Summary

Ce cours d'épistémologie de 2024 explore la construction des faits et des catégories, la fabrication des preuves, et les liens entre l'épistémologie, la déontologie et l'éthique en diagnostic. Il aborde également l'invention des sciences modernes, la neutralité des faits et les limites de l'EBM. Il examine aussi des exemples et des problématiques liées aux sciences.

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Épistémologie 2024 Solhdju I. Interroger la construction (historique) des faits/catégories 1. Qu’est-ce qu’un fait? Comment les faits scientifiques sont-ils fabriqués? Sont-ils neutres, objectifs, universels ou relatifs, fictifs, contingents? Analyse à partir de quelques dispositifs...

Épistémologie 2024 Solhdju I. Interroger la construction (historique) des faits/catégories 1. Qu’est-ce qu’un fait? Comment les faits scientifiques sont-ils fabriqués? Sont-ils neutres, objectifs, universels ou relatifs, fictifs, contingents? Analyse à partir de quelques dispositifs expérimentaux et d’observation. 2. L’interdépendance entre maladie et milieu (historique, social, géopolitique etc.). Qui dit ce qu’est une maladie? Qui est autorisé de catégoriser les patient.e.s ? Analyse à partir d’une série de catégories nosographique, notamment psychiatriques. II. Interroger la fabrication des preuves – l’EBM et ses limites 3. Réflexions sur les injustices épistémiques inhérents à nos régimes de la preuve : Histoire de l’EBM et de ses étalons d’or (du placébo et ces dérives politiques et économiques) : de Mesmer à l’infrastructure antibiotiques (phages) ; de la disqualification des ‘charlatans’ et des médecines CAM aux dérives problématiques dans le contexte de la coopération au développement (TCAM) et de la mise en place d’une médecine dite ‘intégrative’. 4. Réflexions sur les injustices épistémiques inhérents à nos régimes de la preuve : Femmes et d’autres minorités dans les essais cliniques et dans la clinique tout court (construction des cohortes dans les essais, syndrome méditerranéenne etc.) III. Lines entre épistémologie, déontologie et éthique du diagnostic et de la prise en charge 5. Entre la problématique de la surdétermination diagnostique (génétique : du NIPT à Huntington) et de la sous-détermination (symptômes médicalement non- expliqués : fibromyalgie, électrosensibilité etc.). Analyse à partir de récit de vie d’un côté et d’un essai clinique hors du commun de l’autre. II. 20.02.2024 Qu’est-ce qu’un fait? Comment les faits scientifiques sont-ils fabriqués? Sont-ils neutres, objectifs, universels ou relatifs, fictifs, contingents? Analyse à partir de quelques dispositifs expérimentaux et d’observation. L’invention des sciences modernes/de la neutralité des faits Depuis le plan incliné de Galilée au moins, une attitude distancée et neutre est constitutive de la définition moderne d’une expérience scientifique irréfutable. Le moment où l’expérimentateur se retire du dispositif expérimental qu’il a conçu est tenu pour crucial. Ce geste de retrait autorise l’expérience à devenir un événement de vérité. Il sert en même temps à montrer que la réussite de l’expérience ne requiert aucunement la personne de l’expérimentateur – la nature doit parler pour elle-même. Comme tous les systèmes expérimentaux modernes après lui, celui de Galilée (qui sert jusqu’aujourd’hui de modèle aux autres systèmes expérimentaux) était hautement artificiel. Il s’agissait en effet d’observer non pas des corps qui tombent, mais de créer une situation qui permette de déterminer comment leur mouvement de chute doit être caractérisé : un plan incliné bien lisse sur lequel roulent des billes bien polies (il faut éliminer au maximum la friction). Ce dispositif permet de faire varier le mouvement de descente de la bille. Il transforme le mouvement « naturel » de chute en un phénomène contrôlable, ce qui permet de l’interroger activement. Ce que Galilée a inventé est le premier « dispositif expérimental au sens moderne du terme, un dispositif dont Galilée est l’auteur, au sens fort du mot, puisqu’il s’agit d’un montage artificiel, prémédité, producteur de “faits de l’art”, d’artefacts au sens positif. La singularité de ce dispositif est […] qu’il permet à son auteur de se retirer, de laisser le mouvement témoigner à sa place. » (Stengers) Ainsi, après avoir déterminé la valeur des variables (point de départ de la bille, inclinaison du plan, etc.), Galilée « se retire » : il laisse le mouvement de la bille répondre lui-même à la question. C’est à la nature de faire toute seule le reste du travail expérimental. Au système expérimental est donc conféré le pouvoir de produire un fait dont l’expérimentateur tentera ultérieurement de convaincre ses collègues. Dans cette démarche, les faits scientifiques sont conçus comme neutres, universels et indépendants de toute opinion ou interprétation personnelle. Car, en se retirant et en se rendant ainsi transparent, l’expérimentateur prouve non seulement la réussite de son expérience, mais encore que cette réussite ne requiert nullement sa personne. Les sciences modernes ont créé leur propre forme de témoins. En effet, ce qui distingue leurs témoins matériels, c’est que dès qu’ils acquièrent le statut d’objets de savoir, ils peuvent assumer un mode d’existence autonome et atemporel, indépendant de leurs créateurs et des circonstances de leur engendrement. Les lois du mouvement, l’atome, puis les entités comme le neutrino ou l’ADN sont des exemples de ce genre de succès expérimental qui, comme l’explique Isabelle Stengers dans L’invention des sciences modernes, relève de « l’invention du pouvoir de conférer aux choses le pouvoir de conférer à l’expérimentateur le pouvoir de parler en leur nom » À ce point de l’analyse, il est important de souligner que ce genre de neutralité expérimentale n’entre nullement en contradiction avec la forte artificialité de tout système expérimental et des faits qu'il produit. Et il est plus important encore de ne pas confondre la constatation de ce que cette artificialité implique – les faits sont faits ou construits – avec l’argument relativiste selon lequel les faits seraient seulement construits. Bien au contraire, c’est précisément parce qu’il s’agit d’arte-facts spéciaux, ambitieux sur le plan technique et historique, que ces faits doivent être tenus, non pour moins vrais ou effectifs, mais pour hyper-effectifs en quelque sorte, au sens d’efficaces. Ces événements qui font « exister un être nouveau, ou un mode de mesure nouveau », il convient de les tenir en haute considération, comme produits d’une nouvelle efficacité et d’une nouvelle importance, voire, comme le propose Isabelle Stengers, de les célébrer. Mais sans tomber dans le piège de l’amnésie concernant leurs modes de fabrication. Lorsque la médecine s’est établie comme science parmi les autres sciences, les maladies sont devenues des entités dotées d’une vie propre et d’un mode d’existence relativement autonome par rapport aux corps et plus encore aux personnes qu’elles affectaient. C’était la condition pour que puisse s’imposer une certaine prétention universelle du savoir médical. Parallèlement, chaque patient est devenu un cas au sens propre, à partir duquel il était possible de déduire l’universel, c’est-à-dire la nature objective de telle ou telle maladie et son déroulement clinique : son histoire naturelle. Une fois la maladie décrite de manière aussi détaillée et univoque que possible, sa définition a rendu possible de la reconnaître à partir de ses symptômes et de ses signes. Réciproquement, les observations réalisées sur les nouveaux cas ont permis d’élargir, de préciser et éventuellement de réfuter ces définitions. Au sein même de la médecine, des voix se sont régulièrement élevées et continuent de s’élever pour mettre en question l’adéquation de la médecine à un tel modèle de production du savoir emprunté aux domaines de la physique et de la chimie. Dès 1827, John Robertson remarquait par exemple : « Il reste encore à voir si cette organisation nosologique [des maladies, K.S.], fruit de la pathologie moderne, repose ou non sur un espoir infondé ». En effet, « le degré auquel les maladies sont modifiées par la constitution, la saison, le climat et une infinie variété de circonstances accidentelles rend cela pour le moins douteux ». Néanmoins, c’est bien cette opinion qui s’imposa : accordant une pertinence moindre à l’influence de l’environnement ou des divers milieux de chaque maladie, et à la singularité des maladies selon les organismes, les personnes ou les lieux, etc., elle misa toute sa réussite sur le rôle central d’une étiologie et d’une nosologie précises et indépendantes. Par exemple le médecin britannique Thomas Trotter défendit ainsi dès 1804 l’idée que « [l]e nom et la définition d’une maladie sont peut-être d’une plus grande importance qu’on ne le pense généralement. Ils constituent le point central vers lequel tendent des rayons convergents : ils dirigent les futurs enquêteurs dans leur travail de comparaison des faits et deviennent, pour ainsi dire, la base sur laquelle doit s’élever l’accumulation de la connaissance. » Mais c’est seulement sur la base de signes cliniques clairs, identifiés comme causes, et des méthodes de diagnostic correspondantes que purent être composés et assignés ces noms et définitions. Directement forgés sur le modèle des expériences de physique et de chimie, ces noms et définitions étaient censés avoir une valeur universelle : c’est-à-dire être indépendants de l’espace et du temps, ainsi que des expérimentateurs impliqués ou des médecins et de leurs patients. Cela signifiait qu’il fallait mettre au point des méthodes et des technologies qui relègueraient au second plan les perceptions subjectives des médecins, et qui n’accorderaient aux renseignements donnés par le patient qu’une valeur tout au plus indicative, au lieu d’en faire l’élément central de cette connaissance. Les patients devaient être envisagés comme des objets, et les médecins, à l’instar des expérimentateurs en laboratoire, devaient adopter une attitude distancée qui leur conférait la crédibilité de producteurs de faits neutres et indépendants du chercheur. Dès lors que le processus diagnostique et thérapeutique se soumet à cet idéal de scientificité qui se fonde sur une neutralité distancée, le médecin adopte au sens strict le rôle de l’expérimentateur. Il doit donc se rendre aussi transparent que possible à l’égard de l’objet qu’il examine. S’il est vrai que c’est lui qui met en place un dispositif, lorsque, par exemple, il prescrit un médicament, c’est pour mieux se retirer ensuite à un poste d’observation et d’attente. Dans le même mouvement, le patient est transformé en un fragment de nature. C’est son corps qui parle pour lui, exprimant les effets du médicament sous forme de graphes que tracent mécaniquement les appareils de mesure, courbes de pouls, de tension artérielle, de fréquence respiratoire.Au centre de cette démarche se trouvent désormais non les patients et leurs expériences et souffrance, mais les entités que sont devenues les maladies, avec leurs mécanismes fonctionnels et les réactions qu’elles manifestent face aux options thérapeutiques développées contre elles. « Maladie renvoie davantage à médecine qu’à mal. Quand un médecin parle de maladie de Basedow, c’est à dire de goitre exophtalmique, il désigne un état de dysfonction endocrinienne dont l’énoncé des symptômes, le diagnostic étiologique, le pronostic et la décision thérapeutique sont soutenus par une succession de recherches cliniques et expérimentales, d’examens de laboratoire, au cours desquels les malades ont été traités non pas comme les sujets de leur maladie mais comme des objets. » Autre manière de s’y prendre. Bruno Latour: La fabrique des faits https://www.arte.tv/de/videos/106738-008-A/gespraeche-mit- bruno-latour-8-12/ Faits bien/mal construits (1) Les babouins de Barbara Smuts: En en 1975 Barbara Smuts part à Gombe en Tanzanie pour faire une recherche sur le comportement sociale des babouins: „At the beginning of my study the baboons and I definitely did not see eye to eye.“ Smuts voulait produire de faits objectives. Et elle avait appris que pour réussir il fallait essayer d’être présent sans vraiment être là, observer sans déranger la vie des babouins. Elle essayait alors d’être une observatrice transparente, neutre, désinteressée. Pour que les babouins allait faire comme si elle n’était pas là (transparente) „For exemple” Smuts écrit, “as a graduate student I was told by more experienced primatologists that I should always ignore or slowly move away from any study animal who came near me or tried to interact with me (in other words, any animal who entered my personal space). The idea was that, by ignoring the animals, we would discourage them from paying attention to us. The baboons soon taught me otherwise.“ Les babuoins réfusait d’accepter son silence. Au moins Smuts les regardait de plus mécontents ils étaient. Leurs comportement changait visiblement praceque elle fasait comme si elle n’était pas là. Les babouins renversait la situation : Il semblait d’expérimenter à leur tour si Smuts pourrait être socialisée. Pourrait devenir un acteur fiable dans leur système sociale. „The shift I experienced is well described by millennia of mystics but rarely acknowledged by scientists. Increasingly, my subjective consciousness seemed to merge with the group- mind of the baboons. Although ‘I’ was still present, much of my experience overlapped with this larger feeling entity. Increasingly, the troop felt like ‘us’ rather than ‘them’.“ En acceptant d’être dans le monde dans une manière nouvelle et en laissant tomber l’idéal de la neutralité sa pratique commençait à réussir, à poser des questions qui importaient aux babouins Et qui leur donnait l’opportunité de répondre de manières intéressantes. Faits bien/mal construits (2) Biais de genre: - Il a été montré à de multiples occasion, notamment par des chercheuse des STS féministes, que des présupposés sur le sexe et le genre ont influencés la production de connaissances biologiques et biomédicales - notamment par rapport aux processus de reproduction, Emily, Martin, Evelyn Fox-Keller etc. - Expérimentation de Harry Harlow concernant la parentalité (singes rhésus: wire mother avec lait ou cloth mother sans lait// ice cold mother – hot mother// the nuclear family apparatus etc.) Ces expérimentations/dispositifs transforment « metaphors into hardware »… « In the measure of love is the literalization of sexual politics. » (D. Haraway) Autrement dit: Afin de pouvoir passer des singes aux enjeux sociaux des humains etc., des stéréotypes sur ce que Harlow considère comme une famille idéale (avec la mère à la maison à une époque où les femmes commence à trvailler), détermine de manière frappante le type de faits/connaissances que son dispositif produit. S’il y a une expérience qui est devenue paradigmatique concernant les effets épigénétiques maternels, c'est bien l'expérience sur la "programmation épigénétique par le comportement maternel" menée par des chercheurs des laboratoires du neuroscientifique Michael Meaney et du généticien Moshe Szyf à l'université McGill de Montréal, au Canada. Cette expérience explore les effets épigénétiques de la fréquence à laquelle une mère rat lèche et soigne ses petits - ce que les chercheurs appellent les "soins maternels". Les chercheurs de McGill estiment que la fréquence à laquelle les mères rats lèchent et toilettent leurs petits lorsqu'ils sont jeunes façonne le profil épigénétique de ces derniers dans les régions génétiques liées au développement du cerveau. Ces modifications épigénétiques changent l'expression des gènes et, par conséquent, le nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes dans leur cerveau. Un léchage et un toilettage fréquents entraînent une forte expression du gène du récepteur des glucocorticoïdes et donc un nombre élevé de récepteurs, tandis qu'un léchage et un toilettage moins fréquents entraînent une expression plus faible et un faible nombre de récepteurs. Le groupe de McGill soutient qu'un nombre plus faible de récepteurs modifie la réponse au stress et induit des comportements plus anxieux et agressifs chez la progéniture. Ce changement resterait stable tout au long de la vie de la progéniture. Faits bien/mal construits (3) Épigénétique: http://learn.genetics.utah.edu/content/epigenetics/rats/ So, the way a mother rat takes care of its pups is by licking and grooming, nipple switching and arched-back nursing. So there are rats that do a lot of licking and grooming, and there are rats that do very little, but most rats are in between. So that resembles human behaviour as well. Right, you have mothers that are highly mothering and mothers that could not care less. And most mothers are somewhere in between. So if you look at these rats, so all you do is you observe them and you put them in separate cages, so you put the high lickers in one cage – not the mothers, but the offspring – and the low lickers in another cage. And then you let them grow and they are adults now. The mothers are long buried. And you look in the brain and you see that those who have high licking mothers express a lot of glucocorticoide receptor gene and those who are low lickers express low. That reflects the number of receptors and that results in a different stress response. But this is not the only difference. We found later on there are hundreds of genes that are differently expressed. So if you get a [genetic] mutation, you know a polymorphism once in a million... here, just the motherly love changes hundreds of genes in one shot. And it changes them in a very stable way so that you can look at the old rat and you can say whether it was licked or not. But you can also say by behavior. So if you walk to the cages, to the room, the rats that were poorly licked are highly anxious, hard to handle, aggressive, and the rats that were very well handled as little pups, they are much more relaxed, much easier to handle. So, you know, like every technician in the lab knows looking at the adult rat, how it was licked when it was a little pup. And the question of course is – mechanism. How does this work? Une phrase offre un condensé particulièrement frappant de cette traduction en plusieurs étapes : "L'amour maternel change des centaines de gènes en une seule fois". Dans cette phrase, un ensemble bien défini de comportements quantifiables chez le rat - "léchage et toilettage, changement de tétine et allaitement en dos arqué" - est rapidement traduit en "amour maternel", un terme anthropologique dont on peut dire qu'il n'est pas quantifiable. Szyf nous dit également qu'il y a des mères rats qui lèchent et toilettent intensément leurs petits, et d'autres qui ne le font pas - tout comme chez les humains, poursuit-il, où certaines mères sont très "maternantes" et d'autres "ne s'en soucient pas moins". La quantité de léchage et de toilettage - ou l'amour, comme le suggère Szyf - modifie "des centaines de gènes en une seule fois", façonnant le bien-être mental et physique des petits tout au long de leur vie. Tout le monde sait quels rats ont été plus ou moins léchés lorsqu'ils étaient petits, car ceux qui ont été moins léchés sont agressifs, anxieux et difficiles à manipuler. Problématisation: - Traductions très rapides entre rats et humains - Mais aussi: - Présupposés sur ce qu’est une bonne mère, sont incorporés dans le dispositif expérimental/d’observation - En epigénétique et ailleurs: Il importe de rester attentif et conscient des clichés, présupposés etc. qui sont implicite dans une recherche. - Il ne s’agit pas forcément d’être aussi neutre que possible, mais plutôt de ne pas camoufler ce que le système expérimental omet/induit etc. - C’est là aussi, le sens du terme « faitiche » III 05.03.2024 Maladies et leurs milieux nous avons l’habitude de considérer que les maladies restent de tous temps et indépendamment du contexte historique, culturelle ou encore géopolitique, les mêmes. Concrètement, nous partons du principe que la syphilis, le cancer, ou encore la schizophrénie, la dépression, la psychose etc. ont de tout temps été les mêmes et que la seule chose qui aurait changé seraient nos manières de les décrire, de les représenter, bref, de les connaître. C’est par rapport aux maladies dites psy que l’extrême interdépendance des maladies avec leurs milieux respectifs devient le plus évident. Prenant comme point de départ le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders). Ce manuel définit avec précision chacune des maladies ou désordres mentales faisant partie de la nosologie actuelle, les classifie et est ainsi censé permettre leur diagnostic différentiel précis. Un regard analytique sur ce garant savant des avancés de connaissance psychiatrique suffit, pour se rendre compte de l’instabilité particulière de ces souffrances qu’on appelle psychiatriques. Cette observation est intéressante à plus d’un titre, car elle nous permet d’interroger certaines certitudes qui avait été peu interrogées jusqu’à assez récemment. Et cela pas uniquement par les psychiatres, mais également par les historiens de la psychiatrie. Car ces derniers auraient, en écrivant l’histoire de telle ou telle maladie mentale, de l’hystérie pour prendre un exemple, très peu mis en question l’existence de l’entité médicale en elle-même. Oui plus, ils auraient totalement souscrit aux catégories telles que la psychiatrie les avait définies. En conséquence ils auraient, implicitement du moins, parallèlement accepté l’idée que la définition des maladies mentales ne relevait nullement de leur compétence. Comme le formule Borch-Jakobson dans son livre « Folies à plusieurs »: « Pour l’un comme pour l’autre (pour le médecin comme pour l’historien), la folie est un x intangible qui existe à l’horizon de leurs discours. …On continuerait, dans ce cas, à situer la folie (…) en extériorité par rapport aux discours qui la prennent pour objet. Cet objet serait sans doute inaccessible, absent, perpétuellement en retrait ; il n’en resterait pas moins un objet. » Contrairement à cette acceptation, les historiens de la psychiatrie plus récents, comme Borch- Jakobson ou encore Ian Hacking, partent d’un tout autre principe qui transforme en même temps fondamentalement le rôle de l’historien en ce qui concerne la description des maladies, psychiatriques notamment. Selon ce principe, les maladies psy qui se caractérise par le fait d’être particulièrement variables, seraient fondamentalement environnement-dépendants. Thèse écologique de la maladie mentale chez Hacking: 1. Tout d’abord la maladie doit pouvoir être repérée via un comportement déviant. 2. Le comportement déviant, dit Hacking, doit par ailleurs s’articuler avec une ou plusieurs catégories nosographiques existantes. Ce qui était le cas de la fugue que les aliénistes de l’époque situaient entre l’hystérie et l’épilepsie, deux désordres qui occupaient une place importante dans leur univers à l’époque. 3. Il faut que la maladie se situe par rapport à une « polarité culturelle », c’est-à-dire oscille entre un comportement considéré comme vertueux et un autre considéré comme vicieux. 4. Il faut que la maladie amène un certain soulagement. Si les maladies mentales sont transitoires, historiques et environnements-dépendantes, la question qui en découle est en effet naturellement la suivante : Est-ce qu’elles sont néanmoins réelles ou est- ce qu’il faut considérer qu’elles sont purement fictives ? Exemple de la dépression dont les statistiques montent de manière exponentielle dès 1994: Est-ce que cette explosion s’explique tout simplement, comme cela a été souvent suggéré, parce- que nous vivons dans une société de plus en plus déprimante ? Ou est-ce qu’il faut considérer l’interprétation que propose notamment Alain Ehrenberg selon laquelle le fait que les gens dépriment serait le reflet de leur incapacité à répondre aux exigences de productivité et de performance que nous imposent les politiques néolibérales d’aujourd’hui. Deux perspectives supplémentaires, une portant sur l’historicité de la perception scientifique et la construction des connaissances de manière générale, l’autre sur l’efficacité d’un type très particulier de psychotrope, doivent être prises en compte pour démêler un peu le fonctionnement sous-jacent à cette simultanéité qui ne peut alors plus être prise pour une simple coïncidence. La manière dont on jugera de la réalité d’une chose, ‘un patient qui se sent triste’, et l’action qui s’impose face à cette réalité en vue de l’améliorer, dépendra largement de la manière dont le regard est axé et outillé. On pourrait ainsi émettre l’hypothèse suivante : Si l’augmentation des diagnostics de dépression commence clairement avec l’arrivée sur le marché des antidépresseurs, on doit alors considérer ces nouvelles molécules comme une "nouvelle paire de lunettes" pour les médecins, qui rend dès lors visible la dépression un peu partout. Ou comme l’écrit Philippe Pignarre dans Comment la dépression est devenue une épidémie : « Le regard du médecin généraliste est désormais armé pour voir la dépression. Avant la mise à sa disposition des antidépresseurs, son regard flottait autrement, se fixait sur des choses différentes, retenait d’autres épisodes dans le récit multiple des patients. Désormais, il vérifie si la dépression n’est pas une bonne porte d’entrée dans l’état de son patient. » En outre: La psychiatrie biologique ne peut pas tirer sa force d’une mise en évidence de causes organiques. Au contraire, elle doit entièrement se baser sur les études cliniques contre placebo où se comparent les effets des molécules. Ces études ne nous disent donc pas comment marche un médicament mais uniquement s’il marche, mieux ou moins bien et sur qui. Reste la question : Sur quoi agissent ces médicaments ? Sur La dépression avec un D majuscule, pathologie stable, diagnostic robuste qui leur est antérieur ? Ou est- ce qu’il faut plutôt considérer que la ou plutôt les versions multiples de la dépression sont les produits des anti-dépresseurs ? En suivant les redéfinitions proliférantes de ce qui est considéré comme une dépression au lancement de chaque nouveau médicament antidépresseur, Pignarre montre de manière convaincante qu’il serait désormais plus juste de dire que ce sont les molécules qui définissent la maladie. Est ainsi dépressif celui et celle qui réagit à tel ou tel antidépresseur. Il serait donc faux de dire que les antidépresseurs agissent sur la dépression, comme si l’existence de la dernière précédait les molécules qui pourtant la co- produisent constitutivement : et cela aussi parce-que ces médicaments recrutent réellement de plus en plus de « déprimés » parce que leur existence est largement responsable du fait que nous sommes désormais tous convaincu que la dépression existe bel et bien et qu’elle peut être traitée. Mais attention, ni Pignarre ni Borch-Jakobson qui nous ont largement guidés ne mettent pour autant en question la souffrance des personnes en détresse. Le dernier écrit: « Des personnes qui en d’autres temps se seraient senties anxieuses ou auraient éprouvé des symptômes psychiatriques choisissent aujourd’hui d’être déprimées parce que c’est ce qu’on sait le mieux traiter de nos jours…La demande symptomatique suit ici les fluctuations de l’offre thérapeutique, les patients modelant leurs maux sur la façon de les soigner. Est-ce dire que la dépression moderne est un mythe, une illusion qu’il suffirait de dissiper pour guérir ? En aucune façon…La dépression a été fabriquée, construite, produite, inventée par les médicaments de la psychiatrie biologique, avec lesquels elle fait bloc. Elle n’est donc pas une fatalité ; changeons de médicaments et de thérapie, et nous aurons une nouvelle maladie. » 26.03.2024 EBM et certains de ses limites Une manière d’expliquer l’efficace de EBM est sans doute que ces propositions apparaissent d’une certaine manière comme allant de soi, comme un prolongement naturel, faisant ainsi vite consensus. Voici la première définition de l’EBM datant de 1992 : « Un nouveau paradigme pour la pratique médicale est en train d’émerger. EBM de-accentue l’expérience clinique peu systématique et les réflexions patho-physiologiques comme base suffisante pour la prise de décision clinique et insiste sur l’examen des preuves issues de la recherche clinique. » (Guyatt and Evidence-Based Medicine Working 1992) Ou encore : EBM est basé sur « l’utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse de la meilleurs l’évidence/des meilleurs preuves pour la prise de décisions concernant le soin de patients individuels » o Seule ce qui est statistiquement prouvé peut être évoqué comme argument suffisant (hiérarchie des preuves/étalon d’or EssaisCliniqueRandomisé)  Avec cela elle poursuivait à la base surtout le but de réduire et même d’éviter 1. L’hiérarchie autoritaire médicale ou le chef de service par exemple avait par principe raison et faisait donc peser son autorité institutionnelle dans la prise de décision clinique 2. éviter donc une hétérogénéité des pratiques 3. éviter l’influence grandissante de l’industrie pharmaceutique o Si on prend ca au sérieux, et ca peut sembler contradictoire, EBM a surmonté la nécessité ‘d’explications rationnellement compréhensibles’ par sa méthode/sa méthodologie. o On est passé d’un régime ‘explicative’ à un régime des ‘preuves’ o EBM peut être décrit comme l’expression méthodologique d’une médecine qui se définit désormais même épistémologiquement comme une science de l’action  C’est à dire ce qui est centrale n’est dans ce régime plus la formulation d’une théorie scientifique mais l’action.  C’est important de garder cela en tête parce-que c’est peut-être un point à partir duquel on pourrait construire ???  Pour l’instant je laisse cette intuition en suspension, j’y reviendrai vers la fin. o MAIS : les difficulté/critique sont multiple : « gift horse or trojan horse » ?  Tout d’abord qu’en est-il des présupposées épistémologiques tacites de EBM qui sont multiple …  Toute une série de recherches déjà effectuées sont exclus comme objet des meta-analyse parce qu’ ils ne corresponds pas à tous les niveaux aux exigences e.g. d’un auteur travaillant pour la Cochrane Library….  Critère universelle pose des questions politiques : Genre, éthnique etc. qui est prise en compte dans ces essais clinique  Impossibilité de distinguer entre l’efficace mesurable et l’efficace du point de vue des patients…abstraction de situation cliniques, et à du mal à les rencontrer de manière pertinente.  Il a été montré que le principal efficace de EBM consiste en la facilité avec laquelle un telle régime epistemologico-pratique peut être capturer par des politiques de santé, le système des assurances, des allocation monétaires etc., bref : une logique de ‘accountability’ neo-liberale !  Les critiques ont aussi remarqué que ce régime risque d’un coté de radicaliser une tendance de la médecine moderne de réduire les patients en objets technologiques et ainsi les médecins en techniciens… Excursion historique, préhistoire du placebo En 1784, Mesmer soumit à l’évaluation de l’Académie française sa pratique de soin, le magnétisme animal. Après avoir conduit toute une série d’expériences, les commissions chargées de rendre leur jugement en vinrent à la conclusion suivante : « le fluide sans l’imagination est impuissant, alors que l’imagination sans le fluide peut produire les effets que l’on attribue au fluide ». Bref, elles déclarèrent le fluide inexistant et firent de Mesmer lui-même un charlatan car d’après leur jugement, son succès ne pouvait être attribué qu’à l’imagination. Isabelle Stengers, « Le médecin et le charlatan », in Isabelle Stengers et Tobie Nathan, Médecins et sorciers, op. cit., p. 124. Le fluide, ne pouvant être transformé en témoin fiable, fut considéré comme purement fictif et, par conséquent, disqualifié. Certes, Mesmer guérissait : c’était bien le résultat auquel avaient abouti leurs expériences, mais, manifestement, il guérissait par des moyens fantaisistes, aux liens de cause à effet douteux, et donc pour de « mauvaises » raisons. Ces « mauvaises » raisons ne purent être localisées : impossible de déterminer si elles prenaient leur source dans la pratique du guérisseur, dans l’imagination du patient ou dans leur relation l’un à l’autre. Ces deux cas montrent combien la médecine moderne a d’emblée fondé son identité sur une position de refus à l’égard des pratiques de « charlatans » qui guérissent pour de « mauvaises » raisons comme Mesmer, Hahnemann et tant d’autres. On peut noter en parallèle une opposition en règle au corps vivant, souffrant, des patients. Car les patients, quant à eux, ne suivent que rarement les catégories prédéterminées et, lorsqu’ils guérissent pour des raisons qui ne sont pas explicables au sein d’un régime de savoir qui mise sur la neutralité et l’objectivité, se rendent complices de la charlatanerie. Les commissions qui évaluèrent le magnétisme animal avancèrent trois raisons pour expliquer le succès de Mesmer malgré l’inexistence constatée par elles du fluide : 1o les forces guérisseuses de la nature ; 2 o le fait que les patients de Mesmer cessèrent de prendre leurs médications prescrites antérieurement, souvent très toxiques et 3 o la confiance des patients dans la pratique de Mesmer. La troisième raison présente un intérêt particulier au regard des pratiques médicales actuelles, car elle constitue la force motrice des procédures qui précèdent la reconnaissance officielle d’une nouvelle molécule. Connue sous le nom d’effet placebo, la force curative de la confiance, de l’espoir et de la foi qui sauve fait aujourd’hui partie intégrante des protocoles qui décident de l’autorisation de mise en circulation d’un nouveau médicament. La médecine contemporaine reconnaît donc officiellement ces effets thérapeutiques. Mais elle le fait sur un mode négatif. En effet, l’étude en double aveugle, où ni le patient ni le médecin ne savent si le traitement administré est le médicament en train d’être expérimenté (verum) ou le placebo, est précisément censée permettre de distinguer soigneusement les effets d’un médicament qui sont à mettre au compte de la croyance subjective ou des espoirs du patient, et ceux qui sont attribuables à la substance chimique en tant que telle. Ce triage permet de contrôler et de conjurer le danger d’influence subjective qui menace de perturber les progrès de la médecine. La stratégie impliquée dans les études en double aveugle consiste donc à incorporer l’ennemi pour se rendre finalement capable de le maîtriser 26.03.2024 Partie II TCAM et EBM o Les explications physiopathologiques ont perdue d’importance dans le cadre de EBM et les effets sont/leurs analyse statistique est devenue central.  Il est quelque part logique, que les praticiens de médecines complementaires et alternatives (TCAM) e.g. de l’homéopathie ont vu ce développement comme une opportunité puisque les raisons légitimes qui justifie la disqualification d’une pratique semblait d’être redevenue négociable – « tant que ca marche, on ne se pose plus trop de questions » !  EBM ouvre d’une certaine manière le champ en ce qu’elle donne très explicitement de la place aux effets !  parce qu'elle se soucie peu de l’irrationalité/non causalité (pathophysiologique) des effets - par exemple d’une substance, tant que ca marche, ca marche. Mais ce n’est pas si simple: o Plus problématique si des pratiques comme l’homéopathie s’engage pleinement dans la logique des preuves,  parce-qu’elle y résiste souvent mal – comme le fluide de Mesmer résistait mal à sa purification expérimentale.  Ceci n’est pas un argument pour l’homéopathie, je reste agnostique par rapport à son efficace et il me semble d’ailleurs cruciale de ne pas se laisser prendre par la logique du : soit on y croit soit pas etc. ce qui continue la logique PLACEBO/CHARLATAN - Mais on peut très bien poser la question : o « Que se passe-t-il si l’homéopathie se soumet à EBM et cela veut tout d’abord dire, à l’essais clinique randomisé ? »  Deux choses me semblent crucial – pour d’autres pratiques la donne sera différente - de se rappeler que en homéopathie :  1. Les prescriptions sont profondément individualisées  2. prend en compte des symptômes qui n’ont pas d’équivalent biomédicale  En conséquence : soumettre cette pratique à ECR ne réduit pas seulement la complexité des éléments actives dans cette pratique.  MAIS PLUS : la thérapie elles même n’a plus grande chose à voir avec celle qu’un homéopathe pratiquera hors d’un tel essais. 26.03.2024 Partie III Dingdingdong.org https://dingdingdong.org https://dingdingdong.org/departements/narration-speculative/dr- marboeuf/ Examen, exemple Pourquoi peut-on affirmer qu’il y a un lien historique entre peine de mort et médecine ? 1. Parce qu’en soignant les condamnés à mort, les médecins du 16e et 17e siècle ont débattu des principes éthiques concernant le droit à la vie. 2. Parce que les condamnés à mort ont été considérées par les médecins comme des personnes avec des droits, changeant ainsi leur statut. 3. Parce que l’utilisation des corps des condamnés à mort pour mener des expérimentations médicales a été considérée comme acceptable pendant un temps. 4. Parce que les Facultés de médecine ont négocié avec l’Église catholique pour déterminer les conditions de respect des corps des condamnés à mort après leur exécution. Selon le paradigme dit de « Hopkins », les interventions de réassignations sexuées sur de très jeunes enfants servent à : 1. conformer les corps intersexués au normes corporelles. 2. finir et continuer le travail de la « nature ». 3. permettre aux parents d’identifier clairement leur enfant dans un genre ou bien dans l’autre. 4. éviter que l’enfant doute de son « identité et de son rôle de genre ». Selon le paradigme dit de « Hopkins », les interventions de réassignations sexuées sur de très jeunes enfants servent à: 1. conformer les corps intersexués au normes corporelles. 2. finir et continuer le travail de la « nature ». 3. permettre aux parents d’identifier clairement leur enfant dans un genre ou bien dans l’autre. 4. éviter que l’enfant doute de son « identité et de son rôle de genre ». Le principe du consentement éclairé : 1. a longtemps été utilisé seulement pour les personnes blanches et bourgeoises. 2. a fait l’objet d’une application stricte au niveau international après le procès de Nuremberg. 3. a été établi à partir du serment d’Hippocrate. 4. a permis de stopper le recours à des sujets d’expérimentation faisant l’objet de formes de domination sociale, de discriminations et de précarité.

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