Cours d'Héritage de l'Humanité et Histoire des Sciences - Licence I - PDF

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Université Denis Sassou N'Guesso - Institut Supérieur des Sciences Géographiques, Environnement et Aménagement (ISSGEA)

2023

Dr Mickaël ETIRI Dr Gaston AKOULI OLENGOBA

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histoire des sciences philosophie de l'écologie héritage tolérance

Summary

Ce document est un cours portant sur l'héritage de l'humanité et l'histoire des sciences, Licence I. Il présente une introduction, une bibliographie et une discussion sur des concepts comme l'héritage de l'humanité, la tolérance et la nature.

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. ANNÉE ACADÉMIQUE 2023-2024 UNIVERSITÉ DENIS SASSOU N’GUESSO Institut Supérieur des Sciences Géographiques, Environnement et Aménagement/ ISSGEA COURS D’HÉRITAGE DE L’HUMANITÉ ET HISTOIRE DES SCIENCES...

. ANNÉE ACADÉMIQUE 2023-2024 UNIVERSITÉ DENIS SASSOU N’GUESSO Institut Supérieur des Sciences Géographiques, Environnement et Aménagement/ ISSGEA COURS D’HÉRITAGE DE L’HUMANITÉ ET HISTOIRE DES SCIENCES LICENCE I Dr Mickaël ETIRI Dr Gaston AKOULI OLENGOBA BIBLIOGRAPHIE Dubourdeau Ariane, Les grands textes fondateurs de l’écologie, Paris, Flammarion, 2013. Bachelard G., La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938. Fichant M., l’idée d’une histoire des sciences, Paris, Maspero,1969. Duchemin Éric, La gouvernance à l’épreuve des enjeux environnementaux et des exigences démocratiques, Montréal, Editions Vertigo, 2011. Dupuy Jean-Pierre, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2002. Grange Julientte, Pour une philosophie de l’écologie, Paris, Pocket, 2012. Hans Jonas, Le principe responsabilité, Paris, Flammarion, 1990 (1979). Jean Marie Minyem, Descartes et le développement, Paris, L’Harmattan, 2011, p.15. Rousseau Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Paris, Librairie Générale Française, 2013. Rousseau Jean-Jacques, Discours sur les sciences et les arts, Paris, Librairie Générale Française, 2013. PRESTON C. J., 1998, “Epistemology and intrinsic values: Norton and Callicott’s critiques of Rolston”, in Environmental Ethics, 20, 4, 405-422. LÉOPOLD A., 1995, Almanach d’un comité des sables, Paris, Aubier. ARISTOTE, 2008, Métaphysique, présentation et traduction par Marie Paule D. et Annick Jaulin, Paris, Flammarion. HANS Jonas, 1990, Le principe responsabilité, Paris, Flammarion. DEMOUGE G., 2002, Rousseau ou la révolution impossible, Paris, L’Harmattan. 1 INTRODUCTION Certaines réalités ont une envergure planétaire et constituent, pour ainsi dire, des héritages de l’humanité. Parmi ces biens communs du monde figurent bien la tolérance comme héritage éthique et l’environnement comme héritage naturel. La tolérance et l’environnement sont des réalités qui rendent l’humanité possible (tolérance) et rendent d’énormes services à l’humanité (environnement). L’homme se doit de tolérer l’autre et la nature, et d’établir une véritable alliance avec l’environnement afin de suspendre le cycle infernal des changements climatiques et de permettre à la nature d’assurer à la fois son développement et celui de l’humanité. Telle est la vocation du premier mouvement de ce cours, qui est suivi de l’exploration des contours de l’histoire des sciences. Car la science est aussi un héritage culturel de l’humanité qui se métamorphose à travers des générations : la science antique, la science moderne, la technique et la technologie. I. HÉRITAGE DE L’HUMANITÉ 1. La définition Un héritage de l’humanité peut s’entendre comme un bien naturel, moral, culturel, spirituel, artistique, politique, etc., dont l’ampleur et le salut traversent les temps, les espaces et les sociétés, pour revêtir un statut universel. Il s’agit d’une réalité qui intègre l’ensemble de l’humanité et qui se transmet de génération en génération. En clair, un héritage de l’humanité est un bien commun de l’humanité qui se transmet de génération en génération. Il s’agit d’une réalité spirituelle, morale, naturelle, culturelle, etc. qui touche l’ensemble du genre humain et qui traverse les temps. L’ampleur mondiale et l’intemporalité sont alors des caractéristiques qui portent la profondeur de la notion d’héritage de l’humanité. C’est dire que pour qu’un héritage (un patrimoine qui est transmis comme par succession) soit dit de l’humanité, il faudrait qu’il opère dans l’ensemble du cosmos humain. L’héritage de l’humanité n’est donc pas à confondre avec l’héritage sans épithète, du fait de son envergure et de sa posture mondiale. 2. Des héritages moral et naturel de l’humanité 2.1. La tolérance comme héritage moral de l’humanité 2.1.1. Définition de la tolérance La tolérance est une notion complexe et recèle nombre de significations. Il est assez difficile de circonscrire son ampleur sémantique. Néanmoins, l’étymologie et la reconstitution diachronique de ses pas permettent d’en avoir une idée claire. Du latin « tolerantia » qui 2 signifie « constance à supporter, endurance, patience », la tolérance désigne, étymologiquement, la capacité à supporter la douleur. C’est en ce sens que la notion apparait à partir du XIVe siècle. Elle est alors inscrite dans une perspective physique, et renvoie à la vertu de tout être faible, destiné à vivre avec des êtres qui lui ressemblent (encyclopédie). La tolérance est donc née dans une posture d’impuissance de l’homme face à une réalité qui marque sa finitude ontologique. Il y a déjà des intuitions morales dans ce premier sens du mot. Car il s’agit de la prise de conscience de l’homme face à des réalités qui s’inscrivent au- delà de ses pouvoirs. Dans la vie, il y a des situations qui ne peuvent pas ou ne peuvent plus être changées. L’homme doit s’y incliner simplement, et c’est cela la tolérance au sens primordial. C’est en se référant à cette première signification que Locke entend la tolérance comme le fait de cesser de combattre ce que l’on ne peut changer. Le concept a pris de l’ascenseur pour s’inscrire dans une tendance essentiellement morale. C’est à partir du XVIe siècle que la tolérance revêtit une posture moderne qui en fait une véritable vertu morale. Elle désigne ainsi la valeur morale qui porte à laisser se produire un événement ou un comportement qu’on aurait le droit et/ou le pouvoir d’empêcher. Il s’agit d’un tournant radical qui fait passer le tolérant de la position de faiblesse à la position de force. On ne tolère plus par nécessité mais par devoir. C’est dans ce sens qu’on attribue, à tort ou à raison, à Voltaire cette célèbre maxime de la tolérance : je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. Tolérer est de ce fait permettre ce que l’on désapprouve. C’est au XVIIIe siècle que la notion prit une ampleur à la fois éthique et juridique. Elle se définit comme l’acceptation de la différence. C’est-à-dire la reconnaissance des droits de l’autre à s’exprimer, à faire et à vouloir ce qui ne rencontrerait votre assentiment. Ce sens tient des pensées morales consécutives à la situation tumultueuse de l’Europe d’à partir du XVIIe siècle, caractérisée par la guerre des religions et la consécration des classes sociales. Ce sont Locke (Lettres sur la tolérance) et Voltaire (Traité de la tolérance) qui se sont érigés en médiateurs pour donner des leçons de morale à l’humanité. La tolérance est un concept fédérateur qu’ils ont mis en route pour cultiver la liberté des consciences, l’égalité et la possibilité de l’unité dans la divergence. De nos jours, la tolérance devient l’accueil de l’altérité pour la construction d’un cosmos humain horizontal. Elle désigne le fait d’accepter l’autre tel qu’il apparait, c’est-à-dire sans lui imposer nos convictions sociologiques, politiques, religieuses ou culturelles. C’est dire que la tolérance opère dans plusieurs sphères de la vie sociale et revêt plusieurs figures. 3 2.1.2. Les figures de la tolérance La tolérance est une valeur morale très transversale. Elle intègre nombre de pôles sociaux en vue d’inscrire la culture de la cohésion sociale et de la paix perpétuelle. Quoiqu’il soit difficile de faire la circonscription de tous les domaines d’application de la tolérance, il est tout au moins nécessaire d’explorer les sphères sociales dans lesquelles l’appel de la tolérance est plus expressif. Il s’agit des domaines de la société en général, de la politique, de la religion et de la culture. L’homme est, par nature et/ou par culture, un être social. Il se définit par l’appartenance à un groupe, une organisation ou une structure sociale. Et, comme l’estime bien Jean-Jacques Rousseau, « la plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille »1 ; et de la famille, l’homme s’ouvre au monde engendrant progressivement le clan, la tribu, l’ethnie, la nation, le continent, la planète. Ces différentes séquences du phénomène de socialisation s’inscrivent sur une ligne dialectique et évolutive. Le sentiment d’appartenance à une structure supérieure doit se construire sur la base d’un dépassement éthique de la structure inférieure. C’est le principe de l’idée de sociétés globales : « les multiple et divers groupes humains (familles, communautés locales, syndicats, associations, partis politique, Églises, bandes, etc.) s’articulent les uns aux autres dans des ensembles plus larges. Il implique en second lieu que ces ensembles soient fortement intégrés, de sorte que leurs membres ressentent entre eux une solidarité profonde »2. Donc, par principe, l’élargissement de notre intuition sociale suppose l’intégration forte et l’éclipse des gestes du repli identitaire. La tolérance sociale est sans doute le pont éthique qui enjambe les individualités, les races, les ethnies, les nations et les continents, pour chercher l’unité dans la diversité. Les groupements humains et les contingences biologiques et culturelles sont des réalités qui ne sauraient disparaitre sociologiquement, et la conscience collective se doit de s’y adapter à travers l’acceptation mutuelle. Autant notre opinion, notre culture, notre langue, notre ethnie, notre tradition, notre genre, notre race etc. a le droit de cité, autant ceux de l’autre ou des autres a (ont) le droit d’exister. Nous devons ainsi accueillir l’autre tel qu’il apparait partout et à toute occasion. Cette hospitalité mutuelle est celle que Charles Zacharie Bowao appelle de tous ses vœux et érige en mot d’ordre de la vie académique. Pour lui, l’université est le lieu symbolique de la tolérance sociale comme préalable obligé et totem de la grandeur d’esprit. Donnons la parole à l’auteur de La Tolérance lui-même : « il reste tout de même un lieu 1 J. J. Rousseau, Du Contrat social, Paris, GF. Flammarion, 2001, p.46. 2 M. Duverger, Sociologie de la politique, Paris, PUF, 1973, p. 37. 4 symbolique qui, à la lisière des sociétés humaines et des composantes de chacune d’elle, inscrit la tolérance au fronton de son entrée, notre alma mater : nul n’entre ici s’il n’est tolérant. C’est l’université, notre mère nourricière, ce lieu que l’on peut considérer comme celui de l’hospitalité universelle »3. Du grec polis, cité, la politique est d’emblée l’art de gouverner la cité. Cette définition primordiale s’est élargie pour couvrir toutes les organisations humaines ; elle est devenue l’art de diriger une structure sociale, c’est-à-dire la gouvernance de toute organisation (pays, entreprise, association, institution, etc.). La tolérance politique désigne par conséquent la culture de l’acceptation de la différence dans l’organisation et la gouvernance des organisations. La démocratie suppose l’existence d’une volonté générale homogène, c’est-à-dire un dépassement systématique des subjectivités en vue de la construction d’une subjectivité commune appelée Volonté générale. Et cet acte de concession mutuelle des subjectivités est ce que les philosophes jus naturalistes appellent contrat social, et que nous appelons humblement baptême de la tolérance. Car il s’agit là d’une acceptation volontaire des différences autour de l’intérêt commun. Le contrat social est bien un acte de tolérance grandeur nature. Il est le dépassement des clôtures identitaires à l’effet de bâtir une voix commune qui, dans l’espace démocratique, constitue le verbe d’autorité. La démocratie nait de la tolérance et constitue l’expression expressive de la tolérance politique. Le symbole de cette tolérance mutuelle est le sens même du mot peuple, car, dans les entrailles de ce concept gîtent harmonieusement les contingences biologiques, les couches sociales, les sensibilités intellectuelles, les tendances politiques, etc. appelées à faire leurs valises en faveur de l’unité du corps politique. Les citoyens, égaux en droit, s’acceptent sans condition pour construire la volonté générale. Cette tolérance réciproque et égalitaire est sans l’ombre d’aucun doute une tolérance horizontale. Et, comme dans la gouvernance la démocratie suppose une hiérarchisation de l’autorité, la tolérance y devient aussi verticale, à l’image des sociétés monarchiques et aristocratiques. En conséquence, dans l’enclave démocratique, la tolérance est horizontale dans les fondements de l’autorité et verticale dans le jeu de la gouvernance. Cette ampleur fait de la tolérance un élan vers une considération universelle, c’est-à-dire vers une nouvelle perspective des relations humaines, qui sublime l’unité du monde autour de la reconnaissance de la diversité comme valeur et vecteur de la grandeur d’âme. La tolérance 3 Ch. Z. Bowao, La Tolérance, Brazzaville, Ed. Hemar, 2007, p.17. 5 doit pénétrer dans les âmes pour fonder un nouvel ordre de la foi, d’autant plus que politique et religion sont des voisines proches. La tolérance est le concept fédérateur et régulateur de la vie sociale. Elle s’impose dans les organisations et dans la diplomatie des organisations afin de faire entendre un discours de la réconciliation des consciences et des idéologies. C’est dans cette perspective qu’elle s’élève à la rationalité pratique pour entendre raison aux extrémismes religieux. Elle s’installe dans les âmes et communique au cœur l’ordre de la diversité. Que Dieu soit unique ou pluriel, noir ou blanc, personnifié ou pas, de la descendance d’Ismaël ou d’Isaac, père ou fils, père et fils, au ciel ou sur la terre, représenté ou jamais, de la gauche ou de la droit, etc., il est Dieu, dogme de toutes religions. Il constitue alors une raison suffisante pour que les religions et les religieux puissent communiquer et se reconnaître. C’est tout le sens de cette assertion de l’auteur de Lettres sur la tolérance : « ce que je viens de dire de la tolérance mutuelle que se doivent les particuliers, qui diffèrent de sentiment sur le fait de la religion, doit aussi s’entendre des Églises particulières, qu’on peut regarder, en quelque manière, comme des personnes privées, les unes à l’égard des autres »4. Cette tolérance est du reste conforme à l’évangile du Christ qui tendait à l’universalité et au bon sens humain. Voltaire, lui, met un accent singulier sur la force de ce qui nous unit par rapport à ce qui nous divise sur fond d’idéologie religieuse. Un fait réunit tous les humains, c’est leur appartenance à l’humanité ou mieux à la nature humaine qui les distingue d’autres sphères de l’être. Que l’on soit de telle ou telle religion, nous sommes tous des frères humains ; et cela s’inscrit au- delà de toutes les contingences. Pour Voltaire, « il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que des chrétiens doivent se tolérer les uns les autres. Je vais plus loin : je vous dis qu’il faut regarder tous les hommes comme nos frères »5. L’avenir de la religion réside dans la religion d’avenir, celle qui s’ouvrera entièrement aux autres et fera de la tolérance le dogme primordial. Tel a été le vœu ardent de Locke et Voltaire pour l’avenir de la communauté religieuse que Bowao a renouvelé et que nous relayons avec insistance. C’est dire que la tolérance est devenue le problème des intellectuels, qui doivent le penser et le professer par l’attraction de l’exemplarité. L’intellectuel est donc 4 J. Locke, Lettre sur la tolérance, Trad. Jean Le Clerc, Paris, Flammarion, 1710, p. 13. 5 Voltaire, Traité sur la tolérance, Paris, Garnier- Flammarion, 1989, p. 137. 6 celui qui communique aux autres ce qu’il pense et accueille les pensées des autres dans le cadre d’une tolérance mutuelle. Nous prenons le terme culture ici sous l’angle élastique de tout ce qui s’obtient après la naissance et, plus particulièrement, de la science et de la civilisation. Depuis la fin du règne de la philosophie au sens large de toute connaissance rationnelle, le savoir scientifique s’opère dans des structures objectivement autonomes. Cette catégorisation met au jour une typographie des connaissances qui fait de scientifique spécialiste de telle ou telle discipline scientifique. C’est le souci d’approfondir les connaissances qui porterait ce fait, mais les acteurs se sont détournés et se détournent de plus en plus de cette noble fin de la classification des sciences pour devenir des militants des domaines dans lesquels ils se sont spécialisés. Chacun célèbre la gloire de sa science et tient les autres disciplines et leurs acteurs en adversaire. Cette intolérance scientifique corrompt les esprits et rétrécit les horizons des intellectuels. La tolérance culturelle est d’emblée l’inscription de l’interdisciplinarité au cœur de l’élan scientifique afin de faire avancer les savoirs sur la base d’une collaboration éthique. Car, que l’on veuille ou pas, le philosophe a besoin du biologiste pour comprendre les manœuvres de son corps, l’historien a besoin du philosophe pour entendre son destin sur la terre ou les procédés de la gouvernance de la cité, l’économiste a besoin du géographe pour circonscrire l’environnement dans lequel il évolue, etc., comme pour dire que toutes les sciences ont, chacune dans sa terre de prédilection, un rôle à jouer. Elles ont toutes un même ennemi, l’ignorance, et un même serment, éclairer l’humanité sur les contours et la complexité de l’être En substance, la tolérance revêt nombre de figures qui gravitent toutes autour de l’unité et de la construction de l’universel sur fond de la complémentarité éthique. Et cet idéal fait de la tolérance le concept moteur du devenir de l’humanité. C’est dire que la tolérance est un enjeu civil, politique, religieux et culturel d’importance incontournable. Elle recèle plusieurs priorités et constitue le sésame de la réalisation des ambitions de l’existence. 2.1.3. Les enjeux de la tolérance La vertu de la tolérance dispose de nombre d’enjeux qui mettent en perspective l’idée d’une société à moindre mal et du bonheur de la vie sociale. En effet, la tolérance est un geste fondamental de la reconnaissance des droits et du droit à la différence. L’accueil de l’autre dans son autre, c’est-à-dire dans sa différence de comportement, de conviction, d’agir, d’origine, d’opinion, etc. suppose un sentiment intime de reconnaissance de celui-ci comme 7 une fin en soi et comme une valeur intrinsèque à admettre comme telle et à promouvoir, sans violer son intimité ni se laisser avaler par son extrémisme. Être tolérant c’est en fait se rendre compte de ce que l’on est et avoir conscience de l’impossibilité d’être tout en même temps ; donc avoir conscience de sa finitude ontologique et mettre en route l’intuition de la diversité comme expression de la reconnaissance de soi et de l’autre. Car, se rendre compte de ce que l’on est suppose la reconnaissance de l’autre et la mise en valeur de la différence. La tolérance fait de la différence le socle de la prise de conscience de sa situation et de l’impératif de la présence de l’autre. Il faudrait admettre la présence de l’autre pour comprendre la situation de notre existence. L’autre a le droit d’être et d’être reconnu comme tel. Cette reconnaissance valorise l’existence et donne la mesure et la valeur de la diversité. La tolérance est alors une perspective sur les droits de l’autre, c’est-à-dire la reconnaissance de la valeur des opinions, des attitudes, des civilisations, etc. qui diffèrent des nôtres. La tolérance est aussi le mythe fondateur de la paix. De fait, nous entendons la paix ici dans deux sens progressistes et sans antagonisme. Il s’agit de la paix comme l’état de la tranquillité de l’esprit et de la paix comme absence de la guerre, c’est-à-dire la tranquillité de la société. La tolérance semble être la solution miracle à la guerre permanente dans la société. La tolérance fait office d’interface salutaire entre les convictions, qui engage un dialogue systématique entre les parties et met en œuvre le processus de paix. Ce n’est pas en fermant la raison dans les raisons des tendances politiques ou religieuses que l’on instaurera un ordre pacifique dans le monde, mais plutôt en reconnaissant les droits d’existence et de prospérité de chaque opinion ou doctrine, quelle que soit la différence. C’est dire que la paix du monde réside dans la paix des différences, c’est-à-dire dans la mise en pratique de la tolérance.. L’on ne saurait perdre de vue l’une des plus amples et fondamentales vocations de la tolérance : la cohésion sociale. La tolérance est l’expression et l’initiative de l’harmonie dans la société. Elle met en chantier et valorise l’idée d’une société fondée sur la conscience de la diversité sociale, politique, religieuse, artistique, littéraire, médiatique, philosophique, etc. Dans cette cité tolérante, chacun a un rôle à jouer et l’ensemble de ces vocations forme une homogénéité qui conjugue une symétrie de responsabilité dans la construction du bonheur de la communauté. La tolérance dans toutes les sphères professionnelles, à l’université, dans toutes les écoles, dans les quartiers, à la maison, à la salle de jeu, au stade de foot, dans les confessions religieuses, etc., étouffe l’affirmation ostentatoire des identités et crée une cohabitation qui agrémente la cité. 8 En clair, la tolérance est une expression de la reconnaissance des droits de l’homme et du droit à la différence, qui génère la paix et la cohésion sociale. Mais cela n’exonère guère la tolérance d’une lecture éthique de son application en vue de circonscrire sa profondeur et de pointer l’imposture de l’intolérable. 2.2. L’environnement comme héritage naturel de l’humanité : de la crise environnementale à la révolution verte La planète est aujourd’hui le théâtre d’une crise environnementale qui inquiète les consciences et préoccupe tout le cosmos humain. Celle-ci se manifeste au travers des catastrophes naturelles et de la relativité des traditions météorologiques. Ces phénomènes ne sauraient plonger leurs racines dans une fatalité divine ou naturelle. Il s’agit plutôt des ondes de choc des attitudes et des pratiques du progrès techno-scientifique. C’est l’homme qui est au cœur de la souffrance de la nature, et qui se devrait d’y apporter des réponses adéquates. C’est dans cet esprit que se situe la naissance et la pleine justification de l’éthique de l’environnement. Il s’agit d’une volonté de refonder le comportement humain à l’égard de la nature et de fonder une culture de la reconnaissance de la nature (biocentrisme), de l’union de la communauté biotique (écocentrisme) et de la consécration des valeurs environnementales dans une attitude pratique (pragmatisme). Mais l’expérience prouve, sans conteste, la relativité de toutes ces doctrines face à la crise environnementale. Ainsi, l’idée d’une nouvelle civilisation de l’éthique de l’environnement s’impose avec acuité. Tel est le destin du concept paradigmatique de qualitativisme qui porte la singularité et la vocation de cette réflexion. Le qualitativisme est une rencontre éthique des qualités morales et des valeurs environnementales en vue de l’émergence d’un monde paisible, c’est-à-dire un univers où l’homme conjugue bien les ambitions du progrès et la question environnementale, où le souci de la nature passe avant l’idéal du progrès, où la nature est une fin en soi et non un simple moyen, etc. Par conséquent, ce travail se propose de réaliser une révolution verte qui met en perspective une nouvelle civilisation environnementale à même de garantir le salut de la nature et le mythe du développement humain. 2.2.1. La crise environnementale et la responsabilité humaine 2.2.1.1. La crise environnementale La nature est aujourd’hui en proie à une énorme crise caractérisée par de tragiques catastrophes naturelles, notamment des érosions récurrentes, des inondations dévastatrices, des tsunamis de grande fureur, des canicules asphyxiantes, des sécheresses très austères, des séismes sinistres, des éruptions volcaniques, des ouragans effrayants, des crues marines 9 inquiétantes, des pluies torrentielles, des soleils accablants, des effondrements impromptus des bâtis, des changements climatiques , etc., et l’érosion de la biodiversité au travers de l’éclipse de certaines espèces animales et végétales. Cette crise étrangle l’humanité et endeuille des familles, des peuples, des nations et des continents. Il s’agit d’une véritable tragédie du temps présent, qui infernalise l’ici-bas. La question environnementale devient de plus en plus préoccupante, suscitant ainsi un engagement collectif à l’échelle planétaire. C’est tout le sens de l’organisation de plusieurs messes autour de la question de la préservation et de la conservation de la nature. Les annales de l’histoire en retiennent une série d’accords à l’issue des Conférences de parties : Cop 1, Cop 2, cop 3, Cop 27, etc. Ces initiatives au destin relatif sont aujourd’hui mises à rude épreuve par l’ampleur de la question et la relativité de la nature humaine. Elles semblent se mettre à l’œuvre de la thérapie d’un mal sans en chercher d’emblée la cause, ou plutôt sans insister assez sur la nature de l’agent pathogène. Ainsi, cette réflexion se propose de partir de ce pied de la responsabilité pour en proposer une pharmacopée éthique. L’on ne peut avoir un effet sans cause. D’où vient la crise environnementale ? Qui en est le responsable ? Pour répondre à cette question, il convient de faire une phénoménologie des hypothèses et une histoire de la prise de conscience. 2.2.1.2. La responsabilité humaine Il se trouve que l’homme justifie son existence sur terre et le cours des événements qui structurent le destin de l’humanité par une chaine de causalités qui débouche sur l’idée d’une entité divine comme cause causante de tout, y compris, logiquement, des catastrophes naturelles. Si Dieu est le promoteur de l’univers et le maître des temps et des circonstances, qu’est-ce qui pourrait advenir dans le monde sans qu’il n’en soit l’auteur ? Telle semble être l’intuition immédiate de l’excès de croyance, qui restera désarmé et muet sur la suite du raisonnement par défaut de preuve. Il est difficile voire contre la croyance de situer le bon Dieu au cœur de la crise environnementale, d’autant plus que la théodyssée enseigne que Dieu, étant infiniment bon, ne saurait être l’auteur du mal. Le raisonnement scientifique repose sur la loi de la preuve et ne peut inviter toute divinité à comparaître au tribunal de l’histoire pour les faits de la souffrance de la nature. Peut-être que la nature est de nature fragile et constitue la cause de sa propre souffrance. Une cause peut être interne ou intrinsèque à une réalité. Cependant, cette hypothèse est, à l’image de celle de Dieu, très difficile à prouver. Il n’est pas possible de faire une incursion scientifique dans les secrets de l’existence de la nature en vue de se rendre compte et de 10 rendre compte de son destin. La science est dépouillée des pouvoirs sur-naturels à même d’expliquer la souffrance de la nature par la nature. Reste alors l’hypothèse de l’homme. Si Dieu et la nature ont plaidé non coupables et sont acquittés par la haute cours de la rationalité scientifique, l’homme, lui, doit plaider coupable. C’est l’homme qui est au cœur de la souffrance de la nature. C’est la nature de la relation de l’homme avec la nature et l’action de l’homme sur la nature qui provoquent les catastrophes naturelles et le déséquilibre climatique. L’homme est le responsable absolu de la souffrance de la nature, et cette responsabilité est à la fois théorique et pratique. La responsabilité théorique La naissance de la science dans l’Antiquité et la révolution scientifique ont engendré, dans l’esprit de l’homme, un sentiment de supériorité à l’égard de la nature et un anthropocentrisme qui discriminent la nature. L’homme se hisse à une hauteur ontologique qui en fait le roi du monde. Et Descartes d’écrire que la science nous rend « maître et possesseur de la nature »6. Cet hégémonisme humain consacre la domination de l’homme sur la nature et dresse la perspective de la souffrance de la nature. L’homme doit ainsi dominer, écraser et contrôler la nature. Emmanuel Kant justifie cette hauteur par le fait que l’homme est le seul être vivant qui dispose de la raison et qui est une fin en soi, c’est-à-dire une valeur intrinsèque exclusive. Grâce à la raison, l’homme est doué de moralité qui évoque l’humanité et la dignité, comme empreintes de sa supériorité ontologique. Pour Kant, « la moralité, ainsi que l’humanité en tant qu’elle est capable de moralité, sont donc les seules choses qui aient de la dignité »7. Dépourvus de raison et de conscience, les autres entités naturelles n’existent que pour l’homme, qui y donne de la valeur. Les animaux, la terre, les eaux, les minerais et les végétaux n’ont de valeur naturelle et ne sauraient faire objet de dignité. Car, « sans les hommes, la créature tout entière ne serait qu’un simple désert, inutile et sans but final »8. La nature a alors le destin cruel de servir de pâture à l’homme, il ne faudrait pas accuser l’homme d’en faire la proie facile. En exploitant la nature, l’homme ne fait que l’accompagner dans sa fatalité. Cet anthropocentrisme se radicalise à travers le matérialisme utilitariste qui instrumentalise la nature et y reconnait le statut de simple moyen dont l’homme se sert pour réaliser ses fins 6 R. Descartes, Discours de la méthode, Paris, GF Flammarion, 2000, pp. 98-99. 7 E. Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. Fr., Œuvres philosophiques, t. II, Paris, Gallimard, 1985, p.295. 8 E. Kant, Critique de la faculté de juger, trad. Fr. Paris, Gallimard, 1985, p.585. 11 utilitaires. Lhomme doit absolument transformer la nature pour réaliser son idéal de développement. C’est dans cette veine que Karl Marx affirme dans la onzième thèse sur Feuerbach : « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières, ce qui importe, c’est de le transformer »9. La transformation sans pitié de la nature devient une nécessité existentielle et la matrice du développement de l’humanité. L’homme ne doit pas seulement dominer et exploiter la nature, il doit aussi et surtout l’exploiter, la ruiner, malmener, la transformer, etc. pour son bien. La responsabilité pratique Cette conviction environnemencide, c’est-à-dire cette tendance à l’extermination de l’environnement, a atteint son pic à travers la révolution industrielle. En réalité, la révolution industrielle est le coup de grâce de l’homme sur la nature qui accélère la surexploitation de la nature. Le développement industriel est de fait le développement de la souffrance de la nature. C’est pourquoi les pays dits développés sont ceux qui font plus du mal à la nature. L’idéal de développement se généralise et généralise la souffrance de la nature. L’humanité se développe au travers du processus d’industrialisation qui étrangle l’environnement. L’agriculture participe à la déforestation et à la pollution, l’exploitation minière appauvrit le sous-sol, la pêche et la chasse provoquent l’érosion de la biodiversité, les activités industrielles polluent énormément l’atmosphère et causent l’effritement de la couche d’ozone, les objets plastiques fragilisent les sols, l’occupation anarchique des terrains entraine des érosions, etc. Toutes ces activités humaines amorcent l’apocalypse environnementale, asphyxient le monde et provoquent les changements climatiques qui rendent la vie infernale sur la terre. Nous sommes tous adeptes du développement, nous aimons le développement, nous participons tous au développement ; donc nous sommes tous coupables de la souffrance de la nature, nous avons le sang de la nature sur nos mains et refusons d’écouter les cris de détresse de la nature. Cependant, cette responsabilité collective à l’échelle planétaire varie selon les degrés de participation au phénomène dantesque de pollution. La cause prépondérante de la crise environnement est sans doute les émissions des gaz à effet serre. En évidence, l’atmosphère est la couche d’air qui environne la planète, en particulier la terre. Elle assure la qualité de vie sur la terre et les traditions météorologiques. Cependant, les activités humaines émettent des gaz toxiques dans l’air, notamment le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4), qui offensent la qualité de l’atmosphère, entrainent des maladies 9 K. Mars, Onzième thèse sur Feuerbach, Paris, éditions Sociales, 1986, p. 67. 12 et provoquent des changements climatiques et leurs conséquences (catastrophes naturelles). Tel est le mécanisme de la pollution dont on parle à la radio, à la télévision, dans les journaux et dans les réseaux sociaux. Ce sont de grandes industries des puissances économiques du monde qui émettent plus de substances toxiques et étranglent toute l’humanité. Pour faire clair, les cinq (5) plus grands pollueurs au monde sont : la Chine, les USA, la Russie, …Ces pays participent à eux seuls à plus de 50% de la pollution de l’atmosphère, afin d’assurer leur développement économique. Toute l’Afrique y participe à moins de 8% seulement. L’Afrique est alors victime climatique du développement industriel des pays dits développés. Comme le développement colonise les consciences de façon irréversible, ces grandes économies du monde se réservent d’adopter des attitudes écologique austères afin de suspendre le cycle infernal de la pollution et par conséquent de libérer la planète de la colonisation climatique. Les avancées scientifiques prouvent que le monde subsiste aujourd’hui grâce à l’existence des trois grands bassins tropicaux du monde, notamment le bassin de l’Amazonie (Amérique du sud), le bassin du Congo (Afrique centrale) et le bassin Bornéo – Mékong (Asie du Sud-Est), qui représentent 80% des forêts tropicales du monde. Ces forêts interceptent, stockent et séquestrant des gaz à effet de serre émis dans l’air et purifient de facto l’atmosphère. Ces massifs forestiers empêchent tant soit peu les changements climatiques et leurs tragiques conséquences. Ce sont précisément l’écosystème forestier de ces trois bassins et les tourbières, dont le bassin du Congo constitue la première réserve mondiale, qui rendent ce noble service à l’humanité. En clair, c’est grâce à ces trois bassins que le monde existe encore, que nous respirons, que la vie sur terre est encore possible, etc. Aussi ces trois bassins forestiers tropicaux abritent-ils 2/3 de la biodiversité du monde, ce qui en fait les plus grands parcs de la planète et un enjeu touristique mondial. La question subséquente est de savoir si ces trois grands bassins de la planète garderont leur serment primordial de la promotion de la protection de la planète au détriment du développement économique des populations riveraines, ou s’ils emboiteront le pas du progrès pour devenir des puissances économiques et pollueurs de l’atmosphère, à l’image des pays industrialisés. Les trois bassins doivent choisir entre le développement et la nature. Tel est en effet l’enjeu fondamental du rendez-vous de Brazzaville du 26 au 28 octobre 2023. Ce sera donc à Brazzaville que le destin du monde se jouera. Ainsi, face à cette complexité en perspective, nous préconisons l’hypothèse responsable de la réconciliation éthique des idéaux de la modernité et de la conservation de l’environnement 13 autour de l’idée d’un nouveau pacte environnemental appliqué par toute les parties. Il s’agit de choisir le développement et la nature, ou plutôt de l’un au détriment d l’autre. Le développement et la nature ne sont pas inconciliables. Le sommet de Brazzaville, par-delà la quête légitime des compensations, devrait dresser une nouvelle doctrine de l’environnement qui déterminera l’avenir de l’humanité. Cette philosophie de la nature issue du génie du Sud et des populations foncièrement impliquées dans la question environnementale, portera une révolution dans la diplomatie climatique et consacrera le management des pays du Sud sur cette complexe problématique. Il convient alors d’opérer une révolution verte. 2.3. La révolution verte L’expression « révolution de verte » semble libérer sa substance dans la clarté des termes qui la composent. La « révolution » renvoie au changement de paradigme, à une évolution systématique dans la façon de penser ou de réaliser un idéal ; et l’épithète « verte » attachée à la notion de révolution ici incarne la dimension de la nature, la communauté des choses et la biodiversité. La révolution verte est, par conséquent, un appel au changement de mentalité à l’égard de la nature et à la refondation de la philosophie environnementale en cours dans le monde. Il s’agit de revisiter la diplomatie climatique, de fonder une nouvelle civilisation environnementale et d’inventer un dispositif coercitif qui protège systématiquement l’ensemble de la biodiversité. En clair, la révolution verte est la refondation de la diplomatie climatique, du rapport de l’homme avec la nature et la mise en place d’une législation environnementale très coercitive. 2.3.1. La refondation de la diplomatie climatique Le cosmos humain est divisé en deux blocs économiques, à savoir : le bloc des pays développés et celui des pays sous-développés. Les pays développés sont industrialisés et portent la dénomination de pays du Nord. Ils abritent moins de 20% des forêts tropicales du monde, mais émettent plus de gaz à effet de serre pour polluer l’atmosphère. Ils étranglent la planète et provoquent des changements climatiques. Cependant, les pays sous-développés, qui abritent 80% des forêts tropicales du monde, émettent de moins en moins du carbone dans l’air. Grâce aux trois bassins forestiers qu’ils abritent, ils captent et séquestrent une grande quantité du CO2 émis par les puissances économique. Mais ces services salvateurs s’inclinent peu à peu devant les ambitions de développement, et une prise de conscience de la gravité de la question climatique devient de plus en plus présente. Il s’agit de mettre en être une véritable diplomatie climatique afin de suspendre le cycle infernal des changements climatiques. 14 Ainsi, en 1992, les Nations Unis adoptent une convention sur les changements climatiques à Rio de Janeiro et institue l’initiative de l’organisation annuelle de la Conférence des Parties (COP). Après une hibernation de trois ans, cette politique sera mise en œuvre à partir de 1995 avec l’organisation de la COP1 à Berlin en Allemagne. Depuis 1995, les pays du monde se réunissent chaque année lors des COP pour parler du climat et de la lutte contre le réchauffement climatique. L’on note la COP2 de Genève en 1996, la COP3 de Kyoto de 1997, la COP15 de Copenhague en 2009 etc. Toutes ces Conférences des Parties ont été consacrées aux négociations et ont été relativisées par les agitations des États-Unis et de la Chines, deux grands pollueurs de la planète. C’est à Paris, lors de la COP21, que les parties sont parvenues à un accord historique sur les changements climatiques. Le monde s’engage à réduire significativement les effets anthropiques des changements climatiques, avec en ligne de mire -55% d’émission de gaz à effet de serre en 2030 pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour y parvenir, plusieurs d décisions sont pris : l’évaluation du bilan mondial des progrès collectifs accomplis tous les cinq ans, l’atténuation systématique de l’émission des gaz à effet de serre, les mesures d’adaptation, la mise à la disposition des pays sous- développés des fonds (fonds d’atténuation, fond d’adaptation, fond bleu, etc. et la transition énergétique. Le paradoxe est que ces grands rendez-vous s’apparentent de plus en plus à un contrat de dupes, où les grands pollueurs sont en position de maîtres et dessinent les doctrines d’application des politiques mises en place par l’accord de Paris. Comme ils tiennent le verbe d’autorité dans cette diplomatie climatique, les objectifs de réduction des émissions des gaz à effet de serre relèvent de l’utopie, les promesses de compensation financière ne sont presque pas tenues, la transition énergétique va à pas d’escargot, etc. Cet échec est consécutif à la volonté des puissances économiques de garder leur position mondiale de pays riches au détriment du souci de la nature et de l’espèce humaine. Cependant, les petits pollueurs sont voués à l’obligation de promouvoir la protection de la nature pour le salut de la planète tout entière. Ils restent pauvres à proximité des richesses naturelles et se nourrissent des promesses des grandes puissances économiques. Cette injustice sociale et politique suppose une refondation de la diplomatie climatique afin de sauver l’accord de Paris. Il faudrait que les coupables fassent preuve de modestie et s’inclinent devant les évidences de l’histoire. Le monde respire grâce aux services des trois grands bassins tropicaux, et la question environnementale devraient se ranger sous la bannière du leadership du Sud dans le cadre d’une révolution climatique. 15 Cette refondation de la diplomatie climatique se fera en trois étapes : la création d’une coalition permanente des trois grands bassins forestiers du monde, la prise en main du destin de la politique climatique par les pays du Sud et la transformation des promesses de compensation en obligations de compensation. En effet, la polyphonie des pays des trois bassins aux grands rendez-vous climatiques décline leur autorité et affaiblit le leadership du Sud. Comme l’union fait la force, les trois bassins devraient construire une unité solide qui consacre une voix empreinte d’autorité pendant les Conférences des Parties. Il s’agit mettre en être une convergence de vues à la quête du leadership écologique mondial. Le principe de majorité verte fera en sorte que les convictions de ce front commun soient érigées en dogmes environnementaux du monde d’avenir. Car sa volonté climatique sera appliquée dans 80% de l’espace forestier du monde, donc dans presque l’ensemble de la planète verte. C’est aux trois bassins de prendre le destin des COP et de définir les mesures de l’application des obligations de compensation des efforts de conservation de la nature. Ces obligations devraient être assorties de la possibilité de sanction contre les États qui ne tiendront pas les engagements de l’accord de Paris. Rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ; la question environnementale est une affaire des trois bassins. Ceux-ci doivent apprendre à s’imposer sur la scène mondiale du climat. Ils doivent alors mettre en perspective une nouvelle civilisation environnementale qui adoube le serment humain à l’égard de la nature. 2.3.2. La nouvelle civilisation environnementale Pour sauver la nature de l’hégémonie du progrès et lui offrir l’occasion de conjuguer la loyauté à ses vocations foncières, une nouvelle civilisation environnementale doit être érigée. Il s’agit de reconnaitre les droits de la nature et de rendre les devoirs du sujet envers la nature véritablement opérationnels. Ce nouveau regard fait fond sur des raisons bien claires. En effet, l’idée de la protection de l’environnement, l’idéal du développement durable et les services de la nature envers l’homme, notamment la captation et la séquestration du carbone pour résoudre tant soit peu le phénomène de changements climatiques, la subsistance à travers la chasse et la pêche, l’espace pour la pratique de l’agriculture, les ressources minières, les essences exploitables, etc. Ainsi, comment établir une diplomatie éthique et salutaire avec l’environnement afin de bénéficier davantage de ses multiples offices? Cette question plonge dans une analyse des 16 doctrines de l’éthique de l’environnement afin de chercher une nouvelle approche qui garantisse la réconciliation éthique de l’idéal de développement et le souci de la nature. L’éthique de l’environnement met en être trois principales doctrines : le biocentrisme, l’écocentrisme et le pragmatisme. Chaque doctrine constitue une approche de la relation éthique de l’homme avec la nature. Nous nous reconnaissons dans la pertinence de chacune d’elles, mais ne partageons guère leur dogmatisme et bégayements. Le biocentrisme est une approche qui réclame la reconnaissance de la nature comme une fin en soi, et non comme un moyen par lequel l’homme accède à ses fins. Il est question de considérer la nature comme une altérité digne d’existence. L’être de la nature ne saurait se réduire à la pâture et à la subsistance des humains ; il évoque plutôt une ontologie autonome ayant des droits qui engendrent des devoirs du sujet humain envers elle. Ici, la nature est hissée à la dignité d’une valeur intrinsèque, et cela fonde toute la mobilisation autour de la question environnementale. Pour s’en convaincre, il sied de donner la parole à C. J. Preston (1998, pp. 410-411) : « C’est la supposition qu’ils défendent des valeurs réelles, existant objectivement dans la nature, qui motive beaucoup de militants environnementalistes, […]. Il existe des éléments concordants pour penser que la croyance en l’existence de valeurs intrinsèques dans la nature joue un rôle de plus en plus important dans la formation des attitudes et des politiques environnementales dans le monde entier ». Toutes les volontés et les élans en faveur de la protection de l’environnement procèdent de l’intuition d’une existence respectable de la nature et de sa vocation comme une différence reconnaissable. L’homme doit alors considérer les entités végétale et animale comme des équivalents ontologiques avec lesquelles une relation de réciprocité se doit d’être établie en principe et en droit. Et cette conception biocentrique s’inscrit aux antipodes de l’anthropocentrisme, qui fait de l’homme la seule et unique valeur intrinsèque et des autres sphères du vivant des valeurs relatives. La relation de l’homme avec la nature doit être horizontale et non verticale, comme le prétend l’anthropocentrisme. Cette conception de la diplomatie des entités vivantes rencontre à moitié la conviction de certaines éthiques environnementales. C’est le cas de la doctrine écocentrisme. Cette tendance de l’éthique de l’environnement partage la reconnaissance de la valeur environnementale et la platitude de la relation entre l’homme et la nature, mais se désolidarise de l’intention du face à face de l’homme et la nature. La relation entre les sphères du vivant ne devrait guère se 17 tricoter sur fond d’altérité absolue, car tous les êtres vivants forment une « communauté biotique ». C’est ainsi que l’écocentrisme met en perspective la pertinence d’une approche holistique du rapport à la nature. Il rend compte qu’ « une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse » (A. Léopold, 1995, p. 283). La prééminence de l’extériorité dans la relation de l’homme avec la nature est impertinente et inopportune, car l’homme, par-delà ses prétentions et ses intentions de supériorité, fait un avec la nature et fait bien partie de la nature. L’écocentrisme proclame et cultive l’apocalypse des espèces ou règnes au profit de la promotion d’une sur-espèce centrée autour du concept d’être vivant. Il s’agit d’un monisme écolo-éthique qui plaide pour une analogie des instances vivantes ayant pour horizon l’homogénéité de la nature comme carrefour des êtres. Dans cette religion éthique, la profession de foi ultime est que l’altérité, l’extériorité, la différence et l’indifférence sont des anti-valeurs qui doivent être systématiquement bannies de l’aire des relations de l’homme avec la nature. Tous les êtres sont engagés dans une alliance qui conjugue la complémentarité et la solidarité. L’homme et l’environnement entretiennent ainsi un rapport qui engendre « un sentiment de fraternité avec les autres créatures ; un désir de vivre et de laisser vivre ; un émerveillement devant la grandeur et la durée de l’entreprise biotique » (A. Léopold, 1995, p. 145). Par conséquent, l’écocentrisme considère la nature comme un tout indivisible, et non comme un ensemble de parties. Il porte alors les traces de « la filiation de l’homme » de Darwin et l’anthropologie d’Aristote (Aristote, 2008) qui prônent la proximité de l’homme avec l’animal, et, indirectement, de l’animal avec la végétation ; car il n’y a pas d’animal sans forêt. C’est cette relation hiérarchique qui fonde l’idée de « la communauté biotique » portée par l’écocentrisme. En intégrant l’homme dans un même creuset cosmo-ontologique que tous les autres êtres vivants, l’écocentrisme suspend l’anthropocentrisme et rejoint, sur ce point, le biocentrisme. Cela constitue un point critique qui engendre une autre tendance éthique : le pragmatisme. Le pragmatisme critique d’emblée le regard et la conviction du biocentrisme et de l’écocentrisme quant à la relation entre l’homme et la nature. Il estime que la négation de l’anthropocentrisme et la considération de la nature comme une valeur intrinsèque sont une école de la métaphysique qui refuse de voir la réalité sous le prisme de l’évidence. L’expérience prouve que l’homme est nanti d’une hauteur qui peut être appréciée à juste 18 valeur sans compromettre l’intérêt de la nature ni rompre le rapport à la nature. Il s’agit de se départir de la conception négative et réductionniste de l’anthropocentrisme pour faire valoir l’idée d’un anthropocentrisme positif afin de rétablir l’ordre éthique dans la diplomatie environnementale. Telle est la conviction doctrinale du pragmatisme. Cet élan éthique s’élargit à un pluralisme des valeurs, car il postule aussi que la nature n’est pas une valeur mais un ensemble de valeurs. La nature rend beaucoup de services à l’homme et lui fournit des biens indispensables pour sa survie. Ainsi, du point de vue pratique, l’homme est quelque peu extérieur à la nature mais peut la traiter avec tout l’honneur mérité, et la nature est une ressource vitale empreinte de nombre de valeurs à mettre à la disposition du sujet éthique. C’est la notion de sujet éthique qui constitue la clé de voûte de notre approche. Nous croyons que la relation de l’homme avec la nature doit transcender le paradigme anthropologique pour faire fond sur la double profondeur qualitative du sujet et de la nature. Il s’agit d’une démarche qualitative qui peut donner lieu à une nouvelle doctrine de l’éthique environnementale placée sous le vocable de « qualitatisme ». La qualité renvoie ici à la vertu, à la noblesse ou aux valeurs morales. Qu’il soit lié ou séparé de la nature, l’homme dispose d’une dimension qualitative qui en fait ou qui peut en faire un sujet éthique. Il peut déployer tout son arsenal moral au service de la nature en vue de tricoter une alliance qualitative avec la nature, c’est-à-dire une relation placée sous le signe de la primauté du sens et de la prééminence de la loi morale. L’intégration de la morale dans le domaine de l’environnement suppose bien l’intégration du sujet dans le domaine de la morale, c’est-à-dire que ce dernier doit s’affranchir de sa relativité et de son hégémonisme destructeur pour s’élevé en tant que sujet moral. La conviction de cette approche tient de l’impossibilité de l’interdiction du mouvement instinctif et ontologique de l’homme vers la nature. Toute éthique qui se prive de l’honnêteté d’autoriser l’homme à toucher aux merveilles de la nature au nom d’une politesse radicale ou d’une austérité morale est vouée à l’échec, car la question du rapport à la nature touche à l’existence humaine. Seulement, cette odyssée vers la nature doit être conditionnée à un engagement éthique du sujet. Ce dernier se doit d’éclore de ses présentations et de ses intentions de domination pour ne pas abuser de l’hospitalité de la nature ni de ses ressources, qui portent du reste son être et sa majesté. Il doit user de la courtoisie et de la modestie envers l’environnement, puisque son existence en dépend absolument. La relation qualitative offre une césure révolutionnaire dans le rapport à la nature, car elle postule la transfiguration éthique du sujet et le passage de la logique de la victimisation de la 19 nature et de l’éthique comme volonté de sauver la nature par pitié à la conscience de la dépendance humaine envers la nature considérée comme mère nourricière. Nous substituons l’idée d’anthropocentrisme par celle d’« envirocentrisme », pour traduire la primauté de la nature sur l’homme et évoquer la modestie du progrès envers la nature. Car la nature peut exister par elle-même c’est-à-dire sans l’homme, alors que l’homme ne peut pas exister sans la nature et le progrès ne peut plonger ses racines ailleurs que dans la nature. La nature doit passer du statut de victime à celui de principe pour que l’homme se rende compte de sa vulnérabilité et qu’il reconnaissance la nature comme pivot de son existence. Cette conscience impose l’humilité et met en perspective la victoire de la relation qualitative dans la diplomatie environnementale. En allant vers la nature dans une posture d’humilité et de modestie, l’homme est déjà qualitatif c’est-à-dire engagé sous l’angle de l’éthique, et ses gestes productifs seront empreints de valeurs morales. C’est dans cette optique qu’adviendra un monde paisible, c’est- à-dire un monde où l’homme est réellement au service de la nature pour garantir son lendemain. L’éthique qualitative plaide pour l’émergence d’un monde paisible, un monde l’où les initiatives en faveur de l’environnement sont la priorité de tous, un monde écologiste, un monde composé des sujets engagés éthiquement payer la dette de la nature. Ce monde d’avenir sera fondé sur le transfert des qualités morales dans le dialogue avec la nature. Le qualitativisme est alors la doctrine d’une religion des valeurs qualitatives dans la sphère environnementale. Les adeptes de celle-ci seront des choristes de la gloire de la nature et des militants de l’idéal d’une paix durable sur la terre. Ce seront des êtres qui mettront en œuvre les qualités d’amour, de liberté, d’égalité, de responsabilité, de générosité, de neutralité ou de justice, etc. dans le voyage vers les airs, les surfaces et les sous-sols de la nature. Ces qualités ont justement de vocations salutaires dans le surgissement et la conservation d’un cosmos paisible. L’amour est le premier dogme du qualitativisme. Pour récompenser ou dédommager la nature des agressions incessantes de l’homme, l’éthique qualitative inscrit le sentiment d’amour au fronton de tout commerce avec la nature. Il faudrait établir une relation amoureuse avec la nature, c’est-à-dire une relation qui fait de la nature le premier partenaire de l’homme. Dans cette relation, l’homme fait une place à la nature dans son cœur et partage profondément ses peines et ses angoisses. Et, comme l’amour est empreint de douceur, par amour, l’homme ne 20 pourrait plus traiter la nature comme un simple moyen ni comme une fin exclusivement utilitariste ; il doit plutôt la chérir et la traiter avec dignité. Cette inscription de la question environnement dans la sphère du cœur implique la reconnaissance du droit d’existence des entités animale et végétale et leur liberté intrinsèque. La liberté environnementale évoque la conscience et l’engagement du sujet à laisser prospérer les autres parties intégrantes de la communauté biotique. La nature est la seule source et ressource de l’homme. Elle lui offre tout le nécessaire vital, mais cela est loin de servir de prétexte pour que l’homme abuse d’elle. Toutes les ressources de la nature doivent être exploitées qualitativement, c’est-à-dire dans le respect de la hiérarchie et dans la mesure du possible. Il s’agit de suspendre les ardeurs de l’homme envers la nature et de rendre compte de la liberté des animaux et de végétaux à naître et à grandir sans être inquiétés par la présence de l’homme. De la même manière que les hommes sont doués de liberté, les autres entités vivantes doivent l’être aussi. Cette liberté des choses, une fois reconnue et respectée, engendrera un monde paisible tant pour les hommes que pour les autres composantes de la nature. Mais, pour que l’homme reconnaisse la liberté des choses et des animaux, il faudrait qu’il prenne pour ses égaux. L’égalité entre l’être humain et les autres êtres est un postulat nécessaire de la nouvelle civilisation environnementale. Cette revendication du biocentrisme et de l’écocentrisme trouve sa belle place dans la construction de cette cité paisible. En effet, bien que l’homme soit distinct des autres sphères de l’être, il partage beaucoup avec elles. Sa hauteur, tant vantée par l’anthropocentrisme, ne devrait pas intégrer la sphère des rapports avec la nature. Il devrait plutôt entretenir une complicité horizontale avec la nature, en la traitant en égal. Il devrait considérer l’environnement comme une existence avec laquelle il partage l’envergure de la nature et la profondeur de l’être. Le sentiment d’égalité doit s’emparer de la dimension éthique de l’homme dans sa relation avec la nature afin de restituer la dignité de la nature. La cité paisible est alors une cité des égalités, une communauté biotique homogène. C’est à cet effet que l’homme se révèlera réellement responsable face à l’histoire et aux générations futures. La prise de conscience de notre responsabilité face à l’histoire de l’humanité est évidemment une qualité qui participe à l’institution d’un monde paisible. Les vertus de la responsabilité dans le domaine de l’environnent sont bien déployées dans le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, de Hans Jonas. Il pense que la responsabilité est écrite dans notre nature et constitue le point de différence et de définition de l’homme : « […] 21 n’importe quelle responsabilité fait partie aussi inséparablement de l’être de l’homme »10. Cette responsabilité doit se manifester dans la gestion de l’héritage environnemental. La génération actuelle n’a pas le droit de détruire la nature pour compromettre l’avenir des générations futures ; elle a plutôt le devoir de la protéger pour léguer aux générations futures un héritage idéal. C’est dans cet ordre qu’il écrit : « le présent se réduit à une simple préparation de l’avenir »11. La responsabilité de tous est ainsi interpelée dans le sens d’établir un lien cordial et prospère avec la nature, afin d’écrire l’histoire de l’éthique environnementale en lettre d’or. La responsabilité renvoie donc à la conscience d’agir par devoir et dans l’esprit du devoir envers la nature afin que les actions humaines sur l’environnement ne soient guère un scandale pour l’histoire de l’humanité. Dans la responsabilité environnementale gîte le souci pour la tranquillité de la nature en vue d’une tranquillité de l’histoire qui engendre la tranquillité permanente du monde, ou plutôt du monde d’avenir. Un monde tranquille est celui qui advient suite au déploiement du principe de responsabilité dans le commerce avec l’environnement. En conséquence, comme la responsabilité fait signe vers l’avenir, elle implique de fait les facteurs du devenir de l’environnement. Le principe de générosité en fait partie et constitue le levier du devenir de la nature. Il ne peut pas y voir de devenir constant et prospère de la nature sans la mise en œuvre de la générosité humaine dans la générosité de la nature. La nature a toujours fait preuve de générosité à l’égard de l’homme : elle s’ouvre à lui et lui offre tout pour sa survie, son confort et son développement. En marchant sur les pas de J. J. Rousseau, Gérard Demouge se rend compte de cette infinie générosité de la nature et en fait un brillant éloge : « La forêt apparait comme un espace plein : quel que soit l’endroit où il [l’homme] vit, trouve toujours à portée de main de quoi satisfaire ses besoins physiques. La nourriture et le gîte n’appellent aucune recherche pénible, et cela d’autant moins que l’instinct est plastique et n’a donc d’aliment ou de lieu auquel il soit spécifiquement adapté. Où qu’il aille, la forêt est là pour combler les désirs de l’homme. Elle est une nourriture à la générosité inépuisable »12. La nature est le grenier exclusif et incontournable du sujet. Cependant l’homme fait preuve d’une ingratitude irréversible à son égard. Il entreprend très peu d’initiatives à son profit. Sa générosité envers la nature est plus verbale que pratique. Or le qualitativisme voudrait bien que la générosité soit réciproque dans la relation de l’homme avec la nature. Le sujet devrait 10 J. Hans, Principe responsabilité, Paris, 1990, p.183. 11 Ibid., p. 43. 12 G. Demouge, Rousseau ou la révolution impossible, Paris, L’Harmattan, 2002, pp. 72-73. 22 puiser de sa profondeur éthique la qualité de générosité pour la mettre au service de la protection de l’environnement. Les initiatives éparses à travers le monde, comme les Conférences (COP), les fonds bleus, la création des parcs zoologiques, la Journée mondiale de l’environnement (le 05 juin), la Journée nationale de l’arbre au Congo (le 06 novembre), le recyclage des ordures, le curage des caniveaux, l’opération de reboisement, le traitement des érosions, etc. souffrent de réalisme et d’efficacité, pour suspendre la crise environnementale. C’est dire que la générosité de l’homme envers la nature est encore insuffisante et se devrait d’être renforcée pour favoriser l’émergence d’un monde paisible. Ce tonus émanera de l’intégration de la rationalité mathématique dans le jeu de la générosité réciproque. Il faudrait que toutes les actions de l’homme sur la nature soient quantifiées pour être récompensées à juste valeur : une période de pollution doit être égale à une période d’hibernation de toutes activités de pollution, tous les espaces cultivés doivent être reboisés après l’activité, toutes les promesses faites à l’occasion de grands rendez-vous planétaires pour solliciter un pacte de non-agression des grandes forêts du monde par les riverains afin de conserver l’équilibre écologique doivent être honorées, etc. L’homme doit se révéler généreux à l’égard de la nature au travers de la multiplication mathématique des gestes salutaires. Ces actions généreuses se mèneront dans une atmosphère de neutralité, c’est-à-dire sans prendre parti pour ou contre une zone ou une espèce d’être donnée. La biodiversité est une réalité empirique et non ontologique, elle permet de catégoriser les espèces dans le dessein de les connaitre et d’établir une hiérarchie. Elle ne saurait servir de base à un jugement de valeur aux allures partisanes. Comme la communauté biotique est foncièrement solidaire et solide, toutes les entités vivantes et toutes les espèces se valent et devraient recevoir le même traitement de la part de l’homme. Le qualitativisme plaide pour une action humaine juste et impartiale sur la nature. Il voit la biodiversité sous le prisme d’unité biotique et estime que la pratique de la justice dans la lecture et le traitement de l’environnement est une garantie pour la prospérité de toutes les espèces et pour l’esthétique environnementale. L’avènement d’un monde paisible, c’est-à-dire un monde à moindre frustrations environnementales, est conditionné à la refondation de l’attitude humaine à l’égard de la nature. L’homme devrait considérer la nature en tant que mère nourricière et non comme un instrument ; car son existence y est subordonnée. Et son odyssée dans les méandres de l’environnement serait guidée par les qualités morales afin d’ériger une civilité qui concourt à son bonheur et à celui de la nature. Mais, pour en venir ce double bonheur comme expression d’un monde paisible, le sujet a le devoir de se livrer à un exercice pédagogique qui lui 23 permettrait d’abandonner sa relativité en vue de faire valoir sa profondeur éthique. Cet exercice est bien l’éducation à la protection de l’environnement. L’autre coutume de la nouvelle civilisation environnement est l’initiative de l’éducation à la protection de l’environnement. L’éducation est, par essence et par destin, le transfert des valeurs en vue de la sublimation de la vie. Elle doit aller au-delà de la description de l’environnement pour véhiculer les vertus de celui-ci et poser les bases de la nécessité de sa protection. Chacun est chargé de conscientiser son voisinage sur la question de la protection de l’environnement et de mettre en pratique les gestes salutaires, l’entretien des milieux environnants, l’implantation d’arbre pour assurer la survie de la nature, etc. Cette pédagogies de la parole et de l’action en faveur de l’environnement rétablirait la nature dans ses droits et garantirait un devenir radieux pour cet héritage de l’humanité. La question environnement devrait hanter l’âme de l’éducation et constituer l’objet d’une initiation à la base. Dès le stade primaire de l’éducation, la culture des gestes salutaires pour l’environnement devrait avoir une marge prépondérante. Toute cette philosophie du salut de l’environnement pour le double bonheur l’homme et de la nature s’inscrirait dans un cadre normative qui consacrerait la transfiguration éthique du sujet comme acteur de la révolution qualitative. Il conviendrait de consacrer une législation internationale sur la question environnementale. De la même manière que les législateurs travaillent à la protestions de la dignité humaine, ils feraient autant pour la sécurisation du patrimoine naturel. Il faudrait instituer un code de déontologie de l’environnement appliqué dans une politique de dissuasion des consciences à l’échelle planétaire, une déclaration universelle des droits de la nature, une pénalisation des crimes verts et une cour pénale internationale chargée de juger les crimes environnementaux. II. HISTOIRE DES SCIENCES 1. Le concept et son sens Le concept science vient du latin « scientia », savoir, et peut se définir comme toute connaissance rationnelle relative à un objet et vérifiée par des méthodes quelquefois expérimentales. Dans le sens large, la science renvoie à une connaissance systématisée, c’est- à-dire organisée en un ensemble cohérent, suivant une méthode bien déterminée. Il s’agit de toute connaissance fondée sur la raison, attachée à un fait ou à un phénomène et établie selon une méthode déterminée. La science s’oppose ainsi au mythe et la religion dans l’explication des faits ou des phénomènes. 24 Il existe plusieurs sciences, mais la philosophie des sciences les catégorise en trois ordres : - les sciences formelles (pures) : ce sont des sciences qui étudient les lois de la pensée et s’appuient sur la déduction. Il s’agit des mathématiques, de la logique, de l’analyse, etc. - les sciences naturelles : ce sont des sciences qui ont la nature pour objet d’étude. Elles rassemblent plusieurs disciplines, notamment la biologie (la botanique, la zoologie, la neuroscience, la génétique, etc.), les sciences de la terre (la géographie, la minéralogie, etc.), la chimie, la physique, etc. Rudolf Carnap (1891-1970) en a extrait quelques-unes pour créer la catégorie des sciences expérimentales. - Les sciences humaines et/ou sociales : Ce sont des sciences de l’homme et de la société. On y note la psychologie, la sociologie, l’histoire, la philosophie, l’éthique, l’économie, etc. Cette classification des sciences n’est guère exhaustive du fait de la relativité de toutes les sciences, de la transversalité de certaines sciences et de la naissance de nouvelles sciences. En travaillant sur la science dans le cadre de l’épistémologie, Bachelard rencontre cette difficulté et affirme : « puisque tout savoir scientifique doit être à tout moment reconstruit, nos démonstrations épistémologiques auront tout à gagner à se développer au niveau des problèmes particuliers, sans souci de garder l’ordre historique »13. Par ailleurs, cet éclatement n’annule pas l’idée de la science en générale, à partir de laquelle on détermine toutes les sciences particulières. La science comme héritage de l’humanité renvoie, justement, au concept de science, c’est-à-dire à la science comme type de connaissance. L’histoire des sciences n’est pas l’histoire de chaque science particulière, mais celle de la science en général, c’est-à-dire l’histoire de la connaissance scientifique. C’est dire que l’histoire des sciences décrit l’évolution de la connaissance humaine, tenant objectivement compte de différentes séquences de cette connaissance, examinant avec un regard épistémique les progrès, les tâtonnements, les difficultés, les bifurcations et différentes avancées significatives réalisées par la science. L’histoire des sciences est ainsi un examen de la courbe évolutive de la connaissance objective de l’homme. Aussi montre-t-elle, chemin faisant avec son évolution, les mérites et les faiblesses de la science. 2. Les différentes séquences de l’histoire des sciences La science comprend deux grandes séquences de son évolution, notamment la préhistoire et l’histoire. 13 G. Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, p. 10. 25 2.1. La préhistoire de la science La préhistoire de la science détermine la période d’avant la naissance de la science. Elle rend compte des pratiques cognitives traditionnelles. Cette période est essentiellement marquée par l’absence de l’écriture et la prééminence de la technique ou plutôt des pratiques rudimentaires, traditionnelles. Historiquement, la technique précède la science. S’appuyant sur des procédés empiriques, l’homme a mis sur pied, de façon très rapide, des instruments, des outils traditionnels, et découvre le feu. C’était donc l’âge de la pierre taillée; le paléolithique (qui commence il y a environ 2,5 millions d’années et s’achève vers le XIe millénaire avant notre ère). À cette époque, nous ne saurions parler d’aucune science en tant que telle, mais de l’usage monotone de la technique manuelle. Le développement de l’agriculture et de l’élevage ne sont pas non plus sans rapport avec l’émergence de certaines protosciences. C’est le cas du calcul et l’astronomie. Il faut, par exemple, compter les animaux, mesurer les quantités des grains. Cela implique un certain art mathématique, mais aussi se préoccuper de l’ordre des saisons pour les semailles et les récoltes; la naissance de l’astronomie n’est peut-être pas non plus étrangère à ces impératifs. L’apparition et la lecture des astres au ciel (étoiles, lune,…) permettaient aux hommes de déterminer les temps, de comprendre le mouvement de l’univers, jetant ainsi les bases de l’astronomie et la météorologie. Toutes ces occurrences montrent à suffisance que la connaissance humaine a connu une préhistoire, avant de se constituer en science. 2.2. La naissance et le parcours des sciences 2.2.1. L’Antiquité Dans l’Antiquité, précisément au Ve siècle avant Jésus-Christ, il ne saurait y avoir de distinction nette, ni de frontière entre la science et la philosophie. La plupart des savants sont à la fois scientifiques et philosophes, pour la simple raison que la science n’est pas encore formalisée. Tout comme la philosophie, elle utilise exclusivement la langue naturelle pour s’exprimer. Ce n’est que plusieurs siècles plus tard, avec Galilée, que la science se formalisera, et commencera à se détacher de la philosophie. On parle alors de la science « contemplative » pour désigner l’attitude antique des scientifiques grecs. L’astronomie en est l’exemple parfait. Si l’astronomie grecque, à ses débuts, était fortement imprégnée de présupposées philosophiques (géocentrisme, 26 mouvements circulaires uniformes des astres), elle a su s’en écarter progressivement, à mesure que des observations plus fines venaient contredire ces présupposées. Les penseurs grecs sont considérés comme les fondateurs des mathématiques car ils ont inventé ce qui en fait l’essence même : la démonstration. Celle-ci a permis à la connaissance grecque de se détacher de la philosophie spéculative pour se constituer, progressivement, en science autonome. Cette occurrence a valu aux grecs le titre de pères de la science. Et Thalès est considéré comme le premier philosophe qui a eu l’idée de raisonner sur les êtres mathématiques, jetant ainsi les bases de la géométrie. IL a donné le coup d’envoi de la connaissance scientifique en cherchant et en donnant une explication rationnelle à la structure de l’univers. Il met en être la géométrie pour expliquer le monde. Et Jean pierre Vernant de dire : « cette géométrisation de l’univers physique entraine une refonte générale des perspectives cosmologiques ; elle consacre l’avènement d’une forme de pensée et d’un système d’explication sans analogie dans le mythe »14. C’est la naissance de l’esprit scientifique. Avec l’invention de la démocratie, l’activité scientifique grecque connait un essor saillant. Aussi plusieurs penseurs grecs ont contribué à l’émergence des sciences. On note par exemple Ératosthène (mesure avec exactitude la circonférence de la terre), Archimède (base de la mécanique), Théophraste (base de la botanique), etc. Mais toutes ces prouesses sont rangées sous la bannière de la philosophie, comme la science primordiale. Il faut aussi noter qu’en dehors de la Grèce antique, la science a connu une naissance ou plutôt une histoire disséminée qui s’est observée dans plusieurs lieux du monde notamment en Égypte, à Rome, en Chine, en Inde… 2.2.2. Le Moyen-âge Au Moyen âge, la science connait une hibernation à cause de la consécration du christianisme, qui rejette toutes les connaissances païennes et impose une vision du monde fondée sur les dogmes religieux. La raison est dépouillée de son autorité épistémique au profit de la foi. L’église a pris le pas sur toute la société, et toute explication de quelque phénomène que ce soit, en dehors de Dieu était prohibée, à la rigueur, sanctionnée par les hommes d’église. Ainsi, la science s’est voulue résorbée, reléguée en arrière-plan. Les croyances religieuses ont refait surface au détriment et au grand mépris de la raison. Dieu était placé en avant-scène, il était le foyer centripète de toute connaissance, l’origine de tout phénomène 14 J. J. Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, P.U.F, 1962, p. 120. 27 Au Moyen-âge, les sciences grecques sont conservées, notamment par la traduction en arabe de nombreux livres présents dans la bibliothèque d’Alexandrie. Ces sciences sont alors enrichies et diffusées par la civilisation arabo-musulmane, avec les savants comme Al- Khwârizmî, Alhazen, Al-Biruni, Avicenne et Averroès. 2.2.3. Les Temps modernes Le silence de la science sera bientôt brisé à travers la révolution scientifique de 1550 à 1730. Il s’agit de l’avènement de la science moderne avec le sacre du rationalisme par Descartes (1596-1650), l’intronisation de l’expérimentation comme méthode de renforcement de la déduction par Galilée (1564-1642) et les découvertes de Newton. Cette effervescence scientifique sera renforcée au XVIIIème siècle, avec l’idée des Lumières. Ce mouvement, incarné par Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, etc., rompt d’avec toutes les croyances métaphysiques, place l’homme au cœur de son destin et fait de la science l’unique source de connaissance vraie et utile. La science a ainsi la mission de tout mettre en œuvre pour fournir des informations fiables sur tout. On assiste alors à la naissance de nombre de sciences et à la réalisation de plusieurs découvertes scientifiques (Charles Darwin fonde la théorie de l’évolution en 1838, Louis Pasteur établit un vaccin contre la rage en 1885, etc.). Dans les temps modernes on note plusieurs découvertes. Blaise Pascal fit des découvertes en mathématiques (probabilités), et en mécanique des fluides (expériences sur l’atmosphère terrestre). Christian Huygens développa une théorie ondulatoire de la lumière, qui, pour avoir subi un siècle d’éclipse, n’en est pas moins géniale. On note aussi l’héliocentrisme (théorie scientifique qui place le soleil au centre du système de planètes entourant la terre) de Galilée qui se veut confirmé de multiple manière, et fut finalement accepté par l’église catholique romaine (Benoît XIV) en 1714 et 1741, de sorte que les écrits de Galilée furent retirés de l’Index (liste des livres interdits par l’Église catholique). Mais le scientifique le plus important de cette époque est Isaac Newton. Avec Gottfried Wilhelm Leibniz, il invente le calcul différentiel et intégral. Avec son optique, il établit dans cette science une contribution tout à fait significative, et, surtout, il fonde la mécanique sur des bases des mathématiques, établit ainsi de manière chiffrée le bien-fondé des considérations de Copernic et Galilée Son livre Philosophiae naturalis principia mathematica a marqué l’évolution de la conception que l’homme se fait du monde comme aucun ouvrage avant lui, et a été considéré comme le model insurpassable de théorie scientifique jusqu’au 28 début du XXe siècle. L’époque moderne a fait office de plusieurs découvertes qui ne sauraient être énumérées dans cadre restreint du cours. C’est dire que la liste n’est pas exhaustive. 2.2.4. L’époque contemporaine L’époque contemporaine est marquée par l’évolution, le développement des sciences à un rythme plus accéléré. Ce développement a lieu dans tous les domaines de la science. On note plusieurs avancées significatives de la connaissance scientifique. Ainsi, les mathématiques se raffinent grâce aux travaux de nombreux savants parmi lesquels Cauchy, Galois, Gauss… la géométrie est révolutionnée par l’apparition d’abord de la géométrie projective, puis des géométries non-euclidiennes qui mettent fin au règne sans partage de la première des théories mathématiques de l’antiquité. L’optique de Newton subit une révision radicale avec les travaux de Young et ceux de Fresnel : on passe de la conception corpusculaire de Newton à une révision de la conception ondulatoire de Huygens. L’électricité et le magnétisme sont unifiés au sein de l’électromagnétisme par James Maxwell à la suite de travaux de nombreux physiciens et mathématiciens tels Ampère, Faraday etc. Et la science a beaucoup évolué en se transformant en technique et en technologie aujourd’hui. CONCLUSION Il existe plusieurs héritages de l’humanité, dont la tolérance comme appel du vivre-ensemble, la nature et la science. Ces fortunes communes sont à conserver pour l’équilibre de la société, du monde et de la vie. Quant à l’histoire des sciences, l’on retient qu’elle est marquée par nombre de révolutions qui jalonnent le cours du destin de l’humanité. Par conséquent, l’héritage de l’humanité et l’histoire des sciences sont des postulats d’une éthique des pratiques qui éclaire les consciences et évoque la responsabilité du temps présent. 29

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