Introduction à la Sociologie du droit - Support complet (2024-2025) - PDF

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ImmaculateJadeite8743

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FSJESAC - Faculté des Sciences Juridiques, Économiques et Sociales de Casablanca

2024

Pr. DOUKKALI SANAA

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sociologie du droit droit sociologie science sociale

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Ce document est un support de cours sur l'introduction à la sociologie du droit pour l'année 2024-2025, abordant des sujets spécifiques relatifs à la relation entre le droit et la société. L'ouvrage détaille les concepts et les fondements de la sociologie du droit.

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INTRODUCTION A LA SOCIOLOGIE DU DROIT 2024-2025 Droit Privé Français- G1 Pr. DOUKKALI SANAA 1 « Le droit ne domine pas la société, il l'exprime ». Jean Cruet, De l'impuissance des lois, éd. Flammarion, 1912.. « Le droit et la loi, telles sont l...

INTRODUCTION A LA SOCIOLOGIE DU DROIT 2024-2025 Droit Privé Français- G1 Pr. DOUKKALI SANAA 1 « Le droit ne domine pas la société, il l'exprime ». Jean Cruet, De l'impuissance des lois, éd. Flammarion, 1912.. « Le droit et la loi, telles sont les deux forces : de leur accord naît l'ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. » Victor Hugo 2 Plan du cours Chapitre Introductif De la relation entre Droit et Société L’étude du droit: entre une approche dogmatique et une approche sociologique Axe 1: Définition et naissance de la sociologie du droit A- Définition de la sociologie du droit en tant que branche de la sociologie B- Objet de la sociologie du droit C- Naissance de la sociologie du droit Axe2: Fondements théoriques de la sociologie du droit A- Les fondateurs ou la prise de conscience de la sociologie du droit B- Quelques courants contemporains Axe 3: Les règles juridiques, moyen de régulation sociale A- Les règles juridiques, un type particulier de normes B- La régulation juridique ou la régulation des activités sociales par le droit Axe 4: La justice sociale, finalité du droit A- Qu’est-ce que La justice sociale et quelles sont ses dimensions? B- Quels sont les champs d’intervention du droit pour garantir la justice sociale C- Quelles sont les limites du droit dans la réalisation de la justice sociale 3 La sociologie du droit occupe une place importante et complémentaire dans les études de droit. Elle permet de comprendre le droit non seulement comme un ensemble de règles abstraites, mais aussi comme un phénomène social influencé par divers facteurs économiques, culturels, politiques et historiques. Elle nous invite à regarder au-delà des textes de loi et des jugements pour comprendre comment le droit émerge, évolue et interagit avec les individus et les groupes au sein d'une société. Alors que les études de droit traditionnelles se concentrent souvent sur l’interprétation des textes juridiques et la logique interne du droit, la sociologie du droit s'intéresse à l'impact des lois sur la société et aux forces sociales qui influencent la création des lois. Elle permet de comprendre pourquoi certaines lois sont adoptées, comment elles évoluent et quelles sont leurs conséquences pratiques. La sociologie du droit apporte une réflexion critique sur le système juridique, en examinant comment le droit est appliqué dans la réalité et comment il affecte différentes catégories de personnes. 4 Elle analyse les disparités sociales, les inégalités et les enjeux de pouvoir dans la production et l'application des lois. Sur le plan pratique, la sociologie du droit permet aux juristes d’être plus conscients des dynamiques sociales qui peuvent influencer les cas juridiques qu'ils traitent. Ils peuvent mieux comprendre les clients, les contextes sociopolitiques des litiges, et les effets des décisions judiciaires au-delà du cadre juridique strict. 5 6 1- De la relation entre Droit et Société Nous allons présenter dans ce qui suit la relation intime qui existe entre le droit et la société. a- « Ubi societas, ibi jus » « Là où il y a une société, il y a du droit » L’Homme vit en groupe, c’est un être social par nature. Sa vie en société induit des relations et des liens entre les individus qui peuvent avoir des intérêt et des volontés contradictoires. Ceci impose l’existence de règles de conduite générales qui soient imposées à tous dans leur comportements, dans les différentes relations qui se nouent entre eux (sociales, économiques…). L’objectif de ces règles de conduite et d’instaurer un ordre social et d’essayer de trouver un équilibre entre les différents intérêts et volontés précitées. b- Le droit est omniprésent dans notre vie Pour le commun des mortels, sans doute, le droit est ce qui ordonne, ce qui interdit. L’idée que l’on a du droit est essentiellement liée à la contrainte, à la sanction. Mais le droit est beaucoup plus que cela. Le droit est partout. Le droit régit la vie des hommes. Il surgit dans tous les rapports humains. Il n’est pas étranger aux rapports d’affection : le droit régit les rapports entre époux, y compris pour des questions aussi intimes que la fidélité ou l’assistance pendant la maladie mais aussi les rapports entre les parents et les enfants, détermine les règles de filiation, les rapports d’autorité, les devoirs réciproques… Le droit régit naturellement les rapports économiques, les rapports des individus avec l’Etat, les rapports des Etats entre eux. Partout, il y a du droit…. Le Droit couvre des sujets diversifiés qui vont des plus complexes aux plus intimes c- Le droit n’est pas un ensemble de règles figées: Le droit est un phénomène vivant Le droit est un phénomène vivant. Les règles naissent, vivent, meurent, évoluent dans leur contenu, parce que la société et les hommes qui la composent, évoluent. Parce que les rapports humains sont complexes, le droit est complexe. 7 Le droit est le produit d'une société en constante évolution. Il reflète les valeurs, les croyances et les normes d'une société donnée à un moment donné. « Le droit est vivant, il suit l’adaptation sans cesse renouvelée des façons d’être, de vivre et de penser des hommes dans un milieu et à une époque déterminée » (Robert. Besnier(historien du droit), « L’histoire des institutions : pourquoi ? », R.H.D., 1977, p. 627-633). 8 2- L’étude du droit: entre une approche dogmatique et une approche sociologique Juristes dogmaticiens et juristes sociologues travaillent sur une même matière première, à savoir le droit, mais ils l'abordent sous des angles différents et avec des méthodes distinctes. L’étude du droit selon une approche dogmatique c’est l’étude savante et raisonnée du droit positif dans la perspective de l'adoption d'une solution souhaitable. C’est une approche interne au droit. Elle se concentre principalement sur l'étude des normes juridiques en elles-mêmes, leur cohérence, leur interprétation et leur application. Traiter le droit selon une approche dogmatique consiste à limiter sa compétence (tout effort d’explication et de compréhension de l’activité juridique) et son champ d’interprétation à la règle de droit édictée par le pouvoir politique. Le droit selon la démarche dogmatique est un système autonome, composé de règles qu’il faut analyser et clarifier. Le travail des juristes consiste souvent à examiner les textes juridiques, la jurisprudence et la doctrine pour en déduire des solutions à des problèmes juridiques concrets, en restant dans le cadre du système juridique établi. Ils sont attachés à une approche positiviste, où le droit est conçu comme un ensemble de règles formelles et organisées qui doivent être appliquées de manière rigoureuse. En ce sens, le juriste dogmaticien est un "technicien du droit", dont le rôle est de maintenir l'intégrité et la stabilité du système juridique en interprétant et en développant les normes juridiques existantes. 9 Le droit positif est un concept juridique qui désigne l'ensemble des règles de droit en vigueur dans une société à un moment donné, édictées ou reconnues par des autorités compétentes (comme l'État) et imposées aux citoyens. Le droit positif peut se définir comme l'ensemble des lois écrites rassemblées dans des codes s’appliquant de façon effective dans une société donnée au moment où l'on parle. Contrairement aux droits naturels ou aux droits moraux, qui sont considérés comme immuables et universels, le droit positif est contingent, c'est-à-dire qu'il dépend du contexte historique, culturel et social d'une société donnée. 10 Étudier le droit selon une approche sociologique consistera à pousser plus loin sa recherche, la menant jusque dans son vécu pratique, jugeant des effets de la loi sur les gens et leurs comportements. Les juristes sociologues adoptent une approche externe et critique du droit. Ils ne se contentent pas d'étudier les normes juridiques en elles-mêmes, mais s'intéressent plutôt à la manière dont le droit s'inscrit dans la société et à ses effets réels sur les individus et les groupes sociaux. Pour eux, le droit est à la fois un produit et un outil social, et ils cherchent à comprendre comment il est façonné par des facteurs sociaux, économiques, politiques et culturels. Ils utilisent des méthodes sociologiques, comme les enquêtes, les études empiriques et l'analyse des comportements sociaux, pour analyser l'impact des règles juridiques, leur réception par la société, et les rapports de pouvoir qui sous-tendent la production et l'application du droit. Le juriste sociologue voit donc le droit comme un reflet des structures sociales et des inégalités, et non seulement comme un système autonome de normes. 11 Kelsen et Weber s’accordaient sur la stricte distinction du point de vue sociologique, qui observe l’être, et du point de vue juridique, qui observe le devoir être Ce qui intéresse le sociologue dans son analyse des phénomènes juridiques, ce n’est pas la norme juridique en ce qu’elle prescrit un comportement idéal (le devoir-être) mais les effets réels produits par cette norme sur l’orientation des conduites des individus (l’être) Le juriste, surtout s’il est normativiste ou positiviste, n’explique le droit que par le droit. Tandis que le sociologue s’attache à l’expliquer par l’histoire, l’économie, les idées politiques, et autres facteurs sociaux qui conditionnent l’édiction et l’acceptation des règles. Ces questions s’intéressent aux finalités du droit (qui sont essentiellement sociales) plutôt qu’à la validité de la règle juridique. En réalité, la sociologie du droit peut certainement être très utile, si ce n’est indispensable, aux praticiens du droit. La sociologie juridique s'intéresse aux faits; le Droit dogmatique s'intéresse au Droit. La vision du juriste dogmaticien est une vision juridique; celle du juriste sociologue est une vision factuelle Pour le droit dogmatique, le droit est engendré par le droit; pour la sociologie juridique, le droit est engendré par la société. Le droit dogmatique cherche les effets du droit en droits : le droit objectif engendre des droits subjectifs. Pour le sociologue, les effets du droit seront d'ordre démographique, économique, moral; les effets devront être recherchés dans la société. 12 Proposition de lecture Friedman Lawrence M. La sociologie du droit est-elle vraiment une science ?. In: Droit et société, n°2, 1986. pp. 91-100. DOI : https://doi.org/10.3406/dreso.1986.901 13 14 A- Définition de la sociologie du droit en tant que branche de la sociologie générale La sociologie du droit est une branche particulière de la sociologie en général. Il en existe d'autres: la sociologie du travail, la sociologie des médias, la sociologie de la famille, la sociologie des professions. La sociologie du droit fait partie des sciences du droit puisqu’il s’agit d’une approche scientifique des normes et des institutions juridiques, mais elle est extérieure au droit compris comme science juridique du droit. Gurvitch qualifié de « pape de la sociologie française du XXe s. » la plaçait au carrefour de la sociologie et de la juriologie, à mi-distance de l’une et de l’autre. La sociologie, quand elle s’occupe du droit, n’a pas à déterminer le contenu exact des lois ni à prouver si elles sont valables objectivement. Elle s’intéresse uniquement à la conduite humaine découlant de l’application des normes juridiques ( Max Weber). Afin d’asseoir la définition de la sociologie du droit sur de bonnes bases, il faut tout d’abord définir la sociologie en général. Qu’est- ce que la sociologie? On s'aperçoit rapidement des difficultés de cette définition. Les sociologues, dans leurs ouvrages, en donnent des formules incomplètes et souvent divergentes. La sociologie vient de : Racine = socius = société. "Etude scientifique des sociétés et des faits sociaux ayant pour cadre la société, les relations sociales, les manières de se réunir ou de se retrouver mais aussi l’analyse de ces manières". Discipline des sciences sociales dont le but principal est 1) d’analyser la société à travers ses relations humaines, ses groupes sociaux et ses institutions et 2) d'agir sur la réalité en vue de trouver des solutions 15 Ces deux définitions reflètent des différences de psychologie qui prédominent dans ces deux sociologies. L'une met l'accent sur la notion de groupe, l'autre sur l'individu. La sociologie française a subi l'influence de DURKHEIM, aussi affirme-t-elle le primat de la société, du groupe, alors que la sociologie américaine est plus individualiste. Il existe beaucoup d'autres définitions, ce qui illustre la difficulté de définir la sociologie d’une façon unanime, mais aussi l’évolution de ces définitions et des méthodes utilisées par les sociologues eux-mêmes. Nous allons définir, plus simplement la sociologie comme la science qui étudie les phénomènes sociaux -les faits sociaux- comme des choses. C’est la science des sociétés. Le concept de fait social est forgé en 1895 par Émile Durkheim, dans son livre Les Règles de la méthode sociologique. Les faits sociaux peuvent être définis comme ceux qui résultent de la vie en société et qui ne se produiraient pas dans une existence humaine totalement solitaire. Donc les faits sociaux sont les faits relatifs à l’homme en société. Un fait social consiste « en des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui », Émile Durkheim 16 Selon lui, un fait social est un phénomène suffisamment fréquent dans une société pour être dit régulier suffisamment étendu pour être qualifié de collectif ; Au-dessus des consciences individuelles et qui les contraint par sa préséance. Voici quelques exemples de faits sociaux : La langue : La langue est un fait social majeur, car elle est une norme culturelle partagée qui permet la communication au sein d'une société donnée. Les langues évoluent au fil du temps et sont influencées par des facteurs sociaux, culturels et historiques. La religion : La religion est un fait social qui englobe les croyances, les pratiques et les institutions religieuses. Les religions ont une influence profonde sur la culture, la morale et le comportement des individus et des sociétés. Le mariage : Le mariage est un fait social qui régule les relations conjugales et familiales. Les coutumes matrimoniales varient d'une société à l'autre et sont influencées par des normes sociales et culturelles. Les normes vestimentaires : Les vêtements que les gens portent sont un fait social, car ils sont influencés par des normes culturelles et sociales. Les codes vestimentaires varient d'une culture à l'autre et peuvent changer au fil du temps. Les institutions éducatives : Les écoles et les universités sont des faits sociaux qui définissent les normes éducatives et influencent la manière dont les individus acquièrent des connaissances et des compétences. 17 Comment peut-on définir la sociologie du droit en partant de la définition de la sociologie en général? Parmi les phénomènes sociaux, il en est qui présentent certains caractères propres, qui les mettent à part des autres, et que l'on peut qualifier de phénomènes juridiques. L'idée la plus simple est donc que la sociologie du droit sera la science de ces phénomènes particuliers. La sociologie du droit sera la branche de la sociologie générale qui traite de cette espèce de phénomènes sociaux que sont les phénomènes juridiques. Il n'existe pas de phénomène juridique pur, distinct, et de là résulte une difficulté de délimitation nette. C'est ainsi, par exemple, que le contrat est envisagé par les juristes comme un phénomène juridique, alors que les sociologues le considèrent, peut-être comme un phénomène moral,-(Ils y voient le respect de la parole donnée)-, ou religieux (à l'origine le contrat était un vœu). Un autre exemple, plus frappant encore, nous est donné par la famille, qui est un phénomène juridique aux yeux des juristes alors qu'elle est un phénomène moral, religieux, morphologique pour les sociologues. La sociologie du droit n'a pas pour objet la recherche des phénomènes juridiques autonomes, puisqu'il n'est pas certain qu'il en existe, mais la recherche du côté juridique des phénomènes sociaux. Un même phénomène social peut avoir des faces multiples, la sociologie du droit en étudie la face juridique, la sociologie juridique est la science qui a pour objet la face juridique des phénomènes sociaux, étant donné que les phénomènes sociaux sont des phénomènes à plusieurs faces. Les faits ou phénomènes juridiques sont donc des événements ou des situations qui sont liés au domaine du droit, de la justice et de la législation. Voici quelques exemples de faits ou de phénomènes juridiques : Contrats : La conclusion, l'exécution ou la rupture d'un contrat est un fait juridique. Les contrats sont des accords légaux qui créent des droits et des obligations entre les parties. Infractions pénales : Les actes criminels, tels que le vol, le meurtre, le vol à l'étalage, la fraude, la conduite en état d'ivresse, etc., constituent des faits juridiques qui sont soumis aux lois pénales. 18 Procès : Les procès civils et pénaux, y compris les audiences, les témoignages, les plaidoyers, les verdicts et les sentences, sont des événements juridiques importants. Droits de la famille : Les mariages, les divorces, les adoptions, les affaires de garde d'enfants, les testaments et les successions sont des exemples de faits juridiques liés au droit de la famille. Droits de propriété : L'achat, la vente, la location, la possession et la transmission de biens immobiliers ou personnels sont des faits juridiques courants. 19 B- Objet de la sociologie droit Le phénomène juridique est un phénomène social. Tous les phénomènes juridiques sont des phénomènes sociaux. Mais la réciproque n'est pas exacte Tous les phénomènes sociaux ne sont pas des phénomènes juridiques. Il y a tout un vaste domaine de phénomènes sociaux qui échappe au droit : à côté du juridique, il y a toute une zone de social non juridique. D'où : quel est le critère de distinction entre le juridique et le social non juridique ? C'est la question de la juridicité : La juridicité est ce caractère spécifique qui fait qu’un phénomène social entre dans le domaine du droit et devient juridique. Selon Durkheim: la règle juridique est assortie d'une contrainte sociale; alors que la règle non juridique n'est assortie que d'une contrainte diffuse, inorganisée. Selon Jean Carbonnier, la juridicité serait la justitiabilité: ce qui caractérise la règle juridique, c'est qu'elle peut donner lieu à un jugement, tandis que la règle non-juridique ne peut pas donner lieu à un jugement (au sens juridique du terme) Toutefois, il ne faut pas oublier que tous les acteurs (individus et institutions) sont concernés par la sociologie du droit. 20 C- Naissance de la sociologie du droit (les précurseurs) La sociologie du droit, discipline qui étudie les interactions entre les normes juridiques et les structures sociales, tire ses origines d'une longue tradition philosophique et intellectuelle. Avant même l'avènement du terme « sociologie », des penseurs de l'Antiquité et du Moyen Âge ont réfléchi aux relations entre les lois et la société. Parmi eux, Socrate, Platon, Aristote puis, plus tard Ibn Khaldoun et d’autres occupent une place particulière pour leurs contributions à la compréhension du rôle du droit dans l'organisation et la régulation de la vie en société. La sociologie juridique ressemble beaucoup à ce qu'on appelle la philosophie du droit. L’objectif principal de la philosophie du droit est de mener une réflexion sur le droit. L’usage de l’expression « philosophie du droit» s’est répandu à partir du début du XIXe siècle, notamment à la suite des « Principes de la philosophie du droit » de Hegel (1821). La philosophie du droit consiste à s’interroger sur la source des normes, leurs modalités de production, mais aussi sur les liens entre droit et morale, droit et justice, etc. Elle pose les questions suivantes: - Qu'est-ce que le droit ? Est-ce un ensemble de règles, une institution, ou quelque chose d'autre ? - Qu'est-ce qui rend une loi ou un système juridique légitime ? Quelles sont les sources de cette légitimité ? - Quelle est la relation entre le droit et la justice ? Comment évaluer la justice des lois ? - Quels sont les droits fondamentaux des individus ? Comment les devoirs juridiques se rattachent-ils aux droits ? La sociologie du droit, quant à elle, examine le droit dans son contexte social. Elle s'intéresse à la façon dont le droit interagit avec la société, les comportements humains et les institutions. Elle pose les questions suivantes : - Comment les transformations sociales (comme les mouvements sociaux ou les évolutions économiques) influencent-elles le droit? - Comment le droit influence-t-il le comportement social et les interactions humaines ? - Comment les tribunaux, les législatures et autres institutions juridiques fonctionnent-ils dans la pratique ? - Comment différentes cultures ou groupes sociaux perçoivent-ils et interprètent- ils le droit ? - Quelle est la relation entre le droit écrit et les normes sociales non codifiées ? 21 D’autres distinctions existent au niveau des objectifs et des méthodes : - Objectifs : La philosophie vise à comprendre et évaluer le droit sur la base de principes éthiques et théoriques, alors que la sociologie cherche à comprendre comment le droit fonctionne dans la pratique et comment il interagit avec d'autres aspects de la société (approche empirique). - Méthodes : La philosophie du droit utilise des arguments logiques et des réflexions abstraites, tandis que la sociologie du droit repose sur des études de cas, des enquêtes et des analyses statistiques. Les précurseurs Dans la Grèce antique, l'importance des lois et du droit se manifeste à travers l’organisation des cités-États (ou polis) et leur transition progressive vers des systèmes juridiques plus structurés et démocratiques. Cette période marque une évolution vers une société régie non plus par les caprices des dirigeants, mais par des lois écrites et appliquées à tous, garantissant une certaine stabilité et justice sociale. Invitation à la lecture Lévystone, David Xavier. (2019). What Rules and Laws does Socrates Obey?. Tópicos (México), (57), 399- 432. https://doi.org/10.21555/top.v0i57.1024 Version française 22 Réflexion de Socrate sur l'obéissance aux lois Socrate soutenait qu'il est essentiel de respecter les lois de la cité pour garantir l'ordre et la justice. Selon lui, obéir aux lois est un devoir pour chaque citoyen, car celles-ci structurent la vie en société et permettent le bien commun. Même si les lois sont mal interprétées par ceux qui devraient les faire respecter, même si leur application peut ainsi conduire à l'injustice, même si l'obéissance peut entraîner la perte de la vie, il est néanmoins nécessaire de s'y conformer. Pour Socrate, désobéir aux lois, c'est nuire à la communauté dans son ensemble, et cela compromettrait le principe de justice qui sous-tend la société.Ainsi, il exige, contrairement aux théories du droit naturel, une obéissance quasi absolue à la loi, pour autant que cette loi respecte le système juridique de la cité. Pour Socrate, la justice est un bien supérieur aux lois humaines. Si une loi s'avère injuste ou contraire aux valeurs morales profondes, elle doit être examinée avec soin, critiquée. Dans certaines situations, il pense qu'il pourrait être justifiable de ne pas suivre une loi si celle-ci contredit les principes de justice. 23 L’engagement envers les lois est un devoir civique Platon adhère à l'idée socratique selon laquelle les citoyens ont le devoir de respecter les lois de leur cité, puisqu'elles représentent l'ordre social qui permet à chacun de vivre en paix et en sécurité. Les lois et la justice idéale Platon, toutefois, va au-delà de la position de Socrate en imaginant des lois idéales qui ne seraient pas seulement des conventions humaines, mais des reflets de la justice absolue. Dans La République, il décrit une cité idéale gouvernée par des philosophes-rois, qui seraient les seuls capables de comprendre la véritable nature de la justice. 24 La loi comme cadre pour la vertu et la justice Aristote, dans son ouvrage La Politique, considère les lois comme essentielles pour guider les citoyens vers la vertu et le bien commun. Pour lui, les lois ne sont pas seulement des règles arbitraires, mais des instruments au service de la justice et de l'éthique. Il estime que le but ultime de la loi est d'encourager les citoyens à adopter des comportements vertueux, permettant ainsi la réalisation du bien-être de la communauté. Cette vision s'inscrit dans la continuité de Platon, mais Aristote se montre plus réaliste quant aux imperfections des systèmes existants. La justice comme base de la loi Aristote prolonge la pensée de Socrate sur le lien entre justice et loi en affirmant que la loi ne peut être juste que si elle est en accord avec une forme de justice objective et universelle. L'importance de l'équité Aristote introduit le concept d’équité, qu’il voit comme un moyen d’appliquer les lois de manière flexible pour atteindre la justice. Les lois générales peuvent être injustes dans certains cas particuliers, et il est alors nécessaire de les ajuster en fonction des circonstances. Pour lui, l’équité est donc un complément essentiel à la loi pour traiter les situations spécifiques où une application stricte serait injuste. Dans L'Éthique à Nicomaque et La Politique, il distingue différentes formes de justice : 25 Distributive et Corrective Selon lui, la justice distributive repose sur une égalité non absolue, mais proportionnelle. Par exemple, l'attribution des charges et des honneurs dans la cité devra se faire selon la proportion des mérites et des apports personnels de chaque citoyen. La justice consiste donc à traiter inégalement des individus inégaux. La Justice corrective quant à elle est basée sur l'idée d'une égalité arithmétique. Lorsque quelqu'un subit une injustice (comme un vol ou une blessure), la justice corrective intervient pour corriger cet excès ou ce manque. Elle cherche à rétablir l'équilibre en retirant à celui qui a pris ou causé un tort et en rendant à celui qui a été lésé. Le but est de remettre les parties sur un pied d'égalité. 26 En analysant les cycles politiques et l'essor et le déclin des civilisations, Ibn Khaldoun montre comment le droit et les institutions juridiques reflètent les conditions économiques, sociales et politiques d'une époque donnée. Lorsqu'une société est jeune et forte, ses lois et institutions juridiques sont souvent adaptées aux besoins et à la cohésion sociale. Au fil du temps, la décadence politique et morale affaiblit ces institutions, entraînant un déclin. L’essor et le déclin des civilisations Ibn Khaldoun propose que toute société passe par des cycles successifs de naissance, d'apogée, de décadence et de disparition. Ces cycles sont influencés par des facteurs sociaux, économiques et politiques (Perte de la cohésion sociale (asabiyya), luxe, richesse et corruption morale, Fiscalité excessive et dépenses publiques, Centralisation excessive et bureaucratie, Déclin moral et perte des valeurs fondatrices, affaiblissement de la résilience, Conflits internes et divisions , invasions et pressions extérieures). Lorsqu'une société est jeune et forte, ses lois et institutions juridiques sont souvent adaptées aux besoins et à la cohésion sociale. Au fil du temps, la décadence politique et morale affaiblit ces institutions, entraînant un déclin. Pour Ibn Khaldoun, le droit a une fonction essentielle pour la pérennité de l'État. Dans Al-Muqaddima, il décrit comment les dynasties passent par différents cycles : formation, consolidation, apogée, déclin et chute. Selon lui, un pouvoir juste et bien organisé est celui qui s’appuie sur un droit stable et respecté. Cependant, il observe que, souvent, les dynasties délaissent progressivement le droit au profit d'un autoritarisme injuste, ce qui précipite leur déclin. 27 Montesquieu propose une approche relativiste du droit en affirmant que les lois ne peuvent pas être universelles, car elles doivent s’adapter aux spécificités des peuples, à leur histoire, leur culture, leur climat, et même à leur géographie. Ce qui est juste et approprié dans un pays ne l'est pas nécessairement dans un autre. Pour lui, le droit doit donc être flexible et évoluer avec les circonstances locales pour rester pertinent. L'une des contributions les plus célèbres de Montesquieu est le principe de séparation des pouvoirs. Il estime que, pour garantir la liberté et prévenir la tyrannie, le pouvoir doit être divisé en trois branches indépendantes :  Le pouvoir législatif, chargé de faire les lois.  Le pouvoir exécutif, chargé de les appliquer.  Le pouvoir judiciaire, chargé de juger les violations des lois. Montesquieu voit dans la séparation des pouvoirs une manière d’éviter l’abus de pouvoir. Chaque branche doit pouvoir limiter les autres pour empêcher qu’une seule personne ou institution accumule un pouvoir excessif. 28 Auguste Comte vise à comprendre les lois et les institutions sociales comme des phénomènes sociaux soumis à des régularités et des principes rationnels, tout comme les phénomènes naturels le sont dans les sciences physiques. Il envisage la sociologie légale comme une branche de la sociologie qui s’intéresse aux lois dans leur relation avec la structure sociale, le progrès et l’ordre social. Comte applique le principe du positivisme à l’étude du droit et des institutions. La sociologie légale cherche à étudier les lois et les structures juridiques comme des faits sociaux mesurables et analysables. Comte voit dans la sociologie légale un moyen de dégager des régularités et des lois universelles qui gouvernent les phénomènes sociaux et juridiques, afin de prédire l’évolution des sociétés Par ailleurs, Comte défend l’idée que la société a besoin de deux piliers : l’ordre et le progrès. L’ordre représente la stabilité et les normes, tandis que le progrès incarne le changement social et l’évolution. 29 Marx a développé la théorie selon laquelle la structure économique d'une société, qu'il a appelée la "base économique" (ou le mode de production), est la force motrice qui détermine la "superstructure" de la société, y compris le droit. Selon Marx, le droit est une partie de la superstructure qui reflète et protège les intérêts de la classe dominante. Les lois et les institutions juridiques sont conçues pour maintenir l'ordre et la stabilité qui favorisent le capitalisme et la propriété privée. Marx a mis en avant l'idée que la société est caractérisée par une lutte des classes entre la classe ouvrière (le prolétariat) et la classe capitaliste (la bourgeoisie). Cette lutte des classes se manifeste également dans le domaine juridique, où les lois sont souvent utilisées pour protéger les intérêts de la bourgeoisie au détriment du prolétariat. Son approche a fortement influencé les théories critiques et la sociologie du droit, en montrant comment les systèmes juridiques peuvent être des instruments de domination plutôt que des garants de la justice universelle. 30 31 La sociologie du droit est un domaine relativement récent, mais elle s’appuie sur des théories et des concepts établis par des sociologues et des juristes influents dès le XIXe et le début du XXe siècle. Des penseurs comme Emile Durkheim, Max Weber, Gurvitch ou Ehrlich ont posé les bases de la sociologie juridique, qui examine le droit non pas comme un système isolé, mais comme une institution profondément interconnectée avec les structures sociales, politiques et économiques A- Les fondateurs (La prise de conscience de la sociologie du droit) 1- Emile Durkheim (1858-1917): Le droit comme reflet de la conscience collective Émile Durkheim (1858-1917) est considéré par beaucoup comme le père fondateur non seulement de la sociologie du droit française mais également de la sociologie générale. Pour Durkheim, le droit est un fait social qui reflète la morale collective et la structure sociale, permettant de maintenir l'ordre et la cohésion au sein de la société. il distingue le droit répressif, lié aux sociétés traditionnelles avec une forte cohésion mécanique, du droit restitutif, qui émerge dans les sociétés modernes caractérisées par une solidarité organique. Par ailleurs, Durkheim a considéré la déviance et le crime comme des phénomènes inévitables et normaux dans toute société. Il a soutenu que le crime peut jouer un rôle fonctionnel en soulignant les limites des normes sociales et en renforçant la solidarité sociale par le rejet des comportements déviants. 2- Eugen Ehrlich (1862-1922) et le droit vivant (living law) - Les fondements de la sociologie du droit, 1913- Eugen Ehrlich (1862-1922) etait un juriste et sociologue autrichien. D'apres Ehrlich, les theories juridiques anciennes, qui considerent le droit comme une somme de statuts et de jugements, donnent une transcription insatisfaisante de la realite juridique d'une communaute. Il opere quant a lui une distinction entre les normes de la decision et les normes sociales ou les normes du comportement. Ces dernieres regissent reellement la vie dans une societe et peuvent etre consideres dans la conscience populaire, sinon par les juristes, comme des lois veritables. Par exemple, les us et coutumes commerciaux peuvent se développer, être reconnus et respectés comme s'il s'agissait de lois. 32 Ainsi, Ehrlich a cherché à faire reconnaître que le « droit vivant » qui règle la vie sociale peut être tout à fait différent des normes par les tribunaux. Les normes de la décision règlent seulement certains conflits. La « loi vivante » est un cadre pour structurer les rapports sociaux courants. Sa source est dans de nombreux types d'associations sociales différentes dans lesquelles les gens coexistent. Son essence n'est pas le conflit et le litige, mais la paix et la coopération. 3- Georges Gurvitch (1894-1965) et le droit social Georges Gurvitch (1894-1965) était un sociologue et juriste français d'origine russe qui a apporté d'importantes contributions à la sociologie du droit. Sa théorie repose sur l'idée que le droit est un phénomène social complexe qui ne peut être compris en se limitant aux normes légales écrites, Il a été un pionnier de la théorie du pluralisme juridique. Cette notion renverse l’idée traditionnelle d’un droit unique et centralisé, pour mettre en évidence l’existence et la légitimité de plusieurs systèmes juridiques coexistant au sein d’une même société. Selon lui, le droit n’est pas simplement imposé par une autorité centrale (comme l’État), mais il peut également être produit de manière spontanée par des groupes sociaux divers (familles, syndicats, associations, communautés religieuses, etc.). Pour Gurvitch, le droit est social, toute la société produit des normes. 4- Max Weber (1864-1920) et l’autorité légale-rationnelle Max Weber était un sociologue allemand du début du XXe siècle qui a apporté une contribution significative à la sociologie du droit. Weber est surtout connu pour sa théorie de l'autorité légale-rationnelle, qui est pertinente pour la compréhension de la relation entre le droit, le pouvoir et la société. Weber considère le droit comme un moyen de réguler la vie sociale, mais aussi comme un instrument de domination légitime. Dans le cadre de la domination rationnelle-légale, l’État utilise le droit pour imposer des règles de manière cohérente, en monopolisant l’usage légitime de la force. 33 B- Quelques courants contemporains Les courants contemporains de la sociologie du droit se sont diversifiés, influencés par des approches critiques et interdisciplinaires qui étudient le droit dans des contextes variés et complexes. 1- Le mouvement « Law and Society » Courant majeur de la sociologie du droit créé en 1964 dans les universités américaines de la côte Ouest. Il a joué un rôle significatif dans le développement de ce domaine d'étude. Son rôle principal est de promouvoir l'analyse sociologique du droit en mettant l'accent sur la relation entre le droit et la société. Ses principaux objectifs - Promouvoir la recherche interdisciplinaire : entre sociologues, juristes, anthropologues, politologues et autres chercheurs issus de diverses disciplines. Il favorise une approche interdisciplinaire de l'étude du droit, ce qui permet d'explorer les multiples facettes des questions juridiques. - Analyser les institutions juridiques telles que les tribunaux, les lois et les systèmes de justice et les comportements juridiques des individus. Ils s'intéressent à la manière dont le droit est appliqué dans la pratique, comment les individus interagissent avec le système juridique et comment les décisions juridiques influencent la société. - Étudier les implications sociales du droit : Le mouvement se penche sur les implications sociales du droit, en examinant comment les lois et les règlements affectent la société, les inégalités, les comportements, les normes sociales et les relations de pouvoir. Il explore comment le droit façonne et est façonné par la culture, la politique, l'économie et d'autres aspects de la vie sociale. 34 2- Jean Carbonnier (1908-2003) Jean Carbonnier a été un immense penseur du droit, un remarquable civiliste et un pionnier de la sociologie du droit. Son œuvre scientifique en témoigne, notamment ses manuels de droit civil à Droit et passion du droit sous la Ve République 1996, en passant par Flexible Droit 1969, ou par son ouvrage de Sociologie juridique 1978. Son apport est remarquable pour plusieurs raisons : La personnalité du droit : Carbonnier a développé la notion de "personnalité du droit subjectif " qui souligne l'importance de reconnaître que le droit est intrinsèquement lié à la personne et à la société. Il a fait valoir que le droit n'est pas seulement un ensemble de règles abstraites, mais qu'il est intimement lié à la vie des individus et des collectivités. Cette idée a influencé la manière dont les juristes et les sociologues du droit perçoivent la relation entre le droit et la société. Le droit comme institution sociale : Carbonnier a insisté sur le fait que le droit est une institution sociale, une réponse aux besoins et aux valeurs de la société. Il a souligné que le droit évolue avec le temps en réponse aux changements sociaux, économiques et culturels. Cette perspective a contribué à l'analyse du rôle dynamique du droit dans la société. La sociologie du droit de la famille : Carbonnier s'est particulièrement intéressé à la sociologie du droit de la famille. Il a étudié les évolutions des institutions familiales et les implications juridiques qui en découlent. Ses travaux ont eu un impact important sur le droit de la famille en France. 35 36 Dans les sociétés contemporaines, toute norme sociale peut se trouver saisie par le droit et le phénomène dit de « juridicisation » semble aller croissant. Toutefois, il importe de garder à l’esprit que le droit n’occupe qu’une place relative, variable selon les contextes historiques et sociopolitiques, dans la régulation sociale. Dans le présent axe, nous définirons le concept de norme en sociologie et nous montrerons en quoi le droit en constitue une catégorie particulière. Nous verrons dans un deuxième temps comment le droit oriente-t-il les comportements et encadre-t-il les activités sociales. A- Les règles juridiques, un type particulier de normes Les normes, concept clef en sociologie, jouent un rôle fondamental dans la structuration et l’orientation de l’action sociale. Le droit ne constitue toutefois que l’un des multiples registres normatifs qui contribuent à la mise en ordre et à la régulation des activités sociales. A-1 Qu’est-ce qu’une norme sociale? Pourquoi certaines choses sont considérées normales alors que d’autres non ? Quel est le principe de cette normalité et des normes sociales ? D’où est-ce qu’elles viennent ? À quoi servent-elles ? Pourquoi nous sentons nous (au moins un peu) contraintes et contraints d’y correspondre? À l’intérieur d’une collectivité sociale, les comportements revêtent souvent un caractère typique, répétitif, même s’il existe des variations entre individus et sous-groupes. D’une manière générale, cette uniformité relative et cette régularité des conduites sont la conséquence de la présence de normes sociales, qui sont des manières de faire, d’être ou de penser socialement définies et sanctionnées ». Les normes sociales sont des prescriptions s’appliquant aux comportements humains. Elles définissent ce qui doit et ce qui ne doit pas être fait. 37 Les normes exercent une contrainte sur les acteurs qui a pour effet de réduire les écarts de conduite par rapport à un certain modèle. Ces normes sont partagées par les membres du groupe et leur permettent de vivre ensemble de manière cohérente et harmonieuse. Une norme sociale est une attente collective quant à la manière dont les individus doivent se comporter dans des situations données. Une norme traduit l’impact du social sur les comportements et les jugements individuels. Ont donc une dimension normative toutes les actions humaines qui sont effectuées par référence à une attente prêtée à autrui, qui nécessitent la compréhension et l’approbation d’autrui pour être réalisées. Dans toutes les relations d’échanges qui se déroulent dans la vie sociale, chaque fois que l’auteur d’un acte s’efforce d’en justifier le sens et d’en faire reconnaître le caractère tout à la fois normal, valide, approprié et légitime pour répondre à un problème posé, il peut être considéré comme posant une norme susceptible d’être acceptée ou contestée par autrui. Autrement dit, toute action sociale, c’est-à-dire toute action orientée par rapport à des contraintes de réciprocité, est susceptible d’engendrer ou de transformer une norme. Les normes sont donc le produit des activités sociales et évoluent quand celles-ci se transforment. Une norme a des destinataires spécifiques et un domaine de validité circonscrit. Elle s’adresse à un ensemble déterminé d’acteurs individuels ou collectifs, dont elle vise à orienter le comportement. Les limites de ce champ d’application peuvent englober des collectivités humaines de taille et de complexité extrêmement variables. Les acteurs n’ont à prendre une norme en considération qu’à partir du moment où ils entrent en interaction avec des êtres ou des choses situés à l’intérieur de son domaine de validité Les normes peuvent être explicites ou intériorisées. Les normes intériorisées: Modèles de comportement non édictés officiellement, plus ou moins flous et implicites. Elles n’ont pas d’auteur nettement repérable, pas de contenu prescriptif précisément défini et ne dépendent pas d’arrangements institutionnels spécifiques pour veiller à la conformité des comportements. Elles sont intériorisées par les individus. 38 Les normes explicites: commandements explicites visant à dicter précisément une conduite. Elles sont le produit d’un processus intentionnel de décision et d’énonciation de leur contenu prescriptif par une instance sociale nettement repérable. Elles supposent l’existence de mécanismes institutionnels dédiés à la mise en œuvre, au contrôle de conformité et à la sanction des transgressions. Ce qui définit une norme, c’est que les comportements qui s’en écartent suscitent une réprobation ou une punition. Ces personnes doivent croire que si elle ne se conforment pas à cette attente, elle courent le risque de se voir infliger une sanction; Le destinataire de la norme peut se sentir contraint de s’y conformer par lui-même ou par d’autres personnes. L’autocontrainte Se manifeste par des émotions éprouvées par l’individu, lorsque celui- ci envisage de commettre une transgression ou quand il regrette, après-coup, d’avoir enfreint la norme : Sentiment du devoir, crainte de la punition, honte, culpabilité, etc. La réaction externe Peut prendre la forme de manifestations informelles de désapprobation émanant de l’environnement social du transgresseur, telles que La moquerie, la critique, la réprimande, le scandale, la punition affective, etc. Un autre type de réaction possible est la sanction physique. - A quoi servent-les normes sociales? Les normes sont indispensables à la réalisation des activités collectives : la coopération entre les individus pour parvenir à un résultat nécessite, en effet, la présence de contraintes normatives imposant aux parties prenantes à l’action commune de suivre certains schèmes de conduite prédéterminés. C’est pourquoi les normes doivent avoir une certaine stabilité : elles peuvent certes être modifiées, mais ce changement nécessite, de la part des acteurs intéressés, de produire un effort. Les normes sociales ont une triple dimension prescriptive, évaluative et descriptive. Dimension prescriptive: Les normes sont des contraintes qui cadrent les individus. Elles fournissent aux acteurs des modèles de comportement qu’ils peuvent reproduire ou dont ils peuvent s’inspirer pour répondre aux problèmes courants qui se posent à eux. Dimension évaluative: 39 Les normes sont articulées à des valeurs. Elles fournissent une vision générale de ce qu’il est convenable de faire ou de ne pas faire. Par exemple les normes de déontologie qui constituent le cadre des relations entre les médecins et leurs patients sont fondées en grande partie sur la valeur de respect de la vie humaine. Les normes visent à contraindre les acteurs à réaliser sur le plan pratique les valeurs et les idéaux dont elles sont l’émanation et l’expression. Dimension descriptive: Elles véhiculent une connaissance commune des situations qui permet de désigner et de classer les objets sociaux, différencier le normal de l’anormal, l’ordinaire de l’inhabituel, le commun du singulier, le général du particulier, le juste et l’injuste. - Comment se transmettent les normes sociales? D’une façon implicite ou explicite via: La socialisation (Ecole, famille, médias) Les incitations des institutions dirigeantes L’observation Une réaction de désapprobation: Exprimer une telle réaction à l’égard de quelqu’un qui transgresse une norme sociale pourra générer une « pression à la conformité » ou une « sanction sociale négative », nous indiquant quelle est la « bonne » marche à suivre pour respecter les normes. A- 2 Les règles juridiques, un type particulier de normes Les normes juridiques sont considérées comme une catégorie particulière de normes. Comment distinguer ce qui est proprement juridique de la multiplicité des normes qui nous entourent? Quelles sont les caractéristiques particulières que doivent revêtir les normes sociales pour devenir des règles juridiques? Quels sont les critères de la juridicité d’une norme sociale? 40 La juridicité d’une norme est un concept qui fait débat. Elle questionne la définition que nous retenons du droit. Pour parler de la juridicité d’une norme, doit- on considérer uniquement le droit positif? ou doit-on considérer également d’autres ordres normatifs qui remplissent des fonctions analogues à celles du droit? La notion de juridicité: quelle définition du droit? 1. Considérer uniquement le droit positif? Conception minimaliste qui oriente l’exploration sociologique sur ce que les juristes reconnaissent explicitement sous le vocable de « droit » à savoir le droit étatique, aux institutions et corps de professionnels dédiés à sa création, sa diction et sa mise en œuvre. Il se compose d’un ensemble d’impératifs, de règles et de la jurisprudence, auxquels s’ajoutent les élaborations doctrinales. Selon cette définition, tout autre ordre normatif serait dénué de toute juridicité et non intégré au système juridique officiel. Cette conception positiviste du droit est considérée par certains auteurs comme insuffisante pour rendre compte de la plénitude du phénomène juridique. Le droit étatique n’épuise pas le droit. 2. Elargir la définition du droit ? Le droit englobe d’autres formes d’ordonnancements normatifs qui remplissent des fonctions analogues à celles exercées par le droit positif. Le droit est défini ici comme un ordonnancement social, une forme de normativité (plus ou moins institutionnalisée et codifiée) visant à organiser les échanges sociaux et réguler les conflits. Le droit n’est donc plus envisagé du point de vue de l’État, qui le produit et l’impose, mais de celui de la société. C’est un « droit vivant » selon E. Ehrlich : Les différents groupements humains tels que les groupes de professionnels, corporations, clubs, écoles, syndicats, seraient autant d’espaces dotés de normativités propres, génèrent des règles de conduite spécifiques pour leurs ressortissants. 41 Inconvénient: appeler du même nom toutes les formes d’ordonnancements qui ne sont pas du droit étatique égare l’analyse. Il est aisé de distinguer le droit des ordres normatifs informels, tels que les habitudes de propreté, les manières de table, ou encore les habitudes vestimentaires; Mais identifier les caractéristiques propres du droit est plus difficile, dès lors qu’on le compare à d’autres systèmes de règles générés par des groupements organisés. Trois critères de définition de la juridicité d’une règle : Elle participe du fonctionnement de l’État ou de la régulation étatique de la vie sociale: Le droit constitue l’un des principaux instruments d’action au service des autorités publiques; En même temps, les règles juridiques sont instituées et garanties dans le cadre de la puissance étatique. Elle est reconnue comme telle par les juristes : La juridicité des règles fait référence à leur insertion dans ce champ social très particulier qu’est le droit. Celui-ci est, tout à la fois, un corps de règles extrêmement complexe, un ensemble d’activités techniques un système d’acteurs en charge de ce travail de production, d’interprétation et de traduction en actes du droit. Elle est susceptible d’interprétation judiciaire : Possibilité de recourir à une instance de jugement de l’institution judiciaire. Le droit peut être défini comme l’ensemble des règles susceptibles d’être employées par les juges pour régler les différends qui surviennent dans la vie sociale. 42 B- La régulation juridique ou la régulation des activités sociales par le droit Qu’entend-on par la régulation des activités sociales? Comment le droit participe- t-il à la régulation des activités sociales? Et pourquoi certaines règles juridiques ne parviennent pas à assurer cette régulation? B-1 Qu’entend-on par la régulation des activités sociales? On entend par régulation l’ensemble des structures et des processus grâce auxquels un système social parvient à maintenir sa cohésion, à réaliser ses objectifs, à se pérenniser en dépit des perturbations internes et externes qui affectent son fonctionnement. B-2 Comment le droit participe-t-il à la régulation des activités sociales? Il convient d’étudier comment et dans quelle mesure ces régulations en viennent à s’articuler au droit et à revêtir un caractère juridique ou, en d’autres termes, à se juridiciser Le terme de juridicisation est utilisé pour désigner le processus par lequel des normes sociales partagées par un groupe sont transposées dans des règles et dispositifs juridiques explicites. La juridicisation d’une relation ou d’une activité sociale peut être définie comme l’instauration de règles juridiques destinées à réguler cette relation ou cette activité. Par exemple, on peut considérer que la relation parent-enfant connaît un processus de juridicisation à partir du moment où l’enfant se voit reconnaître des droits qui sont définis juridiquement et dont le respect peut être imposé par une instance judiciaire. La juridicisation, dérivée du mot juridique, désigne également le phénomène alarmant de la propagation du droit et des solutions juridiques à un plus grand nombre de domaines de la vie sociale et économique. De fait, les instances de production du droit prennent couramment des normes sociales pour référence quand elles définissent le contenu de certaines règles juridiques Elles font bien plus que calquer le droit sur les normes en vigueur. Elles impliquent, en effet, des négociations et des luttes entre acteurs sociaux animés par des idées et des intérêts, matériels ou symboliques, divergents. 43 La norme sociale fonde des conduites régulières qui ne se transforment pas toutes en droit. La société globalise cet ensemble de comportements, d'usages locaux, parmi lesquels certains sont juridicisés en fonction de leur importance pour la cohérence du groupe et sa reproduction. Les normes sociales ne deviennent également juridiques que lorsque «la masse des consciences individuelles est arrivée à comprendre que la sanction matérielle de cette norme peut être socialement organisée» Léon DUGUIT Le droit n'est donc pas une abstraction mais une réponse à un besoin d'organisation formelle de la société. Il part de modèles de comportement élaborés sur la base de données culturelles pour aboutir à la règle juridique. A ce niveau s'effectue la synchronisation entre les normes juridiques et sociales. La norme juridique émane de la norme sociale dont elle constitue la codification des pratiques. 44 B-3 La régulation juridique entre l’effectivité et l’ineffectivité des lois? Il existe un écart entre la manière dont le droit prétend ordonnancer la vie sociale et la façon dont il contribue effectivement à la régulation des activités sociales. La notion d’effectivité de la règle exprime l’écart entre ce que l’individu doit faire pour se conformer à la prescription officielle et ce qu’il fait effectivement. Différents facteurs peuvent expliquer que certaines normes juridiques sont peu ou pas respectées: Lorsqu’une règle juridique prend le contre-pied des normes informelles établies dans une collectivité, la proportion de destinataires choisissant de ne pas la respecter a de fortes chances d’être élevée. Un destinataire peut ne pas connaître l’existence de la norme et, s’il est informé de son existence, il peut avoir une compréhension erronée de sa signification. Il peut ne pas reconnaître la légitimité de l’instance ayant édicté la règle, estimer que son élaboration ou que sa mise en œuvre est entachée d’irrégularité, ou encore rejeter les valeurs qu’elle exprime. Il peut s’en écarter parce qu’il a avec elle un rapport stratégique : il choisit de la respecter ou non en fonction de la perception qu’il a de ses propres intérêts et des marges de manœuvre dont il dispose, après avoir effectué un calcul coûts-avantages. Le destinataire peut, enfin, déroger à la règle estimant qu’il a très peu de chances d’être sanctionné car il considère que les instances de coercition chargées de faire respecter la règle sont peu crédibles Certaines infractions sont rarement décelées en raison de leur faible visibilité : elles sont commises dans des espaces privés. Au-delà d’un certain seuil de non-respect, l’ineffectivité d’une règle porte atteinte à sa légitimité. 45 46 La justice sociale en tant que finalité du droit reflète l'idée que le système juridique doit contribuer à la création d'une société où tous les individus ont des droits égaux, des opportunités équitables et une protection contre l'injustice. Cela implique la promotion de l'égalité, de la dignité humaine, de la non-discrimination et de la participation de tous à la vie sociale. A- Qu’est-ce que la justice sociale et quelles sont ses dimensions? La justice sociale est un concept qui englobe l'idée que toutes les personnes, indépendamment de leur origine, de leur statut socio-économique, de leur genre, de leur race, de leur religion ou d'autres caractéristiques, devraient avoir un accès équitable aux droits, aux opportunités et aux avantages dans la société. Elle cherche à garantir que tous les individus sont traités avec dignité et équité, et qu'aucun groupe ne subit de discrimination systématique ou d'injustice. La justice sociale n’est pas uniquement un impératif moral Elle permet également aux sociétés et aux économies de fonctionner de manière plus cohérente et plus efficace. Elle libère le potentiel de production des pays et de la population et ouvre la voie à une réduction durable de la pauvreté et des inégalités, condition préalable à la réalisation d’une croissance inclusive. Elle contribue en outre à la paix, à la stabilité et à la solidarité. Quelques dimensions clés de la justice sociale 47 On peut dire d’une société, d’une politique ou d’une institution qu’elle est juste ou injuste. La justice sociale est une construction morale et politique, ce qui signifie que les membres d’une société s’accordent sur certains principes de justice, acceptés par tous et qui orientent l’action politique. Mais sur quelle conception de la justice sociale s’appuie cette appréciation? Il existe plusieurs conceptions de la justice sociale, qui diffèrent notamment selon la conception de même de l’égalité et le degré d’inégalités jugées acceptables. 48 Les différentes conceptions de la justice sociale 49 B- Quels sont les champs d’intervention du droit pour garantir la justice sociale La notion de justice sociale en tant que finalité du droit reflète l'idée que le droit doit contribuer à la création d'une société juste et équitable. Cela implique que le système juridique doit chercher à éliminer les inégalités, à promouvoir la justice distributive et à assurer le respect des droits fondamentaux pour tous les individus. a) Rôle du droit dans la lutte contre la discrimination et la promotion de l'égalité. Ces mécanismes varient d'un pays à l'autre en fonction des valeurs culturelles et des contextes juridiques spécifiques. Lois anti-discrimination interdisant explicitement la discrimination fondée sur des caractéristiques telles que la race, le sexe, la religion, le handicap, etc. Ces lois définissent les comportements discriminatoires et prévoient des sanctions en cas de violation. Lois sur l'égalité des chances : Ces lois visent à assurer un accès équitable à l'éducation, à l'emploi, au logement, et à d'autres domaines, en éliminant les obstacles qui pourraient entraîner des inégalités. Lois de discrimination positive: Certains systèmes juridiques mettent en place des politiques d'action positive pour remédier aux inégalités historiques. Ces politiques peuvent inclure des quotas ou des mesures spéciales pour favoriser la représentation des groupes historiquement discriminés. Lois sur l'accessibilité : Ces lois exigent que les espaces publics, les transports, les services, etc., soient accessibles à tous, y compris aux personnes handicapées. b) Rôle du droit dans la réduction des disparités économiques une répartition plus juste des biens sociaux. A travers l’encadrement des relations économiques, la fiscalité, les droits du travail et d'autres aspects de la vie économique. c)- Rôle du droit pour garantir l'accès à la justice pour tous, indépendamment de la situation financière, de la race, du statut social, etc. Faire en sorte que chaque individu ait la possibilité de faire valoir ses droits devant les tribunaux et de bénéficier d'une protection juridique équitable. f) La justice sociale nécessite une régulation des institutions sociales, économiques et politiques pour éviter l'exploitation, l'injustice et l'abus de pouvoir. 50 C- Quelles sont les limites du droit dans la réalisation de la justice sociale? Bien que le droit soit un outil essentiel pour garantir la justice sociale, il présente également certaines limites et défis: Lacunes législatives Des lacunes peuvent exister dans la législation, des domaines non couverts par la loi, ou des formulations vagues qui laissent place à l'interprétation. Ces lacunes peuvent être exploitées pour contourner les intentions initiales de la législation. Résistance sociale Même avec des lois en place, il peut y avoir une résistance sociale à la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir la justice sociale. Les attitudes culturelles et sociales profondément enracinées peuvent contrecarrer les efforts légaux. Corruption et abus de pouvoir La corruption au sein du système judiciaire, les abus de pouvoir et la manipulation politique peuvent entraver la capacité du droit à garantir la justice sociale. Malgré ces limites, le droit demeure un outil essentiel dans la quête de la justice sociale, et la prise de conscience de ces défis peut conduire à des réformes visant à renforcer l'efficacité des dispositifs juridiques. Compléter l'action juridique par des efforts sociaux, politiques et éducatifs peut contribuer à surmonter certaines de ces limites et à promouvoir une justice sociale plus complète. 51

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