Le Moyen Âge - 2B - PDF
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Ce document présente une introduction et une étude du Moyen Âge, période entre l'Antiquité et les Temps modernes. Il décrit les principales caractéristiques de la vie médiévale, de l'organisation sociale au cadre de vie, en passant par la vie culturelle et spirituelle. L'étude se concentre ensuite sur le Haut Moyen Âge et la période Carolingienne, notamment l'arrivée des Francs en Gaule et la conquête de Charlemagne. Concepts clés comme les maires du palais, l'empire carolingien et le Traité de Verdun sont abordés.
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D EUXIEME PARTIE : LE M OYEN Â GE (5 E – 15 E S. P C) Introduction Le Moyen Âge est cette longue période qui sépare l’Antiquité des Temps modernes. En ce sens, il s’agit d’une période de transition, d’un entre-deux, d’un « âge moyen ». Mais, cette période...
D EUXIEME PARTIE : LE M OYEN Â GE (5 E – 15 E S. P C) Introduction Le Moyen Âge est cette longue période qui sépare l’Antiquité des Temps modernes. En ce sens, il s’agit d’une période de transition, d’un entre-deux, d’un « âge moyen ». Mais, cette période doit surtout son nom aux intellectuels de la fin du 16e s. et du début du 17e s. – les humanistes – qui la considéraient comme une époque d’obscurantisme, bien en deçà de l’Antiquité que la Renaissance venait de redécouvrir : à leurs yeux, le Moyen Âge avait vu la décadence de la civilisation occidentale et d’une régression de la société. Le Moyen Âge se singularise par différents éléments : 1. Le cadre de vie Les conditions de vie et de travail étaient fort pénibles : la malnutrition, le manque d’hygiène, les problèmes de santé, les épidémies, les guerres ou les révoltes étaient courants à l’époque, surtout dans les classes inférieures de la société. Dès lors régnait un sentiment d’insécurité générale tandis que l’espérance de vie n’était pas très élevée. 2. L’organisation sociale La société médiévale se répartit en trois ordres : le Clergé, la Noblesse et le Tiers État. Cette division de la société, très stricte et figée, se fonde sur la répartition des rôles : chaque ordre, à l’image du corps humain, exécute des tâches bien définies. Il y avait ainsi à l’époque ceux qui prient (le Clergé – les oratores), ceux qui se battent (les bellatores – la Noblesse) et ceux qui travaillent (les laboratores – le Tiers État) 3. La vie culturelle et spirituelle La vie culturelle et spirituelle du Moyen Âge est entièrement dominée par l’Église. C’est en effet dans les abbayes que se transmet la culture de l’Antiquité alors que l’art médiéval est principalement un art d’inspiration religieuse. Les principaux chantiers de l’époque sont d’ailleurs ceux des cathédrales. Le Moyen Âge sera redécouvert au 19e s., principalement sous l’effet des mouvements nationalistes qui voyaient dans le Moyen Âge le lieu d’émergence des nations modernes. Le Moyen Âge est aujourd’hui divisé par les chercheurs en deux grandes périodes : en Haut Moyen Âge (5e – 10e s.) et en Bas Moyen Âge (10e – 15e s.). Chapitre X – Le Haut Moyen Âge (5e – 10e s.) → Moment-clé n°3B : l’arrivée des Francs dans nos régions II En 481, CLOVIS succède à son père CHILDERIC comme roi des Francs (saliens) : on appelle cette dynastie « mérovingienne », du nom de MEROVEE, le grand-père de CLOVIS et fondateur légendaire de la dynastie. À partir de Tournai, la capitale des Francs depuis CHILDERIC, CLOVIS part à la conquête de la Gaule et Paris devient la capitale du territoire nouvellement conquis. CLOVIS se convertit au christianisme (496) et se fait baptiser par ST REMI à Reims (Noël de l’an 498 ?) : à partir de ce moment, il reçoit le plein soutien de l’Église et de l’aristocratie gallo-romaine majoritairement chrétienne qui le préfèrent aux autres chefs barbares (Burgondes et Wisigoths) « hérétiques » (ariens). Source 1 – Les royaumes « barbares » en 481 Nos régions appartiennent aux Francs (saliens) À la fin de la dynastie mérovingienne, les rois délaissent petit à petit le pouvoir : on les appelle pour cela les « rois fainéants ». Dans ce contexte de vacance du pouvoir, le premier fonctionnaire du palais royal, le « maire du palais » prend en main l’exercice du pouvoir. À la fin du 6e s., quatre entités territoriales émergent progressivement, chacune administrée par un maire du palais : la Neustrie (le Bassin parisien), l’Austrasie (entre la Meuse et le CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE Rhin), l’Aquitaine (qui rejoindra l’Austrasie) et la Bourgogne. À la mort de DAGOBERT (639), le maire du palais de Neustrie prend un temps les rennes du pouvoir. Originaire de Herstal, CHARLES MARTEL est le maire du palais d’Austrasie : il arrête l’invasion arabe à Poitiers (732) et s’impose comme véritable chef militaire. PEPIN LE BREF, le fils de CHARLES MARTEL, est reconnu roi des Francs par l’assemblée de Soissons (751) et dépose CHILDERIC III, dernier souverain mérovingien. À partir de ce moment, débute la dynastie « carolingienne », du nom de CHARLES dit LE GRAND (CHARLEMAGNE), le fils de PEPIN LE BREF. En 754, le pape sacre PEPIN LE BREF et confère l’onction à ses deux fils CHARLES et CARLOMAN : dès cet instant, le souverain roi carolingien est roi par la volonté de Dieu et celui qui devait son pouvoir à un coup d’État est finalement légitimé par l’Église. À la mort de PEPIN LE BREF, ses fils CHARLES et CARLOMAN lui succèdent. Charles monte sur le trône : il est d’abord sacré roi des Francs par l’évêque de Reims (768), puis couronné empereur romain d’Occident par le pape à Rome à Noël1 de l’an 800. […] Le dernier voyage qu’il fit eut encore d’autres causes. Les Romains ayant accablé de violence le pontife Léon -lui crevant les yeux et lui coupant la langue- l’avaient contraint à implorer le secours du roi. Venant à Rome pour rétablir la situation de l’Église, qui avait été fort compromise par ces incidents, il y passa toute la saison hivernale. Et, à cette époque, il reçut le titre d’empereur et d’auguste. Il y fut tout d’abord si opposé qu’il affirmait ce jour-là, bien que ce fut celui de la fête majeure, qu’il ne serait pas entré dans l’église, s’il avait pu savoir à l’avance le dessein du pontife. Quant à la jalousie inspirée par le titre qu’il avait pris et l’indignation qu’en conçurent les empereurs romains, il les supporta néanmoins, avec une grande patience et il eut raison de leur mauvaise volonté grâce à sa magnanimité, qui mettait en évidence sa grande supériorité. IL parvint, en leur envoyant de nombreuses ambassades et en leur donnant le nom de « frères » dans ses lettres, à vaincre finalement leur résistance […]. Source 2 – EGINHARD, Vie de Charlemagne À partir de ce moment, CHARLEMAGNE est le représentant politique de Dieu sur terre et il part à la conquête de l’Europe : il établit ainsi un très grand empire chrétien. Au fil des conquêtes, les populations conquises sont converties au christianisme tandis que les territoires conquis constituent autant de remparts face aux invasions, arabes notamment. La capitale de l’Empire est établie à Aix-la-Chapelle (actuellement en Allemagne) tandis que Herstal reste une résidence royale. 1À cette époque, Noël est le premier jour de l’an. Charlemagne a donc été couronné empereur le jour qui marque le début du 9e s. ! LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 4 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE Source 3 – Statue équestre représentant Charlemagne. Auteur inconnu (860-870 ? pC) – Musée du Louvre, Paris À la mort de CHARLEMAGNE (814), son fils LOUIS LE PIEUX (ou LE DEBONNAIRE), le dernier fils encore en vie, lui succède seul. L’unité de l’Empire tient donc au fait qu’aucun autre héritier n’avait survécu à CHARLEMAGNE : la coutume voulait que les territoires du royaume soient répartis entre les différents héritiers du roi défunt qui en assureraient solidairement la défense. LOUIS LE PIEUX tentera de perpétuer cette unité en désignant son fils aîné LOTHAIRE comme successeur. Cette décision provoquera le mécontentement des frères cadets de LOTHAIRE, principalement de CHARLES, le dernier fils de LOUIS. Aussi, à la mort de LOUIS LE PIEUX, l’Empire carolingien est divisé entre les trois fils de LOUIS, par le Traité de Verdun (843) [Source 4] : 1. CHARLES LE CHAUVE reçoit la Francie occidentale ; 2. LOTHAIRE, reçoit la Francia media (la « Francie du milieu ») ou Lotharingie et, comme il est l’aîné des trois fils, hérite du titre impérial ; 3. LOUIS LE GERMANIQUE reçoit la Francie orientale. Source 4 – Carte de répartition des territoires après le Traité de Verdun (843) LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 5 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE Nos régions sont ainsi réparties entre deux royaumes : les territoires situés à l’ouest de l’Escaut sont attribués à CHARLES LE CHAUVE et, ceux situés entre l’Escaut et le Rhin à LOTHAIRE. À cette époque se dessinent les états modernes : la Francie occidentale deviendra la France tandis que la Francie orientale deviendra l’Allemagne. En Francie occidentale, les Carolingiens et les Robertiens régneront en alternance de 751 à 987, date de l’élection d’HUGUES CAPET soit élu comme roi de France. En effet, aux 9e et 10e s., la règle de l’hérédité va être remplacée par celle de l’élection : le souverain sera élu par les nobles du Royaume. Carolingiens et Robertiens se succèdent ainsi au gré des élections du souverain jusqu’à ce que le Robertien HUGUES CAPET, avec qui débute la dynastie « capétienne », parvient à faire élire de son vivant son fils comme roi de France. À partir de ce moment, l’hérédité redevient la règle. En 925, la Lotharingie rejoint définitivement la Francie orientale tandis que le titre impérial revient au roi des Germains et se forme alors le « saint Empire germanique ». 10. 1. Le cadre territorial Le cadre territorial du Haut Moyen Âge n’est plus la civitas mais le pagus. Dans chaque pagus, siège un comte (comitatus) : on parlera bien vite de comtés. À côté du comté, qui est surtout une entité administrative, existent le duché et, aux frontières, la marche dans lesquels siègent ducs et marquis qui, contrairement au comte, exercent un pouvoir essentiellement militaire. Dans nos régions, on connaît : 1. le pagus Arrelensus (Arlon) ; 2. Le pagus Lommacensis (entre Sambre et Meuse) ; 3. le pagus Hanoiensis (Hainaut) ; 4. le pagus Bracbantiensis (Brabant) ; 5. le pagus Hasbania (Hesbaye). 10.2. Le mode de vie Le Haut Moyen Âge connaît un climat plus humide et plus froid que le climat actuel. Cette dégradation du climat aura pour conséquence une régression du cadre de vie : les récoltes, tributaires du climat, seront moins bonnes qu’auparavant. La difficulté de trouver de la nourriture, associée à la menace des invasions germaniques ou plus tard normandes, poussera la population à fuir les villes pour se réfugier dans les campagnes. Dès lors, les villes perdent de leur importance. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 6 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE 10.2.1. L’alimentation Avec le Haut Moyen Âge, de nouveaux produits alimentaires arrivent dans nos régions en provenance de la Méditerranée : le pain, le vin ou l’huile végétale. Parce qu’ils entrent obligatoirement dans l’alimentation du moine, ils se répandent très vite dans toute l’Europe. À partir de cette époque, l’huile végétale est encore utilisée comme substitut à la graisse animale, car durant la période de Carême il est interdit de consommer de la viande sous quelque forme que ce soit. Charlemagne était très sobre dans son alimentation. Il participait rarement à des banquets, et seulement aux grandes fêtes. Normalement, le dîner se composait d’un rôti cuit à la broche et qui était son plat préféré. Pendant le repas, il écoutait un peu de musique ou une lecture. On lui lisait l’histoire et les récits du temps des Romains. Il aimait aussi se faire lire les ouvrages religieux. Il était si sobre de vin et de toute espèce de boisson qu’il buvait rarement plus de trois fois par repas. L’été, après le repas de midi, il prenait quelques fruits. Source 5 – EGINHARD, Vie de Charles Néanmoins, du fait d’une mauvaise exploitation de l’agriculture, les périodes de disette ou de famine sont fréquentes. Une grande famine ravagea pendant sept années presque toute la Gaule. Beaucoup de personnes firent du pain avec des pépins de raisin, des fleurs de noisetier, quelques-uns même avec des racines de fougère. Ils les faisaient sécher et les réduisaient en poudre en y mélangeant un peu de farine. Il y eut aussi beaucoup de gens qui n’avaient pas du tout de farine et qui moururent, épuisés par le manque d’aliments. Source 6 – GREGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs (575-590 pC) 10.2.2. L’habitat (a) Dans les campagnes Dans les campagnes, on trouve toujours des fermes sur le modèle protohistorique. Il s’agit de bâtiments, construits par les paysans eux-mêmes, en bois pour la charpente et en torchis pour les parois. Ces longs bâtiments abritent encore hommes (logis) et bêtes (étable). Le grenier est parfois séparé : il s’agit alors d’un bâtiment sur pilotis. Mais il peut aussi surmonter le foyer (on parle alors de fenil). Le logis est composé de deux pièces : le séjour et l’espace privé. Source 7 – Reconstitution du village mérovingien de Source 8 – Reconstitution d’un grenier du « Gué de Goudelancourt les Pierrepont (France) – 6e et 7e s. pC Mauchamp » (France) – milieu du 6e s. pC LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 7 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE On entre dans le séjour directement. Le foyer proprement dit se trouve dans le séjour, à même le sol, à proximité de la porte pour une meilleure circulation de l’air. L’espace privé peut servir d’espace de repos, de cellier ou de resserre. À la fin de l’époque carolingienne, les habitations campagnardes vont se regrouper en village de vingt à quarante manses. Au centre du village, on trouve l’église et le cimetière2 paroissiaux. (b) En ville À l’époque mérovingienne, il ne subsiste que quatre vici gallo-romains en Wallonie : Tournai, Huy, Dinant ou Namur. Ces vici commencent à prendre le nom de port (portus) ou d’embarcadère (sedile/sessus) : les voies fluviales et, surtout, le commerce qu’ils permettent jouent un rôle majeur dans le développement urbain. Sous les Carolingiens apparaissent deux nouveaux vici : Liège et Nivelles. Il s’agit ici de deux villes qui se développent autour d’un siège épiscopal (Liège) ou d’une abbaye (Nivelles). Avec les invasions normandes, un sentiment d’insécurité entraîne une politique de défense : on construit des remparts ou on se réfugie dans d’anciennes places fortifiées ; on assiste également à un exode urbain de certaines communautés monastiques. Les villes mosanes (Dinant, Namur ou Huy) sont épargnées par les invasions normandes et connaissent dès un lors un développent continu. À Liège, des maisons en pierre sont construites. Source 9 – Maquette de la ville de Nivelles au Source 10 – Reconstitution du rempart près de la tour 8e s. pC médiévale (« Tour Simone ») à Nivelles, 8e s. pC 10.2.3. L’habillement3 L’habit du Haut Moyen Âge continue, dans les grandes lignes, l’habit de l’Antiquité. 2Pour rappel, avant cette époque, le cimetière se trouvait dans les champs. Avec les Carolingiens, il a été placé au cœur du village. 3 En l’absence de sources iconographiques, l’habillement est surtout connu par les découvertes archologoqiques et par les descriptions de l’époque. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 8 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE Il s’agit, pour les hommes, d’une tunique, dont l’emmanchure et l’encolure sont soulignées de galons de couleurs vives, pour le haut et, d’un pantalon, serré par des bandes molletières, pour le bas. Un manteau recouvre leurs épaules. La ceinture, le scramasaxe (un sabre à un seul tranchant), une aumônière (une petite bourse pouvant contenir un briquet de fer ou un couteau), une épée fixée à la ceinture ou à l’épaule à l’aide d’un baudrier indépendant font également partie de l’habillement. Aux pieds, ils portent des chaussures ou des bottes en cuir. Charlemagne portait une chemise et un caleçon de toile de lin. Par-dessus, il avait une tunique bordée de soie et une culotte. Des bandelettes lui entouraient les jambes et les pieds. Un gilet en peau de loutre ou de rat lui protégeait en hiver les épaules ou la poitrine. Il avait toujours suspendu au côté un glaive dont la poignée et le baudrier était d’or ou d’argent. Parfois il ceignait une épée ornée de pierreries, mais seulement les jours de grande fête ou quand il avait à recevoir des ambassadeurs étrangers. Les jours de fête, il portait un vêtement tissé d’or, des chaussures décorées de pierreries, une fibule d’or pour agrafer son manteau, un diadème du même métal et orné lui aussi de pierreries ; mais les autres jours, son costume différait peu de celui des hommes du peuple ou du commun. Source 11 – EGINHARD, Vie de Charles Source 12 – Bijoux mérovingiens, trouvés en 1908-19010 à Trivières (prov. Hainaut) et conservés au Musée royal de Mariemont [D’HAENENS (1980) : 65] LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 9 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE Source 13 – Éléments du trésor de Childéric, enfoui à Source 14 – Parures féminines, Jouy-le-Comte Tournai en 481 : abeille en or, garniture du fourreau (commune de Parmain, Val-d'Oise), milieu du 6e s. d’une épée © Paris, Bibliothèque nationale © Musée des Antiquités nationales – RMN [D’HAENENS (1980) : 65] Les femmes, quant à elles, portent des robes descendant aux genoux, le plus souvent en laine ou en soie. Des fibules tiennent les vêtements fermés : on en trouve une première paire au niveau du cou ou de la poitrine, et une seconde au niveau du bassin. À leurs ceintures pendent des grosses perles de verre ou de cristal de roche. Elles portent également des bas, maintenus aux genoux par une jarretière. Les femmes mariées portent le voile, qui Source 15 – Reconstitutions de l’habit est agrafé à la poitrine par une épingle. franc © Musée des Antiquités nationales – RMN Les hommes ont généralement les cheveux courts, sauf les membres de la famille royale qui les gardent longs. 10.2.4. La santé Du fait de mauvaises récoltes, les famines comme les épidémies sont nombreuses. Il y eut tellement de morts qu’on ne put les compter. Comme on manquait de cercueils, on mettait en terre dix corps ou plus dans une même fosse. La mort était subite. Il se produisait à l’aine ou à l’aisselle une blessure qui ressemblait à une morsure de serpent. On mourrait le lendemain ou le troisième jour. Source 16 – GREGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs (575-590 pC) LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 10 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE L’hygiène tend à disparaître même si Charlemagne a fait construire un palais à Aix (< aqua), en raison des sources proches du site. Ces sources alimentent les installations thermales du palais. Charlemagne aimait aussi la natation. C’est pourquoi il fit bâtir un palais à Aix où il existe des sources thermales et y résida constamment dans les dernières années de sa vie. Quand il se baignait, la société était nombreuse : il y avait dans l’eau avec lui ses fils, ses amis et même de temps à autre la foule de ses gardes du corps. Source 17 – EGINHARD, Vie de Charles 10.3. Les activités économiques Comme dans l’Antiquité, les activités économiques se concentrent dans les campagnes, principalement dans le cadre du domaine, héritier de la villa gallo-romaine. Traditionnellement, le domaine (lat. villa, puis dominium) appartient à un riche propriétaire (lat. dominus) qu’on commence à appeler « seigneur » (lat. dominus). Le système domanial se divise en deux parties, dépendantes l’une de l’autre : la réserve (mansus dominicatus) et en tenures (lat. mansus). La réserve est la part exploitée au profit du propriétaire du domaine : elle comprend ainsi : - l’habitat (lat. casa) proprement dit du seigneur ; - des terres arables, des prés et des bois ; - une ferme ; - des machines agricoles (notamment le pressoir, puis le moulin…) ; - des ateliers (brasserie, atelier de tissage…). Un intendant (maire ou villicus) veille au bon fonctionnement du domaine : il est à la tête de paysans non libres (les serfs chasés4) qui travaillent pour le seigneur. Les tenures (ou manses) étaient occupées par des paysans. On distinguait deux types de manses : - le manse libre (mansus ingenuus) occupé par des paysans libres ; - le manse servile (mansus servilis) occupé par des paysans non libres. 10.3.1. La production : agriculture et élevage La culture de la terre reste la principale activité économique, dans la mesure où la majorité de la population vit dans les campagnes. Là, les céréales constituent la principale espèce cultivée (80 %). La culture des céréales se concentre essentiellement autour de celles qui demandent le moins de soin : avoine, épeautre, millet… et, surtout, seigle. À côté des 4 C’est-à-dire ceux qui habitent à la casa du seigneur. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 11 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE céréales, on cultive la vigne (depuis 700 dans les environs de Liège, puis entre Sambre et Meuse. La forêt qui était longtemps utilisée comme niche alimentaire (baies, gibier…) est progressivement confisquée par les classes dominantes qui, seules, y pratiquent la chasse. Les paysans se tournent donc vers les clairières, moins rentables. 10.3.2. Les techniques : l’artisanat Parmi l’artisanat, la métallurgie se distingue : elle permettait non seulement la fabrication d’armes mais également de la plupart des outils de la vie quotidienne (la vaisselle en bronze, notamment). Sous les Merovingiens, l’orfèvrerie est en plein essor : saint Éloi, avant de devenir évêque de Tournai, était orfèvre ! La sidérurgie se développe à Nivelles au milieu du 9e s. En métallurgie, la forge connaît une nouvelle technique : le damas soudé. Il s’agit de motifs géométriques systématiquement organisés. La fonte des métaux, même si elle est bien attestée, n’a pas livré d’œuvres de grande taille. La technique la plus souvent utilisée est celle de la « cire perdue ». Source 18 – Technique du décor damasquiné © Musée des Antiquités nationales – RMN L’orfèvrerie connaît plusieurs techniques : le cloisonné, l’estampage ou la damasquinure. Le travail de l’os est surtout utilisé pour la réalisation de peignes, comme durant l’Antiquité. De même, la céramique franque reprend en grande partie les caractéristiques du Bas Empire. La verrerie et le travail du bois sont également attestés. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 12 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE 10.3.3. Le commerce Le commerce à longue distance existe toujours, même s’il est moins important. À cette époque, le commerce international se déplace de la Méditerranée vers le nord de l’Europe et se concentre autour des ports sur la Seine puis la Loire, la Meuse ou le Rhin. De nouveaux centres de distribution se développent autour de ports, à Dorestad (sur le delta de la Meuse et du Rhin, aux Pays-Bas), Quentovic (sur la Canche, près de Boulogne-sur-Mer) ou Domburg (à l’embouchure de l’Escaut, aujourd’hui inondé suite au réchauffement climatique et à la montée des eaux). À l’époque carolingienne apparaissent de nouveaux ports : Haitnabu (act. Hedeby, sur la Mer baltique, à la frontière de l’Allemagne et du Danemark), Birka et Helgö (en Scandinavie) ou Londres, York et Southampton (en Angleterre). Dans ce cadre, les portus et sedilia jouent un rôle majeur : il s’agit des lieux où sont organisés des marchés régionaux, dont l’emprise s’étend sur les campagnes voisines. Il existe ainsi à Nivelles un marché rural de grains, de laine, de toiles et d’objets en fer. Ces produits sont acheminés par voie terrestre, de la Meuse à l’embouchure de l’Escaut. La monnaie est unifiée : 1 livre = 20 sous (or) = 120 deniers (argent). 10.3.4. Les déplacements Les routes romaines continuent à être entretenues ou rénovées, comme la Chaussée Brunehaut. Sur ces routes, circulent des véhicules tirés par des bœufs ou des chevaux : des chariots à quatre roues (carruca ou rheda) ou des voitures à deux roues (plaustrum). Comme durant l’Antiquité, on peut parcourir entre 30 à 35 km par jour. La voie fluviale reste le moyen le plus sûr et le moins coûteux. Pour faciliter les déplacements, on construit des ponts, notamment à Dinant, avant 824, sur la Meuse. Sur les fleuves peuvent circuler des pirogues, tandis qu’on peut hâler des barges pour les trajets à contre-courant. Le transport donne lieu au paiement d’une taxe : le tonlieu, que l’on sait avoir été prélevée à Tournai. 10.4. Les activités culturelles Contrairement à ce que l’on écrit généralement, si la culture est en recul sous les Mérovingiens, elle ne disparaît pas totalement : dans les abbayes (comme Nivelles ou Lobbes dans nos régions) on continue de pratiquer l’écriture et le latin. Néanmoins, la culture LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 13 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE connaît un renouveau (renovatio) sous les Carolingiens : on parle de « renaissance carolingienne ». L’instrument de cette renaissance sera l’éducation. 10.4.1. L’éducation Dès 789, dans son Admonition générale, CHARLEMAGNE instaure une école élémentaire dans chaque évêché de l’Empire. L’instruction est confiée à l’Église, plus particulièrement aux moines. Le programme des cours comprenait : le latin, la lecture, le chant, l’écriture et le calcul. La première école fut fondée à Orléans par l’évêque THEODULF (797). Dans nos régions, l’évêque de Liège HARTGAR confia l’enseignement à SEDULIUS, un poète irlandais de langue latine (848). Liège deviendra ainsi un des plus importants centres d’enseignement de l’Europe médiévale. Qu’il y ait également des écoles pour l’instruction des garçons. Corrigez bien dans chaque monastère ou évêché, les psaumes, les notes, le chant, le calcul, la grammaire et les livres catholiques ; car souvent certains, lorsqu’ils désirent bien prier Dieu, prient mal, du fait que les livres ne sont pas corrigés. Et ne permettez pas qu’ils nuisent à vos garçons, qui les lisent ou les copient ; et s’il est nécessaire de copier l’Évangile, le psautier et le missel, que ce soient des adultes qui le fassent avec toute leur application. Source 19 – Admonition générale, 23 mars 789 [D’après TESSIER (1967) : 304-305] L’enseignement est organisé dans les monastères, où sont formés à la fois ceux qui se vouent à une vie religieuse et ceux qui se destinent aux fonctions civiles, où se côtoient les enfants de la noblesse et les enfants des paysans. L’éducation passe par une école élémentaire (schola minor) et une école supérieure (schola maior). À l’école élémentaire, on étudie la lecture, l’écriture et le chant. L’enseignement supérieur est tourné vers les « sept arts libéraux » (septem artes liberales). Dans un premier temps vient le Trivium (les « trois chemins » en latin), qui s’articule surtout autour de la langue : la grammaire, la dialectique et la rhétorique. Ensuite vient le Quadrivium (« les quatre chemins »), durant lequel on s’intéresse surtout aux nombres : l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie. Même s’il existait quelques manuels, les livres n’étaient pas très répandus et la base de l’enseignement était donc la lecture que faisait le maître d’un texte de l’Antiquité : les élèves devaient prendre note des commentaires qu’apporte le maître. Les cours se donnent dans le cloître du monastère : à l’époque, il n’existe pas encore de véritable classe et les élèves sont assis par terre. Ils utilisent des tablettes de cire en guise de cahiers. CHARLEMAGNE, soucieux du niveau d’enseignement, fait régulièrement la tournée des écoles. Charles appelle devant lui les enfants. Il leur demande de montrer leurs devoirs. Les devoirs des enfants modestes sont faits avec sérieux. Ceux des enfants nobles sont gâtés par toute sorte de sottise. Alors, le très sage Charlemagne fait passer à sa droite ceux qui ont bien travaillé. Il leur dit : « c’est très bien, vous avez fait de votre mieux pour être de bons élèves. Continuez à bien travailler. Quand vous serez grands, je vous donnerai des évêchés et des monastères magnifiques ! » Tournant ensuite son visage irrité vers ceux qui étaient à sa gauche, il leur adresse cette terrible parole : « Vous êtes les fils des personnages les plus importants du royaume et vous avez négligé vos études pour vous consacrer aux jeux et à la paresse. Sachez que si vous ne réparez pas votre LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 14 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE négligence, vous n’obtiendrez jamais rien du roi Charles. » Source 20 – MOINE DE SAINT-GALL, Histoire de Charlemagne À Aix-la-Chapelle, CHARLEMAGNE fonde une école de haut niveau : l’école palatine. Là, les esprits les plus brillants continuent leur formation auprès des grands maîtres de l’époque. CHARLEMAGNE lui-même, qui était illettré sinon analphabète, se forme auprès de ces grands maîtres. La direction de l’école palatine est confiée à ALCUIN. Parmi les maîtres, figure également THEODULF. Parmi les élèves de l’école palatine, on compta EGINHARD, un Germain proche de CHARLEMAGNE, qui est l’auteur de la biographie de l’empereur, la Vita Karoli Magni (c. 830) sur le modèle des Vies des Césars rédigées au 2e s. par l’historien romain SUETONE. Le but de la réforme de l’enseignement est triple : 1. former un clergé cultivé, capable de lire la Bible dans sa traduction latine ou de comprendre les écrits théologiques des « Pères de l’Église » ; 2. former les fonctionnaires, dans la mesure où les textes officiels (les capitulaires) étaient toujours rédigés en latin ; 3. unifier l’Empire autour d’une seule langue : le latin. Pour faciliter l’apprentissage, l’écriture est également réformée, car elle était devenue illisible sous les Mérovingiens : on introduit la minuscule dite « caroline », à la fois plus régulière et plus rapide. Ainsi, on se met à recopier, de manière plus fiable, les textes de l’Antiquité dans les scriptoriums des monastères : l’Antiquité est érigée en modèle et sert à présent de référence aux arts et lettres. 10.4.2. Les distractions Les distractions de l’époque sont mal connues. 10.4.3. La communication On l’a vu, les Francs ont petit à petit imposé leur langue dans le nord de nos régions, là où l’on parle actuellement le néerlandais. Le sud, romanisé, utilisait le latin qui, petit à petit, évoluera vers le français. Le premier texte rédigé en langue romane, dans une langue qui deviendra le français, est conservé par les Serments de Strasbourg (842). Ce document est un document trilingue (en latin, en langue romane et en langue germanique) : il enregistre les serments prêtés par CHARLES LE CHAUVE et LOUIS LE GERMANIQUE, ainsi que par leur troupe, qui s’étaient alliés contre LOTHAIRE. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 15 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE Pro Deo amur et pro christian poblo et nost ro commun salvament, d’ist di en avant, in quant Deu s savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo, et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altre- -si fazet, et ab Ludher nul plaid num quam prindrai qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit. Pour l’amour de Dieu et pour le salut du peuple chrétien et notre salut commun, de ce jour en avant, autant que Dieu me donne le savoir et le pouvoir, je défendrai mon frère, Charles, et en aide de tout, comme il faut par droit naturel défendre son frère, pourvu qu’il me fasse la même, et avec Lothaire je ne prendrai aucun accord au préjudice de mon frère Charles. Source 21 – Serments de Strasbourg, 842 En 813, le terme romana lingua est utilisé pour désigner l’ancêtre du français : il apparaît dans une délibération du concile de Tours (canon 17) qui demande aux prêtres de prononcer leurs homélies en « langues vulgaires » dans la mesure où le peuple (en latin vulgus) se montre incapable de comprendre le latin. Ailleurs, le latin reste la langue de culture : les textes scientifiques ou théologiques restent composés dans cette langue. 10.4.4. L’art L’architecture civile et religieuse connaît de nouveaux développements : on édifie des églises (à Nivelles par exemple), des abbayes, et des palais (comme à Aix-la-Chapelle). Quoiqu’ardent à agrandir ses États, en soumettant à ses lois les nations étrangères, et quoique tout entier à l’exécution de ce vaste projet, Charles ne laissa pas de commencer et même de terminer en divers lieux beaucoup de travaux pour l’éclat et la commodité de son royaume. Les plus remarquables furent, sans aucun doute, la basilique construite avec un art admirable, en l’honneur de la mère de Dieu, à Aix-la-Chapelle, et le pont de Mayence sur le Rhin. Il était long de cinq cents pas, car telle est la largeur du fleuve en cet endroit. Mais ce bel ouvrage périt un an avant la mort de Charles, un incendie le consuma; le roi pensait à le rétablir, et à employer la pierre au lieu du bois; mais la mort qui vint le surprendre l’en empêcha. Ce prince commença deux palais d’un beau travail; l’un non loin de Mayence, près de la maison de campagne nommée lngelbeim; l’autre à Nimègue sur le Wahal, qui coule le long de file des Bataves au midi. Mais il donna surtout ses soins à faire reconstruire, dans toute l’étendue de son royaume, les églises tombées en ruines par vétusté; les prêtres et les moines qui les desservaient eurent ordre de les rebâtir, et des commissaires furent envoyés par le roi pour veiller à l’exécution de ses commandements. Source 22 – Eginhard, Vie de Charlemagne, 17 10.4.5. Les croyances Durant l’Antiquité, principalement le Bas Empire, le christianisme était resté confiné dans les villes, notamment Cologne ou Trêves, puis Tongres (avec saint Servais). À cette époque, les évêques sont établis à Maastricht (qui a remplacé Tongres) et, de là, ils rayonnent dans les LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 16 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE régions mosanes (Huy, Namur et Dinant). Avec le Haut Moyen Âge, le christianisme va se répandre dans les campagnes, par l’intermédiaire des moines évangélisateurs : - saint Amand, le principal évangélisateur de nos régions, prêche en suivant le cours de l’Escaut ; - saints Feuillien, Landelin et Ursmer œuvrent dans le Hainaut et fondent les abbayes de Lobbes et d’Aulne ; - saint Remacle prêche dans la région de Liège et fondera l’abbaye de Stavelot. Amand parcourait notre pays pour évangéliser nos ancêtres. Il entend parler d’une région (i.e. Gand) située au- delà de l’Escaut dont les habitants adorent des arbres et des idoles. Ces gens sont violents. Personne n’ose leur annoncer la parole de Dieu. Amand demande au roi et à l’évêque dont dépend cette région de pouvoir se rendre sur place. Amand vit alors des moments très difficiles. Il est injurié. Il est frappé. Il est plusieurs fois jeté dans le fleuve. Mais il ne cesse pas de prêcher la Parole de Dieu. Découragés par la faim et la misère, les religieux qui accompagnent Amand l’abandonnent et rentrent chez eux. Mais lui continue son travail de missionnaire. Il baptise de nombreuses personnes. Il demande à chacun de vivre comme le Christ. Un jour, Amand assiste à la pendaison d’un voleur. Il détache le corps et se met à prier avec une très grande intensité. Dieu l’écoute et ressuscite le voleur. L’annonce de ce miracle se répand par tout. Aussitôt, les habitants accourent près du saint. Ils demandent de faire d’eux des chrétiens. Ils détruisent leurs temples païens. Alors, Amand, avec l’aide financière du roi et des riches personnes pieuses, construit dans la région des monastères et des églises paroissiales. Source 23 – Vie de saint Amand L’évangélisation des campagnes débouche donc sur la fondation d’un monastère. À partir du 7e s., de nombreuses institutions monastiques voient ainsi le jour : Nivelles, Stavelot ou Fosses ; puis Leuze, Mons, Saint-Ghislain, Soignies, Aulne, Lobbes, Moustier, Malonne, Andenne et Celles. Dans ces monastères, les religieux suivent la règle édictée par un moine fondateur. Dans nos régions, la règle de saint Benoît, rédigée par Benoît de Nursie entre 529 et 537, connaît un vif succès et finit par être imposée à tous les monastères sous les Carolingiens. L’ordre bénédictin suit un emploi du temps très précis où alternent moments de prières, de repos et de travail. Dans les monastères, les moines sont placés sous l’autorité d’un abbé. L’idéal de la vie monastique reste l’autarcie : le monastère est censé pourvoir à tous les besoins de la communauté. Vers 0h30 Vigiles Vers 2h30 Le moine se recouche Vers 4h Matines (une demi-heure) Vers 5h45 Lever définitif Vers 6h Prime Vers 6h30 Chapitre (réunion de la communauté autour de l’abbé) Vers 7h30 Messe du matin LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 17 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE 8h15-9h Travail ou célébration de messes privées 9h-10h30 Tierce, suivie de la messe conventuelle 10h45-11h30 Travail Vers 11h30 Sexte Vers 12h Repas de midi 12h45-13h45 Sieste 14h-14h30 None 14h30-16h15 Travail manuel (jardin ou copie de manuscrits) 16h30-17h15 Vêpres 17h30-18h Souper Vers 18h Complies Vers 18h45 Coucher Source 24 – Emploi du temps d’un moine bénédictin [D’après POLO DE BEAULIEU (2004) : 124] L’oisiveté est l’ennemie de l’âme, les frères doivent consacrer certaines heures au travail des mains et d’autres à la lecture des choses divines. C’est pourquoi nous croyons pouvoir régler l’une et l’autre de ces occupations de la manière suivante. De Pâques jusqu’aux calendes d’octobre, les frères sortiront dès le matin pour s’employer aux travaux nécessaires, depuis la première heure du jour jusqu’à la quatrième environ ; depuis la quatrième jusqu’à la sixième, ils s’adonneront à la lecture. Après la sixième heure, leur dîner fini, ils se reposeront sur leur lit dans un parfait silence. Si quelqu’un veut lire, il pourra le faire, pourvu qu’il n’incommode personne. On dira None plus tôt qu’à l’ordinaire, environ vers la huitième heure et demie. Après quoi, ils se mettront à l’ouvrage jusqu’à Vêpres. Si les frères se trouvent obligés par la nécessité ou la pauvreté à travailler eux-mêmes aux récoltes, ils ne s’en affligeront pas, c’est alors qu’ils seront vraiment moines, lorsqu’ils vivront du travail de leurs mains, à l’exemple de nos Pères et des Apôtres. Que tout néanmoins se fasse avec modération, par égard pour les plus faibles. À partir des calendes d’octobre jusqu’au commencement du Carême, les frères vaqueront à la lecture [depuis le matin] jusqu’à la fin de la deuxième heure ; à la deuxième heure on dira Tierce. Ensuite, ils travailleront jusqu’à la neuvième heure à l’ouvrage qui leur a été enjoint. Au premier coup de None, ils quitteront tous leur travail, de façon à être prêts quand le second coup sonnera. Après le repas, ils s’appliqueront à leurs lectures ou à la lecture des psaumes. Durant tout le Carême, ils s’occuperont à la lecture depuis le matin jusqu’à la fin de la troisième heure ; ils travailleront ensuite jusqu’à la dixième heure entière selon ce qui lui a été ordonné. Durant le Carême, qu’ils reçoivent tous chacun un livre de la bibliothèque, qu’ils liront en entier à tour de rôle ; les livres seront donnés au début du Carême. Le dimanche, tous vaqueront à la lecture, excepté ceux qui sont employés à divers offices. Si toutefois quelqu’un était si négligent et paresseux qu’il ne voulût ou ne pût méditer, ni lire, on l’appliquera à quelque travail, afin qu’il ne demeure pas oisif. Quant aux frères infirmes ou délicats, on leur donnera tel ouvrage ou métier qui les garde de l’oisiveté, sans les accabler ni les porter à s’esquiver. L’abbé doit avoir leur faiblesse en considération. Source 25 – Règle de saint Benoît À la porte du monastère, on placera un sage vieillard. Il aura sa chambre près de l’entrée, afin que ceux qui viennent frapper à la porte trouvent toujours à qui parler. Et aussitôt qu’un pauvre aura appelé, il s’empressera de lui venir en aide avec une charité fervente. (…) On prendra un très grand soin des malades et on les soignera comme s’ils étaient le Christ en personne. Le LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 18 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE supérieur du monastère veillera donc avec très grand soin à ce que les malades ne souffrent d’aucune négligence. On installera les infirmes dans un logis particulier, et on mettra à leur service un frère dévoué et soigneux. (…) Bien que chacun d’entre nous ait naturellement de la gentillesse pour les vieillards, il est bon de rappeler qu’il faut être attentif à leurs besoins. On fera attention à leurs faiblesses, et on prendra soin de bien les nourrir. On fera preuve envers eux d’une très grande tendresse. Source 26 – Règle de saint Benoît À l’origine, le paganus, l’habitant du pagus, est à la fois un paysan (lat. paganus) et un païen (lat. paganus). Cette évangélisation des campagnes ne sera pas facile : les paysans restent longtemps fidèles aux coutumes païennes, d’origine celte. Et l’Église doit composer avec cette réalité. Ainsi, de nombreuses fêtes païennes sont conservées et incorporées au rite chrétien : Halloween devient la Toussaint par exemple. Par ailleurs, les Francs eux-mêmes se convertissent au christianisme : Clovis est ainsi baptisé par saint Remi à Reims vers 496. De même, les évangélisateurs ne sont pas seuls à l’origine des monastères : ils sont soutenus par les membres (souvent les femmes) de l’aristocratie franque. Nivelles et Andenne sont ainsi fondées par sainte Itte et ses deux filles, Gertrude et Begge ; Soignies, Mons et Saint-Ghislain sont fondés par sainte Aldegonde, avec le soutien des comtes de Hainaut, Vincent et Waudru. XXX. La reine [Clothilde] ne cessait de prêcher pour qu’il reconnaisse le vrai dieu et abandonne les idoles ; mais elle ne put en aucune manière l’entraîner dans cette croyance jusqu’au jour enfin où la guerre fut déclenchée contre les Alamans, guerre au cours de laquelle il fut poussé par la nécessité à confesser ce qu’il avait auparavant refusé de faire volontairement. Il arriva en effet que le conflit des deux armées dégénérât en un violent massacre et que l’armée de Clovis fût sur le point d’être complètement exterminée. Ce que voyant, il éleva les yeux au ciel, et, le cœur rempli de componction, ému jusqu’aux larmes, il dit : « Ô Jésus-Christ, que Clothide proclame fils de Dieu vivant, toi qui donnes une aide à ceux qui peinent et qui attribues la victoire à ceux qui espèrent en toi, je sollicite dévotement la gloire de ton assistance ; si tu m’accordes la victoire sur ces ennemis et si j’expérimente la vertu miraculeuse que le peuple voue en à ton nom déclare avoir prouvé qu’elle venait de toi, je croirai en toi et je me ferai baptiser en ton nom. J’ai, en effet, invoqué mes dieux mais, comme j’en ai fait l’expérience, ils se sont abstenus de m’aider ; je crois donc qu’ils ne sont doués d’aucune puissance, eux qui ne viennent pas au secours de leurs serviteurs. C’est toi que j’invoque maintenant, c’est en toi que je désire croire, pourvu que je sois arraché à mes adversaires ». Comme il disait ses mots, les Alamans tournant le dos commencèrent à prendre la fuite. Lorsqu’ils virent leur roi tué, ils firent leur soumission à Clovis disant : « Ne laisse pas, de grâce, périr davantage le peuple, nous sommes à toi désormais ». Et lui, ayant ainsi arrêté la guerre et harangué son peuple, la paix faite, rentra et raconta à la reine comment, en invoquant le nom du Christ, il avait mérité la victoire. Ceci s’accomplit la quinzième année de son règne. XXXI. Alors la reine fait venir en cachette saint Rémi, évêque de la ville de Reims, le priant de faire croître chez le roi « la parole du salut ». Le pontife l’ayant fait venir en secret, commence à faire naître en lui qu’il devait croire au vrai Dieu, créateur du ciel et de la terre et abandonner les idoles, qui ne peuvent être utiles ni à lui, ni aux autres. Mais ce dernier dit : « Je t’ai écouté volontiers, très saint Père, toutefois, il reste une chose ; c’est que le peuple qui me suit ne veut pas délaisser ses dieux ; mais je vais l’entretenir conformément à ta parole ». Il se rendit donc au milieu des siens, et, avant même qu’il eût pris la parole, la puissance de Dieu l’ayant devancé, tout le peuple s’écria en même temps : « Les dieux mortels nous les rejetons, pieux roi, et c’est Dieu immortel que prêche Rémi que nous sommes prêts à suivre ». Ces nouvelles sont portées au prélat qui, rempli d’une grande joie, fit préparer la piscine. Les rues sont ombragées de tentures de couleur, les églises ornées de courtines blanches ; le baptistère apprêté, des parfums sont répandus, des cierges odoriférants brillent ; tout le temple du baptistère est imprégné d’une odeur divine et Dieu y comble les assistants d’une telle grâce qu’ils se croient transportés au milieu des parfums du paradis. Ce fut le roi, qui, le premier, demanda à être baptisé par le pontife. Il s’avance, nouveau Constantin, vers la piscine, pour effacer la maladie d’une vieille lèpre et pour effacer avec une eau fraîche les sordides taches anciennement acquises. Lorsqu’il fut entré pour le baptême, le saint de Dieu l’interpella d’une voix éloquente en ces termes : « Dépose humblement tes colliers, ô Sicambre, adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ». […] Ainsi donc, le roi, ayant confessé le Dieu tout puissant dans sa Trinité, fut baptisé au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit et oint du saint chrême avec le signe de la LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 19 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE croix du Christ. Plus de trois mille hommes de son armée furent également baptisés. Source 27 – Grégoire de Tours, Historia Francorum [D’après KRUSCH (1885) : 75-78] Gertrude était charitable, très généreuse, et parfaitement chaste. Elle consacrait beaucoup de temps à jeûner et à prier. Elle s’occupait des pauvres et des pèlerins, des infirmes et des vieillards. Elle prenait le plus grand soin des objets de culte. Elle avait chargé en outre des messagers dignes de confiance de lui rapporter des reliques de saints et d’aller chercher à Rome ou dans les pays d’outre-mer des livres religieux. Gertrude passa des jours et des nuits à prier, à lire et à jeûner. Elle finit par savoir par cœur presque tous les livres, et devint capable, éclairée par le Saint-Esprit, d’expliquer la Parole de Dieu. Tout cela ne l’empêcha point de reconstruire depuis les fondations les églises des saints et d’autres édifices importants, ni de prendre soin des orphelins, des veuves, des prisonniers, et des pèlerins qu’elle nourrissait chaque jour généreusement. Source 28 – Vie de sainte Gertrude Cette conversion progressive des Francs se marque par la création de cimetières chrétiens : à partir du 7e s., on abandonne l’usage franc de placer un mobilier funéraire dans les tombes. Source 29 – Tombe dite « du chef » de Lavoye – Lavoye (Meuse) – vers 500 ap. J.C. © Musée des Antiquités nationales – RMN Durant le Haut Moyen Âge, une nouvelle religion apparaît : l’islam. Les musulmans, partis d’Arabie saoudite, finissent par conquérir la majeure partie du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, et parviennent jusqu’en Espagne. Ils envahissent ensuite la France, avant d’être arrêtés à Poitiers en 732 par Charles Martel. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 20 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE 10.5. Les rapports sociaux Les Germains, auxquels appartiennent les Francs, connaissaient trois classes sociales : les hommes libres (guerriers), les hommes semi-libres (lètes), les hommes non libres (esclaves). Parmi les hommes libres se distingue une aristocratie, dont la valeur provient des armes : elle fournit les rois et les chefs de guerre. Les lètes sont des affranchis, c’est-à-dire d’anciens esclaves. Les hommes non libres sont considérés comme des choses, de simples biens : ils relèvent donc d’un propriétaire (lat. dominus). Cette hiérarchie sociale sert de base au wergeld (le « prix du sang »), un principe du droit pénal germain selon lequel la peine infligée à un criminel dépend du statut social de la victime. Très rapidement, l’aristocratie militaire germanique et l’aristocratie foncière gallo-romaine se rapprochent : les guerriers francs épousent les filles des grands propriétaires gallo-romains. 10.5.1. L’organisation sociale La société du Haut Moyen Âge s’articule autour d’oppositions binaires ; on trouve : - des Francs et des Gallo-Romains ; - des riches et des pauvres, des puissants et des misérables ; - des libres et des non libres. Parmi, les hommes libres, un groupe tend à se distinguer des autres. Cette élite fonde son pouvoir, soit du pouvoir des armes et fournit, soit de la richesse du sol. Ainsi, les Francs fournissent les rois et les chefs de guerres tandis que les anciens propriétaires gallo-romains fournissent les propriétaires fonciers. Progressivement vont apparaître différents groupes sociaux : les guerriers francs et les riches propriétaires gallo-romains vont constituer la noblesse. Cette noblesse tire sa domination sur le reste de la population du fait qu’elle seule est propriétaire d’un domaine (dominium) sur lequel vivent les paysans. Petit à petit, le domaine prend le nom de seigneurie. À partir des Carolingiens, la noblesse va se hiérarchiser et la vassalité va se mettre en place. Dans le système vassalique, le vassal (gwassus, le « jeune gars ») va se lier à un aîné (senior) qu’il entend servir fidèlement. En contrepartie, le vassal obtient de son seigneur protection et bienfait (c’est-à-dire, une terre, des droits ou une fonction). Cette hiérarchisation est mise en place par le pouvoir qui s’assure ainsi du soutien des nobles les plus influents (comtes et évêques, mais également tous ceux qui exercent une fonction politique ou miliaire au nom du Roi). À leur tour, ces nobles influents s’entourent de nobles moins importants, etc. Les paysans qui travaillent le sol sans vraiment le posséder portent différentes appellations : LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 21 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE - les vilains (lat. vilani) désignent ceux qui vivent dans la villa ; - les manants désignent ceux qui habitent les manses. - les paysans (lat. pagani) désignent ceux qui vivent dans le pagus. 10.5.2. Les modes d’oppression et d’exclusion Durant l’époque mérovingienne, il existe une hiérarchie sociale qui prend en considération l’origine ethnique, la richesse ainsi que la liberté de la personne. La loi salique5 qui est mise par écrit à cette époque montre bien qu’un Franc est mieux traité qu’un Gallo-Romain, un puissant qu’un misérable et un libre qu’un non libre. Cette hiérarchie sociale sert de base au wergeld (le « prix du sang »), un principe du droit pénal germain selon lequel la peine infligée à un criminel dépend du statut social de la victime. Néanmoins, les mariages mixtes entre Francs et Gallo-Romains rendent caduque cette distinction-là.6 Aussi, seules finissent par compter la richesse et la liberté. Si quelqu’un a tué un Germain et que cela a été prouvé, l’amende est de 200 sous. S’il n’a pas caché le corps, l’amende est de 200 sous. S’il a recouvert le corps de branches ou s’il l’a couvert de n’importe quel objet pour le cacher, l’amende est de 600 sous. Si quelqu’un a tué celui qui fait partie de l’entourage du roi, l’amende est de 600 sous. Si un Romain qui appartient à l’entourage du roi a été tué, l’amende est de 300 sous. Si un Romain propriétaire qui n’appartient pas à l’entourage du roi a été tué, l’amende est de 100 sous. Source 30 – Loi salique Le sol (fundus) devient l’élément qui fonde la richesse et les classes sociales. À cette époque, il suffit d’acquérir un domaine pour devenir seigneur et appartenir à la noblesse. De même, la qualité du manse que l’on habite entraîne le statut libre on non. Ainsi, un paysan vivant sur un manse libre (lat. mansus ingenuus) est libre (lat. ingenuus) tandis qu’un paysan vivant sur un manse servile (lat. mansus servilis) n’est pas libre, il est serf (lat. servus, à l’origine « esclave »). En signe de soumission au seigneur, les manants lui doivent des services : les paysans libres lui doivent non seulement un loyer (le cens) sous forme de produits (de l’agriculture, de l’élevage, de l’artisanat…) ou en monnaie, mais aussi des services, notamment l’entretien de 5 Au début du Haut Moyen Âge, chaque ethnie est jugée selon sa propre loi : on parle de personnalité des lois. Les Gallo-Romains sont traités en fonction du droit romain, qui est un droit écrit. Les Francs par contre ne connaissent pas le droit écrit. De plus, chaque tribu franque possède des coutumes qui leur sont propres. La loi salique est donc la mise par écrit des coutumes de la tribu des Francs saliens. 6 Le principe personnalité de la loi est donc remplacé par le principe de territorialité de la loi : une personne n’est plus jugée en fonction de la loi de l’ethnie à laquelle il appartiendrait, mais en fonction de la loi du lieu. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 22 CHAPITRE X – LE HAUT MOYEN ÂGE la réserve ou des routes ; les serfs doivent lui fournir en général 3 jours de travail par semaine. Il y a dans la villa de Saintes, un manse seigneurial de 120 bonniers de terre arable, 6 bonniers de prés, une forêt dont on estime qu’elle peut nourrir 20 porcs à la glandée. Il y a aussi 2 moulins qui ne paient pas de cens et 3 brasseries qui paient chacune une livre. Il y a aussi 19 manses qui paient tous le même cens chaque année, c’est-à-dire 15 muids d’épeautre, 12 muids d’avoine, un porc de 12 deniers et 30 fusées de lin. Tous les 3 ans, ils paient une vache, mais cette année-là, ils ne paient pas de céréales. Chaque manse paie aussi 4 poules et 10 œufs. On trouve aussi sur ce domaine 8 manses serviles qui font le service de garde et préparent les céréales pour la bière et la farine. Ils paient un muid de houblon, une poule et 5 œufs. Les habitants du domaine paient ensemble 8 sous pour le service militaire et font 2 charrois vers les vignes. Il y a aussi 13 hôtes, 7 d’entre eux paient un cens de 12 deniers. Dix femmes paient chacune 2 deniers. Nous avons trouvé là à l’engrais 5 vaches avec 3 veaux de l’année, une génisse, 30 porcs. On a aussi trouvé 60 corbeilles d’épeautre de l’année, 600 muids d’avoine et d’orge, 10 muids de fèves et 10 muids de pois.. Au total, on récolte là cette année une somme de 75 sous 10 deniers, 19 corbeilles d’épeautre, 228 muids d’avoine, 19 porcs, 19 vaches tous les 3 ans et 570 fusées de lin. Source 31 – Polyptyque de l’abbaye de Lobbes, IXe siècle [D’après DEVROEY (1986) : 13] 10.5.3. Les combats sociaux Les combats sociaux de l’époque sont mal connus. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 23 Chapitre XI – Le Bas Moyen Âge (10e – 15e s.) → Moment-clé n°4: l’arrivée des Vikings dans nos régions À la fin du 9e s., les régions nordiques (la Scandinavie) connaissent un important changement climatique : ces contrées jusque-là verdoyantes (Groenland) se couvrent de glace. Les chefs vikings – ou Normands (les « hommes du Nord ») – entrent alors en conflit pour contrôler le peu de terres encore disponibles. Les chefs vikings vaincus sont contraints à s’exiler et à prendre la mer. Source 32 – Les grandes invasions (9e-11e s.) Les Vikings embarquent donc à bord de drakkars, des navires à fond plat, et sillonnent les côtes de la mer du Nord et de la Manche. Ces embarcations égaient légères et, donc, facile à tire sur le rivage et à pénétrer à l’intérieur des terres. En effet, ils se hasardent parfois à l’intérieur des terres : là ils ravagent et mettent à sac les territoires. Les Vikings se livrent à des pillages : nous sommes surtout renseignés sur les méfaits qu’ils commettent dans la région de la Seine, de la Loire, ou de la Garonne et du Guadalquivir. En effet, il s’agit de fleuves près desquels sont installées d’importantes communautés religieuses, très productives. Dans ces régions, les Vikings se servaient en vin et faisaient de nombreux esclaves. CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 33 – Poupe de drakkar [D’après Source 34 – Reconstitution d’un drakkar, d’après une proue, Bibliocassette : 68] trouvé en Belgique [D’après Bibliocassette : 68] Cette poupe a été trouvée en 1947, près de Hamme, au cours de travaux de rectification de la Durme, là où elle débouche dans l’Escaut. Deux proues ont également été retrouvées, l’une dans la Durme et l’autre dans l’Escaut. Dans les années 870, les Vikings s’installent dans nos régions : ils établissent des camps d’hiver à partir desquels ils rayonnent, par voie fluviale, mais aussi par voie terrestre. Nous sommes essentiellement renseignés par les récits des moines, qui ont été les victimes des Vikings. Or, les événements ont été exploités – amplifiés – à l’époque afin d’entretenir un sentiment d’insécurité. Il existe néanmoins des traces archéologiques de réelles destructions comme celles l’église abbatiale de Stavelot ou de la cité de Liège (881), ou des témoignages historiques (comme la Chronique de l’abbé REGINON DE PRÜM) de réelles violences dans l’Eifel et à Prüm (892). En 882, le 29 mai, un mardi, Liège fut attaqué par les Normands ; ils l’emportèrent au premier assaut. La cité fut saccagée, ses principaux bourgeois furent massacrés, et l’Hôtel-de-Ville fut dévasté et brûlé. Source 35 – Gilles D’ORVAL […] 881. Les Normands, en infinie multitude, entrèrent dans notre monastère le 7 des calendes de janvier. Ils brûlèrent le monastère, la ville à l’exception des églises, le vicus du monastère et toutes les villae alentour, le 5 des calendes de janvier, après avoir tué tous ceux qu’ils avaient pu trouver. Ils se répandirent sur toute la terre jusqu’à la Somme, capturèrent un énorme butin d’hommes, de troupeaux, de juments. 882. Au Sud, les Francs rassemblèrent une armée contre les Normands, mais s’enfuirent tout de suite. Les Danois brûlèrent le très célèbre palais d’Aix, ainsi que des monastères et des cités : Trèves, la très noble, Cologne Agrippine, ainsi que des palais royaux et des villae ; ils tuèrent les habitants de ces terres. Contre eux, l’empereur Charles rassembla une immense armée et les assiégea dans Elsioo. Le roi Godefrid vint alors à lui ; l’empereur lui donna le royaume des Frisons qu’autrefois le Danois Rorik avait tenu ; il lui donna comme épouse Guisla, la fille du roi Lothaire, et il fit partir les Normands de son royaume. Le roi Louis cependant gagna la Loire, voulant jeter les Normands hors de son royaume et recevoir Hastings en son amitié ; ce qu’il fit. Mais il tomba malade et […] mourut le jour des nones d’août ; il fut enterré dans l’église de Saint-Denis, les Francs appelèrent son frère Carloman qui vint rapidement en France. […] Mais les Normands, au mois d’octobre, s’établirent à Condé et dévastèrent atrocement le royaume de Carloman. Le roi Carloman et son armée se tenaient à Barleux sur la Somme. Mais les Normands ne cessèrent pas leurs rapines, mettant en fuite les paysans qui avaient été abandonnés au- delà de la Somme. Ils dévastèrent tout le royaume jusqu’à l’Oise par le fer et par le feu, rasèrent les murs des églises et des monastères ; les serviteurs du culte divin périrent par l’épée ou par la faim, ou bien furent vendus LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 25 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE outre-mer ; les paysans furent anéantis, personne n’osant résister. 883. Les Normands incendièrent le monastère et l’église de Saint-Quentin et l’église de la Mère de Dieu en la cité d’Arras. Le roi Carloman poursuivit les Normands, mais il ne put faire rien d’utile. […] Sortis de Condé au printemps, les Normands gagnèrent les régions maritimes ; là, au cours de l’été, ils forcèrent les Flamands à fuir hors de leur terre et, sévissant de toutes parts, ils dépeuplèrent le pays par le fer et par le feu. […].” Source 36 – Annales de Saint-Vaast La même année, au mois de novembre, deux rois normands, Godefroid et Sigefroid, prirent position avec une troupe innombrable d’hommes allant à pied et à cheval en lieu que l’on appelle Asselt (en aval de Ruremonde, Limbourg hollandais), sur la Meuse… Ils dévastent la région voisine, ils brûlent la cité de Liège, le bourg de Maastricht et la ville de Tongres ; au cours d’une seconde incursion, répandant massacres, pillages et incendies dans la région des Ripuaires, ils dévastent tout : la Cité de Cologne et celle de Bonn, avec les bourgs voisins sont la proie des flammes ; après cela, ils réduisent en cendres Aix-la-Chapelle et les abbayes de Malmedy et de Stavelot. Source 37 – Reginon de Prüm, Chronique (début du 10e s.) Les rois se montrent souvent incapables de repousser l’assaut des Vikings. Ils sont donc contraints à négocier avec eux. Le roi de France leur cède ainsi une partie de son territoire : l’Armorique devient la Normandie. Évidemment, le roi en ressort affaibli et la population se tourne alors naturellement vers les notables les plus proches (seigneurs, évêques, abbés) afin d’obtenir leur protection. Le pouvoir du roi se disloque ainsi au profit des seigneurs territoriaux (princes, ducs, comtes, évêques, abbés) qui commencent à exercer en leur nom propre les pouvoirs attribués anciennement au roi : ils se mettent à rendre la justice, à battre monnaie, lever les impôts… À la même époque, l’Europe connaît d’autres invasions, notamment celle des Arabes et celle des Hongrois. 11.1. Cadre historique et territorial Le pouvoir carolingien s’était décomposé au fur et à mesure des partages successoraux. Très vite, les dignitaires qui à l’origine exerçaient les pouvoirs publics (notamment la levée de l’impôt) au nom du roi, l’exercèrent en leur nom propre. Ainsi se formèrent les « principautés territoriales », parmi lesquelles figurent, pour nos régions : LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 26 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE 1. Le comté de Hainaut 2. Le comté de Louvain 3. Le duché de Limbourg 4. Le duché de Brabant 5. Le comté de Luxembourg 6. Le comté de Namur 7. La principauté de Liège Source 38 – Les « principautés territoriales » dans nos régions À partir du 12e siècle, les territoires se regroupent à la suite d’une politique matrimoniale ou à la suite d’annexions ou de conquêtes. Dans la première moitié du 15e s., les ducs de Bourgogne réuniront ces territoires sous leur domination et formeront les Pays-Bas. En 1468, la principauté et la cité de Liège sont anéanties. À l’intérieur des principautés territoriales, les « petits » seigneurs accaparent les pouvoirs « du ban » : ainsi apparaissent, à partir de la seconde moitié du 11e s., les « seigneuries banales », comme celle de Jauche (prov. Namur) et Waimes (Malmedy). 11.2. Le mode de vie L’an mil connaît un véritable essor aussi bien rural qu’urbain : les défrichements permettent d’ouvrir de nouveaux espaces tandis que les villes réapparaissent après avoir presque disparu durant le Haut Moyen Âge. 11.2.1. L’alimentation Dans les campagnes, puisque la chasse est réservée à l’aristocratie, les paysans consomment peu de viande, d’autant que l’Église oblige le respect du jeûne durant le Carême. On consomme ainsi essentiellement les céréales et les légumineuses. Les paysans consomment le seigle notamment sous forme de pain noir. Ils complètent leur alimentation par des bouillies de céréales, des soupes, des légumineuses (lentilles et fèves) ou de la farine de châtaigne. Dans les villes, l’alimentation est plus diversifiée : il est possible de trouver sur les marchés fruits et légumes, viande ovine et porcine. La céréale la plus vendue en ville reste le froment qui donne un pain blanc (ce qui différencie la population urbaine de la population campagnarde). LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 27 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE D’un point de vue alimentaire, la ville dépend de la campagne puisqu’on n’y trouve aucun jardin ni potager. Dès lors, durant les périodes de disette, les prix flambent et seules les couches les plus aisées peuvent se permettre une alimentation devenue coûteuse. Le poisson est également consommé, de préférence salé, ce qui le permet de le conserver plus longtemps : le hareng saur est ainsi consommé à partir du 11e s. dans les ports de la Manche. Il reste un bon complément alimentaire (le hareng devient ainsi la « viande du pauvre »). La bière apparaît au Moyen Âge et remplace progressivement le vin (de tradition romaine) ou la cervoise (de tradition celte). La population est généralement mieux nourrie : elle résiste donc mieux à la maladie et la population augmente ainsi du 10e au 13e s. Néanmoins, une grande famine ravage nos régions de 1315 à 1317. Il s’en suit une épidémie de peste noire de 1349. À certains endroits, près d’un tiers de la population succombe à la peste. À la fin du Moyen Âge apparaissent les premiers livres de cuisine : on y trouve des recettes où l’on recourt souvent aux épices (gingembre, cannelle, poivre, clou de girofle). Le raffinement entre dans les cuisines de l’aristocratie : le noble apprend à déguster, à savourer. On propose de nouveaux plats : potages ou brouets, viandes en sauces et légumes, fruits et oiseaux. À cette époque, un décalage se marque de plus en plus fort entre la table du riche et celle du pauvre. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 28 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 39 – Miniature du 15e siècle, extraite de Jean Wauquelin, Les Chroniques du Hainaut, Bruxelles : Bibliothèque royale, manuscrit 9243, folio 225 [Bibliocassette 31] 11.2.2. L’habitat À partir du 11e s., grâce aux défrichements, de nouveaux espaces sont ouverts et les villages se multiplient. Les campagnes rassemblent la majorité de la population médiévale. On y trouve à côté des logis de nouveaux bâtiments annexes : granges, écuries, étables. Très souvent, ces bâtiments sont distribués autour d’une cour. Dans nos régions, on trouve surtout des bâtiments en matériaux fragiles (torchis, chaume). Si l’armature reste en bois, les fondations sont à présent en briques ou en pierres. Par ailleurs, très souvent, une partie de la maison est enterrée : la maison n’est donc pas très haute. Ces maisons portent le nom de chaumière, en raison de leur toit en chaume. Les ouvertures sont rares, et généralement petites : il fait donc très sombre. La fenêtre est fermée par un volet en bois ; il n’y a pas de vitre. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 29 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 40 – La maison rurale [Bibliocassette 8] Vue extérieure d’une hutte-cave ou hutte mi-souterraine (13 e. s) reconstituée au Musée de Bokrijk Progressivement, on abandonne les matériaux fragiles (torchis et chaume) pour des matériaux plus solides. Les paysans doivent donc faire appel à des corps de métier spécialisés pour la réalisation d’une telle architecture : charpentier et, plus tard, maçon. Les cheminées tardent à apparaître, souvent un dallage en pierre sert de couverture de sol. De même, les fenêtres sont rares : la maison est donc un lieu à la fois sombre et enfumé. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 30 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 41 – Détail d’une miniature (fol. 232) extraite des Chroniques du Hainaut, réalisée entre 1445 et 1450 © KBR [D’après D’HAENENS : 137] Le seigneur habite généralement un château. À l’origine, il s’agit d’une simple « motte castrale », c’est-à-dire d’une petite tour en bois, dressée au somment d’une butte artificielle fortifiée. On y distingue alors deux parties : la partie surélevée, la haute cour, qui sert de repli défensif, et la partie basse, la basse cour, dans laquelle on retrouve les installations économiques. Progressivement, à partir du 12e s., la tour en bois va faire place à une construction en pierre : le donjon. Et, autour du donjon, vont se développer les châteaux forts proprement dits : on y trouve traditionnellement, à partir du 13e s., des archères, un chemin de ronde, un pont-levis et des mâchicoulis de pierre qui permettent de surveiller le pied des murailles. Dans ce pays, les hommes les plus riches et les plus nobles (…) ont l’habitude, afin d’être mieux protégés de leurs ennemis et afin de l’emporter par une plus grande puissance sur leurs égaux ou d’écraser ceux qui sont plus faibles qu’eux, d’élever à l’aide de remblais une motte de terre de la plus grande hauteur possible, de creuser autour un fossé largement ouvert et d’une grande profondeur, de fortifier sur toute sa périphérie le bord supérieur de cette motte à l’aide d’une palissade faite de pièces de bois équarries, très solidement liées à la manière d’un mur, de disposer des tours sur le pourtour selon les possibilités, de bâtir à l’intérieur et au milieu de cette enceinte une maison ou une [forteresse] qui domine l’ensemble. La porte d’entrée de cette résidence ne peut être atteinte que par un pont, qui partant de la lèvre extérieure du fossé, s’élève peu à peu. Source 42 – Gauthier de Thérouane, Vita Johannis episcopi Terrannensis, 1130 [D’après FOURNIER (1978) : 327] LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 31 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 43 – Motte castrale Source 44 – Tour Burbant (Ath, Source 45 – Château des comtes de Flandre (Gand, 1180) 1166) La première fortification remonterait au 9e s., à l’époque des invasions Il s’agit du donjon du château d’Ath, vikings. Un premier château, en bois, fut alors érigé au 10e s., avant d’être érigé par Baudouin IV, comte de remplacé par le château actuel au 12e s. Il s’agissait à l’origine d’un Hainaut, à la frontière entre le comté donjon de 3 étages qui fut par la suite entouré de murailles. de Hainaut et le comté de Flandre. À partir de l’an mil, les villes connaissent un nouvel essor : la ville attire une population qui se livre à des activités artisanales ou marchandes. Les villes se développent principalement grâce au commerce renaissant. Elles prospèrent ainsi le long des grandes voies commerciales, notamment les fleuves (Escaut, Meuse) et à leurs affluents : - au confluent de deux cours d’eau navigables : Gand, Liège, Namur ; - à l’intersection d’un cours d’eau et d’une route : Bruxelles, Louvain, Alost, Maastricht, Cologne ; - en lieu d’étape de batellerie : Dinant, Namur, Huy, Liège ou Maastricht ; - au croisement de deux routes : Douai ; - au bord de la mer ou au fond d’un estuaire : Bruges ou Anvers ; - à l’extrémité navigable d’un cours d’eau : Ath, Bruxelles ou Maubeuge. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 32 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE En Wallonie, les deux villes les plus importantes pour nos régions sont Tournai et Liège. Et à cette époque, de nouvelles villes apparaissent comme Mons. La ville se distingue par son enceinte : il s’agit au départ de simples palissades puis, à partir du 13e s., de véritables remparts comme à Tournai, Mons, Binche, Namur, Huy ou Liège. Cette enceinte permet de distinguer le centre urbain (le bourg) de l’extérieur de la ville (le faubourg). Et, quelle que soit la situation ou la taille de la ville, ses habitants ont le sentiment d’appartenir à un monde à part , indépendant du seigneur qui possédait avant le lieu. Villes Première enceinte Deuxième enceinte Liège De 985 à 1008 À partir de 1203 Louvain De 1100 à 1200 De 1356 à 1400 Bruxelles De la fin du 12e au début du 13e s. De 1357 à 1383 et au 15e siècle Bruges Avant 1127-1128 De 1297 à 1300 Gand De 1100 à 1125 Pas de deuxième enceinte Paris De 1180 à 1210 De 1365 à 1380 Source 46 – Périodes de construction de quelques grandes villes de nos régions et de Paris Très vite, des bâtiments communaux se construisent au centre de la ville : on érige au cœur de la cité, le beffroi (dont le clocher donne l’heure civile, indépendante de l’heure du clocher de l’église, et dont la tour peut servir de tour de guet ou de prison), la maison communale (où est conservé le sceau, signe de l’indépendance juridique de la ville) et, progressivement, la cathédrale qui se veut imposante, à l’image de la richesse de la cité. Les villes s’organisent en quartiers et rues. Souvent, un même métier habite une même rue, ce qui explique des noms de rues, comme « la rue des Bouchers » ou la « rue des Tanneurs »… Au départ, les rues ne sont pas aménagées : il s’agit à l’origine de chemins en terre battue et, progressivement, elles sont pavées. Dans ces villes, à partir du 11e s., les maisons sont construites sur un nouveau modèle : la maison monofamiliale et multifonctionnelle. Les maisons suivent au départ le modèle paysan, mais, à partir du 13e s., à cause de l’augmentation de la population urbaine et de l’espace limité de la ville, l’urbanisme adopte un nouveau modèle : la maison étagée en pierre. Au rez-de-chaussée, on trouve l’ouvroir ou la boutique qui donne directement sur la rue. On trouve la partie privée à l’arrière (la salle constitue à la fois une pièce à vivre et une pièce à travailler) et à l’étage (les chambres). Pour certaines professions, l’atelier est situé à l’étage : le tisserand de drap choisit l’étage pour la lumière, l’orfèvre pour la sécurité des bijoux qu’il travaille. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 33 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 47 – Construction des villes Petit à petit, l’élite commerciale se distingue par l’architecture de leurs maisons : elles sont plus vastes et plus luxueuses et on y trouve jardins et écuries. Ces maisons s’inspirent du château seigneurial : on retrouve la salle de réception (aula ou cour) voûtée, l’une ou l’autre tour, ainsi qu’une chapelle privée ou un oratoire privé. Cet habitat se distingue également par ses aménagements : on y trouve les derniers progrès (cheminées, vitres, tuiles ou briques). Les fenêtres adoptent généralement, chez les plus riches, les vitraux colorés ou des toiles huilées ou cirées et fermées par des volets. Ces volets sont en bois, souvent travaillés. Les moins riches se contentent de simples planches de bois pour obstruer les ouvertures. Dans les habitations, les meubles restent rares : lorsqu’il ne s’agit pas d’un matelas de plumes ou de déchets textiles jeté sur un simple cadre en bois rempli de paille, le lit reste le meuble le plus fréquent de la maison médiévale. On peut encore trouver des coffres et des étagères et, dans les villes, les placards et les dressoirs. Les tables sont souvent faites d’une planche posée sur des tréteaux jusqu’à l’apparition des tables à quatre pieds. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 34 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 48 – La maison urbaine médiévale [Bibliocassette 8] 11.2.3. L’habillement Durant le Moyen Âge, l’habit est un signe de distinction sociale et chaque classe sociale se reconnaît à son vêtement.7 Faute de reste archéologique, l’habillement est surtout connu par les sources iconographiques. Le vêtement populaire est un vêtement uniforme, fait à base d’étoffe et de teintures médiocres. Les couleurs les plus appréciées sont le rouge au début du Bas Moyen Âge et le bleu à la fin de cette époque. Il n’existe pas à l’époque de vêtements de saisons : en fonction du froid, on superpose plusieurs couches. Dans l’aristocratie, la toile est utilisée pour les sous-vêtements et les vêtements d’été tandis que la laine est utilisée pour les vêtements du dessus. À la fin du Moyen Âge apparaissent les fourrures (chevreau, lapin, vair ou zibeline) qui sont portées le poil à l’intérieur. Les couleurs des vêtements aristocratiques sont souvent le noir, le violet ou le vert. 7L’expression « l’habit ne fait pas le moine » remonte au Bas Moyen Âge. À cette époque, les membres du clergé bénéficiaient d’une justice qui lui était favorable : les juridictions ecclésiastiques. Pour lutter contre ces juridictions ecclésiastiques, les juridictions civiles ont réclamé que les prêtres et les moines démontrent leur appartenance au clergé autrement que par leur vêtement ou leur tonsure. Si cette appartenance ne pouvait être prouvée, ils étaient alors jugés par les juridictions civiles. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 35 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE La mode apparaît à la fin du Moyen Âge : la noblesse se met à imiter les usages méditerranéens (pourpoint et chausse). Quelle que soit la classe sociale, la coiffe a une importance particulière : on ne peut se présenter découvert, tête nue. Les paysannes portent le voile puis, à la fin du Bas Moyen Âge, le chaperon ; tandis que les nobles dames portent toiles et soieries savamment agencées. 11.2.4. La santé Du fait de l’amélioration des techniques agricoles, la population est généralement mieux nourrie : on assiste ainsi à un véritable essor démographique. On estime ainsi la population européenne au début du Bas Moyen Âge à 22 millions d’habitants pour 54 millions d’habitants au début du Moyen Âge final. De même, l’espérance de vie augmente ainsi que le taux de natalité. Néanmoins, l’hygiène reste rudimentaire. Dans les villes, on trouve des établissements où il est possible de se laver : l’étuve et le bain. Il s’agit d’établissements à la fois publics et mixtes. Ces étuves seront fermées vers 1500 parce qu’on s’y livrait souvent à la prostitution. L’étuve (eau chaude) proprement dite sert à la transpiration qui permet un nettoyage en profondeur. Le bain (eau froide) est, quant à lui, utilisé pour le rinçage et la purification. Source 49 – Scène de bain au 14e s, d’après une miniature belge tirée du roman d’Alexandre conservé à la Bodleian Library d’Oxford, manuscrit 264, folio 75 [Bibliocassette 35] Avec le Bas Moyen Âge, les premières institutions hospitalières apparaissent : il s’agit alors d’institutions charitables dont le but premier est de recueillir les indigents, leur fournir un toit, plutôt que les soigner à proprement parler. Néanmoins, on trouve dans ces hôpitaux un personnel médical (médecins, chirurgiens, barbiers, infirmières), souvent issus du clergé. En plus des soins, les religieux préparent le malade à affronter la mort, notamment par la prière. Dans les abbayes, les traités de médecine de l’Antiquité sont conservés et recopiés dans les moines. À partir de la fin du 12e siècle, la médecine se professionnalise : on trouve de plus en plus de médecins laïcs. Les diagnostics sont encore limités : ils se fondent sur l’observation des LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 36 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE particularités du sang (couleur, densité), des urines, de la bile (jaune ou noire). Le médecin commence à prescrire des médicaments à base de plantes, de « drogues », d’épices… Des hôpitaux sont ainsi connus à Huy (le Grand Hôpital – 1263) ou, plus tard, à Ath (La Madeleine – 1448). Le Bas Moyen Âge connaît une série d’épidémies, notamment de nombreuses épidémies de peste. À cette occasion, les médecins conseillent l’éloignement des malades : l’épidémie n’est plus considérée comme un fléau divin, mais trouve ses causes dans la proximité avec les animaux. L’an 1124 de l’Incarnation de Notre Seigneur, au mois d’août, apparut à tous les habitants de la terre (…) une éclipse sur le corps du soleil (…). En ce temps de famine, au milieu du Carême, des hommes de notre terre, habitant près de Gand, de la Lys et de l’Escaut, mangèrent de la viande, le pain leur faisant totalement défaut. Quelques-uns, en se rendant vers les cités et autres villes pour s’y procurer du pain, moururent de faim avant d’avoir parcouru la moitié de la route. Près des domaines et des fermes des riches, près des forteresses et des châteaux, les pauvres, se traînant avec peine, moururent en mendiant. Chose étonnante, aucun dans notre pays n’avait conservé son teint naturel, mais sur tous voyait une pâleur semblable à celle de la mort imminente. C’est que sains et malades languissaient parce que celui dont le corps était sainement constitué devenait malade à voir la misère des mourants. (…) Source 50 – Galbert de Bruges, Le meurtre de Charles le Bon, 1127 [D’après VAN CAENEGHEM & GENGOUX (1978) : 78-79] 1360-1362 Comté de Flandre (Gand), principauté de Liège, comté de Namur 1363-1364 Principauté de Liège, duché de Limbourg 1368-1369 Flandre, Namur, Brabant, Tournai, Picardie 1371-1372 Hainaut 1382-1384 Namur 1400-1401 Flandre, Hainaut, Tournai, Luxembourg, Liège, Brabant 1409 Namur, Flandre 1438-1439 Flandre, Hainaut, Tournai, Brabant, Liège, Namur 1450-1454 Flandre, Brabant, Hainaut 1456-1459 Brabant, Artois, Namur, Flandre 1466-1472 Flandre, Malines, Brabant, Hainaut, Liège, Artois 1481-1485 Flandre, Brabant, Hainaut, Liège, Artois 1487-1490 Flandre, Brabant, Hainaut, Namur 1492-1494 Luxembourg Source 51 – Épidémies de peste dans les Pays-Bas méridionaux de 1353 à 1500 LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 37 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 52 – L’enterrement des victimes de la peste de 1349 à Tournai. Miniature, de Pierart de Tielt ou de son atelier, réalisée à Tournai vers le milieu 14e s. Bruxelles : Bibliothèque royale, manuscrit 13076-13077, folio 24 verso [Bibliocassette 40] 11.3. Les activités économiques Le Bas Moyen Âge est une période de forte croissance économique. La cause est à chercher dans les nouvelles techniques agricoles qui, si elles ne sont pas extraordinaires, mais appliquées à grande échelle, permettent l’augmentation de la production. Cette augmentation de la production a deux conséquences : d’une part, une augmentation de la population et, d’autre part, la production de surplus qui peuvent être commercialisés en dehors des campagnes. 11.3.1 La production : agriculture et élevage Comme dans tout le Moyen Âge, la terre est la principale source de richesse et nourrit la majorité de la population. À partir du 13e s., se diffuse la culture du Houblon (Brabant wallon), ou celle des plantes industrielles comme le lin (Namurois, Brabant, Hainaut, Tournaisis) et la guède ou le pastel (Brabant, Hesbaye). Au tour de l’an mil, de nouvelles techniques sont progressivement introduites et généralisées : nouveau rapport au sol, nouvelles formes d’énergie… Du 11e s. au 13e s., on procède à de grands défrichements ou « gagnages » : on étend ainsi les terres arables. Il s’agit sans doute d’une politique qu’il faut mettre au compte des grands propriétaires fonciers (princes, abbayes ou seigneurs) : ceux-ci attirent des paysans sur les terres à valoriser, notamment en leur octroyant un certain nombre de « privilèges », de LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 38 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE « libertés » ou de « franchises ». Ces défrichements sont encore rendus possibles par la longue période de paix que connaît le Bas Moyen Âge, où paysans et récoltes sont en sécurité. Les défrichements menés au Haut Moyen Âge connaissent un recul au début du 14e s., au moment où le climat se refroidit. On voit alors dans les forêts le lieu où trouver le bois de chauffage ou le bois de construction ainsi que l’endroit de pacage des troupeaux. Techniquement, on n’assiste pas à de véritables innovations mais à la généralisation de l’emploi d’outils connus anciennement, comme la charrue par exemple. Ainsi, la charrue finit par supplanter l’araire et la houe : on fait ainsi plus généralement appel à l’énergie animale plutôt qu’à l’énergie humaine. De même, l’attelage est amélioré : on utilise à présent le joug frontal pour les bœufs ou le collier d’épaule et l’attelage en file pour les chevaux. Le bœuf est le plus souvent utilisé au début du Moyen Âge : il a l’avantage de ne pas demander trop de céréales mais il est fort lent et peu puissant. Le cheval – plus puissant, mais plus vorace que le bœuf – finit par le remplacer : il est ainsi attesté à Fontaine-l’Évêque dès 1212 ! Durant le Bas Moyen Âge, les terres fertiles du Brabant, de la Hesbaye ou du Hainaut sont mises en culture. On pratique alors soit la rotation soit l’assolement triennal. Dans les petites exploitations familiales, depuis les Carolingiens, les paysans organisent une rotation des cultures. La pratique de l’assolement triennal, appliqué à des exploitations agricoles plus vastes, se diffuse à partir du 13e s. Cette politique permet sans doute de doubler le volume de la production de blés. L’assolement triennal des cultures repose sur une division des terres en trois quartiers (champs de l’ouest, champs du nord et champs du sud). Sur ces quartiers, tous les paysans cultivent les mêmes espèces au même moment. Champ de l’ouest Champ du nord Champ du sud Année A Jachère Blés d’hiver Céréales de printemps Année B Blés d’hiver Céréales de printemps Jachère Année C Céréales de printemps Jachère Blés d’hiver Source 53 – La rotation triennale [D’après POLO DE BEAULIEU (2004) : 83] LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 39 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 54 – Miniature, 12e s. À côté de l’énergie animale, l’homme du Bas Moyen Âge exploite également l’énergie hydraulique et, dans le nord, l’énergie éolienne : le moulin à eau et le moulin à vent se répandent à partir du 12e s. Les moulins à eau étaient de deux types différents : - les plus simples présentaient une roue à aubes entraînée par le courant de la rivière ; - les plus complexes étaient actionnés par une chute d’eau, ce qui nécessitait la construction d’un étang de retenue en amont et d’un bief amenant l’eau sous la roue motrice. La puissance dépendait donc soit de la hauteur de la chute, soit du débit du cours d’eau. L’élevage se concentre sur le petit bétail même si les textes parlent des volailles (poules, poulets, poulardes, oies), des suidés (gorets, porcs), des bovidés (bœufs, vaches, veaux), ovins (moutons, brebis et agneaux). L’élevage connaît des progrès : le cheval est utilisé comme bête de trait ; et la demande croissante de laine pour l’industrie drapière oblige à intensifier l’élevage de moutons. LIVRE SECOND : L’HISTOIRE S.S. DEUXIÈME PARTIE : LE MOYEN ÂGE 40 CHAPITRE XI – LE BAS MOYEN ÂGE Source 55 – Avril, juin et décembre. Miniatures du bréviaire Mayer van Bergh, livre d’heures du 15e s. illustré par des scènes de la vie du village qui se déroulaient à mois fixe [Bibliocassette 252] 11.3.2. Les techniques : l’artisanat L’artisanat est pratiqué à la fois à la campagne et à la ville, si ce n’est qu’à la ville, il fait intervenir un nombre de métiers importants qui ont tous leur spécialité alors qu’à la campagne, il s’agit de la même personne qui est à l’œuvre dans la transformation du produit brut en produit fini. Ainsi, en ville, la confection d’un drap fait intervenir pas moins de vingt métiers différents, tous hiérarchisés. La Flandre se spécialise dans la confection des draps et des toiles, dès le 13e s. L’activité principale était la fabrication de draps et de toiles. Clémence la peigneresse sera bien payée parce qu’on n’a jamais vu peigner aussi bien la laine. Cécile la fileresse préfère le fil filé à la quenouille et non celui filé au rouet qui a trop de nœuds. Cyprien le tisserand s’engage à tisser un drap rapidement, en trois ou quatre jours. Drap qui sera ensuite foulé par Colin le foulon et tondu par Conrad le tondeur. Elias le teinturier a récemment déménagé et met trop longtemps à teindre le drap, aussi le marchand drapier Florent craint de perdre de l’argent. Il est un homme riche qui donne volontiers des aumônes… Pour le lin, Jeanne qui sait bien le sérancer (i.e. peigner) emploie quatre séran