Histoire des Faits Économiques - Licence Eco-gestion - 1ère année - PDF
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Université Paris Nanterre
2023
Patrice Baubeau
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These notes cover the history of economic phenomena in the context of state formation and the development of monetary systems. They present various concepts pertinent to economic issues such as collaboration, exchange, and consumption, while discussing the evolution of states and the origins of currencies within societies.
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Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année L’essor des États, la naissance des monnaies Séance 2 – 25/09/2023 Histoire des Faits Économiques Licence Eco-ges,on – 1ère année Résumé de la séance précédente – Les êtres hu...
Histoire des Faits Économiques Licence Eco-gestion – 1ère année L’essor des États, la naissance des monnaies Séance 2 – 25/09/2023 Histoire des Faits Économiques Licence Eco-ges,on – 1ère année Résumé de la séance précédente – Les êtres humains collaborent et s’organisent pour produire, échanger et consommer – Dans ces condi:ons, il n’y a pas de société humaine qui échappe à l’économie et, par voie de conséquence, à l’histoire économique L’histoire économique étudie les façons diverses dont les sociétés humaines ont mobilisé et organisé leurs moyens de produc;on et d’échange en vue de leur consomma;on et de leurs ac;vités sociales – Aussi, en tant que système de collabora5on, de choix et d’alloca5on, l’économie nécessite pour son fonc5onnement des instruments de coordina.on : les normes et usages, les structures sociales (famille, système de parenté), les organisa5ons (églises, associa5ons, entreprises), les systèmes de jus5fica5on (mythes, religions, éthique) – C’est ce qu’on appelle le plus souvent des ins.tu.ons A=en;on, c’est un terme ambigu : selon les auteurs, il peut inclure ou exclure les organisa;ons voire les structures sociales Patrice Baubeau L’essor des États, la naissance des monnaies Introduction : le problème de la coordination Il existe énormément d’outils de coordination entre les êtres humains – Le premier d’entre eux est évidemment le langage (verbal, non verbal, graphique, écrit) – Cela correspond aux facultés symboliques de l’espèce Homo (sans lui être exclusif) Le problème réside dans l’application de ces outils de coordination à des tâches concrètes : – Définir un objectif – Concevoir un moyen / une voie – Aboutir au résultat visé à un coût supportable En caricaturant, il y a deux modalités principales de coordination : – L’autorité / la délégation (le modèle vertical) – La négociation/ la coopération (le modèle horizontal) Évidemment, l’étude du passé enseigne que ces deux modalités sont très rarement (jamais ?) mises en œuvre de manière isolée – il y a a généralement combinaison Les institutions sont l’un des moyens de combiner, de façon variable, ces deux principes Or, il y a quelques milliers d’années, deux outils de coordination – deux institutions - particulièrement durables ont été élaborés puis perfectionnés : – L’État – La monnaie Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté A. Du groupe à l’État Les États apparaissent d’abord en Asie, puis de manière indépendante sur le reste de la planète, lorsque des groupes humains organisés se dotent d’institutions de gouvernance dont la durée dépasse la vie des gouvernants D’où trois conséquences : – Il n’y a pas d’État sans un minimum de division sociale et donc de division du travail Typiquement, les premiers États s’appuient soit – Sur une distinction entre sédentaires et nomades – Sur une distinction entre sacré et commun : clercs (prêtres) et rois d’un côté, militaires et travailleurs de l’autre (ces derniers étant parfois distingués entre paysans et artisans, voire commerçants) Ces institutions symbolisent la perpétuité du groupe humain correspondant : elles sont donc insérées dans le système de croyances et les structures religieuses de la société considérée – Il n’y a pas d’État sans la formalisation d’une autorité, en générale confiée à une personne ou à un groupe de personnes, sur le reste de la société – Il n’y a pas d’État sans la détermination d’un intérieur et d’un extérieur à l’État : En termes ethno-racial : eux et nous En termes de résidence et de mode de vie : ager et saltus, nomades et sédentaires, humains civilisés et barbares, humains et non-humains… En termes d’appartenance à la société : maîtres et esclaves ; souverain et sujets ; citoyens et étrangers Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté A. Du groupe à l’État Ainsi, l’État réunit autant qu’il distingue – C’est sa première fonction : il identifie. Pensez à vos cartes d’identité ou passeports L’Etat assure la continuité de la société, cette continuité pouvant s’entendre de trois façons principales : – L’éternel retour : le présent n’est qu’une réorganisation du passé, toujours là – le futur n’a pas d’existence propre (il réalise le présent ou le passé) – Le temps du roi ou comput, fondé sur les règnes : l’histoire n’est que celle des rois et de leurs gloires ou de leurs échecs – Le temps de la promesse ou eschatologie : le futur, qu’il soit religieux (parousie, retour du Messie…) ou rationnel (thème du progrès) domine le présent c’est notamment le temps de la science économique, qui cherche sa validation scientifique et éthique dans sa capacité à prévoir le futur L’État, dans ces trois cas mais de manière à chaque fois différente, assure la prise en charge et la transmission de la dette de vie, c’est-à-dire la pérennité de la société considérée, dans le passé, le présent et le futur – La dette de vie (Rospabé, 2010) implique que l’individu doit son existence à sa communauté d’appartenance, et qu’il ne peut jamais entièrement rembourser cette dette – L’État est l’institution qui permet d’exiger le service de cette dette : impôts et taxes, service militaire, corvées, esclavage, mariage, descendance… Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté A. Du groupe à l’État Un État est donc une institution ou un groupe d’institutions (méta-institution) qui – Délimite les frontières d’une société Territoriales, raciales, linguistiques, culturelles… – Contribue à perpétuer son/ses identité/s collective/s et individuelle/s – Protège cette société des dangers extérieurs Autres États et populations « hors » de l’État Menaces divines, naturelles, alimentaires… Guerre civile ou stasis – Organise des solidarités et des collaborations internes Organisation juridique Opposabilité des droits Force publique et « monopole de la violence légale » (à nuancer…) L’État est donc un outil de gestion – Des risques : risques externes (guerre) comme internes (stasis) – Des espaces : il peut s’agir d’un espace délimité, approprié ou parcouru – Du temps : l’État inscrit les humains dans une chaîne chronologique qui les dépasse, qui assure la transmission des anciens vers les nouveaux membres Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté B. L’institutionnalisation difficile de l’État Au cœur de la forma5on des États, il y a la ques5on du pouvoir, lequel repose sur deux principes : – L’autorité : la capacité d’une personne ou d’un groupe a orienter, diriger, gouverner d’autres groupes ou personnes, éventuellement en déléguant une par6e de ce pouvoir – La légi-mité : la manifesta6on de l’iden6té d’un groupe qui reconnaît comme instance légi6me de son propre gouvernement une personne (roi) ou une ins6tu6on (Parlement) La souveraineté est le lieu où s’ar5culent autorité et légi5mité – Son exercice suppose en effet de combiner l’autorité et la légi6mité du pouvoir Sans autorité, pas de décision Sans légi3mité, risque de révolte ou de sécession Schéma5quement, tous les États sont 5raillés entre ces deux pôles : – On retrouve la dis6nc6on entre la « ver6calité » du pouvoir propre à l’autorité, d’un côté, et « l’horizontalité » de la légi6mité de l’autre – Néanmoins, parce que la souveraineté est unique, autorité et légi6mité se combinent : Hobbes explique que l’exercice de la souveraineté est impossible sans le respect d’une autorité, que ce;e autorité soit une personne, une ins3tu3on ou une règle La légi3mité est forcément rela3ve : il faut en effet délimiter qui a le droit d’y par3ciper : bien souvent en ont été exclus les femmes, les étrangers, les jeunes, les condamnés… Comme l’écrit Pascal : « La jus3ce sans la force est impuissante, la force sans la jus3ce est tyrannique » Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté B. L’institutionnalisation difficile de l’État L’articulation de la verticalité de l’autorité et de l’horizontalité de la légitimité dans l’État fonde la souveraineté, qui s’observe par exemple dans son rôle de gardien du temps Ce rôle crucial explique le recours à la catégorie du sacré : – Il y a assimilation entre le salut matériel et le salut spirituel de la communauté – En sens inverse la communauté peut ordonner à des individus de se sacrifier au bien commun – le destin de la communauté dépasse celui de ses membres. C’est le principe général des guerres, mais il y a aussi des cas plus spécifiques, lorsque le salut des uns repose sur l’holocauste des autres : Les sacrifices humains, très fréquents dans les sociétés méso-américaines pré- colombiennes Les entreprises de destruction de populations jugées hostiles à l’État : juifs par les nazis, yézidis par l’État islamique, koulaks ukrainiens par Staline, citadins par les khmers rouges Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté B. L’institutionnalisation difficile de l’État En raison de ce double rôle de « gardien du temps » et d’ordonnateur du sacrifice, la personne qui incarne l’autorité a le plus souvent un caractère sacré, à moins que l’État lui-même ne devienne sacré : – Le roi de France à partir de Clovis ne devient pleinement roi qu’après un « sacre » qui est d’abord un sacrement, c’est-à-dire une cérémonie religieuse – L’empereur de Chine est « fils du Ciel », il représente le lien entre la société des hommes et le monde du divin – c’est lui qui détient les clés du temps : premier labour ; comput annuel – Le pharaon égyptien, l’empereur romain (césar) ou le Tenno (fils du ciel) japonais sont non seulement sacrés, mais divins – Le crime de « lèse-majesté » n’est pas seulement un affront physique ou symbolique : fondamentalement c’est un blasphème, une attaque contre la religion Les peines qui le punissent sont d’ailleurs infamantes, comme la roue Pour toutes ces raisons, la formation d’un État est toujours inachevée, car elle repose sur des compromis, sans cesse renégociés, comme le montre l’exemple des guerres de religion européennes Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté C. L’exemple des guerres de religion en Europe Les guerres de religion qui ensanglantent l’Europe aux XVIe et XVIIe siècles portent notamment sur la ques:on du lien entre l’État, la religion et ses sujets. Le principe dominant du « Cujus regio, ejus religio » assimile d’un point de vue religieux les sujets au Prince : choisir une autre foi, c’est non seulement être apostat, mais trahir l’État – Notez que ce principe formulé au XVIe siècle marque en fait un premier recul de la souveraineté de l’Église catholique sur l’État – puisqu’il admet qu’une « autre » religion est possible Dans ces condi:ons la guerre de religion est en même temps une croisade : elle est soutenue par les différentes Églises, qui ne peuvent admeJre la coexistence de religions différentes, ce qui signifierait la rela:vité du message divin Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté C. L’exemple des guerres de religion en Europe Toutefois, le principe du « Cujus regio » ne suffit pas à (r)établir la paix dans les grands royaumes européens : il faudrait soit les diviser en principautés autonomes dotées d’une seule foi, soit exterminer la part de la population attachée à la religion minoritaire – C’est d’ailleurs ce qui explique les politiques d’expulsion des Juifs ou des Musulmans hors d’Europe du XIe au XVe siècle ou encore l’exode des protestants français à la fin du XVIIe siècle (1685, révocation de l’Édit de Nantes) On assiste ainsi à des massacres de grande ampleur : Saint Barthélémy (1572) ; guerre de Trente ans (disparition d’un tiers de la population allemande entre 1618 et 1648) – La situation semble donc totalement bloquée puisqu’elle oppose des principes inconciliables : l’unicité éthique de la foi ; la variété des religions Des penseurs du XVIe siècle (Montaigne, Erasme, Thomas More, Michel de L’Hospital) et surtout Jean Bodin (1530-1596) vont alors poser deux principes fondamentaux : – Le pouvoir absolu de l’État – Le principe de l’ordre public On évoque souvent la question de la « tolérance » à ce propos, mais le terme est trompeur. Les deux questions centrales sont celles : – Des conditions de l’exercice de l’autorité – Des principes sur lesquels cette autorité doit être établie et donc de qui doit l’exercer Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté C. L’exemple des guerres de religion en Europe La « révolution westphalienne » de 1648 Les massacres et les guerres perpétuelles entraînés par les conflits religieux amènent les États, en s’appuyant sur les principes absolutistes posés par Bodin : – À une conception extensive de la souveraineté : « La souveraineté est la puissance absolue & perpétuelle d'une République » (Bodin, La République) L’autorité de l’État prime, dans son ressort, celle d’une Église – De cadre global, la foi devient lien social et facteur de l’ordre civil « Et d'autant que tous les Atheistes mesmes sont d'accord, que il n'y a chose qui plus maintienne les estats, et Republiques, que la religion, et que c'est le principal fondement de la puissance des Monarques, de l'execution des loix, de l'obeissance des sujets, de la reverence des magistrats, de la crainte de mal faire et de l'amitié mutuelle envers un chacun, il faut bien prendre garde qu'une chose si sacree, ne soit mesprisee ou revoquee en doubte par disputes : car de ce point là dépend la ruine des Republiques. » (Bodin, La République) Bodin indique ici que les valeurs fondent l’État, mais que ces valeurs ne sont pas propres à une seule foi : il pose les bases d’une politique distincte du pouvoir de la religion Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté C. L’exemple des guerres de religion en Europe La « révolution westphalienne » de 1648 Ainsi, lorsque la religion entraîne des désordres civils, c’est à l’État de limiter ces désordres Dès lors, la tolérance n’est que le choix de faire primer l’autorité de l’État et son objectif d’ordre public, sur l’autorité des Églises et leur objectif de détermination du Vrai – L’objet propre de l’État, c’est l’ordre public, condition de la prospérité de tous – L’objet propre de l’Église, c’est la vérité, condition du salut de tous Enfin, cela implique de donner à l’État le pouvoir d’aller contre la religion, lorsque l’intérêt collectif, déterminé par l’État le commande – C’est le point de départ de la conception « absolutiste » de l’État, qui renverse la conception antérieure d’une soumission des États à l’Église (conflit entre le Pape et l’Empereur, XIe siècle) Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté C. L’exemple des guerres de religion en Europe La « révolution westphalienne » de 1648 Cette nouvelle conception de l’État est affirmée par les conférences de Westphalie (1648), premier sommet étatique de l’histoire Elles mettent fin aux guerres de religion, érigent les États en principaux acteurs diplomatiques et consacrent les monarques comme seuls maîtres politiques de leur royaume Les Églises ne détiennent d’autorité que spirituelle : les traités de Westphalie reconnaissent l’existence de trois confessions chrétiennes en Allemagne, ce qui était inimaginable auparavant, la religion se caractérisant par son unicité – Néanmoins, en tant qu’État, l’Église catholique conserve un double pouvoir qu’elle ne perdra qu’avec l’achèvement de l’unification italienne, en 1870 Ces nouvelles conceptions de la souveraineté et de la religion seront approfondies au siècle des Lumières par Grotius, Pufendorf, Locke, Montesquieu… – Vous avez appris que les Lumières proposent de nouvelles conceptions de la liberté individuelle, influencées par la découverte des civilisation extra-européennes – Mais ce mouvement serait inconcevable sans une nouvelle conception de l’État Patrice Baubeau I. La naissance de l’État : Autorité et souveraineté C. L’exemple des guerres de religion en Europe CeSe « victoire » des États, en tant qu’ins:tu:on et organisa:on centrales des sociétés modernes, entraîne de nombreuses conséquences : La laïcisa6on : de nouveaux rapports entre autorité et souveraineté – Leur laïcisa'on, esquissée par Bodin : un droit ne dépend pas du statut religieux de la personne – cela annonce la fin du blasphème – La supériorité de droits permanents et impersonnels pour organiser les rapports entre les hommes Le « droit naturel » – Directement inspiré des enseignements religieux, il accorde aux êtres humains des droits inaliénables, car liés à leur nature d’être humain. Cela fonde encore aujourd’hui nos actuels droits de l’homme L’école catholique de Salamanque, influencée notamment par la découverte d’une « autre humanité » joue un rôle clé dans ce;e réflexion Gro3us prolonge ces analyses en réac3on aux guerres de religion La liberté économique – Bodin et ses successeurs esquissent puis promeuvent la liberté du commerce et la liberté de l’exercice des professions et des mé3ers, au nom justement de la puissance de l’État : « Pour la grandeur d’un royaume, le commerce doit être franc et libre » (Bodin, La République) La monnaie (voir infra) Dès lors, l’autorité « absolue » de l’État moderne se heurte à deux principes : – L’intérêt de la communauté, dont l’État est le serviteur – Le droit des individus, en par3culier lorsqu’il pose des principes permanents : droits naturels, neutralité de la monnaie, liberté du commerce, respect des traités Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies A. Organiser l’échange L’activité économique comporte des risques – Il y a plusieurs façons de définir l’économie, mais l’une d’elle en fait justement la science qui analyse le rapport entre le risque et le rendement (d’une décision, d’un actif…) De même, l’histoire économique étudie la dynamique qui mène : – de l’apparition d’un dilemme – à sa résolution au moins temporaire – aux nouveaux problèmes ou opportunités que cette résolution entraîne La résolution d’un problème repose le plus souvent sur une coordination. La nature et la mise en œuvre de cette coordination est donc une question clé Avec l’État (autorité), la monnaie (échange) est un des instruments de cette coordination, qui vise à en réduire les risques et à augmenter les avantages de l’échange Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies A. Organiser l’échange La monnaie avant la monnaie Le phénomène de l’échange est très ancien : des coquillages ou des pierres sont ainsi échangés sur des milliers de kilomètres avant même la naissance des États ou de la monnaie – L’obsidienne, un verre naturel volcanique, voyage par mer, dès 8 000 ANE env., dans toute la Méditerranée occidentale Trois types de biens se distinguent alors (voir aussi Testart, 2007) : – Les biens précieux qui se déplacent tout seul : Beau bétail Êtres humains : esclaves, femmes – Les biens de prestige, en général immobiles, sauf pillage : Objets associés au pouvoir ou au sacré Êtres humains « sacrés », défunts, sépultures, totems Objets précieux et en particulier métaux, perles, coquillages, gemmes, tissus fins – Les biens de valeur et de parure, objets de commerce à longue distance : Objets précieux et en particulier métaux, perles, coquillages, gemmes, Tissus fins et autres objets de l’artisanat de luxe Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies A. Organiser l’échange La monnaie avant la monnaie Dès lors, tous ces biens de grande valeur peuvent servir à évaluer d’autres objets : – D’autres biens – Des personnes : esclaves, femmes, mercenaires – Des peines ou des réparaZons : le Wergeld allemand (cf. Graeber, 2012 ) – Des travaux ou équipements collecZfs (Desan, 2014) Parmi ces biens, certains vont être « standardisés » en vue de ce`e fonc6on de mesure ou d’évalua6on de la valeur – Des métaux précieux (or, argent, électrum, fer, cuivre, bronze), en poudre, en pépite, en barre… – Des coquillages : beaux, infalsifiables, faciles à compter – Du bétail « théorique » : le « pecus » romain qui donne notre « pécuniaire », la « tête » de bétail (caput) qui donne notre « capital » – Des êtres humains ou des jours de corvée, des services (des enfants, des combats…) En Mésopotamie et en Asie Mineure, l’argent métal joue un rôle croissant et central à parUr du IIIe millénaire a.n.e., au point qu’il sert d’étalon d’échange sans forcément être manipulé matériellement (fiduciarité) Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies B. Le creuset mésopotamien Michel, 2009 Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies B. Le creuset mésopotamien Michel, 2009 Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies B. Le creuset mésopotamien Il s’agit d’une lettre d’un marchand d’Assûr à un marchand de Kanis, qui s’adresse à Pûsu-ken, un des plus fameux négociants d’Assûr. Source : Michel, 2001, p. 223. Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies C. Les trois inventions de la monnaie moderne – La transformation de cet instrument d’échange très commode – la monnaie d’argent pesée et la lettre de crédit évaluée en poids d’argent – va être complétée par l’intervention des États en trois étapes : La frappe, c’est-à-dire l’authentification de petites formes de métal standardisées en poids et en qualité – Lydie, VIIe siècle a.n.e. (Le Rider, 2000) Le recours à la fiduciarité, c’est-à-dire l’utilisation de métal ou d’objets non précieux mais dont la valeur monétaire est fixée par l’État et par l’empreinte qu’il appose sur la monnaie (Chine, VIIIe siècle a.n.e.) Le remplacement du métal par un écrit (sur du papier, de la soie…) attestant de sa valeur et convertible en métal (Chine, IXe siècle) Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies C. Les trois inventions de la monnaie moderne v La frappe Le franc à cheval de Jean le Bon, XIVe siècle Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies C. Les trois inventions de la monnaie moderne v La monnaie fiduciaire Sapèques chinoises Ligatures chinoises Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies C. Les trois invenFons de la monnaie moderne v La monnaie de papier Jaiozi chinois, XIe Billets de domaine japonais, XVIe Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies C. Les trois inventions de la monnaie moderne – Ainsi, la monnaie est une chose de l’État : il la frappe et la distribue – Elle aussi une règle que l’État s’engage à ne pas violer : Il doit gérer la monnaie pour le compte de la communauté et non pas dans l’intérêt du Prince (ou de l’État) : cela pose la question de l’inflation L’État est pris dans un dilemme : il doit assurer la stabilité de la valeur de la monnaie (long terme) et la survie de la communauté dont il a la charge (court terme) – Historiquement, la plupart des hyperinflations et des effondrements monétaires ont été causés par une surémission d’État liée à une guerre civile ou extérieure Jean Bodin se fait connaître dans toute l’Europe par sa controverse avec Jean de Malestroit (Tortajada, 1987) sur la question monétaire soulevée par la « révolution des prix » du XVIe siècle : – Malestroit publie en 1566 Les paradoxes du seigneur de Malestroit sur le faict des monnaies – Jean Bodin réplique en 1568 par Le Discours de Jean Bodin sur le réhaussement et diminution des monnoyes […] & le moyen d'y remédier & réponse aux paradoxes de Monsieur de Malestroict Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies D. La controverse entre Malestroit et Bodin Paradoxes de Malestroit Premier paradoxe Que l’on se plaint à tort en France de l’enchérissement de toutes choses, attendu que rien n’y est enchéri depuis trois cents ans. Deuxième paradoxe Qu’il y a beaucoup à perdre sur un écu, ou autre monnaie d’or & d’argent, encore qu’on le mette pour même prix qu’on la reçoit. II. la naissance des monnaies D. La controverse entre Malestroit et Bodin Quant aux vins et blés, il est Réponse de absolument certain qu’ils Bodin coûtent vingt fois plus cher qu’ils ne faisaient il y a cent ans, ce que je peux dire avoir vu au Cadastre de Toulouse, où le setier de blé, qui fait à peu près la moitié du nôtre, ne valait que 5 sous ; maintenant il coûte soixante sous au prix le plus commun, qui est 20 fois plus cher qu’il ne faisait alors. II. la naissance des monnaies D. La controverse entre Malestroit et Bodin Réponse de Quant au dernier point, qui seul peut maintenir les Bodin (suite) marchandises à prix égal, c’est l’égalité des monnaies. Car si la monnaie, qui doit régler le prix de toutes choses, est muable & incertaine, il n’y a personne qui puisse dresser un état exact de ce qu’il a : les contrats seront incertains ; les charges, taxes, gages, pensions & vaca6ons incertaines ; les peines pécu[niaires incertaines] II. la naissance des monnaies D. La controverse entre Malestroit et Bodin Réponse de Il faut donc, pour parer aux inconvénients que j’ai déduits, Bodin (suite) ordonner en toute République, que les monnaies soient de métaux simples & publier l’édit de Tacite Empereur de Rome, portant défense sous peine de confiscation de corps & de biens, de mêler l’or avec l’argent, ou l’argent avec le cuivre, ou le cuivre avec l’étain ou le plomb. II. la naissance des monnaies D. La controverse entre Malestroit et Bodin DOCUMENT Response de M. Jean Bodin aux paradoxes du Seigneur de Malestroict, 1568 Je trouve que la cherté que nous voyons vient de trois causes. La principale & presque seule (que personne jusqu’ici n’a touchée) est l’abondance d’or et de d’argent, qui est aujourd’hui en ce royaume plus grande qu’elle n’était il y a quatre cents ans. Je ne passe pas davantage car l’extrait des registres de la cour & de la chambre que j’ai ne passe pas 400 ans. Le surplus il ne faut cueillir de vieilles histoires avec peu d’assurance. La seconde occasion de cherté bien en partie des monopoles. La troisième est la disette, qui est causée tant par le transport que par le gâchis. La dernière est le plaisir des rois & gras seigneurs, qui hausse le prix des choses qu’ils aiment. Patrice Baubeau II. la naissance des monnaies D. La controverse entre Malestroit et Bodin – Ainsi, comme l’illustre Jean Bodin, l’évolu/on de l’État et de la monnaie est parallèle ou du moins le devient à l’âge moderne et confronte pouvoir de l’État et des agents privés d’une part intérêt de l’État et des agents privés de l’autre – Selon Bodin, l’absolu5sme éta5que s’étend au domaine monétaire L’État capte le monopole de l’émission monétaire sur son territoire aux dépens des seigneurs locaux et, en Europe, des évêques et des abbés – Mais en cas de difficultés, de nouveaux émeHeurs apparaissent : Angleterre, XVIIIe s. L’État établit des règles monétaires uniformes reliant une unité de compte (livre), un étalon de valeur (or) et des règles de paiement (en pièces régnicoles) – Il s’agit bien d’une norme légale et non pas d’une défini