HFE-L3-2 - Histoire des Faits Économiques - Licence Eco-gestion - 1ère année - PDF
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Université Paris Nanterre
Patrice Baubeau
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This document appears to be lecture notes for a first-year undergraduate economics course at Université Paris Nanterre, focusing on economic history, with a specific focus on the history of labor, coercion, and remuneration (e.g., slavery, serfdom, and wage labor). It includes lecture material, questions, and references.
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Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année Travail, coercition et rémunération : esclavage, servage, salariat Séance 3 – 30/09/2024 Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année Résumé de la séance précédente...
Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année Travail, coercition et rémunération : esclavage, servage, salariat Séance 3 – 30/09/2024 Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année Résumé de la séance précédente : L’essor des États, la naissance des monnaies – Partout dans le monde, les États naissent de façon indépendante et résolvent les problèmes de coordination liés à l’augmentation des populations Ces États articulent un principe d’autorité, plutôt vertical, fondé sur le pouvoir, et un principe de légitimité, plus horizontal L’articulation de ces deux principes contradictoires s’effectue par et autour de la notion de souveraineté, qui stabilise les États et fonde la puissance des rois Cette articulation repose sur la sacralisation du roi ou du représentant de l’État, jusqu’à aujourd’hui, sacralisation qui entraîne l’alliance avec la religion dominante (la croix et l’épée, le sceptre et le goupillon) – Voyez les condamnations en Thaïlande pour crimes de lèse-majesté (200 personnes + depuis 2020) – Pour aller plus loin, on parle de l’articulation entre l’immanence de la souveraineté et la transcendance de l’autorité Lesguerres de religion européennes du XVI e et XVIIe siècles entraînent une remise en cause progressive de cette sacralisation : un mouvement de sécularisation s’engage, traduit notamment dans des principes juridiques : – Droits naturels – Liberté du commerce – Neutralité de la monnaie – La monnaie, qui était née en dehors des États (Mésopotamie, IIIe millénaire a.n.e.), en est devenue un élément à la faveur de trois innovations, toutes asiatiques : La monnaie frappée – Lydie La monnaie fiduciaire – Chine La monnaie de papier convertible – Chine Patrice Baubeau Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année Questions sur la séance précédente : Je n’ai pas compris la signification des termes « instrument de coordination » Pour collaborer efficacement, les êtres humains ont besoin d’échanger et de se coordonner. Ils disposent pour cela de nombreux « instruments de coordination », dont les plus importants sont des institutions : – Le langage – Les institutions de coordination politique, dont la principale aujourd’hui est l’État – Les institutions de coordination des échanges économiques, dont la principale aujourd’hui est la monnaie La réflexion sur la nature et les fonctions de l’État et de la monnaie a été approfondie, dans le cas de l’Europe, lors des guerres de religion, aboutissant : – À la laïcisation de l’État (séparation croissante entre les pouvoirs religieux et politiques) – Au rappel que si l’État est responsable de la monnaie, il doit la gérer dans l’intérêt de la communauté – bien public – Un même auteur a contribué à ces réflexions qui ont débouché sur la théorie absolutiste de l’État, la théorie des droits naturels de l’être humain et le principe de la liberté du commerce : Jean Bodin Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération : esclavage, servage, salariat La monnaie moderne est née et a été perfectionnée principalement en Asie. Pourquoi ? Une partie de la réponse, se situe dans l’État C’est en Asie et en Égypte que les formes modernes d’État se développent en premier lieu En particulier, l’État y acquiert des capacités techniques, organisationnelles et intellectuelles fondées il y a plus de 2 000 a.n.e. sur – L’écriture et la comptabilité – Le développement d’un corps administratif spécialisé – Le développement de statuts sociaux spécifiques à ce corps administratif Cette configuration n’apparaît en Amérique, en Europe, ou en Afrique (hors Égypte et Nubie) que beaucoup plus tardivement : – À partir du IIe siècle a.n.e. dans la République puis l’Empire romain – À partir du IIIe-Ve siècle dans les États d’Amérique centrale – À partir du IXe ou du Xe siècle dans les États au sud du Sahel Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération : esclavage, servage, salariat En effet, ces États asiatiques prennent rapidement le contrôle de la monnaie et l’inscrivent dans l’articulation entre autorité et souveraineté : La monnaie est émise par l’État pour récompenser des membres éminents de la société ou pour rémunérer – solder – les soldats de l’État Ces monnaies sont garanties par le souverain / l’État, qui y appose son sceau L’Etat prend donc rapidement le contrôle de la circulation monétaire : En interdisant aux monnaies étrangères de circuler sur son territoire autrement que pour leur valeur métallique, c’est-à-dire comme marchandise En réprimant la contrefaçon – dans la plupart des États elle est d’ailleurs assimilée à un crime de lèse- majesté : en France, au Moyen Âge, les faux-monnayeurs sont bouillis ! Le roi Henry I d’Angleterre décréta en 1125 que ceux qui produisaient des pièces trop légères en métal précieux « perdent leur main droite et soient castrés » (“lose their right hand and be castrated”) Or les États asiatiques exercent les premiers ces fonctions monétaires On constate d’ailleurs que la diffusion d’une forme moderne de l’État et d’une forme moderne de la monnaie d’État est parallèle : Égypte, Grèce classique, Rome Enfin on retrouve dans la monnaie la double dimension horizontale – échange et négociation verticale – garantie et contrôle Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération : esclavage, servage, salariat Mais il existe une autre façon d’aborder cette question de l’État, de la monnaie et des inégalités entre régions du monde En effet, une autre évolution fondamentale affecte, de manière accélérée depuis la révolution néolithique, les sociétés humaines, les États, les mentalités… Il s’agit de la division du travail, que nous avons déjà évoquée Or la monnaie est un instrument crucial de la division du travail Et les États eux-mêmes n’existent que si cette division du travail permet d’entretenir une classe politique, dirigeante, qu’elle doit bureaucratique ou militaire Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… I. La division du travail – La division du travail (DT) concerne évidemment le travail productif destiné au marché – Mais elle porte aussi sur : L’organisation des États L’essor des transports et du commerce La répartition des rôles et des fonctions selon les âges et les sexes – La structuration des sociétés en fonction du sexe (association entre une position sociale et un critère biologique : genre) et de l’âge (échelle des âges en 3, 5, 7 ou 8 positions) est un phénomène semble-t-universel dans les communautés humaines – Mais cela n’implique pas forcément la forme de spécialisation domestique que l’on constate à partir du néolithique et qui différencie de manière croissante, jusqu’au XXe siècle, travail masculin et travail féminin – De même, la différence des rôles productifs selon les âges est un élément assez récent, en particulier avec la généralisation du principe de la scolarité aux premiers âges, de la retraite aux derniers L’organisation du temps et de l’espace – La monnaie joue un rôle important dans la DT, car elle permet De déterminer la valeur des productions propres à chaque producteur D’allouer ces productions disparates entre des consommateurs spécialisés et concurrents De déterminer la valeur d’un même produit à des échéances ou dans des lieux différents De réaliser des opérations d’arbitrage facilitant la dispersion des produits et l’unification des prix Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… I. La division du travail Aussi la division du travail est-elle une question très ancienne Elle présente une double dimension : – DT selon une dimension sociale Part du marché et de l’État (maisonnée, atelier, entreprise) Part de la sphère publique et de la sphère domestique (domaine, famille) – DT selon des principes abstraits Normatifs : comme justification des hiérarchies sociales – Les hiérarchies sociales sont supposées découler de la (nécessaire) division du travail – Pour de nombreux auteurs jusqu’au XIXe s., la DT est ainsi « providentielle », càd voulue par Dieu ou principe naturel d’harmonie par la complémentarité entre êtres humains Analytiques : comme source d’efficacité du travail – La DT devient l’explication de l’enrichissement de la population et de l’État La DT est donc au cœur : – De l’organisation sociale, car elle implique des rapports entre individus et groupes – Des identités sociales, notamment de genre et d’âge – De la segmentation sociale (en secteurs, en CSP ou en professions) – De la structure politique car les institutions sont spécialisées elles aussi Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… I. La division du travail De très nombreux auteurs ont insisté sur le rôle très important de la DT, et spécialement Adam Smith dans la Richesse des Nations, 1776, livre 1 : « Les plus grandes améliorations dans la puissance productive du travail, et la plus grande partie de l'habileté, de l'adresse, de l'intelligence avec laquelle il est dirigé ou appliqué, sont dues, à ce qu'il semble, à la Division du travail. » « dans chaque art, la division du travail, aussi loin qu'elle peut y être portée, amène un accroissement proportionnel dans la puissance productive du travail. C'est cet avantage qui paraît avoir donné naissance à la séparation des divers emplois et métiers. » « Aussi, cette séparation est en général poussée plus loin dans les pays qui jouissent du plus haut degré de perfectionnement ; ce qui, dans une société encore un peu grossière, est l'ouvrage d'un seul homme, devient, dans une société plus avancée, la besogne de plusieurs. » Comme l’indiquent Persson et Sharp, EHE, 2015 : – « What is the basis for growth of income per head in an economy where accumulation of […] capital has only a minor role? The straight answer is this: there are gains from specialization, which is division of labour… » (26) Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… I. La division du travail Ainsi, la cause principale du développement social et de l’enrichissement économique et technique depuis les origines de l’humanité jusqu’au XVIII e siècle est la division du travail : Directement en augmentant l’efficacité productive Indirectement en favorisant l’accumulation – De connaissances techniques Perfectionnement des manières de faire – D’outils Invention et perfectionnement – De savoirs généraux ou procéduraux Perfectionnement des savoirs Pratiques et théories relatives aux outils, à leurs principes d’action et à leur emploi Techniques d’organisation de la production (management, OST…) – L’impact politique, social et culturel de la DT est également important Il ne peut y avoir ni clergé ni corps de fonctionnaires civils et militaires distincts du reste de la population sans productivité agricole élevée et donc sans division du travail – Par ailleurs le clergé est le principal dépositaire des savoirs au moins jusqu’au XVIe siècle La division du travail fonde donc – la possibilité des divisions sociales : classes, castes, professions, etc. – Le développement d’un corpus de connaissances théoriques et pratiques, sa conservation et sa transmission – La structuration de la société en différentes strates/classes sociales Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… II. Les formes du travail La DT est inséparable des formes prises par le travail lui-même. Schématiquement il existe quatre grandes formes de travail : Le travail pour soi et ses proches – Dans nos sociétés cela correspond au travail domestique – mais ce n’est pas forcément le cas dans d’autres sociétés – On peut y inclure de nombreuses formes de travail gratuit – Ce travail donne lieu à don / contre-don ou échange de proximité Le travail contraint – Esclavage – Servage – Corvée Le travail libre – Salariat au sens strict : un travail libre mais évalué à la pièce ou au temps sur un marché – Salariat de « statut » (fonctionnaires) : un travail libre associé à un statut – « Professions » (médecin, avocat, etc.) : un travail libre rémunéré à l’acte Le travail des indépendants et chefs d’entreprise – Nous verrons cela plus tard, mais leur rémunération peut être assimilée à la marge commerciale ou au profit Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… II. Les formes du travail À part le « travail pour soi » et le travail des indépendants, les deux autres formes de travail s’accompagnent de deux éléments fondamentaux : Une rémunération Une subordination La rémunération est l’élément essentiel : sans elle, le travailleur ne peut survivre Mais le concept clé est la subordination : elle peut être antérieure ou postérieure au travail lui-même, et cela change tout Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… II. Les formes du travail A. Une subordination postérieure Lorsque la subordination est postérieure à la rémunération, elle en est la « contrepartie » et ne s’exerce que dans le cadre de la relation de travail C’est le cas du salariat moderne Le travail est alors considéré comme « libre » : la salariée peut toujours rechercher ou négocier un autre arbitrage entre subordination et rémunération ou encore démissionner Hors du travail, la salariée n’est pas subordonnée à son employeur Cela a été une conquête progressive et difficile, car même les utopies sociales des XIX e et XXe siècles ne voyaient pas forcément cela d’un bon œil : Phalanstères de Cabet, Familistère de Guise, projets communautaires Régulièrement, la question se pose de nouveau : par exemple dans quelle mesure la « vie privée » est-elle susceptible d’avoir un impact sur la « vie professionnelle », et réciproquement. Voyez par exemple : La question des relations sentimentales dans le cadre professionnel La question du prolongement du travail par l’usage des messageries et autres outils informatiques Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… II. Les formes du travail B. Une subordination antérieure Lorsque la subordination est antérieure à la rémunération, la situation est tout autre La rémunération vient alors simplement assurer l’entretien de la capacité de travail, le travailleur demeurant subordonné à l’employeur même en dehors des heures de travail La subordination comme la rémunération ne sont pas négociables : elles se situent hors du champ de la négociation du travailleur Sa capacité d’arbitrage est en théorie nulle Les seules alternatives disponibles pour le travailleur sont la fuite ou la révolte Le travail n’est pas « libre » et résulte de l’exercice d’une contrainte – qui manifeste clairement la subordination – éventuellement violente Esclavage Servage Corvée Bagne et autres formes de travail forcé pénitentiaire Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… III. Le travail contraint : un choix économique, social et culturel Depuis la révolution néolithique, les formes contraintes et coercitives du travail ont largement dominé, dans toutes les sociétés de la planète Il n’y a pas d’évolution « naturelle » ou « spontanée » du travail contraint vers le travail libre Une régression est toujours possible – cf. les risques liés à ce que l’on appelle « l’ubérisation » – Voir aussi les scandales réguliers sur « l’esclavage moderne » : plantations de sucre en Inde, travail forcé des Ouighours en Chine, esclavage sexuel des sans-papiers en Occident, travail contraint dans les pays du Golfe, etc. Par ailleurs, travail libre et contraint ont toujours coexisté Cela suffit à expliquer le caractère souvent négatif associé au travail, considéré comme une punition ou une malédiction Genèse, 3:19 : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, jusqu'à ce que tu retournes à la terre dont tu as été tiré. Car tu es fait de poussière, et tu retourneras à la poussière.» Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… III. Le travail contraint : un choix économique, social et culturel C’est pour ces deux motifs – subordination, malédiction – que l’une des caractéristiques communes aux élites depuis des milliers d’années, qu’elles soient politiques, militaires et religieuses, c’est de se définir comme ne travaillant pas Adalbéron de Laon, au XIe siècle, distingue ainsi, dans une société, du bas vers le haut Les « laboratores », ceux qui travaillent Les « milites » ceux qui combattent Oratores Les « oratores », ceux qui prient Milites Laboratores Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… III. Le travail contraint : un choix économique, social et culturel L’aristocratie européenne revendique ainsi le monopole de « l’otium », le loisir studieux ou le service de l’État, qui la distingue radicalement du peuple, paysan ou bourgeois, qui doit travailler pour vivre Pour un noble, travailler c’est « déroger », c’est-à-dire trahir son état social et donc devenir indigne de la noblesse On retrouve cette distinction élites / travail dans de nombreux cas : Les élites chinoises qui laissent pousser un ongle pour manifester qu’elles ne peuvent pas travailler La valorisation du teint pâle, au contraire du paysan et de l’ouvrier, au visage et aux bras hâlés par le grand air Et donc l’usage des poudres à blanchir, au Japon, en Chine, en Europe Pensez aux Geishas, qui s’enduisent le visage d’un maquillage blanc Pourtant le travail et la DT sont d’autant plus nécessaires que le nombre de de produits et de services demandés par la société augmente et que le poids des élites se renforce Paradoxalement, ce phénomène est renforcé par le goût du luxe des élites Le raffinement associé au luxe implique l’existence de travailleuses et travailleurs très qualifiés Et donc d’un très haut degré de formation et de spécialisation, donc de DT Enfin, la DT est alimentée par la croissance des États, le progrès des techniques et la complexification des sociétés Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… III. Le travail contraint : un choix économique, social et culturel Cette triple tension… Un travail nécessaire mais dévalorisé Une division du travail croissante qui suscite de nouveaux métiers L’exercice de la violence en vue d’obtenir ce travail … explique en grande partie l’évolution des formes contraintes et libres du travail En effet cette triple tension entre en conflit avec la valorisation croissante du travail au fur et à mesure de la progression du niveau technique et de la division du travail Il y a une contradiction entre Le désir pour le produit du travail Le mépris pour le travailleur Socialement, cette contradiction est gérée à l’aide de notions comme la « noblesse », le « mérite » ou le « talent » Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… III. Le travail contraint : un choix économique, social et culturel Dans des sociétés où la division du travail est peu avancée, cela signifie que Le secteur agricole prédomine 70 à 90 % de la population active est rurale L’essentiel de l’activité « industrielle » est réalisée de manière interstitielle par les ruraux Les campagnes sont les lieux de production ET de transformation des matières premières Dans un monde peu urbanisé, l’industrie est majoritairement rurale Mais l’essentiel de l’activité artisanale de qualité est réalisé dans les villes Du côté de l’offre, cela correspond au monde de l’échoppe et de l’atelier Du côté de la demande, cela correspond à l’influence des modes, lancées par les élites et qui percolent peu à peu dans le reste de la société Toutefois, même en ville, le lien avec le monde rural reste fort Matières premières Saisonnalité du travail agricole et du travail artisanal Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… III. Le travail contraint : un choix économique, social et culturel Dans ces conditions de faible DT, la quantité du travail prime nettement sur sa qualité Ce n’est donc pas le travail qui est standardisé, mais le travailleur : L’esclavage permet de répondre aux besoins de travail indifférencié de la société, en réduisant les coûts (rémunération minimale) C’est d’autant plus vrai que ces sociétés sont jeunes : Dans les sociétés rurales traditionnelles, la majorité de la population a moins de 20 ans, ce qui veut dire que l’accumulation de capital humain y est faible En valeur absolue comme en proportion Il est donc peu coûteux de remplacer un esclave, ou un travailleur, puisque son savoir technique et son espérance de vie sont faibles Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint Dans ces sociétés à faible niveau de DT, il peut néanmoins exister un esclavage ou un artisanat minoritaire (très) qualifié, notamment lorsque des agglomérations importantes émergent Mercenaires et métiers militaires Professions intellectuelles et négociantes La quasi-totalité des gestionnaires et des banquiers à Rome sont des esclaves (Jean Andreau) Voir aussi les maîtres d’école ou éducateurs spécialisés, souvent esclaves ou précaires Cette situation entraîne une contradiction : L’esclavage « qualifié » contribue aux progrès de la division du travail Mais les esclaves compétents Sont rares Produisent beaucoup de richesses par rapport à leur quantité de travail Sont plus efficaces si on leur fait confiance, qu’ils agissent largement comme des travailleurs « libres » - d’où la fréquente manumission des esclaves les plus compétents En somme, l’esclave idéal est un « esclave libre » ! Il produit plus et coûte moins cher Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint L’Empire romain témoigne très bien de cette contradiction et des évolutions qu’elle suscite : L’esclavage y est de moins en moins fréquent au fil des siècles, en particulier dans les villes Parallèlement, le droit est de plus en plus sévère envers les maîtres qui maltraitent les esclaves L’esclave n’est plus seulement une « chose » : il se voit reconnaître des droits, il devient un « sujet » Certes, le ralentissement des conquêtes romaines contribue au déclin de l’esclavage : les esclaves, devenus plus rares, coûtent plus cher… Mais cette explication est partielle : c’est aussi parce que les échanges avec les peuples voisins ont augmenté que ces derniers sont moins incités à vendre des esclaves et davantage incités à vendre des marchandises ou des services (notamment militaires) – la vente de produits travaillés est un « substitut » à la vente de la force de travail des esclaves Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint La chute de l’Empire romain d’Occident (476 a.n.e.) provoque une désagrégation progressive des structures économiques et sociales en Europe occidentale : Les villes déclinent fortement – Rome perd près de 98 % de sa population ! Après un maximum d’environ 1 million d’habitants à l’apogée antonine (II e siècle a.n.e.)… … La population de Rome décline jusqu’à la fin du IVe siècle, à environ 850 000 personnes … Puis s’effondre à 200 000 au début du VI e siècle et oscille autour de 30 000 habitants du VIIe au XVIe siècle Ce déclin des villes européennes provoque une forte réduction de la division du travail La part de la population agricole et rurale augmente fortement La productivité du travail s’effondre – aussi bien dans les villes que dans les campagnes Le travail contraint redevient très rentable : l’esclavage augmente Toutefois la plus grande part de l’Europe occidentale devient « trop pauvre » pour pouvoir s’acheter des esclaves : produit de luxe, les esclaves européens sont alors exportés vers les régions plus riches, capables de les acheter, notamment par les Vikings ou les pirates barbaresques : Empire byzantin (Empire romain d’Orient) Empire arabo-musulman De même, la prospérité des cités italiennes s’accompagne d’une reprise de l’esclavage, connue mais insuffisamment documentée… Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint Au nom de Dieu, amen. Le 12 août 1388. Lodovico Marini t’a écrit ce matin comment cette nuit s’est enfuie une esclave, âgée d’environ vingt ans, cheveux et yeux bruns, bien formée de buste, c’est-à-dire ni grasse ni maigre ; elle est toute petite et son visage n’a guère le type tartare, mais plutôt le type contraire ; elle n’est pas habile dans notre langue. Elle s’appelle Margherita, et je l’ai achetée il y a quelques mois à Marco di Bellaccio, qui m’a dit l’avoir eue d’un ami à Naples. Voilà le signalement que je peux te donner. Elle s’est enfuie de Marignolla cette nuit, comme je te l’ai dit, avec ses vêtements, à savoir une jupe mêlée, qui tire sur le bleu, et neuve, une veste, un voile et autres babioles, et aussi une vieille jupe en peau d’agneau avec dessus une ceinture noire, et [elle porte] la plupart du temps une capuche. […]. A nouveau je te prie, pour l’amour de Lodovico et de moi, de continuer à la rechercher, si elle était venue ou devait venir par chez toi, et de la faire arrêter en donnant les preuves de sa fuite. En outre, je te prie de dépêcher un message à Livourne pour l’empêcher, si elle y va, d’embarquer, et un autre aux bateliers de l’A rno pour l’empêcher d’aller à Gênes […]. Je suis ton obligé. Dieu soit ton garde. Franco Sacchetti, salut, de Florence [Marchand, écrivain de nouvelles et poète florentin (1332 env. – 1400)]. P.-S. : aucunes fois, on les retrouve au bordel : tu peux aussi annoncer cela. Envoie la lettre à Michele Guinigi à Lucques, il l’aura avec celle que nous lui écrivons sur la même affaire. Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint Les huit pôles du monde connecté vers le XIe siècle et leurs échanges Nota : on voit bien d’après le tableau le caractère relativement « sous-développé » de l’Europe avant le XIIIe siècle. Findlay and O’Rourke, 2007 Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint Aussi l’Europe occidentale ne peut pas rétablir complètement l’esclavage, sauf dans les villes et les régions les plus riches Notamment dans les pôles de richesse et de savoir que représentent les rares villes et les grandes abbayes du Haut Moyen Âge « À Milan, en 775, on pouvait acquérir un garçon franc pour douze sous. Il en fallait quinze pour avoir un bon cheval » (Duby, 1973, cité par Brasseul) Au début du Xe siècle un des plus gros regroupements d’esclaves en Europe occidentale se trouve dans les champs du monastère de Santa Giulia de Brescia (à 40 km à l’est de Milan) : 741 esclaves C’est pourquoi ne faut pas pas s’imaginer qu’esclavage « s’oppose » à civilisation. C’est en fait presque le contraire jusqu’au XIVe siècle : les grandes puissances de l’époque – empires chinois et mongol, royaumes indiens, empire ottoman, Egypte des mamluks, empires inca et aztèque, grands royaumes africains sont toutes des puissances esclavagistes Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint L’esclavage se développe donc dans les régions du monde les plus riches, ou en enrichissement rapide : Dans l’Empire byzantin Le terme « slave » qui désigne alors les populations du bassin du Danube vient du mot « esclave », car l’Empire obtient la majorité de ses esclaves par la force ou par le commerce dans cette zone Dans l’Empire arabe La traite transsaharienne apparaît vers le VIII e siècle et transfère, avec l’aide de caravaniers berbères et lors de marches épuisantes à travers le Sahara, des Africains capturés Il effectue de nombreuses razzias notamment sur les côtes du Nord de la Méditerranée (mais souvent avec des marins venant de ces mêmes côtes) Dans le monde scandinave (VIIIe-XIIIe siècle) Les Vikings s’enrichissent par leur commerce dans la Baltique, en « Russie », et par les fleuves qui joignent la Baltique à la Méditerranée, et donc à l’empire Byzantin Ils commercent aussi sur la partie occidentale des routes de la soie Enfin, ils étendent leurs opérations aux raids de pillage et de capture d’esclaves sur les côtes d’Europe occidentale Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint http://idavoll.e-monsite.com/medias/images/marchandises-et-itineraires.jpg Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint On comprend alors pourquoi les élites féodales européennes occidentales adoptent une solution intermédiaire entre travail libre et esclavage En raison de la faible productivité du travail, elles n’ont guère les moyens d’acheter ou de conserver des esclaves pour des activités principalement agricoles Par ailleurs, les princes se résolvent à la présence des Vikings et tentent de les amener à s’implanter sur place, afin de contribuer à la défense du territoire Normandie Est-Anglie Sicile Les élites féodales créent donc un statut dans lequel le travailleur n’est plus une propriété au sens strict, mais est légalement attaché à la terre qu’il cultive – il est chasé : c’est ce qu’on appelle le servage Parallèlement, des formes diverses de travail libre et de travail contraint mais temporaire se développent dans les villes ou sur les fronts de défrichement, comme les bastides du Sud-Ouest de la France Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… IV. La résistible sortie du travail contraint La croissance démographique et économique du IXe/XIe siècle accentue ces évolutions On pourrait en effet imaginer que cet enrichissement permet l’essor de l’esclavage Dans les grands ports européens, une première traite se développe et l’esclavage domestique se répand, notamment dans les péninsules italienne et ibérique Mais il faut imaginer que la plus grande part de l’Europe est « vide », et la main d’œuvre est indispensable pour mettre en valeur le capital foncier C’est l’époque des grands défrichements, qui voit de nouveau reculer la forêt Si un « maître » transforme ses serfs en esclaves, ces derniers sont incités à fuir vers ces terres neuves De même, les serfs obtiennent de plus en plus de devenir des paysans libres, phénomène accentué par les guerres féodales, qui mettent la population en mouvement, et par l’impossibilité de rémunérer les compétences non agricoles des serfs, demandées par le progrès technique, l’essor des villes et de la division du travail Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat Cela vous montre qu’il n’y a pas d’évolution nécessaire du travail contraint vers le travail libre : c’est toujours réversible et dépend notamment de trois facteurs 1. Le degré de division du travail, qui conditionne l’accumulation de capital humain 2. La valeur relative du travail par rapport au capital (foncier ou technique) 3. La valeur du travail réalisé par un travailleur comparée à la valeur de ce travailleur vendu comme esclave (c’est-à-dire comme capital de production) Si ces trois facteurs sont réunis… 1. faible division du travail, 2. faible valeur du travail par rapport au capital, 3. faible valeur du travailleur par rapport à celle de son travail … alors il suffit qu’un canal commercial (souvent international) soit établi pour que la traite d’esclaves se développe Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat C’est ce qui se produit en Afrique subsaharienne à partir du VIII e siècle Le plus dramatique, c’est que dans le cas africain, les exportations d’esclaves ont entretenu ce phénomène de faible valeur du travail local en désorganisant les structures sociales et politiques Il y a un cercle vicieux : Plus d’esclavage -> plus de guerres -> moins de développement économique -> moins de valorisation du travail -> plus d’esclavage L’Afrique est demeurée exportatrice d’esclaves de manière permanente du VIIIe au XXe siècle, le trafic (officiel) international d’esclaves africains n’ayant pris fin que dans les années 1950 On peut d’ailleurs se demander s’il n’a pas repris depuis une vingtaine d’années à travers les mafias qui contrôlent les routes migratoires De même, le servage est rétabli en Europe orientale aux XIVe-XVIe siècles C’est un servage « nouveau » car il est également fiscal : Les terres et les impôts sont mesurés au nombre de serfs, ce qui fait des serfs des « immeubles par destination » En fait, on est très proche de l’esclavage, et ce servage ne sera aboli en Prusse qu’à la fin du XVIIIe siècle, en Russie qu’en 1861… Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat La disparition de l’esclavage et du servage rend-elle le travail « libre » ? C’est peut-être la question la plus compliquée !!! D’abord parce qu’il y a de très nombreux statuts du travail Ensuite parce que la même personne peut enchaîner, au fil de sa vie, des statuts extrêmement différents Même aujourd’hui… Enfin parce que la question ne se pose pas du tout de la même manière pour Les hommes et les femmes Les « enfants » et les adultes Les « étrangers » et les « nationaux » Aussi, il vaut mieux se concentrer sur la naissance de la forme dominante du travail libre : le salariat Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat Quatre facteurs ont rendu possible le travail libre : La division du travail, déjà évoquée Le monde urbain et en particulier L’artisanat Les tâches très spécialisées Adam Smith : « Il y a certains genres d'industrie, même de l'espèce la plus basse, qui ne peuvent s'établir ailleurs que dans une grande ville. Un portefaix, par exemple, ne pourrait pas trouver ailleurs d'emploi ni de subsistance. Un village est une sphère trop étroite pour lui ; même une ville ordinaire est à peine assez vaste pour lui fournir constamment de l'occupation. » L’augmentation de la valeur du travail Par rapport au capital foncier et au capital immobilisé Mesurée par le flux de travail réalisable par une seule personne au cours de sa vie : la hausse de l’espérance de vie après 15 ans, qui se manifeste à partir du XVIIe siècle, favorise ce phénomène La monnaie et en particulier la petite monnaie (voir Jan Lucassen) Elle permet de rémunérer les travailleurs avec un salaire plutôt qu’en nature Elle permet aux travailleurs de régler leurs achats Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat Ces quatre facteurs n’ont pas joué en même temps ni avec la même intensité partout Mais l’exemple chinois montre bien que ce modèle fonctionne : La Chine est de très loin la première puissance économique mondiale au moins du VIIIe siècle au début du XVIIIe siècle Son essor aux XVIe et XVIIe siècle (Von Glahn, Kuroda, Pomeranz) correspond à une phase De croissance urbaine De multiplication des marchés urbains et ruraux De progrès de la diffusion de la monnaie De hausse du niveau de vie de la population et donc de renchérissement du travail Or durant cette période, on assiste à une forte mobilité de la main d’œuvre ainsi qu’au développement de formes « libres » du travail, et à un recul de l’esclavage ou du servage, sauf les obligations militaires et les corvées Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat En Europe occidentale, ces quatre facteurs aident à comprendre l’affaiblissement du servage et le déclin des jurandes et corporations au XVIIIe siècle Elles contrôlaient depuis le Moyen Âge les métiers urbains, en réglant les conditions d’accès et d’exercice Avec la croissance de la population urbaine, elles deviennent des monopoles qui tentent souvent de bloquer l’innovation et l’essor de formes alternatives de production Mais le progrès des transports et l’essor de l’industrie rurale les prive peu à peu d’efficacité Elles survivent au mieux sous la forme de communautés sociales et de systèmes d’assurances mutuelles Or les apprentis de ces corporations vivaient sous un régime très contraint et les femmes en étaient fréquemment exclues, ainsi que les étrangers à la ville A la fin du XVIIIe siècle, en Angleterre et aux Provinces-Unies (Pays-Bas actuels), en Belgique, en France (décret d’Allarde, loi Le Chapelier, 1791), en Italie du Nord, en Suisse, dans toute l’Allemagne occidentale, le travail est libre, dans les espaces urbains comme ruraux, sauf quelques professions très réglementées Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat À partir du XVIIIe siècle, le travail est désormais regardé comme un contrat, qui réunit un employeur et un employé. Au XIXe siècle, il se distingue peu à peu du « contrat de louage d’ouvrage » qui portait sur une tâche spécifique, ainsi que de l’engagement (sur « gages ») des domestiques Au cours du XIXe siècle, le contrat de travail : Prévoit une rémunération périodique (ce ne sont pas des « gages ») Confie au salarié une mission, plus qu’une tâche unique Mais en droit, la notion de contrat implique l’égalité des deux parties – on parle de contrat synallagmatique Le contrat signifie que les deux parties s’obligent l’une envers l’autre Le salarié à effectuer la mission pour laquelle il est payé L’employeur à payer le salarié et à lui donner les moyens matériels de réaliser sa mission Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat C’est aussi pourquoi on envisage le « marché du travail » comme un équivalent des marchés de biens, c’est-à-dire reposant sur l’offre et la demande et dont le niveau d’équilibre est fixé par le salaire L’offre de travail des travailleurs rencontre la demande de travail des employeurs L’équilibre du marché fixe le « prix » du travail, c’est-à-dire le salaire Cela aboutit à la conception libérale classique Le travail est un bien marchand Le contrat de travail est un accord égalitaire entre un salarié et son employeur Le marché du travail équilibre spontanément l’offre et la demande de travail par la variation du prix (le salaire) Ainsi, les théoriciens libéraux ont longtemps considéré que le chômage était « volontaire », c’est-à-dire qu’il découlait du refus des salariés d’adapter leur salaire en fonction de l’offre et de la demande Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat Néanmoins, les juristes et les militants socialistes et chrétiens-sociaux ont contribué à faire évoluer cette conception du travail et du contrat de travail Ils font reconnaître juridiquement le fait que le contrat de travail, même s’il est conclu par des parties juridiquement égales, crée une relation de subordination dès sa conclusion Dès lors, le salarié est soumis à un devoir d’obéissance qui porte sur plusieurs points : Respect des horaires et de la disponibilité personnelle qu’implique le contrat de travail Respect des ordres et des objectifs fixés par l’employeur Utilisation des outils et des moyens mis à disposition par l’employeur Réalisation des tâches effectuées par le salarié lui-même (elles ne peuvent être sous-traitées) Respect du règlement intérieur de l’employeur Devoir de discrétion et de loyauté Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat En raison de ces contraintes, le salarié se trouve dans une position de fragilité et d’infériorité à l’égard de l’employeur, ce qui constitue sa situation de subordination La loi doit donc le protéger suivant deux principes En l’autorisant à ne pas appliquer des ordres qui seraient illégaux En s’assurant que les conditions d’exécution du travail ne le mettent pas en danger C’est à partir de ces deux principes que le droit du travail et une grande part du droit social sont élaborés au XIXe et au XXe siècle, systématisant des usages plus anciens Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat Globalement, et à l’exception notable des États-Unis (effet de l’héritage de l’esclavage), tous les Etats modernes ont adopté des règles encadrant les contrats et les conditions de travail, puis protégeant les salariés dans et en-dehors du cadre professionnel : Lois sur les accidents du travail attribuant par défaut la responsabilité de la réparation de ces accidents à l’employeur (France, 1898) Lois sur la durée du travail Limitation sévère du travail des enfants (F-1841, mal appliquée) Limitation du temps de travail des adolescents Régulation du travail de nuit Repos hebdomadaire (F-1906) Journée de 8 heures (F-1919) Congés payés (F-1936) Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat Lois sur les interruptions du travail Assurance chômage Assurance maladie Retraite des vieux travailleurs (F-1910) Congé maternité (F-1908/1970) et paternité (F-2002) Lois permettant aux salariés de défendre leurs intérêts Reconnaissance du droit de coalition (F-1864) Loi sur les syndicats (F-1884) Délégués ouvriers (F-1936) – Comités d’entreprise et délégués du personnel (F- 1945) Négociations paritaires sur les salaires, l’assurance maladie et la retraite (F-1946) Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat C’est pour cette raison que Huberman et Lewchuk (2003) parlent de contrat social européen ou « European social compact » : tous les pays européens ont commencé à se doter de telles protections des travailleurs avant 1914 Cela témoigne de l’approfondissement de la division du travail et donc de la nécessité de protéger le travail, même si cela entraîne un apparent renchérissement Cela ne peut donc se produire que si : La valeur du travail relativement au capital (foncier et immobilisé) est élevée La productivité du travail relativement aux autres pays est élevée Il n’est donc pas vrai qu’un régime concurrentiel bloque les « progrès sociaux » Au contraire, ces progrès sociaux sont la condition nécessaire pour que les salariés acceptent le risque accru que représente une économie plus innovante et plus ouverte, et partant plus instable Mais en sens inverse, il est clair que la notion de travail « libre » est ambiguë : La conclusion du contrat de travail est libre L’exécution du contrat de travail crée une relation de subordination aux dépens du salarié La loi doit donc intervenir pour « équilibrer » la relation entre l’employé et l’employeur Un exemple contemporain de cette complexité : la « gig-economy » : les contrats Uber, Deliveroo, etc. qui transforment les travailleurs en sous-traitants (relation contractuelle) alors qu’il y a bien une subordination (relation salariale) Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat Huberman and Lewchuk, 2003 Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération… V. Les conditions de naissance du salariat Huberman and Lewchuk, 2003 Patrice Baubeau HFE – 3 – Travail, coercition et rémunération : esclavage, servage, salariat RÉFÉRENCES Ancien testament, Livre de la Genèse, Bible en français courant (BFC), https://www.bible.com/fr/ Roger Botte, « Les réseaux transsahariens de la traite de l’or et des esclaves au haut Moyen Âge : VIII e-XIe siècle », L’Année du Maghreb, VII | 2011, 27-59. Brasseul Jacques, Histoire des faits économiques, De l’Antiquité à la révolution industrielle, Tome 1, Paris, Armand Colin, 1997. Findlay Ronald et O’Rourke Kevin, Power and Plenty. Trade, War and the World Economy in the Second Millennium, Princeton, Princeton University Press, 2007. Huberman Michael, Lewchuk Wayne, « European economic integration and the labour compact, 1850– 1913 », European Review of Economic History, Volume 7, Issue 1, April 2003, Pages 3–41 Persson Karl Gunnar and Sharp Paul, An Economic History of Europe. Knowledge, Institutions and Growth, 600 to the Present, 2nd ed., Cambridge, Cambridge University Press, 2015 Smith Adam, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Paris 1881 (traduit de l’anglais, 1776), collection: "Les classiques des sciences sociales », http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Lucassen Jan, « Deep monetization in Eurasia in the long run », in R.J. van der Spek et Bas van Leeuwen (éd.), Money, Currency and Crisis. In Search of Trust, 2000 BC to AD 2000, Londres et New York, Routledge, 2018, p. 55-101 Patrice Baubeau