Chapitre 17: La Motivation pour L'apprentissage d'une Langue Étrangère PDF
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Françoise Berdal-Masuy
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Ce chapitre aborde la motivation dans le contexte de l'apprentissage d'une langue étrangère. Il examine les facteurs intrinsèques et extrinsèques de la motivation, et explore le rôle de l'enseignant en la matière. L'auteur propose des stratégies pour aider les élèves à se motiver.
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CHAPITRE La motivation ou comment 17 (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? Françoise Berdal-Masuy 17.1. INTRODUCTION L...
CHAPITRE La motivation ou comment 17 (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? Françoise Berdal-Masuy 17.1. INTRODUCTION La motivation est l’un des trois facteurs déclencheurs de l’acquisition d’une langue étrangère (L2), au même titre que la compétence langagière et l’exposition à la langue cible. Elle joue un rôle déterminant dans la capacité à « performer » dans la langue en cours d’acquisition et peut être définie à plusieurs niveaux : de façon générale, en contexte scolaire et en lien avec l’apprentissage d’une L2. Selon Gardiner et MacIntyre (1993, p. 2), la motivation est une structure complexe avec trois composants : le désir d’atteindre un objectif, l’effort déployé dans ce sens et la satisfaction de la tâche1. En contexte scolaire, la motivation peut être définie de façon assez simple comme « ce qui explique la dynamique du comportement » (Fenouillet, 2012, p. 9). Dans le domaine de l’apprentissage d’une langue en situation académique, Françoise Raby (2008, p. 10) définit la motivation comme : 1 Texte original : « desire to achieve a goal, effort extended in this direction, and satisfaction with the task ». Introduction à l’acquisition des langues étrangères un mécanisme psychologique qui génère le désir d’apprendre la langue seconde, qui déclenche des comportements d’apprentissage, notamment la prise de parole en classe de langue, qui permet à l’élève de maintenir son engagement à réali- ser les tâches proposées quel que soit le degré de réussite immédiate dans son interaction avec les autres élèves ou le professeur, qui le conduit à faire usage des instruments d’apprentissage mis à sa disposition (manuel, dictionnaire, tableau, CD-ROM) et qui, une fois la tâche terminée, le pousse à renouveler son engagement dans le travail linguistique et culturel. Les travaux sur la motivation lors de l’apprentissage d’une L2 sont issus des recherches en psychologie sur la motivation, ce qui explique la grande diver- sité de modèles, d’outils de mesure et de terminologie1. Néanmoins, sous une apparente diversité, « les discours se recoupent » (Raby & Narcy-Combes, 2009, p. 8) et contribuent à une meilleure compréhension du processus motivationnel. Dans ce chapitre, nous présentons les principaux concepts issus de ces théories et leur application dans le domaine de l’acquisition des langues en vue de comprendre les raisons qui poussent les apprenants à s’investir dans l’apprentissage d’une langue et culture en situation scolaire : Qu’est-ce qui les encourage ou les décourage à entretenir leur désir et à soutenir leurs efforts tout au long de l’apprentissage ? Quel rôle joue l’enseignant dans ce proces- sus ? Comment peut-il aider les élèves à se motiver eux-mêmes, à contrôler et entretenir leur motivation ? 17.2. LA MOTIVATION INTRINSÈQUE VERSUS EXTRINSÈQUE Les concepts de motivation intrinsèque et extrinsèque sont issus de la théorie de l’auto-détermination, conceptualisée dans les années 1980 (Deci & Ryan, 1985), et qui s’est développée de façon exponentielle dans les années 2000 en raison de sa « large portée » (Deci, Pelletier, Ryan & Sarazzin, 2011, p. 274). Selon cette théorie, la motivation humaine est basée sur trois besoins : le besoin d’autonomie, celui de se sentir compétent et celui d’appartenance sociale. C’est le premier besoin qui serait le plus déterminant dans le processus motivationnel, il va lui donner deux orientations principales : intrinsèque et extrinsèque. En effet, la motivation conditionne l’autonomie (définie comme la perception d’être à l’origine de ses propres actions, de son propre comporte- ment) : « être autonome dépend de trois facteurs principaux : une confiance en soi en matière d’apprentissage, une base solide de connaissances métacognitives et une motivation intrinsèque » (Prince, 2009, p. 76). 1 Citons – entre autres – la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 1985), la théorie du concept de soi (Markus & Nurius, 1986), la théorie des buts d’accomplissement (Dweck, 1989), la théorie de l’attribution (Weiner, 1992), le modèle hiérarchique de la motivation autodéterminée (Vallerand & Miquelon, 2016), la théorie du sentiment d’auto-efficacité (Bandura, 1997, 2003). — 298 — La motivation ou comment (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? La motivation intrinsèque renvoie au fait que l’on agit par plaisir, par inté- rêt, pour découvrir de nouveaux horizons et atteindre un but. La récompense est liée à la satisfaction d’avoir agi. La motivation extrinsèque désigne le fait d’agir pour une récompense, pour éviter d’être puni ou de se sentir coupable ou pour recevoir l’approbation de l’entourage (enseignants, pairs ou parents). Cette distinction a évolué vers les motivations dites « autonomes » (spontanées, choisies, volontaires) versus « contraintes » (obligées, contrôlées). Une forte moti- vation autonome est beaucoup plus bénéfique qu’une motivation régulée par la contrainte sur le plan de l’implication, du rendement et du sentiment de bien-être. La motivation se présente donc comme un continuum à réguler : à un extrême, il y a l’absence de motivation ou l’« a-motivation » (l’apprenant évite de s’engager), on trouve ensuite la régulation externe (l’apprenant s’engage pour obtenir des récompenses ou éviter des sanctions), la régulation introjectée (l’apprenant s’engage dans les activités pour éviter la culpabilité ou parce qu’il sent qu’on doit « prouver quelque chose »), la régulation identifiée (l’apprenant adhère à ce qui est proposé par l’enseignant parce ce que c’est utile pour atteindre ses buts) et, enfin, la régulation intégrée (l’apprenant adhère à ce qui est proposé parce que c’est en cohérence avec ses valeurs). À l’autre extrémité du continuum se trouve la motivation intrinsèque (l’apprenant s’investit dans les activités par plaisir, par envie d’apprendre, pour avoir un sentiment de maîtrise) ; sa motivation est autodéterminée. Figure 17.1 – Le continuum de la motivation Motivation non Motivation auto-déterminée auto-déterminée Motivation contrôlée Motivation autonome Amotivation Motivation Motivation (absence de extrinsèque intrinsèque motivation) Non Régulation Régulation Régulation Régulation Régulation régulation externe introjectée identidifiée intégrée intrinsèque On distingue dès lors la motivation autonome (comprenant la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque bien intériorisée) et la motivation contrô- lée (comprenant la régulation externe et la régulation introjectée) (Deci & Ryan, 2008, p. 32). Dans le domaine de l’éducation, les travaux sur la théorie de l’auto- détermination mettent en avant les effets positifs d’une motivation autonome — 299 — Introduction à l’acquisition des langues étrangères par rapport à une motivation contrôlée (ou contrainte) sur la persistance dans l’effort, les résultats, la mémorisation, le traitement en profondeur des conte- nus, la créativité, les émotions positives et la satisfaction à l’égard de l’école (Deci et al., 2011, p. 294). De nombreuses études prouvent que « les pratiques pédagogiques qui nourrissent l’intérêt, insistent sur la valeur des contenus d’enseignement, privilégient la prise d’initiatives, engendrent une persistance accrue et un apprentissage de meilleure qualité » (Deci et al., 2011, p. 296). En ce qui concerne l’apprentissage des langues, un élève qui apprend une langue pour rencontrer des cousins éloignés vivant dans un pays étranger devrait avoir une motivation plus forte et plus stable qu’un autre élève qui apprendrait cette même langue étrangère pour faire plaisir à ses parents. De même, apprendre une langue seconde ou étrangère en situation « hétéroglotte » est moins favorable pour l’apprenant, dans la mesure où l’usage de la langue à apprendre est limité à la classe et où son apprentissage n’est pas rendu obliga- toire pour des raisons politiques et sociales, comme c’est le cas, par exemple, de l’apprentissage du français au Japon (Ishikawa, 2009, p. 52). S. S. Brewer (2013) affirme que la différence entre les deux types de moti- vation (autonome et contrôlée) a des conséquences importantes sur la façon dont les étudiants régulent leur apprentissage en langues et propose la notion d’« instinct de volonté » pour désigner la capacité au dépassement de soi qu’exige un apprentissage dans la durée. Si l’élève intrinsèquement motivé pour apprendre une langue a de fortes chances de s’adonner à ses études sans ressentir le besoin d’avoir à réguler ou à contrôler outre mesure son comportement (car il trouve ce qu’il fait à ce point plaisant et intéressant), il est bien plus probable que l’élève extrinsèquement motivé aura à « faire des efforts sur lui-même » afin d’atteindre des buts en langues qui comptent pour lui. Pour ce genre d’apprenant, la régulation de la motivation, et partant, des émotions, est plus susceptible de devenir un problème, peut-être non pas tant au moment de la décision de s’engager dans l’action que dans la perpétuation de celle-ci jusqu’à son terme. (Brewer, 2013, p. 196) Un enseignant de langues a donc vraiment intérêt à interroger ses élèves sur la question du « pourquoi », sur ses motivations pour apprendre la L2 en vue d’identifier les différentes motivations, de permettre à l’apprenant d’en prendre conscience, d’en constater éventuellement la diversité et de lui donner la possi- bilité de les réguler, voire de les modifier, en cours d’apprentissage. 17.3. LES FACTEURS ET LES INDICATEURS DE LA MOTIVATION À L’ÉCOLE Rolland Viau (1994, p. 7) définit la motivation scolaire comme « un état dyna- mique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et — 300 — La motivation ou comment (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but ». S’inspirant de la théorie de Dunkin et Biddle (1974), il rappelle que de nombreuses variables influencent l’apprentissage scolaire et les relations pédagogiques entre l’ensei- gnant, les élèves et les disciplines (variables relatives à l’apprenant, la famille, l’enseignant, l’institution, et la société). Au niveau de l’élève lui-même, trois facteurs influencent sa perception de la matière ou des activités proposées : –– la valeur (le niveau d’intérêt, l’importance et l’utilité attribués) ; –– la compétence (ou la perception qu’il a de sa capacité à mener à bien la tâche) ; –– la contrôlabilité (ou le degré de contrôle que l’apprenant pense avoir sur le déroulement de l’activité et son aptitude à atteindre l’objectif, lorsqu’il observe une amélioration de ses compétences et de ses résultats). Ces trois facteurs sont plus ou moins présents chez les apprenants, selon des combinaisons diverses. Outre ces facteurs déterminants pour la motivation, R. Viau distingue quatre indicateurs de la motivation : le choix de s’engager dans l’activité (vs évitement), la persévérance (ou le temps consacré aux activités pour les mener avec succès), l’engagement (l’utilisation de stratégies d’apprentissage et d’auto-régulation pour atteindre le but fixé) et la performance (les résultats positifs obtenus). Figure 17.2 – Facteurs et indicateurs de la motivation à l’école FACTEURS INDICATEURS PERCEPTIONS de - la valeur (+/-) Engagement (+/-) - la compétence (+/-) Persérance (+/-) - la contrôlabilité (+/-) Investissement (+/-) - la valence émotionnelle (+/-) Performance (+/-) Le facteur « valeur » est lié au niveau d’intérêt suscité, en fonction du but poursuivi. La théorie des buts d’accomplissement (Elliott & Dweck, 1988) dis- tingue deux logiques : soit l’objectif est d’apprendre et de comprendre davan- tage, d’améliorer ses compétences (buts de maîtrise ou d’apprentissage), soit l’objectif est d’avoir de bons résultats par rapport aux autres apprenants (buts de performance). Toutefois, les préoccupations des apprenants ne se limitent pas à la compétence et à la réussite. Ils incluent également des buts sociaux (Filisetti & Wenzel, 2006), tels qu’être accepté en classe, se faire des amis, faire preuve de coopération avec les camarades de classe et les enseignants ou respecter les règles de la classe. — 301 — Introduction à l’acquisition des langues étrangères On pourrait ajouter aux trois facteurs proposés par R. Viau (valeur, compé- tence et contrôlabilité), le facteur « valence émotionnelle ». Dans le domaine de l’apprentissage des langues, de nombreuses études scientifiques menées sur la place des émotions dans l’apprentissage des langues ont montré que le plaisir (enjoyment) était un puissant facteur de motivation dans l’acquisition d’une langue seconde. Jean-Marc Dewaele a publié des centaines de recherches sur de larges échantillons issus du monde entier pour mesurer les deux émotions opposées – mais intimement liées (« les deux faces de Janus ») – que sont le plaisir et l’anxiété lors de l’apprentissage d’une langue (soit FLE, Foreign Language Enjoyment, et FLAC, Foreign Language Anxiety in Classroom). Dans une récente étude consacrée à la mesure de ces deux émotions chez près de 600 apprenants de turc, langue étrangère au Kazakhstan, il rappelle quelques résultats essentiels trouvés lors des recherches antérieures : Le plaisir est un puissant facteur de motivation dans l’ALS [acquisition d’une langue seconde] (Dewaele & Alfawzan, 2018 ; Pavelescu & Petrić, 2018 ; Piniel & Albert, 2018). Il dépend des interactions avec les pairs, des enseignants, des activités en classe et est influencé par un contexte sociétal, historique et politique plus général (Dewaele & MacIntyre, 2014). (Dewaele et al., 2019, p. 3)1 Prendre en compte les émotions est donc, selon nous, essentiel pour analyser la motivation scolaire : « lorsqu’on parle de motivation, on parle nécessairement aussi d’émotion » (Brewer, 2013)2. 17.4. LE SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNELLE Le concept d’auto-efficacité (self-efficacy) ou sentiment d’efficacité personnelle (SEP)3 concerne « la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécu- ter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités » (Bandura, 2003, p. 12). Il est directement lié à la motivation dans la mesure où plus le sentiment d’efficacité personnelle est élevé, plus on se croit capable de réaliser une tâche et plus on est enclin à donner le meilleur de soi-même pour y parvenir. À l’inverse, moins le sentiment d’efficacité personnelle est élevé, moins on se croit capable d’accomplir une tâche, moins on est « motivé ». Dans le cadre de l’apprentissage des langues, Isabelle Puozzo Capron (2012, p. 2) précise que « le sentiment d’efficacité personnelle en classe de langue 1 Texte original : « Enjoyment is a powerful motivator in SLA (Dewaele and Alfawzan 2018 ; Pavelescu and Petrić 2018 ; Piniel and Albert 2018). It depends on interactions with peers, teachers, classroom activities and is influenced by a more general societal, historical and political context (Dewaele and MacIntyre 2014). » 2 Une enquête a été menée auprès des étudiants de l’Institut des langues vivantes (UCLouvain, Louvain- la-Neuve, Belgique) à la fin de l’année académique 2019‑2020 pour évaluer leur ressenti par rapport à la situation de confinement vécue depuis le 17 mars 2020 en Belgique (voir annexe). 3 « Perceived self-efficacy refers to beliefs in one’s capabilities to organize and execute the courses of action required to produce given attainments » (Bandura, 1997, p. 3). — 302 — La motivation ou comment (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? désignerait alors la perception et la croyance qu’un apprenant a de ses compé- tences, et qu’il mobilisera efficacement en vue de la réussite de la performance ». À l’origine de la construction du sentiment d’auto-efficacité, on trouve quatre éléments : 1. les expériences actives de maîtrise (la réussite d’une performance com- plexe acquise grâce à la persévérance dans les efforts)1 ; 2. les expériences vicariantes (expériences faites en observant le comporte- ment d’un pair, qui fait office de « modèle »2, et les conséquences qui en résultent pour l’apprenant) ; 3. la persuasion verbale (l’avis, le feed-back et l’encouragement d’une personne de référence, qui encourage et marque sa confiance dans les compétences) ; 4. l’auto-évaluation individuelle de ses forces et de ses faiblesses aux plans physiologique (fatigue, douleurs) et émotionnel (ex. joie, tristesse, colère). L’enseignant n’a aucune prise sur ce phénomène individuel mais peut instaurer un bon climat de classe favorisant un état émotionnel positif. Parmi ces quatre facteurs, les performances antérieures de l’apprenant semblent être l’élément le plus influent. En effet, les souvenirs d’échec « éloignent » les souvenirs de réussite et affaiblissent le sentiment d’efficacité personnelle (Vanlede, Philippot & Galand, 2006, p. 54). À nos yeux, la persuasion verbale a également toute son importance. Claire Tardieu (2019) montre combien le passage d’une attitude très critique envers les stagiaires (futurs professeurs de langues), basée sur une norme de conduite consistant à « casser » les gens, vers une attitude exclusivement encourageante, basée sur une rétroaction positive, a un effet boomerang et crée un cercle vertueux : le fait d’être encouragé a un effet encourageant, les formateurs deviennent « encourageurs ». De même, selon le contexte culturel de l’étudiant, ce facteur peut avoir plus d’importance que les autres, comme l’écrit Dawn Kobayashi (2020, p. 10) : Il est de plus en plus évident que dans les sociétés confucéennes comme le Japon, l’importance du soutien verbal des membres du groupe sur l’auto-efficacité peut être beaucoup plus élevée que ce que les recherches actuelles laissent entendre. Certaines études ont montré que le soutien verbal des enseignants et des parents est plus important pour l’auto-efficacité des étudiants chinois que les expériences d’apprentissage positives3. 1 L’élève devient dès lors un agent actif de son apprentissage. Cette mise en activité n’est pas toujours bien perçue. Sortir de l’attitude passive suscite parfois du mécontentement chez certains élèves pour lesquels « c’est au prof d’enseigner » (Puozzo-Capron, 2009, p. 7). 2 Ce modèle peut être un expert ou un pair qui « fait face » à la difficulté en faisant des efforts de façon persévérante. 3 Texte original : « There is growing evidence that in Confucian societies like Japan, the importance of verbal support from in-group members on self-efficacy may be much higher than current research suggests. Some studies have found that verbal support from teachers and parents is more important to Chinese students’ self-efficacy than positive learning experiences. » — 303 — Introduction à l’acquisition des langues étrangères Selon Isabelle Puozzo-Capron (2009, p. 3), l’enseignant joue un rôle décisif pour favoriser le sentiment d’efficacité personnelle de l’apprenant en classe de langue. Elle recommande de faire vivre aux élèves, d’une part, l’expérience active de maîtrise, qui consiste à donner une tâche-défi en proposant aux élèves un parcours suivant la logique des « petits pas » pour atteindre avec confiance l’objectif fixé et, d’autre part, l’expérience vicariante, qui confie le rôle du modèle ou de l’expert (souvent assumé par l’enseignant) à un élève susceptible d’influencer positivement la perception que l’apprenant a de ses compétences1. Une autre technique pouvant être utilisée en classe de langue est la pratique de l’autolouange pour renforcer l’estime de soi (Milis, 2016)2. Le sentiment d’auto-efficacité est une variable clé de la capacité à agir (agency ou agentivité), ce « pouvoir d’être à l’origine d’actes visant des objectifs définis » (Bandura, 2003, p. 13). L’agency de l’élève concerne non seulement l’étude, mais surtout l’attitude par rapport à l’apprentissage, une attitude qui relève de l’apprenance (Carré, 2005)3. Décrite comme « la capacité de l’individu à agir sur son environnement et sur lui-même afin d’améliorer sa condition ou de réaliser ses projets » (Château, Ciekanski & Guély Costa, 2014, p. 3), elle relève d’une prise en charge quotidienne de son apprentissage, tant au niveau micro (ex. être concentré en classe, faire ses devoirs, étudier de façon régulière) qu’au niveau macro (s’investir dans son métier d’élève). Toutefois, en contexte scolaire, on pourrait se poser la question de savoir « qui pourrait manifester un rapport véritablement agentique au monde en restant assis (souvent de manière contrainte) sur les bancs de l’école ? » (Brewer, 2006, pp. 121‑122, cité par Puozzo-Capron, 2012, p. 11). Dans le domaine des langues, il est encore assez aisé, grâce à tous les médias disponibles et la diversité des tâches « actives » (jeux de rôles, mises en situation, etc.), de donner à l’élève l’occasion de « sortir » de la classe pour interagir (à l’écrit ou l’oral) avec les locuteurs de la langue-cible et renforcer ainsi l’agency des apprenants. C’est là une des responsabilités de l’enseignant pour stimuler la motivation de l’apprenant. 1 Pour une illustration pratique de l’application de cette théorie en classe de langues, lire Puozzo-Capron (2009, 2012). 2 L’autolouange ou kasala (nom africain de l’autolouange) est une pratique ancestrale, que l’on retrouve dans différentes traditions, sur tous les continents, et qui consiste à « se mettre en beau », à se célébrer, à rendre grâce, à travers un écrit poétique, à la splendeur qui réside en chacun. La méthodologie est simple : il faut une feuille et un crayon pour écrire un texte en « je », avec amplification et sans mensonge, en bannissant les « comme » (vous n’êtes pas doux/douce comme l’eau, vous êtes l’eau). Par exemple, si vous jouez du piano, vous pouvez dire « Je suis Mozart ! » (à 1 %, mais ce détail, vous ne le précisez pas), idem si vous chantez, vous pouvez dire « Je suis Maria Callas », etc. 3 Le paradigme de l’apprenance développé par Philippe Carré (2005) promeut l’idée d’un apprentissage tout au long de la vie et met en avant le rôle prioritaire du sujet social apprenant. L’apprenance est conceptualisée en trois dimensions : cognitive (perception de la valeur de l’apprentissage à l’âge adulte), affective (dimensions émotionnelles liées à l’acte d’apprendre) et conative (intention d’engagement dans l’apprentissage). Elle « s’organise autour de trois dimensions conceptuelles : dispositions (à apprendre), pratiques (apprenantes) et situations (d’apprentissage) » (Carré, 2016, p. 15). — 304 — La motivation ou comment (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? 17.5. LES « SOIS POSSIBLES » EN L2 Le travail sur les « sois possibles » (possible selves) réalisé par Markus et Nurius (1986) a une influence déterminante sur la recherche motivationnelle, surtout dans le domaine de l’acquisition des langues. Il a inspiré Zoltán Dörnyei (2005, 2009) pour construire son modèle du système motivationnel des sois en L2 (L2 Motivational Self System) à partir de trois concepts clés. Le premier est le « Soi idéal » concernant la L2 (The Ideal L2 Self) lié au désir de l’apprenant d’atteindre un certain niveau en L2 et de réduire l’écart entre le « soi réel » et le « soi idéal ». Le deuxième est le « soi obligé en L2 » (The Ought-to L2 Self) pour désigner les acquis que l’apprenant se sent obligé de maîtriser concernant la L2. Le troisième et dernier concept est celui du contexte d’apprentissage de la langue étrangère (The Learning Experience) et englobe de nombreux aspects : le professeur, le programme du cours, les pairs, l’ambiance de la classe, les activités proposées, etc. C’est sur le premier Soi, le Soi idéal, que l’enseignant peut agir. Pour développer chez l’apprenant un soi idéal, lié à la langue cible, concret et détaillé, l’enseignant doit non seulement stimuler chez l’apprenant la vision de soi en tant qu’utilisateur futur de la langue cible, mais également conforter cette vision par différentes actions (rendre cette vision plus réelle et plus détaillée, faire prendre conscience à l’apprenant de la plausibilité de l’image, mettre en place des stratégies pour permettre à l’apprenant d’atteindre son but, stimuler régulièrement cette motivation et faire prendre conscience des effets négatifs d’une non-réalisation de la visualisation) (Dörnyei & Kubanyiova, 2013). Rocher-Hahlin (2014, p. 141) propose trois activités pour stimuler le « Soi idéal » d’apprenants du français langue étrangère, qui peuvent être aisément transférables à toute autre langue cible : rédiger un texte libre (guidé par des questions) dans lequel les élèves décrivent une expérience imaginaire positive dans un pays francophone où ils utilisent la langue française naturellement, participer à un échange dans un forum avec des locuteurs natifs du même âge, mener une cyberenquête sur la musique, le sport et la chanson francophones pour ancrer un sentiment positif envers le monde francophone et stimuler l’envie de le découvrir. Cette perspective, très individualiste, ne doit pas occulter l’importance du groupe sur la motivation personnelle. C’est ce que nous montrent les recherches récentes en neurosciences. 17.6. LES MOTIVATIONS DE SÉCURISATION, D’INNOVATION ET D’AFFILIATION Pour favoriser l’apprentissage des langues, il est utile et intéressant de com- prendre comment fonctionnent les mécanismes de motivation dans le cerveau, notamment dans le lien qui existe avec les émotions. Le neuroscientifique et — 305 — Introduction à l’acquisition des langues étrangères pédagogue Daniel Favre (2012) distingue trois types de motivation, à la source des émotions de plaisir et de frustration : –– la motivation de sécurisation (elle nourrit la sécurité dans la stabilité et le connu, ainsi que la confiance dans la vie en se sentant accepté sans jugement) ; –– la motivation d’innovation (elle fournit des récompenses intrinsèques à celui qui explore, invente, réussit des apprentissages) ; –– la motivation d’addiction (ou motivation de sécurisation parasitée, elle enferme dans des conduites répétitives, associe le plaisir au maintien des situations de dépendance et entrave la dynamique de l’apprentissage). Selon Daniel Favre, les deux premiers sont complémentaires : lorsque l’on se sent en sécurité, on peut prendre le risque d’apprendre et de vivre une dés- tabilisation cognitive et affective (les deux étant liés). L’objectif est de permettre à un sujet apprenant de s’autoréguler en lui donnant des feed-back réguliers, en lui enseignant le retour réflexif afin de « développer une sensibilité particulière pour percevoir les mouvements de [sa] pensée entre la fermeture, sa dogmatisa- tion, et les moments où elle s’ouvre et se dé-dogmatise » (Favre, 2014, p. 296). Voici quelques-unes des « clés » qu’il propose pour favoriser l’apprentissage (Favre, 2012) : –– accepter la présence des émotions dans la classe en leur donnant une place légitime et sans leur laisser toute la place ; –– décontaminer l’erreur (qui fait partie du processus d’apprentissage) de la faute (erreur d’inattention que l’apprenant peut corriger car le méca- nisme d’appropriation est censé être maîtrisé), autant pour l’enseignant que pour les élèves ; –– travailler davantage en projets de classe, avec d’autres collègues, pour renouer avec la motivation d’innovation (en installant entre eux un climat de sécurité où ils vont pouvoir innover tout en s’appuyant les uns sur les autres) ; –– instaurer une autorité humanisante (être un adulte qui « tient debout », ni tout-puissant, ni impuissant, capable d’accepter qu’autrui dise « non » pour éviter que des « non » implicites entraînent les uns et les autres dans des confrontations violentes). La neuroscientifique allemande Tania Singer (2020), quant à elle, distingue également trois systèmes motivationnels, communs aux animaux et aux humains, dont la raison d’être est liée à l’évolution du cerveau. Le premier système est basé sur les récompenses, le statut, le succès, le pouvoir, la consommation (incentive focus). C’est un système extériorisé, nourri par la dopamine. Ce système peut rapidement basculer dans le deuxième système motivationnel basé sur la peur face à une menace (peur de ne pas réussir, de ne pas être mieux ou de ne pas avoir assez), qui active également le stress et peut entraîner des — 306 — La motivation ou comment (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? dysfonctionnements de l’organisme conduisant le sujet à tomber malade. Ce système est principalement en lien avec l’amygdale, structure cérébrale essentielle située près de l’hippocampe, dont le rôle principal est de gérer les émotions, notamment les réactions de peur et d’anxiété, et qui fonctionne comme un sys- tème d’alarme. Le troisième système est celui de l’affiliation, de la bienveillance, du care. Celui-ci peut inhiber le système de peur grâce à l’ocytocine qui peut réduire, voire inhiber, l’activation de l’amygdale. S’exercer à la compassion (ou l’entraînement du cœur) permet de réguler les émotions négatives, comme le stress ou la peur. Si les deux premiers systèmes sont assez connus, le troisième a émergé très récemment (Singer, 2015). Il met en avant l’importance de l’ouverture du « cœur », du fait de prendre soin des autres, aussi bien pour autrui que pour soi-même. 17.7. LE POINT DE VUE DES ACTEURS DE TERRAIN Outre ces cadres théoriques, les motivations pour apprendre une langue sont multiples, hétérogènes et évolutives. Donnons la parole à un professeur de nationalité espagnole qui a enseigné l’espagnol à des publics très différents, en Espagne et en Belgique : immigrants, adolescents, jeunes universitaires, adultes en formation continue1 : Je pense que les conditions influencent beaucoup la raison d’un choix. Les élèves immigrés que j’ai eus en Espagne avaient différentes raisons d’apprendre l’espa- gnol : un besoin purement pratique pour pouvoir sortir et acheter quelque chose d’aussi basique que du pain, dans le but de s’intégrer. Les raisons d’apprendre l’espagnol sont multiples : pour communiquer avec les voisins, à l’hôpital, pour comprendre ce que dit le professeur de son enfant, pour chercher un emploi ou améliorer sa situation ; pour quitter la maison pendant quelques heures et pour pouvoir se socialiser dans un contexte où leur mari ne le voit pas comme un mal ; pour obtenir l’aide de l’État pour aller en classe ; pour s’améliorer et s’intégrer, pas tellement pour elles-mêmes, mais pour que leurs enfants puissent un jour avoir une vie meilleure. Normalement, les philologues ou les traducteurs viennent en classe parce que leur motivation réside dans leur amour pour la langue ou au moins pour la litté- rature ou la culture d’un pays hispanophone pour différentes raisons (ils ont lu un jour un livre en espagnol et sont tombés amoureux de ses auteurs…) ou des attentes professionnelles (vouloir travailler dans une entreprise liée à un autre pays hispanophone…), mais ne le nions pas, il y a aussi ceux qui choisissent ces études comme les autres pour des raisons familiales, parce qu’ils ne savaient pas quoi choisir… […] 1 Je remercie ma collègue Natalia Jerónimo Alonso pour ce témoignage, envoyé par mail le 10 avril 2020. Le texte, écrit en espagnol, a été traduit avec DEEPL. — 307 — Introduction à l’acquisition des langues étrangères Les étudiants universitaires qui venaient en cours parce que cela faisait partie de leur programme avaient différents degrés de motivation, de ceux qui fuyaient le néerlandais, à ceux qui, bien que contraints de prendre l’espagnol, aimaient la langue ou la culture ; et bien sûr ceux qui voulaient juste passer un examen de plus et obtenir les crédits1. On peut trouver des motivations extrêmement élevées qui permettent aux étudiants de poursuivre l’apprentissage malgré un contexte particulièrement diffi- cile. Voici le témoignage de ma collègue, professeur de français langue étrangère à l’Institut des langues vivantes de l’UCLouvain (Louvain-la-Neuve, Belgique) : Deux Vietnamiens en master régulier, A. M. et H. G., sont rentrés au pays pen- dant la S7 [semaine du 16 mars 2020]. Ils m’avaient prévenue qu’ils devraient aller en quarantaine [en raison du Covid-19] et qu’ils ne se manifesteraient pas tout de suite. Nous avons cours le mercredi de 18 h 15 à 20 h 15 et le vendredi à 10 h 45. On ajoute 5 heures de décalage au Vietnam. J’ai été très heureuse de constater la participation de mes étudiants le 27 mars, dans des conditions incroyables : dans un camp militaire, à 20 dans une chambre, sans wifi, mais avec leur téléphone [et leur 4G] ! À l’autre extrême du continuum se situent certains apprenants qui sont dans l’incapacité de se motiver, dans la mesure où ils se trouvent dans des situations où leurs besoins essentiels ne sont pas satisfaits. Nous pensons, notamment, aux étudiants du programme Access2University, développé à l’UCLouvain (Louvain- la-Neuve, Belgique) et destiné aux (candidats) réfugiés qui désirent poursuivre un parcours dans l’enseignement supérieur en Belgique. S’ils ne disposent pas d’un statut administratif certain, ils n’ont pas la sécurité (physique et psycho- logique) nécessaire pour s’investir à fond dans leurs études ; la motivation est 1 Texte original : « Creo que las condiciones influyen mucho en el por qué de una elección. Los alumnos inmigrantes que tenía en España tenían diferentes motivos para aprender español: desde una necesidad puramente práctica para poder salir a comprar algo tan básico como el pan, hasta querer integrarse. En medio hay un gran abanico de motivos: aprender español para comunicar con sus vecinos, en el hospital, entender lo que dice el profesor de su hijo… ; para buscar un trabajo o mejorar en su posición ; porque estudiar es una actividad que a algunas mujeres le permitía salir de casa por unas horas y poder socializarse en un contexto en el que sus maridos no lo veían mal ; para obtener una ayuda del Estado por ir a clase ; para aprender para mejorar e integrarse, no tanto para ellos mismos, sino para que sus hijos puedan tener algún día una vida mejor. Normalmente, los filólogos o traductores venían a clase dado que su motivación radica en su amor por la lengua o al menos por la literatura o la cultura de algún país hispanohablante por diferentes motivos (leyeron un día un libro en español y se enamoraron de sus autores…) o expectativas profesionales (querer trabajar en una empresa vinculada con otra hispanohablante…), pero no lo neguemos, también hay quien elige esta carrera como cualquier otra por obligación familiar, porque no sabía qué elegir…, (en cuyo caso, la motivación es más funcional: aprobar un examen, acabar la carrera para obtener cualquier trabajo, hacer que su familia o entorno esté orgulloso…). Los alumnos universitarios que venían a clase porque estaba en su programa, tenían diferentes grados de motivación, desde aquellos que venían huyendo del neerlandés, hasta aquellos que aunque obligados a coger el español amaban la lengua o la cultura ; por supuesto, pasando por aquellos que solo querían aprobar un examen más y obtener los créditos. » — 308 — La motivation ou comment (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? certes présente au départ, car l’accès au programme se fait sur la base d’une demande motivée, mais la maintenir tout au long du programme est un vrai défi. Il en est de même pour des enfants ou adolescents contraints de vivre dans des environnements familiaux potentiellement dangereux pour leur santé physique et psychologique et dont le besoin élémentaire de sécurité n’est pas satisfait. Prenons le cas, par exemple, de la crise sanitaire liée au Covid-19 en 2020, où beaucoup de jeunes se sont trouvés confinés, parfois « prisonniers » d’une famille maltraitante (comme le raconte une jeune professeure de 24 ans enseignant dans une école à discrimination positive à Bruxelles et ayant un reçu un SMS d’appel au secours un soir à 23 h 00). Dans de telles conditions, il est extrêmement difficile de se motiver pour l’apprentissage et d’atteindre le niveau supérieur de la pyramide de Maslow (1943), celui de la réalisation de soi. L’enseignant n’a pas toujours prise sur les facteurs extérieurs liés à la situation et au contexte de l’apprenant. Il peut (et doit) pouvoir en prendre conscience afin de mieux comprendre l’attitude et le comportement des élèves qu’il accompagne et, si possible, faire preuve de compassion à leur égard, c’est-à-dire en prendre soin, être bienveillant1, activant ainsi le troisième type de système motivationnel découvert par Tania Singer et son équipe. 17.8. CONCLUSION Que retenir de ce parcours autour de la motivation ? La motivation est un flux dynamique et instable, qui évolue au fil de l’apprentissage. En début d’appren- tissage, il est donc intéressant d’interroger les apprenants sur les raisons qui les poussent à apprendre une L2 : leur motivation est-elle contrainte ou autonome ? Un partage en classe autour de cette question mettrait au jour les différences et serait l’occasion d’inviter les étudiants à développer une motivation auto- déterminée pour obtenir des résultats positifs au cours de leur apprentissage. En contexte scolaire, les étudiants sont motivés s’ils attribuent une certaine importance à la matière, se perçoivent comme compétents et aptes à contrôler le déroulement de l’activité pour atteindre l’objectif fixé. Il est donc essentiel que l’enseignant fixe un objectif précis et propose un parcours par étapes au cours duquel tous, y compris les plus faibles, peuvent atteindre le but préala- blement fixé. Selon Viau (2000), pour qu’une activité d’apprentissage suscite la motivation des élèves, elle doit remplir les dix conditions suivantes : être signifiante aux yeux de l’élève, être diversifiée et s’intégrer aux autres activi- tés, représenter un défi pour l’élève, être authentique, exiger un engagement cognitif de l’élève, responsabiliser l’élève en lui permettant de faire des choix, permettre à l’élève d’interagir et de collaborer avec les autres, avoir un caractère 1 La bienveillance est différente de l’empathie qui consiste à entrer en résonance avec autrui au risque d’entrer en « détresse empathique » lorsque la souffrance de l’autre est trop grande et que l’autre devient moi. Dans la compassion, l’autre reste autre. La compassion est motivée par le fait de vouloir le bien-être de l’autre (comme une mère envers son enfant). — 309 — Introduction à l’acquisition des langues étrangères interdisciplinaire, comporter des consignes claires et se dérouler sur une période de temps suffisante. Parmi les facteurs, influençant la motivation d’un apprenant, il faut prendre en compte l’impact des émotions dans l’apprentissage des langues. Il est donc de la responsabilité de l’enseignant d’instaurer un bon climat de classe où le plaisir a toute sa place. De plus, la motivation est étroitement liée au sentiment d’efficacité personnelle et peut être renforcée chez l’apprenant par la façon dont l’enseignant conçoit les tâches, en favorisant les expériences de maîtrise (où l’étudiant réussit) et d’apprentissage vicariant (avec des pairs faisant office de modèle), mais aussi par les paroles d’encouragement qu’il prodigue tout au long de l’apprentissage. La motivation est liée également à la capacité de se visualiser en tant que locuteur actif de la langue cible (Soi idéal). Tout le travail de l’enseignant consiste donc à proposer des activités visant à stimuler ce « Soi idéal en L2 ». Les découvertes faites en neurosciences mettent en lumière la nécessité d’offrir un cadre sécurisant pour apprendre une langue. En effet, l’apprentissage d’une langue non maternelle est une réelle aventure qui implique l’individu tout entier et requiert un grand courage chez l’apprenant, sous le regard bienveillant de l’enseignant qui l’aide à trouver du sens et à croire en sa capacité de réussir (Brewer, 2013, p. 190). (Se) motiver est donc le résultat d’une interaction dynamique entre l’ensei- gnant, l’étudiant et le savoir, pris dans toutes leurs composantes et leur contex- tualisation. Quel que soit le processus, « faire démarrer le moteur de la motivation plutôt que pousser l’automobile » (Bovo, 2010) demande un sérieux travail et une franche collaboration entre tous les intervenants. Dans la célèbre expérience d’Albert Bandura avec des personnes ayant une phobie des serpents (les « ophiophobes »), le psychologue utilise la technique des petits pas pour amener ses patients à surmonter en quatre heures leur peur des serpents1. Ce processus qui consiste à conduire les personnes de petit succès en petit succès jusqu’à atteindre avec confiance l’objectif fixé (dans l’expérience, il s’agit de caresser les serpents en toute confiance) est appelé « maîtrise gui- dée » et c’est ce que les enseignants de langue sont invités à faire pour amener l’apprenant à « oser sauter » dans la langue. Faire preuve de bienveillance est une façon de « motiver » les apprenants et de leur apprendre à « se » motiver eux-mêmes et entre eux. Comme l’explique très bien Camille Roelens (2019), la bienveillance comporte trois aspects : –– bien veiller (se donner les moyens de percevoir les vulnérabilités d’autrui et de tenir compte des siennes propres, construire le socle d’un agir pertinent lorsqu’on se trouve en posture de responsabilité) ; 1 Écouter sur ce thème le TED de David Kelley « How to Build Your Creative Confidence », https:// www.ted.com/talks/david_kelley_how_to_build_your_creative_confidence. — 310 — La motivation ou comment (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? –– bien veiller sur (prendre soin de l’autre et avoir soin de la relation avec l’autre, agir pour répondre aux vulnérabilités perçues lorsque cela est nécessaire) ; –– bien veiller à (permettre à l’autre une appropriation singulière et critique des ressources nécessaires à son autonomie individuelle. Lui assurer les médiations qui assurent l’intelligibilité du monde complexe dans lequel il doit évoluer). Tout un programme ! EN RÉSUMÉ Pour encourager les apprenants à entretenir leur désir et à soutenir leurs efforts tout au long de l’apprentissage d’une langue, il est essentiel de suivre quelques étapes. Tout d’abord, il est nécessaire d’interroger la motivation de chacun à apprendre la langue cible lors d’un partage « social » (c’est-à-dire en groupe) et d’aider chaque apprenant à la réguler pour viser une motivation auto-déterminée. Ensuite, l’enseignant a le devoir de proposer des tâches variées, qui font sens, surprennent (il faut à tout prix éviter la routine) et représentent chaque fois un petit défi à relever (selon la technique des petits pas), le tout dans un bon climat de classe, sécurisant et positif. Pour aider les apprenants à se motiver eux-mêmes, il veille à renforcer le sentiment d’efficacité personnelle en favorisant les expériences où chacun se sent capable de réaliser la tâche demandée, avec l’aide de ses pairs, et encouragé par la personne de référence. Enfin, l’apprenant est invité à se « projeter » comme locuteur dans la langue cible et à s’imaginer dans des situations où il réussit à interagir avec des natifs. Grâce au pouvoir de l’imaginaire, le « Soi idéal » est stimulé et facilite la visuali- sation de sa capacité à parler la langue-cible. Le point d’orgue du processus motivationnel consiste à faire preuve de bienveillance. POUR ALLER PLUS LOIN ØØ Favre, Daniel (2012). Cessons de démotiver les élèves : 18 clés pour favoriser l’apprentissage. http://www.ecolechangerdecap.net/spip. php?article118 ØØ Puozzo Capron, Isabelle (2009). Le sentiment d’efficacité personnelle. Pour un nouvel enseignement/apprentissage des langues. Revue Sciences — 311 — Introduction à l’acquisition des langues étrangères croisées (en ligne), 6, 1‑29, http://hdl.handle.net/20.500.12162/977, consulté le 10 avril 2020. ØØ Raby, Françoise (2008). Comprendre la motivation en LV2 : quelques repères venus d’ici et d’ailleurs. Les Langues modernes, 3, 9‑16. PRINCIPALES RÉFÉRENCES1 Bandura, Albert (2003). Auto-efficacité, le sentiment d’efficacité personnelle. Bruxelles : De Boeck. Brewer, Stephen Scott (2013). Entre émotions et contrôle de soi : un enjeu essentiel pour l’autonomie dans l’apprentissage des langues. Lidil, 48, 198‑208. https:// journals.openedition.org/lidil/3331 Dörnyei, Zoltán & Kubanyiova, Magdalena (2013). Motivating Learners, Motivating Teachers. Building Vision in the Language Classroom, Cambridge: Cambridge University Press. Viau, Rolland (1994). La motivation en contexte scolaire. Bruxelles : De Boeck Université. ANNEXE Une étude a été menée entre le 20 mai et le 11 juin 2020 pour mesurer l’impact des cours à distance (suite à la crise sanitaire liée à la Covid-19) sur l’apprentis- sage des langues à l’Institut des langues vivantes (UCLouvain, Belgique). Ce type d’enquête permet de voir dans quelle mesure les étudiants sont restés motivés à apprendre les langues ou s’ils ont « décroché » et pour quels motifs. Dans l’exemple ci-dessous, on voit que les avis sont très partagés, sauf en ce qui concerne le contact avec les pairs qui, visiblement, manque à la grande majorité des étudiants interrogés. –– Question de recherche : Quel est l’impact du confinement et des cours à distance sur l’apprentissage dans les cours de langues à l’ILV ? –– Modalités : 1 questionnaire par cours de langue (1 formulaire en français et 1 formulaire en anglais), 116 cours de langues impliqués –– Contexte : Passage au cours à distance à la suite de la crise sanitaire de mars 2020 –– Données récoltées : 1082 réponses –– Exemple de question et de réponses 1 Bibliographie complète disponible en annexe numérique. — 312 — La motivation ou comment (se) motiver quand on apprend une langue étrangère ? 33. Depuis le 16 mars, Pas du tout d’accord Pas d’accord D’accord Tout à fait d’accord Je gère bien le changement de rythme d’apprentissage. Je parviens à travailler à distance, sans contact physique avec mes camarades et mon professeur. Je reste motivé par mes études. J’ai besoin du contact avec les autres étudients. Je vis bien le confinement. Je parviens facilement à organiser ma journée et à me mettre au travail. 100 % 0% 100 % — 313 —