Histoire des Faits Économiques - Revolution Industrielle et Impérialisme - Université Paris Nanterre - PDF

Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année Séance 12 – 16/12/2024 Révolution industrielle et impérialisme Conclusions du cours Histoire des Faits Économiques Révolution industrielle et impérialisme Résumé de la séance précédente : Les crises économiq...

Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année Séance 12 – 16/12/2024 Révolution industrielle et impérialisme Conclusions du cours Histoire des Faits Économiques Révolution industrielle et impérialisme Résumé de la séance précédente : Les crises économiques Les crises économiques sont aussi vieilles que l’histoire humaine. Elles prennent traditionnellement la forme de crises de pénurie : – Il s’agit en particulier de crises causées par de mauvaises récoltes – Dans leur forme la plus grave, ces crises frumentaires débouchent sur des famines, entraînant de graves conséquences démographiques : on les appelle alors crises de subsistance Mais avec la R.I., ces crises de pénurie ont été remplacées par des crises dans l’abondance : – Ce ne sont plus les produits qui manquent : Soit les ménages manquent des moyens de les acquérir Soit leur abondance même provoque l’effondrement de leurs prix, précipitant dans la pauvreté leurs producteurs Les économistes ont eu du mal à analyser ces crises – Ils les ont attribuées à des facteurs exogènes : économistes libéraux – Ou encore au progrès technique ou à la spéculation : économistes empiristes – Enfin, ils ont accusé le capitalisme comme rapport de production : Marx Mais l’explication la plus convaincante s’inspire de Schumpeter : – La crise moderne reflète le caractère imprévisible d’une économie d’innovation – Elle manifeste le processus de destruction créatrice : la croissance économique fait des gagnants, mais aussi des perdants Patrice Baubeau Histoire des Faits Économiques Révolution industrielle et impérialisme Introduction Nous avons vu que l’humanité a connu trois révolutions qui depuis 70 000 ans ont bouleversé sa population, sa façon d’occuper la planète et ses manières d’être Or, ces trois révolutions se sont diffusées à toute la planète – Cette diffusion est quasiment achevée en ce qui concerne les révolutions paléolithique et néolithique – Mais elle est encore largement en cours pour la R.I. : Soit que la vague d’industrialisation progresse encore dans les pays du « Sud » Soit que cette vague ait entamé son reflux dans les pays du « Nord » D’où trois questions qui formeront le cœur de ce cours conclusif – Comment la R.I. s’est-elle diffusée en Europe et vers le reste du monde ? – Pourquoi la R.I. a-t-elle généré de telles inégalités entre pays ? – Quel rôle ont joué les impérialismes européens dans la diffusion de la R.I. ? En conclusion, nous reviendront sur les conséquences anthropologiques de cette R.I. – L’humanité en a-t-elle été changée et si oui, comment ? Patrice Baubeau Histoire des Faits Économiques Révolution industrielle et impérialisme Plan du cours I. La diffusion de la R.I. – A. Le « cercle vertueux » de l’innovation – B. La diffusion politique II. Le rôle de l’impérialisme dans la diffusion de la R.I. – A. Qu’est que l’impérialisme ? – B. Les trois âges de l’impérialisme européen et la R.I. III. Une R.I. réduite aux matières premières ? – A. Impérialisme et développement économique européen – B. Impérialisme et révolution industrielle – C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. Conclusions : Les conséquences anthropologiques de la R.I. Patrice Baubeau I. La diffusion de la R.I A. « Le cercle vertueux » de l’innovation Rappels Les innovations anglaises dans le domaine textile ne représentent qu’un exemple de l’accélération de l’innovation technique et de procédé associée à la R.I. L’expression de « système technique » désigne un état, supposé moteur ou dominant, des techniques industrielles et des modes d’organisation du travail Ce système n’est pas stable pour autant : il évolue au rythme de la transformation des marchés, sous la pression de la concurrence et des innovations – Concurrence interne : compétition commerciale avec les secteurs et les systèmes techniques anciens compétition pour conserver ou attirer les facteurs de production – Concurrence externe Compétition commerciale sur les marchés internationaux Rivalités douanières et donc politiques entre États Il évolue selon le modèle de la destruction créatrice : les marchés saturés à croissance lente sont remplacés par des techniques et des industries modernes en vif essor Dans tous les cas, l’innovation se développe toujours en fonction de deux critères – Son acceptabilité, technique, sociale et politique – Son efficacité, c’est-à-dire l’avantage qu’elle procure jusqu’à ce qu’elle se heurte à ses limites, à des « goulets d’étranglement », commerciaux, techniques ou physiques Patrice Baubeau I. La diffusion de la R.I B. La diffusion politique Rappels Schématiquement, deux modèles de diffusion co- existent : – Le modèle classique en tache d’huile : l’expansion de la R.I. se fait par proximité géographique – L’approche alternative en sauts de puce centrée sur des foyers Mais la R.I. a aussi été diffusée dans l’espace par un phénomène politique : l’impérialisme – Les causes de diffusion de la R.I. sont encore aujourd’hui encore très discutées, notamment en raison du jugement moral attaché à l’expansion du capitalisme et (voir IIe partie) à l’impérialisme Patrice Baubeau II. Le rôle de l’impérialisme dans la diffusion de la R.I. A. Qu’est que l’impérialisme ? Il est possible de définir l’impérialisme par six traits, que l’on retrouve dans ses formes européennes ou non-européennes : 1. Une domination territoriale par une puissance extraterritoriale 2. Un pouvoir politique qui étend (impose) au-delà de son territoire les caractères linguistiques ou culturels qui lui sont propres, et qui valorise ces caractères aux dépens des populations conquises 3. Un pouvoir qui s’impose à des populations qui ne l’ont pas choisi. Cela correspond aussi bien souvent à des logiques de tribut 4. Une violence qui peut s’exercer à l’égard d’individus ou de groupes entiers 5. Une réorganisation des flux économiques au profit du centre impérial 6. L’existence de spécialités productives échangeables à longue distance, donc de produits peu substituables et hautement valorisés (pour surmonter les coûts de transport) Patrice Baubeau II. Le rôle de l’impérialisme dans la diffusion de la R.I. A. Qu’est que l’impérialisme ? C’est d’une certaine façon ce qu’exprime en 1986 le romancier kenyan Ngũgĩ wa Thiong’o dans Décoloniser l’esprit, Paris, La Fabrique, 2011 , 168 p., où il annonce que, désormais, il n’écrira plus en anglais, seulement en kikuyu Pour lui le colonialisme impérial est un processus complet conçu pour rendre ses victimes « honteuses de leurs noms, de leur histoire, de leurs croyances, de leurs langues, de leurs savoirs, de leur art, de leurs danses, de leurs chants, de leur sculpture, et même de la couleur de leur peau. » Patrice Baubeau II. Le rôle de l’impérialisme dans la diffusion de la R.I. A. Qu’est que l’impérialisme ? Mais l’impérialisme ne date pas de la R.I. et n’est pas propre à l’Europe – L’impérialisme est un phénomène plusieurs fois millénaire, que l’on retrouve sur tous les continents Toutefois, avec la R.I., l’impérialisme développe trois caractères originaux : – Il touche rapidement la planète tout entière, surtout à partir des années 1880 – Il repose moins sur une adoption des normes impériales par les élites locales (religion, langue, mode de vie) que sur une exploitation économique à distance par la puissance impériale – La puissance impériale ne s’appuie pas sur la seule force militaire, car cette dernière résulte de la combinaison d’une suprématie technique et économique Des armements puissants et inaccessibles aux populations conquises La maîtrise des réseaux de transport et de communication à longue distance Aussi un très petit nombre d’Européens est nécessaire pour exercer cette domination impériale, au plus quelques 1/10e de % de la population colonisée (Cogneau, 2023) Patrice Baubeau II. Le rôle de l’impérialisme dans la diffusion de la R.I. B. Les trois âges de l’impérialisme européen et la R.I. L’impérialisme européen a évolué selon trois dynamiques : – L’effort de découverte et de conquête des routes commerciales maritimes puis terrestres à partir du XVe siècle – Le recherche de l’or et de terres à piller ou exploiter, qui prend une dimension nouvelle à partir de la conquête des Amériques (1492) – La concurrence entre Européens pour la maîtrise des grands courants commerciaux et des voies maritimes et terrestres On peut découper l’essor impérial européen en trois temps : a. 1415-1602 : La colonisation ibérique : pillage, maladies et commerce b. 1602-1780 : L’impérialisme esclavagiste et la montée de l’Europe du Nord c. 1780-1974 : L’impérialisme territorial et le monde européo-centré – C’est ce dernier impérialisme, étroitement lié à la R.I., que nous allons présenter Patrice Baubeau II. Le rôle de l’impérialisme dans la diffusion de la R.I. B. Les trois âges de l’impérialisme européen et la R.I. Repères chronologiques : – 1770s : apogée économique et esclavagiste des « îles à sucre » des Caraïbes – 1830 : Conquête française de l’Algérie – 1839/60 : Guerres de l’opium en Chine – 1858 : Formation du Raj – l’Angleterre domine l’Inde – 1884-1885 : Conférences de Berlin qui découpent l’Afrique en zones d’influence des puissances européennes – 1936 : Conquête italienne de l’Ethiopie, dernier État africain indépendant – 1941/45-1962 : Grand reflux colonial européen – 1974 : effondrement de l’empire colonial portugais Cette phase marque trois ruptures politique majeures – Les premiers territoires conquis s’émancipent – Etats-Unis, 1776 ; Haïti 1804 – Les Européens surmontent les obstacles épidémiques (Afrique) et militaires (Asie) pour entreprendre la conquête territoriale de ces continents – Le développement colonial entraîne la diffusion et l’essor des idéologies nationalistes, progressistes et socialistes dans les territoires conquis et débouche sur les luttes anticoloniales puis le démantèlement des empires entre 1945 et 1974 Patrice Baubeau II. Le rôle de l’impérialisme dans la diffusion de la R.I. B. Les trois âges de l’impérialisme européen et la R.I. La colonisation européenne de l’Asie et de l’Afrique au XIXe siècle Patrice Baubeau II. Le rôle de l’impérialisme dans la diffusion de la R.I. B. Les trois âges de l’impérialisme européen et la R.I. Les empires européens à leur apogée, vers 1930 Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? A. Impérialisme et développement économique européen L’essor industriel anglais puis européen entraîne la recherche – De matières premières en vue d’alimenter les industries nationales – De débouchés à ces industries – Et alimente une intense circulation de facteurs de production : Capitaux Travail : – La traite océanique se poursuit jusque vers 1850 ; subsistent ensuite les traites de proximité jusqu’aux dernières abolitions : États-Unis, 1865. Brésil, 1888. Congo & Sao Tomé, 1908. Mauritanie, 1981 – L’émigration européenne, principalement vers l’Amérique, atteint un maximum au cours du XIXe siècle, en lien avec les booms démographiques liés à la R.I. et avec les crises économiques du continent Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? A. Impérialisme et développement économique européen Ainsi, après les flux de… – Métaux précieux et de produits de luxe (soie, épices, métaux, XVIe-XVIIIe) – Produits de consommation (sucre, tabac, XVIIe-XVIIIe) …les Européens favorisent la production et le transport de matières premières au service de leur expansion industrielle (XVIIIe-XXe) : – Produits agricoles tropicaux : coton, caoutchouc, café, huiles… – Produits forestiers : bois, ivoire… – Produits miniers : cuivre, phosphates, or, minerai de fer… La question reste de savoir qui « gagne » et qui « perd » Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? A. Impérialisme et développement économique européen Les apports directs de l’impérialisme à la prospérité européenne Le développement du grand commerce et des profits associés Le financement de l’essor naval et des infrastructures portuaires Les apports en or et en argent – Hausse de la circulation monétaire, favorable à l’activité commerciale – Financement du grand commerce avec l’Asie Des produits nouveaux : – Asie : épices, aubergine, porcelaine, soie… – Amérique : tomate, pomme de terre, maïs, tabac, caoutchouc, vanille, courgette, arachide (cacahuète), manioc… – Afrique : mil, sorgho… Une baisse sensible des prix sur ces nouveautés Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? A. Impérialisme et développement économique européen Les apports indirects de l’impérialisme à la prospérité européenne Le progrès des connaissances – Sciences de la navigation : construction navale, astronomie, cartographie, horlogerie, mécanique de précision, aciers spéciaux – Sciences humaines : développement de l’anthropologie et de l’ethnologie. Son caractère d’abord très européo-centré, colonial et raciste ne doit pas faire oublier ses apports : découvertes d’autres manières d’être humain, relativisme culturel, utopies diverses (bon sauvage, société communautaire, etc.), ouverture sur l’extérieur forte des cultures européennes – Progrès médicaux : drogues nouvelles (ipéca, quinquina), progrès médicaux et chirurgicaux grâce aux médecins embarqués (chirurgiens de marine) : lutte contre le scorbut, amputations, etc. L’intégration des marchés européens dans un ensemble plus vaste, qui atténue les chocs agricoles et favorise l’essor du secteur industriel, stimulé par les exportations en direction des colonies L’enrichissement des consommations anciennes par des consommations nouvelles (sucre, café, thé, pomme de terre, maïs), améliorant la résilience des agricultures aux chocs climatiques ou biologiques et favorisant l’essor des populations au XVIIIe siècle – Il n’y a pratiquement plus de famines en Europe occidentale après 1780 Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? B. Impérialisme et révolution industrielle L’impérialisme, cause de la R.I. ? Ces apports de l’impérialisme à l’Europe posent aussi la question du rôle de l’impérialisme dans le déclenchement la R.I., question très polémique Pourquoi ce caractère polémique ? – Parce qu’une des thèses couramment défendues a été que le développement économique européen avait été financé par le pillage du reste du monde et l’esclavage – Parce que le développement européen s’accompagne d’une internationalisation massive des économies considérées, ce qui semble indiquer que le repli économique n’est pas une bonne stratégie, au contraire des théories de « développement auto-centré » à la mode dans les années 1950-70 et encore défendues aujourd’hui au Venezuela, en Corée du Nord, à Cuba – Parce qu’elle oblige à se demander comment une petite péninsule relativement peu développée, l’Europe, a pu devenir si riche et exercer une telle domination sur le reste du monde Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? B. Impérialisme et révolution industrielle Les limites des apports de l’impérialisme à la R.I. européenne La R.I. serait le produit de l’expansion impériale, de même que le développement relatif de l’Europe par rapport à la Chine et l’Inde (grande divergence) Mais des points cruciaux du raisonnement demeurent problématiques : – La Chine, l’Inde ou l’empire Ottoman n’étaient pas moins impérialistes que l’Europe occidentale, et étaient militairement plus puissants jusqu’à la fin du XVIIIe siècle – Le pillage de l’or et de l’argent a eu des effets ambigus (inflation, fuite de l’argent pillé ou extrait par les Européens vers l’Asie) : – Les premières puissances impériales européennes – Portugal et Espagne – qui ont été les points d’entrée de l’or et de l’argent en Europe : connaissent des épisodes de régression économique du XVIII e au XXe siècle font une entrée tardive dans la R.I. n’ont jamais figuré parmi les grandes puissances au XIX e et au XXe siècle En somme, les puissances impérialistes européennes n’ont pas « plus » pillé que les autres puissances impérialistes. Pourtant les effets de ce pillage, de cet impérialisme, ont été plus délétères et plus durables sur les pays conquis ou dominés par les Européens. Pourquoi ? Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. La grande divergence Ce qui est frappant, à partir du XVIII e siècle, c’est l’écart croissant entre les pays de l’Atlantique Nord et le reste du monde – C’est ce qu’on appelle la « grande divergence » (Pritchett, 1997) L’écart de revenu/habitant entre pays riches et pauvres est de l’ordre de 1 à 4 au XVIII e s., de 1 à 50 aujourd’hui – Comme si la R.I. avait profité à certains pays et entravé les autres – Or les impérialismes passés n’avaient pas eu forcément un tel effet : La Gaule s’enrichit fortement après sa romanisation au I er siècle a.n.e. La conquête mongole ruine Bagdad (1258) mais la Pax mongolica assure la prospérité de l’Eurasie Le Mexique espagnol des XVII e et XVIIIe siècles est riche, malgré les ravages de la conquête espagnole au XVIe s. Cela pose donc le problème du mal-développement et des effets néfastes de l’impérialisme européen pendant la R.I. en raison de deux facteurs clés : 1. La capacité des Européens, renforcée par la R.I., à polariser les flux économiques (capitaux, travail, produits) à partir de ou vers la métropole 2. L’impact de l’impérialisme dans la naissance du sous-développement Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. La capacité des Européens à polariser les flux économiques Parmi ces flux polarisés, on notera en particulier – Ceux qui vont des pays colonisés vers les métropoles ou leurs autres colonies L’esclavagisme puis le travail forcé et enfin de manière plus générale le facteur travail Les matières premières agricoles Les produits miniers – Des métropoles vers les pays colonisés Le contrôle des flux commerciaux et financiers L’exportation des produits industriels à forte intensité capitalistique Le contrôle de l’innovation et la concurrence Ce système d’échange – travail et matières premières contre capital et produits manufacturés – fonde ce qu’on appelle le pacte colonial (sauf que ce n’est pas un pacte !) Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. La capacité des Européens à polariser les flux économiques L’esclavagisme et le travail forcé en fournissent un exemple frappant – La traite esclavagiste a été un des éléments-clés du grand commerce au XVIIIe siècle, même s’il n’a joué qu’un rôle modeste dans le fonctionnement global des économies européennes – Il a fait preuve d’une remarquable robustesse : après la perte de dynamisme des plantations de sucre, à la fin du XVIIIe s., il a été reconverti Avec succès dans les plantations de coton aux États-Unis Au Brésil dans celles de café À Sao Tomé dans celles de cacao En Indochine dans celles de caoutchouc (travail forcé) – En fait, et contrairement à une vue naïve, ce n’est pas la baisse économique de sa rentabilité qui a mis fin à la traite négrière, mais bien l’éveil politique : Les abolitions de l’esclavage, en particulier celle survenue à Haïti (1791-1804) Les interdictions légales de la traite esclavagiste, à partir de 1807 avec le Royaume-Uni Notez que le travail forcé n’a pas disparu des empires coloniaux avant 1945, et qu’esclavage et travail forcé subsistent encore dans de nombreux pays jusqu’à aujourd’hui : Arabie Saoudite, Chine, Mauritanie, Corée du Nord... – Et dans les pays du Nord : migrations temporaires de travail, exploitation du travail carcéral Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. Findlay et O’Rouke, 2007 Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. Exportations d’esclaves depuis l’Afrique Notez qu’il existe une corrélation, bien que faible, entre le niveau relatif de pauvreté des pays d’Afrique aujourd’hui et l’intensité de la traite esclavagiste qu’ils ont subie Source : Acemoglu & Robinson, 2012, map 15 Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. L’impact de l’impérialisme dans le phénomène du sous-développement Avant le XVIIIe siècle et la « grande divergence », les notions de sous- développement ou de tiers-monde n’ont pas grand sens Elles ne deviennent signifiantes qu’au cours du XIXe siècle, quand l’Europe, par sa puissance technique, impose dominations coloniales (Afrique, Inde) et traités inégaux (Chine, Japon) tout en orientant le développement agricole et industriel du monde extra-européen Or, si l’on excepte les « Western Offshoots », c’est-à-dire les colonies de peuplement anglo-saxonnes (Etats-Unis, Australie, Canada, Nouvelle- Zélande, Afrique du Suf) et le Japon, AUCUN pays extra-européen ne connaît la révolution industrielle avant 1960 C’est pourquoi en 1952, à la veille des décolonisations, Alfred Sauvy appelle tiers-monde les pays touchés mais pas développés par la R.I., dressant un parallèle politique avec le Tiers État, fer de lance de la Révolution française Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. L’impact de l’impérialisme dans le phénomène du sous-développement Deux caractéristiques cruciales du commerce extérieur des pays colonisés, découlant du pacte colonial, permettent de comprendre l’origine de ce retard de développement : – Ce commerce extérieur est fondé sur l’intérêt des seules métropoles – Il est concentré sur quelques produits d’exportation choisis par ces métropoles Au final, les pays colonisés sont victimes – D’une spécialisation internationale excessive, difficile et coûteuse à réformer – D’une position commerciale asymétrique vis-à-vis des grandes puissances industrielles – D’une faible intégration économique régionale Ces phénomènes sont aggravés par la nature des infrastructures qui permettent cette spécialisation. Un bon exemple du phénomène peut être trouvé dans la structure des réseaux ferroviaires : – Ils sont schématiquement en « étoile » dans les pays développés – Mais en « entonnoir » ou en « arêtes de poisson » dans les pays colonisés… Patrice Baubeau  III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. La construction du réseau ferré français au XIXe siècle (Documentation photographique N°8061) Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. Le réseau ferroviaire de l’Angola Burkina-Faso et Côte d’Ivoire Maps of World, 2014 Le réseau ferroviaire de la RDC Patrice Baubeau III. Une R.I. réduite aux matières premières ? C. L’impact négatif de l’impérialisme de la R.I. Une dépendance commerciale unilatérale : – Les colonies sont dépendantes des métropoles pour leurs importations et leurs exportations – Les métropoles ne sont pas dépendantes de leurs colonies, ni pour leurs importations, ni pour leurs exportations Vers 1913 Commerce des métropoles Commerce des colonies Export. vers Import. des Export. vers Import. vers colonies colonies métropole métropole Allemagne 0,5 % 0,4 % 20,7 % 40,5 % Belgique 0,7 % 1,0 % 90,4 % 66,1 % Espagne 2,1 % 0,5 % 27,3 % 38,5 % France 13,0 % 9,5 % 50,0 % 61,8 % Pays-Bas 5,3 % 13,5 % 28,1 % 33,3 % Royaume-Uni 37,2 % 20,5 % 42,0 % 45,7 % Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. La R.I., comme les révolutions paléolithique et néolithique avant elle, a entraîné de profondes conséquences anthropologiques : ce ne sont pas seulement les objets fabriqués et consommés qui ont changé, mais aussi, et selon moi surtout, les êtres humains L’espérance de vie à la naissance a fait un bond spectaculaire : – Environ 35 ans vers 1800 – A peine 40 ans vers 1900 – Plus de 70 ans aujourd’hui Dès lors, la croissance de la population mondiale s’explique – De moins en moins par la natalité – De plus en plus par l’allongement de la durée de vie Si l’espérance de vie était restée constante, la population de la planète serait deux fois moins nombreuse Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. De ce fait, la manière de distinguer les êtres humains a changé, et en particulier pour les : – Enfants – Jeunes – Femmes – Vieillards Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. L’enfance est devenue un âge valorisé, et l’enfant un être à part entière – Il n’est plus cet être en sursis auquel on donnait souvent un nom provisoire, parce que son existence était en suspens – Il n’est pratiquement plus l’objet Ni d’infanticide, fréquent jusqu’au début du XXe siècle, pour adapter le nombre d’enfants à la quantité de ressources Ni de vente ou de location, seul moyen d’en assurer la survie en procurant quelques revenus aux parents Un âge nouveau est apparu après la 2e G.M. et se diffuse peu à peu à toute la planète : la jeunesse, associée à un niveau d’éducation formelle de plus en plus élevé – C’est un âge associé à la scolarisation, après l’enfance et avant l’entrée dans la vie active et familiale – Cet âge est lui-même soumis à des transformations dans les pays riches Âge étudiant Adulescence – prolongation de la « jeunesse » par report ou refus d’une descendance Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. Parallèlement, les inégalités entre hommes et femmes sont à la fois plus visibles et davantage contestées, car résultant de discriminations – La conquête de la « jeunesse », et plus généralement de l’autonomie, apparaît plus difficile pour les femmes, que pour les hommes, soumises à davantage d’injonctions – Ainsi, le « destin maternel » ne va plus de soi, ce qui se traduit notamment dans le recul de l’âge de la première maternité et la réduction du nombre de femmes souhaitant avoir un enfant, mais la conquête des droits reproductifs et contraceptifs reste inachevée, même dans les pays riches (États-Unis, Corée du Sud) – La santé maternelle a considérablement progressé, reculant l’âge des grossesses sans danger pour la mère ou pour l’enfant La mortalité maternelle (décès en couche ou dans les semaines suivantes) est ainsi passée, en France, de 116 décès pour 100 000 naissances en 1946 à 10 décès pour 100 000 naissances aujourd’hui ; il reste supérieur à 550 pour 100 000 dans les pays les plus pauvres – La rémunération des femmes a progressé au cours des dernières décennies, dans presque tous les pays, sans parvenir à surmonter Un écart faible mais persistant à « travail égal » Un écart fort et persistant d’orientation professionnelle Un impact fort et persistant du – 2e et surtout du 3e enfant sur la carrière en France – 2e enfant aux Etats-Unis – 1er enfant au Japon ou en Corée Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. Enfin la vieillesse connaît une expansion sans précédent, avec 25 à 30 % de la population totale âgée de plus de 60 ans dans les pays riches et une croissance rapide de cette proportion dans les pays en développement – Il est difficile de définir des « âges » de la vieillesse, en raison de la variété des trajectoires individuelles, mais la catégorie de « vieux » est en train de perdre sa signification ancienne, synonyme de faiblesse, de maladie, d’appauvrissement, mais aussi d’autorité morale – Cette population âgée se scinde en segments très distincts selon Son rapport au travail (actif, actif partiel, inactif) Ses capacités physiques Ses capacités cognitives Ses ressources financières – Dans ces conditions, on distingue, notamment dans les pays développés : Les seniors ou « personnes robustes » : généralement en fin d’activité ou jeunes retraités, disposant de capacités physiques et cognitives élevées (70 %) Les aînés ou « personnes fragiles », qui peuvent vivre de manière autonome (20 %) Les « personnes dépendantes » (10 %) Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. OMS, Rapport mondial sur le vieillissement et la santé, 2016 Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. OMS, Rapport mondial sur le vieillissement et la santé, 2016 Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. Plus étonnant peut-être, les caractères physiques de l’humanité évoluent rapidement. Trois indicateurs sont particulièrement spectaculaires, un quatrième est problématique – La taille ou stature des êtres humains s’élève rapidement Notez que, pour l’instant, cela n’a pas entraîné de réduction du dimorphisme sexuel – Le poids des êtres humains augmente encore plus vite, d’où une croissance des IMC Cela s’explique pour une part par le vieillissement de la population Mais l’essentiel du surpoids et de l’obésité est lié aux changements alimentaires et de mode de vie – Les brassages mondiaux de population augmentent, notamment dans les pays riches Le succès d’entreprises comme 23andMe témoignent de ces métissages de plus en plus fréquents Ce n’est pas seulement lié aux migrations, mais surtout à une plus grande individualisation des parcours conjugaux, favorisée notamment par l’urbanisation et la scolarisation dans l’enseignement supérieur – Les capacités physiques des jeunes (et donc des plus âgés) déclinent Une étude néo-zélandaise documente une baisse sensible des capacités physiques entre deux générations de jeunes âgés de 15 ans, et notamment de la VO2 Max, surtout chez les femmes (NZMJ, 2018) Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. Komlos et Snowden, 2005 Patrice Baubeau  Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. Hommes Femmes Tendance des moyennes d’IMC par sexe et par région Ezzati et alii, The Lancet, 2016 Patrice Baubeau Les mondialisations économiques Conclusion. Les conséquences anthropologiques de la R.I. La révolution industrielle a donc modifié : – L’apparence physique des êtres humains – Leurs compétences cognitives en raison des progrès de la scolarisation – La définition des âges de la vie – La répartition des rôles sociaux entre les sexes – Les causes de morbidité et de mortalité Les êtres humains mourraient, jusqu’en 1950, principalement de maladies infectieuses : rougeole, oreillons, tuberculose, choléra, grippe, rage, etc. Avant le Covid, seul le paludisme reste une maladie infectieuse gravissime et mal soignée Depuis la révolution antibiotique et vaccinale, les êtres humains meurent de plus en plus de maladies cardiovasculaires et de cancers, liées notamment au mode de vie : alcoolisme, tabagisme, alimentation sucrée, sédentarité Patrice Baubeau