Cours de Droit Administratif de la Polynésie Française 2017-2018 PDF

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2018

Alain Moyrand

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droit administratif droit public administration publique Polynésie Française

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Ce document est un cours de droit administratif pour l'année universitaire 2017-2018, mis à jour en décembre 2017. Il couvre les juridictions administratives, les formes de l'action administrative et le principe de légalité en Polynésie Française. Le document détaille les règles, les principes et les particularités.

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Alain MOYRAND année universitaire 2017-2018 Mis à jour : 8 decembre 2017 Cours de droit administratif de la Polynésie...

Alain MOYRAND année universitaire 2017-2018 Mis à jour : 8 decembre 2017 Cours de droit administratif de la Polynésie française 1 SOMMAIRE Avant-propos.......................................................................................... 6 INTRODUCTION GENERALE............................................................. 7 1ère PARTIE  LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES.................... 33 Chapitre 1 L'ETABLISSEMENT DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE................. 35 SECTION 1 ‐ LE DEVELOPPEMENT DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE............................................. 35 SECTION 2 ‐ L’ORGANISATION DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE........................................... 47 SECTION 3 – LA PROCEDURE ADMINISTRATIVE CONTENTIEUSE........................................................ 71 Chapitre 2 LA COMPETENCE DU JUGE ADMINISTRATIF........................................... 98 SECTION 1 ‐ LA DELIMITATION DES DOMAINES DE COMPETENCES DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE 98 SOUS‐SECTION 1 ‐ LES REGLES GENERALES DE REPARTITION DES COMPETENCES............................. 99 SOUS‐SECTION 2 ‐ LES REGLES SPECIALES DE REPARTITION DES COMPETENCES............................. 109 SECTION 2 ‐ LE PARTAGE DE COMPETENCE ENTRE LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES PAR LE TRIBUNAL DES CONFLITS............................................................................................... 127 2ème PARTIE  LES FORMES DE L'ACTION ADMINISTRATIVE..... 136 Chapitre 1 LA POLICE ADMINISTRATIVE.................................................................... 137 SECTION 1 ‐ LA NOTION DE POLICE ADMINISTRATIVE............................................................... 138 2 SECTION 2 ‐ LES AUTORITES DE POLICE ADMINISTRATIVE.......................................................... 168 Chapitre 2 LE SERVICE PUBLIC...................................................................................... 177 SECTION 1 ‐ LA NOTION DE SERVICE PUBLIC........................................................................... 177 SECTION 2 ‐ LE REGIME JURIDIQUE DES SERVICES PUBLICS........................................................ 193 SECTION 3 ‐ LES MODES DE GESTION DES SERVICES PUBLICS..................................................... 215 3ème PARTIE  LE PRINCIPE DE LEGALITE...................................... 232 Chapitre 1 LA SOUMISSION DE L'ADMINISTRATION AU DROIT............................. 233 SECTION 1 ‐ LE RESPECT DE LA HIERARCHIE DES NORMES........................................................ 233 SECTION 2 ‐ LE RAPPORT DE LEGALITE....................................................................................... 245 Chapitre 2 LES SOURCES DE LA LÉGALITÉ ADMINISTRATIVE.............................. 249 SOUS‐SECTION 1 ‐ LES SOURCES ECRITES............................................................................... 249 SOUS‐SECTION 2 ‐ LES SOURCES NON ECRITES : LES PRINCIPES JURISPRUDENTIELS......................... 268 SECTION 2 ‐ LES SOURCES ADMINISTRATIVES......................................................................... 275 SOUS‐SECTION 1 – LE POUVOIR NORMATIF DES INSTITUTIONS ADMINISTRATIVES FRANÇAISES........ 275 SOUS‐SECTION 2 – LE POUVOIR NORMATIF DES INSTITUTIONS DE LA POLYNESIE FRANÇAISE........... 296 4ème PARTIE  LES MOYENS JURIDIQUES DE L'ACTION ADMINISTRATIVE.......................................................................... 339 Chapitre 1 LES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATERAUX....................................... 342 SECTION 1 ‐ LA NOTION D'ACTE ADMINISTRATIF UNILATERAL.................................................... 343 SECTION 2 ‐ LES COMPETENCES EN MATIERE D'ACTES ADMINISTRATIFS UNILATERAUX................... 383 SECTION 3 ‐ L'ELABORATION DES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATERAUX..................................... 396 3 SECTION 4 ‐ LES EFFETS DE L'ACTE ADMINISTRATIF UNILATERAL................................................ 421 Chapitre 2 LES CONTRATS ADMINISTRATIFS............................................................ 503 SECTION 1 ‐ LA DISTINCTION CONTRAT ADMINISTRATIF / CONTRAT DE DROIT PRIVE...................... 504 SECTION 2 – LE REGIME DU CONTRAT ADMINISTRATIF............................................................ 525 5ème PARTIE  LA RESPONSABILITE ADMINISTRATIVE............... 541 Chapitre 1 LE REGIME GENERAL DE LA RESPONSABILITE PUBLIQUE................ 543 SECTION 1 ‐ LES CARACTERES GENERAUX.............................................................................. 543 SECTION 2 ‐ LES CONDITIONS D'ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE PUBLIQUE......................... 551 SOUS‐SECTION 1 ‐ LA RESPONSABILITE POUR FAUTE DE SERVICE................................................ 551 SOUS‐SECTION 2 ‐ LA RESPONSABILITE SANS FAUTE................................................................. 569 SECTION 3 ‐ LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITE PUBLIQUE............................................ 589 Chapitre 2 LE PARTAGE DE LA RESPONSABILITE ENTRE L'ADMINISTRATION ET SES AGENTS....................................................................................................................... 602 SECTION 1 ‐ LA RESPONSABILITE PERSONNELLE DE L'AGENT PUBLIC........................................... 602 SECTION 2 ‐ LA RESPONSABILITE DE L'ADMINISTRATION PAR SUITE D'UNE FAUTE PERSONNELLE COMMISE PAR UN DE SES AGENTS............................................................................................ 612 SECTION 3 ‐ LES ACTIONS RECURSOIRES................................................................................ 618 6ème PARTIE  LE CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DE L’ADMINISTRATION...................................................................... 623 Chapitre 1 LE REGIME JURIDIQUE DES RECOURS CONTENTIEUX........................ 624 SECTION 1 ‐ RECOURS ADMINISTRATIF ET RECOURS CONTENTIEUX............................................ 624 4 SECTION 2 ‐ LES DIFFERENTS RECOURS CONTENTIEUX.............................................................. 632 Chapitre 2 LE RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR................................................. 638 SECTION 1 ‐ LES CONDITIONS DE RECEVABILITE DU RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR................. 638 SECTION 2 ‐ LES CAS D'OUVERTURE DU RECOURS POUR EXCES DE POUVOIR................................ 658 SOUS‐SECTION 1 ‐ LE CONTROLE DE LA LEGALITE EXTERNE........................................................ 660 SOUS‐SECTION 2 ‐ LE CONTROLE DE LA LEGALITE INTERNE........................................................ 666 5 A vant-propos Le présent manuel, intitulé « Droit administratif de la Polynésie française » est consacré à l’étude des règles et principes du droit administratif applicable en Polynésie française quelle que soit la collectivité publique concernée : l’Etat, la collectivité d’outre-mer de Polynésie française et les communes. Si une part conséquente de ce droit est commune à ces trois collectivités, telles que les juridictions qui connaissent du contentieux administratif, de nombreuses particularités sont cependant propres à la collectivité d’outre-mer, soit parce que l’Etat, compétent en ce domaine, y a introduit des règles adaptées à l’organisation particulière de la COM, soit parce que cette dernière est compétente (cas très fréquent) et qu’elle s’est dotée de règles propres différentes de celles applicables aux administrations de l’Etat et des communes. Nous étudierons ainsi le droit administratif de la Polynésie française en précisant les règles et principes communs à toutes les collectivités publiques, en exposant les règles spécifiques applicables à la COM. 6 I NTRODUCTION GENERALE Dans une première approche, il convient de situer la place du droit administratif dans l'ensemble des disciplines juridiques. Parmi les très nombreuses définitions qui existent, on retiendra celle donnée par le Traité de droit administratif (Dalloz 2011, tome 1, p. 115), dirigé par Pascale Gonod, Fabrice Mellerey et Philippe Yolka : « Le droit administratif est une branche du droit public interne, regroupant les règles spécifiques relatives à l’accomplissement par les personnes publiques, ou sous leur contrôle, de missions qu’elles considèrent comme d’intérêt général, et qu’applique le juge administratif ». Ainsi le droit administratif peut-il être défini comme le droit spécifique applicable à l'Administration publique et aux relations que nouent les personnes publiques et les personnes privées. Cette définition n’est toutefois qu’approximative, la réalité étant beaucoup plus complexe en ce sens que le champ d'application du droit administratif ne recouvre pas exactement la notion d'administration. En effet : - d'une part, le droit administratif régit parfois l'action des personnes privées, lorsque celles-ci se sont vues confier des missions de service public - et d'autre part, l'administration est aussi régie, dans une certaine mesure, par les règles du droit privé. Il convient donc de commencer par donner des précisions sur la notion d'administration (§ 1), puis sur le droit qui lui est applicable (§ 2). § 1 ‐ L'ADMINISTRATION Lorsqu'on emploie le terme "administration" en droit public, on fait référence à l'Administration publique, qualifiée couramment d’ « Administration ». Il convient pourtant de distinguer ces deux notions, l’« Administration » ayant deux acceptions différentes (complémentaires) : - En premier lieu, l'administration représente une activité : l'activité d'administrer, notion applicable au secteur public comme au secteur privé (gestion d’une entreprise, dotée 7 pour certaines d’un « conseil d’administration). Pour le secteur public, cette activité consiste plus précisément à gérer les affaires publiques. Dans ce cas, on donne ainsi au terme administration un sens matériel (critère matériel). - En second lieu, l'administration peut être appréhendée selon une approche organique (critère organique) : en ce sens, le terme « Administration » – qui recouvre une réalité juridique complexe – sert à désigner un ensemble d'organismes ou d'institutions (par exemple : l'Administration des finances ou celle de l'Education nationale). A - LA CONCEPTION ORGANIQUE DE L'ADMINISTRATION Cette première approche fait référence aux « structures » dans lesquelles s'incarne l'Administration. 1 - LE PRINCIPE L'administration est composée de nos jours d'une pluralité de personnes morales de droit public, dites personnes administratives ou personnes publiques et classées dans des catégories dont certaines ne comprennent qu’une unité (comme par exemple l’Etat). NB – Il ne faut pas croire que tout organe est une personne morale. Ainsi par exemple, les assemblées parlementaires ne disposent pas de la personnalité morale (même si elles disposent d’une forte autonomie). Ce sont des organes relevant de la personne morale « Etat ». De même, le conseil économique et social est un organe de la collectivité d’outre-mer de Polynésie française. Au sommet se trouve l'Etat. Pendant longtemps, la notion organique d'administration a coïncidé avec celle d'Etat, à savoir que toute l'activité administrative (la gestion au jour le jour de la chose publique) était prise en charge par l'Etat. La République, une et indivisible, ne concevait pas le fractionnement de « l'exécution des lois » entre diverses collectivités publiques, exécution confiée ainsi exclusivement à l'Etat, personne morale au nom de laquelle agissaient les gouvernants et les fonctionnaires. Certes, la décentralisation permettait de reconnaître l'existence d'autres personnes morales infra- étatiques (communes, départements...) mais pendant longtemps, ces collectivités « publiques » ont été considérées comme des associations (ie. des personnes morales de droit privé) de citoyens réunis sur une base territoriale, soumises au droit privé. Ces collectivités ne pouvaient donc être considérées comme faisant partie de l'administration. Tout change à la fin du XIX° siècle, lorsqu’est admis que les collectivités territoriales (personnes publiques) sont soumises au droit administratif et font donc partie de l'administration, cette dernière n’étant plus dès lors le monopole de l'Etat). 8 Puis vont apparaître de nouvelles personnes publiques : les établissements publics. Ce fut l’âge d’or de la « trilogie » des personnes publiques (Etat, collectivités territoriales et établissements publics). Mais à la fin du siècle dernier et au début de celui-ci, le droit public français a connu une mutation majeure puisque plusieurs autres types de personnes morales de droit public (ou plus précisément de catégories de personnes publiques spécialisées) apparaissent. Sans chercher à être exhaustif, on peut signaler les cas suivants : 1. Tout d’abord, à la suite de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 qui détermine un nouveau cadre juridique pour fonder et organiser les institutions de la Nouvelle Calédonie, (soulignons l’originalité de cette loi qui renvoie aux orientations de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998), une loi organique du 19 mars 1999 crée un nouveau type de collectivité qui n’est plus une collectivité territoriale régie par le titre XII de la Constitution. En effet, le Conseil d’Etat dans un arrêt de section du 13 décembre 2006 (Genelle) affirme que la Nouvelle Calédonie n’est plus une collectivité territoriale. Reste alors à savoir ce qu’est devenue la Nouvelle Calédonie. Le Conseil d’Etat (qui n’avait pas à répondre à cette question) ne nous dit rien. Mais la doctrine propose de classer la Nouvelle Calédonie dans la catégorie des « communautés autonomes » (notion utilisée pour l’Espagne) ou « communautés autonomiques » (ie. collectivité d’un Etat – partiellement - autonomique), à savoir une collectivité disposant de l’autonomie politique, alors que les collectivités territoriales ne peuvent quant à elles jouir que de l’autonomie administrative. Le critère fondamental est ainsi la reconnaissance d’un pouvoir législatif territorial à ces collectivités autonomiques, les collectivités territoriales ne disposant que d’un pouvoir réglementaire. 2. Ensuite, une décision du Tribunal des conflits a reconnu en 2000 l’existence d’une nouvelle catégorie de personnes publiques (sui generis) : les groupements d’intérêt public, qui, contrairement à ce que l’on croyait, ne sont pas des établissements publics (TC 14 février 2000, GIP « habitat et interventions sociales pour les mal-logés et les sans-abris », c/ Mme Verdier). 3. Puis, par un arrêt du CE 22 mars 2000, Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France, la Haute Juridiction Administrative a consacré l’existence d’une nouvelle catégorie de personnes publiques, elle aussi sui generis, (ne comprenant qu’une unité, comme pour la Nouvelle-Calédonie) : la Banque de France, personne publique et non pas établissement public. NB - On signalera cependant, que la Cour de cassation, ayant eu à connaître un litige relatif à l’activité de la Banque de France (reproduction de billets par une revue numismatique), a qualifié celle-ci « d’établissement public administratif » (Cour cass. 1ère civ, 5 février 2002, Bque de France c/ Sté éditions Catherine Audval, JCP 5 juin 2002, p. 1046). Mais le Conseil d’Etat n’en a pas moins maintenu sa position, réaffirmant dans son arrêt du 2 octobre 2002 que la Banque de France « n’a pas le caractère d’un établissement public ». Il existe donc une divergence de jurisprudence entre les deux ordres de juridictions au sujet de l’existence de cette nouvelle personne publique. 9 4. De même, le législateur a créé une nouvelle catégorie de personnes publiques : les autorités publiques indépendantes. Il s’agit en fait d’autorités administratives indépendantes qui se sont vues doter de la personnalité morale de droit public. Exemples :  l’autorité des marchés financiers, loi n° 2003-706 du 1er août 2003 ;  l’autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, art. L 30-12 code des assurances ;  la Haute autorité de la santé, loi du 13 août 2004 relative à l’assurance-maladie, etc…). 5. Plus tard, la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a, en réformant certaines dispositions relatives à la conduite des recherches biomédicales, créé une nouvelle catégorie de personne morale : les comités consultatifs de protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales. NB - La doctrine hésite pour ranger ces nouvelles personnes morales (de droit public) :  soit dans la catégorie des « établissements publics », mais elles comportent au regard de cette catégorie de nombreux éléments dérogatoires,  soit dans celle des Autorités administratives indépendantes (doté de la personnalité morale). Bien que là encore, il y ait quelques différences, le nombre de critères compatibles est plus conséquent. A moins qu’il ne faille considérer qu’il s’agit d’une nouvelle catégorie de personnes publiques sui generis. 6. Puis, la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 portant sur la recherche, affirme que : « L'Institut de France ainsi que l'Académie française, l'Académie des inscriptions et belles-lettres, l'Académie des sciences, l'Académie des beaux-arts et l'Académie des sciences morales et politiques qui le composent sont des personnes morales de droit public à statut particulier placées sous la protection du Président de la République. » (art. 35). 7. En 2011, dans un avis rendu par le Conseil d’Etat (section de l’administration) sur un projet de décret portant création du comité technique de la grande chancellerie de la Légion d’honneur, la Haute Assemblée a estimé que l’ordre de la Légion d’honneur constitue une personne morale de droit public sui generis. 8. Enfin, depuis une loi du 27 mai 2013, on sait désormais que les sections de communes sont qualifiées expressément de personnes morales de droit public. 10 Ainsi, à côté de l’Etat et des collectivités publiques à caractère territoriale (collectivités territoriales et communautés autonomes - la Nouvelle-Calédonie) existent une troisième catégorie : les personnes publiques spécialisées, regroupant les établissements publics et toutes les autres personnes publiques. Toutes ces personnes constituent l’administration et elles s’expriment par l'intermédiaire d'organes produisant des actes juridiques (actes administratifs). Ces organes constituent des autorités administratives, à savoir des individus habilités à prendre des actes au nom d'une personne morale. Les autorités administratives sont entourées d'une foule de personnes qui exécutent des tâches matérielles (saisir des textes, préparer un dossier, contrôler une activité...), ce sont les agents publics. 2 - LES LIMITES On fera état des deux limites les plus importantes. 1) Au sommet de la hiérarchie administrative se trouve le Gouvernement. Or cet organe à la fois est chargé du pouvoir exécutif et « dispose de l’administration » (le pouvoir gouvernemental est ainsi exercé par les autorités administratives suprêmes). Le Gouvernement constitue donc un organe de caractère constitutionnel et politique qui assure la fonction gouvernementale générale mais c'est aussi la tête de l'administration du pays chargé d'assurer des tâches administratives. Ainsi, au point de vue organique, il existe des chevauchements entre le droit constitutionnel et l'étude de l'administration. La structure de la fonction gouvernementale relève bien du droit constitutionnel car celui-ci étudie l'ensemble de la structure générale du pays ; mais le Gouvernement relève aussi de l'étude de l'administration (et donc du droit administratif) car cette institution est aussi à la tête de l'administration du pays. Nous constaterons ci-après (infra B, 2, c) que la distinction entre la fonction politique (au sens de "gouvernementale") et la fonction administrative n'est, elle non plus, pas aisée. 2) La deuxième limite résulte de l'intervention de personnes morales de droit privé dans l'accomplissement de tâches administratives. Jusqu'à la fin du XIX° siècle, la définition organique de l'administration ne posait pas vraiment de difficulté en ce sens que l'administration n'était composée que de personnes morales de droit public. Si d'aventure le législateur soumettait des personnes initialement privées à un régime de droit administratif (ie application de règles du droit administratif et contrôle par le juge administratif), le juge procédait à une "requalification" juridique de la personne en la transformant par exemple de personne de droit privé (une association syndicale de propriétaires) en établissement public (TC 9 décembre 1899, Association syndicale du canal de Gignac, GAJA). A noter que le Conseil constitutionnel, près d’un siècle plus tard, a considéré aussi que ces 11 associations syndicales de propriétaires étaient des établissements publics à caractère administratif (Cons. const. n° 89-267 DC du 22 janvier 1990). Et puis le développement de l'interventionnisme de l'Etat dans le domaine économique, social, etc. a conduit ce dernier à créer ou à utiliser de plus en plus souvent des personnes de droit privé à qui étaient confiées des missions de service public. Dès lors, le juge a cessé de chercher à faire coïncider l'application des règles du droit administratif et la qualité de personne morale de droit public. De sorte que des personnes privées participent à l'action de l'administration. B - LA CONCEPTION FONCTIONNELLE DE L'ADMINISTRATION 1 - LA FINALITE DE L'ADMINISTRATION L’administration est chargée de satisfaire les besoins d'intérêt général. A) - LA NOTION CLASSIQUE D'INTERET GENERAL En principe, l’administration a une activité désintéressée : son but est de satisfaire l'intérêt général dont le domaine couvre l'ensemble des besoins sociaux que l'initiative privée ne peut assurer. En effet, l’administration intervient dans des domaines où l’initiative privée est défaillante, par exemple :  quand l’activité n’est pas rentable ;  ou bien parce que l’activité ne peut être confiée qu’à des personnes publiques (maintien de l'ordre public par exemple). B) - L'ALTERATION DE LA NOTION CLASSIQUE D'INTERET GENERAL L'Etat néo-libéral est devenu un « Etat providence » et dès lors, il a été mis fin à la politique de non-intervention. L’administration multiplie les actions dans les domaines industriel, commercial, bancaire, culturel, etc. Ainsi, l'intérêt général déborde dans le secteur du "développement économique et social" et sa frontière se déplace donc jusque dans la zone d'intérêt privé (ou considérée comme telle auparavant). En conséquence, les activités de l'administration s'intègrent dans l'économie de marché et, à l’instar des activités privées, recherchent la rentabilité. 12 Le juge administratif a lui aussi fait évoluer sa jurisprudence sur cette question. Il ne considère plus qu'intérêt général et intérêt privé soient antinomiques. Le juge admet au contraire qu'il puisse y avoir imbrication des notions d'intérêt général et d'intérêt privé. Ainsi, depuis 1971, il juge que l'intérêt général puisse être satisfait parallèlement à la satisfaction d'intérêt privé. Exemple :  CE 20 juillet 1971, Ville de Sochaux : il s'agissait du choix du tracé d'une route ; une association contestait ce choix -et plus précisément, une déviation devant desservir les usines Peugeot- au motif que son objet était de satisfaire l'intérêt d'une entreprise privée. Réponse du juge : « si la déviation de la route en question procure à la société automobile Peugeot un avantage direct et certain, il est conforme à l'intérêt général de satisfaire à la fois les besoins de la circulation publique et les exigences du développement d'un ensemble industriel qui joue un rôle important dans l'économie régionale ». Puis, en 1989, le juge va encore plus loin puisqu'il décide qu'intérêt public et intérêt privé sont des notions qui peuvent être confondues (CE 21 juillet 1989, Ass. de défense contre Astérix Land : utilité publique de la construction d'un échangeur autoroutier destiné exclusivement à la desserte du parc de loisirs Astérix). Cette évolution jurisprudentielle nous permet de conclure que la notion d’intérêt général s'est élargie pour comprendre désormais les activités économiques. D’où désormais : « la concurrence est une composante de l’intérêt général qu’il appartient aux collectivités publiques de protéger » (rapport du Conseil d’Etat 2002, EDCE n° 53, p. 388). De fait, aujourd’hui, l’administration intervient dans la sphère économique de différentes manières : 1) Les collectivités publiques interviennent sur un marché en exerçant une activité économique, c’est-à-dire en fournissant des biens et des services ; 2) Les collectivités publiques sont aussi demanderesses de biens et de services pour faire face à leurs propres besoins ou à ceux de la population (commande publique), 2 - DEFINITION DE LA FONCTION ADMINISTRATIVE L’identification et la détermination de ce qu'est la fonction administrative n’est pas un exercice aisé, comme illustré ci-après. La raison en est que la fonction administrative n'est pas la seule fonction assurée par les collectivités publiques. 13 Par exemple, il est acquis que la séparation des pouvoirs postule que l'Etat exerce deux autres fonctions, en plus du "pouvoir exécutif" :  la fonction législative ;  et la fonction juridictionnelle. De plus, au sein de la fonction exécutive, il convient de distinguer entre la fonction gouvernementale et la fonction administrative (i.e. les tâches administratives au sens strict du terme). A) - FONCTION ADMINISTRATIVE ET FONCTION LEGISLATIVE  Edicter des lois, c'est adopter des règles générales, abstraites, impersonnelles qui régissent l'ensemble des activités nationales.  Administrer consiste alors à assurer la gestion quotidienne de l'action des personnes publiques. Cependant, le Parlement peut ne pas poser de règles générales et prendre des décisions de pure gestion (dans le cadre par exemple du fonctionnement du Parlement). Inversement, l'administration adopte des règles générales (pouvoir réglementaire). B) - FONCTION ADMINISTRATIVE ET FONCTION JURIDICTIONNELLE  Juger, c'est intervenir lorsqu'un litige est né et préciser à cette occasion la règle de droit applicable, son sens et quels sont les droits des deux parties.  Administrer, dans ce cas, c'est agir pour faire fonctionner les services publics. En réalité, dans l'un et l'autre cas, (c'est à dire dans la fonction d'administrer comme dans celle de juger), il s'agit toujours d'appliquer le droit à un cas concret et éventuellement de créer le droit. C) - FONCTION ADMINISTRATIVE ET FONCTION GOUVERNEMENTALE Les auteurs présentent parfois la distinction suivante entre la fonction gouvernementale et la fonction administrative :  Gouverner consisterait dans le fait de prendre des décisions fondamentales engageant l'avenir de la Nation (cf. art. 20 de la Constitution: "Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation" ; art. 21: "le premier ministre dirige l'action du Gouvernement"). 14  Administrer consisterait alors à assurer les tâches de gestion quotidienne (prévoir le ramassage scolaire des enfants ; reboucher un trou sur la chaussée, etc.). La distinction juridique entre ces deux fonctions est toutefois pratiquement impossible à faire, en l’absence de critère déterminant. En effet, un même acte, une même action peut avoir à la fois un aspect politique et un aspect administratif. Exemple:  La nomination d'un haut fonctionnaire peut avoir un aspect exclusivement administratif mais il peut aussi revêtir selon les un aspect politique plus ou moins marqué circonstances (si la nomination par exemple a lieu après un changement de majorité). D'ailleurs, nous l'avons précisé (supra A), la fonction gouvernementale et la fonction administrative incombent aux mêmes organes et toutes deux aboutissent à des actes de même nature (acte administratif). Il convient ainsi d’admettre qu'il est difficile, au sommet de l'Etat, de distinguer les deux fonctions. * * * Sous le bénéfice de ces remarques, l'administration peut se définir de la manière suivante : c'est l'ensemble :  des autorités de l'Etat, à l'exclusion du Parlement et des juridictions,  des personnes publiques autres que l'Etat (c'est à dire les collectivités autonomiques, les collectivités territoriales et les personnes publiques spécialisées : établissements publics, Groupement d’intérêt public, AAI, etc. supra A, 1),  ainsi que des personnes privées contrôlées par les pouvoirs publics, chargées de la direction et de la gestion des services publics et qui ont reçu à cette fin des prérogatives de puissance publique. § 2 ‐ LE DROIT DE L'ADMINISTRATION Quelles sont les normes juridiques qui régissent ou encadrent les activités de l'administration ? S’agit-il des mêmes normes que celles applicables aux particuliers ou un droit spécifique leur est-il consacré ? 15 Les deux conceptions sont envisageables (A) mais le modèle français opte pour des règles de droit spécifiques (B). Nous conclurons cette partie par un exposé bref de l’évolution du droit administratif (C). A - LES MODELES DE REFERENCES Parmi les grands systèmes juridiques occidentaux, on distingue le modèle anglo-saxon (la common law) et le modèle romano-germanique (qui caractérise la France). 1 - DES MODELES OPPOSES EN THEORIE A) - LE MODELE DE LA COMMON LAW Ce modèle caractérise les pays anglo-saxons (et ceux de tradition anglo-saxonne : par exemple, les pays de l'Afrique anglophone et les Etats d’Océanie) et correspond parfaitement à l'interprétation anglo-saxonne de la séparation des pouvoirs : le pouvoir judiciaire doit trancher tous les litiges, y compris ceux de l'administration, et la suprématie de la loi fait que l'administration ne doit jouir d'aucune prérogative particulière. Dans ce système, il n'est pas nécessaire d'élaborer un droit spécifique à l'administration. Cette dernière est soumise au même droit que celui des particuliers : il s’agit d’un droit commun, la « common law », contrôlée par les mêmes juridictions (système d’unité de juridiction). B) - LE MODELE ROMANO-GERMANIQUE C’est le modèle qui caractérise le système français, ainsi que de nombreux autres pays européens y compris les pays d'Afrique francophone. Les juristes romains (à l'époque de l'empire romain) nous ont légué leur conception de la distinction « droit public / droit privé », distinction qui fut introduite en Europe occidentale par le mouvement de renaissance du droit romain à partir du XIII° siècle. Les personnes publiques - à commencer par l'Etat- sont ainsi soumises à un droit différent de celui qui régit la conduite des particuliers. Pour parvenir à ses fins l’administration dispose de prérogatives de puissance publique qui sont inconnues en droit privé. A ce droit particulier correspond depuis plus d'un siècle un juge particulier : le juge administratif, chargé de résoudre les litiges où l'administration est partie. Ainsi, contrairement au système de la common law, le système romano-germanique est caractérisé par la dualité des règles juridiques et le plus souvent par la dualité de juridictions. Ceci découle notamment de notre interprétation spécifique du principe de séparation des pouvoirs, conception radicalement différente de la précédente exposée ci-dessus, et plus 16 précisément de la méfiance, à l’époque, des révolutionnaires à l'égard des anciens « parlements » (cours judiciaires). Ainsi, le juge judiciaire ne doit pas s'immiscer dans le pouvoir exécutif : l'action administrative est soustraite à l'activité des juridictions judiciaires et fut proclamé le principe de "la séparation des autorités administrative et judiciaire" (loi des 16 et 24 août 1790). Si nous connaissons un droit administratif, caractérisé par les privilèges de l'administration, c'est parce que nous sommes marqués par une conception particulière de la souveraineté de l'Etat (plus forte qu'en Grande Bretagne). Notre droit administratif apparaît en effet comme un corps de règles capable d'assurer l'autorité du pouvoir central. Certains juristes, tel Maurice Hauriou, ont bien mis en exergue le lien qui existe entre la centralisation de l'appareil administratif et le droit administratif : l’autoritarisme du pouvoir central se trouve traduit dans les normes juridiques. D'autres auteurs, le professeur François-Paul Benoit par exemple, fournissent une autre explication pour justifier l'apparition d'un droit administratif dérogatoire au droit commun ou exorbitant du droit commun. Ce sont les juristes libéraux qui ont oeuvré en faveur du droit administratif pour encadrer le pouvoir absolu du souverain, ce qui revenait à faire admettre que l'activité du souverain pouvait relever d'une réglementation. Même si cette réglementation restait spécifique, il s’agissait d’une avancée notoire : désormais, le pouvoir n’était plus absolu, il était réglementé, et contrôlé par des juges (les juges administratifs). Les libéraux espéraient ainsi réduire, limiter et contrôler plus efficacement le pouvoir de l'administration. 2 - LA RELATIVITE DE L'OPPOSITION DES MODELES DE REFERENCES En fait, s'il existe bien une distinction entre ces deux systèmes, common law et romano germanique, on note cependant des rapprochements. Il n'y a plus aujourd’hui d'opposition radicale entre les systèmes d'unité ou de dualité de droit, notamment du fait de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne ; le droit communautaire ignore en effet la distinction droit public/ droit privé, ce qui provoque un mouvement général de rapprochement des systèmes juridiques des Etats membres. C'est ainsi qu'à l'heure actuelle, tous les systèmes juridiques se dotent de règles particulières, sans équivalent dans le droit privé, qui consacrent des prérogatives particulières pour l'administration. NB - Dès le XIX° siècle, la Grande Bretagne se dote des règles spéciales au profit de l'administration, mais l’autonomie de ce droit ne date que de la seconde moitié du XX° s. 17 Même en Angleterre se développent de nombreuses juridictions ou organismes chargés de trancher les conflits administratifs et il y a des contentieux administratifs que ne peuvent pas connaître les juridictions judiciaires. La différence avec la situation française tient au fait qu’il existe en Grande Bretagne non pas des tribunaux « généralistes » constituant, comme c’est le cas en France, un ordre de juridictions appliquant les principes du droit administratif, mais une multitude d’organismes, qui prennent le nom de « tribunal », d’ « office », d ’ « agence », chargés d’un domaine spécialisé tel que celui des litiges relatifs au droit d’accès et de séjour des étrangers ; ou celui relatif aux collectivités territoriales face aux différentes formes de tutelle administrative ou financière du Gouvernement central. Ces juridictions spécialisées ne forment pas un ordre de juridiction à part, mais sont intégrées dans le système de l’unité de juridiction. Aujourd’hui, il est admis en Angleterre qu’il faut distinguer le droit public du droit commun (cf. DA juillet 2005, chron. 16). Pour illustrer ce développement de juridictions spécialisées (dans les litiges mettant en cause l’administration), quelques exemples :  Aux USA, en 1982, fut créée une 13° Cour d’appel fédérale, dont les juridictions sont pour partie administrative ;  En Nouvelle Zélande ont été créées des chambres administratives dans les juridictions de droit commun ;  Enfin en Australie, fut créé en 1975 un tribunal d’appel pour réformer les décisions administratives. Pourquoi un tel constat ? Les raisons sont multiples : - l'Etat ne peut se dispenser de recourir à la contrainte (nécessité parfois de l'expropriation pour le bien commun par exemple) ; - de même, l'Etat ne saurait être régi selon un statut applicable aux sociétés privées ; - enfin, l'administration assume des tâches sans commune mesure avec celle des particuliers (assurer l'ordre public par exemple) et donc non régies par le droit privé. Inversement, le fait qu'il existe un régime juridique propre à l'administration n'interdit pas à celle-ci d'être aussi soumise au droit commun (droit privé). Il n'y a aucune impossibilité de principe. Il existe de nombreux cas où le juge judiciaire est compétent pour trancher des litiges où l'administration est partie. Ceci est dû à plusieurs raisons : - il s’agit d'abord de application d'un principe traditionnel (mais aujourd'hui quelque peu contesté et en tout état de cause ne reflétant plus la réalité de la situation) qui veut que le juge judiciaire soit le gardien de la liberté individuelle et de la propriété ; 18 - ensuite, il peut être mal commode pour l'administration d'utiliser son droit spécial : c'est le cas par exemple quand l'administration oeuvre dans les mêmes secteurs que les particuliers : par exemple, des entreprises publiques intervenant dans le secteur économique et financier (elles utilisent alors les mêmes règles de droit privé pour pouvoir être concurrentes) ; - enfin, le procédé de droit public est très souvent plus lourd à mettre en oeuvre (plus formaliste) et il est donc plus simple, quand il n'y aucune nécessité majeure, d'utiliser les techniques du droit privé : l'administration pourra ainsi par exemple passer des contrats de droit privé (dont le régime des procédures est plus souple que celui des marchés publiques). B - LE SYSTEME FRANÇAIS 1 - DEFINITION DU DROIT ADMINISTRATIF Il existe deux définitions du droit administratif, qui correspondent à des interprétations théoriques différentielles. A) - LE DROIT ADMINISTRATIF AU SENS STRICT Au sens strict (stricto sensu) le droit administratif se définit comme l'ensemble des règles exorbitantes du droit commun1, applicables à l'administration (cela exclut donc les règles de droit privé qui sont parfois applicables à l’administration). NB – Cette conception a le défaut de faire apparaitre le droit administratif comme un droit « dérogatoire » au droit commun (droit civil). Le professeur François-Paul Bénoit donne ainsi par exemple une définition plus nuancée, en qualifiant le droit administratif (comprenant des règles spéciales) comme « le droit commun de l’action administrative » (Le droit administratif français, Dalloz 1968 p. 67). Cette première approche appelle les quelques développements suivants. Dire que le droit administratif est un corps de règles spéciales (ie. différentes du droit privé), c’est faire référence à deux idées opposées : 1 Dans un arrêt du Tribunal des conflits du 13 octobre 2014, SA Axa France IARD, n° 3963, le juge des conflits donne une nouvelle définition de la clause exorbitante ; désormais elle n’est plus une « clause exorbitante » du « droit commun ». Elle est seulement exorbitante : « (…) que le contrat litigieux ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ». 19  D’une part, un pouvoir de décision large : en effet, les règles de droit administratif diffèrent des règles de droit privé car elles confèrent aux autorités administratives des pouvoirs qui ne sauraient exister dans les rapports entre particuliers : c'est ce que l'on appelle les prérogatives de puissance publique ; exemples : l'administration peut prendre des règlements ; elle peut exproprier ; etc. La première des prérogatives, celle dont découlent toutes les autres, est la « prérogative de décision » c’est-à-dire que l’on assimile « pouvoir de décision unilatérale et prérogative de puissance publique » car l’essence de la puissance publique s’exprime dans ce pouvoir de décision unilatérale, et cela entraîne « ipso facto » la compétence du juge administratif. Mais nous constaterons (infra Partie IV, chapitre 1er) que toutes les décisions unilatérales ne mettent pas en œuvre des « prérogatives de puissance publique ». Ainsi, « le droit administratif est avant tout un droit de privilège, placé sous le signe de l’unilatéralité » (Jacques Chevalier, « Le droit administratif, droit de privilège » Pouvoirs 1988, n° 46, p. 58) car il confère des prérogatives de puissance publique à l'administration qui poursuit l’intérêt général. Cependant, même les exigences de l’intérêt général et de l’ordre public (son maintien) ne permettent pas à l’administration d’user de pouvoirs arbitraires. Le droit administratif rencontre les règles du droit privé, et le juge administratif doit concilier les droits de la puissance publique avec les droits privés. Le droit administratif recherche constamment un point d’équilibre entre « l’ordre » et « la liberté », c'est à dire entre les droits fondamentaux des personnes (et donc des administrés) et les exigences de l’intérêt général et de l’ordre public.  D’autre part, un cadre d’action strictement défini et contraint : le droit administratif soumet l'administration à des obligations (ou sujétions) bien plus strictes que celles qui existent en droit privé. Exemples :  Les particuliers sont libres de choisir le but de leurs activités alors que l'administration est tenue de poursuivre l'intérêt général ; les particuliers sont libres dans le choix de leur contractant alors que l'administration, on le verra, est tenue par des procédures de désignation qui font que le choix du candidat lui échappe. Ainsi, si le droit administratif est dérogatoire au droit commun, il l'est de deux manières : d'une part, en conférant des prérogatives de puissance publique à l'administration ; d'autre part, en imposant à l'administration des sujétions plus strictes que celles auxquelles sont soumis les particuliers entre eux. En conclusion, il ne faut pas exagérer la différence entre règle exorbitante et règle de droit commun. Le droit administratif au sens strict n'est pas constitué uniquement de règles inconnues en droit privé. Si certaines n’ont effectivement pas d’équivalent en droit privé (exemple : le principe de mutabilité des contrats est spécifique au droit administratif), d’autres sont toutefois empruntées au droit privé et, en étant réceptionné dans le droit public, ont été 20 adaptées au contexte particulier de l'administration. Il arrive aussi que le juge administratif applique à l'administration une règle identique à une disposition du droit privé (quand c’est le cas, le juge administratif ne fait pas, le plus souvent, référence au code dont il s’est inspiré). B) - LE DROIT ADMINISTRATIF AU SENS LARGE Au sens large (lato sensu), le droit administratif comprend l'ensemble des règles juridiques applicables à l'administration (activité, organisation), quelque soit leur nature juridique (de droit public ou de droit privé) et quel que soit le juge compétent pour en assurer le respect. Ainsi, le droit de l'administration apparaît selon l'expression du professeur René Chapus, comme « un droit mixte fait pour une part de règles de droit public et pour l'autre des règles même du droit privé » (Droit administratif général, tome 1, Montchrestien). Le problème fondamental, d'un point de vue théorique, est de savoir si le droit administratif comprend l'ensemble de ces règles applicables à l'administration ou seulement celles de ces règles qui sont particulières, différentes du droit privé. En France, la majorité de la doctrine penche pour la première option. Le professeur Jean Rivéro écrit que : « le droit administratif est l'ensemble des règles juridiques distinctes de celles de droit privé qui régissent l'activité administrative des personnes publiques ». Mais cette définition est critiquée pour son illogisme, notamment par Charles Eisenmann et Paul Amseleck : si on définit le droit administratif par la nature des sujets auxquels il s'applique (ie. l'administration), il est illogique d'en exclure certaines règles en fonction de leur contenu. Dès lors qu'une règle régit des rapports entre l'administration et les particuliers, ou internes à l'administration, elle entre dans le droit administratif, même si elle a un contenu identique aux règles de droit civil (elle permet ainsi de donner une vue complète de la nature du régime auquel est soumise l'administration). Pour ces auteurs, le droit administratif est l'ensemble des règles juridiques qui s'imposent à l'administration sans qu'il ait lieu de distinguer entre les règles spéciales (ie. différentes du droit privé et sanctionnées par des juridictions spéciales : distinctes de celles de l'ordre judiciaire) et les règles de droit privé (sanctionnées par les tribunaux de l'ordre judiciaire). 2 - FONDEMENT DU DROIT ADMINISTRATIF A) - LA DOCTRINE CLASSIQUE La doctrine a recherché un principe unique servant à la fois de critère des règles de compétence juridictionnelle et de notion-clé du régime administratif. 21 Plusieurs critères ont été expérimentés au cours du XIX° siècle. Cependant, le Conseil d’Etat a refusé de consacrer le critère organique : selon celui-ci, tout différend intéressant une « personne publique » (ou mettant en cause des agents publics) constituerait le droit administratif et celui-ci relèverait du juge administratif. Si le Conseil d’Etat n’a pas retenu ce critère, c’est parce qu’il aurait eu pour effet d’étendre singulièrement le champ du droit administratif. La Haute Assemblée a donc recherché des critères matériels, ie. tenant à la nature ou aux modalités de l’activité administrative. Un premier critère a été rapidement abandonné (vers le milieu du XIX° siècle) : le critère de « l’état débiteur » (le plus simple) ; ainsi, les tribunaux judiciaires n’ont pas le droit de condamner l’Etat à payer une somme d’argent (quelle que soit l’origine de la dette). Ce critère se fonde sur une interprétation erronée de vieux textes datant de l’époque révolutionnaire et de toute façon, il ne peut servir à fonder l’ensemble du droit administratif (lequel ne se résume pas à la responsabilité pécuniaire de l’Etat). Deux autres critères, défendus par deux « Ecoles » sont apparus successivement :  l'école de la puissance publique ;  l'école du service public (école de Bordeaux). Ces deux écoles s'opposent ainsi par les buts et les moyens mis en œuvre. La notion de « puissance publique » concerne l'ordre des moyens ou procédés par lesquels l'administration va remplir sa mission. Une activité qualifiable de service public doit veiller à la meilleure satisfaction de l'intérêt général. 1°) - Le critère de la puissance publique C'est au XIX° siècle que l'on a commencé à vouloir fonder le droit administratif sur la notion de puissance publique. Le droit administratif est considéré comme un droit de privilège (exorbitant du droit commun). Cette liaison entre le régime de droit public et la puissance publique a été posée dans la décision Blanco du TC en date du 8 février 1873 (GAJA) : la compétence administrative et la soustraction au droit privé posées dans cette décision ne s'appliquent à l'Etat qu'en tant qu'il est puissance publique. Sur ces bases, la doctrine (Maurice Hauriou ; Laferriere et Barthélémy) a élaboré une distinction entre les actes d'autorité et les actes de gestion. - les actes d'autorité ou de puissance publique manifestent une volonté de commandement (d'où, l'administration est soumise au droit public et son contentieux relève des juridictions administratives) ; - par contre, l'activité de l'administration lorsqu'elle accomplit des actes de gestion (par exemple des contrats) est comparable à celle des particuliers et donc, relève du juge judiciaire. 22 2°) - Le critère du service public Cette théorie a été élaborée à partir du début du XX° siècle : le critère du service public remplace celui de puissance publique. La jurisprudence pose le principe que l'activité des collectivités publiques est soumise au droit public dès lors qu'elle constitue une activité de service public. La décision Blanco (op. cit.) est réinterprétée à cette occasion et fait figure d'arrêt précurseur : l’exploitation de la manufacture des tabacs est une « activité de gestion » et non « d’autorité ». Suivront en effet toute une série d'arrêts très importants consacrant ce critère : CE 6 février 1903 Terrier, GAJA ; TC 28 février 1908 Feutry, GAJA ; CE 14 mars 1910 Thérond, GAJA. Les principaux auteurs de cette doctrine sont Léon Duguit, Gaston Jeze, Roger Bonnard (Louis Rolland et André de Laubadère furent les continuateurs de cette doctrine). Pour ces auteurs, le droit administratif sera le droit des services publics. Cette notion est la pierre angulaire du droit administratif, dit-on parfois : il existe une relation absolue entre service public et droit administratif pour les partisans de cette école. Le service public constitue la frontière entre le droit administratif et le droit privé (toutes les solutions propres au droit, toutes les théories, vont s'expliquer par les exigences du service public). Mais la théorie du service public a fait l'objet de multiples critiques car même au temps de son apogée, cette notion ne rendra pas compte de la totalité de la jurisprudence (qui est toujours restée extérieure à ces « faiseurs de système » et qui fait montre d'empirisme). De fait, la notion de service public n'a jamais eu aux yeux du juge la valeur que la doctrine lui a donnée pour expliquer le fondement du droit administratif. Le juge a en effet toujours reconnu la possibilité pour les services publics d'utiliser les techniques du droit privé (CE 31 juillet 1912, Sté des granits porphyroïdes des Vosges, GAJA). Puis, dans sa décision du 22 janvier 1921, le Tribunal des conflits a consacré la notion de service public industriel et commercial soumis au droit privé. (SCOA ou bac d'éloka, GAJA). B) - LA DOCTRINE CONTEMPORAINE Le débat doctrinal est devenu pragmatique : il ne consiste plus à rechercher l'essence du droit administratif. On s'est aperçu en effet qu'il était impossible de tenter d'expliquer le droit administratif à partir d'un critère unique (la théorisation du droit administratif se fait autour de plusieurs idées maîtresses). D'autant qu'on s'est aperçu que le droit administratif repose dès l'origine à la fois sur le critère de puissance publique et sur celui du service public. Le droit administratif et la compétence du juge administratif sont fondés : 23 - d'une part, sur les moyens que l'administration peut mettre en œuvre et qui relèvent de la puissance publique ; - et d'autre part, sur la mission d'intérêt général qui est assignée à l'administration. La démarche qui consiste à considérer que ces deux critères sont exclusifs est erronée. C'est la coexistence des deux notions qui donnent sa physionomie au droit administratif. Il n'est plus possible en effet de tenter de systématiser le droit administratif autour d'une notion unique. L'effort de la doctrine consiste seulement à présenter, de la manière la plus exacte possible, les solutions du droit positif : c'est à dire rendre compte des règles de répartitions des compétences entre juge administratif et juge judiciaire. Ainsi, après avoir connu une phase où le courant doctrinal « conceptualiste » a dominé, on est depuis plusieurs dizaines d'années dans une phase dite « empirique ». Certains auteurs vont même jusqu'à renoncer à saisir le droit administratif comme une construction conceptuelle globale. 3 - LES CARACTERES ESSENTIELS DU DROIT ADMINISTRATIF A) - LE CARACTERE JURISPRUDENTIEL Le droit administratif français est un droit d'origine jurisprudentiel car c'est avant tout le juge administratif qui a élaboré les règles du droit de l'administration. A partir du moment où a été admis que les règles du droit privé étaient le plus souvent inapplicables aux activités de l'administration, il a fallu créer des règles spéciales et ce sont les juridictions administratives qui ont assumé cette tâche. La jurisprudence est donc une source importante de ce droit. Ainsi, de nombreuses règles juridiques en droit administratif n'ont d'autre origine que l'arrêt dans lequel le juge les a formulées ; on considère alors, pour justifier cet état de fait, que la jurisprudence est évolutive, s'adaptant aux exigences de la vie administrative. Mais cela ne présente pas que des qualités :  on peut en effet dire que le droit administratif est un droit secret, car connu des seuls initiés, et dont la subtilité est parfois déroutante. De plus le laconisme des arrêts n'aide pas toujours à la compréhension de ce droit (il faut en effet souvent recourir aux conclusions des rapporteurs publics, aux notes d'arrêt, etc.). Toutefois, depuis peu, on relève que le juge administratif fait quelques efforts pour rendre plus « lisible » ses décisions. - on reproche aussi à ce droit d'être compliqué (manque de cohérence car le juge statue de façon empirique pour résoudre des problèmes concrets et de ce fait, il fait évoluer sa jurisprudence). Un ancien Président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, Raymond Odent a écrit à ce sujet que : 24 « les spécialistes se complaisent dans une sorte de jeu intellectuel accessible seulement à quelques initiés qui en polissent avec soin les règles très savantes (...) [et font] du contentieux administratif une matière trop byzantine dont les administrés et les justiciables ne parviennent plus à suivre les lignes directrices ». C'est pourquoi certains auteurs (comme par exemple Georges Vedel) se sont posés la question de savoir si le droit administratif pouvait être indéfiniment jurisprudentiel (cf EDCE 1980 n° 31). Mais les membres du Conseil d’Etat sont assez favorables à conserver le caractère jurisprudentiel : « (…) le Président de la section du contentieux du CE oppose « la rigidité du droit écrit », source sclérose, à la souplesse de la norme jurisprudentielle, initiatrice de « progrès » (AJDA 24 février 2014, p. 398, Pascale Gonod). Néanmoins, si la source jurisprudentielle est prédominante, il n'en existe pas moins de nombreux textes qui tendent à se multiplier depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale. Ainsi, il existe à l'heure actuelle plusieurs dizaines de codes (code des relations entre le public et l’administration 2016 ; code de la sécurité intérieure 2012 ; code général de la Propriété des personnes publiques 2006 ; code général des collectivités territoriales ; code de la santé publique ; code des marchés publics ; code de l’éducation ; code de l’environnement ; code de la justice administrative ; code des juridictions financières ; code de la construction et de l’habitat ; Livre des procédures fiscales, etc.). Environ 60% des lois et 30% des textes règlementaires en vigueur se trouvent aujourd’hui codifiés (AJDA 27 février 2014, p. 400, Mattias Guyomar, « les perspectives de codification contemporaine »). Tous ces codes ne sont toutefois pas des textes d'ensemble, ils ne concernent que des secteurs particuliers –ou techniques- (on ne peut les comparer au code civil ou au code pénal). Ils ne sont pas pour autant sans intérêt et ils facilitent l'accès aux règles s'appliquant dans tel ou tel secteur. Mais les grands chapitres du droit administratif restent purement jurisprudentiels : police administrative, responsabilité, régime du contrat administratif, etc. Enfin, on a pu constater une baisse de créativité dans la jurisprudence administrative (alors que celle-ci a été particulièrement soulignée et saluée avec intérêt jusque dans les années soixante) : le juge administratif n'a pas su répondre aux nouvelles attentes de la société civile (fortement marquée par le souci de défendre les droits individuels ; le juge n'a pas su se démarquer de sa tradition étatiste). Les particuliers n'envisagent le droit administratif que sous l'angle de la protection des individus contre l'administration : ils veulent donc un droit administratif plus efficace et moins respectueux des actions de l'administration, et ils veulent aussi que la décision de justice se présente comme un acte de persuasion et non plus comme un acte d'autorité. Si bien que les progrès du droit administratif ont été accomplis grâce à l'action du législateur : motivation des actes, astreinte contre l'administration, etc. Pour expliquer cette cause de « l'amoindrissement relatif du rôle du juge dans l'élaboration du droit administratif », un Président de section du Conseil d’Etat, Guy Braibant, a écrit : « c'est la volonté de ne pas empiéter sur les pouvoirs du législateur et de laisser au pouvoir politique l'initiative des réformes (...). Le Conseil d’Etat est sans doute entré 25 (...) dans une période de "jurisprudence retenue" » (mélanges René Chapus, Montchrestien p. 98). Toutefois, sont apparus de nouveaux signes montrant un renouveau du juge administratif dans sa hardiesse pour limiter l'administration, dû notamment au phénomène de constitutionnalisation de la juridiction administrative (cf infra). Ce phénomène est perceptible depuis la fin des années 1980. Cependant, dans sa mission juridictionnelle, le juge administratif ne dégage plus beaucoup de grands principes : cet état de fait s'explique probablement par la prolifération du droit écrit (lois et décrets) qui : « restreint de manière mécanique l'espace dans lequel la jurisprudence peut se déployer » (Olivier Schrameck, Droit administratif et droit constitutionnel" AJDA 1995, p. 36) La jurisprudence est ainsi bridée par l'évolution du droit positif qui se fractionne et se spécialise. Désormais, l'intervention régulatrice du juge pousse celui-ci à accroître la rigueur de son contrôle (extension du contrôle normal ou maximum dans le contentieux de l'annulation ; extension du régime de responsabilité sans faute ou pour faute simple, diminution du champ des mesures d'ordre intérieur, des actes de gouvernement…). B) - LE CARACTERE AUTONOME Nous savons déjà que le droit administratif est un droit constitué par des règles dérogatoires au droit privé. Il est donc autonome. Mais cette autonomie doit être bien comprise : le droit administratif n'est pas un droit d'exception à côté du droit privé considéré comme le droit commun. L'autonomie comporte : - un aspect négatif : l'inapplicabilité des règles de droit privé à l'action administrative, - et un aspect positif : l'originalité des règles auxquelles l'action administrative est soumise, c'est-à-dire un corps de règles propres ayant ses sources distinctes, animées par des principes généraux et des théories qui se suffisent à eux mêmes. On trouve ces deux aspects dans la fameuse décision Blanco du 8 février 1873 : « La responsabilité qui peut incomber à l'Etat pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes qui sont établis par le code civil pour les rapports de particulier à particulier ». Précisons encore que l'autonomie du droit administratif dépasse la simple spécificité technique des règles de telle ou telle discipline juridique (droit du travail, droit commercial) car dans ce cas, les règles spécifiques sont interprétées et appliquées à la lumière des théories du droit 26 commun. Pour nous, le droit administratif se réfère à ses propres principes qui sont le plus souvent sans équivalent dans le droit privé. Et si le droit privé régit tel ou tel aspect de l'action administrative, c'est à titre dérogatoire, parce qu'un choix délibéré a été fait en ce sens par le juge, ou l'administration elle-même. L'autonomie du droit administratif doit aussi s'apprécier vis-à-vis du droit constitutionnel. On sait que le courant néo-constitutionnaliste (Ecole de Louis Favoreu) invoque la Constitution (et en fait la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, voire l’interprétation de la jurisprudence constitutionnelle par la doctrine) comme la source fondamentale du droit français dans son entier (ce qui vise aussi le droit administratif) « La période de l’affirmation de l’autonomie de chaque branche du droit [et donc du droit administratif] est révolue : et dans l’Etat de droit moderne l’individu aspire à une harmonisation des branches du droit à partir de principes communs » (Louis Favoreu et Thierry Renoux, Rapport général introductif, in La Cour de cassation et la constitution de la République, PUAM, 1995, p. 31). Et ce courant doctrinal ajoute : - « une seule Constitution » valable ou s’imposant à tous (car les principes dégagés par le juge constitutionnel, à la différence des principes généraux du droit [PGD] dégagés par le juge administratif, le juge civil, le juge commercial, sont valables pour toutes les branches du droit et non pas, comme les PGD, pour chaque branche) - et la nécessité d’une interprétation uniforme donnée par une seule juridiction, afin de garantir une application uniforme de la constitutionnalité (voir L. Favoreu, « Légalité et constitutionnalité », Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 3-1997, p. 73 et s.). Mais le juge administratif refuse cette conception ou vision de l’ordre juridique : nous constaterons en effet que le juge ordinaire peut même créer des principes constitutionnels, concurrençant ainsi le Conseil Constitutionnel. Pourtant, cette opinion (relative à la disparition de l’autonomie des branches du droit comme résultante du développement de la jurisprudence constitutionnelle) est critiquée par un grand spécialiste de ces deux droits (administratif et constitutionnel), en l’occurrence le Doyen Georges Vedel. A la question du développement de la constitutionnalisation des branches du droit dans leur ensemble et corrélativement, à l’effacement, à terme, des diverses branches du droit au profit d’un système unique, cet auteur répond que ce phénomène est inexact car la pénétration du droit constitutionnel ne touche que quelques principes du droit administratif constituant la partie émergée de l’iceberg, (infra C). Et d’ailleurs, le Conseil Constitutionnel ne remet pas en cause les PGD créés par le juge : il vérifie s’ils ne contredisent pas la Constitution (ce qui n’a été le cas qu’une seule fois), autrement dit s’ils ont rang constitutionnel et donc peuvent éventuellement justifier la censure des lois qui les méconnaîtraient. Mais en tout état de cause, le juge ne formule aucune critique sur l’existence d’une source autonome du droit administratif (Georges Vedel, “ Aspects généraux et théoriques, in Mélanges Roland DRAGO, Economica 1996, p. 7). 27 Le doyen Vedel ajoute que « ceux » qui défendent le processus de “ constitutionnalisation ” ne défendent en fait que la suprématie de la Constitution (qui est hors de cause dans ce processus), voire même, la suprématie du droit constitutionnel, afin de se positionner comme autorité suprême dans le champ des disciplines juridiques (Georges VEDEL, “ Aspects généraux et théoriques, in Mélanges Roland DRAGO, économica 1996, p. 5 et 6). En effet, on comprend aisément pourquoi ces auteurs défendent une telle positon : en qualité de spécialistes du droit constitutionnel jurisprudentiel, ils sont la parole autorisée et légitime du droit. Cette position serait pratiquement et logiquement défendable si la France était un pays d'unité de juridiction car dans ce cas, le conseil constitutionnel jouerait le rôle d'une cour suprême. Mais tel n'est pas notre cas... Le droit administratif apparaît comme un droit séparé du droit constitutionnel car il se développe à l'intérieur de son propre système (cf. René Chapus). Les principes du droit administratif sont en harmonie avec ceux de la constitution mais ce sont ses principes propres. Cependant, on ne peut pas nier que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel influence et modifie le droit administratif (infra C). En définitive, on peut retenir qu’il est certain que le droit administratif n’est plus ni isolé, ni produit par le seul juge administratif ; il est intégré dans un espace plus vaste où d’autres juges peuvent le concurrencer en produisant des principes dont le juge administratif devra tenir compte : « le juge administratif se trouve désormais inséré dans un espace juridictionnel concurrentiel » (Jacques Chevalier, « L’évolution du droit administratif », R.D.P. 98, p. 1801). C - L'EVOLUTION DU DROIT ADMINISTRATIF Nous allons présenter, l’évolution du droit administratif, en général (1), puis apprécier cette évolution dans le contexte de la Polynésie française (2). 1 – L’EVOLUTION GENERALE DU DROIT ADMINISTRATIF Contrairement à une opinion répandue, le droit administratif ne fait pas son apparition en 1789. De nombreux auteurs indiquent en effet que le droit administratif fait son apparition en 1789 et est la résultante de la création d'une juridiction administrative qui va dégager des règles spécifiques (et est citée d'ailleurs à ce titre la décision Blanco : TC 8 février 1873, GAJA). Cette assertion est erronée. Certes, dès lors qu’une juridiction administrative embryonnaire a été mise en place au cours du XIX° siècle, celle-ci a créé de nouvelles règles ; mais en fait, les juges se sont appuyés sur un fond commun de principes et même, de textes bien antérieurs à 1789. Quelques historiens ont produit des études remarquables sur le droit administratif de l'ancien régime qui formait un corps de règles relatives à l'administration royale (voir par exemple : Jean-Louis Mestre, Introduction historique au droit administratif français, PUF, 28 collection droit fondamental). De nombreuses prérogatives detenues encore aujourd’hui par l’administration sont issues de prérogatives seigneuriales de l’ancien régime (ie de pouvoirs que détenaient les seigneurs sur leurs « sujets»). Ainsi, à l’origine, le droit administratif est un droit autoritaire. Si l'on s'en tient à la période contemporaine (à partir de 1789), nous observons que le droit administratif a subi une évolution depuis la révolution française et cela à deux points de vue : - d'une part, en ce qui concerne les caractères du droit administratif. On est parti, en effet, d'une conception extrêmement autoritaire et qui s'est depuis peu à peu assouplie, même si de nos jours encore, le droit administratif fait toujours figure de droit inégalitaire (en référence aux fameuses prérogatives de puissances publiques que détiennent les autorités administratives) ; - d'autre part, le domaine d'application du droit administratif a été étendu (à l'origine, ce droit ne couvre qu'un nombre très réduit d'activités, qui tend depuis à s'élargir). On assiste ainsi à un développement important de l'activité administrative qui, bien évidemment, n’est pas sans répercussion sur le droit administratif. Par ailleurs, ce droit n'est pas figé et est même en pleine évolution: en effet, il a subi et subit encore de fortes transformations. Pour résumer ces transformations, on peut dire qu'il existe un mouvement de fond (une tendance profonde) dans le sens "de l'attraction du droit de la puissance publique vers le droit commun" (Jean-Bernard Auby, Mélanges Jean Marie Auby). Ceci résulte notamment : - d'une contestation de la puissance publique et plus particulièrement des prérogatives de puissance publique (dérogatoire au droit commun) et du caractère inégalitaire du droit (le privilège du préalable...) ; - mais aussi d’autres facteurs, liés à la pénétration du droit européen dans notre système juridique et à l’influence de la jurisprudence constitutionnelle sur cette branche du droit ; - de même, d’une pénétration dans le droit administratif de la logique de la « performance » : la rationalité économique touche désormais aussi les services publics et donc le droit administratif. Pour autant, ces mutations n’ont en rien altéré les caractères du droit administratif (son autonomie et sa spécificité : les prérogatives de puissances publiques demeurent dans de nombreux domaines). Plusieurs facteurs expliquent cette transformation : 1) D'abord, et c'est évident (nous venons de l'exposer), on note l'interventionnisme de plus en plus important des collectivités publiques dans la sphère économique: activité administrative à gestion privée, c'est-à-dire avec application des règles du droit privé, car il est plus facile de faire des actes de "commerce" avec les règles de droit privé ; le droit de la comptabilité publique est plus lourd.... 29 2) Ensuite, le phénomène de constitutionnalisation du droit administratif entraîne aussi une transformation du droit administratif : le Conseil Constitutionnel – surtout depuis l’introduction dans notre système juridique de la « Question prioritaire de Constitutionnalité2 » le 1er mars 2010 (par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008) - est la source de plus en plus directe du droit administratif mais aussi du droit civil ; on observe en effet un rapprochement entre la Constitution et le droit administratif, qui débouche sur une présence accrue de la norme constitutionnelle dans l’ordre juridique (ce rapprochement s’établit notamment par le dialogue des juges entre eux). Toutefois, la portée de ce phénomène doit être tempérée (supra. B). En effet, le juge constitutionnel sait très bien qu’il n’est pas souhaitable d’introduire une trop forte dose de normativité constitutionnelle dans des domaines techniques mieux maîtrisés par d’autres juges sous peine de commettre des bévues. Les échanges en restent ainsi au niveau des grandes généralités et partant, n’altèrent pas la spécificité de chaque branche du droit. Comme le fait très justement remarquer le Doyen Georges Vedel: « le Conseil constitutionnel ne pense pas que la Constitution se situe par rapport à l’ensemble des règles juridiques, législatives, jurisprudentielles, comme un théorème fondamental se situe par rapport à tout l’arsenal de propositions qui vont en dériver. » (Rapport de synthèse, in La Cour de cassation et la Constitution de la République, PUAM 1995, p. 287). Ce faisant, le terme de « constitutionnalisation » des branches du droit n’est pas approprié car cela évoque l’idée d’un développement mathématique à partir de principes constitutionnels. Il serait préférable, estime Georges Vedel (« Aspects généraux et théoriques », Mélanges Roland Drago, Economica 1996 p. 8), de parler d’une “ administrativisation ” du droit constitutionnel (ou encore d’une “ civilisation ”, pour le droit civil, du droit constitutionnel). En effet, « La Constitution s’est construite sur le droit et non pas le droit sur la Constitution », d’où il n’y a pas entre la Constitution et les diverses branches du droit des rapports de logique entre axiome et théorème ; la Constitution ne remet pas en cause les « autonomies » de ces branches du droit (VEDEL, « Propos d’ouverture », in La Constitutionnalisation des branche du droit, PUAM/Economica 1998, p. 16 ). Ainsi, la constitutionnalisation s’est faite a minima, le juge constitutionnel se contentant tout particulièrement en matière de droit administratif, d’élever au rang de norme constitutionnelle des règles préexistantes. La constitutionnalisation s’est faite par le bas. En réalité, le juge constitutionnel ne bouleverse pas les concepts de chaque branche du droit : au contraire, il les conforte, les invoque et consacre les solutions déjà adoptées par le droit positif, et notamment par les juges : on utilise en droit comparé le concept de « droit vivant » (ou doctrine du droit vivant) pour souligner cette constitutionnalisation du droit déjà existant. 2 Certes, avec la QPC, désormais beaucoup de lois sont contrôlés mais tous les observateurs convergent pour conclure qu’il y à la fois très peu d’abrogation prononcées par le juge constitutionnel, une absence de bouleversement des notions et des équilibres du droit administratif et enfin, une jurisprudence peu innovante et fréquemment prudente… auxquels s’ajoute une motivation souvent laconique (Pierre Montalivet, « QPC et droit administratif », DA décembre 2012, p. 21-28). 30 Au final, on assiste à un enrichissement mutuel du droit administratif et du droit constitutionnel qui résulte du double mouvement de « constitutionnalisation » du droit administratif et « d’administrativisation » du droit constitutionnel qui provoque une évolution du droit public français : la norme constitutionnelle est davantage présente dans l’ordre juridique ; la hiérarchie des normes est plus exigeante ; la protection des droits fondamentaux est renforcée : il en résulte une plus grande unité du droit public (Bernard Stirn, « Constitution et droit administratif », Les Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel, n° 37 – 2012, p. 7-19) Enfin, l’influence du droit européen (droit de l’union européenne et droit de la Convention Européenne des Droits de l’Homme) est aussi considérable dans la mutation du droit administratif (nombreux articles et thèses sur le sujet), en raison bien sûr du développement du contrôle de conventionalité exercé par le juge ordinaire (infra. Partie I, chapitre 2). On doit distinguer les deux sources principales de ce droit européen: * * * * Au total, il est clair que tous ces facteurs qui font évoluer le droit administratif finissent par en transformer la logique: « alors que celui-ci était traditionnellement fondé sur un équilibre subtil entre la protection des droits individuels et la défense de l’intérêt général, il évolue de plus en plus, comme le note René Chapus, vers un « droit des libertés publiques » ; ce faisant, il tend à se banaliser, en perdant une part de sa raison d’être » (J. Chevalier, « L’évolution du droit administratif », RDP 1998, p. 1804). En effet, aujourd’hui, « l’administré » ne veut plus, ne supporte plus de n’être traité que comme un « assujetti », soumis au pouvoir administratif, ou comme un simple « usager », bénéficiant de prestations que l’administration lui délivre. L’administré ou l’usager revendique désormais la qualité de « citoyenneté administrative », ce qui bouleverse la relation classique entre l’administration et l’administré. Les droits fondamentaux doivent davantage être pris en compte par l’administration et son juge. C’est pourquoi le droit administratif ne peut plus être conçu sous sa forme traditionnelle, c’est-à-dire reposant sur un savant équilibre entre intérêt général et intérêts particuliers, mais doit être appréhendé comme un moyen de protection des droits des citoyens dans leur rapport avec la puissance publique. 2 – L’EVOLUTION DU DROIT ADMINISTRATIF DE LA POLYNESIE FRANÇAISE 31 Pendant toute la période coloniale (1842-1946), le gouverneur exerce le pouvoir sans partage et il n’est dès lors guère étonnant de constater que les règles du droit administratif applicables en Polynésie française sont de nature autoritaire. En effet, le pouvoir du gouverneur n’est que : - peu tempéré par un contre-pouvoir puisque la représentation de la population est embryonnaire, - et de surcroit, organisé sur la base du « double collège » qui impose aux européens et aux Tahitiens de voter dans un collège distinct pour désigner leur représentant. Cette règle « inique » du double collège ne sera abolie qu’avec la loi Deferre du 26 juin 1956 et son décret d’application pour la Polynésie du 22 juillet 1957, soit près de douze ans après que la Polynésie ait cessé « officiellement » d’être une colonie. Le droit administratif applicable en Polynésie, s’il se fonde sur les mêmes principes que ceux qui ont cours en Métropole, s’en distingue néanmoins sur un plan technique, puisque ce ne sont pas toutes les lois ni tous les règlements relatifs à la matière « droit administratif » qui s’appliquent dans la colonie. En effet, en vertu du principe de spécialité législative (infra…), seules les lois (souvent adaptées au contexte de ce territoire) comprenant une mention d’application sont introduites dans l’ordre juridique polynésien. La situation commence à évoluer au lendemain de la seconde guerre mondiale lorsque la colonie se transforme en un territoire d’outre-mer. La nouvelle collectivité territoriale détient désormais cette matière (le droit administratif) pour l’exercice des compétences qui sont les siennes. Mais cette collectivité n’hérite pas d’une situation de vide juridique. Elle réceptionne le « droit existant » (le droit administratif colonial) et procède à des modifications techniques qui ne remettent toutefois guère en cause les principes existants (en effet, peu de droits sont reconnus aux « administrés »). Par ailleurs, l’Etat demeure compétent pour fixer les règles du droit administratif3 lorsque sont en cause ses domaines de compétence. Cependant à partir de 1977, et au gré de l’adoption des lois statutaires de la Polynésie, les compétences de l’Etat diminuent et celles de la Polynésie augmentent. Le droit administratif évolue davantage à compter de la loi statutaire du 6 septembre 1984 car est institué un tribunal administratif qui se substitue au Conseil du contentieux administratif, et les polynésiens vont prendre l’habitude de saisir la juridiction administrative pour défendre leurs droits. De même, la juridiction administrative interviendra souvent pour trancher des conflits de compétence entre l’Etat et la Polynésie. Depuis lors, en raison de l’évolution du statut de la Polynésie (1996 puis en 2004 lorsque la Polynésie devient une COM), cette collectivité s’est dotée d’un grand nombre de 3 L’Etat demeure aussi compétent pour fixer les règles applicables aux communes. 32 réglementations dans le domaine du droit administratif (code des marchés public ; code de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire) et ainsi existe-t-il des différences « techniques » entre le droit administratif applicable en Métropole et le droit administratif applicable en Polynésie française. Par ailleurs, cette dernière défend jalousement ses domaines de compétence contre des immixtions de l’Etat, et tout particulièrement dans le domaine du droit administratif. En effet, la Polynésie française n’hésite pas à utiliser la procédure du « déclassement outre- mer » en saisissant le Conseil constitutionnel aux fins d’obtenir le déclassement des lois parlementaires pénétrant dans son champ de compétence (infra). Cependant, s’il existe des différences techniques dans les règles du droit administratif, selon qu’elles sont « produites » par l’Etat (pour ses administrations et celles des communes) ou la Polynésie française, les principes qui fondent ce droit sont identiques quel que soit la collectivité compétente. Cela n’est guère étonnant puisque ce sont les mêmes juridictions (administratives) qui connaissent des contentieux administratifs. ère 1 PARTIE  L ES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES Les juridictions administratives sont chargées de trancher les conflits ou litiges dans lesquels l'administration est en cause. On sait que dans la conception française, le règlement juridictionnel du contentieux administratif repose sur une juridiction séparée de la juridiction judiciaire (organisation juridictionnelle administrative sans lien avec la hiérarchie de l'ordre juridictionnel judiciaire). 33 Quel que soit la formule retenue : juge spécialisée comme en France ou juge de droit commun (pays anglo-saxon), il faut souligner l'importance du rôle de ces juridictions. Leur principale fonction en effet est de contrôler l'administration : vérifier qu'elle accomplit correctement ses diverses missions et aux besoins la sanctionner en cas de violations de ses obligations. Nous allons d'abord exposer comment s'est établi cet ordre juridictionnel (chapitre 1), puis quel est le domaine de compétence du juge administratif (chapitre 2). 34 Chapitre 1 L'ETABLISSEMENT DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE En France il existe deux ordres de juridictions : - l'ordre juridictionnel administratif (sous l'autorité du Conseil d’Etat) ; - l'ordre juridictionnel judiciaire (sous l'autorité de la Cour de cassation). C'est donc un système que l'on peut qualifier de dualiste (ou dualité de juridictions) par opposition au système d'unité de juridiction que l'on rencontre dans les pays anglo-saxons. SECTION 1 - LE DEVELOPPEMENT DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE Pourquoi la France possède-t-elle une juridiction administrative ? La doctrine classique précise que ce sont les révolutionnaires français qui, en posant au XVIII° siècle le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ont fondé cette juridiction administrative. Mais cette thèse n’est pas admissible : en effet, un embryon de juridiction administrative existait avant le XVIII° siècle, c’est-à-dire avant que le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ait été consacré. En effet, déjà sous l'ancien régime, par exemple, l'édit de Saint Germain-en-Laye du 8 février 1641 avait prévu la création de juridictions spécialisées pour régler les conflits présentant un caractère administratif (sous l'Ancien Régime, on n'avait pas encore dégagée le concept d'administration, donc on ne parlait pas de contentieux administratif mais de "contentieux en direction [diriger, ordonner] et en finances"). Préalablement, ce même édit disposait que « très expresses inhibitions et défenses » sont faites aux corps judiciaires « de prendre à l’avenir connaissance d’aucunes affaires qui peuvent concerner l’Etat, administration et gouvernement d’icelui (…)» Comme le note avec justesse Agathe Van Lang (« Le dualisme juridictionnel en France : une question toujours d’actualité », AJDA 2005, p. 1761), les révolutionnaires français ont : 35 « métamorphosé les textes, historiquement destinés au cantonnement de l’autorité judiciaire, en formules de dévolution du contentieux au juge administratif ». § 1 ‐ LE PRINCIPE DE LA SEPARATION DES AUTORITES ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES Ce principe est supposé fonder l'interdiction faite aux tribunaux judiciaires de connaître des litiges administratifs. En réalité, cette explication ne résiste pas à l'analyse : seules des raisons historiques expliquent la création de la juridiction administrative. A - L'ORIGINE DU PRINCIPE Plusieurs explications ont été avancées :  La méfiance des révolutionnaires à l'égard des anciens parlements (cours judiciaires). Ces juridictions refusaient d'enregistrer les ordonnances royales ; elles s’immisçaient dans les affaires administratives, s'opposaient à la modernisation de l'administration, bloquant ainsi toute évolution, faisaient des règlements de police ou encore donnaient des instructions aux agents du roi. Les révolutionnaires vont donc interdire aux tribunaux judicaires non pas (comme on l'a cru trop souvent) de juger l’administration, mais seulement de faire « œuvre d’administration » ; les révolutionnaires souhaitaient en effet que les juges ne se substituent pas à l'administration. Mais en revanche, rien ne leur interdisait de juger l'administration. Les juges devaient ainsi se borner à solutionner les litiges. Pour ce faire, les révolutionnaires poseront en 1790 le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.  Par ailleurs, à l’époque révolutionnaire, on concevait la fonction juridictionnelle comme une fonction d’application mécanique de la loi (cf. Montesquieu : « le juge n’est que la bouche de la loi »). La décision de justice était le résultat de l’application d’un syllogisme dont la majeure est la loi, et la mineure, le fait. Or, à cette époque, l’activité administrative est très peu régie par des textes législatifs. Dès lors, si l’on avait confié la solution des litiges administratifs au juge, son contrôle aurait été inefficace puisque privé de moyens de juger4. Ce n’est pas donc pas pour protéger l’administration que le juge (judiciaire) a été dispensé de son contrôle, mais par souci d’efficacité (thèse 4 C'est donc « en raison des limites du modèle français de la fonction judiciaire, parce qu'on voulait interdire au juge la création du droit qu'on a été conduit à instituer un juge qui ressemble fort au juge anglais, créateur du droit", Michel Troper, "L'élaboration du droit: la jurisprudence", R.A. 2000, N° 3 36 défendue par Michel Troper, La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, LGDJ 1973, p. 176). B - LA CONSECRATION DU PRINCIPE 1 - LES TEXTES FONDAMENTAUX DE L'EPOQUE REVOLUTIONNAIRE Un an après le déclenchement de la révolution (1789), les constituants se soucient du problème de la justice. Ils n'ont pas opté dans l'immédiat pour une juridiction spécifiquement administrative. Ils votent donc l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 qui dispose que : « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives ; les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs en raison de leurs fonctions ». Cet article avait le sens suivant: « il visait à interdire aux juges de faire ce qu’ils pratiquaient sous l’ancien régime, c’est-à-dire convoquer devant eux les administrateurs pour leur demander de justifier leurs décisions et donner des ordres à ces mêmes administrateurs. Il visait aussi à défendre aux juges d’engager des poursuites contre des administrateurs sans l’accord de l’autorité administrative, ou de convoquer ceux-ci pour qu’ils répondent aux griefs formulés par des administrés » (Jean-Louis Mestre, « Aux origines du contentieux administratif » , RFDA 1996, p. 291). L'entrée en vigueur de la loi de 1790 n'a pour autant pas mis un terme aux habitudes et réflexes des magistrats judicaires, qui continuaient à s'immiscer dans la fonction administrative et donner des ordres aux administrateurs. Du coup, les dispositions de 1790 seront rappelées quelques années plus tard par le décret du 16 fructidor an III (article unique) : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaitre des actes d'administration, de quelque espèce qu'ils soient, aux peines de droit » (itératives : ie. répétées). Ainsi que plusieurs études récentes l'ont démontré, ces textes ne constituent cependant pas le fondement de la juridiction administrative. Pourquoi ? Parce que des projets, prévus à cette même époque (et même le 5 juillet 1790, soit avant la loi du 16-24 août 1790) envisageaient de confier le contentieux administratif à des juridictions. Notons que ces projets ne virent pas le jour et finalement, une partie du contentieux 37 sera tranchée directement par l’administration, ce qui, en soi, n’était pas si choquant à la période révolutionnaire car les administrateurs étaient élus par le peuple et on était donc en droit de penser qu’ils faisaient preuve d’équité. 2 - LA VALEUR DU PRINCIPE Ce principe de séparation des autorités administratives et judicaires a été posé par des textes de valeur législative ; il a donc cette valeur. C'est ce que reconnait expressément le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 janvier 1987 : « les dispositions des articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III, qui ont posé dans sa généralité le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire, n'ont pas elles-mêmes valeur constitutionnelle ». Si tel est le cas, et selon la règle qui pose que ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire, une loi pourrait donc porter atteinte à ce principe et par exemple, supprimer la juridiction administrative (ce qui entrainerait le transfert de tout le contentieux administratif aux juridictions judiciaires). En fait, nous préciserons ci-après que le Conseil constitutionnel a conféré aux juridictions administratives un véritable statut constitutionnel. § 2 ‐ L'EVOLUTION DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE A - L'EVOLUTION DE L'EPOQUE REVOLUTIONNAIRE A LA FIN DU XIX° SIECLE C'est au cours de cette période que va apparaitre puis se développer la juridiction administrative5. 1 - LA CONCEPTION DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE JUSQU'A L'AN VIII A) - LE SYSTEME DE L'ADMINISTRATEUR-JUGE 5 Cf. la thèse de Jacques Chevallier, L'élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de l'administration active, LGDJ 1970 38 On a relevé que les textes révolutionnaires dépossèdent les tribunaux judiciaires de la connaissance des litiges administratifs ; mais ces textes ne créent aucune juridiction spécifique chargée de trancher le contentieux administratif. C'est donc l'administration elle-même qui devra régler les litiges administratifs. L'administrateur-actif (le roi, puis les ministres) ou encore, selon une expression consacrée, le « ministre-juge » (car c'est le chef du département ministériel qui rend la justice, sous réserve de l'intervention éventuelle du chef de l'Etat qui est censé rendre définitives les décisions par sa signature) devra s'occuper de ces litiges, en plus de ses tâches normales. Il y a ainsi confusion entre le pouvoir hiérarchique et le pouvoir juridictionnel, et l'administration est à la fois juge et partie de ses propres litiges, au détriment des administrés, ce qui engendrera de nombreuses critiques. Cependant, le fait que ce soit les administrateurs qui tranchent une partie des litiges administratifs, au lieu des juges, n'était pas si choquant à l'époque révolutionnaire puisqu'en effet, (ainsi que nous l’avons déjà précisé plus haut) les administrateurs comme les juges étaient élus par le peuple et présentaient par conséquent toute garantie nécessaire. B) - LA CREATION DU CONSEIL D'ETAT ET DES CONSEILS DE PREFECTURE EN L'AN VIII Durant l'An VIII, le Consulat crée, à côté de l'administration active, une administration consultative, c’est-à-dire des conseils administratifs chargés de donner des avis aux autorités administratives actives. Le Conseil d’Etat était placé auprès du Pouvoir central par la Constitution du 22 frimaire An VIII (13 décembre 1799) ; art. 52 : « Sous la direction des consuls, un Conseil d'Etat est chargé de rédiger les projets de loi et les règlements d'administration publique, et de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative ». Il faut garder à l'esprit que le Conseil d’Etat, à ses origines, répond avant tout à un simple souci de commodité administrative, finalité rappelée par Napoléon en personne, en 1806 : « Je veux instituer un corps demi-administratif, demi-judiciaire, qui réglera l'emploi de cette po

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