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Introduction L’une des caractéristiques des sociétés contemporaines est qu’elles sont organisées. La plupart de nos activités quotidiennes s’inscrivent dans un réseau d’organisations. Par exemple, si vous êtes en train de lire ce cours, c’est que vous êtes inscrit à l’université et au Servic...

Introduction L’une des caractéristiques des sociétés contemporaines est qu’elles sont organisées. La plupart de nos activités quotidiennes s’inscrivent dans un réseau d’organisations. Par exemple, si vous êtes en train de lire ce cours, c’est que vous êtes inscrit à l’université et au Service d’Enseignement à Distance (SED). Vous percevez déjà que ces deux entités constituent deux organisations, la seconde étant encastrée dans la première. Le moment où vous êtes en train de lire ce cours s’inscrit dans un processus qui engage des acteurs, des procédures et des dispositifs parmi lesquels la conception de la formation de la licence MIASHS par le département mathématique informatique de l’Université Jean Jaurès – ce département constitue lui aussi une organisation encastrée dans l’université mais entre les deux s’intercale l’Unité de Formation et de Recherche (UFR) – l’accréditation de cette licence par le ministère, la conception de ce cours en particulier, différents échanges entre les acteurs et les services, différentes actions aboutissant à ce moment où vous êtes sur le point de terminer cette phrase beaucoup trop longue. Ceci ne constitue qu’un exemple parmi une infinité d’autres possibles. La moindre de nos activités quotidiennes a toutes les chances d’être inscrite dans un réseau d’organisations qui implique la question de la règle. À titre individuel, qu’est-ce qui régit nos actions ? Ne suivons-nous pas toujours une règle ? Certes, nous ne sommes pas toujours en train de nous conformer à un ordre ou une injonction mais lorsque nous menons nos activités, même les plus banales, ne suivons-nous pas une règle que nous nous sommes fixée à nous-même et qui détermine le cours d’action simplement parce que, dans le cas contraire, nous ne saurions pas comment agir ou agirions de façon complétement aléatoire ? Or, lorsque notre action s’inscrit dans un ensemble plus global, disons, s’encastre dans une action plus globale, parce qu’elle fait partie des actions menées au sein d’un collectif de travail, comment se pose la question de la règle ? Comment les règles se construisent-elles au sein de l’action organisée ? Vous percevez sans doute que poser la question de la règle, lorsque l’action des acteurs s’encastre dans une entité englobante, implique de discerner les ingrédients de l’action et que ces ingrédients incluent des ressources tout autant que des contraintes. Une règle peut tout à fait se concevoir comme ayant potentiellement deux faces : celle de ressource, celle de contrainte. Sans règle que je me suis fixée à moi-même ou qui s’est imposée au cours de la pratique comme étant la manière rationnelle de procéder, l’action semble mal assurée. Inversement, si la règle définit la manière légitime d’agir et que cette règle n’entre pas en accord avec la manière d’agir qui me semble davantage convenir, la règle devient une contrainte. Mais plus simplement, nous pouvons tout à fait concevoir le bienfondé et la nécessité d’une règle tout en trouvant contraignant de la suivre. Toujours est-il que l’action organisée engage la question de la règle et que celle-ci engage à son tour la question des rapports de pouvoir. Règle et pouvoir constituent deux concepts fondamentaux de la sociologie des organisations qui nous accompagneront au cours de ces pages. Avant de poursuivre, je vous propose l’appui de trois définitions simples, qui se complètent les unes les autres, et qui vont nous permettre de cerner un peu plus précisément la notion d’organisation : « La notion d’organisation désigne un ordre social mis au service d’un projet dans un cadre délimité et pour une durée relativement longue. »1 « À mi-chemin entre l’individu et la société globale s’interpose une instance intermédiaire : celle de l’organisation. L’école comme l’entreprise, le parti politique comme l’association sportive en sont des expressions les plus courantes. Ces organisations encadrent, réglementent et orientent les actions individuelles autant qu’elles sont transformées par elles. »2 « Dans le langage de la sociologie, les organisations sont des groupements humains permettant de coordonner l’action collective dans la perspective de la production de biens et services marchands, non marchands ou même de la promotion d’une cause particulière qui concerne certains aspects de la vie en société (partis, églises, associations). »3 Ces trois définitions ne remettent pas en question ce qui a été avancé précédemment. Chacune à leur manière, elles indiquent une voie à suivre si nous souhaitons comprendre les ingrédients de l’action organisée. Complétons : une organisation peut désigner une structure formelle aux contours définis par des statuts ou des réglementations. Chacune de ces organisations peut se diviser en organisations plus petites qui la composent. Ces organisations plus petites sont alors encastrées dans l’organisation qui les englobe. Mais chacune de ces organisations peut également s’insérer dans une structure plus large dont elle fait partie. C’est ce que nous avons évoqué brièvement tout à l’heure : un département est encastré dans une UFR encastrée elle-même dans une université – composée de différents services – encastrée elle-même dans la nébuleuse ténébreuse de l’enseignement supérieur et la recherche, lui-même encastré dans la plus ténébreuse encore entité gouvernementale constitutive de l’État. Vous percevez le nombre considérable d’acteurs engagés dans cet ensemble. Ont-ils tous les mêmes intérêts, les mêmes perceptions de l’action souhaitable ou légitime ? Probablement pas. Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, la machine fonctionne, avec ses pannes et ses rouages capricieux mais elle fonctionne. Si l’action a lieu en dépit des désaccords, alors se pose la question de ce qui régit cette action et la rend donc possible. La question de la régulation de l’action se pose dès que l’on souhaite comprendre les conditions de possibilité de l’action organisée. Les débuts de la réflexion sur les organisations sont généralement associés aux noms de Frederick Taylor et de Max Weber4. 1 Paugam S., Les 100 mots de la sociologie, PUF, 2010, p. 84. 2 Molénat X., La sociologie, Éditions Sciences Humaines, 2009, p. 236-237. 3 Debeul P., dans d’Agostino S., Deubel P., Montoussé M., Renouard G., Dictionnaire des sciences économiques et sociales, Bréal, 2002, p. 332. 4 Ballé C., Sociologie des organisations, PUF, 2021, p. 3. F. Taylor (1856-1915) n’est ni un précurseur de la sociologie, ni un fondateur de la discipline. F. Taylor n’est pas un sociologue. Son but n’est pas prioritairement un objectif de connaissance mais d’efficacité de l’organisation du travail. F. Taylor est un ingénieur américain qui élabore des principes visant à rationaliser l’organisation du travail, notamment pour lutter contre le fait que, selon lui, les ouvriers ne travaillent pas aussi efficacement qu’ils le pourraient. Selon les principes conçus par F. Taylor, il est nécessaire de déterminer scientifiquement la méthode et la technique qui permettent d’effectuer chaque tâche en prenant le moins de temps possible. Dans ce but, chaque activité est décomposée puis recomposée. Si nous prenons l’exemple d’un ouvrier capable d’exécuter une tâche du début jusqu’à la fin, cette tâche est décomposée en mouvements, chaque mouvement est ensuite redéfini de manière à être le plus efficace possible. Une fois redéfinis et, par conséquent, transformés, l’ensemble des mouvements sont recomposés pour constituer le modèle de la tâche à accomplir et auquel tous les ouvriers devront se conformer. Les matériaux, les outils, ainsi que la disposition des espaces de travail viennent s’ajouter à l’ensemble des éléments que F. Taylor préconise de rationnaliser. Cette rationalisation a pour conséquence que ce n’est plus un seul ouvrier qui effectue une tâche du début jusqu’à la fin. Les différents mouvements à accomplir se répartissent sur un ensemble d’ouvriers. Les tâches deviennent morcelées ; le travail devient morcelé. Le travail n’appartient plus à la personne qui l’effectue car les gestes que celle-ci accomplissait se répartissent désormais dans le corps de plusieurs personnes. L’organisation scientifique du travail préconisée par F. Taylor remplace une personne capable d’effectuer une tâche du début jusqu’à la fin en une somme de personnes qui accomplissent chacune une petite partie de la tâche demandant peu de qualification. L’exécution de ces petites parties de tâche est standardisée, effectuée de la même manière par chaque personne, avec le même type d’outils, dans le même laps de temps. F. Taylor préconise que le travail des ouvriers leur soit prescrit au moins un jour à l’avance avec le détail des tâches à accomplir ainsi que le détail des moyens mis en œuvre. Des personnes conçoivent le travail, d’autres personnes l’exécutent. Selon F. Taylor, la division doit être nette entre les personnes qui réfléchissent et celles qui suivent leurs instructions. Ces dernières doivent, selon lui, être payées davantage lorsqu’elles parviennent à atteindre les objectifs de rapidité qui leur ont été assignés. Les préconisations de F. Taylor ne doivent pas être confondues avec le travail à la chaine qui, lui, sera conçu par l’industriel américain Henry Ford (1863, 1947)5. Max Weber (1864-1920) est considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie. Sa contribution à la réflexion sur les organisations est liée à son analyse de la bureaucratie qui, elle-même, s’inscrit dans son questionnement des différents types de domination6. M. Weber distingue trois types de domination : la domination légale, la domination traditionnelle, la 5 Misset S., Introduction à la sociologie des organisations, Armand Colin, 2017. 6 Weber M., Économie et société, Plon, 1971. Première édition en allemand publiée en 1921, après sa mort. domination charismatique. Pour M. Weber, la domination s’entend comme la possibilité de se faire obéir. Le premier type de domination repose sur le droit, les règlements, les institutions, ainsi que sur un ensemble de procédures écrites. Dans ce cas de figure, on n’obéit pas à une personne mais à une fonction. Le second repose sur la coutume et l’acceptation du fait que les personnes en charge de la faire respecter sont légitimes. Le troisième repose sur le pouvoir d’un seul homme à qui l’ensemble du groupe prête des qualités qui justifient qu’il les dirige. M. Weber associe la bureaucratie à la domination légale. Selon M. Weber, le fonctionnement bureaucratique se caractérise par une organisation rationnelle des activités et des fonctions. Celles-ci sont définies par des lois et des règlements et s’inscrivent dans un cadre abstrait et impersonnel, dans lequel la trace écrite occupe une place prépondérante. Les activités ne dépendent pas de la particularité des personnes mais de règles générales qui garantissent l’objectivité. Les personnes qui mettent en œuvre ces activités sont inscrites dans une organisation hiérarchique comportant des services de direction et des services subalternes. La spécialisation des activités caractérise également le mode de fonctionnement bureaucratique. Le recrutement et l’avancement dans la carrière ne sont pas effectués selon le bon vouloir des dirigeants mais sur la base de procédures et de critères formalisés tels que les concours, les examens, les diplômes, la qualification et l’ancienneté. Pour M. Weber, analyser le fonctionnement bureaucratique permet de rendre compte de la tendance à la rationalisation croissante des sociétés. Il considère que le fonctionnement bureaucratique présente les avantages de l’objectivité et de la rationalité propres à la modernité. Il n’y a pas que la sociologie qui s’est intéressée aux organisations depuis F. Taylor et M. Weber. Cependant, nous nous limiterons au champ qui est le nôtre. Dans une première partie, en nous appuyant sur les travaux de Michel Crozier et Erhard Friedberg d’abord, de Jean-Daniel Reynaud ensuite, de Gilbert de Terssac enfin, nous poserons les bases conceptuelles qui nous permettront de structurer le questionnement. Dans une seconde partie, nous nous poserons la question de la construction de la règle. Dans une troisième partie, nous poursuivrons cette piste en interrogeant différentes formes de régulation au regard des stratégies d’acteurs. I. Repères conceptuels Introduction Afin de structurer le questionnement à venir, cette partie sera consacrée à la présentation de trois séries de travaux. Les analyses de Michel Crozier et Erhard Friedberg nous permettront d’interroger les notions de jeu, de pouvoir et de stratégie. Nous verrons que les deux auteurs mettent en avant qu’une organisation peut être considérée comme un ensemble de jeux, avec leurs règles, et que les acteurs tâchent de jouer au mieux de leurs intérêts et en fonction des sources de pouvoir qui sont les leurs. Nous retrouverons les notions de règle et de pouvoir avec un troisième auteur, Jean-Daniel Reynaud, qui propose une direction théorique sensiblement différente mais néanmoins en aucun cas contradictoire avec la première. Selon J.-D. Reynaud, la négociation des règles implique une entente sur le sens : s’entendre sur la règle qui sera appliquée revient à s’entendre sur un sens commun. Nous terminerons avec un quatrième sociologue, Gilbert de Terssac, dont les propositions conceptuelles ne sont pas non plus contradictoires avec les précédentes, mais qui axe sa réflexion sur ce qu’il nomme « le travail d’organisation ». Selon G. de Terssac, chacun s’appuie sur une règle pour agir. Mais lorsque des problèmes se posent qui font que les règles en vigueur ne permettent pas de faire face à la situation de manière adéquate, le travail d’organisation apparaît et celui-ci se présente comme l’élaboration et l’institution de nouvelles règles. Chacune de ces perspectives théoriques développe une façon d’appréhender les logiques qui régissent l’action organisée. Chacune pose la question de la règle et du pouvoir. Car dans une organisation, notamment professionnelle, le pouvoir de dire la règle est inégalement distribué. Au-delà des règles officielles, qui s’objectivent dans les règlements, les fiches de postes et les procédures formalisées, les pratiques sont elles-mêmes régulées. Si les acteurs font partie d’une même organisation mais qu’ils ont des intérêts divergents au sein de cette même organisation, ou si les situations qu’ils rencontrent les amènent à prendre de la distance par rapport aux règles instituées, comment s’opère la régulation ? Comment les règles s’élaborent- elles et sont-elles négociées entre les acteurs qui disposent de pouvoir de manière inégale ? Cette première partie nous fournira les outils théoriques qui nous accompagneront dans les parties suivantes. Celles-ci seront consacrées à l’examen de travaux contemporains que nous interrogerons en les replaçant dans les cadres théoriques précédemment présentés. Les enquêtes qui seront présentées disposent déjà de structures théoriques et il ne s’agit pas de laisser entendre que celles-ci seraient insuffisantes. Mais le fil conducteur de ce cours sera celui présenté dans cette première partie. 1. Michel Crozier et Erhard Friedberg : L’acteur et le système Les travaux en sociologie des organisations en France se sont largement structurés autour des propositions de M. Crozier et E. Friedberg. Au fond, quel est le problème que se posent M. Crozier et E. Friedberg ? Le problème qu’ils se posent est celui des conditions et des contraintes de l’action collective, c’est-à-dire, nous disent-ils, de l’action organisée. Il y a des ensembles complexes, mais intégrés, que l’on appelle organisations. Des acteurs sont parties prenantes de ces organisations. Ils en font partie, ils y déploient leur activité. Leurs objectifs peuvent être divergents. L’action collective ne va pas de soi ; elle pose des problèmes. Prenons une université. Cet exemple n’est pas un exemple proposé par M. Crozier et E. Friedberg mais un exemple proposé pour ce cours. Une université est composée de différents services, de différentes personnes aux métiers très divers. Prenons le service des ressources humaines. Est- ce que les objectifs des membres de ce service sont les mêmes que ceux des directions de département ? Fondamentalement, oui : ce sont les objectifs de l’établissement universitaire. Mais approfondissons un peu. Les règles en vigueur dans l’établissement ont récemment changé pour devenir plus contraignantes en ce qui concerne le recrutement des enseignants vacataires. Les enseignants vacataires doivent travailler pour un employeur principal, autre que l’université, et justifier de 900 heures de cette autre activité salariée durant l’année universitaire en cours. Jusque-là, une lecture souple des textes législatifs considérait qu’une inscription à Pôle emploi pouvait convenir si la personne avait droit à au moins 365 jours d’allocation chômage. La règle en vigueur dans l’établissement interdit désormais cette possibilité. Les textes législatifs ne changent pas. C’est leur lecture qui change. Tout un ensemble d’enseignants vacataires ne peuvent plus donner de cours et les départements se retrouvent dans des situations très compliquées de manque d’enseignants pour assurer les cours. Dans le cas présent, les objectifs des membres du service des ressources humaines sont-ils les mêmes que ceux des directions de département ? Pas tout à fait. Ils sont même plutôt divergents, voire contradictoires. Imaginons la situation suivante : un membre du service des ressources humaines vérifiant la validité du dossier d’un enseignant vacataire s’aperçoit que son titre de séjour expire au début du second semestre et, faisant valoir que le contrat avec l’université serait valable pour l’année entière, refuse de valider son dossier. Est-ce que ses objectifs sont les mêmes que ceux de l’enseignant en question qui se trouve donner des cours dans l’établissement et donc, en fait partie, depuis dix ans ? Pas vraiment. Et est-ce que ses objectifs sont les mêmes que ceux de la direction du département qui confie des cours à l’enseignant ? Pas vraiment non plus. Pourtant, les acteurs font partie de la même organisation. Nous reviendrons tout à l’heure sur cet exemple. L’action collective pose des problèmes. Or, les actrices et les acteurs ont inventé des moyens pour surmonter ces problèmes posés par l’action collective, expliquent M. Crozier et E. Friedberg. Ces moyens leur permettent de coopérer, de poursuivre des objectifs communs qui sont ceux de l’ensemble complexe mais intégré dont ils font partie, c’est-à-dire de l’organisation qui les encadre. Des ensembles complexes mais intégrés, ce sont les termes de M. Crozier et E. Friedberg. Nous avons donc des acteurs – M. Crozier et E. Friedberg disent des hommes – je me permets de transformer un peu. Nous avons des acteurs qui, avec leurs ressources et leurs capacités particulières, malgré leurs orientations divergentes, parfois contradictoires, inventent et instituent des solutions spécifiques, contingentes, arbitraires, c’est- à-dire pas forcément les seules possibles ni les meilleures possibles – mais qu’est-ce que cela signifierait les meilleures possibles ? – des solutions qui leur permettent d’articuler et d’intégrer leurs actions divergentes – M. Crozier et E. Friedberg disent comportements, je me permets de transformer un peu ici aussi. Or, ces solutions les contraignent. Ces solutions les contraignent parce qu’elles tiennent ensemble d’une part, la coopération et l’interdépendance et, d’autre part, les actions divergentes et contradictoires. Pour que ces deux antagonismes tiennent ensemble, il faut un minimum de structuration des champs de l’action possible, un minimum d’organisation. L’organisation rend possible la coopération mais en limitant la liberté des acteurs, en limitant leurs capacités d’action. Concrètement, comment les choses se passent ? Concrètement, l’organisation consiste à redéfinir les problèmes. Des problèmes se présentent. Ils créent de l’incertitude. Qu’est-ce qu’on va faire ? Comment on va faire ? Qui va faire ? Mais en premier lieu, à quoi est-ce que l’on a à faire ? Les problèmes créent de l’incertitude. Ce sont sur ces incertitudes que les acteurs construisent de l’organisation. Autour de cette notion d’incertitude, M. Crozier et E. Friedberg font graviter deux concepts fondamentaux : les concepts de jeu et de pouvoir, qui mènent vers la notion de stratégie de l’acteur. Le jeu Commençons par le jeu. C’est quoi, le jeu, pour M. Crozier et E. Friedberg ? Le jeu, c’est le mécanisme concret grâce auquel les acteurs structurent leurs relations de pouvoir et les régularisent. Le jeu suppose de la règle. Les auteurs écrivent : « Le joueur reste libre, mais doit, s’il veut gagner, adopter une stratégie rationnelle en fonction de la nature du jeu et respecter les règles de celui-ci. »7 Je suis libre de jouer à ma manière mais d’une part, mes actions doivent être appropriées au jeu et, d’autre part, tous les coups ne sont pas permis. Le jeu, c’est ce qui permet de régler la coopération, c’est ce qui permet l’action organisée. Que produit ce jeu ? Le produit du jeu, c’est le résultat commun recherché par l’organisation. Ce résultat n’est pas obtenu en commandant directement les acteurs qui agiraient conformément à un programme ou à une consigne. Les acteurs sont insérés dans des jeux avec leur nature propre et leurs règles propres. En jouant, tout le monde cherche son propre intérêt. La nature des jeux et les règles des jeux donnent une orientation aux acteurs. Cette orientation détermine ce que le jeu produit. La structure de l’organisation est un ensemble de jeux. Le fonctionnement de l’organisation est le résultat d’une série de jeux. Maintenant que nous avons ce concept de jeu en tête, reprenons. Des problèmes se présentent. L’organisation consiste à redéfinir les problèmes. Redéfinir les problèmes, d’accord, mais vers quelle direction ? Les redéfinir soit en les ajustant aux caractéristiques des jeux que les acteurs jouent déjà, soit en créant de nouvelles incertitudes. Le pouvoir Qu’est-ce que c’est, le pouvoir, pour M. Crozier et E. Friedberg ? D’abord, c’est le résultat de la mobilisation par les acteurs des sources d’incertitudes pertinentes qu’ils contrôlent dans une structure de jeu, pour leurs relations avec les autres personnes qui participent à ce jeu. C’est une relation qui est toujours liée à une structure de jeu parce que c’est cette structure qui définit la pertinence des sources d’incertitudes que les acteurs peuvent contrôler. Donc, c’est une relation et pas un attribut. C’est dans la relation que le pouvoir se manifeste. Cette relation est une relation d’échange, donc de négociation. Pour entrer dans une relation de pouvoir, il faut avoir quelque chose à échanger. Pour jouer, il faut avoir une carte à jouer. Si on lit trop rapidement M. Crozier et E. Friedberg, on peut faire l’erreur de croire qu’ils font comme si les inégalités de capitaux n’existaient pas mais ce serait une erreur de penser 7 Crozier M., Friedberg E., L’acteur et le système, Seuil, 1977, p. 113. cela. Ils le précisent, d’ailleurs. Simplement, leur objet et leur cadre théorique se situent ailleurs et ils règlent la question de manière claire : ils savent bien qu’il y a des personnes qui n’ont rien à échanger mais si je n’ai rien à échanger, je n’existe pas. Dans leur cadre théorique, car c’est un cadre théorique – un outil permettant une compréhension de l’action organisée en tant qu’elle relève toujours de construits humains à expliquer – dans leur cadre théorique, exister, c’est entrer dans un champ de pouvoir. Pourquoi ? Parce que si je ne peux pas négocier ma volonté de faire ce que les autres me demandent ou si je ne peux pas choisir de ne pas faire ce que les autres me demandent, alors je n’existe plus en tant qu’acteur autonome et je ne suis plus qu’une chose. Évidemment, ce n’est qu’un cadre théorique. Évidemment que M. Crozier et E. Friedberg ne pensent pas qu’il y a des gens qui sont des choses. Quand on dit que les acteurs qui font partie d’une organisation ont des objectifs divergents, cela ne signifie pas du tout que leurs objectifs sont contraires à ceux de l’organisation. C’est même l’inverse. Tous concourent aux objectifs visés par l’organisation. Mais tous n’ont pas la même activité, pas les mêmes réalités quotidiennes, pas les mêmes intérêts individuels au sein de l’organisation, pas les mêmes contraintes – même si l’organisation impose des contraintes partagées – pas les mêmes ressources. Prenons deux acteurs. Si le premier dispose d’une ressource indispensable pour que le second réalise ses projets, alors il peut modifier l’action du second acteur. Plus le premier a la possibilité de conserver un certain degré d’incertitude quant à la possibilité du second de bénéficier de cette ressource, plus il détient du pouvoir sur lui en contraignant son action. Ces ressources renvoient à quatre sources de pouvoir correspondant aux sources d’incertitudes pertinentes pour une organisation : - le pouvoir de l’expert, lié à la maîtrise de savoirs ou de savoir-faire ; - le pouvoir de l’aiguilleur, lié à la maîtrise de l’information et de sa circulation ; - le pouvoir du marginal-sécant, lié aux relations avec l’environnement ; - le pouvoir lié à l’existence de règles. Plus la zone d’incertitude contrôlée par un individu ou un groupe est cruciale pour la réussite de l’organisation, plus celui-ci dispose de pouvoir. La stratégie M. Crozier et E. Friedberg considèrent que la stratégie n’est pas toujours consciente chez les acteurs. Ce sont les chercheurs qui reconstruisent la stratégie des acteurs à partir de leurs observations. On n’a pas toujours des objectifs très clairs quand on agit. Chacun peut modifier ses objectifs dans le cours de l’action. Par contre, ce qui est sûr, c’est que l’action peut être observée. Ce qui est sûr également, c’est que l’action est toujours en partie contrainte mais jamais directement déterminée et qu’elle a toujours un sens ; un sens qui n’est pas rationnel par rapport à des objectifs mais par rapport à des opportunités et au comportement des autres acteurs. Je vous propose deux citations et juste après, on revient sur l’exemple du service des ressources humaines. M. Crozier et E. Friedberg écrivent : « Alors que la réflexion en termes d’objectifs tend à isoler l’acteur de l’organisation à qui elle l’oppose, la réflexion en termes de stratégie oblige à chercher dans le contexte organisationnel la rationalité de l’acteur et à comprendre le construit organisationnel dans le vécu des acteurs. »8 « L’acteur n’existe pas en dehors du système qui définit la liberté qui est la sienne et la rationalité qu’il peut utiliser dans son action. Mais le système n’existe que par l’acteur qui seul peut le porter et lui donner vie, et qui seul peut le changer. C’est de la juxtaposition de ces deux logiques que naissent ces contraintes de l’action organisée que notre raisonnement met en évidence. »9 Revenons à notre exemple de tout à l’heure. Un membre du service des ressources humaines vérifiant la validité du dossier d’un enseignant vacataire s’aperçoit que son titre de séjour expire au début du second semestre et, faisant valoir que le contrat avec l’université serait valable pour l’année entière, refuse de valider son dossier. Quelles sont les sources de pouvoir détenues par le membre du service des ressources humaines ? Il détient le pouvoir de l’expert car il connaît le droit. Mais est-ce que son interprétation du droit et son application du droit ne sont pas un peu excessives dans la mesure où le titre de séjour de l’enseignant est valide au moment du traitement du dossier ? Il détient également le pouvoir lié à la capacité de faire respecter la règle car c’est lui qui valide ou pas les dossiers en fonction des règles en vigueur. Le second acteur est-il dépourvu de tout pouvoir ? S’il accepte, oui. S’il cherche des alliés, non. Une possibilité qui est la sienne consiste à déplacer le jeu, ou à faire entrer d’autres acteurs dans le jeu ; par exemple, la direction du département. Imaginons ce cas de figure. La direction du département téléphone au membre du service des ressources humaines. Est-ce qu’elle a véritablement des cartes à jouer ? Est-ce qu’elle détient un pouvoir quelconque ? Pas vraiment. Ce sont les agents du service des ressources humaines qui ont le pouvoir. Sauf si elle crée de l’incertitude ; en mettant en avant, de manière générale, l’aspect malvenu de faire respecter avec zèle des règlementations discriminatoires envers des collègues originaires de pays hors Union Européenne dans un contexte de banalisation de l’extrême droite, en mettant en avant, de manière plus spécifique, le fait que le collègue concerné donne des cours depuis des années, qu’une décision défavorable amènerait un enchainement de conséquences négatives sur sa situation et que son interlocuteur ayant une marge de liberté, sa responsabilité est énorme. L’interlocuteur peut toujours jouer la carte du fonctionnaire devant faire respecter la loi. Mais c’est là que l’incertitude peut être introduite : parce qu’une fois les enjeux déplacés vers des aspects politiques, on peut très bien imaginer que la direction du département dise très explicitement qu’elle ne pourra pas tolérer un dénouement défavorable. Qu’est-ce que ça signifie « ne pas pouvoir tolérer » ? Qu’est-ce qu’elle va faire ? Elle va forcément en appeler à d’autres instances puisqu’elle n’a aucun pouvoir si ce n’est celui de déplacer le jeu encore une fois. En appeler à quelles autres instances ? Avec quelles conséquences ? 8 M. Crozier, E. Friedberg, L’acteur et le système, Seuil, 1977, p. 57. 9 Idem, p.11. En appeler à d’autres instances ou à d’autres acteurs, cela peut renvoyer au pouvoir du marginal-sécant dans la mesure où les instances peuvent, ou non, faire partie de l’organisation ; les acteurs peuvent être syndicaux, associatifs. Le membre du service des ressources humaines dispose aussi du pouvoir du marginal-sécant : la préfecture pourrait vérifier et lui demander de rendre des comptes. Et puis, clairement dans ce type de situation, la logique est celle du fonctionnement bureaucratique analysé par M. Weber évoqué dans l’introduction de ce cours et ce sont ces principes que le membre du service des ressources humaines peut mobiliser pour justifier son action. Si le membre du service des ressources humaines s’en réfère au droit et au respect strict de la procédure, il justifie son action en l’inscrivant dans le mode de fonctionnement bureaucratique. S’il temporise en disant qu’il va en référer à sa supérieure parce qu’il ne peut prendre seul la décision d’avoir une application souple du droit, la justification de l’action s’inscrit également dans ce mode de fonctionnement. Le jeu qu’il joue est celui dans lequel il maitrise l’incertitude parce qu’il est l’expert et qu’il est celui qui fait respecter la règle. Mais, placé devant une autre source d’incertitude – jusqu’où ira la direction du département ? – il mobilise la supérieure de son groupe qui est également l’experte et qui a également la charge de faire respecter la règle. Il maintient l’incertitude en maintenant le jeu qui lui est favorable parce que son groupe y est en position de pouvoir. C’est bien sur l’incertitude que les jeux se jouent. Mais les jeux restent ceux qui se jouent au sein de l’organisation et qui permettent à l’organisation de fonctionner. Une organisation comporte un ensemble de règles qui définissent à la fois ce que chacun peut espérer gagner mais la façon dont il est possible de jouer : il y a des actions autorisées et des actions qui sont interdites. À partir de là, le rôle du sociologue, quel est-il pour M. Crozier et E. Friedberg ? Le rôle du sociologue consiste à reconstruire ce qui s’apparente un jeu : celui que jouent les acteurs de l’organisation. Reconstruire ce jeu permet de comprendre les stratégies individuelles mais également la manière dont se coordonnent et se structurent les relations entre les acteurs dans le fonctionnement de l’organisation10. Reconstruire ce jeu consiste à reconstruire ce que M. Crozier et E. Friedberg nomment « le système d’action concret », composé tout à la fois des règles et des alliances que les acteurs nouent entre eux et qui ne sont jamais fixes, pas toujours explicites, mais que l’on ne peut comprendre sans analyser les rapports de pouvoir. Cette perspective permet de mettre en évidence le fait que lorsqu’un changement est envisagé dans une organisation, il redistribue les cartes du système d’action concret en transformant les zones d’incertitude et donc, les possibilités, pour les uns et pour les autres, de détenir du pouvoir. C’est ce qui conduit les auteurs à écrire : « La notion de « résistance au changement » qui a fait couler tant d’encre, notamment dans la littérature organisationnelle, devrait être rayée du vocabulaire. Non qu’il n’y ait pas de résistances. Mais celles-ci ne sont le plus souvent que l’expression de l’appréciation tout à 10 Misset S., Introduction à la sociologie des organisations, Armand Colin, 2017, p. 104. fait raisonnable et légitime par les acteurs concernés des risques que comporte pour eux tout changement conçu en dehors d’eux et visant avant tout à « rationaliser » leurs comportements, c’est-à-dire à les rendre plus prévisibles en supprimant leurs sources d’incertitudes »11. 2. La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud Au départ, ce qui fournit à Jean-Daniel Reynaud le matériau empirique à partir duquel construire sa théorie de la régulation sociale, ce sont d’une part, l’étude de relations de travail dans les années 1950 et d’autre part, l’étude des conflits dans les années 1970. Pour Jean-Daniel Reynaud12, le fait central à expliquer, c’est l’action collective. Le point de départ de la théorie, c’est l’action collective. Qu’est-ce que cela signifie chercher à comprendre l’action collective ? Des contraintes pèsent sur elle. Quelles sont ces contraintes ? L’action collective a nécessairement une finalité. Quelle est cette finalité ? Et puis forcément, agir collectivement, cela implique que des choix soient faits entre différentes orientations. Comment ces choix sont- ils opérés ? Et finalement, quel est le sens de l’action collective ? La théorie de la régulation sociale de J.-D. Reynaud s’attache à la création d’un sens. Ce premier point a une implication sur la méthode. Pour J.-D. Reynaud, on ne peut pas attribuer à des êtres collectifs construits par l’analyse une stratégie, une volonté ou une décision. La classe dominante ou le capitalisme n’ont pas de stratégie. Par contre, une collectivité organisée peut mener une action sociale que l’on peut observer et analyser. Qu’est-ce que J.-D. Reynaud entend par la notion d’action sociale ? Dans la terminologie de J.-D. Reynaud, action sociale et action collective sont deux synonymes. Dans sa conception, ce qui prime, c’est la création d’un sens. Ce qui caractérise l’action collective, c’est une orientation commune face à une situation. Différentes personnes se trouvent face à une situation. Ce qui caractérise leur action en tant qu’elle est collective, c’est que ces personnes interprètent la situation d’une manière commune, elles la reconnaissent de telle manière, l’identifient de telle manière. Elles lui donnent le même sens. Cette interprétation commune, partagée, est exprimée dans des catégories cognitives particulières. Ce sens donné à la situation oriente l’action. Chez J.-D. Reynaud, c’est le sens qui est premier. Tout le reste vient ensuite : le plan, les objectifs, les ressources, tout cela vient après. La théorie de la régulation sociale accorde une place centrale à la cognition. Il s’agit de se demander quelles sont les catégories cognitives qui permettent aux acteurs de découper la réalité, de l’analyser pour ensuite agir sur elle. Je vous propose maintenant de centrer l’attention sur 3 notions : le pouvoir, la négociation, et la régulation. 11Crozier M., Friedberg M., L’acteur et le système, Seuil, 1977, p. 29-30. 12Reynaud J.-D., Le conflit, la négociation et la règle, Octarès, 2ème édition, 1999 ; Les règles du jeu : l’action collective et la régulation sociale, Armand Colin, 3ème édition 1997 ; de Terssac G. (dir.), La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud, La Découverte, 2003. Le pouvoir Pour J.-D. Reynaud, à partir du moment où des personnes sont engagées dans des interactions durables et qu’elles acceptent de s’engager dans une action réciproque, le pouvoir et la recherche de légitimité entrent forcément dans ces interactions. Quand on interagit, on échange. L’échange est rarement égal. Les capacités d’initiative sont tout aussi inégales. Les capacités d’initiative cognitive non plus ne sont pas égales. Tout le monde n’a pas la possibilité de dire : en fait, nous ne sommes pas face à ce type de situation mais à ce type de situation. Dans un échange, les capacités sont inégalement distribuées. Les acteurs font valoir les ressources qu’ils maitrisent pour amener les autres acteurs à définir la situation plutôt comme ceci ou comme cela. Tout échange social est aussi un rapport de pouvoir. Selon J.-D. Reynaud, le pouvoir est un rapport et ce rapport est défini par une règle. Quand des personnes et des groupes de personnes négocient, c’est autour de la règle que les négociations ont lieu. Indépendamment des négociations formelles entre des acteurs qui se mettent autour de la table, les négociations traversent le social. Prenons l’exemple d’une organisation de travail simple : d’un côté, des dirigeants, de l’autre côté, des exécutants. Si le pouvoir est un rapport et si ce rapport est défini par une règle, est-ce que, pour autant, la règle se réduit aux consignes que doivent suivre les exécutants ? Non. Pourquoi ? Parce que, d’un côté, vous avez effectivement les dirigeants dont tout l’effort se porte sur une régulation de contrôle : il faut suivre les consignes. Mais d’un autre côté, vous avez les aménagements apportés par les exécutants dont tout l’effort se porte sur une régulation autonome. L’intrication des deux – régulation de contrôle, régulation autonome – produit la règle effective. C’est non seulement ce qui permet de dire que le pouvoir est un rapport mais également qu’un rapport de pouvoir est aussi un rapport de régulation. Qui dit pouvoir dit négociation. Or, le point de départ de la négociation, ce sont des règles. La négociation aboutit à d’autres règles. La négociation est la forme que prennent les rapports de pouvoir. Elle détermine les règles du jeu. La négociation Une négociation, dans la théorie de la régulation sociale, qu’est-ce que c’est ? C’est une situation dans laquelle deux parties mettent en œuvre leur pouvoir respectif pour influencer une décision. Le résultat de la négociation, qu’est-ce que c’est ? C’est l’établissement d’une règle. On discute des règles et cette discussion aboutit à un accord. J.-D. Reynaud propose de distinguer 3 phases dans la négociation, mais davantage dans un souci d’analyse que dans une logique chronologique. Première phase : chacune des parties définit le problème à traiter et les acteurs intéressés. Deuxième phase : les acteurs s’entendent sur les enjeux de la négociation. C’est-à-dire qu’ils s’entendent sur les problèmes à traiter. Ils trouvent un accord cognitif. Cet accord, qui consiste à dire que c’est de cela dont on parle et pas d’autre chose, permet aux acteurs de diriger leurs actions vers des buts accessibles, et de modifier leur orientation en tenant compte de l’orientation de l’autre partie. Troisième phase : le marchandage. Une fois qu’ils sont d’accord sur le sujet à traiter, les acteurs peuvent marchander, faire des propositions, des compromis, faire valoir toutes les ressources dont ils disposent pour orienter la négociation comme ils le souhaitent. Mais pour marchander, il faut qu’au départ, les acteurs aient créé un terrain commun sur lequel marchander a un sens. Il faut, au départ, s’être entendu sur un sens commun qui définit les enjeux, les problèmes à traiter. Au terme de la négociation, en principe, il y a un accord. Mais l’accord est à considérer davantage en termes de dispositif qu’en terme de consensus. L’accord constitue le sol qui va permettre une forme de continuité des interactions, notamment parce qu’il va permettre d’élaborer de nouveaux accords. Si on prend, comme le fait J.-D. Reynaud, l’exemple des négociations collectives dans le monde du travail, elles sont en partie du marchandage mais en partie seulement. Elles créent des règles pour fixer les conditions de travail. Mais elles ne règlent pas toutes les conditions de travail et elles ne considèrent pas toutes les éventualités. Par contre, elles rendent les choses claires, elles clarifient les problèmes qu’il faut traiter et elles contraignent les acteurs à traiter ces problèmes autrement que dans l’urgence. Elles précisent qui a accès à la négociation, elles précisent ce qui peut être négocié. À la fin, l’accord deviendra le sol sur lequel négocier ultérieurement. La régulation J.-D. Reynaud définit la régulation comme la capacité d’élaborer des règles. Dire la règle, ou produire la règle, c’est dire quelle est la manière légitime dont doivent se dérouler les interactions. C’est loin d’être anodin parce que si je prétends à être source de régulation, je prétends à quoi ? Je prétends à être un acteur social. Je ne fais pas que suivre le programme qui m’est dicté. Prétendre à être source de régulation, c’est une revendication de légitimité. Ma voix compte. Et pour J.-D. Reynaud, dans toute interaction sociale, les acteurs essaient d’imposer leurs règles, leurs normes, de dire que leur manière de faire, de procéder, ou d’être, est légitime. Qu’est-ce que cela implique ? Cela implique qu’il y a plusieurs sources de régulation. Si nous passions notre temps à suivre la réglementation officielle, nous serions tout le temps dans une forme de régulation unilatérale. À part dans des relations de soumission, c’est difficilement tenable. Si on se centre sur des relations de production, quand on parle d’autonomie dans le travail, cela signifie que les exécutants ont une part d’initiative des règles. Donc il y a plusieurs sources de régulation. Dire cela, c’est dire aussi que les règles effectives sont le résultat de la rencontre entre ces sources de régulation. Il y a toujours des relations de pouvoir et ces relations contribuent à produire les règles du jeu. Le pouvoir d’initiative est lié aux pouvoirs institués. Mais la distribution du pouvoir d’initiative peut changer.

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