L'Anthropocène - P2 - FHS301 - Dossier Thématique

Summary

Ce dossier thématique sur l'Anthropocène explore les textes et le vocabulaire liés à ce concept. Il analyse la production d'énergie, incluant l'aspect nucléaire, et aborde la complexité des chaînes de valeur.

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**L'Anthropocène\ P2 - Module FHS301** **Dossier thématique\ **Nous vous invitons à étudier l'ensemble des textes recueillis dans ce dossier à l'aide de l'outil « Tableau synoptique », y compris le vocabulaire. **Département Sciences Humaines et Communication -- Jean Soma** **A défaut de lire ent...

**L'Anthropocène\ P2 - Module FHS301** **Dossier thématique\ **Nous vous invitons à étudier l'ensemble des textes recueillis dans ce dossier à l'aide de l'outil « Tableau synoptique », y compris le vocabulaire. **Département Sciences Humaines et Communication -- Jean Soma** **A défaut de lire entièrement l'ouvrage de référence intitulé *L'événement Anthropocène*, écrit par Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, en voici un compte rendu partiel : [[https://lethica.unistra.fr/lethictionnaire/article/christophe-bonneuil-et-jean-baptiste-fressoz-levenement-anthropocene-la-terre-lhistoire-et-nous]](https://lethica.unistra.fr/lethictionnaire/article/christophe-bonneuil-et-jean-baptiste-fressoz-levenement-anthropocene-la-terre-lhistoire-et-nous)** **« Le mythe de la souveraineté énergétique »**\ Journal *Le Monde*\ Chronique -- Jean-Baptiste Fressoz, Historien et chercheur CNRS.\ Publié le 14 décembre 2022. **La complexité des chaînes de valeur de la production d'énergie -- y compris nucléaire -- rend inopérante l'idée d'une « indépendance » énergétique, observe l'historien Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique.** « Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France » : tel est l'intitulé de l'enquête parlementaire menée par le député du parti Les Républicains Raphaël Schellenberger. Les délestages éventuels n'ont pas encore eu lieu que l'on sent déjà la volonté de trouver des responsables, et même, chez certains, la volonté d'en découdre. C'est très net dans l'audition d'Yves Bréchet, ancien haut-commissaire à l'énergie atomique. Pour lui, la crise que traverse le système électrique ne serait pas, contrairement au diagnostic des experts, une simple affaire de corrosion sous contrainte difficile à anticiper, mais le signe d'un mal infiniment plus profond : la nullité scientifique de nos politiques. La crise actuelle fournit l'occasion idéale de raviver la nostalgie des années 1970 et de l'atome triomphant, le plan Messmer et l'époque bénie où l'on construisait un réacteur en cinq ans et 58 réacteurs en vingt-cinq ans... L'occasion aussi de dénoncer la pusillanimité des politiques après Tchernobyl et Fukushima, voire leur « trahison » avec l'abandon de Superphénix et d'[[Astrid]](https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/14/la-decision-francaise-d-abandonner-le-reacteur-nucleaire-astrid-est-critiquable_5510461_3232.html) ! Car faute de réacteur à neutron rapide, explique M. Bréchet, *« le nucléaire est condamné à mourir étouffé sous ses déchets »*. Ce qui interroge en effet sur la viabilité de la filière... Mais plus que ces diatribes atomiques, un des intérêts des auditions est que beaucoup d'experts ont répondu posément à la question pour le moins étrange des parlementaires sur une supposée *« perte de souveraineté énergétique de la France ».* Patrick Pouyanné, PDG de Total, a rappelé que 63 % de l'énergie consommée en France provient du gaz et du pétrole. Le cofondateur de Carbone 4, Jean-Marc Jancovici, fit remarquer que la France avait perdu son indépendance énergétique... à l'époque de *Germinal* : la France importait en effet environ un tiers de son charbon. L'économiste Jacques Percebois nota *« qu'on peut être dépendant sans être vulnérable, et indépendant tout en l'étant »*. Les systèmes énergétiques reposent sur une telle diversité de matières et de technologies que garantir une forme de souveraineté implique beaucoup de dépendances et une présence industrielle dispersée dans d'immenses chaînes de valeur. Le nucléaire avec l'aide américaine ----------------------------------- Concernant le nucléaire, si volontiers associé à l'indépendance nationale, l'historien Yves Bouvier a rappelé que le parc avait été construit sous licence de l'américain Westinghouse : en échange de royalties, les ingénieurs français partaient se former aux Etats-Unis et les progrès industriels étaient étroitement surveillés par les Américains. L'ancien PDG d'EDF, Pierre Gadonneix, a insisté sur le rôle de l'imitation, et non de l'innovation, pour expliquer le succès du programme électronucléaire français. La clé : reprendre à l'identique, *« boulon pour boulon »,* a-t-il dit, le modèle éprouvé de Westinghouse. Dans son témoignage, Bernard Fontana a rappelé que le nom de l'entreprise qu'il dirige, Framatome, venait de ce mariage à trois entre la France, l'Amérique et l'atome. Son explication du déclin du parc nucléaire français était claire : faute de nouveaux réacteurs à construire (il y a vingt ans, le problème était la surproduction électrique), on a réduit les capacités industrielles, d'où une pyramide des âges déséquilibrée dans l'entreprise et une perte de compétences. Et cela au moment même où les exigences de sûreté se renforçaient et que le progrès des instruments de contrôle permettait de détecter des défauts dans les soudures ou dans les tubes, qui étaient indécelables auparavant ! Pour les experts de l'énergie, la souveraineté n'est que partielle, elle repose sur l'imitation, la coopération internationale et un travail de longue haleine d'investissements, de recrutements, de ressources humaines, bref sur ce qui permet de construire une base industrielle solide. On est très loin des discours enflammés sur l'innovation, l'atome et l'indépendance énergétique de la France, des propos de café du commerce -- ou de buvette de l'Assemblée. **Le retour de la fée Electricité n'empêche pas la consommation des énergies fossiles d'augmenter** Journal *Le Monde*\ Chronique -- Jean-Baptiste Fressoz, Historien et chercheur CNRS.\ Publié le 23 octobre 2024. **Le mythe d'un « âge de l'électricité », qui fait un retour en force dans le débat public, oublie que l'utilisation de charbon et de pétrole continue à augmenter, rappelle l'historien Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique.** A l'occasion de la parution du dernier « [[World Energy Outlook]](https://www.iea.org/news/geopolitical-tensions-are-laying-bare-fragilities-in-the-global-energy-system-reinforcing-need-for-faster-expansion-of-clean-energy) », le directeur de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), Fatih Birol, s'est lancé dans un étrange exorde : *« Dans l'histoire de l'énergie, nous avons connu l'âge du charbon et l'âge du pétrole, et nous entrons maintenant à grande vitesse dans l'âge de l'électricité, qui définira le système énergétique mondial à l'avenir. »* Ce n'est certes pas la première fois qu'un « âge électrique » est annoncé. L'expression figure déjà comme titre d'une revue en 1898. A cette époque, l'électricité nourrit une vision simpliste des dynamiques matérielles. Nombre de penseurs, fascinés par l'âge électrique, imaginent une disparition du charbon. A la fin du XIX^e^ siècle, le chimiste et ministre français Marcelin Berthelot expliquait qu'en l'an 2000 l'électricité et les énergies renouvelables auraient débarrassé le monde des *« mines de charbon et par conséquent des grèves de mineurs » (*« En l'an 2000 », in *Science et morale*, Calmann-Lévy, 1896). Développement inégal des énergies renouvelables ----------------------------------------------- Dans l'entre-deux-guerres, le sociologue et biologiste écossais Patrick Geddes (1854-1932) et l'historien américain Lewis Mumford (1895-1990) annonçaient le basculement imminent dans un âge *« néotechnique »*, fondé sur l'hydroélectricité. Le réseau électrique allait accélérer, pensait-on, l'obsolescence du capitalisme et provoquer l'avènement d'une économie socialiste placée sous la bonne garde des ingénieurs. Mais, alors que certains clamaient l'avènement de l'âge électrique, les experts -- et quiconque réfléchissant sérieusement au monde matériel -- savaient cet espoir illusoire. La consommation de bois avait beaucoup crû au XIX^e^ siècle, en partie à cause du charbon. Le XX^e^ siècle, annoncé comme celui du pétrole et de l'électricité, brûlerait de plus en plus de charbon. Les calculs montraient aussi que l'hydroélectricité permettrait d'économiser la houille, mais n'allait certainement pas la remplacer. On retrouve ce décalage entre le rapport de l'AIE et les déclarations de son directeur. Le « World Energy Outlook » de 2024 montre que, [[malgré la croissance des renouvelables, la production électrique à partir de fossiles a encore crû en 2023]](https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/04/12/les-sources-d-electricite-propres-ont-atteint-39-de-l-electricite-mondiale-en-2022-un-record_6169131_3244.html). Le développement du solaire et de l'éolien reste inégal, important en Chine et en Europe, mais faible dans les pays pauvres qui en ont pourtant le plus besoin. L'objectif du doublement de l'efficacité énergétique d'ici à 2030 énoncé lors de la COP 28 paraît maintenant hors d'atteinte. Les experts de l'AIE notent que l'essor des renouvelables, en réduisant la demande de pétrole et de gaz, et donc peut-être leur prix, pourrait ralentir l'incitation... à installer des renouvelables. Les investissements récents dans les terminaux gaziers laissent entrevoir une hausse de 50 % du gaz naturel liquéfié -- une énergie particulièrement polluante -- avant 2030. Prévisions à la hausse pour le charbon et le pétrole ---------------------------------------------------- Plus surprenant, le rapport révise à la hausse ses prévisions pour le charbon en raison de la forte demande d'électricité. Il ne s'agit pas tant des data centers et de l'intelligence artificielle, dont la presse a fait grand bruit, que de la croissance économique en général, et de [[la climatisation en particulier]](https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/08/20/le-paradoxe-de-la-climatisation-de-plus-en-plus-necessaire-elle-aggrave-le-rechauffement_6185979_3244.html), dont la demande croît avec le réchauffement climatique. Du côté du pétrole, un pic de la demande est en vue avant 2030 du fait de [[l'essor... des voitures électriques]](https://www.lemonde.fr/chaleur-humaine/article/2023/12/09/climat-les-voitures-hybrides-rechargeables-sont-elles-la-solution_6204829_6125299.html). Leur diffusion est rapide en Chine, où elles représentent la moitié du marché. Mais il s'agit de plus en plus d'hybrides rechargeables, ce qui témoigne encore de la nature hybride, justement, entre fossile et renouvelable, de la transition vers *« l'âge électrique »* qu'annonce Fatih Birol. Depuis le début du XX^e^ siècle, les experts dressent un tableau de l'histoire matérielle fait non pas de phases et d'âges, mais d'empilement, de stratification et de symbioses. Avec le changement climatique, la persistance d'une vision « phasiste » des dynamiques matérielles peut être dangereuse. La notion de « transition » s'est imposée comme une évidence solide et rassurante, alors qu'elle s'ancre dans une futurologie ancienne décrivant un avenir en réalité sans passé. **« Les compagnies pétrolières ont opté pour un discours plus astucieux : celui de la transition énergétique »\ **Journal *Le Monde*\ Chronique -- Jean-Baptiste Fressoz, Historien et chercheur CNRS.\ Publié le 22 février 2023. **Les majors pétrolières sont passées du climatoscepticisme à la proclamation d'une transition énergétique à venir. Dans les faits, la part des énergies fossiles demeure stable dans le monde, explique dans sa chronique le chercheur Jean-Baptiste Fressoz.** Pour d'excellentes raisons, essentiellement judiciaires, les historiens se sont beaucoup intéressés à la fabrication du doute. [[En 2015, une fuite de documents internes]](https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/11/06/la-justice-americaine-demande-des-comptes-a-exxon-mobil-sur-le-rechauffement-climatique_4804277_3222.html) du géant pétrolier et gazier Exxon montrait le décalage extraordinaire entre la connaissance précise que possédait l'entreprise dès 1977 et sa communication mensongère sur l'incertitude qui entourerait le changement climatique. Un [[article récent]](https://www.science.org/doi/10.1126/science.abk0063) de *Science* a montré que les modèles dont Exxon disposait se sont avérés d'une précision remarquable. Si le climatoscepticisme a indéniablement joué un rôle dans la procrastination générale, cela fait maintenant vingt ans que les compagnies pétrolières, au moins en Europe, sont passées à autre chose. Le consensus scientifique puis l'expérience concrète du réchauffement rendant la stratégie du doute de moins en moins opérante, elles ont opté pour un discours plus astucieux car emportant l'adhésion générale : celui de la transition énergétique. En 2000 déjà, British Petroleum prétendait se métamorphoser en Beyond Petroleum. Plus récemment, Total a adopté le nom œcuménique de TotalEnergies. Le message, partout répété, est que les compagnies pétrolières sont devenues des acteurs de la transition énergétique. Mais celle-ci étant un long processus, elles sont bien obligées, en attendant, de pomper, de forer et même d'explorer. Presque à contrecœur... Question chronologique ---------------------- Le problème : c'était déjà cette excuse qu'Exxon donnait il y a quarante ans. Le 26 octobre 1982, à l'invitation du climatologue [[James Hansen]](https://www.lemonde.fr/festival/article/2015/07/20/james-hansen-cassandre-du-climat_4690475_4415198.html), le directeur recherche et développement de la major américaine, Edward David, prononçait un important discours dans un congrès de climatologie à l'observatoire de l'université Columbia, non loin de New York. Il ne remettait aucunement en cause le réchauffement climatique. Ancien conseiller scientifique de Nixon, Edward David connaissait parfaitement le problème. Exxon travaillait d'ailleurs sur ce sujet depuis 1977. Mais, selon lui, la question intéressante était chronologique. Quel phénomène se réalisera en premier : la catastrophe climatique ou bien la transition énergétique ? *« Tout le monde sait*, affirmait-il, *que nous sommes entrés dans une transition énergétique. »* David se fonde sur une histoire fausse de l'énergie : les Etats-Unis ont déjà connu deux transitions énergétiques : l'une du bois au charbon, la seconde du charbon au pétrole. En 1860, Exxon avait déjà œuvré à la seconde, sauvant les baleines au passage. Et, cent ans plus tard, l'entreprise répondait présente pour la troisième transition, celle qui installerait *« des énergies renouvelables qui ne poseront pas de problème de CO~2~ »*. Discours dilatoire ------------------ Edward David savait pertinemment qu'il racontait des balivernes aux climatologues. Quelques semaines après le congrès, en novembre 1982, il se rendait à Pékin pour le premier colloque sino-américain sur l'énergie. La conférence inaugurale portait sur le changement climatique. Elle était donnée par le Prix Nobel de chimie Melvin Calvin. Avec beaucoup de pédagogie, Calvin exposait les principes de base du réchauffement. Son message était sans ambiguïté : *« Je doute que l'humanité puisse s'adapter à de tels changements macroscopiques en deux générations* (...) *Il faut arrêter de brûler du charbon et du pétrole. »* Edward David était l'intervenant suivant. Son exposé portait sur *« l'incertitude dans laquelle opèrent les entreprises énergétiques »*. Il était une chose, néanmoins, dont il était certain : *« Même dans un futur lointain, les fossiles domineront le système énergétique mondial. »* Cette prédiction allait se révéler exacte, plus encore qu'il ne l'imaginait. Durant les trois décennies suivantes, la consommation de gaz allait tripler, celle de charbon doubler et celle de pétrole augmenter de 60 %. En 2010, la Chine brûlait à elle seule autant de charbon que le monde entier en 1980. Résultat : la part des fossiles dans le mix énergétique mondial demeurerait [[stable et supérieure à 80 %]](https://www.bp.com/en/global/corporate/energy-economics/statistical-review-of-world-energy.html) jusqu'à nos jours. Les marchands de doute d'hier sont devenus les marchands de transition d'aujourd'hui. Ce faisant, ils ont renoué avec un discours dilatoire. Cette évolution éclaire une fonction idéologique importante de la transition énergétique : donner au capitalisme industriel un futur politiquement correct. Elle illustre aussi la capacité de désinhibition que cette notion porte en elle : face au changement climatique, nous avons tous besoin d'un horizon de grands basculements futurs, afin de racheter notre procrastination présente. **Transition écologique : « D'où vient cette idée que, pour sauver le climat, il faut absolument ouvrir des mines ? »\ **Journal *Le Monde*\ Chronique -- Jean-Baptiste Fressoz, Historien et chercheur CNRS.\ Publié le 20 mars 2024. **Le projet de mine de lithium à Echassières (Allier) met en lumière le discours utilisé par les entreprises extractives pour légitimer leur rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique, observe l'historien Jean-Baptiste Fressoz, dans sa chronique.** La multinationale Imerys projette d'ouvrir à Echassières, dans l'Allier, une des plus grandes mines de lithium d'Europe. Le « dossier du maître d'ouvrage » remis par l'entreprise à l'occasion du débat public est un document qu'il faut lire pour comprendre les enjeux que soulève l'électrification du parc automobile. Les chiffres impressionnent : avec des réserves estimées à 375 000 tonnes, Echassières est l'un des plus importants gisements de lithium en Europe. Tréguennec, dans le Finistère, deuxième sur le podium français, serait cinq fois moins riche. L'exploitant annonce une extraction de 34 000 tonnes d'hydroxyde de lithium par an. Etant donné la teneur du minerai, son exploitation implique de retirer du sous-sol plus de 2 millions de tonnes de granit, de les concasser, de les broyer et de les soumettre à divers traitements chimiques. Tout cela consomme énormément d'eau -- sans doute plus de 1 million de mètres cubes -- et d'énergie : un four à calcination brûlera 50 millions de mètres cubes de gaz par an et l'ensemble du projet consommera 446 gigawattheures d'électricité par an, soit un millième de la production électrique française tout de même. Le plus surprenant est que, malgré ce gigantisme, le site d'Echassières ne représente qu'une toute petite partie de l'industrie minière nécessaire pour électrifier le parc automobile français. [[De cette mine, Imerys prévoit de sortir suffisamment de lithium pour fabriquer 17 millions de voitures]](https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/24/imerys-annonce-l-ouverture-de-la-premiere-production-de-lithium-en-france-qui-fera-de-l-entreprise-un-acteur-de-poids-du-marche-europeen_6147060_3234.html), soit seulement un tiers du parc actuel. Bien d'autres Echassières en France, et surtout ailleurs, sont donc à prévoir. Cerise sur le gâteau, le lithium ne représente que 4 % du poids des batteries des véhicules électriques, les 96 autres -- graphite, aluminium, cobalt, manganèse, nickel et cuivre -- posant aussi des problèmes environnementaux. Redorer le blason de la mine ---------------------------- L'argument principal à l'appui du dossier est évidemment l'impératif de la transition énergétique. *« Le projet*, peut-on lire, *pourrait représenter une solution de décarbonation permettant de contribuer à l'objectif fixé par l'Union européenne de zéro émission nette d'ici à 2050. »* La formulation, alambiquée, se comprend quand on voit le graphique qui suit : à l'échelle européenne, la voiture électrique ne réduit que de 60 % les émissions de CO~2~ par rapport à un véhicule thermique. Un progrès donc, mais qui nous laisse assez loin de l'objectif de la neutralité carbone. Il est probable que l'électrification en cours du parc automobile ne fasse que reporter à un peu plus tard le franchissement des + 2 °C par rapport à l'époque préindustrielle. D'où vient alors cette idée que, pour sauver le climat, il faut absolument ouvrir des mines ? Dans un livre récent, *La Ruée minière au XXI^e^ siècle. Enquête sur les métaux à l'ère de la transition* (Seuil, 352 pages, 23 euros), la journaliste Celia Izoard a retracé l'histoire de cette association. Au début des années 2000, face la montée en puissance de l'industrie chinoise, l'Europe et les Etats-Unis se préoccupent de leur souveraineté minérale, car il leur faut sécuriser des approvisionnements en métaux « critiques » pour l'aéronautique, l'automobile, l'électronique, l'armement... Dans les rapports sur ce sujet, la question du climat est alors absente. En 2012, Arnaud Montebourg, le ministre chargé de l'industrie, lance, par exemple, la *« stratégie du renouveau minier » *: il n'est pas question de transition, mais de souveraineté et de *« redressement industriel »*. Naturellement, les ONG considèrent ces initiatives d'un mauvais œil, tant les mines sont, par la nature même de leur activité, polluantes. Le lobby du secteur, Euromines, se plaint de l'hostilité ambiante auprès de la Commission européenne. Arrive 2015 et l'accord de Paris : [[l'occasion rêvée pour redorer le blason de la mine]](https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/24/la-france-a-la-recherche-de-sa-souverainete-miniere-entre-diplomatie-economique-et-production-locale_6147082_3234.html). En 2017, la Banque mondiale, en collaboration avec les géants miniers, calcule les besoins en métaux pour décarboner l'infrastructure énergétique mondiale. Après cette date, les mêmes rapports, portant sur les mêmes problèmes d'approvisionnement, se placent dorénavant sous la bannière du climat. Le lobby minier parle maintenant *« des métaux pour la transition »*, alors qu'il s'agit souvent de métaux pour l'électronique et l'industrie en général. En quelques années, le climat est ainsi parvenu à réenchanter la mine. **« Les pays industriels ont "choisi" la croissance et le réchauffement climatique, et s'en sont remis à l'adaptation »\ **Journal *Le Monde*\ Chronique -- Jean-Baptiste Fressoz, Historien et chercheur CNRS.\ Publié le 07 juin 2023. **Dès la fin des années 1970, les gouvernements des pays industriels, constatant l'inéluctabilité du réchauffement, ont délibérément poursuivi leurs activités polluantes quitte à s'adapter à leurs effets sur le climat, rappelle Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique.** L'émoi provoqué par la sortie du ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, qui a annoncé *« commencer à construire une trajectoire* \[de réchauffement\] *à 4°C »* en vue de la fin du siècle, est assez hypocrite. Que l'objectif des 2°C, et a fortiori celui de 1,5°C, soit pour ainsi dire inatteignable est un secret de polichinelle. Il suffit de considérer les diminutions extraordinairement rapides des émissions qu'il faudrait obtenir pendant les années 2020 pour comprendre le problème. Mais feindre la surprise donne l'impression d'avoir essayé : l'adaptation serait donc le résultat d'un échec, celui de nos efforts de transition. Or, ce récit moralement réconfortant est une fable. En réalité, l'adaptation a été très tôt choisie comme la stratégie optimale. Dès novembre 1976, la Mitre Corporation, un groupe de réflexion d'origine militaire proche de la Maison Blanche, organisait un congrès intitulé « Living with Climate Change : Phase II ». Dans son préambule, le rapport passait rapidement sur le réchauffement, considéré comme inexorable. Restait à en évaluer les conséquences sur l'économie américaine. Mitre souhaitait ouvrir *« un dialogue avec les leaders de l'industrie, de la science et du gouvernement »*. Le résultat est impressionnant de prescience, et de désinvolture. Prescience quand il aborde par exemple le problème de la contraction des sols argileux et de ses effets sur la solidité des bâtiments, une conséquence effectivement coûteuse du réchauffement ; désinvolture, [[quand rien n'est dit de l'assèchement du Colorado]](https://www.lemonde.fr/climat/article/2022/08/17/dans-l-ouest-des-etats-unis-la-secheresse-proche-du-point-de-non-retour-washington-contraint-de-rationner-l-eau-du-colorado_6138211_1652612.html), des incendies de forêt ou des tempêtes en Louisiane. L'agriculture était bien identifiée comme vulnérable mais, à l'échelle des Etats-Unis, ce secteur aurait toujours le moyen de déplacer les zones de production. Une bataille perdue d'avance ---------------------------- En 1983, le rapport « Changing Climate » de l'Académie des sciences américaine -- le titre est révélateur -- reprenait cette vision rassurante. Le dernier chapitre reconnaissait l'impact du réchauffement sur l'agriculture, mais comme son poids dans l'économie nationale était faible, cela n'avait pas grande importance. Concernant les *« zones affectées de manière catastrophique »*, leur sacrifice était nécessaire pour ne pas entraver la croissance du reste du pays, même s'il faudra probablement les dédommager. Au Royaume-Uni, un séminaire gouvernemental d'avril 1989 exprimait également bien ce point de vue. La première ministre Margaret Thatcher (1979-1990) avait demandé à son gouvernement d'identifier les moyens de réduire les émissions. Les réponses vont toutes dans le même sens : inutile de se lancer dans une bataille perdue d'avance. On pourrait certes améliorer l'efficacité des véhicules, mais les gains seraient probablement annihilés par ce que [[les économistes définissent comme les « effets rebonds »]](https://www.lemonde.fr/planete/article/2011/02/24/l-effet-rebond-penalise-les-economies-d-energie-et-le-climat_5981970_3244.html). Selon le ministre de l'agriculture, *« pour avoir un effet, les mesures à prendre devraient être si sévères qu'elles auraient des conséquences catastrophiques sur notre compétitivité »*. Le ministre de l'énergie rappelait que le Royaume-Uni ne représentait que 3 % des émissions et que cette part allait rapidement diminuer avec l'émergence de la Chine et de l'Inde. Des efforts, même héroïques, n'auraient aucun effet perceptible sur le climat. La conclusion s'imposait : *« On ne peut pas faire grand-chose à l'échelle nationale, et même internationale, pour empêcher le réchauffement global. On peut seulement espérer en atténuer les effets et nous y adapter. »* C'est à cette époque que le Royaume-Uni se prononce contre le projet d'écotaxe européenne. La France, sous l'égide de Michel Rocard, avait d'abord promu ce dispositif -- qui avantageait son industrie alimentée au nucléaire -- avant de faire volte-face juste avant la conférence sur l'environnement de Rio de 1992. C'est aussi à cette époque que l'économiste William Nordhaus démontrait *« mathématiquement »* le caractère optimal d'un réchauffement de 3,5°C en 2100... Il obtiendra [[le « prix Nobel d'économie » en 2018 pour ces travaux]](https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/10/08/le-nobel-d-economie-attribue-a-deux-americains-pour-des-travaux-sur-le-changement-climatique_5366325_3234.html). Sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont « choisi » la croissance et le réchauffement, et s'en sont remis à l'adaptation. Cette résignation n'a jamais été explicitée, les populations n'ont pas été consultées, surtout celles qui en seront et en sont déjà les victimes. « Les technologies de contrôle de la pluie dont fait usage la Chine doivent être encadrées » Journal *Le Monde* Tribune -- Frank Galland, chercheur associé à Fondation pour la recherche stratégique. Publié le 01 mars 2023. ============================================================================================================================================================================================================================== **Expérimentées depuis le milieu du XXᵉ siècle, les techniques artificielles de pluviométrie via ensemencement de nuages sont aujourd'hui utilisées par de nombreux pays, en particulier la Chine. Or, ces techniques et leur usage ne sont pas réglementés en temps de paix, déplore, dans une tribune au « Monde », Franck Galland, spécialiste des questions sécuritaires liées aux ressources en eau.** A l'heure où le changement climatique exerce un peu plus son œuvre, entraînant notamment une modification profonde des régimes pluviométriques, il convient de s'attarder sur les techniques destinées à faire pleuvoir ou, à l'inverse, à faire cesser la pluie. Celles-ci ne relèvent plus de la science-fiction, comme au temps où Edgar P. Jacobs les faisait découvrir aux lecteurs des aventures de Blake et Mortimer dans *SOS Météores*. Les deux aventuriers étaient alors confrontés aux plans machiavéliques du professeur Miloch et du colonel Olrik, visant à modifier le temps en créant une pluie incessante pour semer le chaos et faciliter une invasion militaire ultérieure. En 1959, les techniques artificielles de pluviométrie via ensemencement de nuages (ou *cloud seeding*) existaient déjà et ont dû à l'évidence inspirer le bédéiste. Un chimiste travaillant pour General Electric, Vincent Schaefer, est à l'origine des premières expériences en la matière. Parce qu'il les jugeait prometteuses, le ministère de la défense américain s'est ensuite associé à General Electric pour étendre ces recherches à la lutte contre les ouragans, avant de donner naissance au projet Cirrus -- ce dernier visant à expérimenter militairement les techniques d'ensemencement dans les basses couches de nuage avec de l'iodure d'argent. L'état-major américain utilisera ces techniques [[durant la guerre du Vietnam]](https://www.lemonde.fr/archives/article/1972/07/05/poursuivant-leur-contre-offensive-les-troupes-sud-vietnamiennes-se-trouvent-aux-portes-de-quang-tri-nouveaux-bombardements-de-hanoi-les-americains-provoquent-des-pluies-artificiell_3031795_1819218.html), à travers le projet Popeye, afin de ralentir la progression des colonnes logistiques de l'armée nord-vietnamienne en inondant la piste Ho Chi Minh. Les résultats furent jugés suffisamment prometteurs pour que le Pentagone poursuive l'opération de 1967 à 1972. Maîtrise chinoise ----------------- L'arme de la modification climatique sera formellement interdite le 5 octobre 1978 par l'entrée en vigueur de la convention internationale Enmod (Environmental Modification Convention) ; les Etats signataires s'engageant *« à ne pas utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l'environnement ayant des effets étendus, durables et graves en tant que moyens de causer des destructions ou des préjudices à tout autre Etat partie* *»* (article 1^er^). Force est cependant de constater que la géo-ingénierie, à savoir la capacité qu'a désormais l'homme à modifier le temps qu'il fait, échappe aujourd'hui à Enmod et ne fait l'objet d'aucune convention internationale pour temps de paix. Le National Intelligence Council américain a du reste prévenu dès 2020 que l'absence de dialogue international sur le sujet pouvait conduire un Etat ou un groupe d'individus à manipuler le climat. L'ingénierie climatique est en effet de plus en plus utilisée -- une cinquantaine de pays la pratiquent, allant des Emirats arabes unis à l'Australie. Mais c'est la Chine, et plus précisément l'armée chinoise, qui est passée maîtresse en la matière. En Chine, l'ensemencement de nuage remonte à 1958. Il avait alors pour seul objectif de faire pleuvoir pour renforcer l'approvisionnement en eau des villes et des campagnes. Forte de plus de soixante années d'expérience, la Chine souhaite désormais renforcer ses capacités d'ici à 2025, à travers un ambitieux programme d'ensemencement de nuages sur un territoire 1,5 fois plus vaste que l'Inde, soit 5,5 millions de kilomètres carrés. Du civil au militaire --------------------- Pour remplir l'objectif qu'elle s'est fixé, la Chine ne va plus seulement utiliser les fusées sol-air servies par ses régiments d'artillerie ou les missiles de son armée de l'air, mais a maintenant recours aux capacités des drones. L'utilisation du drone Wing Loong-2H permet de détecter les nuages précipitant, puis d'agir en provoquant une pluie artificielle. Une expérimentation a été menée en ce sens début octobre 2022 sur les hauts plateaux du Tibet dans la province de Qinghai, située au nord-ouest de la Chine. Cet espace géographique est considéré comme le château d'eau du pays, car il est la source de trois fleuves majeurs d'Asie : le fleuve Yangtsé, le fleuve Jaune et le Mékong. Pour renforcer ses progrès en géo-ingénierie, la Chine ne fait également pas mystère des avantages que vont lui procurer ses avancées en intelligence artificielle, dont elle a affiché l'ambition de devenir leader mondial d'ici à 2030. L'intelligence artificielle devrait lui permettre de déterminer le meilleur moment d'ensemencement en fonction de l'évolution nuageuse, tout en simulant le comportement de l'iodure d'argent une fois introduit dans les basses couches de nuages. Ce sont ainsi plusieurs milliards de dollars que la Chine consacre au renforcement de ses capacités. L'usage qu'elle en affiche est d'abord civil : lutter contre les incendies de forêts, remplir les retenues hydrauliques naturelles et artificielles, dissiper la pollution comme ce fut le cas à la veille des cérémonies du centenaire du Parti communiste chinois, le 1^er^ juillet 2021, ou encore prévenir les orages de grêles et leurs dommages sur l'agriculture. Mais, comme dans le domaine nucléaire, d'un usage civil, pacifique, à un usage militaire, hostile, il n'y a souvent qu'un pas. Bureaux de modification climatique ---------------------------------- C'est précisément ce qui inquiète l'Inde, qui voit dans les expérimentations chinoises sur les hauts plateaux du Tibet des risques de modifications des régimes pluviométriques sur la partie septentrionale de son territoire avec de multiples incidences possibles sur le débit de ses cours d'eau stratégiques : Indus, Gange, Brahmapoutre, qui prennent tous leurs sources au Tibet, en territoire chinois. L'autre pays inquiet des recherches et expérimentations chinoises est Taïwan, qui est entré depuis 2020 dans une décennie à risques élevés de confrontation avec la Chine. Chien Shiuh-Shen, professeur en géographie et en science de l'environnement à la National Taiwan University, attirait récemment l'attention sur le fait que les manipulations climatiques ne sont absolument pas encouragées par l'Organisation météorologique mondiale, et dénonçait l'ouverture de bureaux de modification climatique dans les provinces chinoises, avec des expérimentations couvrant maintenant les deux tiers du territoire, sans être en capacité d'évaluer précisément les conséquences des perturbations engendrées. D'où l'impérieuse nécessité, avant que des tensions n'éclatent au grand jour, de légiférer au niveau international pour encadrer l'utilisation des techniques d'ensemencement de nuages, ainsi que leur fréquence. Une question d'importance dont devrait s'emparer la Conférence sur l'eau des Nations unies, qui doit se tenir à New York, du 22 au 24 mars. **Franck Galland** est spécialiste des questions sécuritaires liées aux ressources en eau, chercheur associé à Fondation pour la recherche stratégique. Il est notamment l'auteur de « Guerre et eau. L'eau enjeu stratégique des conflits modernes » (Robert Laffont, 2021). La géo-ingénierie solaire : folie d'apprenti sorcier ou solution de dernier recours contre la crise climatique ? Journal *Le Monde* Article, par Audrey Garric. Publié le 17 février 2023. ========================================================================================================================================================================================== **Un Américain a tenté d'envoyer des aérosols dans la stratosphère pour provoquer un refroidissement de la Terre. Les techniques de manipulation du climat intéressent mais inquiètent, faute de connaissances sur les retombées et d'encadrement.** Luke Iseman lance l'un des deux ballons qu'il a relâchés le 11 avril depuis la Basse-Californie du Sud, au Mexique. Il les a remplis de dioxyde de soufre et d'hélium et espère qu'ils sont parvenus dans la stratosphère où ils auraient explosé et relâché des particules soufrées. De quoi réfléchir une partie des rayons du Soleil et provoquer un refroidissement de la Terre. ; Luke Iseman lance l'un des deux ballons qu'il a relâchés le 11 avril depuis la Basse-Californie du Sud, au Mexique. Il les a remplis de dioxyde de soufre et d'hélium et espère qu'ils sont parvenus dans la stratosphère où ils auraient explosé et relâché des particules soufrées. De quoi réfléchir une partie des rayons du Soleil et provoquer un refroidissement de la Terre. LUKE ISEMAN En avril 2022, l'Américain Luke Iseman a rempli deux ballons gonflés à l'hélium avec un peu de dioxyde de soufre. Depuis sa caravane installée au Mexique, il les a relâchés dans le ciel dégagé, les laissant s'élever dans les airs. Le fondateur et PDG de l'entreprise Make Sunsets espère qu'ils sont parvenus dans la stratosphère, la région de l'atmosphère qui s'étend de 15 kilomètres à 50 kilomètres d'altitude, où ils auraient explosé et libéré des particules soufrées. De quoi réfléchir une partie des rayons du Soleil et provoquer un refroidissement de la Terre. Si elle s'avérait réussie, il s'agirait de la première expérience grandeur nature, dans la stratosphère, de géo-ingénierie solaire, un ensemble très controversé de techniques visant à modifier de manière volontaire le climat de la Terre en vue d'atténuer le réchauffement climatique. L'essai, révélé fin décembre par la revue [*[MIT Technology Review]*](https://www.technologyreview.com/2022/12/24/1066041/a-startup-says-its-begun-releasing-particles-into-the-atmosphere-in-an-effort-to-tweak-the-climate/), a été largement condamné par la communauté scientifique, suscitant indignation et inquiétudes. Car l'action de Luke Iseman soulève de nombreux problèmes, tant d'ordre scientifique qu'éthique. La start-up a réalisé son essai en dehors de tout cadre, sans consulter aucune autorité locale et sans supervision scientifique -- de sorte que le gouvernement mexicain a indiqué qu'il allait interdire ces technologies. Ses ballons ne contenaient aucun instrument pour collecter des données et évaluer les effets de l'expérience, et n'ont pas été récupérés. L'entreprise cherche en outre à en tirer profit : elle vend des crédits carbone liés au refroidissement prétendument obtenu. *« Cette expérience, si tant est qu'elle ait fonctionné, serait insignifiante pour le climat étant donné les très faibles quantités de soufre utilisées*, indique d'emblée le climatologue Olivier Boucher, directeur de recherche (CNRS) à l'Institut Pierre-Simon Laplace. *Mais elle est grave d'un point de vue symbolique. »* Nombre de scientifiques craignent qu'elle crée un dangereux précédent, et que des pays ou individus riches et puissants tentent, à l'avenir, de manipuler le climat de manière unilatérale alors que ces technologies ne sont ni matures ni encadrées. Ce vieux rêve technoscientifique, qui apparaît de moins en moins comme de la science-fiction, connaît un regain d'intérêt à mesure que la crise climatique s'aggrave. Alors que le monde se dirige vers un réchauffement catastrophique [[de 2,5 °C à la fin du siècle]](https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/10/27/le-monde-se-dirige-vers-un-rechauffement-catastrophique-de-2-5-c-a-la-fin-du-siecle_6147562_3244.html), le dépassement de 1,5 °C -- limite inscrite dans l'accord de Paris -- semble désormais inéluctable. Pour ses promoteurs, la géo-ingénierie solaire permettrait de conserver des températures clémentes le temps que les pays parviennent à décarboner leurs économies et à s'adapter au dérèglement climatique. Une solution de dernier recours qui nécessiterait de toute urgence, plaident-ils, une recherche plus poussée et l'élaboration d'un cadre de gouvernance. A l'inverse, pour ses contempteurs, cette folie d'apprentis sorciers ne constituerait qu'un écran de fumée en ne s'attaquant qu'à une partie des symptômes mais pas aux causes du réchauffement -- les émissions de gaz à effet de serre. Ces technologies risqueraient de repousser une véritable action et présenteraient de nombreux risques, pouvant virer au cauchemar. « Gagner un peu de temps » -------------------------- *« J'ai mené cet essai car je suis frustré du manque d'action face à l'urgence climatique. C'est moralement mauvais de ne rien faire, cela va entraîner des millions de morts et des milliers d'extinctions d'espèces. J'essaie juste de nous faire gagner un peu de temps »*, justifie Luke Iseman. Il reconnaît qu'il faut décarboner l'économie, mais juge que cela signifie *« perdre son niveau de vie, ce dont personne ne veut »*. L'entrepreneur a d'ores et déjà planifié l'envoi de trois à cinq nouveaux ballons dans les deux prochaines semaines, cette fois munis d'un GPS et expédiés depuis les Etats-Unis. L'homme est un novice dans le domaine : cet ancien directeur du matériel informatique pour l'entreprise Y Combinator, âgé de 39 ans, s'est intéressé au sujet en 2022 en lisant un roman et a bricolé à la va-vite un site Internet, dont [[un article]](https://makesunsets.com/blogs/news/the-secret-weapon-to-fight-global-warming-stratospheric-aerosol-injection) est écrit avec l'outil d'intelligence artificielle ChatGPT et les autres contiennent de nombreuses erreurs scientifiques. Pourtant, preuve de l'intérêt pour la géo-ingénierie, sa start-up, créée en octobre dans le Delaware, est parvenue à lever 750 000 dollars (700 000 euros), notamment d'investisseurs américains tels que Boost VC et Pioneer Fund. Près de 50 personnes ont déjà acheté 1 500 de ses crédits carbone -- d'un coût de 1 ou 10 dollars l'unité. En franchissant cette ligne rouge, Luke Iseman espère contribuer à *« animer le débat public »* et à *« faire avancer un domaine scientifique bloqué par les critiques »*. *« C'est un sujet qui fascine les ingénieurs, inquiète beaucoup de gens et n'est pas bien compris par le grand public, car il est entouré de nombreuses idées reçues et de théories conspirationnistes »*, prévient la climatologue Valérie Masson-Delmotte, la coprésidente du groupe 1 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Imiter les volcans ------------------ De quoi s'agit-il précisément ? Le terme de géo-ingénierie, [[utilisé à partir des années 1970]](https://keith.seas.harvard.edu/sites/hwpi.harvard.edu/files/tkg/files/26.keith_.2000.geoengineeringhistoryandprospect.e.pdf?m=1529080493), recoupe communément deux grandes catégories, qui s'attaquent pour l'une à la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère et pour l'autre à l'excès de chaleur. D'un côté, la géo-ingénierie carbone permet d'éliminer le dioxyde de carbone excédentaire de l'atmosphère (par le boisement, la capture directe dans l'air, etc.). Ces techniques sont considérées par le GIEC comme nécessaires à l'atteinte de la neutralité carbone et de nombreuses installations sont développées -- encore à petite échelle -- tout en faisant débat. De l'autre, la géo-ingénierie solaire, aussi appelée modification du rayonnement solaire (SRM), vise à contrecarrer l'augmentation de la température de la Terre en réfléchissant une infime fraction des rayons du Soleil vers l'espace. Cette fois, ces techniques restent très hypothétiques et sont hautement contestées. Une troisième catégorie est parfois ajoutée : les techniques d'ensemencement des nuages à l'aide d'iodure d'argent ou de sel pour faire pleuvoir par exemple, comme le pratiquent la Chine ou les pays du Golfe. Mais les climatologues considèrent qu'elles ne font pas partie de la géo-ingénierie, car elles visent à modifier la météo localement et non le climat globalement. **« Dans un monde où l'énergie sera de moins en moins disponible, il semble sage de privilégier les activités jugées utiles pour la société »\ **Journal *Le Monde*\ Tribune -- Reuben Fisher, entrepreneur\ Publié le 22 novembre 2024. **Afin de limiter les émissions de carbone des activités humaines, une nouvelle forme de démocratie directe pour réguler la liberté d'entreprendre doit être imaginée, affirme l'entrepreneur Reuben Fisher, dans une tribune au « Monde ».** Avons-nous vraiment besoin de dentifrice à paillettes d'or ? D'eau de glacier en bouteille ? D'air canadien en bonbonne ou de taxis volants à Paris ? A l'heure de l'urgence climatique dans un monde en polycrise, il s'agit plutôt d'éviter que des produits et services superflus ne voient le jour. Les exemples ci-dessus ne sont pas des biens ou services indispensables, ni même utiles, mais certains trouvent leur marché. Le seul critère de rentabilité des entreprises qui les proposent ne permet donc pas de trier entre ce qui est utile et ce qui est futile, voire dommageable. Or, dans un monde où l'énergie sera vraisemblablement de moins en moins disponible, il semble sage de privilégier les activités jugées suffisamment utiles. Les émissions de gaz à effet de serre en France doivent baisser de 40 % d'ici à 2030 par rapport à 1990 : ne faudrait-il pas allouer une partiede ce budget carbone commun à ces seules activités et services ? Aujourd'hui, sauf dans le cadre de l'économie sociale et solidaire, il n'y a pas de critère d'utilité à l'activité d'une entreprise. Est-ce qu'un Jet-Ski est beaucoup plus utile qu'un Pédalo (en dehors du sauvetage en mer) ? Hormis pour les gardes forestiers, une motocross est-elle beaucoup plus utile qu'un VTT ? Au vu de la difficulté à faire baisser les émissions incontestablement utiles des secteurs comme le logement, le transport de marchandises ou l'industrie, il serait pourtant logique d'éviter le CO~2~ futile causé par des biens et services inutiles. Mais différencier les activités souhaitables de celles non souhaitables revient à limiter la liberté d'entreprendre. Décision collective ------------------- La loi du 1^er^ août 2000 modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dispose qu'il est *« cependant loisible au législateur de lui apporter* \[à la liberté d'entreprendre\] *des limitations justifiées par l'intérêt général »*. Sur ce principe, il est possible d'imaginer une nouvelle forme de démocratie directe et participative pour réguler la liberté d'entreprendre : les entreprises présenteraient leurs projets à un comité régional citoyen d'allocation des biens communs pour évaluation de l'utilité du service ou du produit proposés, permettant ainsi d'éviter d'allouer de l'énergie à des activités futiles et de générer des émissions de gaz à effet de serre. Ce comité serait composé de citoyens tirés au sort et appelés pour accomplir un devoir de transition, comme les jurés aux assises. Après une formation sur les enjeux de l'énergie et du climat et sur les limites planétaires, ils seraient armés des connaissances pour comprendre les impacts potentiels de l'entreprise demanderesse sur son environnement, et pourraient émettre un avis négatif en cas de *« caractère excessif de l'impact environnemental des biens et services sur le climat »*, comme le dispose le code de l'environnement (art. L. 229-64 à L. 229-67). Cet impact pourrait être par exemple apprécié au regard de la stratégie nationale bas carbone. Pour ce faire, le comité pourrait aussi s'appuyer sur des critères comme le nombre d'emplois créés, les effets sur la santé des personnes, l'existence ou non de produits ou services semblables, la possibilité d'un équivalent low tech (par exemple, Pédalo versus Jet-Ski), la probabilité ou non d'un « effet rebond » (lorsque les gains environnementaux obtenus sont diminués ou annulés par une augmentation de la consommation), l'accessibilité du produit ou service à la plus grande part de la population... L'avis favorable du comité serait obligatoire pour la création de l'entreprise. Pour ne pas freiner la dynamique de création d'entreprises (environ 1 million par an !), chaque comité régional devrait se réunir une fois par semaine et statuerait en priorité sur les entreprises de taille moyenne ou à forte intensité capitalistique, avant les microentreprises ou les autoentrepreneurs. Il serait logique d'étendre cette grille d'analyse à partir de la seule création de nouvelles entreprises aux activités des entreprises existantes, ainsi qu'à leurs produits et services. Il serait donné aux entreprises jugées insuffisamment utiles un délai de redirection ou de transformation de leur modèle économique, faute de quoi une cessation de l'activité devrait être prononcée. Ce serait ainsi une décision collective qui allouerait l'énergie et le budget carbone à des produits et services jugés utiles pour la société. Même si les investissements verts fleurissent, nous avons aussi et surtout besoin de réduire les investissements bruns. **Reuben Fisher** est cofondateur et gérant de Novelera, coopérative de conseil en responsabilité sociale d'entreprise. **« L'effort climatique, comme l'effort de guerre, requiert une réallocation rapide et massive des ressources »**\ Journal *Le Monde*\ Tribune -- Alexandre Chirat et Basile Clerc, économistes\ Publié le 22 novembre 2024. **Faire varier le prix en fonction de la quantité consommée permettrait de réduire les usages sans pénaliser les plus modestes, plaident les économistes Alexandre Chirat et Basile Clerc dans une tribune au « Monde ».** Tandis que le rapport de l'ancien président de la BCE Mario Draghi enjoint à l'Union européenne d'investir 800 milliards d'euros afin d'améliorer la compétitivité des Etats membres, la Commission européenne demande à la France de réduire ses dépenses en raison d'un *« [[déficit excessif]](https://www.lemonde.fr/international/article/2024/07/26/l-ue-ouvre-une-procedure-pour-deficit-excessif-contre-la-france-et-six-autres-pays_6258796_3210.html) ».* Tandis que le même rapport souligne que *« la soutenabilité politique pourrait être menacée si la décarbonisation conduisait à la désindustrialisation »*, la COP29 constate avec regret que l'objectif d'un réchauffement climatique inférieur à + 1,5 °C semble déjà hors d'atteinte... Ces injonctions contradictoires conduisent certains à réclamer la mise en œuvre d'une *« économie de guerre climatique »*, mettant ainsi en évidence que l'effort climatique, comme l'effort de guerre, requiert une réallocation rapide et massive des ressources, tout en limitant le coût de la transition pour asseoir son acceptabilité sociale. Ce parallèle invite à s'interroger sur la pertinence des méthodes mises en œuvre lors de la seconde guerre mondiale. L'une d'entre elles a été le contrôle des prix. Mais cet outil de politique économique agit comme un repoussoir pour nombre d'économistes, bien que son usage ait été très répandu pendant les « trente glorieuses ». Plusieurs prix sont d'ailleurs toujours contrôlés : médicaments, frais bancaires, etc. La conception dominante demeure néanmoins que le contrôle des prix entraîne nécessairement des pénuries et nécessite un énorme appareil bureaucratique. Mais cela n'est vrai que dans certaines conditions, en particulier l'existence de marchés concurrentiels et de rendements décroissants. De surcroît, le contrôle des prix n'est pas réductible au blocage des prix*.* Il est tout à fait possible d'envisager des barèmes mobiles comprenant des prix planchers et des prix plafonds. Le bouclier tarifaire entré en vigueur en octobre 2021 constitue bien un tel mécanisme partiel de contrôle des prix. Portée sociale -------------- Le Prix Nobel 2001 Joseph Stiglitz [[a récemment proposé]](https://www.project-syndicate.org/commentary/west-needs-war-economics-energy-food-supply-shortages-by-joseph-e-stiglitz-2022-10) de recourir à la tarification « non linéaire » afin de lutter contre la flambée des prix de l'énergie. Ce dispositif fait varier le prix payé en fonction de la quantité consommée. Aux yeux des économistes, il a l'avantage de modifier les comportements en jouant sur les incitations plutôt que la contrainte. Prenons l'exemple de l'électricité, dont une partie de la production devra répondre à la décroissance du parc automobile thermique. Une tarification non linéaire consiste à faire payer à un ménage un prix du kilowattheure qui varie en fonction de sa consommation. Imaginons que pour un couple avec deux enfants dans un logement de classe énergétique D, la consommation définie comme « normale » s'établisse à 12 000 kilowattheures par an. Les 12 000 premiers kilowattheures consommés sont facturés à 0,21 euro (tarif des heures creuses). Mais entre 12 000 et 14 000 kilowattheures, le prix s'élève à 0,27 euro (tarif des heures pleines), pour ensuite croître de manière exponentielle. Une telle mesure incite l'ensemble des ménages à faire des économies d'énergie, tout en ayant une portée sociale. En effet, les ménages les plus modestes, de facto limités dans leur consommation, verraient leur facture diminuer, indirectement subventionnée par les ménages aisés consommant au-delà de la norme. Si un tel dispositif incite les ménages énergivores à modifier leur comportement, on ne peut exclure que les mieux dotés économiquement ne diminuent pas leur consommation. Toutefois, toute surconsommation étant taxée de plus en plus sévèrement par l'augmentation progressive du prix du kilowattheure, les montants ainsi récupérés peuvent être alloués aux financements des investissements nécessaires à la production d'énergie décarbonée. Pour ne pas pénaliser les familles nombreuses, la norme de consommation doit tenir compte du nombre de membres du ménage. Et aussi de la classe énergétique du logement. Acceptabilité politique ----------------------- La tarification non linéaire peut aussi favoriser la réallocation de la consommation, donc à terme de la production, en détournant les consommateurs des secteurs polluants, par le biais de la modification des prix relatifs. Prenons l'exemple des transports. Etant acté que le secteur aérien doit décroître, il est envisageable de rationner par les quantités, en fixant un quota. Ainsi, 41 % des Français sont, pour l'heure, favorables à la mesure consistant à [[limiter à quatre le nombre de vols]](https://csa.eu/news/etude-here-les-francais-et-la-proposition-dun-quota-de-4-vols-par-personne-dans-une-vie/) dans une vie. En cas d'acceptabilité insuffisante, il est possible d'agir par les prix. L'augmentation du prix du billet d'avion en fonction du nombre de kilomètres parcourus conduirait rapidement à une diminution du nombre de vols. Un Paris-Nice à 1 000 euros pour une réunion de deux heures ne serait plus financé par les entreprises. Ce dispositif n'est pas une solution miracle ; il ne peut être établi isolément d'autres outils. Mais son acceptabilité politique est sans doute supérieure à celle d'un rationnement pur et simple. Il permet de piloter la transformation des structures productives de l'économie de manière flexible en ajustant graduellement la progressivité. Il ne requiert pas un appareil bureaucratique immense, à l'heure des compteurs connectés et des passeports biométriques, mais une simple structure d'échange d'informations entre parties prenantes. Enfin, les comportements contraires aux objectifs de transition écologique étant pénalisés, ce dispositif conduirait à une redistribution sur la base des comportements individuels de consommation, lesquels sont partiellement corrélés aux revenus. L'ampleur des enjeux auxquels nous faisons face implique de ne pas se montrer dogmatique dans l'appréhension des outils de contrôle des prix. **Alexandre Chirat** est maître de conférences en sciences économiques à l'université Paris-Nanterre ; **Basile Clerc** est doctorant en sciences économiques à l'université Paris-Nanterre et à l'Institut national du service public (INSP, ex-ENA). **« Ponctionnons les multinationales qui mettent en danger la santé des consommateurs ou l'environnement »\ **Journal *Le Monde*\ Tribune -- Jérôme Mathis, économiste.\ Publié le 22 novembre 2024. **Aux Etats-Unis, les grandes entreprises se voient infliger des milliards de dollars d'amendes pour les dommages occasionnés. Rien de tel en France, regrette l'économiste Jérôme Mathis, dans une tribune au « Monde ».** A l'heure des débats sur la répartition des 60 milliards d'euros d'effort budgétaire, une proposition reste absente : recourir aux dommages « punitifs » pour ponctionner les multinationales qui mettent en danger la santé des consommateurs ou l'environnement. Les dommages punitifs, également appelés dommages « exemplaires », visent à sanctionner un comportement particulièrement fautif ou répréhensible. Ils peuvent être nettement supérieurs aux dommages « compensatoires », qui ont pour objectif d'indemniser une victime pour ses pertes réelles. Aux Etats-Unis, leur montant considérable confère un fort pouvoir de négociation aux autorités publiques. Dans le scandale des moteurs diesel truqués (« dieselgate »), Volkswagen a ainsi proposé de verser 15 milliards de dollars (14 milliards d'euros) en échange de l'arrêt des poursuites. La facture totale, qui inclut non seulement les amendes civiles et pénales, mais aussi le rachat (de 5 000 à 10 000 dollars par véhicule), la réparation et l'indemnisation des clients, a dépassé 25 milliards de dollars en 2018, dont plus de 4 milliards ont directement alimenté les caisses publiques américaines. La France, où le nombre d'automobiles trafiquées était environ le double, n'a pas récolté 1 euro du constructeur à ce jour. Et pour cause : les dommages punitifs sont inexistants dans la loi française, et les dommages compensatoires sont en pratique fortement réduits. Chaque année, grâce à un arsenal juridique qui lui confère une position avantageuse dans les négociations, la justice américaine obtient des entreprises fautives des paiements colossaux, dont une partie est utilisée pour renflouer les budgets des instances publiques. En 2023, la bourse d'échange de cryptomonnaies Binance a accepté de verser 4,3 milliards de dollars pour mettre un terme à des poursuites pour blanchiment d'argent. En 2022, trois distributeurs pharmaceutiques et le fabricant Johnson & Johnson, impliqués dans la crise des opioïdes, sont convenus de débourser 26 milliards de dollars. Rapport de force ---------------- Pour apaiser les avocats inquiets de l'impact de cette sanction sur la trésorerie de leurs clients, le ministère de la justice a concédé d'étaler les règlements sur presque deux décennies. Il en fut de même à la fin des années 1990 lorsque l'industrie du tabac s'est engagée à verser plus de 200 milliards de dollars sur vingt-cinq ans pour indemniser 46 Etats de leurs dépenses de santé liées à la cigarette. La France, où le tabagisme constitue la première cause de décès évitable et tue plus de 200 personnes par jour, pourrait faire valoir une copieuse facture en dépenses de santé. Hélas, notre cadre juridique place les entreprises fautives hors de portée des tribunaux de la République. Si bien que nous n'avons pas du tout le même rapport de force avec elles. En témoigne la convention judiciaire d'intérêt public que Nestlé Waters a conclue, en septembre, avec le parquet d'Epinal pour clore l'affaire des eaux minérales contaminées. Tandis que les autorités se félicitent que l'amende de 2 millions d'euros représente un record dans le domaine environnemental, plusieurs associations à l'origine de la plainte déplorent le montant dérisoire par rapport à l'ampleur de la fraude, ainsi que le message d'impunité qui en découle. Nous pouvons effectivement nous interroger sur le caractère punitif de cet accord. Le cours boursier du géant suisse de l'agroalimentaire n'a guère vacillé autour de cet épisode, pas plus qu'en 2022 [[lorsque ses pizzas surgelées de marque Buitoni]](https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/07/05/pizzas-contaminees-buitoni-nestle-france-annonce-sa-mise-en-examen_6247161_3224.html) ont causé la mort de deux enfants et en ont contaminé 48 autres avec la bactérie *Escherichia coli*. A titre de comparaison, le cours de l'action du chimiste Bayer avait dévissé de près de 40 % en 2020, après que ce dernier eut ratifié une sanction avoisinant 11 milliards de dollars pour mettre un terme à trois quarts des litiges concernant le Roundup, l'herbicide au glyphosate commercialisé par Monsanto. En France, malgré son utilisation par des jardiniers amateurs, le groupe n'a, sans surprise, pas déboursé 1 euro. Chantier d'envergure -------------------- Aucun projet de réforme visant à introduire des dommages punitifs ou une forme similaire de sanction civile n'a encore été sérieusement débattu dans l'Hémicycle. Pourtant, cela pourrait constituer une source de revenus considérable. Il pourrait être judicieux de renforcer notre système judiciaire grâce aux ressources obtenues de certaines multinationales qui, délibérément, adoptent des comportements fautifs ou répréhensibles dans le but de maximiser leurs profits. A l'instar de ce qui se pratique outre-Atlantique, les sommes collectées pourraient financer diverses institutions publiques (ministères, infrastructures et agences liées à l'environnement, la santé, la justice, la régulation financière, l'éducation...). Certes, il s'agit d'un chantier d'envergure. Toutefois, les bénéfices escomptés dépassent de loin les obstacles éventuels, car les montants en jeu sont considérables, s'exprimant en milliards d'euros plutôt qu'en millions. Sur le plan politique, un tel projet pourrait susciter un consensus au sein d'une Assemblée nationale et d'un Sénat divisés sur de nombreux points, mais préoccupés en commun par les risques que le rabot budgétaire des années à venir pourrait faire peser sur la qualité de nos services publics. Le délabrement de nos finances publiques constitue aujourd'hui un défi majeur. Transformons-le en une occasion pour mener des réformes structurelles, qui pourraient à terme s'avérer bénéfiques et salutaires pour l'avenir de notre système économique. **Jérôme Mathis** est professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine. Il a écrit « Combien vaut une vie ? » (Le Tremplin des idées, 2021). ![](media/image2.png) Aujourd'hui, le terme de géo-ingénierie se réfère majoritairement à la modification du rayonnement solaire, qui regroupe un large panel de techniques. Celle qui fait l'objet du plus de recherches et apparaît pour les scientifiques comme la plus crédible est l'injection stratosphérique d'aérosols, que Make Sunsets tente de reproduire. Elle implique de répandre massivement des particules soufrées dans la stratosphère, à une altitude moyenne de 20 km, grâce à des centaines d'avions spécialement conçus. *« Nous savons que cela pourrait fonctionner, car nous observons un refroidissement considérable à la suite de grandes éruptions volcaniques, qui libèrent des millions de tonnes de dioxyde de soufre »*, explique Peter Irvine, professeur en géo-ingénierie à l'University College de Londres. L'éruption du Pinatubo (Philippines), en 1991, a par exemple refroidi la Terre d'un demi-degré les deux années suivantes -- avant que l'effet ne s'estompe. Eclaircir les nuages marins --------------------------- Selon les études, qui présentent de fortes incertitudes, l'injection de 5 à 10 millions de tonnes de dioxyde de soufre par an pourrait permettre de réduire le rayonnement solaire de 1 % et d'abaisser la température d'environ 1 °C. *« L'idée est de réguler la température de la Terre à la manière d'un thermostat en ajustant la quantité de dioxyde de soufre libérée chaque année »*, poursuit Peter Irvine, qui souligne qu'il n'y a pas de limite au nombre de degrés ainsi effacés. La technique est mise également en avant car elle ne nécessite pas de bond technologique (des avions espions ont déjà volé à 20 kilomètres d'altitude dans les années 1960) ni un coût exorbitant -- environ 10 milliards de dollars par an pour refroidir la Terre d'un degré ou d'un demi-degré. D'autres scientifiques travaillent sur l'éclaircissement des nuages marins, qui consiste à augmenter leur réflectivité en pulvérisant en continu de l'eau de mer dans l'air. Une autre idée serait d'amincir les cirrus -- des nuages hauts responsables d'un effet de serre -- au moyen d'injections de particules de poussières ou de pollens, par exemple, pour permettre à la chaleur de s'échapper de la surface de la Terre. Le domaine regorge de techniques encore plus spéculatives, si ce n'est farfelues, qu'il s'agisse de [[créer des millions de microbulles à la surface de l'océan]](https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1475090217750442?journalCode=pima) pour créer de l'écume (blanche) et augmenter l'albédo de l'eau, [[d'installer des miroirs géants dans l'espace]](https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1364032122001046), voire de [[tirer des panaches de poussière lunaire dans l'espace]](https://journals.plos.org/climate/article?id=10.1371/journal.pclm.0000133) afin de détourner les rayons du Soleil. Cette volonté de manipuler le climat à grande échelle existe depuis que l'humanité s'inquiète du réchauffement climatique. En 1965, [[un rapport]](https://www-legacy.dge.carnegiescience.edu/labs/caldeiralab/Caldeira%20downloads/PSAC,%201965,%20Restoring%20the%20Quality%20of%20Our%20Environment.pdf) remis au président américain Lyndon Johnson suggérait d'éclaircir la surface des océans, plutôt que de réduire l'utilisation des combustibles fossiles. Le thème a ensuite été longtemps exploré par les militaires. Durant la guerre du Vietnam, les Américains ont par exemple ensemencé les nuages pour faire pleuvoir et embourber les troupes ennemies. Un ciel moins bleu ------------------ Après des décennies de recherche cantonnée à une poignée de scientifiques, la géo-ingénierie solaire connaît aujourd'hui un regain et cherche à se normaliser. De nombreux projets sont en cours dans le monde, surtout aux Etats-Unis, mais aussi au Canada, au Royaume-Uni, [[dans l'Union européenne]](https://genie-erc.github.io/), en Australie, en Inde ou en Afrique du Sud. Au total, les sommes investies se chiffrent à plusieurs dizaines de millions de dollars. La Maison Blanche se prépare à lancer un plan de recherche quinquennal bien plus massif, qui pourrait se chiffrer à 200 millions de dollars. Pour l'instant, ces projets restent majoritairement confinés dans les laboratoires, où les scientifiques mènent des modélisations informatiques. En 2021, des chercheurs de l'université Harvard, engagés dans le [[projet SCoPEx]](https://www.keutschgroup.com/scopex), avaient prévu de lancer un ballon et une nacelle à Kiruna, en Suède, non pas pour libérer des particules de soufre, mais pour tester leurs instruments. L'expérience a finalement été suspendue après l'opposition publique de groupes autochtones et environnementaux. En revanche, les chercheurs australiens ont d'ores et déjà mené des tests d'éclaircissement des nuages marins sur la Grande Barrière de corail, [[en 2020 et 2021]](https://www.nature.com/articles/d41586-021-02290-3), suscitant des critiques. Les scientifiques impliqués se sont défendus en assurant que l'expérimentation était limitée dans le temps et l'espace, avec des conséquences plus locales que globales -- ce que l'on ne peut vérifier. ![Des chercheurs australiens ont mené des tests d'éclaircissement des nuages marins sur la Grande Barrière de corail, en 2020 et 2021. Une turbine installée sur le bateau génère des panaches de gouttelettes d'eau de mer qui s'élèvent dans le ciel.](media/image4.jpeg) Des chercheurs australiens ont mené des tests d'éclaircissement des nuages marins sur la Grande Barrière de corail, en 2020 et 2021. Une turbine installée sur le bateau génère des panaches de gouttelettes d'eau de mer qui s'élèvent dans le ciel. BRENDAN KELAHER/SCU Sur la foi de leurs calculs, les chercheurs qui travaillent sur la modification du rayonnement solaire estiment qu'elle aurait des *« bénéfices plus larges que les risques »*, estime David Keith, le directeur du programme de recherche sur la géo-ingénierie à Harvard et fondateur de Carbon Engineering, une entreprise canadienne spécialisée dans la capture directe du CO~2~ dans l'air. *« Mais on ne peut pas en être sûrs, faute de suffisamment de recherche »,* indique-t-il. L'injection d'aérosols, en abaissant la température mondiale, réduirait également la fonte des glaces, l'élévation du niveau de la mer, la fréquence et l'intensité des événements extrêmes et le blanchissement des coraux. Voilà pour le côté pile. Côté face, la géo-ingénierie solaire ne s'attaque pas à l'acidification des océans, puisqu'elle ne réduit pas les concentrations de CO~2~ dans l'atmosphère. Elle entraînerait des changements de circulation atmosphérique, *« qui pourraient réduire les précipitations dans certaines zones, avec le risque de déclencher des sécheresses, ou diminuer les moussons »*, explique Olivier Boucher, qui précise que les incertitudes sont très fortes à l'échelle régionale. Parmi les autres effets collatéraux possibles : une réduction des rendements agricoles, une [[augmentation des pluies acides]](https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/ab94eb/pdf) et, de manière certaine, un ciel qui serait moins bleu et plus blanc ainsi qu'[[une nette détérioration de la couche d'ozone]](https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/01/09/climat-la-reconstitution-de-la-couche-d-ozone-est-en-bonne-voie_6157178_3244.html), cette barrière protectrice qui filtre les UV. *« Il faut mettre en balance les millions de morts qui seraient évitées par an et les quelques milliers qui s'ajouteraient »*, juge David Keith. « Il pourrait y avoir de mauvaises surprises » ---------------------------------------------- Le GIEC, dans ses derniers rapports, estime que la SRM a *« le potentiel de compenser le réchauffement »* et de réduire certains risques climatiques, mais en étant associée à de *« grandes incertitudes »* et avec *« des changements climatiques résiduels importants à l'échelle régionale ou saisonnière »*. Ces technologies introduiraient en outre un *« large éventail de nouveaux risques »* pour les personnes et les écosystèmes. *« On ne connaît pas bien les conséquences sur la santé, la mortalité humaine, la sécurité alimentaire ou hydrique, ou les extinctions d'espèces, et il pourrait y avoir de mauvaises surprises »*, prévient Christopher Trisos, qui dirige le Climate Risk Lab à l'université du Cap, en Afrique du Sud, et est l'un des auteurs du GIEC sur la géo-ingénierie. Un autre grand enjeu de l'injection d'aérosols dans la stratosphère est qu'elle doit être menée pendant des décennies, sans interruption. La durée de vie du dioxyde de soufre est en effet d'environ deux ans, contre plus de cent ans pour le CO~2~. La technologie ferait alors courir le risque de ce qui a été appelé un « choc terminal » si elle venait à être stoppée de manière brutale, en cas de guerre par exemple. *« Une grande partie du réchauffement masqué reviendrait immédiatement et brutalement »*, explique Olivier Boucher, ce qui rendrait l'adaptation probablement impossible. Pour certains chercheurs, la géo-ingénierie solaire pourrait être menée pendant quatre, cinq ou six décennies avant d'être progressivement réduite puis stoppée dans un monde qui aurait été décarboné. Pour d'autres, l'opération serait irréversible. *« Introduire une technologie spéculative dans une décennie critique pour la réduction des émissions est une distraction dangereuse. Cela risque fortement de retarder l'action »*, avertit Aarti Gupta, professeure de gouvernance environnementale à l'université de Wageningen (Pays-Bas). Les chercheurs sur la géo-ingénierie l'assurent à l'unisson : elle ne doit pas être un substitut mais, au mieux, un supplément à la décarbonation urgente des économies. « Maintenir le statu quo politique et économique » -------------------------------------------------- Plus largement que le climat, la géo-ingénierie solaire fait courir des risques géopolitiques et sécuritaires. *« Elle peut créer des tensions, voire des conflits, entre les pays qui déploieraient la technologie et ceux qui en subiraient les conséquences, par exemple une sécheresse »*, prévient Sofia Kabbej, chercheuse en climat et sécurité à l'Institut de relations internationales et stratégiques. Le *« manque de transparence »* de certains acteurs, comme la Chine ou le département d'Etat américain, rendrait complexe la détection d'un éventuel usage, ajoute-t-elle. Ces technologies menacent en outre de creuser les inégalités entre le Nord, majoritairement responsable des émissions, et le Sud. *« Il y a un risque que les pays puissants mettent en œuvre unilatéralement ces techniques sans que les petits pays puissent le contrôler »*, avance Aarti Gupta. C'est notamment pour éviter cet écueil qu'a été lancé le programme The Degrees Initiative, qui soutient financièrement 26 projets de modélisation informatique sur la SRM dans 21 pays en développement. Mais les donateurs derrière cette initiative restent les mêmes que ceux qui soutiennent les autres programmes de recherche, comme celui de Harvard : des milliardaires et des organisations philanthropiques liés à la technologie et à la finance, comme Open Philanthropy, SilverLining ou Bill Gates, essentiellement américains. *« Ils ont surpassé les premiers soutiens de la géo-ingénierie, à savoir des think tanks climatosceptiques financés par l'industrie des énergies fossiles*, explique le chercheur Kevin Surprise (Mount Holyoke College, Etats-Unis), [[qui a étudié le financement de la géo-ingénierie solaire]](https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/03098168221114386). *Bien qu'ils soient plus soucieux du climat, leur objectif principal est au bout du compte de maintenir le statu quo politique et économique, plutôt que d'aider les personnes les plus vulnérables au changement climatique. »* « Un sparadrap sur notre addiction au pétrole » ----------------------------------------------- D'où l'urgence de réglementer ce secteur qui ne jouit d'aucun cadre de gouvernance précis. La [[conférence de l'ONU sur la biodiversité de 2010]](https://www.cbd.int/decision/cop/?id=12299) a prévu un moratoire de facto, mais cette décision n'est pas contraignante et [[ne concerne par exemple pas les Etats-Unis]](https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/12/17/cop15-les-etats-unis-seul-pays-a-ne-pas-etre-membre-de-la-convention-sur-la-diversite-biologique_6154843_3244.html). De même, la convention onusienne Enmod, entrée en vigueur en 1978, interdit la modification du climat, mais seulement dans un contexte militaire. Le sujet n'est en outre pas abordé lors des négociations climatiques. *« Les Etats doivent s'accorder sur un cadre international qui autorise, limite ou bannisse ces techniques, sans quoi on va voir de plus en plus d'entreprises telles que Make Sunsets, ou de milliardaires se lancer seuls »*, argumente Janos Pasztor, directeur exécutif de la Carnegie Climate Governance Initiative, qui a rencontré des officiels dans plusieurs dizaines de pays pour les informer sur le sujet. Un processus important réside, juge-t-il, dans la [[Climate Overshoot Commission]](https://www.overshootcommission.org/), qui réfléchit depuis mai 2022 sur les impacts d'un dépassement de 1,5 °C. Ses 15 membres, principalement des anciens dirigeants du Nord et du Sud, doivent notamment esquisser des pistes de gouvernance pour la géo-ingénierie solaire. A l'opposé, 390 chercheurs (dont les climatologues français Jean Jouzel et Christophe Cassou), ainsi que des ONG et des citoyens, ont signé une [[lettre ouverte]](https://www.solargeoeng.org/), en janvier 2022, appelant à l'adoption d'un accord international de non-utilisation de la géo-ingénierie solaire, y compris de la recherche. *« Une fois que la technologie existe, elle est utilisée »*, justifie Aarti Gupta, qui fait partie des premières signataires. Laurence Tubiana, l'une des membres de l'Overshoot Commission, se dit également opposée à l'usage de cette technologie. *« La priorité, c'est de faire respecter l'accord de Paris sur le climat,* rappelle la directrice exécutive de la Fondation européenne pour le climat. *Avec la géo-ingénierie solaire, qui m'apparaît être un sparadrap sur notre addiction au pétrole, on risque de s'engager dans un processus totalement incontrôlable. »* Valérie Masson-Delmotte, elle, la compare à des *« soins palliatifs ».* **« Le plus sûr chemin pour accéder à l'indépendance énergétique n'est pas le nucléaire mais la sobriété énergétique »**\ Journal *Le Monde*\ Tribune -- Stéphen Kerckhove, Directeur général d'Agir pour l'environnement\ Publié le 22 mars 2022. **Avant de penser à ajouter de nouvelles capacités de production coûteuses, il y aurait un intérêt à repenser notre modèle énergétique, estime le militant écologiste dans une tribune au « Monde ».** Le contexte sanitaire et la situation internationale rendent notre époque particulièrement anxiogène. Cette inquiétude semble conduire à un conformisme énergétique qui postule que, pour rompre la dépendance à l'égard des pétromonarchies et autres dictatures gazières, il nous faudrait accroître nos capacités de production renouvelables et nucléaires. Nonobstant le fait que nos réacteurs nucléaires soient principalement alimentés par de l'[[uranium]](https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/24/nucleaire-la-penurie-d-uranium-n-est-pas-pour-demain_6115018_3232.html) kazakh, dont le régime oppresseur n'a rien à envier à l'autoritarisme russe, il est un fait révélateur qui devrait nous interpeller : jamais ou presque le principe d'une sobriété énergétique n'est appréhendé avec sérieux par notre classe politique. Au mieux est-il vilipendé ou caricaturé, supposant que cette sobriété ne serait qu'une version édulcorée d'une décroissance mal assumée. Pourtant, avant de penser à ajouter de nouvelles capacités de production coûteuses, n'y aurait-il pas quelque intérêt à repenser notre modèle énergétique en cherchant à produire ce qui est consommé et non pas à consommer ce qui est produit ? Près de la moitié de la facture électrique des communes est induite par l'éclairage public et pourrait être réduite drastiquement en luttant contre la pollution lumineuse. Réduire de 10 km/h la vitesse autorisée sur autoroute engendre une baisse de la consommation de 14 %. Près de 10 % du [[trafic aérien]](https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2019/02/22/l-avion-plaisir-coupable-de-l-ecolo-voyageur_5426851_4497916.html) est lié aux vols de jets privés, naviguant à vide 40 % du temps. Par peur ou conformisme ----------------------- La moitié des dix milliards de [[bouteilles plastiques]](https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/01/31/loi-antigaspillage-recycler-100-de-nos-plastiques-a-l-infini-est-une-illusion_6027930_3244.html), issues de la pétrochimie, commercialisées en France ne sont pas recyclées ! La décision de déployer la 5G pourrait, selon le Haut Conseil pour le climat, induire une augmentation de notre [[consommation d'électricité]](https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/09/le-numerique-dans-le-piege-climatique_6108779_3234.html) de 16 térawattheures (TWh) et de 40 TWh en 2030, soit entre 5 % et 13 % de la consommation nationale d'électricité du résidentiel et du tertiaire. Des dizaines de milliers de panneaux publicitaires rétroéclairés absorbent unitairement l'équivalent électrique de trois familles de quatre personnes. Nous pourrions multiplier les exemples de gaspillage qui en disent long sur notre addiction à des ressources énergétiques perçues comme infinies et quasi gratuites. Par peur ou conformisme, notre classe politique mésestime l'intérêt économique d'un grand retour de la « chasse au gaspi ». Faute d'ambition politique inscrite dans le temps et dans l'espace, nos logements demeurent trop souvent des passoires thermiques, nos automobiles, fussent-elles électriques, sont frappées d'obésité, et notre urbanisme tentaculaire, fait de grands projets inutiles et autres hypermarchés, court encore après ce qui fit le succès des « trente glorieuses », qui se mue aujourd'hui en cinquante gaspilleuses. Face à cet impensé, nous devons rappeler les vertus de la sobriété. Comme le veut la formule consacrée, l'énergie la moins polluante est celle que l'on ne consomme pas. A l'heure où l'Europe redécouvre le danger de sa [[dépendance au gaz russe]](https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/03/08/comment-l-europe-peut-reduire-sa-dependance-au-gaz-russe_6116588_3234.html) après avoir oublié son addiction au pétrole du Moyen-Orient, il est urgent d'en finir avec une certaine forme de pensée unique énergétique, qui relève souvent de la pensée magique. Par et pour les consommateurs ----------------------------- Il est en effet profondément insatisfaisant que les termes du débat soient systématiquement posés par et pour les producteurs et jamais par et pour les consommateurs. Chauffer une maison à 19 °C requiert plus ou moins d'énergie en fonction de l'isolation de sa maison. Faire ses courses nécessite plus ou moins d'énergie en fonction de son éloignement et du véhicule utilisé pour accéder aux commerces de proximité. Pourvoyeuse en emplois non délocalisables et source d'économie, la sobriété énergétique réduirait considérablement le déficit de notre balance commerciale, qui, rappelons-le, a atteint un record absolu en 2021 de 84,7 milliards d'euros. La moitié de ce déficit est due à notre facture énergétique. La campagne présidentielle en cours est une occasion formidable d'ouvrir les horizons et d'enfin oser sortir des caricatures présentant les tenants de la sobriété en adeptes des amish et de leurs [[lampes à huile]](https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/09/14/emmanuel-macron-defend-le-tournant-de-la-5g-face-au-retour-a-la-lampe-a-huile_6052176_3234.html). L'heure est venue de revisiter nos certitudes énergétiques et d'opter pour un vaste plan d'économies d'énergie. Le plus sûr chemin pour accéder à l'indépendance énergétique de l'Europe n'est pas le nucléaire, qui ne représente que 17 % de l'énergie finale consommée en France, mais la sobriété énergétique. Gageons que nos candidats à l'élection présidentielle seront à la hauteur de l'histoire. L'énergie est notre avenir... Economisons-la. Agir pour l'environnement est une association qui interpelle les pouvoirs publics sur des problématiques environnementales. **Jean-Marc Jancovici : « L'essentiel du progrès technique n'est pas fait pour résoudre les problèmes d'environnement »\ Entretien -- Séries d'été « Les entretiens de Chaleur humaine ».** Propos recueillis par [[Nabil Wakim]](/signataires/nabil-wakim/)\ Publié le 24 juillet 2024 **Devant le défi climatique, faut-il rassurer ou effrayer pour mobiliser ? « Trouver la manière d'établir un lien entre le problème et la situation particulière des gens » constitue une voie, estime le président du think tank The Shift Project.** **La question du changement climatique occupe plus de place dans le débat public, mais les discussions sur le sujet restent difficiles. Comment parler du climat sans ennuyer et sans renoncer à la complexité ? Faut-il rassurer les individus ou, au contraire, les effrayer pour les mobiliser ? Comment répondre aux contre-vérités entendues parfois ?** L'ingénieur Jean-Marc Jancovici, président du think tank The Shift Project, apporte des réponses dans l'épisode du podcast « Chaleur humaine », diffusé le 28 mai 2024 sur *Lemonde.fr*. ### Qu'est-ce qui a changé, ces vingt dernières années, dans la compréhension qu'ont les gens du climat ? Avez-vous l'impression qu'on a progressé ? Ce qui est certain, c'est qu'il y a désormais très peu de gens dans ce pays qui n'ont jamais entendu l'expression « gaz à effet de serre », ou, plus généralement, qui n'ont jamais entendu parler du réchauffement climatique. En matière de « bruit ambiant », c'est évident que l'on a progressé. Le sujet se retrouve, par exemple, dans les discours présidentiels. Dans celui d'Emmanuel Macron en avril 2024 à la Sorbonne, le mot « décarbonation » est répété sept fois -- c'est quelque chose qu'on n'entendait pas auparavant. Donc, dans les discours, l'occurrence est devenue beaucoup plus importante. Est-ce que, pour autant, dans les cervelles, il y a une meilleure compréhension de ce qui se passe, une meilleure mise en perspective du problème et une meilleure compréhension des implications ? Je ne sais pas. Je ne peux pas prétendre être un thermomètre à moi tout seul. Le seul thermomètre qui existe à large échelle, ce sont les sondages. Or, malheureusement, dans ces enquêtes, la réponse est souvent dans la question. Je peux donner un exemple : *«* Etes-vous prêt à faire tel effort ? », ce n'est pas la même question que : « Etes-vous prêt à faire tel effort si tout le monde le fait ? » C'est très difficile de savoir où en est exactement la population dans son ensemble. On a progressé, ça, oui. De combien exactement ? Je ne sais pas. Est-ce qu'on a progressé suffisamment vite face au problème ? La réponse est non. ### Ce qui a progressé, c'est quand même qu'il y a aujourd'hui moins de climatosceptiques qui nient l'existence du changement climatique. Le constatez-vous aussi dans les travaux de vulgarisation que vous menez ? Là où le climatoscepticisme a fortement diminué, c'est au sein de la classe dirigeante, en France. Par contre, dans la population dans son ensemble, il y a toujours un paquet de climatosceptiques. D'une certaine manière, même à 4 °C de réchauffement global, il y en aura toujours ! Parce que le déterminant du climatoscepticisme n'est pas une contestation du dossier scientifique. Pour moi, c'est d'abord une expression de désarroi. C'est le vieux proverbe Shadok : « S'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème. » C'est une façon de répondre à une angoisse en disant : « Ce truc-là, si c'est vrai, c'est monstrueux, je vais devoir tout changer, je ne vois pas où je vais, je vais me retrouver tout seul, etc. » Si on pense cela, il vaut mieux se dire que le problème n'existe pas. Il faut tenir compte de cela. On a, par ailleurs, désormais affaire à une nouvelle catégorie, qui ne nie pas le problème mais qui le présente comme trivial à résoudre. Ce n'est pas vraiment du climatoscepticisme, mais c'est une catégorie voisine -- et c'est l'expression du même désarroi -- pour qui l'idée que tout cela demande des renoncements paraît inacceptable. C'est l'idée qu'on trouvera bien, finalement, une solution facile qui ne change pas grand-chose... Une solution facile, souvent présentée comme une solution technique ou technologique. Si j'ai l'habitude de conduire une voiture, la solution technologique qui consiste à dire : « On va vous donner une voiture propre, vous allez pouvoir continuer à la conduire sur les mêmes distances et ça ne vous coûtera pas plus cher » apparaît préférable à : « Je vais devoir me lever deux heures plus tôt pour prendre un vélo ou je vais devoir partager la voiture du voisin qui m'emmerde parce qu'il fait trop de bruit le soir ! » Evidemment, la solution facile, c'est la solution technologique, parce qu'elle ne nous demande pas de changer nos habitudes. C'est aussi parce qu'on a parfois du mal à comprendre les ordres de grandeur et les limites physiques, ce qui est possible et ce qui n'est pas possible d'un point de vue énergétique et climatique... Disons que la règle de trois, c'est utile. Je vais donner un exemple : beaucoup de gens proposent de remplacer le kérosène qu'on utilise dans les avions par ce qu'on appelle des « carburants d'origine durable », produits avec de la biomasse combinée à de l'hydrogène produit avec de l'électricité décarbonée. Si vous faites un rapide calcul d'ordre de grandeur, vous vous rendez compte que, pour faire voler tous les avions qui décollent actuellement d'un aéroport français, il faudrait mobiliser plus que la récolte totale actuelle de bois en France. Ce qui veut dire qu'il ne resterait plus de bois pour les meubles, les poutres, les chaufferies à bois, etc. Ce genre de calcul est utile pour savoir si on a en face de soi une marge de manœuvre ou, au contraire, quelque chose qui est malheureusement condamné à rester anecdotique. Dans la bande dessinée « Le Monde sans fin », que vous avez écrite avec Christophe Blain (Dargaux, 2021), ou dans vos conférences, vous utilisez beaucoup d'images pour tenter de rendre compréhensibles des sujets complexes ou techniques. Est-ce une stratégie délibérée ? Il y a un moment où je me suis rendu compte que c'était nécessaire. La généralisation à partir d'un exemple concret qui renvoie à la vie de tous les jours permet de surmonter deux obstacles. D'abord, cela permet d'incarner le sujet. Ensuite, les sciences apparaissent, dans l'imaginaire de beaucoup comme quelque chose de rébarbatif. C'est pour ça que je pense que c'est beaucoup mieux de partir de calculs simples que tout le monde peut comprendre -- comme une règle de trois par exemple. ### Ecrire une bande dessinée vous a-t-il appris une nouvelle manière de raconter ces sujets ? Oui, évidemment, parce que Christophe Blain a un talent rare -- il est capable d'extirper d'un sujet compliqué le petit détail qui, avec un bon dessin, va rendre les choses lumineuses. Un exemple, c'est la façon dont il a représenté les gaz à effet de serre. Comment dessiner un truc invisible, inodore, incolore, etc. ? Il a réussi avec une espèce de bulle en pointillé et des yeux dépressifs au milieu. Tout le monde comprend. Travailler là-dessus avec lui a été très utile de ce point de vue aussi. Et puis, il y a une deuxième raison, c'est que Christophe est quelqu'un d'extrêmement rigoureux qui ne laisse absolument rien passer. Tant qu'il y a une incohérence ou un truc qui ne colle pas, il revient à la charge. ### Y a-t-il des sujets sur lesquels vous avez changé d'avis ? Vous aviez écrit avec Alain Grandjean en 2006 un livre intitulé « Le plein, s'il vous plaît » (Seuil), dans lequel vous plaidiez pour une hausse importante des prix du carburant... Ce livre était une déclaration d'amour à la taxe carbone et, depuis, j'en suis un peu revenu. Je ne pense pas que ce soit un mauvais instrument, mais plutôt qu'il faut le manier avec beaucoup de précaution. A l'époque, je pensais que ça pouvait être l'instrument principal d'une politique publique. Sur ce point, j'ai complètement changé d'avis. Je suis convaincu, aujourd'hui, que pour le grand public le bon moyen d'indiquer une direction c'est de passer par la réglementation plutôt que par la taxe. Sur le chauffage, par exemple, vous avez deux manières de faire. Soit vous dites : « Le gaz et le fioul vont coûter de plus en plus cher, démerdez-vous », soit vous dites : « Il va être obligatoire de remplacer les chaudières à gaz et les chaudières à fioul par des pompes à chaleur et de l'isolation. » Et vous faites en sorte que, dans le même temps, il y ait une offre sérieuse dans l'artisanat du bâtiment. Je trouve la deuxième option préférable -- de loin -- à la première, parce qu'elle indique clairement la direction à suivre. Elle ne laisse pas le particulier sans solution. Et puis, elle a également pour mérite, du côté de la production, de structurer la filière. ### Il y a d'autres sujets qui sont arrivés plus fortement dans le débat ces dernières années, notamment l'importance de l'effondrement de la biodiversité. Comment intégrez-vous cela à votre réflexion ? Je ne m'y suis intéressé que récemment, car la biodiversité, ce n'est pas ma filiation. Je suis un ingénieur en maths-physique, pas un ingénieur dit « du vivant ». J'étais sensible à ce sujet, mais comme tout le monde, parce que j'aime bien voir des marmottes l'été en montagne. J'avais une approche très naïve de la question. Ce sujet comporte un inconvénient par rapport au climat : c'est beaucoup plus compliqué à comptabiliser. On ne dispose pas d'une « tonne équivalent grenouille jaune », tout comme je ne sais pas comment on met en balance un renard arctique et un moustique-tigre -- qui fait aussi partie de la biodiversité. Par ailleurs, la [[biodiversité]](https://www.lemonde.fr/biodiversite/), c'est une juxtaposition de problèmes locaux, alors que le climat, c'est un problème global, avec des conséquences locales. Ensuite, il y a des interactions importantes entre le climat et la biodiversité. Notamment parce que le changement climatique devient une pression très forte sur la biodiversité. Par exemple, à 2 °C, tous les coraux tropicaux, ou à peu près, sont morts. Enfin, certaines solutions pour le climat ne sont pas forcément les bonnes pour la biodiversité. Par exemple, supprimer des cultures alimentaires pour faire de l'huile de colza pour mettre dans nos réservoirs de voitures, ça exerce une pression supplémentaire sur la biodiversité. Ces enjeux contradictoires entre climat et biodiversité rendent chacun des deux problèmes encore plus complexe. ### Comment abordez-vous les questions climatiques avec des publics très différents, du président de la République à des lycéens, en passant par des syndicalistes ou le patron du Medef ? En ce qui concerne le président de la République et le président du Medef, je n'ai pas besoin de réviser mes fiches trop souvent parce que les occasions de leur parler ne sont pas très fréquentes ! Ce qui est certain, c'est que vous ne parlez pas de la même manière de ce sujet à un lycéen, à des gens qui conduisent des bus, à des élus locaux, à des dirigeants dans un comité exécutif, etc. Mais il y a quand même deux constantes. La première, c'est que la base physique reste la même pour tout le monde. Ce sont les explications intermédiaires qui ont besoin d'être plus ou moins longues en fonction du public auquel on s'adresse. Donc ce qui compte, c'est le temps dont on dispose. Il y a un second constat, que j'ai découvert avec le temps, c'est qu'il y a quand même une grande constante dans la nature humaine : « Parlez-moi de moi, il n'y a que ça qui m'intéresse. » Il faut toujours trouver des exemples qui renvoient au cas particulier des gens pour incarner le problème. Parce qu'à partir du moment où je leur parle d'eux, de quelque chose qui les concerne directement, je vais gagner du temps. Et puis, on a tous une part d'égoïsme : la planète, c'est important, mais soi-même, c'est important aussi, voire un peu plus. Il faut trouver la manière d'établir un lien entre le problème et la situation particulière des gens. Ce lien peut parfois consister à les faire sortir de leur zone de confort, les déstabiliser, les choquer, etc. Mais il faut quand même que ce lien existe, sinon la tension baisse et il y a des explications qui ont du mal à passer. ### Mais est-ce que choquer les gens ou leur faire peur, c'est forcément une bonne idée ? Dans mes interventions, mon ambition est d'être utile et pas nécessairement d'être agréable. Dit autrement, le médecin qui vous annonce que vous avez une saloperie, il pense qu'il vous est utile et il est certain qu'il ne vous sera pas agréable. Vous auriez préféré ne pas l'entendre. Quand vous avez un incendie quelque part, la bonne stratégie est-elle de dire : « Il y a le feu ! », ou : « Je ne vais pas en parler parce que ça fait peur aux gens » ? Moi, je suis plutôt de la première école. Je pense qu'il vaut mieux le dire. Et, ensuite, essayer de faire ce qu'on peut, des tranchées, des contre-feux, sortir les lances à eau, etc. C'est vrai, c'est très désagréable de voir arriver un truc auquel vous ne vous attendiez pas et qui doit vous pousser à remettre plein de choses en question. Personne n'aime. Moi, pas plus que les autres. Je m'y suis juste fait. ### Mais durcir le discours sur les questions climatiques ne risque-t-il pas de cliver le débat ? Durcir ne veut pas nécessairement dire qu'il n'y a pas de solidarité ! S'il y a le feu, on ne va pas forcément aller éteindre l'incendie en ordre dispersé, séparer les gens en deux catégories, ceux qui vont cramer et ceux qui vont s'en sortir. Ce qu'on dit, c'est plutôt : on va essayer tous ensemble de s'unir pour que le problème disparaisse ou, en tout cas, soit contrôlé au mieux. Evidemment, dans la réponse aux problèmes, il ne faut pas accroître les dissensions qui peuvent déjà exister dans la population. Mais ça ne veut pas dire qu'il faut nier le problème. ### Etes-vous plus sollicité par des politiques, de droite ou de gauche, depuis le succès de la bande dessinée « Le Monde sans fin » ? Non, pas vraiment. Je suis très peu sollicité par des personnages politiques et, en plus, je ne le cherche pas. Mes actions sont plus tournées vers les électeurs. Comme je ne peux quand même pas parler à 70 millions de personnes, je m'adresse plutôt aux corps intermédiaires : les dirigeants économiques, le monde académique, les syndicalistes, le monde associatif, les médias, etc. Il arrive que je sois sollicité par l'exécutif, et, à ce moment-là, la couleur politique importe moins que la situation du moment. Dans mon expérience, j'ai

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