle disposition canonique pour qu’elle soit mise en application dans le royaume. Tel sera le cas pour les canons adoptés par le Concile de Trente (1545-1563) qui est le grand concile de la Réforme catholique. Si un certain nombre d’orientations seront reprises, en particulier en matière de formation du clergé avec la mise en place des séminaires dans les diocèses qui s’effectue durant le siècle suivant, d’autres aspects poseront problème, en particulier l’accent mis par l’Eglise sur le rôle du consentement des époux pour la validité du mariage. La conception française continuera à prendre en compte le consentement des familles. L’édit de 1556 sur les mariages clandestins oblige les époux à recueillir le consentement des parents alors que le concile de Trente s’en tient au seul consentement des époux. Les ruptures de fiançailles sont généralement de la compétence des bailliages et des sénéchaussées. L’ordonnance de Blois (1579) exige que le mariage soit célébré par le curé de la paroisse de l’un des conjoints, avec attribution de compétence à la justice royale. 10 II La montée en puissance de la législation royale Rappel Rappels historiques généraux C’est dans le courant du XIIIe siècle que la notion de souveraineté réapparait en France, en raison à la fois de la capacité militaire dont témoigne la royauté lors de la victoire de Bouvines (1214), du déploiement de la justice royale, de l’indépendance du royaume et de l’activité des légistes royaux, formés au droit romain et qui sont de plus en plus nombreux et influents dans l’entourage immédiat des rois. Il faut ajouter que les épreuves auxquelles le royaume devra faire face au cours des siècles suivants vont permettre à la monarchie d’apparaitre comme la seule institution garante de l’ordre et de la paix. Tel sera le cas durant la guerre de Cent ans (1337-1453), durant laquelle se conjuguent plusieurs fléaux : la guerre, bien-sûr, mais aussi les épidémies de peste noire (qui ont ravagé, selon certains chroniqueurs, la moitié de la population européenne), le grand schisme d’Occident (1378-1417) durant lequel s’affrontent plusieurs papes. Au sortir du long tunnel de la guerre de cent ans, la construction de l’Etat a connu des progrès très importants en matière militaire, de fiscalité, d’organisation de la justice. Les périodes suivantes ne sont pas, non plus, exemptes d’épreuves : les guerres de religion entre catholiques et protestants (1562-1598) qui sont des affrontements d’abord théologiques mais ensuite politico-religieux, avec le moment « Henri IV » et la reconstitution de l’unité grâce notamment à l’édit de Nantes (1598). Plus tard, durant la période des Frondes (1648-1653), après la mort du Cardinal de Richelieu et de Louis XIII (1643), lors de la minorité de Louis XIV et durant la régence d’Anne d’Autriche et le ministère du cardinal Mazarin, se manifesteront des mouvements de contestation du pouvoir de nature très diverse : parlementaire, nobiliaire, populaire. Durant toutes ces crises très graves, le royaume a été parfois au bord de l’implosion. Mais, à chaque fois, c’est le pouvoir royal qui l’emporte et c’est l’Etat royal qui se renforce, avec sa tendance à évoluer vers une monarchie absolue de droit divin dont Louis XIV sera le modèle et Bossuet le chantre, avec ses limites également car l’absolutisme, s’il est sans lien théorique et si le monarque n’a de comptes à rendre qu’à Dieu, au moment du sacre pour gouverner son peuple n’est pas sans limites qui sont explicitées avec le serment fait au royaume et à l’Eglise ainsi que par la remise au roi des « regalia », les insignes du pouvoir royal (conservés à la nécropole de Saint-Denis) qui symbolisent à la fois le mariage mystique du roi avec son royaume (l’anneau royal) mais aussi d’autres aspects essentiels du « métier de roi ». Celui-ci doit, en effet, gouverner droitement et en rendra compte devant Dieu. Il doit rechercher la paix et la justice, il doit défendre le royaume. Il doit respecter les corps intermédiaires : les trois ordres et leurs droits particuliers, les libertés et franchises urbaines, les particularismes provinciaux et locaux, fruits de l’Histoire des territoires et des peuples. A cela s’ajoutent bien d’autres limites concrètes : la faiblesse des moyens de l’administration, la puissance des parlements (nous y reviendrons), la diversité des usages, des mentalités et des langues locales. Bref, la diversité est partout présente de même que la stratification institutionnelle, legs également de l’Histoire. 1. Le développement de la législation royale La montée en puissance de l’activité législative royale connait une nouvelle accélération à partir du XVIe siècle. A cela une raison de fond : la réflexion des légistes (ou publicistes) qui vont penser la souveraineté dans des termes renouvelés, ainsi Jean Bodin dans les Six Livres de la République (1576). Selon la pensée médiévale, en effet, la souveraineté était pensée comme la résultante des prérogatives régaliennes : d’abord la justice, car le roi reste « débiteur de justice » mais aussi tout le reste : la conduite de la guerre, l’activité diplomatique, le maintien de l’ordre, l’activité législative …A partir du XVIe siècle, les légistes se font philosophes et pensent d’abord la souveraineté comme un tout, dans sa plénitude d’autorité, d’où l’apparition de formulations de plus en plus ciselées : « le roi est monarque et n’a point de compagnon en sa majesté royale » (Gui Coquille), « le roi ne tient de nului, fors de son épée », « la souveraineté n’est point si quelque chose y défault ». Au début du XVIIe siècle, Cardin 11 La montée en puissance de la législation royale Le Bret, que l’on présente en général comme le juriste du cardinal de Richelieu écrit : « la souveraineté n’est pas plus divisible que le point en géométrie ». Sans qu’il soit nécessaire d’accumuler davantage ces définitions, on voit bien que ces légistes ont été capables de penser d’abord la souveraineté dans son principe même et d’en tirer ensuite les conséquences qui ne sont autres que les prérogatives régaliennes. Il y a là un renversement de la pensée qui explique l’évolution vers la monarchie absolue, avec également la mise au premier plan, de ces pouvoirs régaliens de la puissance législative de la monarchie, même si le roi reste également le roi de justice. On retrouve ici la pensée romaine tardive selon laquelle le prince est la loi vivante (lex animata), le code de Justinien ne contenant pas moins de 4600 leges. Concrètement, l’activité législative royale va s’exprimer à travers plusieurs types de textes : des ordonnances, des édits et des déclarations royales. Ces textes émanent du Conseil du Roi, (structure polymorphe qui réunit autour du roi ses principaux collaborateurs dont le personnel ministériel) en vertu du principe selon lequel « le roi gouverne à grand Conseil ». Ils sont préparés par les services de la Chancellerie royale et c’est la raison pour laquelle un certain nombre de ces textes ont gardé le nom du Chancelier qui a présidé à leur élaboration. Les ordonnances sont des textes-fleuves, contenant souvent plusieurs centaines d’articles et portant sur des questions très diverses, qui n’ont pas de rapports entre elles. Nous avons déjà évoqué l’ordonnance de Montils-les-Tours (1454) dont l’article 125 lance la rédaction officielle des coutumes. On peut citer également à titre d’exemples l’ordonnance de Villers-Cotterets sur le fait de la justice (1539), l’ordonnance de Moulins (1566 qui prévoit notamment la nécessité de prouver par écrit au-delà d’une certaine somme, règle qui passera à l’article 1341 du Code civil), l’ordonnance de Blois (1579) qui reprend la question de la publicité des mariages et prévoit de garder la preuve écrite des mariages dans les registres paroissiaux. Les édits portent sur des questions spéciales, sur un objet bien déterminé. L’édit de Moulins (1566) traite du statut du domaine royal (avec le principe de son inaliénabilité). La question du protestantisme a par exemple donné lieu à un grand nombre d’édits, depuis les édits de religion de l’époque de Michel de l’Hospital, chancelier de 1560 à 1573 jusqu’à l’édit de Nantes (1598), l’édit de Fontainebleau révoquant le précédent (1685), l’édit de tolérance (1787), les édits de 1780 et 1788 concernant la procédure criminelle avec suppression de la question (torture) préparatoire (durant l’enquête) et préalable (avant l’exécution de la peine de mort). Les déclarations royales sont également de nature législative, en ce qu’elles complètent ou interprètent un texte législation antérieur. On peut citer, par exemple, la déclaration de 1639 concernant les formalités à respecter en matière de mariage, celle de 1673 concernant le droit de remontrances des parlements. Une autre distinction est faite par les historiens du droit entre les ordonnances de réformation et les ordonnances de codification partielle. Les ordonnances de réformation du royaume sont prises après consultation des Etats généraux. Créés au tout début du XIVe siècle (1302) par Philippe le Bel pour obtenir le soutien du royaume lors du grave conflit avec le Pape Boniface VIII, les Etats généraux reposent sur une représentation par des députés élus des trois ordres du royaume : le clergé, la noblesse et le Tiers-Etat. Ils donnent lieu également à la rédaction de cahiers de doléances qui sont ensuite présentés par les députés. Réunis en temps de crises (guerres, problèmes budgétaires, succession royale, minorité royale, questions religieuses…), les Etats généraux n’ont jamais obtenu d’être réunis de manière régulière, contrairement aux Assemblées du clergé (après 1561). Leur réunion est plutôt signe de crises, de frais de déplacement des députés et d’impositions nouvelles. Le fait est que plusieurs réunions des Etats généraux ont lieu au XVI e siècle et que la monarchie, après les avoir consultés, adoptera un certain nombre de mesures législatives. Tel est le cas, par exemple, pour l’ordonnance de Blois (1579), adoptée après les Etats- généraux tenus par le roi Henri III dans cette ville, à plusieurs reprises d’ailleurs (entre 1576 et 1588). Cette ordonnance concerne diverses questions qui ont été discutées : la justice, la vénalité des offices, l’organisation de l’université et des hôpitaux et reprend en droit français certaines dispositions du concile de Trente, notamment la 12 La montée en puissance de la législation royale publicité du mariage. C’est de cette époque que date la rédaction des registres paroissiaux concernant la célébration des mariages. Il y a là un progrès essentiel en matière de preuve du mariage et de ses conséquences sur l’état des personnes (filiation, succession). Déjà, l’ordonnance de Villers-Cotterets (1539) sur le fait de la justice, qui date du règne de François Ier, avait imposé la tenue de registres paroissiaux pour les baptêmes et les sépultures ainsi que la règle de rédiger les actes officiels en une langue compréhensible par les justiciables et les administrés : le français ou une autre langue locale (très nombreuses à l’époque dans toutes les régions), au détriment du latin qui restera la langue de l’Eglise et de l’Université. La dernière réunion des Etats généraux aura lieu en 1614, avec des élections dans le cadre des bailliages et des sénéchaussées, après l’assassinat d’Henri IV et durant la régence de Marie de Médicis. Le code Michau (du nom du Garde des sceaux Michel de Marillac) publié en 1629, et comportant plus de 400 articles reprend un certain nombre de textes votés par les Etats généraux tenus à Paris en 1614 et les assemblées de notables qui avaient suivi en 1617 et 1628. Mais il se heurtera à nombre d’oppositions et sera mal appliqué. Après 1614, il sera encore question de réunir les Etats généraux mais sans que cela débouche sur des réunions effectives jusqu’ en 1789. Il y a là l’indice d’une évolution de la monarchie qui se passe désormais de cette institution, sans pour autant la supprimer. Les deux derniers siècles de la monarchie française voient se développer un autre type d’ordonnances que l’on appelle les ordonnances de codification (partielle) du droit. Deux grandes séries de telles ordonnances peuvent être mentionnées. D’abord à l’époque de Louis XIV. Un roi aussi fervent de l’unité et de la centralisation du royaume aurait souhaité réaliser une codification complète du droit privé. Il ne pouvait y parvenir compte tenu de la complexité des sources du droit et de l’organisation de la société d’Ancien Régime. Des résultats partiels ont toutefois été obtenus, sous l’égide de Colbert, principal collaborateur du roi jusqu’à sa mort (1683) et ils ne sont pas à négliger dans cette longue quête de l’unification juridique du royaume. Ces ordonnances concernent d’abord la procédure, avec l’ordonnance civile (c’est-à-dire sur la procédure civile) de 1667, mais aussi l’ordonnance criminelle (sur la procédure criminelle) de 1670. Codifiant un certain nombre de pratiques antérieures, notamment en matière pénale, elles serviront de base aux futures codifications napoléoniennes. Ces deux grandes ordonnances sont complétées par l’ordonnance du commerce ou Code Savary (1673) qui sera reprise en grande partie dans le futur Code de Commerce (1807, la grande ordonnance de la marine ou code la Marine (1681)) et par le Code noir (1685) qui concerne la question des esclaves dans les colonies françaises. On peut également ajouter à cette liste l’ordonnance sur les Eaux et forêts (1669). Une seconde vague de codification partielle se développe sous le règne de Louis XV. Il s’agit des ordonnances du chancelier D’Aguesseau (+1751) qui dirige la justice entre 1727 et 1750, après avoir été procureur général du Parlement de Paris. C’est sous son ministère que sont élaborés, entre 1731 et 1747, plusieurs textes importants qui unifient partiellement le droit privé : l’ordonnance sur les donations (1731), l’ordonnance sur les testaments (1735) qui unifie le testament coutumier face au modèle romain, l’ordonnance sur le faux (1737) et celle sur les substitutions fidéicommissaires. (1747) qui sont des clauses permettant au donateur ou au testateur de prévoir, à l’avance la personne à laquelle le donataire ou le légataire particulier devra obligatoirement transmettre le bien donné ou légué. L’unification de ces matières, souvent techniques, préparera les voies de l’unification au moment de la rédaction du Code civil. 2. L'enseignement du droit français On a vu que les universités médiévales ont conservé la tradition d’enseigner aux étudiants exclusivement les droits savants, le droit romain et le droit canonique. Le latin est la langue officiellement utilisée pour ces enseignements savants, ce qui permet d’ailleurs le déplacement des maitres et des étudiants dans toute l’Europe où le monde universitaire partage cette langue commune. Les autres aspects du droit que nous avons évoqués : le 13 La montée en puissance de la législation royale droit coutumier, la législation royale, en particulier, ne sont donc pas enseignés et on considère que les étudiants, une fois pris leurs grades universitaires, la licence essentiellement, doivent ensuite continuer leur formation en allant auprès d’un praticien du droit : juge, avocat, notaire…où ils s’initient à l’application concrète du droit. Les choses changent sous le règne de Louis XIV qui, on l’a vu, a adopté plusieurs ordonnances importantes, en particulier les ordonnances civile (1667) et criminelle (1670) qui traitent essentiellement de questions procédurales. Compte tenu de la montée en puissance de la législation royale, compte tenu aussi de la situation de déclin dans laquelle se trouvaient nombre d’universités pour lesquelles des enquêtes diligentées par le pouvoir royal ont fait apparaitre le faible niveau de l’enseignement et des exigences aux examens, l’absentéisme des professeurs et des étudiants et le mauvais entretien des bâtiments, Louis XIV a voulu une grande réforme qui sera l’objet de l’édit de Saint-Germain (1679) qui intervient donc au moment des grandes ordonnances de Louis XIV. Ce texte instaure, de manière quasi-révolutionnaire, un nouveau type de professeur dans les universités : c’est le professeur royal de droit français. Ce professeur, d’un genre nouveau, va donc avoir pour mission d’enseigner, en français, le droit français, c’est-à-dire le droit issu des ordonnances royales, éventuellement le droit coutumier en pays de coutume, les libertés de l’Eglise gallicane, parfois le droit féodal…Il y a là un enrichissement notable des études juridiques qui produira ses fruits au dernier siècle de l’Ancien Régime. Nous disposons d’études locales qui permettent d’avoir une idée de la manière dont ces professeurs ont été accueillis, de leur profil sociologique, de leurs enseignements. En ce qui concerne la Faculté de droit de Toulouse, on dispose de la liste des professeurs de droit français qui se sont succédés jusqu’à la Révolution. Il résulte des études qui ont été faites que ces nouveaux professeurs sont des praticiens locaux ayant une bonne expérience. La grande majorité sont des avocats qui ont vingt ou trente ans de barre, sont titulaires du doctorat en droit civil, font partie des notables locaux, ont développé des stratégies d’ascension sociale par leur mariage. Cette nomination constitue donc une sorte de reconnaissance sociale, leur « bâton de maréchal ». Ils ont été plutôt mal accueillis par leurs collègues, romanistes et canonistes, qui leur font sentir leur antériorité, leur supériorité et leur contestent leur tenue, leur place dans les cortèges officiels ‘le professeur royal de droit français ayant normalement la prééminence sur ses autres collègues, et occupant la deuxième place après le recteur). Des contestations, assez pittoresques, ont lieu également par rapport aux emplois du temps, celui des professeurs de droit français devant être compatibles avec ses activités au palais, dans la mesure où ils continuent à exercer leur fonction d’avocat. Des différends ont lieu également quant aux émoluments dont les professeurs profitent puisque les taxes diverses que payent les étudiants pour leur inscription universitaire mais aussi pour passer les examens et recevoir les diplômes ont partagés entre les professeurs et donc l’arrivée d’un professeur supplémentaire diminue la part des autres, question sensible qui sera réglée, au moins à Toulouse, par le non remplacement d’un professeur de droit romain ou canonique. En tout cas, ces professeurs joueront un rôle très important pour la promotion du droit français et permettront une meilleure formation universitaire des étudiants de l’époque. Le plus connu d’entre eux à Toulouse est François de Boutaric, formé à l’université de Cahors (qui fut active de 1331 à 1751), avocat au parlement de Toulouse depuis 1692, capitoul en 1707 et 1710, qui enseigne dans les années comprises entre 1710 et sa mort en 1733.L’ L'étude que nous avons menée récemment (non encore publiée) sur les matières qu’il a enseignées à Toulouse pendant plus de vingt ans, (et dont l’œuvre a été très estimée, comme en témoignent les différentes rééditions de ses ouvrages) nous montre que ses enseignements ont porté principalement sur les Institutes de Justinien conférées (comparées) au droit français. La préface exalte le droit civil romain qui doit être considéré comme le droit commun du royaume alors que le droit issu des ordonnances royales et des coutumes constitue un droit particulier. C’est là une opinion qui est loin d’être isolée au début du XVIIIe siècle et qui est partagée par la grande majorité des juristes. S’ensuit une étude systématique, livre par livre, titre par titre, paragraphe par paragraphe des Institutes de Justinien (texte en latin) avec un commentaire (en français) de ce l’état du droit français 14 La montée en puissance de la législation royale correspondant, soit que le droit français reprenne le droit romain (par exemple en matière de contrat de société), soit qu’il s’en distingue (par exemple la distinction entre hommes libres et esclaves), soit qu’il y ait lieu à des ajustements, d’autant qu’il faut tenir compte aussi du droit coutumier, ainsi que de la jurisprudence des parlements, à commencer par celle du Parlement de Toulouse que Boutaric connait bien, ainsi que la littérature des arrestographes qui sont des praticiens locaux (magistrats ou avocats au Parlement, ayant commenté les arrêts du Parlement). Les autres enseignements de Boutaric ont porté sur les ordonnances de Louis XIV (ordonnance civile, ordonnance criminelle, ordonnance sur le commerce), l’ordonnance sur les donations (1731) enseignée immédiatement, les droits seigneuriaux et matières féodales ainsi que des questions relevant du droit public des cultes, en particulier son Traité sur les libertés de l’Eglise gallicane qui est un commentaire systématique des 83 articles du Traité éponyme de Pierre Pithou, publié au début du règne d’Henri IV (1594). Le professeur de droit français le plus célèbre n’est autre que Jacques Pothier (+1772) qui enseigne à Orléans à partir de 1749, tout en étant conseiller au présidial de cette ville dont il est aussi échevin. Il rédigera une œuvre immense, concernant pratiquement tous les domaines juridiques. Il est considéré, à juste titre, comme l’un des grands précurseurs, avec Jean Domat du Code civil napoléonien. Nous reviendrons sur ce célèbre jurisconsulte dans la dernière leçon. 15 III Les lois fondamentales du royaume Il apparait difficile de traiter du pouvoir législatif royal et la tradition coutumière française sans évoquer les lois fondamentales du royaume. Forgées au cours des siècles, selon les nécessités des temps, ces lois fondamentales, distinctes des lois ordinaires et auxquelles ces dernières doivent se conformer, doivent être rapprochées d’une Constitution, à la mode de l’Ancien Régime. Dans l’histoire politique française (et au-delà), le terme de Constitution, qui n’est pas antérieur au second XVIIIe siècle, désigne un texte solennel écrit qui aborde l’organisation générale du pouvoir, les grandes institutions, leurs compétences, leurs relations… Les lois fondamentales du royaume sont d’un genre différent, en ce sens qu’elles ont été élaborées sur une période très longue, qu’elles n’ont jamais été réunies dans un texte solennel, qu’elles sont d’origine coutumière et empirique. Mais, pour autant, elles constituent bien un bloc de normes faisant partie d’une sorte de corpus de droit public dont l’existence est reconnue et auxquelles chacun est tenu de se conformer, sous peine de sanction. Elles ne traitent pas de toute l’organisation institutionnelle de la monarchie française mais de deux questions : la première et la plus importante est de nature politique : c’est la question essentielle la transmission de la couronne d’un roi à un autre ; la seconde est plus technique : c’est le statut du domaine royal. 1. La transmission de la Couronne Le roi étant la clé de voute de tout le système institutionnel et détenant seul la souveraineté, il est naturel de considérer que les règles de transmission de la couronne sont primordiales. La première règle fondamentale est celle de l’hérédité qui s’est affirmée contre l’élection par les grands du royaume à partir de la troisième et dernière dynastie royale française, celle des Capétiens qui exerce la fonction royale, à titre exclusif, à partir d’Hugues Capet (987). Cette hérédité n’allait pas de soi, compte tenu des rapports de force dans le monde franc et de l’émergence de la féodalité. C’est la raison pour laquelle les premiers Capétiens, reprenant d’ailleurs une pratique impériale romaine, ont fait sacrer leur fils de leur vivant, de manière à ce qu’il n’y ait pas d’ambiguïté à leur mort, les périodes d’interrègnes étant toujours des périodes de fragilisation du pouvoir royal, notamment lorsque le successeur est très jeune. Cette pratique du sacre anticipé permet donc d’établir le rex designatus. Elle montre également le lien étroit entre sacre et lois fondamentales, entre la légitimation religieuse et la légitimation juridique du pouvoir royal. Elle sera appliquée jusqu’à l’époque de Philippe II (1180-1223) qui est le dernier roi à avoir été sacré du vivant de son père Louis VIII. On considère, en effet, qu’au bout de deux siècles de règnes ininterrompu des Capétiens, la monarchie française est durablement installée dans cette famille. L’hérédité dans la transmission du pouvoir est liée à l’ainesse ou primogéniture, deuxième loi fondamentale selon laquelle c’est le fils ainé du roi, s’il a plusieurs enfants qui doit lui succéder, ce qui est conforme à la nature puisque c’est le premier qui pourra porter les armes et assumer le poids de sa charge. Cela pose la question du statut des puinés qui doivent trouver leur place dans l’organisation monarchique et doivent avoir les moyens de vivre conformément à leur état. La troisième loi fondamentale est celle de la masculinité, assez spécifique à la France et qui a été fixée au début du XIVe siècle. La question ne s’est pas posée plus tôt et jusque- là, à sa mort, le roi avait toujours laissé au moins un fils apte à la succéder. La situation se complique à la mort du roi Louis X -le Hutin (le versatile) qui est le fils ainé de Philippe IV le Bel (+1314). Louis X n’a régné que deux ans et il laisse à sa mort deux frères : Philippe et Charles ainsi que sa seconde épouse Clémence de Hongrie enceinte. Dans un premier temps, une solution provisoire est trouvée, un curateur au ventre est désigné (Charles de Valois, oncle de Louis X). Clémence de Hongrie accouche d’un garçon Jean (dit le posthume car né après la mort de son père). Mais il ne survit pas et décède rapidement. C’est à ce moment-là que se pose véritablement la question de la succession. En effet, Louis X avait par ailleurs une fille (Jeanne de Navarre) née de son premier mariage (avec Marguerite de Bourgogne) dont la légitimité fut d’ailleurs suspectée. D’autres arguments ont été évoqués. Si le droit royal comparé n’était pas par principe 16 Les lois fondamentales du royaume défavorable aux femmes, d’autres arguments militaient dans le sens de la masculinité : d’abord la fonction militaire, car le roi apparait comme un roi de guerre, est présent sur les champs de bataille, comme Philippe II à Bouvines (1214), ce qui est peu compatible avec la distribution des rôles entre l’homme et la femme dans la société féodale, Ensuite, de même que la dimension fortement religieuse de la monarchie française, le sacre en particulier est calqué sur le sacre des évêques, le roi est d’ailleurs qualifié d’évêque du dehors et l’on rejoint ici la discipline ecclésiastique défavorable à l’admission des femmes aux ordres sacrés. Ultérieurement, les légistes royaux trouveront dans la loi salique qui exclut les filles de la succession à la terre des ancêtres un argument supplémentaire tardif mais efficace, la loi salique apparaissant comme particulièrement vénérable. Il est alors décidé de préférer le frère puiné du roi défunt, qui devient Philippe V et qui était déjà régent de France, c’est-à- dire qui administrait le royaume, ce qui le mettait en position de force. A la mort de Philippe V quelques années plus tard, (1326) car les règnes « des rois maudits » sont brefs, la situation est la même : pas de fils et on applique la même solution, la couronne passe aux derniers des frères qui devient Charles IV. A la mort de ce dernier (1328), dans la même situation, il n’y a plus de frère mais il y a une sœur Isabelle, mariée au roi d’Angleterre Edward II et qui a un fils : Edward. C’est à ce moment-là que la question est la plus épineuse car du point de vue politique, admettre la transmission de la couronne de France à Edward, revient à admettre que celui-ci pourra être à la fois roi de France et roi d’Angleterre. Du point de vue juridique, les légistes royaux font valoir qu’admettre la vocation successorale d’Edward n’est pas logique puisque sa mère est elle-même écartée au motif que nul ne peut transmettre à autrui un droit qu’il n’a pas lui-même. Toutes ces raisons expliquent qu’en ce début du XIVe siècle est forgée la loi fondamentale de la masculinité qui englobe la collatéralité. Apparaissent aussi les formules suivantes : « au royaume de France, les lys ne filent point » ou encore « une femme ne peut faire pont et planche ». On va donc, contre le droit successoral ordinaire préférer le cousin germain au neveu et la couronne sera transmise à Philippe de Valois, fils de Charles de Valois qui était lui-même le frère de Philippe IV Le Bel et l’oncle des trois derniers rois (Louis X, Philippe V et Charles IV). Cette solution déplaira bien entendu fortement du côté anglais, d’où les revendications ultérieures du roi d’Angleterre sur la couronne de France, à l’origine directe du déclenchement de la guerre de Cent ans en 1337. D’autres lois fondamentales seront ensuite ajoutées : 1-le pouvoir royal se transmet de manière instantanée. Dès le moment du dernier souffle du roi, le pouvoir passe à son successeur, dans son principe. Ceci pour éviter toute discontinuité dans l’exercice du pouvoir suprême. C’est l’application en droit public du principe de droit privé selon lequel « le mort saisit le vif » en matière de dévolution successorale. Cela explique également la formule célèbre : « le roi est mort, vive le roi » ou le fait qu’à la Cour, le chancelier ne porte jamais le deuil. Tout cela se comprend mais dans les faits, il arrive que le nouveau roi soit très jeune et il faut alors organiser une régence qui sera dévolue assez souvent, quant à elle, à une femme : la veuve du roi défunt et mère du nouveau roi. Ce sera le cas de Blanche de Castille alors que Louis IX n’a que 12 ans à la mort de son père Louis VIII (1226), plus tard de Marie de Médicis, à la mort d’Henri IV en 1610, Louis XIII n’ayant que 9 ans, ou encore d’Anne d’Autriche, à la mort de Louis XIII (1643), Louis XIV n’ayant que cinq ans. A la mort de Louis XIV, la régence sera exercée par son neveu : Philippe d’Orléans de 1715 à 1723 Les règles de majorité sont également spéciales et le roi est réputé majeur à 13 ans révolus. 2-L’indisponibilité du royaume : le roi n’est pas véritablement propriétaire de son royaume. Contrairement aux conceptions franques favorables à la patrimonialisation du pouvoir et éventuellement au partage du regnum, l’idée a cheminé selon laquelle le roi reçoit le royaume qu’il doit transmettre à son successeur, l’idée étant plutôt de l’agrandir par voie de conquêtes ou autrement. Le roi ne peut donc pas disposer librement du royaume, en tout ou en partie et s’il le faisait, sa décision serait réputée non conforme aux lois fondamentales et dons inapplicable. Ces idées sont développées tout particulièrement dans le contexte très sensible de la guerre de Cent ans. Dans son Traité du droit légitime du successeur à l’hérédité du royaume de France (1419), le juriste méridional Jean de Terrevermeille développe la théorie statutaire de la couronne de France qui n’appartient pas au roi comme un bien privé et qu’il ne peut donc transmettre comme une succession de droit privé. Faisant suite à la défaite française d’Azincourt (1415) et à l’alliance entre l’Angleterre et les ducs de Bourgogne, le Traité de Troyes (1420) par lequel le roi Charles VI déclare illégitime le dauphin Charles, futur Charles VII, et marie sa fille au roi 17 Les lois fondamentales du royaume d’Angleterre Henry V, faisant ainsi passer le royaume du côté anglais se heurtera donc à la résistance de nombre de légistes français qui défendent l’idée selon laquelle le roi administre et est dépositaire du royaume mais que ce dernier est régi par un principe d’indisponibilité. Il faudra toute l’énergie de Jeanne d’Arc pour inverser le cours de l’Histoire, en deux années d’épopée (1429-1430), galvaniser les troupes et expulser les Anglais d’Orléans, point stratégique des troupes anglaises et porte du Midi où s’étaient repliés les partisans de Charles VII et parvenir à faire sacrer celui que l’on surnommait « le petit roi de Bourges ». D’autres applications de ce principe auront lieu ultérieurement. Le parlement de Paris casse le traité de Madrid (1526) signé par le roi François Ier après la défaite de Pavie (1525) où il avait été fait prisonnier par les troupes de l’empereur Charles-Quint, lors des guerres d’Italie, traité qui prévoyait notamment, en échange de la libération du roi le transfert de la Bourgogne au saint Empire romain germanique. Dans le même esprit, la disposition du traité d’Utrecht (1713) portant renonciation au trône de France de Philippe V, devenu roi d’Espagne, alors qu’il était petit-fils de Louis XIV sera considérée comme contraire aux lois fondamentales. Même chose pour la légitimation que fit Louis XIV de deux de ses enfants naturels, le comte de Toulouse et le comte du Maine, nés de Madame de Montespan sera considérée également comme contraires aux lois fondamentales par le parlement de Paris qui cassa, sur ce point, à la demande du Régent Philippe d’Orléans le testament de Louis XIV. Cette décision du roi peut paraitre curieuse. Elle s’explique en réalité par la durée très longue de son règne (1643-1715) qui eut pour conséquence que Louis XIV survécut à tous ses descendants, morts avant lui d’où une certaine panique à la fin de son règne. La question ne se posa véritablement puisque l’un de ses arrière-petits-enfants lui survécut : le futur Louis XV, âgé de 5 ans à la mort de Louis XIV et qui eut lui-même un règne très long (1715-1774). 3-La loi de catholicité du roi de France. La question de la catholicité du roi s’est posée au XVIe siècle avec le développement du protestantisme en France et les conflits complexes et aigus que furent les évènements dramatiques que l’on a appelé les guerres de religion (1562-1598). Plus précisément, la question va se poser sous le règne d’Henri III (1574 -1589), dès avant son assassinat lorsqu’il apparait, en 1584, à la mort de son frère, le dernier des fils de Catherine de Médicis que le successeur d’Henri III désigné par les lois fondamentales du royaume n’est autre qu’Henri de Navarre, cousin très éloigné mais le plus proche, selon le droit royal. Le parti catholique ultra représenté par la Ligue n’admet pas qu’un protestant puisse devenir roi de France et il s’ensuit une reprise des affrontements qui conduiront finalement à l’assassinat d’Henri, duc de Guise, de son frère le cardinal de Guise (1588) puis, en représailles à l’assassinat du roi Henri III (1589), alors que Paris est en révolution. La période qui suit est très incertaine, aucun des deux partis, catholique et protestant ne l’emportant militairement. Sont proposés contre Henri IV, l’infante d’Espagne, Claire-Isabelle, petite-fille d’Henri II au mépris de la loi de masculinité, le cardinal de Bourbon, parent d’Henri IV, sans succès. Le parlement de Paris, dans un arrêt de règlement, appelé l’arrêt Lemaitre, du nom du Premier président du parlement suggérera la solution : respect des droits d’Henri IV mais celui-ci doit renoncer au protestantisme et embrasser la confession catholique. Ce qu’il fera, ouvrant ainsi la voie à son sacre, très tardif du fait de ces évènements en 1593, soit quatre ans après la mort d’Henri III. La papauté est intervenue pour défendre la catholicité du roi de France. C’est également dans ce contexte qu’est publié en 1594 le Traité des libertés gallicanes par Pierre Pithou, sorte de code gallican qui expose, sous la forme d’un catalogue 83 propositions, qui fera l’objet d’un Commentaire par Pierre Dupuy en en 1638. D’autres ouvrages sont publiés à la même époque : celui de Du Tillet (Mémoire et avis sur les libertés de l’Eglise gallicane rédigé dès 1551) et celui de Guy Coquille (Traité des libertés gallicanes). 2. Le statut du domaine royal : l’inaliénabilité Cette question est seconde par rapport à la précédente. Elle lui est également liée puisque nous l’avons déjà abordée sous l’angle de l’indisponibilité de la couronne de France. Le cœur de la question réside dans l’obligation faite au roi de conserver le domaine qu’il a reçu de ses prédécesseurs et si possible de l’agrandir mais pas de le diminuer. Il y a là une évolution par rapport aux traditions de l‘époque franque puisque les rois francs considèrent le regnum comme une propriété qu’ils peuvent partager ou démembrer, en raison de la patrimonialisation du pouvoir. 18 Les lois fondamentales du royaume La construction du domaine royal a été lente et progressive mais les rois capétiens ont cherché par tous les moyens (conquêtes, mariages, achats, legs, traités divers…) à agrandir ce domaine et c’est ainsi qu’ils ont construit la France, dans ses limites telles que nous les connaissons aujourd’hui encore. Il n’est pas possible de détailler l’ensemble des évènements historiques. On citera seulement quelques étapes importantes. Jusqu’à l’époque de Philippe II, le domaine royal est réduit au territoire compris entre Senlis et Orléans. C’est sous ce règne que les choses changent et que le domaine est décuplé avec l’intégration du duché de Normandie après la commise prononcée par Philippe II contre le roi d’Angleterre (1202), mais aussi du Maine, de l’Anjou et du Poitou, l’acquisition du Valois, du Ponthieu, de la Champagne, d’une bonne partie du Vermandois, de la Touraine et de l’Auvergne. C’est ensuite l’intégration définitive du comté du Languedoc en 1271, conséquence du traité de Paris de 1229 (cf supra), du duché de Bourgogne à la mort de Charles –le-Téméraire (1477), du comté de Provence en 1481 peu après la mort du roi René d’Anjou, de l’union de la Bretagne à la France (1532, après la mort de la duchesse Anne de Bretagne, épouse successivement de Charles VIII et de Louis XII), du Roussillon par le traité de Pyrénées (1659), de la Franche-Comté , l’Alsace et le nord de la France à l’issue des guerres de Louis XIV à la fin du XVIIe siècle, de la Lorraine en 1766, par succession du roi de Pologne dont la fille est mariée à Louis XV, de la Corse cédée par la République de Gènes (1768)… Il a fallu du temps pour que le principe de l’inaliénabilité du domaine royal soit officiellement consacré par l’édit de Moulins de 1566. Les affaires liées à la Bourgogne, récupérée par le roi Louis XI à la mort du dernier duc Charles –le-Téméraire (1477) et l’épisode de la capture du roi François Ier à l’issue de la défaite de Pavie (1525) lors des guerres d’Italie et la signature du traité de Madrid (1526) avec l’empereur Charles Quint prévoyant notamment la rétrocession du duché de Bourgogne à l’Empire ne sont certainement étrangers à la consécration officielle de ce principe érigé au titre de loi fondamentale du royaume, avec deux exceptions : les apanages et les engagements. Les apanages sont des territoires démembrés provisoirement du domaine royal et qui sont confiés à des princes du sang, en particulier les frères du roi qui, du fait de l’application de la loi de primogéniture, n’exercent pas le pouvoir royal, du moins actuellement puisqu’il est arrivé à plusieurs reprises que le pouvoir royal passe d’un frère à un autre, ainsi les trois fils de Philippe IV le Bel entre 1314 et 1328 : Louis X, Philippe V et Charles IV) ou encore les trois fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, entre 1547 et 1589 : François II, Charles IX et Henri III. Philippe le Bel pose la règle de la masculinité perpétuelle d’un apanage (Poitiers), qui consiste à prévoir le retour à la couronne en cas d’absence d’héritier mâle. Les filles ont pu profiter des apanages dans les siècles précédents, y compris dans les principautés territoriales. Les titulaires de ces apanages, appelés apanagistes profitent des revenus (comme le souligne l’étymologie de ce terme : ad panem = donner du pain) que leur procurent ces territoires, ce qui leur permet de tenir leur rang mais ne disposent pas des prérogatives souveraines qui restent entre les mains du roi. A leur mort, et contrairement à ce qui se passait aux siècles précédents, ces territoires ont vocation à revenir à la couronne. Ils ne sont donc plus transmissibles. Les engagements sont des biens domaniaux, tels que des forêts domaniales dont la propriété et l’exploitation sont confiées à des engagistes, pour des raisons financières, avec une faculté perpétuelle de rachat par le pouvoir royal. L’édit de Moulins (1566) distingue, par ailleurs entre le domaine exprès qui correspond à l’ensemble des terres relevant de la couronne et celles adjointes par des traités ou déclaration de rattachement au domaine et, d’autre part, le domaine tacite qui correspond aux territoires récemment incorporés à la couronne et administrés pendant une durée minimale de dix ans, par des agents de la couronne. Cela permet au pouvoir royal de les utiliser de manière plus souple, en particulier pour doter les filles de France. 19 Les lois fondamentales du royaume 20