Initiation à une approche esthétique des Arts - Cours
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Ce document présente une introduction à l'esthétique de l'art, explorant les notions d'art, d'artefact et de désignation. Il examine les perspectives de Platon et d'Aristote sur l'art ainsi que le contexte historique dans lequel l'art a été classé et compris. Des exemples d'œuvres d'art et des débats avec différentes époques sont expliqués.
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S1 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM INTRODUCTION 1/ La notion de l’art Notion instable : Au Moyen Âge, « l'art » n'existait pas. Les objets aujourd'hui considérés comme art étaient des objets cultuels transmettant des savoirs aux fidèles. Esthétisme : concept récent (début XIXe...
S1 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM INTRODUCTION 1/ La notion de l’art Notion instable : Au Moyen Âge, « l'art » n'existait pas. Les objets aujourd'hui considérés comme art étaient des objets cultuels transmettant des savoirs aux fidèles. Esthétisme : concept récent (début XIXe siècle). Avant, l'art était jugé selon les règles académiques. L'époque des Lumières, en instituant le droit de vote, a permis l'expression des goûts personnels, influençant notre perception de l'art. Aujourd'hui, notre conception de l'art reste influencée par des facteurs socioculturels. Van Gogh : non reconnu de son vivant, célèbre aujourd'hui. Qu'en sera-t-il demain ? L'ikebana : art japonais pas toujours reconnu en Occident. ⇒ L'art nécessite une appropriation culturelle dès le plus jeune âge. L'art exige une intention et une acceptation sociale. Il est donc lié aux codes sociétaux, évoluant avec le temps. Le contexte influence la valeur artistique : Une statue comme cale-porte perd sa valeur artistique. Un objet exposé au musée gagne en prestige. ⇒ L'art dépend des facteurs socioculturels, pas des objets eux-mêmes. 2/ Un artefact Artefact : Un objet créé par l'homme pour un usage spécifique. Un artefact est différent d'un élément naturel. Il est fabriqué en modifiant des matériaux existants. George Dickie, Defining Art Selon Dickie, même les objets non modifiés peuvent devenir des artefacts s'ils sont utilisés comme outils. C'est l'usage qui transforme un objet simple en objet complexe. Marcel Duchamp, Fontaine Duchamp a changé la fonction d'un objet ordinaire : un urinoir est devenu une œuvre d'art appelée "Fontaine". Cela montre comment un objet banal peut devenir une œuvre d'art complexe. 1 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Aucun matériau n'est naturellement artistique. Il faut toujours une transformation, soit physique soit conceptuelle, pour qu'un objet devienne de l'art. 3/ Une procédure de désignation Définition simple de l'art selon George Dickie : L'art est un objet créé par l'homme pour être présenté à des personnes qui comprennent ce qu'est l'art. Les œuvres d'art sont comme des candidats. Elles passent par un processus de sélection, un peu comme une élection. Ce processus détermine si elles peuvent être considérées comme de "vraies" œuvres d'art. En résumé, il y a deux étapes principales : 1. Les œuvres d'art sont d'abord des objets créés par l'homme qui pourraient devenir de l'art. 2. Ensuite, ces objets sont choisis ou "élus" pour être officiellement reconnus comme de l'art. 2 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM A/ CE QUE REPRÉSENTER VEUT (VRAIMENT) DIRE 1/ Platon, La République Une société idéal : la démocratie et le monde des idées La connaissance de la beauté transcende l'expérience sensorielle. Pour saisir l'essence du beau, il faut dépasser les cas particuliers. ⇒ La science esthétique étudie la beauté pure, sans matérialité. ⇒ Pour atteindre l'idée, il faut s'affranchir de la matière qui l'altère. Le monde des idées : un monde idéal immuable. L'instabilité du monde sensible empêche la connaissance certaine. Le changement perpétuel anéantit toute stabilité nécessaire au savoir vrai. La connaissance est dépendante des perceptions individuelles. La subjectivité introduit un relativisme : si X trouve une rose belle et Y non, peut-on atteindre une connaissance objective ? La théorie des idées : Platon développe une science purement intellectuelle pour atteindre la vérité. ⇒ Connaissance vraie indépendante du sensible et de l'interprétation personnelle ⇒ Réalité immatérielle, immuable et universelle : Implique un créateur unique (dieu) ⇒ Monde sensible limité aux opinions subjectives ⇒ Philosophie dualiste : sensible comme copie dégradée de l'intelligible L'art et les artistes selon Platon : Pour Platon, une société idéale n'aurait ni femmes ni artistes. Il pensait que cela éviterait les conflits entre la raison et les émotions. Selon lui, l'artiste est comme un magicien qui nous trompe : Il nous fait croire à des choses qui ne sont pas vraies Il imite seulement l'apparence des choses Il nous éloigne de la vraie connaissance Platon conclut donc que l'imitation (ce que font les artistes) ne peut pas nous aider à acquérir de vraies connaissances. Exemple : René Magritte, La Trahison des images (1929) 3 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Selon Platon, il y a trois niveaux de réalité : 1. L'idée : Dieu crée le concept parfait (par exemple, l'idée de chaise) 2. L'objet : L'artisan fabrique l'objet réel (comme un menuisier qui construit une chaise) 3. L'image : L'artiste reproduit l'apparence de l'objet (un peintre qui dessine la chaise) Pour Platon, l'art est donc une "copie de copie", éloignée de la vérité. Il compare l'imitation artistique à un reflet dans un miroir : une image créée automatiquement, sans vraie création. ⇒ Cependant, cette vision de l'art est critiquée comme étant trop simpliste. L'art n'est pas seulement de l'imitation, mais aussi de la création. Il faudra attendre la Renaissance pour que l'artiste soit vraiment considéré comme un créateur. 2/ Aristote, Poétique Poétique : Un livre qui explique comment écrire des pièces de théâtre Ce livre d'Aristote donne des conseils pratiques pour écrire des pièces de théâtre. Contrairement à Platon, Aristote ne critique pas l'imitation dans l'art. Il pense que l'imitation peut être positive et utile. Aristote compare deux approches d'écriture : Poète : crée le vraisemblable, impliquant choix et construction Historien : rapporte les faits réels (ex : guerre de Troie) Les deux imitent le monde, mais le poète intègre la création. Le poète crée des épisodes nécessaires menant à un dénouement attendu. Contrairement à l'historien, il raconte ce qui pourrait arriver selon la vraisemblance. Le vraisemblable répond au principe de nécessité. Le poète mêle actions simples et complexes, liées par causalité ou temporalité, pour créer un retournement de l'action. La finalité est l'émotion menant à la catharsis (purification des passions). ⇒ Théâtre : outil sociétal pour purger les passions, permettant de vivre par procuration des actes interdits. ⇒ Les fictions : leçons de vie instructives et apaisantes. Le théâtre doit être convenable, cohérent, et inspirer l'imitation de personnes exemplaires. ⇒ Nouvelle conception : imitation organisée (procédés variés pour captiver le public) produisant des émotions sans inciter à l'action réelle. / Élément nécessaire dans une démocratie. 4 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 3/ Digression : la classification des arts au fil des siècles La situation à la fin du Moyen-Age La société était imprégnée de religion, avec le divin au centre de tout. La vie terrestre était vue comme une préparation à l'au-delà. L'« art » désignait un savoir-faire technique, hiérarchisé selon les pratiques : Arts libéraux divisés en Trivium et Quadrivium : → Trivium : grammaire, dialectique, rhétorique (pouvoir de la langue) → Quadrivium : arithmétique, musique, géométrie, astronomie (pouvoir des nombres) Arts mécaniques Les arts mécaniques désignent les pratiques techniques ou artisanales, axées sur l'utilité pratique plutôt que sur l'intellect. Ils s'opposent aux arts libéraux, considérés comme plus théoriques. Au XVIIIe siècle : Kant (1790) classe les arts en 3 catégories : Arts plastiques : sculpture, architecture, peinture (expression des idées par les sens) Arts de la parole : éloquence et poésie Arts des sensations : musique et art des couleurs Au début du XIXe siècle, Hegel classe cinq arts selon leur expressivité et matérialité, du moins expressif mais plus matériel au plus expressif mais moins matériel : l'architecture la sculpture la peinture la musique la poésie Au XXe siècle, la liste s'élargit : 1er art : l'architecture 2e art : la sculpture 3e art : les « arts visuels », regroupant peinture et dessin 4e art : la musique 5e art : la littérature, qui regroupe la poésie, les romans et tout ce qui se rattache à l'écriture 6e art : les « arts de la scène », c'est-à-dire la danse, le théâtre, le mime et le cirque 7e art : le cinéma 8e art : les « arts médiatiques », qui regroupent la radio, la télévision et la photographie 9e art : la bande dessinée, le manga et les comics 10e art : le jeu vidéo 5 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 4/ Leon Battista ALBERTI, De Pictura - Renaissance → L'art est désormais considéré comme une activité intellectuelle, transcendant la simple pratique manuelle. → Un nouveau statut de l'artiste émerge : présentation sur le marché, promotion active, et obtention de commandes. Cette évolution marque une reconnaissance accrue par rapport à l'époque médiévale. → On assiste à l'émergence d'un capitalisme artistique : une relation vendeur-acheteur s'établit, accompagnée d'une revendication de paternité artistique. La rémunération est désormais basée sur le talent plutôt que sur le temps de travail. → La notion de propriété artistique s'affirme : l'artiste se positionne comme créateur, remettant en question le rôle divin dans la création artistique. De Pictura : Alberti présente une méthode pour devenir un peintre reconnu, mettant l'accent sur deux domaines clés : La géométrie : Alberti théorise la perspective pour représenter la réalité, organiser une peinture, et comprendre l'espace personnellement. Cette approche scientifique rapproche la peinture des arts libéraux, la transformant en : 1. Un outil de connaissance 2. Un moyen d'expression avancé 3. Un espace de réflexion Léonard de Vinci qualifie plus tard la peinture d'"activité mentale". La nature : Le peintre doit représenter la création divine, tout en respectant l'importance de la religion. Fable de Zeuxis: La fable de Zeuxis illustre un peintre exceptionnel qui s'inspire d'une beauté idéale plutôt que de copier la réalité imparfaite. Il y a une tension entre : 1. Représenter fidèlement la nature 2. Créer une version idéalisée de la réalité Les artistes s'inspirent du monde réel mais l'embellissement, créant ainsi une beauté supérieure. Cette approche transforme l'art en une création originale, où la beauté émane à la fois de la nature et de l'imagination de l'artiste. 6 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Exemple : Leonardo Da Vinci, L'Homme de Vitruve (1490) : Idéal masculin géométrique Giorgione, Vénus endormie (1510) : Perfection féminine idéalisée Courbet, Les Baigneuses (1853) : Femmes réalistes, non embellies (controverse) Edouard Manet, Olympia (1863) : Regard provocateur, nudité questionnante Alexandre Cabanel, La naissance de Vénus (1863) : Codes Renaissance, mythologie irréelle ⇒ L'imitation en art ne se limite pas à copier la réalité. Elle permet aussi aux artistes d'inventer et d'améliorer ce qu'ils voient. Ainsi, ils peuvent représenter les choses non pas exactement comme elles sont, mais comme elles pourraient être dans leur meilleure version. "Ut pictura poesis" (Horace) : "La poésie est comme la peinture". À la Renaissance, cette phrase est inversée : "La peinture est comme la poésie", élevant ainsi le statut de la peinture. Cette inversion a deux implications majeures : 1) La peinture gagne en prestige, étant reconnue comme un art intellectuel au même titre que la poésie et les arts libéraux. Elle devient une création plutôt qu'une simple imitation. La peinture est désormais considérée comme une activité intellectuelle. Alberti affirme que le peintre est un penseur exprimant des idées, et non plus un simple artisan. Cette conception influence l'art jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, avec des thèmes récurrents tels que la Bible ou la mythologie. 2) La peinture doit raconter une histoire, à l'instar de la poésie. Des critères objectifs, plutôt que des émotions subjectives, sont établis pour évaluer les œuvres d'art. 7 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 5/ Charles BATTEUX (1713-1780), Les Beaux-arts réduits à un même principe Il unifie les pratiques artistiques dans "Les Beaux-arts réduits à un même principe". Il propose l'imitation de la nature comme principe commun, considérant l'art comme un concept unique. Batteux définit la fonction des arts comme la transposition des traits naturels dans des objets artificiels. Il catégorise les arts selon leur but : Arts mécaniques : visent l'utilité pratique Beaux-arts : procurent plaisir et agrément Éloquence et architecture : allient utilité et plaisir Emploi vs imitation : Les arts mécaniques : emploient la nature telle qu'elle est, uniquement pour l'usage L'éloquence et l'architecture : emploient la nature en la perfectionnant, pour l'usage et l'agrément Les beaux-arts : n'emploient pas la nature, ils ne font que l'imiter, chacun à sa manière Les beaux-arts selon Charles Batteux : → Le génie artistique doit imiter la nature. Les arts sont des imitations qui ressemblent à la nature sans être la nature elle-même. → Cependant, l'artiste ne doit pas copier la nature exactement. L'art se concentre sur le vraisemblable plutôt que sur la réalité pure (idée inspirée d'Aristote). → Le goût joue un rôle important. C'est lui qui juge si l'art a bien choisi et imité la nature. Nouveautés apportées par Batteux : Il introduit la notion de goût dans l'appréciation de l'art. Le goût devient le garant de la bonne imitation et du beau. Cette idée introduit une part de subjectivité dans le jugement artistique. Malgré cette subjectivité, une œuvre d'art doit toujours respecter certains critères objectifs prédéfinis. ! Les personnes qui apprécient l'art, souvent issues de milieux proches du monde artistique, reconnaissent la beauté selon ce qu'on leur a enseigné. Leur perception du beau est donc influencée par leur éducation et leur environnement social. 8 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 6/ Denis Diderot (1713-1784) Les salons Denis Diderot, passionné d'art, rédigeait des critiques d'expositions de peinture. Ses "Salons" couvraient les expositions biennales de l'Académie royale de peinture et de sculpture au Salon Carré du Louvre (1759-1781). Ces textes commandés étaient publiés dans "La Correspondance littéraire" de Frédéric Melchior Grimm. La querelle dessin vs couleur Le débat entre dessin et couleur en peinture, né en Italie au 16ème siècle, opposait les partisans de Raphaël aux coloristes. L'Académie favorise le dessin pour son enseignement aisé et ses règles précises, tandis que la couleur représentait l'aspect sensible. Ce débat risquait de remettre en question le statut noble de la peinture. L'Académie préférait le dessin pour ses avantages : Facilité d'enseignement Règles précises Jugement objectif des œuvres Cette préférence avait aussi une dimension politique. Roger de Piles : résumé de son éloge de la peinture (le "fard") et ses deux conclusions principales « Il est vrai [à propos d'un tableau de Rubens] que c'est un fard, mais ce serait souhaitable que tous les tableaux d'aujourd'hui soient fardés de cette manière. On sait bien que la peinture n'est qu'un fard, qu'elle a pour but de tromper, et que le meilleur peintre est celui qui trompe le mieux. » 1. Une nouvelle façon de voir la peinture : elle devient un art indépendant avec ses propres règles (cela va à l'encontre de l'idée que la peinture doit imiter la poésie). 2. La peinture est maintenant appréciée pour le plaisir qu'elle procure et sa capacité à séduire le spectateur (cela ouvre la voie à l'appréciation de l'art pour lui-même). Salon de 1763 : Chardin se démarque par ses scènes quotidiennes et natures mortes, peu valorisées à l'époque. Diderot, ému par ses œuvres mal placées, innove dans sa critique : « Ce sont des couches épaisses de couleur appliquées les unes sur les autres et dont l'effet transpire de dessous en dessus. D'autres fois, on dirait que c'est une vapeur qu'on a soufflée sur la toile ; ailleurs, une écume légère qu'on y a jetée. » Diderot analyse la technique picturale plutôt que le sujet, distinguant l'objet peint de la manière de peindre. 9 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM « Approchez-vous, tout se brouille, s'aplatit et disparaît ; éloignez-vous, tout se recrée et se reproduit. » Cette observation révèle que l'émotion naît autant de la technique que du sujet, offrant une nouvelle perspective d'appréciation de l'art. ⇒ Innovation de Diderot : Évaluation de l'art par sa technique, privilégiant le "comment" au "quoi". ⇒ L'œuvre de Chardin transcende sa représentation, existant comme art au-delà de son sujet. ⇒ "La Laitière" de Vermeer illustre cette évolution : scène quotidienne devenue iconique. Le contexte protestant de Vermeer favorisa l'intérêt pour les sujets ordinaires. 6*/ La musique du tableau William Turner (1757-1851) : D'abord connu pour ses dessins, son style évolua radicalement. "Le Naufrage" et "Tempête de neige en pleine mer" illustrent ce changement, remplaçant les formes nettes par des tourbillons de couleurs. "L'Incendie du Parlement de Londres" poursuit cette nouvelle approche. Turner privilégie désormais l'évocation d'émotions plutôt que la représentation d'objets identifiables. Ses œuvres furent décrites comme "des peintures de rien, mais qui font toujours penser à quelque chose", évoquant des idées ou des sentiments plutôt que des objets précis. "La musique du tableau" : Inspirés par la musique, les peintres créent des "symphonies visuelles", cherchant à susciter des émotions plutôt qu'à représenter la réalité. John Ruskin, critique d'art anglais, critiqua le "Nocturne en noir et or" de Whistler, le comparant à un pot de peinture jeté sur une toile. Cette expression fut plus tard appliquée aux Fauves, dont les couleurs vives choquaient, notamment celles de Matisse. Le "Impression, Soleil levant" de Monet représente une scène ordinaire d'une manière novatrice, capturant l'impression personnelle du peintre plutôt qu'une représentation exacte. Court métrage : Dreams Van Gogh, Akira Kurosawa « Approchez-vous, tout se brouille, s’aplatit et disparaît ; éloignez-vous, tout se recrée et se reproduit. » 10 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 7/ Eugène Delacroix (1798-1863) « Il y a un genre d’émotion qui est tout particulier à la peinture ; rien dans l’autre n’en donne une idée. Il y a une impression qui résulte de tel arrangement de couleurs, de lumières, d’ombres, etc. C’est ce qu’on appellerait la musique du tableau. Avant même de savoir ce que le tableau représente, vous entrez dans une cathédrale, et vous vous trouvez placé à une distance trop grande du tableau pour savoir ce qu’il représente, et souvent vous êtes pris par cet accord magique ; les lignes seules ont quelquefois ce pouvoir par leur grandiose. C’est ici qu’est la vraie supériorité de la peinture sur l’autre art, car cette émotion s’adresse à la partie la plus intime de l’âme. Elle remue des sentiments que les paroles ne peuvent exprimer que d’une manière vague (…) » "La musique du tableau" évoque des formes colorées autonomes, sans représentation précise. Les couleurs s'expriment pour elles-mêmes, au-delà de l'imitation. Même vue de loin, une telle peinture suscite une émotion purement picturale, née uniquement de l'agencement des couleurs et des formes. Une nouvelle autonomie pour la peinture : "L'artiste ne cherche pas à copier exactement ce qu'il voit. Son but est de toucher l'esprit du spectateur." Quand un peintre crée un tableau, il veut faire réfléchir le spectateur. On compare maintenant la peinture à la musique. La musique n'imite rien de concret, et pourtant elle nous touche. De la même façon, la peinture peut créer des émotions sans forcément représenter quelque chose de précis. C'est une nouvelle façon de voir l'art qui ne dépend plus des mots pour s'exprimer. En résumé, la peinture s'éloigne de l'idée qu'elle doit raconter une histoire comme un poème. Elle devient une façon de penser à travers les sens, sans avoir besoin de mots. 11 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 8/ G.W.F Hegel, Esthétique Contexte : sécularisation de la société Transfert des valeurs sacrées vers le profane et des fonctions cléricales vers l'État. > Conséquence : L'art, expression consciente de l'esprit, surpasse la nature. L'intention de l'artiste donne sens à l'œuvre, la distinguant du naturel. L'œuvre d'art : fusion du sensible et de l'esprit Une réalité sensible imprégnée de spiritualité, consciente d'elle-même. → Une œuvre est une idée incarnée. Redéfinition de l'apparence : La vérité doit se manifester concrètement. La perception sensorielle est essentielle à la compréhension, contrairement à la vision platonicienne. L'art révèle un principe supérieur au-delà de l'apparence immédiate. La mimesis selon Hegel : L'art transcende l'imitation de la nature. « L'imitation comme but de l'art limite sa liberté et son pouvoir d'exprimer le beau. » « La peinture suscite un intérêt pour le reflet extérieur de l'intériorité. » L'art réinterprète la réalité, donnant un sens nouveau aux objets familiers. Une œuvre exprime un contenu intérieur unique, où forme et contenu sont indissociables. Art : manifestation de l'esprit L'art incarne l'esprit dans la matière, rendant tangible l'intelligible. Autonomisation de l'art L'art, jadis lié à la religion et à la philosophie, devient autonome. « L'œuvre d'art ne satisfait plus notre besoin d'Absolu. Notre attitude est plus distanciée. » → Hegel constate la "mort de l'art" comme révélateur de vérité absolue. 12 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM > Conséquence : Démocratisation des sujets artistiques. "L'art romantique permet à tout en guise de matière de prendre place dans la représentation." Le style de l'artiste prime désormais sur le sujet. « Les moyens de représentation deviennent une fin en soi, l'adresse subjective s'élevant au niveau de l'objet de l'œuvre. » Triomphe de la subjectivité dans l'art Leçon : L'œuvre d'art comme manifestation sensible de la pensée, liant étroitement le sensible et l'intelligible. 13 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM B/ L’expérience de l’art, le partage du sensible Charles Batteux (1713-1780) Les « preuves qu’on pouvait tirer du sentiment, d’autant plus, que c’est le goût qui est le juge-né de tous les beaux arts, et que la raison même n’établit ses règles, que par rapport à lui et pour lui plaire » « Les règles du goût ne sont que des conséquences du principe de l’imitation » « Le je-ne-sais-quoi est de la nature de ces choses qu’on ne connaît que par les effets qu’elles produisent. » (Félibien, 2ème moitié du 17ème siècle). Ce qui pointe ici, c’est le ressenti (et c’est nouveau). Alexander Gottlieb Baumgarten (1714-1762) : lumière, allemand Aisthesis = la sensation Distinction traditionnelle entre : Les NOÊTA, faits d'intelligence Les AISTHÈTA, faits de sensibilité Baumgarten considère les sensations (aistheta) comme une forme de connaissance basée sur les sens, distincte de la raison. Il décrit le sensible comme une « intelligence confuse », moins précise mais tout aussi valable que la pensée rationnelle. Baumgarten propose une nouvelle théorie de la sensibilité comme faculté de connaissance parallèle à la raison. La sensibilité nous fournit des connaissances, avec un degré de clarté opposé à l'obscurité du néant de la connaissance. Cette clarté sensible se distingue de la clarté rationnelle par sa nature confuse. Clarté vs Obscurité : Clarté distincte (intellectuelle) Clarté confuse (sensible) Obscurité (néant de la connaissance) La clarté confuse est une faculté positive de connaissance, fournissant une perception irréductible à la raison et ayant une valeur propre, notamment poétique. Caractéristiques de la clarté confuse : Intuitive Vive : forte présence dans l'esprit Rapport plus clair au monde sensible, sans nécessairement mieux le comprendre 14 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Implications : 1. La vérité et la beauté résident principalement dans l'esprit, pas dans l'objet. 2. Notre perception est toujours subjective, limitée par nos facultés humaines. 3. La vérité absolue reste inaccessible ; nous n'atteignons qu'une vérité apparente. Conséquences : 1. Réhabilitation de la sphère sensible, égale à la vérité logique. 2. Subjectivité inhérente à toute perception, sans accès aux caractéristiques intrinsèques des objets. En conclusion, Baumgarten redéfinit la vérité comme vraisemblance : une vérité apparente pour le sujet, mesurée à l'aune de nos facultés universelles, évitant ainsi un relativisme total. 15 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 1/ Emmanuel Kant (1724-1804), Critique de la faculté de juger (1790) Faculté de juger : Quiconque, face à une œuvre d'art, peut dire « j'aime » ou « je n'aime pas », est capable de juger certaines œuvres comme bonnes et d'autres comme mauvaises. Trois relations différentes au sentiment de plaisir : Agréable : Ce qui fait plaisir – subjectivité individuelle, satisfaction ne dépendant pas de la réflexion. DONC non communicable et se limitant à la seule sensation. Bon : Ce qu'on estime, approuve – à partir d'un concept. Beau : Ce qui plaît – satisfaction désintéressée et libre, C'EST-À-DIRE « satisfaction ayant pour principe quelque chose que je peux supposer aussi en tout autre ». Art d'agrément VS beaux-arts ART D'AGRÉMENT (bonne cuisine, conversation, musique accompagnant un repas) Sa finalité : Que le plaisir accompagne les représentations en tant que simples sensations. BEAUX-ARTS Sa finalité : Que le plaisir accompagne les représentations en tant que modes de connaissance. L'AGRÉABLE Ce qui plaît aux sens dans la sensation SENSATION OBJECTIVE : cette prairie est verte SENSATION SUBJECTIVE : ce que cette couleur verte a d'agréable La visée n'est pas la connaissance Mais = la satisfaction Satisfaction : « le rapport de l'existence de l'objet à mon état, dans la mesure où cet état est affecté par l'objet » Différences entre l'agréable et le bon / le beau Satisfaction liée au bon : implique un intérêt l'utile le bon en soi Nécessité d'un CONCEPT (moral) VS il n'existe pas de concept de beau Satisfaction liée à l'agréable – ne dépend pas de la réflexion VS la satisfaction prise au beau dépend de la réflexion Différence entre le bon et le beau Le jugement de goût, contrairement au jugement du bon, est contemplatif et désintéressé. Il ne repose pas sur des concepts ou des connaissances, mais sur le sentiment de plaisir ou de peine lié à la nature de l'objet. 16 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM > Conséquence : La satisfaction esthétique est « désintéressée et libre », sans contrainte des sens ou de la raison. Le jugement de goût considère l'objet indépendamment de son utilité ou de sa finalité. Subjectivité universelle Le jugement esthétique, bien que subjectif, prétend à l'universalité. Cette « universalité subjective » suppose que la satisfaction désintéressée contient un principe de satisfaction valable pour tous, transcendant les conditions personnelles. « La nécessité objective de la fusion du sentiment de tous avec le sentiment particulier de chacun. » Ainsi, le jugement esthétique est à la fois personnel et universel. PARADOXE Le jugement esthétique est à la fois subjectif et universel. Il est personnel, sans concept défini, mais prétend à une validité universelle. Le goût esthétique diffère du simple goût sensoriel. Il implique une réflexion et un jugement qui, bien que subjectifs, aspirent à l'universalité. L'absence d'un concept de beauté empêche toute démonstration rationnelle du beau. Le jugement esthétique se fonde sur un sentiment, supposé partageable, plutôt que sur des règles objectives. « Lorsque quelqu'un me lit un poème de sa composition ou me conduit à un spectacle qui pour finir ne satisfait pas mon goût, il aura beau en appeler à Batteux ou à Lessing, ou invoquer d'autres critères du goût encore plus célèbres et plus anciens… Je me boucherai les oreilles, ne voudrais entendre ni raison ni raisonnement et préférerait croire fausses toutes les règles des critiques plutôt que de laisser déterminer mon jugement par des arguments probants a priori, puisqu'il s'agira d'un jugement de goût et non de l'entendement ou de la raison. » 17 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Hypothèse : Un sens commun esthétique, bien qu'indémontrable, permet la communication du sentiment de beauté. En déclarant une œuvre belle, on fait appel à ce sens commun, supposant chez autrui la capacité de partager notre expérience esthétique.« Le goût est donc la faculté de juger a priori de la communicabilité des sentiments liés à une représentation donnée (sans médiation d'un concept) » Kant résout l'opposition entre sentiment et jugement, marquant un tournant subjectif en esthétique. L'appréciation de l'art dépend désormais du sujet et de sa réception, soulignant l'autonomie critique de l'individu. Finalement La beauté n'est plus une propriété intrinsèque de l'objet, mais une expérience subjective communicable. Le jugement esthétique, bien que personnel, aspire à l'universalité, illustrant la complexité de notre rapport à l'art et au beau. Le spectateur, au cœur de l'esthétique kantienne, devient l'arbitre final de ce qui constitue l'art, exerçant son jugement de goût pour distinguer le beau. 18 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Retour sur Kant Une hypothèse politique : tous les hommes possèdent un sens commun de l’esthétique L'esthétique implique la place des individualité qui reçoivent de œuvre d’art, ce tournant subjectif n’a jamais été remis en question, il fait partie aujourd’hui de notre vision de l’art. Kant insiste, ça ne veut pas dire que chacun partage mon jugement, mais que chacun doit l’admettre sans le partager en termes de goût. La question de goût > digression sociologique : Bourdieux, La Distinction A partir d’une analyse de la société, il considère que le capital culturel importé sur ma manière qu'on considère les gens qui font partie de notre société. Le goût des gens est dépendant de ce capital culturel. 📖Le "capital culturel" de Bourdieu désigne les ressources culturelles acquises par un individu, principalement via l'éducation et l'environnement social. Il englobe connaissances, compétences et avantages conférant statut et pouvoir dans la société. Selon Bourdieu, ce capital influence fortement les goûts et préférences, déterminés par le milieu social et l'éducation plutôt que par des choix purement individuels. Cette théorie s'inscrit dans une analyse sociétale plus large, examinant l'impact du capital culturel sur nos perceptions et interactions sociales. Cari Wilson, Let’s talk about love Pourquoi je pense avoir le capital du mauvais goût ? BD : Ma Pizza Metal Réflexion sur le bon goût 19 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 2/ John Dewey, L’art comme expérience Philosophe américain, qui a beaucoup travaillé sur l’éducation et la pédagogie. Il fait partie du curant : le pragmatisme (avec George Dickie). Le pragmatisme : Ce courant se distingue de la philosophie européenne qui ce base sur l’essence, quel est l’essence de l’art ? Pour les américains ce sont des questions inutiles. Il faut se baser sur la pratique à l’échelle de l’individu. Cette philosophie s'apparente aux sciences sociales, fondée sur des enquêtes sociétales. Les chercheurs observent avant de théoriser. La connaissance évolue avec le temps, sans vérité absolue préexistante. Les conclusions de leurs enquêtes peuvent changer avec le temps. Pour eux, il n'existe pas de vérité absolue et permanente. ⇒ Une philosophie de l’enquête a des fins pratiques ⇒ L'enquête s'applique au-delà des sciences, englobant l'étude des valeurs et la résolution des enjeux sociopolitiques. L'Art comme expérience, Chapitre 3 "Vivre une expérience" 1. Les choses existent parce que nous en faisons l'expérience, pas par elles-mêmes 2. La pensée contient une part de sensibilité 3. Le travail de l'artiste est un travail de pensée, qui est aussi important que la façon dont le spectateur reçoit l'œuvre Explorer l'expérience Définition : Interaction être vivant-environnement, mais insuffisante pour une compréhension complète. Caractéristiques : Ensemble cohérent (début-fin), comme une histoire Unicité distinctive Existence autonome Déroulement complet Dimension esthétique et émotionnelle Dépasse la réaction automatique, s'applique aussi à la pensée. Aspect esthétique indissociable de l'expérience intellectuelle. 20 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM An-esthétique: l'absence de conscience Une expérience an-esthétique se caractérise par : Une suite d'événements sans liens logiques Des actions mécaniques sans réflexion Un début et une fin, mais sans véritable commencement ni conclusion. Ce type d'expérience manque de forme et de cohérence. Elle ne peut donc pas être considérée comme une véritable expérience, car elle est dépourvue de dimension esthétique. L'idée d'un jugement réfléchi Les émotions qui ont du sens font partie d'une expérience complexe qui évolue au fil du temps. Elles ne sont pas isolées, mais liées à nous-mêmes. Comme on dit, "l'émotion fait partie de moi". Pour qu'une émotion devienne vraiment significative, elle doit s'inscrire dans une expérience qui dure. Cette expérience a un début, un développement et une conclusion. Ce processus implique notre réflexion : nous découvrons et nous réfléchissons tout au long de l'expérience. Une expérience esthétique possède : Une dimension originale : elle apporte quelque chose de nouveau ou d'unique. Une dimension sensible de la pensée : elle implique nos émotions et nos sensations. Une dimension esthétique dans le domaine de la pensée : elle influence notre façon de réfléchir et de percevoir les choses. Le travail de l'artiste et du chercheur Les artistes et les chercheurs utilisent tous deux leur pensée dans leur travail. L'intelligence, dans ce contexte, c'est comprendre le lien entre ce qu'on fait et ce qu'on ressent. Il existe une connexion entre le moment où l'on agit et celui où l'on reçoit ou perçoit. C'est en réfléchissant qu'on arrive à saisir ces liens. Cela nous montre que l'intelligence joue un rôle important dans la création artistique. Quand un artiste danse ou peint, il ne fait pas que bouger ou appliquer de la peinture - il réfléchit aussi. 21 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Les conséquences : Savoir-faire et perfection technique ne suffisent pas pour créer une œuvre d'art. Si c'était le cas, les machines pourraient en produire. Pour qu'une création soit artistique, elle doit être conçue en pensant au plaisir qu'elle procurera au spectateur. L'artiste utilise son jugement esthétique pendant la création. Il devient en quelque sorte son propre spectateur pour améliorer son œuvre. Une œuvre d'art naît véritablement lorsque l'artiste fait appel à sa sensibilité exceptionnelle pour percevoir les qualités uniques des choses. L'esthétique est liée à l'expérience : elle implique à la fois la perception et l'évaluation du plaisir. Une perception esthétique va au-delà du simple fait de voir un tableau ; elle engage notre sens du goût et notre jugement. Réceptivité vs Passivité Un spectateur n'est jamais vraiment passif face à une œuvre d'art. Il ne se contente pas simplement de reconnaître ce qu'il voit. Au contraire, son interaction avec l'œuvre provoque des émotions et libère une certaine énergie. Apprécier l'art est une compétence qui s'apprend et se développe. On s'entraîne à observer un tableau ou à écouter de la musique pour mieux les comprendre et les apprécier. Pour vraiment percevoir une œuvre, le spectateur doit faire un effort créatif. Il participe activement à l'expérience artistique en utilisant son imagination et sa sensibilité. Que ce soit pour l'artiste qui crée ou pour le spectateur qui regarde, il se passe la même chose : Ils font tous les deux un travail d'abstraction. Cela veut dire qu'ils essaient de comprendre le sens profond de l'œuvre. Ce processus fait appel à l'intellect, car on cherche à donner du sens à l'expérience. Mais c'est aussi quelque chose de concret et pratique : il y a comme un dialogue entre notre corps, nos émotions et l'œuvre d'art. L'expérience intellectuelle et l'expérience artistique sont différentes : Dans une expérience intellectuelle : La conclusion est importante en elle-même On peut l'exprimer sous forme de formule ou de "vérité" Dans l'expérience d'une œuvre d'art : Il n'y a pas de conclusion qu'on peut séparer de l'expérience 22 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM La fin est importante, mais elle fait partie de l'expérience sensible On ne peut pas l'extraire ou la résumer facilement En résumé, l'expérience artistique est liée à nos sensations et émotions, et ne peut pas être réduite à une simple formule comme une expérience intellectuelle. Résumé : Selon Dewey, l'esthétique est essentielle à toute expérience. Un chef-d'œuvre ne se définit pas par sa perfection technique, mais par sa perception unique. L'artiste doit constamment évaluer son travail, combinant création et réception. L'expérience artistique, individuelle et semblable à celle du créateur, aboutit à une conclusion valable mais indissociable de sa dimension sensible, défiant ainsi toute verbalisation simple. 23 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Rancière : Changement de paradigme artistique au 18ème siècle Scandales littéraires illustrant cette évolution : Madame Bovary et Les Fleurs du mal : Sujets ordinaires en poésie et romans Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans : Scène banale traitée simplement, format monumental pour sujet ordinaire « Il n’y a pas des sujets nobles et des sujets vulgaires, pas non plus des épisodes narratifs importants et des épisodes descriptifs accessoires. Il n’y a pas d’épisode, de description, de phrase qui ne porte en soi la puissance de l’œuvre. Parce qu’il n’y a pas de chose qui ne porte la puissance du langage. Tout est à égalité, également important, également signifiant. » Tous les sujets, importants ou ordinaires, sont traités à égalité. Descriptions et narrations ont le même poids. Les récits, comme "Madame Bovary", présentent les faits sans jugement moral. Les gens ordinaires intègrent l'art, marquant la fin de l'exclusivité des sujets nobles. La démocratisation de l'art remet en question : 1. Ce qui peut être représenté 2. Qui peut juger les œuvres C’est à dire : Évolution de la représentation : désormais, narration et description ont une importance égale, contrairement à l'accent mis auparavant sur l'histoire. Nouvelle approche visuelle : focus sur des détails spécifiques, privilégiant la réalité brute plutôt qu'une narration structurée. Absence de moral : cf. le refus de Flaubert “de confier à la littérature aucun message” : parti pris de peindre au lieu d’instruire L'art traite désormais tous les sujets également, sans lien obligatoire entre forme et contenu. Auparavant, une hiérarchie existait : ○ Tragédies pour les nobles ○ Comédies pour le peuple ○ Peinture d'histoire supérieure aux scènes de genre Donc.. → Tout écrit a une importance égale et est accessible à tous. Une communauté de lecteurs se forme naturellement autour d'expériences partagées, comme voir un film ou un tableau ensemble : partage du sensible 24 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 3/ Jacques Rancière (1940-) Le partage du sensible. Esthétique et politique (2000) - Premier extrait L'histoire de l'art est vue comme des régimes de pensée artistique, liant création, visibilité et réception des œuvres. L'esthétique, apparue à une époque spécifique, est une approche réflexive de l'art. Elle examine comment les œuvres stimulent notre pensée, suivant l'idée de Hegel que l'art nous pousse à réfléchir. Sous-titre : « Esthétique et politique » « La politique porte sur ce qu’on voit et ce qu’on peut en dire, sur qui a la compétence pour voir et la qualité pour dire, sur les propriétés des espaces et les possibles du temps. » A partir de cette définition il distingue 3 périodes : Régime éthique des images : Antiquité et Moyen Age Il n’existe pas de l’art par lui-même. L’art d’es pas identifié comme tel, il ne peut s’individualiser comme tel CAR il est subordonné à son sujet et à sa destination (religion) Régime poétique - représentatif - des arts : Renaissances Ce régime identifie le fait de l’art dans le couple poesis/mimesis Principe mimétique : d’abord un principe pragmatique qui isole, dans le domaine général des arts (des manières de faire) certains arts particuliers qui exécutent des choses spécifiques à savoir des imitations. Régime poétique au sens où il identifie les arts - ce que l’âge classique appelle les beaux - arts - au sein d’une classification des manières de faire d’apprécier les imitations. Régime “représentatif” en tant que notion de représentation ou de mimesis qui organise ces manières de faire, de voir, de juger. Régime esthétique des arts : 18ème Le régime esthétique, marque l'ère des révolutions et de la démocratie. Il s'affranchit des hiérarchies et de la représentation traditionnelle. « le régime de l'âge de l'Histoire, des temps révolutionnaires et démocratiques » Contraste avec une société religieuse se croyant immuable, basée sur les trois ordres. 25 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM "Esthétique" : L'art se définit désormais par l'expérience qu'il suscite, non par des règles préétablies. → Ce "partage du sensible" crée une expérience collective autour de l'art. Ce régime libère l'art des conventions, efface les frontières entre disciplines, et redéfinit l'imitation. La réception de l'œuvre par le public devient centrale dans cette nouvelle approche artistique. Ce nouveau régime artistique a deux effets majeurs : 1. Il établit l'unicité de l'art. 2. Il abolit les critères traditionnels d'évaluation artistique. Auparavant, les critiques comme Batteux jugeaient l'art sur son mimétisme. Le lien entre création et réception était étroit. Désormais, ce lien est rompu, transformant l'appréciation artistique. Une nouvelle façon de penser l'art dans l'histoire Cette approche considère l'art comme un sujet de réflexion. Elle examine comment les œuvres d'art nous font penser. Cette vision de l'art est devenue possible quand on a reconnu que nos sens jouent un rôle dans notre façon de penser. Deux philosophes importants pour cette idée sont Baumgarten et John Dewey. Ils ont montré que nos expériences sensorielles (ce que nous voyons, entendons, etc.) sont liées à notre façon de réfléchir sur l'art. « L’état esthétique est pur suspens, moment où la forme est éprouvée pour elle-même » → L’intérêt esthétique se déplace donc des objets représentés vers les moyens de la représentation Édouard Manet (1832-1883) Le Bar des Folies-Bergères (1881) : La serveuse, appartenant à la classe sociale la plus basse représentée, est le personnage principal du tableau. Ce choix artistique de Manet a une dimension politique, mettant en avant une personne souvent ignorée, face à des spectateurs bourgeois qui pourraient être ses clients. 26 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Une botte d’asperge / L’Asperge : Les tableaux d'asperges de Manet sont peints avec autant de soin que des portraits de personnages importants. Cela soulève une question intéressante : pourquoi consacrer tant d'attention artistique à un sujet aussi banal qu'une asperge ? Tres de Mayo, Francisco de Goya (1814) // L’Exécution de Maximilien Quand il reprend le tableau de Goya, c’est beaucoup plus plat. Il n’y a plus de grands gestes, de chemise blanche marquante. On retrouve au-dessus du mur des spectateurs très passifs. → C’est la même scène avec une composition qui rappelle celle de Goya, mais on est plus dans la description que dans la narration. Il n’est plus question d’un événement tragique. Style : Manet simplifie, réduisant les détails dramatiques de Goya. Composition : Manet s'inspire de Goya, mais avec des différences : Gestes moins expressifs Absence d'éléments frappants (ex : chemise blanche) Ajout de spectateurs passifs Approche : Goya : Narratif, histoire tragique Manet : Descriptif, représentation de la scène Émotion : Manet traite l'événement de façon plus distante que Goya. 3*/ Jacques Rancière (1940-) Le partage du sensible. Esthétique et politique (2000) - Deuxième extrait Rancière conteste l'idée que la technique d'un art détermine ses qualités esthétiques et politiques. Il remet en question la notion que les arts mécaniques (photographie, cinéma) ont intrinsèquement transformé l'art et son rapport aux sujets. Note : Cette perspective contestée par Rancière est celle de Walter Benjamin, à étudier prochainement. Il faut prendre les choses autrement « Pour que les arts mécaniques puissent donner visibilité aux masses, ou plutôt à l’individu anonyme, ils doivent d’abord être perçus comme arts. C’est-à-dire qu’ils doivent d’abord être pratiqués et reconnus comme autre chose que des techniques de reproduction ou de diffusion. » 27 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM « la révolution esthétique, c’est d’abord la gloire du quelconque, qui est picturale et littéraire avant d’être photographique ou cinématographique » Aristote voyait la poésie comme un arrangement ordonné d'actions, avec une histoire résolue et des personnages en conflit exprimant leurs sentiments selon des règles précises. Le régime esthétique moderne, en revanche, offre plus de liberté : L'histoire peut être non linéaire Les actions peuvent être moins "vraisemblables" L'œuvre est perçue comme un assemblage de signes Cette approche permet aux artistes une plus grande liberté créative et interprétative. 4/ Nelson Goodman (1906-1998) « Un message en provenance de Mars » (1984) Pourquoi les arts et les sciences ne sont-ils pas considérés de la même manière ? La séparation entre le sensible et l'intelligible persiste. Influence platonicienne : la distinction entre sensible et intelligible demeure Aspect politique : l'éducation universelle a poussé l'élite à maintenir sa distinction sociale en s'appropriant l'art // Avec la difficulté de langue française Cf. John Dewey : « Chacun sait qu’il faut de l’entraînement pour voir dans un microscope ou un télescope et pour voir un paysage comme le voit le géologue. L’idée que la perception esthétique est réservée à de rares instants est une des raisons qui explique le retard des arts chez nous ». 5/ Don DeLillo (1936- ) Point Omega (2010) À New York, un homme assiste seul à la projection ralentie de Psychose d'Hitchcock au MoMA, intitulée “24 Hour Psycho" par Douglas Gordon. Ce roman, tel un arrêt sur image, révèle l'étrangeté du monde et du langage, dépassant l'énigme des secrets d'État et le bruit des conflits. Douglas Gordon, 24 hour Psycho 1993 24 Hour Psycho (1993) de Douglas Gordon ralentit Psychose d'Hitchcock à 2 images/seconde, le prolongeant sur 24 heures. Cette œuvre sur les images animées, exposée au MoMA en 2006, figure dans Point Oméga de DeLillo. « C'était le but du jeu. Voir ce qui est là, regarder, enfin, et savoir qu'on regarde » → C’est la définition de l'expérience esthétique. 28 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM C/ La Modernité 1/ Charles Baudelaire (1821-1967) Baudelaire, critique d'art comme Diderot, scandalise avec "Les Fleurs du mal", transformant Paris en poésie. "Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or", écrit-il, utilisant le vulgaire et le banal. En 1863, son "Peintre de la Vie moderne" dans le Figaro présente sa vision de l'art, applicable à sa poésie. Il choisit Constantin Guys comme peintre moderne idéal car : Il dépeint les Parisiens en mouvement Il montre l'influence de la mode sur les gestes, comme dans "Une élégante" Sous-titre de l'article : "L'ARTISTE, HOMME DU MONDE, HOMME DES FOULES ET ENFANT" Homme du monde : Intéressé par la société, se considère partie d'un ensemble. Homme des foules : Apprécie les espaces urbains, leur mouvement et rapidité. Inspiré par "L'homme des foules" d'Edgar Allan Poe (1840) : Narrateur observe la foule Un vieil homme inexplicable attire son attention Le narrateur comprend son besoin d'être entouré La foule : Diversité des individus dans l'espace public. Dans "Les foules", Baudelaire évoque un homme appréciant la diversité de la foule. Il compare l'artiste à un enfant curieux, sans préjugés sociaux. Cette curiosité, essentielle pour les peintres modernes comme Constantin Guys, mène à une ivresse créative. Pour Baudelaire, l'artiste s'immerge dans la ville et la foule, observant tout avec un regard neuf. Cette immersion conduit à une euphorie créative, révélant la beauté de la vie moderne. 29 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Texte de Baudelaire "Du vin et du haschich" : L'artiste est comparé à un chiffonnier, une personne qui découvre des trésors parmi des objets que les autres considèrent comme des déchets sans valeur. Salon de 1845: Baudelaire critique les artistes de son époque, attendant un artiste capable de montrer "l'héroïsme de la vie moderne". Il reproche leur manque d'originalité et leur incapacité à capturer la beauté du monde moderne. Pour Baudelaire, l'artiste doit être "l'homme des foules", exprimant la nature changeante et éphémère de la vie moderne. Il décrit cette vie comme en constant mouvement, instable et fugace, marquant une rupture avec la vision fixe du passé. Baudelaire invente le terme "Modernité". Pour lui, les artistes doivent saisir à la fois la mode du moment et la modernité. Le "peintre de la vie moderne" doit capturer le quotidien, le rendre intéressant, et le préserver pour les générations futures. « La vie extérieure d'un siècle » et « la traduction de la vie extérieure » font référence à la façon dont l'art représente la réalité visible d'une époque. Cela signifie montrer la surface des choses, ce qui peut être vu et partagé par tous (le sensible). Il est important de noter la différence entre un génie et un enfant : L'homme de génie a des nerfs solides : il est plus stable émotionnellement. L'enfant a des nerfs faibles : il est plus sensible. Chez l'homme de génie, la raison occupe une grande place. Chez l'enfant, la sensibilité domine presque tout son être. Qu'est-ce que la Modernité ? La Modernité est un concept qui mêle deux aspects importants : 1. Un changement social et historique : l'apparition des grandes villes en Occident 2. Une nouvelle façon de penser l'art, influencée par ces grands changements dans la société Quelques points clés à retenir : Baudelaire a créé cette notion de Modernité Des penseurs allemands ont développé cette idée : ○ Georg Simmel (philosophe et sociologue) ○ Siegfried Kracauer (architecte, journaliste et critique de cinéma) ○ Walter Benjamin (philosophe) 30 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Georg Simmel a défini la Modernité en 1911. Il disait que l'art ne se contente plus de montrer un monde qui bouge plus vite. L'art lui-même est devenu plus changeant, comme un miroir en mouvement. Cette idée se retrouve aussi dans la poésie, comme dans "Les Fleurs du Mal" de Baudelaire. La Modernité : 1- Phénomène historique et social La révolution industrielle transforme la société : exode rural massif, création du prolétariat urbain. Changements profonds : vies en constante évolution, paysages urbains mouvants, déplacements rapides. Perturbation intergénérationnelle : perte des repères traditionnels. Révolution industrielle Exode rural, urbanisation massive Émergence du prolétariat et expansion urbaine Georg Simmel : « Les rapports des hommes, dans les grandes villes sont caractérisés par une prépondérance marquée de l'activité de la vue sur celle de l'ouïe. Et cela avant tout à cause des moyens de communications publics. Avant le développement qu'ont pris les omnibus, les chemins de fer, les tramways au 19ème siècle, les gens n'avaient pas l'occasion de pouvoir ou de devoir se regarder réciproquement pendant des minutes ou des heures sans se parler. » 31 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Nouvelle norme sociale : possibilité d'être face à quelqu'un sans lui parler. 2 - Phénomène culturel Les changements historiques ont profondément impacté la société et la culture, développant une vision du monde centrée sur le visuel. La vie urbaine a engendré de nouvelles expériences. Exemples clés : Éclairage urbain : visibilité constante, transformation de la nuit (Man Ray) Transports en commun : accélération des déplacements Grands magasins : plaisir visuel des vitrines (Benjamin : "extension du trottoir"; Zola, Au Bonheur des Dames) Expositions universelles : vitrine des innovations (Tour Eiffel) Publicité omniprésente Lieux de divertissement (foires) Cette animation constante crée une vie moderne stimulante mais potentiellement stressante. Walter Benjamin évoque un "choc" pour décrire cette expérience. 3 - Phénomène artistique Edmond Duranty décrit l'art impressionniste comme capturant le mouvement et la lumière de la vie moderne. Cette nouvelle approche artistique reflète l'évolution du regard du public, habitué au dynamisme urbain. Claude Monet, La gare Saint-Lazare : effets de lumière changeants Impressionnisme : Confiance en la capacité du spectateur à compléter l'image Interprétation similaire à l'expérience quotidienne urbaine Évolution du jugement artistique : du sujet à la qualité intrinsèque de la peinture Maurice Denis : "Un tableau est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. 4 - Phénomène esthétique W. Benjamin développe la modernité baudelairienne, soulignant l'expérience du choc dans les rues urbaines. Attraction temporelle ponctuelle et discontinue : Éléments surgissant et disparaissant rapidement Fonctionnement par interruptions et changements constants Sollicitation intermittente du regard Distraction opposée à la contemplation prolongée) 32 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Pour conclure (provisoirement) Benjamin, Simmel et Kracauer ont étudié la psycho-sociologie de la modernité métropolitaine. Ils ont analysé les stimuli changeants, les contrastes urbains, et la nature abstraite de la vie moderne. Leur travail souligne l'idée d'une expérience fragmentée dans l'environnement mécanique des grandes villes. Concept central : la perte de l'expérience cohérente. 33 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 2/ Walter Benjamin (1892-1940) Selon Simmel, Benjamin et Kracauer, la modernité est liée à trois éléments principaux : Le développement des grandes villes L'émergence de la culture de masse L'apparition d'une culture urbaine qui dépasse les frontières nationales Ces penseurs s'intéressent aux changements que la vie moderne apporte aux habitants des grandes villes, tant sur le plan physique que mental. Ils étudient deux aspects principaux : Comment l'environnement urbain a modifié notre façon de percevoir le monde (Benjamin parle de "sensorium") Comment ces changements ont transformé notre expérience de la vie quotidienne Ils proposent une herméneutique de la surface : une interprétation des signes visibles de la modernité urbaine. Cette approche se concentre sur les éléments observables de la vie citadine : lieux urbains typiques (rues, cafés, transports) et objets modernes (horloges, allumettes, machines à écrire). La métropole implique : excitation de nerfs vertige des encens Exacerbation du sens visuel Multiplication des chocs perceptifs C’est un espace fragmenté, chaotique, choquant Les films urbains des années 1920-1930 dépeignent des villes saturées d'informations visuelles, avec publicités omniprésentes, transports et foules en mouvement. Un thème récurrent est celui du campagnard naïf confronté à la complexité urbaine. Ces œuvres soulignent l'énergie chaotique de la métropole, où les habitants subissent constamment des stimulations sensorielles intenses. Walter Benjamin nomme ces expériences soudaines des "chocs perceptifs". Pour Benjamin, le cinéma a un double rôle : Répondre au besoin de stimulation visuelle des citadins, habitués aux chocs perceptifs urbains. Entraîner les spectateurs aux rythmes et mouvements de la vie urbaine moderne. 34 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM // Jacques Rancière : On se souvient qu’il était critiqué sur ce point par Jacques Rancière pour lequel le fait premier était l’assomption du quelconque dans les beaux-arts (littérature, poésie, peinture) dont le cinéma et la photographie avaient hérité. Pour Benjamin la mécanisation est l’œuvre partout dans le monde moderne : la machine > mécanisation à l’œuvre dans la vie mêmeˆ « Pour l'ouvrier sur la chaîne de son usine comme pour le badaud dans les autos tamponneuses du parc d'attraction, pour le joueur devant sa roulette et ses jetons comme pour le spectateur face à l'écran. Même dessaisissement devant la vacuité des contenus, le hasard et la répétition des coups. Et les réflexes pour seul guide. » (Walter Benjamin) Benjamin analyse l'impact de la mécanisation sur la vie moderne. Il note que de nombreuses inventions (allumettes, téléphones, machines d'usine) fonctionnent sur le principe d'un geste simple déclenchant un mécanisme complexe. Cette mécanisation affecte le travail, la vie quotidienne et les loisirs. Le travail à la chaîne illustre ce phénomène : selon Marx, les ouvriers doivent s'adapter au rythme des machines. Benjamin étend cette idée à la vie urbaine, citant Poe qui compare les passants à des automates réagissant mécaniquement aux chocs de la ville. En somme, Benjamin suggère que nous sommes devenus des êtres réactifs plutôt qu'actifs, une thématique illustrée dans "Les Temps modernes" de Chaplin (1936). Une théorie sensitive de la modernité En marge des théories socio-économiques et socio-historiques de la modernisation. Ils ont cherché à montrer que les mutations de l'environnement urbain avaient radicalement transformé les condition de l’expérience sensible Selon eux, la grande ville représente l’image fragmentée mais générique de la modernité. ▶Une théorie de la modernité qui accorde une place centrale aux expériences sensibles dans la grande ville. Contexte historique et intellectuel L'urbanisation rapide en Allemagne à la fin du XIXe siècle suscite des débats sur la modernité métropolitaine, divisant les intellectuels en deux camps : 1. Progressistes : favorables au développement urbain 2. Conservateurs : critiques de l'aliénation moderne 35 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM La théorie sensitive de la modernité de Simmel, Kracauer, Benjamin A première vue, cette théorie pourrait sembler participer des critiques de la modernisation L’état de choc constitue chez Simmel, Kracauer et Benjamin un motif récurrent du traumatisme urbain. Dans l’univers de la métropole moderne, la « surabondance d’impressions » s’apparente à un « viol » (G. Simmel). Elle crée les conditions d’une « perception traumatisante » (W. Benjamin). Mais l'urbanisation moderne est inévitable. Les grandes villes, avec leur intensité sensorielle, sont une réalité à laquelle nous devons nous adapter. La Première Guerre mondiale a accéléré l'industrialisation et la modernisation, tranchant le débat sur l'urbanisation. Les films comme "Asphalt" montrent Berlin comme une métropole dynamique, remplie de publicités et de circulation. L'asphalte, symbole de cette modernité, recouvre littéralement la ville, comme l'évoque le titre du film. "Notre devoir n'est ni d'accuser, ni de pardonner, mais seulement de comprendre" - Simmel La ville moderne : un potentiel libérateur ? 1. Pour G. Simmel, la vie urbaine est une parade émancipatrice face aux nouvelles perceptions métropolitaines. Parade : Action de contrer une menace, comme en escrime. 2. S. Kracauer voit les loisirs de masse comme compensation aux expériences urbaines. 3. W. Benjamin considère que ces loisirs développent les facultés perceptives des citadins. Etats VS Action Les attitudes citadines, souvent vues comme des états passifs, peuvent être comprises comme des actions face à l'hyperstimulation urbaine. Cette perspective renouvelle l'interprétation de la métropolisation. Passif : États Actif : Actions La "réserve" et le "blasement", considérés comme des parades ou compétences citadines, offrent une lecture alternative de l'adaptation à la vie métropolitaine. 36 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM a) Pour G.Simmel : action de parer, parade La réserve et l'apathie servent de boucliers contre les agressions urbaines, devenant des compétences essentielles du citadin. Ces réactions ne sont pas simplement sociales, mais des stratégies pour gérer l'environnement sensoriel intense de la ville. En créant une distance physique et psychique, le citadin compense la surcharge d'interactions. Cette distanciation affine sa capacité d'observation et d'analyse. b) S. Kracauer : rapport entre culture de masse et modification de l'appareil sensitif Les loisirs urbains émergent pour répondre au besoin de stimulation moderne. Une nouvelle "culture du frisson" se développe, incarnée par les romans policiers, les revues dansées, les fêtes foraines et le cinéma. Ces divertissements sensationnels compensent l'appauvrissement de l'expérience moderne et offrent une échappatoire au travail aliénant. Ils simulent l'expérience des chocs urbains, reproduisant la frénésie métropolitaine. Pour Kracauer, le choc n'est pas uniquement visuel, mais aussi viscéral. Les attractions comme les montagnes russes et le train fantôme permettent aux citadins de se décharger de ces tensions accumulées., … c) Walter Benjamin et l’idée d’une compétence citadine « Si les regards que les passants décrits par Poe jetaient de tous côtés semblaient encore immotivés, il faut bien que l’homme d’aujourd’hui regarde autour de lui pour s’orienter parmi les signaux de la circulation ». Il ne s’agit donc pas de se protéger à l’aide de parades mais au contraire de s’exposer délibérément aux chocs pour s’y adapter. Le citadin s'immunise contre les effets traumatiques en s'exposant régulièrement aux chocs perceptifs urbains. Cette adaptation volontaire nécessite préparation et entraînement. Il s'agit d'une compétence réflexive, combinant aptitude et savoir-faire, qui permet de redéfinir la relation du citadin à l'environnement urbain et social. Rôle du cinéma selon W. Benjamin « Le cinéma est la forme d'art qui correspond à la vie de plus en plus dangereuse promise à l'homme d'aujourd'hui. Le besoin de s'exposer à des effets de choc est une adaptation de l'homme aux périls qui le menacent. Le cinéma répond à ces modifications profondes de l'appareil perceptif, celles-là mêmes que vit, à l'échelle de la vie privée, le premier passant venu dans une rue de grande ville. » 37 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Le cinéma offre au citadin une expérience de chocs contrôlés, l'aidant à s'adapter aux défis urbains quotidiens. Il révèle un "inconscient visuel" de la ville, capturant ses rythmes et ses chocs souvent imperceptibles. Par ses techniques (vitesse, montage, angles de vue inédits), le cinéma dévoile la signification cachée de l'environnement urbain et élargit nos capacités perceptives. De quelles manières ? La succession rapides des images et des sons : “le choc traumatisant du film qui, comme tout traumatisme, demande à être amorti par une attention renforcée”; Le choc du film appelle à la vigilance, nous avertit, nous met en garde. “Le film représente la forme d’art correspondant au danger de mort accentué dans lequel vivent les hommes d’aujourd’hui. Il correspond à des transformations profondes dans les modes de perception – transformations qu’éprouve […] tout piéton des grandes villes » (W. Benjamin). Rôle du cinéma : Le film reproduit l'expérience urbaine intense. Dialectique du choc : Révèle l'« inconscient visuel » urbain Éveille les sens du spectateur Transforme l'expérience citadine : de traumatisante à perçue, développant les facultés perceptives. Permet de maîtriser le choc : choc subi → choc perçu → expérience vécue (John Dewey) W. Benjamin analyse la transformation des cadres de l’expériences L'expérience transmissible traditionnelle est supplantée par l'expérience vécue immédiate, reflétée dans les médias urbains modernes. Ironiquement, se protéger des chocs urbains accélère la perte de l'expérience transmissible, la conscience transformant ces chocs en expériences conscientes immédiates. Benjamin voit le spectateur de cinéma comme un critique avisé, capable d'analyse politique. Du coup, La distraction est une forme d'accomplissement et un savoir-faire à développer, plutôt qu'une inaptitude. Le cinéma permet de reproduire, mémoriser et maîtriser le choc de la vie urbaine, aidant ainsi à l'amortir. 38 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Pour conclure sur la Modernité L'Impressionnisme et les films des Frères Lumière partagent des thèmes modernes : leur focus : scènes urbaines et industrielles leur capture du mouvement : fumées d'usines et déplacements Le film Le déjeuner de bébé des Frères Lumière, projeté dans divers lieux, captivait le public par son animation vivante. Le cinéma transforme ainsi le quotidien en spectacle, où même le simple mouvement des feuilles devient fascinant. D/ L’art ères des industries culturelles Les industries culturelles ? Sur Wikipedia, article « INDUSTRIE CULTURELLE » En économie, le concept d'industrie culturelle désigne l'ensemble des entreprises qui produisent, selon des méthodes industrielles, des biens dont la valeur principale réside dans leur contenu symbolique : livres, musique, cinéma, télévision, radio, jeux vidéo et tourisme de masse. En philosophie (esthétique) et en sociologie de la culture, puis en sciences de l'information et de la communication, la notion d'industrie culturelle — traduction du terme allemand Kulturindustrie (créé par Theodor W. Adorno et Max Horkheimer) — porte une dimension critique. Elle a ouvert un champ interdisciplinaire de recherche sur la vision et l'instrumentalisation de la culture de masse industrialisée des médias et des grands groupes de communication. Max Horkheimer et Theodor Adorno Horkheimer et Adorno se rencontrent à Francfort en 1921 durant leurs études. Partageant des idéaux de justice sociale et marxistes, ils rejoignent l'Institut de recherche sociale (Institut für Sozialforschung) en 1923. Cet institut analyse les liens entre économie, psychologie et culture. Max Harkeihemer Philosophe et sociologue allemand. Dirige l'Institut de recherche sociale dès 1930, jusqu'à sa fermeture par les nazis en 1933. Exile à New York où il refonde l'Institut à l'université Columbia. 39 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Theodor Adorno Philosophe, sociologue, compositeur et musicologue allemand. Membre de l'Institut de recherche sociale de Francfort. Principal représentant de l'École de Francfort avec Marcuse et Horkheimer, il contribue à la Théorie critique. Théoricien de la Nouvelle Musique, il développe avec Horkheimer le concept d'industrie culturelle dans La Dialectique de la raison. Il rejoint Horkheimer aux États-Unis en 1938. Ecole de Frankfort Groupe d'intellectuels allemands de l'Institut de recherche sociale, fondateurs de la philosophie sociale et de la théorie critique. Cette école réunit les travaux d'Adorno, Horkheimer, Benjamin et Kracauer dans les années 1920-1930, certains étant associés sans être membres officiels de l'Institut. Rouvert à Francfort en 1950, l'Institut accueille de nouveaux penseurs comme Habermas, puis est dirigé par Honneth depuis 2001. Idée : Utiliser la philosophie comme critique sociale du capitalisme Finalité : Transformer la société selon l'idéal des Lumières Moyen : Collaboration entre philosophie et sciences sociales Contexte : Face aux fascismes et au stalinisme, remise en question de la transformation sociale 1 - Walter Benjamin, “L’oeuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique” (version 1936) Il est associé à cette école sans y avoir enseigné, partageant des amitiés et une pensée similaire. Concernant la reproduction technique, il observe que celle-ci a toujours existé, mais distingue la reproduction manuelle traditionnelle de la reproduction mécanique moderne. Avec la photographie et le cinéma, la notion d'original et de copie disparaît : un film reste identique qu'il soit projeté à Paris ou à Lille. → La distinction entre authentique et reproduction n'a plus de sens dans ces médias. 40 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM La reproduction dans l'histoire : L'imprimerie, la gravure sur bois, l'estampe et l'eau forte La lithographie, particulièrement dans la presse → Ces techniques mécanisées ont permis la diffusion d'images avant la photographie La photographie : « Pour la première fois dans les procédés de reproduction de l'image, la main se trouvait libérée des obligations artistiques les plus importantes, lesquelles incombaient désormais à l'œil seul. » Pour la première fois, la reproduction photographique libère la main au profit de l'œil. Cette innovation marque le début des techniques d'enregistrement, suivie par le phonographe et le cinéma en 1895. Fun fact : Balzac photographié par Louis-Auguste Bisson en 1842 craignait que chaque photographie lui enlève une couche de son être, comme un oignon. Après trois prises, il redoutait sa disparition. Conséquence de ces différentes inventions > ubiquité de l’œuvre d’art Paul Valéry : « Les œuvres acquerront une sorte d'ubiquité. Leur présence immédiate ou leur restitution à toute époque obéiront à notre appel. Elles ne seront plus seulement en elles-mêmes, mais partout où quelqu'un se trouvera, avec quelque appareil. Elles ne seront plus que des sortes de sources ou d'origines, et leurs bienfaits se trouveront ou se retrouveront intacts où l'on voudra. » Ubiquité : la capacité d'être présent partout simultanément. Les œuvres sont désormais accessibles en tout lieu, modifiant notre relation à l'art. Cette ubiquité contrarie le hic et nunc (= ici et maintenant) de l’œuvre “Ce qui, dans l'œuvre d’art, à l'époque de la reproduction mécanisée, dépérit, c'est son aura.” Traditionnellement, les œuvres étaient uniques et liées à leur emplacement physique, nécessitant un déplacement pour les voir. Benjamin soutient que cette "aura" unique de l'œuvre originale se perd avec la reproduction. Cinéma et photographie transforment radicalement l'art : ils détruisent la valeur traditionnelle de l'héritage culturel tout en créant de nouvelles possibilités. L’aura : “Une singulière trame de temps et d’espace : apparition unique d’un lointain, si proche soit-il.” 41 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Walter Benjamin définit l'aura comme la spécificité d'une œuvre d'art unique, ancrée dans un lieu particulier. La déchéance de l’aura La reproduction mécanisée transforme notre rapport à l'art : l'approche contemplative traditionnelle disparaît au profit d'une réception plus active. La copie devient autonome, permettant de nouveaux contextes de visualisation et différentes perspectives. L'aura unique de l'œuvre originale s'efface avec sa reproduction et multiplication infinie. → Les techniques de reproduction ont changé notre rapport à l'art : le spectateur a un accès facilité aux œuvres via les images, tout en étant paradoxalement confronté à leur absence physique. Avec la photo L'authenticité n'est plus un critère artistique valable. La fonction sociale de l'art change radicalement. Le rituel cède sa place à la politique. 2 pôles de l’œuvre d’art : 1. Valeur rituel : « La production artistique commence par des images au service de la magie. Leur importance tient au fait même d'exister, non au fait d'être vues. » 2. Valeur d’exposition : L'art s'éloignant du rituel, les œuvres sont de plus en plus exposées (comme le montre la différence entre un tableau et un retable). La reproduction multiplie les possibilités d'exposition, transformant l'essence de l'art à travers son rôle social et politique. Fonction politique : unir les masse par le partage du sensible Démocratisation de la réception La reproduction photographique démocratise l'accès à l'art au-delà des visiteurs de musées. Le cinéma, art des masses, élève Chaplin au rang d'artiste majeur du XXe siècle. Le public, même éloigné de l'art traditionnel comme Picasso, développe une expertise critique à travers les films de Chaplin. 42 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM Un mouvement d’avant garde qui cherche à produire les effets du cinéma : le mouvement Dada Le dadaïsme cherchait à produire dans l'art les mêmes effets que le cinéma : destruction intentionnelle des matériaux poèmes composés de mots aléatoires et provocateurs tableaux incorporant des objets du quotidien Mise en causes du mouvement Dada : la beauté le langage le sens Œuvres Dada Les dadaïstes détruisent l'aura de leurs œuvres par la reproduction et rejettent la contemplation passive, transformant l'art en provocation. La qualité traumatique de l'art La perception moderne suit une logique du choc. L'homme a perdu sa relation contemplative au monde, laissant place à une esthétique du traumatisme perceptif. L’esthétique du choc → L'homme moderne est confronté à un flux constant de stimulations techniques et sensorielles. → Le cinéma incarne et reflète cette nouvelle réalité. « Le film représente la forme d'art qui correspond au danger de mort accru dans lequel vivent les hommes d'aujourd'hui. Il reflète les transformations profondes dans nos modes de perception – transformations que connaît, dans sa vie quotidienne, tout piéton des grandes villes et, sur le plan historique universel, tout homme déterminé à lutter pour un ordre véritablement humain. » → L'art moderne cherche à réveiller les consciences et pousser à l'action politique, remplaçant ainsi la fonction cultuelle traditionnelle. → Le cinéma, avec ses outils techniques, permet une nouvelle exploration du réel. Le cinéaste, tel un chirurgien, pénètre la réalité là où le peintre, comme un mage, maintient une distance avec son sujet. 43 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM La réception dans la distraction “L’œuvre d’art acquit une qualité traumatique” Le traumatisme caractérise l'art de l'époque moderne, où la contemplation paisible n'existe plus. Le cinéma illustre parfaitement cette nouvelle perception de l'art. 44 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM RESUME Première partie L'art a toujours été reproductible, mais se définissait par son authenticité - son existence unique dans un lieu précis. La reproduction mécanisée se distingue de la reproduction manuelle par son indépendance accrue face à l'original, révélant des détails invisibles et offrant une ubiquité nouvelle à l'œuvre via la photo et le disque. Ce processus diminue le "hic et nunc" de l'œuvre : son aura s'efface au profit d'une existence en série, permettant à chacun d'accéder à l'œuvre partout et à tout moment. Deuxième partie « La perception humaine évolue avec les changements sociétaux. » « Les masses désirent un accès plus direct au monde, préférant les reproductions multiples à l'unicité. Le besoin de posséder l'image immédiate d'un objet devient de plus en plus fort. » Ceci se reflète dans l'essor des journaux illustrés et des actualités filmées. « L'aura est une expérience unique d'un objet dans l'espace et le temps, même proche, il garde sa distance. » « La reproduction détruit l'aura en standardisant l'unique, reflétant une nouvelle perception du monde. » L'unique devient standard Troisième partie Démocratisation: L'accès à la création artistique s'est démocratisé, d'abord lentement en littérature puis rapidement avec le cinéma où « chaque homme a le droit d'être filmé ». La reproduction mécanisée transforme la réception de l'art : le public, réticent face à Picasso, devient progressiste devant Chaplin. Le mouvement Dada partage avec le cinéma une « qualité traumatique », cherchant à reproduire les effets du film dans l'art traditionnel. Les dadaïstes provoquent intentionnellement le scandale, créant un traumatisme moral, tandis que le cinéma produit un choc physique par son mécanisme même. La caméra révèle un espace inexploré, offrant accès à un « inconscient optique » comparable à l'inconscient psychanalytique. Cette nouvelle perception caractérise la modernité, où la contemplation traditionnelle cède la place à une réception dans la distraction, particulièrement manifeste dans le cinéma. 45 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 2 - Max Horkheimer, La Dialectique de la Raison (1944) Publié de façon confidentielle à NY en 1944 Puis en 1947 à Amsterdam Titre original = Dialektik der Aufklärung > die Aufklärung = les Lumières Donc traduction littérale : « la Dialectique des Lumières » Le point de départ est que le progrès s'est retourné contre lui-même, comme l'a démontré la Première Guerre mondiale avec ses dangers de l'industrialisation. Le progrès scientifique illustre cette dualité : il crée des trains pour le transport mais aussi des armes pour la destruction. Cette dialectique signifie que chaque progrès comporte son revers négatif. Contrairement aux promesses des Lumières de libérer l'humanité, les individus ont été réduits à l'état d'objets (réification). L'industrie culturelle représente la production et distribution massive de contenus culturels. Pour Horkheimer et Adorno, contrairement à Benjamin et Kracauer, cela menace la création artistique car ces industries servent d'outil de contrôle capitaliste. Ces industries réduisent les individus à de simples consommateurs, privilégiant les profits au détriment du bien-être. L'humain devient un moyen plutôt qu'une fin. On pense pouvoir échapper au travail grâce au divertissement. Mais en réalité, le divertissement produit par les industries culturelles nous prépare et nous conditionne à accepter ce même travail. ”chacun de leurs produits est un modèle du mécanisme gigantesque de l’économie qui tient au départ tout le monde sous pression, durant le travail et durant les moments de loisir qui ressemblent à du travail.” Dans notre société, suivre la culture dominante est la norme. Les personnes originales ou différentes sont marginalisées, et leurs goûts sont rejetés. Ainsi, le divertissement devient un moyen de conformité sociale. Les effets de la standardisation : les produits culturels deviennent uniformes et prévisibles, notamment les films dont on devine facilement l'issue et le sort des personnages. Cette standardisation favorise le contenu grand public au détriment de l'originalité. 46 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 3 - Kracauer, L’ornement de masse (1963) Les "Tiller Girls", spectacle populaire des années 1920, présentaient des danseuses identiques en tout point - tenue, coiffure et taille - créant une uniformisation totale. Pour Kracauer, cette standardisation des danseuses se reflétait sur le public, qui perdait progressivement son individualité par un effet de mimétisme. Une uniformisation générale La danse, censée être expression individuelle, se transforme en spectacle industriel où les danseuses deviennent des éléments interchangeables aux mouvements programmés. Le public suit le même schéma, formant une masse uniforme partageant des émotions identiques. Uniformisation qu'on retrouve dans le taylorisme Le travail à l'usine formate les gestes, privant le travailleur de leur sens et finalité. Ce phénomène s'étend aussi au secteur tertiaire. ”Aux jambes des Tiller girls correspondent ls mais dans les usines” Dans cette situation, le corps humain est traité comme un simple objet, privé de son humanité. Dans l'usine, les travailleurs répètent des gestes isolés sur la chaîne de production, sans comprendre le processus complet de fabrication. Face aux exigences de rendement et de productivité, l'identité personnelle et le sens de la communauté s'effacent. En fin de compte, ce spectacle de masse reflète parfaitement comment le système capitaliste cherche à tout rendre calculable et prévisible. Conclusion de Kracauer - “Le fascisme saura mobiliser l'esthétique de masse pour ses propres fins.” Le formalisme kantien attendait encore une contribution de l'individu, à qui l'on avait appris à prendre les concepts fondamentaux comme référence pour ses multiples expériences sensorielles ; mais l'industrie a privé l'individu de cette fonction. 47 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM L'uniformisation du goût mène à l'uniformisation des produits culturels. « Dès le début d'un film, on sait comment il se terminera, qui sera récompensé, puni ou oublié. De même, en écoutant de la musique légère, l'oreille exercée peut, dès les premières mesures, deviner la suite du thème et se sentir satisfaite lorsque tout se déroule comme prévu. » Cf. Walter Benjamin : « l'unique devient standard » Selon Kracauer, les industries culturelles favorisent l'émergence de systèmes autoritaires en promouvant une fausse unité nationale qui nie notre diversité naturelle. Cette vision présente la société comme un organisme parfaitement ordonné, effaçant les différences de corps, d'origines et d'identités. Réduits à des objets économiques, nous nous soumettons au contrôle culturel via nos choix de divertissement. 3ème partie - Adorno & Horkheimer Adorno + Horkheimer : La reproduction technique des œuvres culturelles standardise la culture selon une formule que le capitalisme exploite. Les méthodes industrielles imposent partout leurs principes de rationalité et d'efficacité. (Implicitement = critique des positions de W. Benjamin) « La vieille expérience du spectateur de cinéma qui retrouve la rue comme prolongement du spectacle qu'il vient de quitter est devenue un critère pour la production » « Les produits culturels (en particulier le cinéma sonore) sont délibérément conçus pour paralyser nos mécanismes physiologiques. Leur structure exige un esprit vif, un sens aigu de l'observation et une certaine expertise pour être pleinement compris. Pourtant, ils empêchent toute réflexion profonde chez le spectateur qui ne veut manquer aucun des événements se succédant rapidement à l'écran. » Pour Benjamin, le cinéma est une expérience active qui permet de comprendre et critiquer la modernité. Pour Adorno et Horkheimer au contraire, bien que le cinéma exige une attention constante, celle-ci reste superficielle à cause de son rythme rapide. Contrairement à Benjamin qui y voyait un outil critique, Adorno et Horkheimer considèrent que le cinéma ne permet qu'une réaction automatique sans réflexion profonde. 48 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM (implicitement = critique de l’idée développée par S. Kracauer) « Le seul moyen d'échapper à ce qui se passe à l'usine et au bureau est de s'y adapter durant les heures de loisirs. » « L'industrie culturelle incarne pleinement la logique marchande de nos sociétés : d'un côté l'exploitation réelle du travail, de l'autre l'illusion d'épanouissement par les loisirs. Ces deux aspects n'obéissent qu'à un seul maître : le profit ». Les loisirs, guidés par le profit, ne libèrent pas du système économique. Contrairement à Kracauer et Benjamin qui y voyaient une libération possible, Adorno et Horkheimer considèrent que les loisirs, choisis volontairement, renforcent notre aliénation et deviennent un espace de domination sociale. 4ème partie : L'art face à la marchandisation Le capitalisme transforme l'art en produits standardisés, soumis aux impératifs de rentabilité et d'efficacité. Ces créations deviennent des produits culturels formatés pour la consommation de masse, perdant leur capacité à stimuler la réflexion critique sur notre société. 5ème partie : La perte de valeur sacrée de l'art L'art perd sa valeur sacrée dans la société moderne, avec trois conséquences majeures : Sa soumission aux règles du marché Le risque de disparition de l'art authentique La transformation des œuvres en produits culturels Pour Adorno et Horkheimer, l'art doit préserver son originalité et son pouvoir critique. La volonté de démocratisation artistique de Benjamin s'est paradoxalement réduite à une logique de consommation. 1ère fonction, exclusivement négative Donner à voir le non-sens d’un monde soumis à la rationalisation scientifique et technique. Ainsi, l’abstraction ou la figuration tourmentée de l’art moderne expriment l’impossibilité de donner du sens à un monde qui en est de plus en plus privé. 49 Initiation à une approche esthétique des Arts - CM 2ème fonction, plus positive (cubisme comme modèle) L'art crée des formes nouvelles qui révèlent des relations non aliénées entre les êtres. Le Cubisme illustre parfaitement cette approche avec sa "synthèse non violente des éléments épars". Ce mouvement comprend l'atomisation de la société moderne où tout est fragmenté, sans centre. À travers le découpage et le collage, il ne cache pas cette fragmentation mais l'expose directement au spectateur. Les fragments restent visiblement fragmentés, créant ainsi des images authentiques qui respectent l'hétérogénéité de la Modernité plutôt que de forcer une fausse unité. Le Cubisme, à travers ses collages, expose les "cicatrices" de notre monde (selon Adorno). Sans forcer une unité artificielle, il accepte et révèle les différences entre les éléments. Ces "cicatrices visibles" reflètent la nature fragmentée et chaotique de notre réalité, contrairement aux œuvres traditionnelles qui masquent cette fragmentation derrière une fausse harmonie. 50