Première partie - Le monde depuis 1945 PDF
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Jean Le Bihan
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Ce document est un chapitre d'un cours d'histoire sur le monde après 1945. Il aborde les conséquences de la Seconde Guerre mondiale, les changements territoriaux et la création de nouvelles institutions internationales.
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1 Chapitre 1 Le monde en 1945 : au seuil d’une nouvelle ère Après cinq années de conflit, les Alliés – principalement les États-Unis, la Grande- Bretagne, l’URSS et la France – parviennent à vaincre les puissances de l’Axe – l...
1 Chapitre 1 Le monde en 1945 : au seuil d’une nouvelle ère Après cinq années de conflit, les Alliés – principalement les États-Unis, la Grande- Bretagne, l’URSS et la France – parviennent à vaincre les puissances de l’Axe – l’Allemagne et l’Italie. Précisément, le Troisième Reich capitule le 8 mai 1945 et le Japon le 2 septembre après le lancement, les 6 et 9 août, de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki qui font plus de 200 000 morts. Mais la sortie de guerre a été préparée pendant la guerre elle-même : par la Charte de l’Atlantique, déclaration du président américain Roosevelt en août 1941 ; par la Déclaration des nations unies, signée en janvier 1942 par 26 pays réunis à l’initiative des États-Unis qui s’engagent à poursuivre le combat contre l’Axe ; par la Conférence de Téhéran, organisée en novembre 1943, qui appelle à la naissance d’un monde démocratique placé sous l’égide des grandes puissances. Cette guerre qui s’achève n’est pas un conflit comme les autres : par son ampleur, sa barbarie, elle constitue au contraire une rupture historique fondamentale. C’est pourquoi le monde de 1945 apparaît comme définitivement changé et nouveau. 1. Un monde sinistré 1.1. Une catastrophe humaine Les sociétés sont meurtries dans leur chair. La guerre est en effet responsable de plus de 50 millions de morts. Les pertes se montent à 20 millions de tués en URSS, à 7 millions en Allemagne, à 600 000 en France, à 500 000 en Grande-Bretagne, à 300 000 aux États-Unis. Cela représente une moyenne de 13 000 morts par jour côté soviétique, 3 500 côté allemand, 330 côté français. Le conflit a été cinq fois plus meurtrier que la Première Guerre mondiale, avec cette particularité qu’il a touché de nombreux civils du fait du perfectionnement des armes, dont témoigne la puissance dévastatrice des bombardements, et de la politique génocidaire du Reich. La Seconde Guerre mondiale est une guerre totale. Sans compter qu’aux morts s’ajoutent d’innombrables blessés et personnes diminuées physiquement du fait de leur séjour dans les camps ou par suite d'une mauvaise alimentation (voir la lecture proposée à la fin du chapitre, p. 7-8). L’immédiat après-guerre entraîne par ailleurs des déplacements de population considérables. Ainsi les Soviétiques procèdent systématiquement à l'expulsion des Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 2 populations allemandes installées, parfois depuis des siècles, en Europe orientale : Allemands de Tchécoslovaquie (les Sudètes), de Pologne, de Silésie et de Prusse orientale. Au total, ce ne sont pas moins de 11 millions de personnes qui quittent cette partie du continent, ce qui pourrait faire de cette migration la plus importante de l’histoire. Ces personnes vont principalement s’établir dans la partie occidentale de l'Allemagne, où elles constitueront une main d'œuvre qualifiée et déterminée. Ce n'est pas tout : trois millions de Polonais s'installent dans les territoires annexés aux dépens de l'Allemagne alors qu'un million et demi immigrent depuis ceux que la Pologne a cédés à l'URSS ; 410 000 Finlandais fuient la Carélie annexée par les Soviétiques, et 200 000 Baltes quittent leurs pays sitôt ceux-ci intégrés à l'URSS. 1.2. Des destructions sans précédent Les dégâts matériels sont considérables dans la plupart des pays belligérants. Toutes les villes allemandes, ou peu s'en faut, ont été rasées ou ravagées. L'URSS a été particulièrement atteinte dans ses régions les plus riches. Aux conséquences des combats il faut en effet ajouter les effets de la tactique de la terre brûlée, pratiquée par les deux camps : par exemple, lors de l'avancée allemande, les Soviétiques ont saboté le plus grand barrage édifié sur le Dniepr, qui était l’orgueil du régime. La France a quant à elle subi les destructions de la campagne de 1940, les pillages perpétrés par les Allemands au cours des quatre années d’occupation, et surtout les ravages provoqués par la très violente campagne de libération en 1944 : de nombreuses villes de l'Ouest, en particulier Brest, Lorient, Caen, Le Havre, ne sont plus que des champs de ruines en 1945. À cette date, les infrastructures de transport sont considérablement endommagées. En revanche, les États-Unis et le Canada connaissent évidemment peu de dommages. En conséquence de nombreux pays sont ruinés. Il s’ensuit une baisse du niveau de vie, dont témoigne, en France, la mise sur pied d’un système de tickets de rationnement, qui sera maintenu jusqu’en 1949. 1.3. Le choc moral Enfin les sociétés de l’après-guerre sont traumatisées. Non seulement elles sortent de plusieurs années dominées par la peur, mais elles prennent la mesure du potentiel terriblement destructeur de l’arme nucléaire, appelée à peser sur le nouveau monde à la manière d’une épée de Damoclès, et surtout découvrent avec effroi l’existence des camps de la mort. Ceux-ci Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 3 témoignent aux yeux du monde de l’entreprise d’extermination de masse des juifs que l’on appelle le Génocide ou la Shoah en hébreu et qui a fait quelque 6 millions de victimes. Les hauts responsables du Troisième Reich sont jugés dans la ville de Nuremberg, citadelle du national-socialisme, entre novembre 1945 et octobre 1946. Le procès dure 216 jours et débouche sur plusieurs chefs d’accusation, dont celui de crime contre l’humanité, créé pour l’occasion en vue de condamner les atrocités commises par l’Axe et d’affirmer l’imprescriptibilité des droits de l’homme en temps de guerre. Douze des 24 inculpés sont condamnés à mort, 10 à des peines d’emprisonnement, et 2 sont acquittés. La volonté de venir en aide à la communauté juive se traduit à l’échelle internationale par la création en 1948 de l’Etat d’Israël, où partent aussitôt s’installer de nombreux juifs (voir le chapitre 3). Mais au sein des populations européennes, le désir de tirer un trait sur ces années noires l’emporte vite. En France, par exemple, il faudra attendre les années 1970 pour que le travail de mémoire s’opère enfin, grâce aux initiatives conjuguées d’historiens, d’écrivains, ou encore de cinéastes comme Claude Lanzmann, réalisateur du film Shoah en 1985. 2. Des frontières modifiées En 1945, deux conférences internationales destinées à organiser la paix dessinent une nouvelle carte du monde : la première a lieu à Yalta, en Crimée, en février, et réunit Roosevelt (président des États-Unis), Staline (secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique) et Churchill (Premier ministre du Royaume-Uni) ; la seconde se déroule à Potsdam, dans la banlieue de Berlin, en juillet, et réunit cette fois Truman, successeur de Roosevelt, Attlee, successeur de Churchill, et Staline. À l’issue de ces deux conférences, les frontières du monde de l’époque sont modifiées en deux zones principales : en Europe et en Extrême-Orient. 2.1. En Europe (voir carte 1, p. 4) L’Allemagne et l’Autriche disparaissent momentanément de la carte. Elles sont découpées en quatre zones d’occupation – américaine, soviétique, britannique et française – et leurs capitales, Berlin et Vienne, passent sous administration internationale. L’Allemagne perd en outre tous les territoires qu’elle a conquis depuis 1933 ainsi que la Silésie, la Poméranie et la Prusse orientale, de sorte que sa frontière orientale est déplacée sur la ligne Oder-Neisse, qui la sépare à présent de la Pologne. L’Italie cède pour sa part l’Istrie, Fiume et Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 4 Zara à la Yougoslavie, la Roumanie abandonne la Dobroudja à la Bulgarie et la Bessarabie à l’URSS. A contrario, l’URSS et la Pologne s’étendent. C’est l’URSS qui réalise l’expansion la plus spectaculaire en s’appropriant notamment la Carélie finlandaise, les Pays baltes, une partie de la Prusse Orientale – auparavant allemande – et la Ruthénie tchécoslovaque. La Pologne, elle, s’étend vers l’ouest. Carte 1 – L’Europe en 1945 2.2. En Extrême-Orient Le Japon perd ses conquêtes : la Mandchourie et Formose sont appropriés par la Chine, les Îles Kouriles et le sud de Sakhaline le sont par l’URSS, tandis que la Corée est divisée en deux, le nord passant sous influence communiste, le sud sous influence américaine. Ce qu’il reste de l’empire nippon est placé sous tutelle américaine. Les États-Unis provoquent alors l'entrée forcée du Japon dans la modernité politique en lui imposant une constitution qui dépossède l'empereur de son statut divin et institue le parlementarisme. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 5 3. Vers un nouvel équilibre mondial ? 3.1. Deux nouveaux venus : l’ONU et le FMI À la fin de la guerre, plusieurs institutions internationales sont mises en place en vue d’assurer la paix et la stabilité du monde. La plus importante est l’Organisation des Nations unies, dont la création a été préparée par de nombreuses conférences internationales tenues au cours de la guerre, notamment celle de Yalta (voir plus haut). L’ONU naît précisément en 1945, à la Conférence de San Francisco ; elle prend alors le relais de la Société des Nations (SDN) qui avait été instituée à la fin de la Première Guerre mondiale et que son impuissance à combattre la montée des totalitarismes avait ensuite discréditée. Elle compte une cinquantaine d’États membres en 1945. Son siège est établi à New York. Les missions de l’ONU sont de plusieurs ordres : sauvegarder la paix grâce aux forces armées fournies par les États membres ; garantir le droit, qu’il s’agisse des droits de l’homme, réaffirmés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ou du droit international, destiné à régler les relations entre États ; œuvrer à la justice et au progrès, ce qui passe par la condamnation de l’exploitation coloniale. Pour mener à bien ces missions, l’ONU se dote d’un Conseil de sécurité. Composé à l’origine de 11 membres, dont 5 permanents (États-Unis, URSS, Chine, Grande-Bretagne, France) qui disposent d’un droit de veto, c’est lui seul qui adopte des résolutions. Tous les États membres participent bien à l’assemblée générale mais celle-ci n’émet que des recommandations ou délibérations. À l’ONU se rattachent toute une série d’institutions internationales plus spécialisées, dont le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). 3.2. Anciennes et nouvelles puissances En 1945, deux États s’affirment comme les deux nouvelles grandes puissances mondiales : les États-Unis et l’URSS. Les États-Unis surclassent tous leurs rivaux. Leur domination militaire est éclatante, comme en témoignent leur contribution décisive à la victoire alliée et leur monopole de l’arme atomique, qui durera jusqu’en 1949. Elle est aussi économique : la dépression des années 1930 a été vaincue ; c’est l’heure du plein emploi, de la croissance. Le pays dispose en outre d’une monnaie solide, le dollar, seule convertible en or et consacrée monnaie internationale lors de la Conférence de Bretton Woods. Confiance et Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 6 optimisme règnent aux États-Unis. Quant à l’URSS, si elle a subi de lourds dommages pendant le conflit (voir plus haut), elle fait tout de même figure de vainqueur du nazisme, ce qui lui vaut un immense prestige idéologique et renforce son influence. Staline sort plus puissant que jamais de la guerre et en profite pour étendre son contrôle sur l’Europe de l’Est. En revanche, le déclin de l’Europe, amorcé dès la Première Guerre mondiale, s’accentue, notamment sur le plan économique. En conséquence, la crainte de la décadence du vieux continent, qui tourmente certaines élites européennes depuis le début du XX e siècle, s’intensifie. Elle a pour effet de relancer le projet de construction européenne*, conçu par des intellectuels comme Jules Romains, Johan Huizinga ou Karl Jaspers, comme le plus sûr moyen d’enrayer cette évolution. Enfin, les Suds s’éveillent. L’occupation des colonies par les forces l’Axe ou du Japon, auxquelles n’ont pas résisté les métropoles, a entamé le prestige de ces dernières. L’homme blanc, supposé jusque-là invincible, apparaît à présent vulnérable. Par conséquent, se forme dans les esprits des populations colonisées, qui ont activement contribué à l’effort de guerre, le désir de se détacher du joug colonial. Des troubles éclatent ainsi en Indonésie, en Indochine mais c’est au Proche et Moyen-Orient que la situation se tend le plus : en opposition à la tutelle étrangère et à la création de l’État d’Israël, s’y développe la volonté d’affirmer l’identité arabe, que concrétise en 1945 la création de la Ligue arabe (voir le chapitre 4). Conclusion En 1945, le monde est bel et bien au seuil d’une nouvelle ère. Un nouvel ordre est en train de se dessiner, celui des vainqueurs, même s’il faut préciser que ce processus de recomposition résulte en partie de dynamiques antérieures au conflit. Pointent déjà les zones d’influence que les grandes puissances vont bientôt se tailler et qui structureront la géopolitique mondiale durant la longue période de la guerre froide. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 7 Lecture Les Européens en 1945 Dans ces lignes, l’historien britannique Tony Judt entreprend d’identifier ce en quoi l’expérience de la Seconde Guerre mondiale a présenté des caractères nouveaux, originaux, non pas seulement pour les populations exterminées par les nazis, les Juifs au premier chef, mais pour l’ensemble des Européens. « L’Europe, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, offrait un tableau de misère et de désolation absolues. Les photographies et les documentaires de l’époque montrent de pitoyables flots de civils démunis se traînant à travers un paysage dévasté de villes éventrées et de champs stériles. Des orphelins errent tristement devant des groupes de femmes usées qui fouillent les gravats. Faméliques et malades, des déportés au crâne rasé et des détenus de camps de concentration en pyjamas rayés fixent sans énergie l’objectif. Même les trams, propulsés de manière incertaine sur des rails endommagés par un courant électrique intermittent, paraissent commotionnés par des explosions. Tout le monde, tout, partout, à l’exception notable des forces d’occupation alliées bien nourries, paraît usé, sans ressources, exténué. C’est une image qui demande à être nuancée si nous voulons comprendre comment le même continent ébranlé a pu se remettre si rapidement dans les années suivantes. Mais elle est porteuse d’une vérité essentielle sur la situation de l’Europe dans le sillage de la défaite de l’Allemagne. Les Européens se sentaient désespérés, ils étaient épuisés – et pour de bonnes raisons. La guerre européenne qui commença avec l’invasion de la Pologne par Hitler en septembre 1939 et s’acheva par la reddition sans condition de l’Allemagne en mai 1945 fut une guerre totale. Elle embrassa les civils aussi bien que les soldats. En vérité, dans les pays occupés par l’Allemagne nazie, de la France à l’Ukraine, de la Norvège à la Grèce, la Seconde Guerre mondiale fut d’abord une expérience civile. Les combats militaires proprement dits restèrent confinés au début et à la fin du conflit. Dans l’intervalle, ce fut une guerre d’occupation, de répression, d’exploitation et d’extermination, dans laquelle soldats, troupes d’assaut et policiers disposèrent de la vie quotidienne et de l’existence même de dizaine de millions de gens emprisonnés. Dans certains pays, l’occupation dura la majeure partie de la guerre, semant partout la peur et les privations. […] Les guerres d’occupation n’étaient pas inconnues de l’Europe, bien entendu. Loin de là. Les souvenirs populaires de la guerre de Trente ans, dans l’Allemagne du XVII e siècle, au cours de laquelle des armées de mercenaires étrangers vécurent du pays et terrorisèrent la population locale, restaient encore vifs trois siècles plus tard, sous forme de mythes locaux et de contes de fée. Jusque dans les années 1930, en Espagne, les grands-mères calmaient les enfants têtus en agitant la menace de Napoléon. L’expérience de l’Occupation, dans la Seconde Guerre mondiale, n’en eut pas moins une intensité particulière. Et cela tient en parti e à l’attitude très particulière des nazis envers les populations soumises. Jadis, les armées d’occupation – les Suédois dans l’Allemagne du XVII e siècle, les Prussiens en France après 1815 – vivaient des ressources de la terre, brutalisaient et tuaient les civils du coin de manière occasionnelle, voire aléatoire. Mais les populations qui passèrent sous la coupe des Allemands après 1939 furent soit placées au service du Reich, soit vouées à la destruction. Pour les Européens, ce fut une expérience nouvelle. Outre-mer, dans leurs colonies, les États européens avaient engagé, voire asservi, les indigènes pour leur propre Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 8 bénéfice. Ils n’avaient pas dédaigné de recourir à la torture, aux mutilations ou aux massacres afin de contraindre leurs victimes à obéir. Mais, depuis le XVIII e siècle, ces pratiques étaient largement inconnues parmi les Européens eux-mêmes, tout au moins à l’ouest du Bug et du Prut1. » Tony JUDT, Après-guerre. Une histoire de l’Europe depuis 1945, trad. fr. Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Armand Colin, 2007 (1ère éd. 2005), p. 27-28. 1 Fleuves de l’est de l’Europe. Le Bug a provisoirement marqué la frontière entre l’Allemagne et l’URSS après l’invasion de la Pologne en 1939. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 9 Chapitre 2 Le temps de la guerre froide L’expression guerre froide est utilisée pour caractériser l’histoire des relations internationales au cours de la seconde moitié du XXe siècle, et plus précisément entre 1947 et 1991. Le nom « guerre » signifie que l’ordre mondial est alors dominé par une confrontation, laquelle met aux prises les deux grandes puissances de l’époque que sont les États -Unis et l’URSS ainsi que leurs alliés respectifs. Ce sont ainsi deux blocs, le bloc occidental d’une part, le bloc communiste d’autre part, qui se font face pendant ce court demi-siècle. Mais si le nom « guerre » est suivie de l’adjectif « froide », c’est pour souligner que cette confrontation reste contenue, indirecte, qu’elle ne dégénère pas, ce qui est dû à l’effet dissuasif de l’arme nucléaire. Le philosophe français Raymond Aron résume la situation en une formule simple et éloquente : « guerre improbable, paix impossible ». Ce chapitre vise à comprendre les enjeux et le déroulement de cette période très particulière de l’histoire du XX e siècle, qui a fortement déterminé le monde qui est le nôtre aujourd’hui. 1. États-Unis et URSS : deux leaders, deux modèles Si l’opposition entre les deux « Grands » que sont États-Unis et l’URSS ne tient pas qu’à des raisons idéologiques, en ce sens que l’un et l’autre sont également mus par une simple volonté de domination planétaire, il est impossible de donner tout son sens à la guerre froide sans bien comprendre au préalable en quoi ces deux puissances incarnent deux modèles idéologiques opposés. 1.1. Le modèle américain 1.1.1. Une démocratie libérale Les États-Unis se veulent l’incarnation de la démocratie libérale. « Démocratie » signifie que les représentants politiques sont élus au suffrage universel. Tel est le cas du président du pays, qui est élu au suffrage universel indirect pour quatre ans. Son pouvoir est particulièrement important car, contrairement au président de la République française (voir la seconde partie du programme), il est également le chef du gouvernement. Ainsi détient-il l’intégralité du pouvoir exécutif : il veille au respect de la loi et détermine la politique générale du pays. Les représentants et sénateurs, équivalents des députés et sénateurs fr ançais, Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 10 sont eux aussi élus au suffrage universel mais direct. Ensemble, ils forment le Congrès et détiennent le pouvoir législatif, c’est-à-dire qu’ils font la loi. Démocratie « libérale » signale en outre que les trois principaux pouvoirs – exécutif, législatif mais aussi judiciaire – sont séparés et que les grandes libertés publiques telles que la liberté d’expression et la liberté de réunion sont respectées. Toutes ces dispositions institutionnelles sont consignées dans la constitution américaine, qui a été adoptée en 1787 et qui, depuis cette date, a peu évolué. Tout juste quelques amendements – ou modifications – sont-ils venus la préciser ou la compléter au fil du temps, par exemple l’amendement abolissant l’esclavage en 1865 ou celui qui accorde le droit de vote aux femmes en 1920. 1.1.2. L’American way of life La société américaine possède des traits hérités d’une histoire très particulière. Les Américains sont un peuple jeune, formé à l’origine de migrants. C’est à partir du XVII e siècle, précisément, que l’Amérique du nord se peuple peu à peu de colons européens dont beaucoup sont des dissidents protestants. La Frontière, c’est-à-dire la bordure occidentale du peuplement européen, est peu à peu repoussée vers l’ouest et disparaît dans la seconde m oitié du XIXe siècle. D’emblée, la société américaine se constitue donc comme une société du contact, plurielle, fondée sur la coexistence intercommunautaire – longtemps conflictuelle : on parlera de melting pot pour désigner l’assimilation des différentes communautés nord- américaines autour de valeurs et pratiques communes et constitutives de la nation. L’histoire singulière des États-Unis explique aussi l’existence de deux traits majeurs de la mentalité américaine. L’individualisme d’abord, qui s’exprime par le goût de la réussite, la valorisation du mérite, et, en matière économique, l’attachement à la propriété privée, le triomphe de la libre entreprise et la sacralisation du profit. En perspective longue, l’ État est peu interventionniste aux États-Unis. Il y est d’ailleurs l’objet d’une certaine méfiance de la part des citoyens – ce qui ne l’a cependant pas empêché de s’immiscer plus qu’à l’accoutumée dans la vie sociale et économique lors de périodes critiques, par exemple dans les années 1930. Second trait de mentalité : le messianisme. Nombre d’Américains partagent la conviction de remplir une mission spéciale. Cette conviction puise sa source dans le caractère exceptionnel de l’aventure américaine qui est vécue à la manière d’une utopie m ystique. La culture protestante et le souvenir de la guerre d’indépendance de la fin du XVIII e siècle ont façonné au cours des générations le rêve d’une nouvelle Jérusalem. 95% des Américains se Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 11 disent croyants. La devise du pays est d’ailleurs : « In God we trust ! » (« En Dieu nous croyons ! »). Ce trait de mentalité n’est pas sans rapport avec la prétention des États-Unis à se poser en gendarmes du monde, un phénomène que l’on retrouvera à diverses reprises. Pour autant, le pays étant lui-même né d’une guerre de libération, il est hostile aux formes les plus visibles de la domination, au premier rang desquelles la colonisation, ce qui, tout pesé, donne à l’impérialisme américain une forme ambiguë et incomplète (voir la lecture proposée à la fin du chapitre, p. 26-27). 1.2. Le modèle soviétique Le modèle soviétique, lui, s’est mis en place en 1917, suite à la révolution dite d’Octobre par laquelle les bolchéviques – les communistes, pour faire simple – s’emparent du pouvoir. Ils créent l’URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) en 1922 et la dirigent jusqu’à sa chute (voir plus bas). Ce modèle s’appuie sur une idéologie particulière : le marxisme-léninisme. Le marxisme proprement dit est une philosophie élaborée au XIX e siècle par le philosophe allemand Karl Marx. Partiellement modifiée par Lénine, le principal animateur de la révolution d’Octobre, cette philosophie donne naissance, au siècle suivant, au marxisme - léninisme. Mais le cœur de la théorie reste inchangé : pour Marx comme pour Lénine, le monde est travaillé par une lutte majeure opposant la bourgeoisie, détentrice du pouvoir politique et économique, et le prolétariat, qui ne dispose, lui, que de sa force de travail pour vivre. Cette lutte, qualifiée de lutte des classes, est supposée tourner à l’avantage des prolétaires : guidés par le « Parti », qui est en quelque sorte leur élite, les prolétaires sont appelés à prendre un jour le pouvoir par la force, c’est-à-dire par la révolution, et ainsi préparer la venue du communisme, monde sans classe sociale ni État et stade ultime de l’histoire. Ainsi le marxisme prophétise-t-il la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme, promet-il à l’humanité la libération et le bonheur. Institutionnellement, le modèle soviétique se caractérise par la coexistence de deux organisations : l’État et le parti. L’État se compose d’un organe législatif, le Soviet suprême, qui délègue ses pouvoirs à des organes permanents, en particulier le Présidium. Le parti est le Parti communiste d’Union Soviétique (PCUS), le seul autorisé. Lorsqu’ils se réunissent en congrès, les membres du PCUS désignent un comité central qui désigne à son tour les instances dirigeantes du parti, elles-mêmes dominées par le secrétaire général. Dans les faits, c’est le parti qui contrôle l’État ; à bien des égards ce dernier n’est que la vitrine du parti. Il Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 12 s’ensuit que le véritable chef du pays est le chef du parti, le secrétaire général du PCUS. Staline, secrétaire général pendant 30 ans, exerce un véritable pouvoir personnel qui va jusqu’à susciter un culte de la personnalité. Enfin, le modèle soviétique se signale par la force du contrôle exercé par l’État – ou le parti, donc – sur la vie économique et sociale. D’une part, l’État est le propriétaire des moyens de production, notamment de la terre et de l’appareil industriel, et organise le développement économique au moyen d’une planification rigoureuse fondée sur des plans quinquennaux. L’industrie, en particulier l’industrie lourde, est conçue par les dirigeants soviétiques comme le moteur de ce développement. L’agriculture est moins favorisée ; elle repose sur deux types de structures : les kolkhozes, qui sont des coopératives agricoles, et les sovkhozes, qui sont des fermes d’État. D’autre part, les comportements individuels sont étroitement contrôlés. L’information, notamment, est censurée. Les opposants sont traqués par la police politique et nombre d’entre eux envoyés au goulag, terme désignant à la fois l’administration chargée de gérer les camps de travail et les camps eux-mêmes. Le goulag est vite devenu le symbole de la terreur stalinienne : on estime à deux millions et demi le nombre de ses détenus au début des années 1950. Le régime soviétique présente donc la plupart des caractéristiques du régime totalitaire, en particulier sous Staline : chef charismatique, embrigadement idéologique de la population en vue de forger un homme nouveau, refus de tout pluralisme. Dans un régime totalitaire, l’individu est placé sous le contrôle permanent de l’État. Présidents des États-Unis Secrétaires généraux du PCUS Harry Truman (1945-1953)… Joseph Staline (1922-1953) John Fitzgerald Kennedy (1961-1963)… Nikita Khrouchtchev (1953-1964) Richard Nixon (1969-1974)… Leonid Brejnev (1964-1982)… Jimmy Carter (1977-1981) Mikhaïl Gorbatchev (1985-1991) Ronald Reagan (1981-1989) George Bush père (1989-1993) Tableau 1 – Principaux dirigeants des deux Grands pendant la guerre froide 2. Chronique d’un conflit contenu Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 13 Le face-à-face que se livrent entre 1947 et 1991 les États-Unis et leurs alliés d’une part, l’URSS et ses alliés d’autre part, est loin d’être statique. Il est fait au contraire d’une succession de périodes de tension et de périodes de détente que l’on peut regrouper en trois principales séquences chronologiques. 2.1. Naissance de la guerre froide (1947-1953) Les tensions entre Occidentaux et Soviétiques sont perceptibles dès la conférence de Potsdam (voir le chapitre 1). Dès lors, les Occidentaux redoutent en effet que malgré les engagements qu’ils ont pris, les Soviétiques cherchent à imposer leur mainmise aux pays d’Europe centrale et orientale qu’ils viennent de libérer. Ils craignent aussi la propagation du communisme en Asie. Les Soviétiques, de leur côté, sont convaincus que les États-Unis cherchent à encercler la zone d’influence socialiste. Il est de fait que Churchill, dans son célèbre discours de Fulton, prononcé en 1946, évoque déjà un « rideau de fer » qui relierait la Baltique à l’Adriatique. 2.1.1. La rupture de 1947 La situation se tend brutalement au printemps 1947, à l’initiative des États-Unis. En mars, précisément, le président Harry Truman formule en effet la doctrine à laquelle il va donner son nom, la doctrine Truman, qui pose le principe du nécessaire containment de l’expansion soviétique. À l’ensemble de l’Europe, URSS comprise, il propose par la même occasion de bénéficier d’un vaste plan composé de dons et de prêts destinés à favoriser sa reconstruction économique : le plan Marshall. Les réactions des pays européens ont pour effet de clarifier leur position vis-à-vis des deux Grands. Ceux qui acceptent l’offre américaine font de fait allégeance aux États-Unis. Tel est le cas, entre autres, du Royaume-Uni, de la France, de l’Italie et de l’Allemagne, qui reçoivent respectivement 24 %, 20 %, 11 % et 10 % de l’aide globale, mais aussi de la Turquie et de la Grèce, deux pays que les États-Unis, soucieux de conserver par leur intermédiaire un contrôle sur la Méditerranée orientale, sont heureux d’enrôler sous leur bannière. L’URSS, en revanche, refuse l’aide des États-Unis. Qui plus est, lors d’une réunion des partis communistes d’Europe de l’Est organisée au mois de septembre suivant, elle répond à l’initiative américaine en formulant la doctrine Jdanov, qui énonce le principe de la division du monde en deux camps. La satellisation des Pays de l’Est est en marche ; elle s’appuie sur les partis communistes nationaux, rassemblés dans le Kominform, une instance de coordination aux ordres de Moscou. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 14 2.1.2. La division de l’Europe Ainsi l’Europe se divise-t-elle rapidement en deux camps. A l’Ouest, les démocraties libérales se placent de fait sous la protection des États-Unis. Cette alliance se concrétise par la signature d’un pacte militaire en 1949 : l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Il faut préciser que les États-Unis s’emploient alors à signer de semblables pactes dans toutes les régions du monde : en Amérique, dès 1947, avec le Pacte de Rio, qui donne naissance à l’Organisation des États américains (OEA) l’année suivante ; dans le Pacifique, avec l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) en 1954 ; au Moyen-Orient avec le Pacte de Bagdad en 1955. Cette stratégie développée par les États-Unis en vue de consolider leur influence internationale est appelée la pactomanie. L’Europe occidentale, quant à elle, s’organise également sur le plan économique suite à la création en 1948 de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), destinée à superviser la répartition des fonds du plan Marshall. L’OECE deviendra l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en 1961. A l’Est, l’URSS favorise la mise en place de démocraties populaires, c’est-à-dire de régimes placés sous son contrôle. Elle les intègre en 1949 au sein d’une structure économique commune, le COMECON ou CAEM (Conseil d’assistance économique mutuelle) qui développe les échanges au sein de l’espace formé par l’URSS et ses satellites européens. L’URSS, qui possède l’arme nucléaire à partir de 1949, réunira tous ces pays dans une alliance militaire en 1955 : le Pacte de Varsovie. Ainsi voit-on bien que l’affrontement entre les deux blocs est multiforme : il est à la fois idéologique (capitalisme contre communisme), économique (OECE contre COMECON) et militaire (OTAN contre Pacte de Varsovie) (voir carte 1, p. 15). Entre les blocs, la tension connaît un premier pic en Allemagne. En effet, dès 1946, Anglais et Américains fusionnent leurs deux zones (voir le chapitre 1) en vue d’amorcer la reconstruction d’un État allemand susceptible de faire barrage à l’influence soviétique. En réaction, Staline décide le blocus de Berlin en 1948-1949 mais celui-ci est mis en échec par un gigantesque pont aérien. La tension bientôt retombe mais l’Allemagne est à présent coupée en deux : la République fédérale d’Allemagne (RFA) à l’Ouest, la République démocratique allemande (RDA) à l’Est (voir carte 2, p. 18). Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 15 Carte 1 – La division de l’Europe pendant la guerre froide 2.1.3. L’extension de l’affrontement en Asie En Asie, l’affrontement entre les deux blocs se traduit principalement par la guerre de Corée. On se souvient que la péninsule coréenne a été partagée en deux zones d’occupation à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la partie située au nord passant sous influence communiste, la partie située au sud sous influence américaine (voir le chapitre 1). En 1950, profitant de l’évacuation des troupes américaines et soviétiques, la Corée du Nord se lance dans une guerre d’unification. Les États-Unis, soutenus par l’ONU, réagissent au nom de la théorie des dominos qui pose que le passage d’un seul État au communisme risque de provoquer celui de tous ses voisins. Ils sont parvenus à occuper les trois quarts de la Corée du Nord quand celle-ci, soutenue par Chine, engage une contre-offensive. Le front se stabilise peu de temps après et un armistice est finalement signé en juillet 1953. Sur le plan territorial, c’est à peu près le retour à la situation initiale. La guerre de Corée est à maints égards typique des conflits de la guerre froide : elle est périphérique, indirecte au sens où les troupes américaines et soviétiques ne s’y affrontent pas directement, enfin elle manifeste une gestion prudente de l’escalade. C’est qu’aucun des deux Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 16 Grands, qui possèdent à présent l’un et l’autre l’arme atomique, n’a intérêt à ce qu’un conflit dégénère, au risque de devenir incontrôlable. La guerre de Corée possède encore une triste particularité, celle d’être le plus meurtrier des conflits de la guerre froide : elle a fait 2,4 millions morts dont 1,4 millions dans le camp communiste. 2.2. La coexistence pacifique et ses limites (1953-1962) 2.2.1. La mort de Staline : un espoir de dégel La mort de Staline, en 1953, suscite à la fois une immense émotion et l’espoir d’un dégel, c’est-à-dire d’un apaisement des relations internationales. Il est de fait que son successeur, Khrouchtchev, initie une politique dite de « coexistence pacifique » qui signifie que les deux camps s’acceptent mutuellement et qu’ils s’engagent à ne pas intervenir dans l’aire d’influence adverse, ce qui entraîne la diminution des tensions entre l’URSS et les États-Unis. Ce changement d’attitude se concrétise par la mise en place de rencontres officielles entre les dirigeants des deux pays : Khrouchtchev se rend ainsi aux États-Unis en 1959, il rencontre le président Kennedy à Vienne en 1961.Néanmoins, la persistance des crises internationales prouve que les tensions entre les deux blocs sont loin d’avoir disparu. 2.2.2. La crise de Suez (1956) Le contrôle du Proche-Orient est peu à peu devenu un enjeu pour les deux Grands qui, dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, cherchent à y marquer leur position et à y étendre leur influence (voir le chapitre 3). La crise de Suez éclate précisément lorsque l’Égypte décide de reconnaître la Chine communiste. S’ensuit une série de réactions en chaîne : les États-Unis se retirent du plan de financement du barrage d’Assouan ; du coup, le président égyptien, Nasser, au pouvoir depuis 1952, décide de nationaliser la compagnie du canal de Suez, qui était jusqu’alors aux mains des intérêts occidentaux ; enfin, la France et la Grande-Bretagne, principales victimes du coup de force de Nasser, se résolvent, de concert avec Israël, à lancer une opération militaire contre l’Égypte. Mais les Grands s’immiscent à leur tour dans le conflit. Tous deux prennent fait et cause pour l’Egypte : les États-Unis car ils sont fâchés d’avoir été tenus à l’écart de la préparation de l’offensive franco-britannique et l’URSS au nom de son opposition à l’impérialisme. La France et la Grande-Bretagne sont sommées d’abandonner la partie. Cet événement constitue assurément un tournant pour l’ensemble des métropoles européennes, qui prennent à cette occasion la mesure douloureuse de leur recul sur la scène internationale. Il va Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 17 indirectement accélérer la construction européenne, que dynamisera le traité de Rome dès l’année suivante (voir la seconde partie du programme). 2.2.3. La seconde crise de Berlin (1961) (voir cartes 2 et 3, p. 18) Désireux de mettre un terme au mouvement de fuite vers l’Ouest des ressortissants de la RDA, qui prive ce pays de ses élites, Khrouchtchev réclame, à partir de 1958, le rattachement de Berlin-Ouest à la RDA, arguant du fait que Berlin-Ouest constitue une enclave occidentale en plein cœur de la zone sous influence soviétique et qu’il y a donc lieu de la faire disparaître. Les États-Unis refusant d’accéder à sa demande, Khrouchtchev se résout au coup de force : dans la nuit du 12 au 13 août 1961, il fait édifier un mur qui coupe la ville en deux parties, la partie est prosoviétique et la partie ouest proaméricaine. L’ouvrage, long de 155 kilomètres, est en fait composé de deux murs de béton séparés par un no man’s land miné, surveillé en permanence par des chiens de garde attachés à des chaînes faisant 100 mètres de long. Le mur de Berlin devient ainsi, dès sa création, le symbole de l’emprisonnement des Pays de l’Est. Environ 5 000 personnes réussiront pourtant à le franchir en l’espace de 28 années, dont 239 le paieront de leur vie. Quant aux habitants de Berlin-Ouest, ils conservent la possibilité d’accéder librement au monde occidental grâce à un réseau de transport spécifique, rattaché à la RFA. 2.2.4. La crise des fusées (1962) Une troisième crise éclate en 1962, plus près que jamais des États-Unis : à Cuba. Trois ans plus tôt, ce pays est passé au communisme à la faveur d’une révolution conduite par Fidel Castro. Sitôt installé au pouvoir, ce dernier – el commandante – se rapproche de l’URSS, nationalise terres et entreprises et, ce faisant, menace les intérêts américains. Les États-Unis tentent alors de reprendre pied sur l’île. À cette fin, en 1961, ils font débarquer 1 500 mercenaires dans la baie des Cochons, mais l’opération est un véritable fiasco. Au cours des mois suivants, Castro se rapproche de plus en plus de l’URSS, à tel point qu’il autorise Moscou à installer à Cuba des rampes de lancement de missiles capables d’atteindre le territoire des États-Unis. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 18 Carte 2 – L’Allemagne et Berlin divisés Carte 3 – Berlin-Ouest au cœur de la RDA Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 19 Commence alors la plus grave crise de la guerre froide. Kennedy, le président des États-Unis, adresse un véritable ultimatum à Khrouchtchev, et pendant une semaine, à compter du 22 octobre 1962, le monde retient son souffle. Finalement Khrouchtchev cède et ordonne le retrait des missiles soviétiques le 28. La planète a visiblement échappé de peu à la catastrophe. Conscients du danger qu’ils viennent de faire courir au monde, les deux Grands réamorcent aussitôt une politique de détente. Cuba, de son côté, se voit imposer un blocus par les États-Unis, qui l’ancre définitivement dans le camp communiste. 2.3. Détentes et ultimes crispations (1962-1991) 2.3.1. La détente à son apogée (1962-1975) La période de détente qui s’ouvre alors se distingue de l’ère de la coexistence pacifique (voir plus haut) en ceci qu’elle aboutit à des mesures d’apaisement plus concrètes. Ainsi, dès 1963, est mis en place le « téléphone rouge » qui relie le Kremlin à la Maison- Blanche. Cinq ans plus tard, en 1968, les puissances nucléaires – États-Unis, URSS, France, Grande-Bretagne, Chine – signent un traité sur la non-prolifération des armes nucléaire (TNP) destiné à empêcher la propagation de cette technologie meurtrière. Les années 1970 voient le processus de détente se poursuivre, comme en témoigne la signature des traités de désarmement SALT 1 et 2 en 1972 et 1979, et les accords d’Helsinki en 1975. Ces derniers réunissent 35 participants dont les États-Unis, l'URSS, le Canada et la quasi-totalité des pays européens. Leur objectif est de normaliser les relations entre les pays membres de l’OTAN et ceux du Pacte de Varsovie et ils contiennent à cette fin un certain nombre de dispositions importantes, en particulier la reconnaissance de l’inviolabilité des frontières européennes, l’engagement à ne pas intervenir dans les affaires intérieures des autres États, à respecter les droits de l’homme. Cette ère de détente est cependant entachée par la persistance d’un conflit périphérique mettant indirectement aux prises les deux blocs : la guerre du Vietnam. Il faudrait en théorie parler ici de deuxième guerre du Vietnam, une première guerre du Vietnam – ou guerre d’Indochine – ayant opposé la France au Vietnam entre 1946 et 1954. Celle-ci s’était conclue par les accords de Genève qui avaient partagé le pays en deux : au nord avait vu le jour un régime communiste, au sud un régime pro-américain (voir le chapitre 3). A partir de 1960, l’opposition au gouvernement sud-vietnamien grandit sur place à l’instigation du Viêt-Cong, un mouvement de guérilla nationaliste que les Américains, qui l’assimilent à une organisation communiste, désignent au moyen de ce terme péjoratif signifiant tout simplement Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 20 communiste. Les États-Unis se résolvent à intervenir militairement en 1965 mais ils se heurtent aussitôt à une forte résistance locale. La guerre s’enlise alors. Contre toute attente, l’hyperpuissance américaine se révèle incapable de venir à bout du Viêt-Cong, si bien que le président Richard Nixon, en butte à une opinion publique de plus en plus hostile à la poursuite du conflit, ordonne à partir de 1968 le retrait progressif des troupes américaines, lequel s’achève en 1973. La guerre du Vietnam a entraîné la mort de 60 000 soldats américains et elle a constitué à ce titre un véritable traumatisme aux États-Unis. 2.3.2. Regain de tension : la « guerre fraîche » (1975-1985) Alors que les États-Unis pansent leurs plaies et qu’ils amorcent, sous la présidence de Jimmy Carter, élu à la tête du pays en 1977, une politique étrangère tournée vers la paix et le respect des droits de l’homme, l’URSS, elle, retrouve sa combativité et s’emploie activement à renforcer son influence internationale : ainsi en Amérique centrale, notamment au Nicaragua après que les sandinistes, d’obédience marxiste, y ont pris le pouvoir en 1979 ; ainsi surtout en Afrique, où elle favorise la mise sur pied de régimes communistes – en Angola, au Mozambique et en Éthiopie – et où elle conclut de nombreux accords de coopération. Au tournant des années 1980, l’URSS est présente militairement dans près de 20 pays africains. En Europe même, l’URSS se fait belliqueuse : ainsi installe-t-elle sur son territoire des missiles de moyenne portée capables de frapper les pays d’Europe de l’Ouest et déclenche-t- elle en 1977 la crise des euromissiles. Deux ans plus tard, elle envahit l’Afghanistan. Sitôt élu, en 1981, le nouveau président des États-Unis Ronald Reagan rompt avec la politique de Carter, qu’il accuse de mollesse. Son premier mandat est tout entier animé par la volonté de restaurer la puissance américaine. Il relance ainsi la course aux armements au moyen du programme Initiative de défense stratégique (IDS), autrement appelé « guerre des étoiles », visant à doter le pays d’un bouclier spatial capable d’intercepter tout missile soviétique. La riposte est donc de taille et l’on voit bien qu’au tournant des années 1980 l’heure n’est plus du tout à la détente : ainsi parle-t-on de guerre fraîche – l’expression est de Brejnev, secrétaire général du PCUS – pour désigner ce regain de tension qui court grosso modo du milieu des années 1970 au milieu des années 1980. 2.3.3. La fin de la guerre froide (1985-1991) Empêtrée dans de profondes difficultés économiques qui ne font que s’accroître depuis les années 1970 et qui commencent à révéler l’essoufflement de son modèle de développement, l’URSS s’avère cette fois incapable de relever le défi militaire et Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 21 technologique que lui a lancé l’administration Reagan. L’écart de puissance entre les deux Grands apparaît au grand jour après 1985, une fois Mikhaïl Gorbatchev devenu secrétaire général du PCUS. Soucieux de sauver l’URSS, Gorbatchev a en fait le projet de transformer fondamentalement le régime soviétique, et sur le plan intérieur et sur le plan extérieur, quitte à rompre avec certains de ses fondements (voir plus haut). Sur le plan intérieur, deux mots résument son action de réforme : la Perestroïka d’abord, qui signifie littéralement en russe restructuration ou reconstruction, et qui désigne le projet de réformer globalement le régime soviétique à la fois en réconciliant communisme et démocratie et en ouvrant l’économie soviétique au capitalisme ; la Glasnost ensuite, qui veut dire transparence de l’information, cette transparence qui a toujours manqué en URSS jusque- là et que Gorbatchev entend justement garantir désormais. Sur le plan extérieur, conscient de l’incapacité de l’URSS à continuer de soutenir la lutte que lui imposent les États-Unis, il change aussi de cap et engage une politique de conciliation et d’entente. Celle-ci se traduira, entre autres, par la signature du traité START 1 en 1991, par lequel les deux Grands s’engagent à réduire de 30 % le nombre de leurs missiles intercontinentaux et de 40 % celui de leurs ogives nucléaires. Le rapprochement est tel que, dès 1989, à Malte, Gorbatchev et le nouveau président américain George Bush proclament officiellement la fin de la guerre froide. Mais si le virage provoqué par Gorbatchev a pour effet de normaliser les relations entre les deux Grands, à l’intérieur de l’URSS et de sa zone d’influence c’est l’inverse. En effet, dès 1989 les Pays de l’Est s’émancipent de la tutelle de Moscou, ce qui entraîne deux ans plus tard la dissolution du Pacte de Varsovie (voir plus bas). De même, en URSS, l’octroi soudain de libertés fait exploser les nombreuses tensions accumulées dans le pays depuis de si nombreuses années, ce qui provoque l’éclatement de l’URSS en 1991, remplacée par la Communauté des États indépendants (CEI) (voir le chapitre 4). Ainsi l’ère Gorbatchev se termine-t-elle en même temps que la guerre froide – que Gorbatchev a su liquider pacifiquement – et que l’URSS – qu’il n’a pas su sauver. 3. La bipolarité en question 3.1. Hétérogénéité des blocs Si l’idée selon laquelle le monde des années 1947-1991 est un monde bipolaire n’est pas à récuser, il faut quand même se garder de donner de l’histoire de la guerre froide une vision excessivement schématique. Pour trois raisons. En premier lieu, les relations entre les Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 22 États membres d’un bloc et leur pays leader – États-Unis ou URSS – ne sont pas d’égale intensité. On peut ainsi considérer que chacun des blocs se compose d’une sorte de premier cercle centré sur l’Europe (les pays de l’Europe de l’Ouest pour ce qui concerne le bloc occidental, les Pays de l’Est pour ce qui est du bloc communiste), puis d’un second cercle comprenant d’autres pays avec lesquels le pays leader est simplement lié par traité ou sympathie idéologique (les alliés sud-américains, asiatiques et océaniens des États-Unis, les pays communistes non européens). En deuxième lieu, la capacité des deux Grands à assurer la cohésion de leur bloc, en particulier dans le premier cercle, n’est pas de même nature : les États-Unis ne peuvent compter en ce domaine que sur la pression diplomatique ou économique quand l’URSS, elle, considère les Pays de l’Est comme des pays placés sous son contrôle et se réserve donc de recourir à la force pour les mettre au pas si nécessaire. En troisième lieu, il ne faut jamais oublier qu’une partie du monde échappe complètement à l’influence directe des deux Grands : c’est le cas de la plus grande partie du contient africain. Les conditions d’un monde complètement bipolaire n’ont donc jamais été réunies. 3.2. La tentation du non-alignement À cela s’ajoutent les effets de deux dynamiques qui viennent contrarier la logique bipolaire. La première est le non-alignement, c’est-à-dire le combat mené à partir des années 1950 par des leaders nationalistes asiatiques et africains, tels le Premier ministre indien Nehru ou le président égyptien Nasser, pour s’affranchir de la tutelle des deux Grands. C’est la conférence de Bandung, en 1955, qui constitue le véritable coup d’envoi en même temps que la première grande médiatisation de ce combat commun, même si ce n’est qu’en 1961, à Belgrade, que le non-alignement voit officiellement le jour. Les non alignés, comme on les appelle, professent leur hostilité de principe à l’impérialisme, affiché ou déguisé, et n’hésitent à se servir de l’ONU comme d’une tribune. Certes, le non-alignement est en grande partie fictif : pour preuve, à la conférence de la Havane, en 1966, seules l’Inde et l’Égypte peuvent être considérés comme véritablement non alignés, les autres pays se partageant en pays pro-Soviétiques, comme le Nord-Vietnam ou Cuba, et pro-Occidentaux, comme le Pakistan et la Turquie. Il n’empêche, malgré toutes ses limites, la prétention au non-alignement exprime la volonté de ce que l’on commence à appeler le tiers monde à faire évoluer l’ordre mondial façonné par les deux Grands à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 23 3.3. La fissuration des blocs La seconde dynamique joue au sein même des blocs : elle tient à la volonté de certains des pays alliés des deux Grands d’affirmer leur autonomie à leur égard. Le phénomène est surtout perceptible à partir des années 1960-1970, au temps, donc, de la détente. On l’observe à l’intérieur même des Pays de l’Est ou démocraties populaires (voir plus haut). L’histoire des Pays de l’Est est en effet jalonnée par une série d’épisodes contestataires qui sont tous sévèrement réprimés jusqu’à la fin des années 1980 : ainsi à Budapest, en 1956, quand étudiants et intellectuels élaborent une plate-forme revendicative exigeant la reconnaissance du pluralisme politique et le départ des troupes soviétiques ; ainsi à Prague, en 1968, quand les communistes réformateurs tentent de mettre sur pied un « socialisme à visage humain » passant par la libéralisation du régime ; ainsi encore en Pologne, en 1980, quand le syndicat indépendant Solidarność – Solidarité – fondé par le leader ouvrier Lech Walesa réclame que soient reconnus un certain nombre de droits fondamentaux comme le droit d’expression et le droit de grève. C’est l’arrivée de Gorbatchev à la tête de l’URSS qui, là encore, change la donne. Il tente en effet d’assouplir les relations entre Moscou et les démocraties populaires cependant que dans chaque pays les dirigeants communistes s’efforcent de lâcher du lest en vue de calmer la protestation populaire. Mais la situation leur échappe et ils sont renversés les uns après les autres en 1989. C’est en RDA, sans doute, que la rupture est la plus spectaculaire puisqu’elle se traduit par la chute du mur de Berlin en novembre et qu’elle entraîne la réunification des deux Allemagne quelques mois plus tard, en 1990. Tous les Pays dits de l’Est renoncent alors au communisme d’État et s’ouvrent dans la foulée à l’économie de marché. La singulière évolution de la Chine va, si l’on veut, dans le même sens. Devenue régime communiste en 1949, la Chine est d’abord l’alliée de l’URSS mais elle s’en démarque au cours des années 1960, considérant que la politique de rapprochement avec les États-Unis initiée par Moscou après 1962 est une marque de faiblesse. Elle n’hésite pas, dès lors, à contester le leadership de l’URSS et à se chercher des alliés au sein des pays asiatiques et africains nouvellement indépendants. L’originalité de la voie chinoise s’observe plus encore après 1978, quand le nouveau dirigeant du pays, Deng Xiaoping, conscient que le pays s’embourbe dans de graves difficultés économiques, décide de l’ouvrir à l’économie de marché. Si, officiellement, le régime prétend rester fidèle à l’esprit du marxisme-léninisme, le changement de cap est en vérité profond. Et le résultat spectaculaire : l’économie chinoise se redresse à grande vitesse au cours des années 1980, ce qui permet au Parti communiste Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 24 chinois de conserver sa puissance intacte, et, contrairement au « grand frère » russe, de réprimer sans état d’âme les aspirations au changement qui se font jour, sur son sol aussi, à la fin des années 1980. Si le bloc occidental paraît moins travaillé que le bloc communiste par des forces centrifuges, c’est sans doute que son aspiration à l’uniformité est moins forte au départ. Il n’en reste pas moins que les années 1960 constituent un moment au cours duquel les relations entre les États-Unis et leurs alliés se redéfinissent elles aussi. En effet, à mesure que la Seconde Guerre mondiale s’éloigne, les puissances européennes, qui commencent à édifier ce qui deviendra plus tard l’Union européenne (voir la seconde partie du programme), se mettent à réclamer plus d’autonomie en matière de politique internationale. C’est le cas en particulier de la France du général de Gaulle, qui cherche à se soustraire à la domination américaine (voir la seconde partie du programme). C’est le cas aussi de la RFA, quand son chancelier – équivalent du Premier ministre en France – Willy Brandt lance l’Ostpolitik : signifiant littéralement « Politique vers l’Est », l’Ostpolitik est destinée à favoriser un rapprochement avec les Pays de l’Est, et qui conduit effectivement les deux Allemagne, celle de l’ouest et celle de l’est, à se reconnaître mutuellement en 1972. Conclusion Le temps de la guerre froide correspond donc à une période bien particulière de l’histoire des relations internationales, et plus largement du monde, au cours de laquelle se font face deux ensembles ou blocs : d’une part les États-Unis, incarnation du modèle libéral, et leurs alliés que sont principalement les pays de l’Europe de l’Ouest ; de l’autre l’URSS, incarnation du modèle communiste, et ses alliés, au premier rang desquels les démocraties populaires. Si cette confrontation a été par moments très tendue, si elle a même paru sur le point de provoquer une troisième guerre mondiale en 1962, force est de constater qu’elle n’a jamais dégénéré, de sorte que l’on peut avancer l’idée que la guerre froide a finalement constitué un certain mode de gestion de la paix mondiale. L’expression de guerre froide dissimule cependant une réalité variable : dans le temps dans la mesure où la période 1947- 1991 n’a cessé d’alterner périodes de détente et moments de tension (les trois principaux pics de tension étant les tournants des années 1950, des années 1960 et des années 1980) ; dans l’espace dans la mesure où l’affrontement Est-Ouest n’a pas été d’égale intensité partout sur la planète. Quoi qu’il en soit, la guerre froide se termine au tournant des années 1990, suite à Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 25 l’effondrement de l’URSS et à la désagrégation du bloc qu’elle dirigeait. Le monde bipolaire né de la Seconde Guerre mondiale disparaît définitivement alors. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 26 Lecture Qu’est-ce que la dissuasion nucléaire ? Dans ce texte, l’historien français Stanislas Jeannesson définit la notion de dissuasion nucléaire, et montre en quoi ce phénomène, apparu durant les années 1950, donc en pleine guerre froide, a fondamentalement modifié la nature même des relations internationales. « L’arme nucléaire n’est pas seulement plus “perfectionnée” que les autres. Elle ne fait pas seulement franchir un degré de plus dans l’échelle des destructions. C’est une arme de nature totalement différente qui conduit à repenser les stratégies militaires et révolutionne les relations internationales. Ses effets ne correspondent à rien de ce qu’on pouvait imaginer avant 1945. Les deux bombes qui frappent Hiroshima et Nagasaki font à elles seules sur le moment et dans les mois qui suivent plus de 200 000 victimes et anéantissent les villes et leurs environs. La puissance de la bombe A s’exprime en milliers de tonnes de TNT, celle de la bombe H, en millions de tonnes. Par ailleurs, les stratégies fondées sur le nucléaire doivent tenir compte de facteurs psychologiques difficiles à apprécier puisque irrationnels et non quantifiables. Au lendemain de la guerre, les États-Unis sont les seuls à posséder l’arme atomique, ce qui leur permet de compenser amplement, notamment en Europe, la supériorité soviétique en matière d’armements conventionnels. Ils ne perçoivent pas bien encore les propriétés exceptionnelles de la bombe : ce n’est pour eux qu’une arme plus destructrice et finalement moins onéreuse (a bigger bang for less buck : un plus gros bang pour moins de dollars). C’est dans les années 1950 que le concept de dissuasion nucléaire se met en place, de façon très progressive, à mesure que les États-Unis perdent ce qui faisait leur supériorité : leur monopole (l’URSS possède la bombe dès 1949) et leur invulnérabilité (les premiers missiles intercontinentaux soviétiques sont en place à la fin de la décennie). Celui qui engage une guerre fait un pari : il compare ce qui peut lui en coûter et les bénéfices qu’il compte en tirer. Avec le nucléaire, les risques encourus en retour par l’agresseur (destruction totale de son territoire) sont tels qu’il ne songera pas à attaquer. L’arme atomique, par sa puissance même, produit un effet dissuasif radical : c’est finalement une arme défensive ; elle ne sert pas à faire la guerre, mais à l’empêcher. La dissuasion, pour être efficace, suppose toutefois que l’on donne l’impression, en certaines circonstances, d’êt re effectivement prêt à riposter en usant du nucléaire, au risque de subir soi-même des destructions massives. Le seuil à partir duquel un pays décide, de façon plus ou moins explicite, que le recours au nucléaire présente plus d’avantages que de risques est appelé “seuil de nucléarisation”. Ainsi, les États-Unis et l’URSS ont toujours affirmé que l’Europe était pour eux un enjeu vital : chacun a cru les menaces de l’autre et la dissuasion a fonctionné. En Corée, en revanche, les Soviétiques étaient persuadés que l’enjeu, pour les États-Unis, ne valait pas une guerre atomique. Ils ont eu raison : le seuil de nucléarisation aurait pu être franchi techniquement (Mac Arthur proposait d’employer la bombe contre la Chine), il ne l’a pas été politiquement (Truman a rejeté cette suggestion). Le nucléaire et la guerre froide entretiennent des rapports étroits et ambigus. La guerre froide aurait sans doute eu lieu sans l’arme atomique, mais n’aurait pas eu le même visage et ne serait peut-être pas restée longtemps “froide”. La plupart des historiens s’accordent à penser que la dissuasion nucléaire, pendant quarante ans, a introduit dans les relations Est - Ouest un facteur de rationalité, de stabilité, qui a permis d’éviter une conflagration mondiale. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 27 C’est à partir de l’arms control que la détente s’est mise en place. La peur aurait engendré la paix, du moins dans les régions où la dissuasion s’exerçait effectivement. Georges -Henri Soutou2 nuance cette analyse en remarquant que la réalité ne correspond pas toujours à cet te vision très abstraite et que, à Berlin en 1958-1962 ou à Cuba, l’existence des armes atomiques a rendu les crises plus dangereuses. Notons seulement que le nucléaire en soi ne sert ni la guerre ni la paix ; tout dépend de l’usage qu’on en fait et des stratégies adoptées. » Stanislas JEANNESSON , La guerre froide, Paris, La Découverte, rééd. 2010, p. 106-108. 2 Historien français spécialiste des relations internationales contemporaines. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 28 Chapitre 3 L’éveil des Suds Le mot « Sud » a été utilisé à compter des années 1980 pour désigner la partie du monde la moins développée économiquement, qui était ainsi opposée au « Nord », c’est-à-dire au monde dit développé, composé pour l’essentiel des pays européens, de l’Amérique du nord et du Japon. Par la suite, on s’est mis à l’utiliser au pluriel pour tenir compte du fait que ce monde du « Sud » se compose de régions très inégalement engagées dans la voie du développement économique. Moyennant cette précaution, importante, le mot « Suds » reste utile et commode aujourd’hui pour désigner toute cette partie du monde qui se trouve en position dominée au sein de l’ordre économique et politique mondial durant la seconde moitié du XXe siècle. La fracture Nord-Sud trouve son origine dans l’expansion de l’Europe, qui s’est lancée à la conquête du monde à partir du XVI e siècle et qui est parvenue à lui imposer sa domination au cours des siècles suivants grâce à son avance technologique. Cette domination a pris plusieurs formes, le plus souvent économique et culturelle, parfois militaire et politique lorsque les États européens se sont emparés de nouveaux territoires en les colonisant. L’apogée de la domination européenne se situe au cours de la première moitié du XXe siècle, mais c’est alors justement qu’elle commence à se fissurer sous l’effet ce que l’on peut appeler l’éveil des Suds. Ce chapitre vise à étudier cet éveil, qui s’intensifie fortement après 1945. Non exhaustif, il examine l’histoire de deux ensembles de territoires situés au « Sud » : le Proche et le Moyen-Orient d’une part ; les colonies européennes, principalement situées en Afrique et en Asie, d’autre part. 1. Le Proche et le Moyen-Orient : une zone de tension La définition géographique du Proche et du Moyen-Orient continue d’être discutée aujourd’hui. On considérera ici que : le Proche-Orient regroupe les États situées à l’est du bassin méditerranéen, à savoir, du nord au sud, la Turquie, la Syrie, le Liban, Israël et l’Égypte ; le Moyen-Orient rassemble ceux situés à l’est de cette bordure maritime, à savoir l’Iran, l’Irak, la Jordanie, enfin les États de la péninsule arabique. Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 29 Carte 1 – Le Proche et le Moyen-Orient vers 1950 1.1. Le poids de l’histoire (voir carte 1, ci-dessus) Les frontières étatiques du Proche et du Moyen-Orient ont beaucoup fluctué au cours de l’histoire, au gré de l’expansion et de la rétraction des grandes puissances régionales et en particulier de l’Empire ottoman qui, à son apogée, au XVI e siècle, contrôlait un immense territoire faisant pour ainsi dire le tour du bassin méditerranéen et pénétrant profondément dans les terres par endroits. Comme d’autres Suds, la région suscite au XIX e siècle l’intérêt accru des puissances occidentales, notamment de la Grande-Bretagne et de la France. Certains de ses territoires sont alors purement et simplement colonisés, tandis que d’autres, comme l’Arabie ou l’Iran, restent nominalement souverains tout en subissant la forte influence économique de ces deux métropoles. Néanmoins, dès le début du XXe siècle, la volonté de conforter ou de recouvrer leur indépendance politique anime les élites régionales et c’est ai nsi qu’entre la fin de la Première Guerre mondiale et la fin de la Deuxième, les États proche et moyen-orientaux se libèrent progressivement de la tutelle occidentale : en 1950, seule la partie méridionale de l’Arabie est encore sous domination britannique. À cette date, la carte Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 30 politique de la région, qui vient par ailleurs d’enregistrer la création de l’État d’Israël (voir ci - dessous), est globalement fixée pour les décennies à venir. Il faut cependant remarquer que cette carte des États ne correspond pas à la carte des peuples vivant dans la région, et il faut retenir que cette distorsion est une donnée importante de l’histoire du Proche et du Moyen-Orient. Le plus nombreux de ces peuples est le peuple arabe. Il correspond moins à une ethnie qu’à l’ensemble des arabophones, c’est-à-dire des populations parlant la langue arabe, laquelle est originaire de la péninsule arabique. Au Nord se trouvent les Turcs et les Iraniens, massés respectivement en Turquie et en Iran. Deux groupes encore méritent attention : les immigrés européens, qui s’installent massivement en Israël à l’issue de la Seconde Guerre mondiale ; et les Kurdes, principaux laissés-pour-compte du remodelage territorial consécutif à la Première Guerre mondiale et qui vivent depuis lors dispersés en Turquie, Syrie, Irak et Iran. La région du Proche et du Moyen-Orient possède une spécificité historique forte : elle constitue le berceau des trois grandes religions monothéistes que sont, dans l’ordre de leur apparition dans l’histoire, le judaïsme, le christianisme et l’islam. Aujourd’hui, c’est l’islam ou religion musulmane qui compte le plus de fidèles, et de loin. Cette religion s’appuie sur le Coran, livre sacré qui consigne la parole divine révélée à Mahomet. Elle se divise en plusieurs courants dont les deux principaux sont le sunnisme et le chiisme. Pour sa part, le judaïsme a été souvent persécuté mais n’a jamais disparu du Proche-Orient depuis qu’il y est né il y a plus de 3 000 ans ; il a survécu tout particulièrement en Palestine et s’identifie fortement aujourd’hui à l’État d’Israël. Le judaïsme – ou religion juive – est également fondé sur un texte sacré, la Torah. Les chrétiens, enfin, dits chrétiens d’Orient, sont présents en Égypte, au Liban, en Syrie et en Irak notamment. Ainsi a-t-on affaire à un véritable enchevêtrement de peuples et de religions qui se trouvent placés en position dominante ou dominée, en position majoritaire ou minoritaire, selon les lieux. Il est bon de toujours garder cette réalité à l’esprit car elle éclaire nombre des tensions et conflits de l’histoire proche et moyen-orientale récente. 1.2. L’interminable conflit israélo-arabe Parmi ces conflits figure le conflit israélo-arabe, auquel il convient de faire une place à part en raison de sa gravité et de sa durée. Ce conflit naît de la création de l’État d’Israël à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, création qui résulte elle-même de deux phénomènes cumulés : le nombre de juifs vivant en Palestine n’a cessé d’augmenter au cours de la première moitié du XXe siècle car beaucoup de juifs européens y ont migré sous l’influence du Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 31 sionisme ; puis, après 1945, le traumatisme engendré par la Shoah (voir le chapitre 1) accroît encore, et brutalement, le nombre de juifs européens désireux de rallier la Palestine. La conséquence est que dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, la coexistence entre Arabes et juifs immigrés se fait de plus en plus difficile. Soucieuse de mettre un terme aux tensions, l’ONU intervient alors en proposant la création de deux États en Palestine : un État arabe et un État juif. Ce dernier – Israël – voit le jour en mai 1948. Les pays arabes voisins refusent tout net la création de cet « État juif ». C’est le début du conflit israélo-arabe, qui entraîne trois guerres au cours du quart de siècle suivant, trois guerres dont Israël va profiter pour agrandir considérablement son territoire (voir carte 2, p. 32). La première est déclenchée par la proclamation de l’État d’Israël et s’achève l’année suivante, en 1949. Israël conquiert à cette occasion une partie des terres initialement réservées à l’État palestinien, cependant que la bande Gaza, au sud-ouest, passe sous administration égyptienne. La deuxième guerre israélo-arabe a lieu près de vingt ans plus tard, en 1967. On l’appelle la guerre des Six-Jours car elle n’a pas même duré une semaine. Une guerre-éclair donc, au cours de laquelle se manifeste de manière éclatante la supériorité militaire israélienne. À l’issue du conflit, Israël accroît considérablement son territoire : au nord-est il s’empare du Golan ; à l’est de la Cisjordanie et de la partie est de Jérusalem (que l’on appelle Jérusalem-Est), celle où se trouvent les lieux saints des chrétiens, juifs et musulmans ; enfin, au sud-ouest, de la bande de Gaza et de l’immense péninsule du Sinaï. Tous ces territoires sont dits Territoires occupés depuis que l’ONU a condamné leur invasion par Israël juste après la cessation des combats. Enfin, en 1973, a lieu une troisième guerre israélo-arabe, la guerre dite du Kippour, appelée ainsi car elle a été déclenchée par l’Égypte et la Syrie le jour de la fête du juive du Yom Kippour. Cette guerre est très courte elle aussi et elle n’entraîne quant à elle aucune modification territoriale. Le Sinaï sera restitué par Israël à l’Égypte en 1978 et dès lors les frontières entre Israël et ses voisins ne bougeront pratiquement plus. Les Arabes palestiniens refusent eux aussi la création de l’État d’Israël, qui les spolie, pensent-ils, de leur territoire. Beaucoup fuient la Palestine en 1949 et se réfugient dans les pays voisins comme la Jordanie et la Syrie. Les Arabes palestiniens n’ont d’autre solution au départ que de s’en remettre aux puissances arabes de la région pour mener à bien le combat contre Israël, mais la défaite de 1967 les décide à agir par eux-mêmes. Ils vont d’abord placer leurs espoirs dans l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Dirigée par le charismatique Yasser Arafat, cette organisation prétend incarner le combat pour la création d’un État palestinien et n’hésite pas pour ce faire à recourir à l’action terroriste. Plus tard, à la fin des années 1980, la résistance s’organise au sein même des Territoires occupés. C’est ainsi Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 32 que démarre en 1987 la première Intifada, nom arabe signifiant soulèvement et désignant le mouvement de contestation de l’occupation israélienne qui prend alors corps dans la bande de Gaza. La jeunesse palestinienne joue un rôle très actif dans ce soulèvement, qui s’étend vite à l’ensemble des Territoires occupés et qui accroît l’intérêt de l’opinion publique internationale pour la « question palestinienne ». La situation en 1949 La situation en 1967 Carte 2 – L’évolution du territoire israélien suite aux deux premières guerres israélo-arabes 1.3. L’Orient et l’Occident Si, au-delà même du conflit israélo-palestinien, l’histoire du Proche et du Moyen- Orient occupe une telle importance dans l’histoire du monde depuis 1945, c’est parce que cette région n’est pas une région comme une autre aux yeux des grandes puissances. Elle possède d’abord un intérêt économique, lié au premier chef à l’importance de ses réserves de Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 33 pétrole et de gaz. Ce n’est pas sans raison que les États-Unis ont si tôt fait alliance avec l’Arabie saoudite, le principal pays producteur de pétrole ! Pour les Soviétiques, la région constitue en outre une zone de passage obligée pour acheminer des produits vers et depuis le bassin méditerranéen. Enfin, les États-Unis se veulent les protecteurs privilégiés d’Israël. Cette position est une constante de la politique étrangère américaine ; elle est due à la sympathie éprouvée par une partie des dirigeants et de la société américains à l’égard du peuple juif, décimé pendant la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs facteurs se combinent donc dès la fin de la Seconde Guerre mondiale pour faire du Proche et du Moyen-Orient une région hautement stratégique aux yeux des grandes puissances et l’un des théâtres de la guerre froide, chacun des deux Grands – États-Unis et URSS – tentant, ici comme ailleurs, de maintenir voire d’étendre son influence en plaçant les puissances régionales sous sa tutelle. Ainsi naît un système d’alliances appelé à façonner durablement la géopolitique régionale, l’Égypte et la Syrie regardant vers Moscou quand l’Arabie saoudite, Israël et la Tur quie se tournent vers Washington. Cependant, l’emprise des grandes puissances se heurte à un rejet grandissant de la part des dirigeants et des sociétés du Proche et du Moyen-Orient. Ce rejet prend la forme de deux projets politiques successifs, qui ont en commun d’en appeler à l’union des peuples de la région par-delà les frontières étatiques. Le premier est le panarabisme qui, comme son nom l’indique, veut renforcer la cohésion et accroître la puissance du monde arabe. Il est né au XIXe siècle mais se développe principalement à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, non pas tant à travers la Ligue arabe, créée en 1945, qui ne cessera de souffrir de ses divisions internes, qu’à travers la pensée et l’action du chef d’État égyptien Nasser qui se pose, un temps, surtout après la crise Suez, en véritable leader du monde arabe. L’idéologie forgée par Nasser, que l’on appelle le nassérisme, combine opposition à l’Occident et à Israël, et défense de la laïcité. Elle nourrit un temps le combat des non alignés (voir le chapitre 2) mais elle s’affaiblit suite à la défaite des pays arabes lors de la guerre des Six-Jours. Le second projet politique dirigé contre les grandes puissances naît précisément sur les décombres du panarabisme : il s’agit de l’islamisme, qui entend cette fois unir les peuples du Proche et du Moyen-Orient au nom de leur adhésion commune à l’islam. L’islamisme a vu le jour dès avant la Seconde Guerre mondiale, à travers la société religieuse des Frères musulmans, qui réclame l’application de la charia et, au-delà, appelle à débarrasser la vie sociale des valeurs d’origine occidentale comme la liberté individuelle, la démocratie ou la laïcité. Mais c’est à partir des années 1970 qu’il prend son véritable essor. La révolution iranienne de 1979 constitue à cet égard une Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 34 étape importante car elle entraîne la mise sur pied d’un État islamique appelé à jouer un rôle de modèle sur les mouvements islamistes des années suivantes (voir le chapitre 4). Cela dit, les conflits qui ont lieu au Proche et au Moyen-Orient au cours de la seconde moitié du XX e siècle ne se réduisent pas tous à un face-à-face ouvert ou déguisé entre l’Occident et Israël d’un côté, les pays arabes de l’autre. Il est en effet des guerres plus localisées qui dressent les uns contre les autres les États et peuples de la région : ainsi la guerre du Liban, un conflit très complexe qui dure de 1975 à 1990 et qui possède – entre autres – une dimension religieuse en ceci qu’elle met aux prises chrétiens et musulmans ; ainsi encore la guerre entre l’Iran et l’Irak, déclenchée en 1980 à l’initiative du chef de l’État irakien Saddam Hussein, désireux de mettre à bas la république islamique d’Iran et de renforcer la puissance de son propre pays ; cette guerre s’achève en 1988 sur un effroyable bilan humain. 2. Afrique et Asie : les chemins difficiles de l’émancipation Si, on l’a vu, le Proche et le Moyen-Orient se sont libérés de la tutelle politique occidentale dès avant la Seconde Guerre mondiale, tel n’est pas d’une grande partie des continents africain et asiatique, qui comptent encore de nombreuses colonies européennes en 1945. Mais c’est alors justement que celles-ci commencent à s’émanciper de la tutelle politique occidentale : ce processus est appelé la décolonisation. 2.1. Un contexte favorable Trois facteurs rendent le contexte de l’après-guerre particulièrement favorable à l’émancipation des colonies. Le premier est le mécontentement chronique des peuples colonisés d’Afrique et d’Asie. Il s'explique par l'exploitation économique que les métropoles font subir aux colonies, ainsi que par la persistance de pratiques discriminatoires entre indigènes et colons. Le code de l’indigénat, en vigueur dans les colonies française depuis la fin du XIX e siècle, maintient ainsi les populations autochtones dans une condition légale inférieure à celle des colons. Ce mécontentement a été avivé par la guerre, qui constitue donc un deuxième facteur favorable à l’émancipation des colonies. D'une part, en effet, le prestige des colonisateurs a été entamé suite à leurs défaites militaires, comme celle de la France en 1940 ; d'autre part les populations colonisées, en participant à l'effort de guerre, estiment avoir acquis des droits à une plus grande reconnaissance. Le troisième facteur, enfin, tient au nouvel équilibre international. Les deux Grands, qui dominent le nouvel ordre mondial, sont l'un et Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 35 l'autre favorables à la décolonisation, l'URSS au nom de la doctrine marxiste-léniniste qui voit dans l'impérialisme l'expression des intérêts de la bourgeoisie capitaliste, les États-Unis au nom de leur attachement viscéral à la liberté (n’oublions pas qu’eux aussi ont dû lutter jadis pour leur libération) (voir le chapitre 2). La légitimité des luttes de libération nationale est d’ailleurs reconnue par la toute nouvelle ONU, qui devient rapidement une tribune de l’anticolonialisme. C’est dans ce contexte porteur que le processus de décolonisation démarre. Il se compose de deux vagues : une vague asiatique entre 1945 et 1955 et une vague africaine entre 1955 et 1965. 2.2. La décolonisation de l’Asie La décolonisation de certains territoires asiatiques s’effectue de manière négociée, c’est-à-dire non conflictuelle. C’est le cas en particulier de l’Inde. Il faut dire qu’à la fin de la guerre, le gouvernement de Clement Attlee, conscient de la charge que représente l’Empire britannique pour la métropole, imagine d’associer les colonies anglaises au sein du Commonwealth, créé en 1931 en vue de maintenir avec elles des relations de coopération. L’Inde profite de cette politique et accède à l’indépendance dès 1947. Mais le processus est compliqué sur place par la vive opposition existant entre hindous et musulmans : la Ligue musulmane d’Ali Jinnah prône la création d’un État musulman séparé tandis que le Parti du Congrès, formé d’hindouistes et dominé par la figure charismatique de Gandhi, souhaite l’établissement d’un État unitaire et multiculturel. La partition a lieu au terme d’une violente guerre civile : d’un côté est créée l’Union indienne, dirigée par Nehru, l’héritier politique de Gandhi, de l’autre le Pakistan, à majorité musulmane et lui-même divisé en deux entités, le Pakistan occidental et le Pakistan oriental (qui deviendra le Bangladesh en 1971). Les indépendances de la Birmanie et de Ceylan – futur Sri Lanka – suivent de peu, la première en 1947, la seconde en 1948. En définitive, malgré les dommages provoqués par la guerre civile indienne, l’accès à l’indépendance de ces colonies peut être considéré comme pacifique. Le mode de gestion des colonies britanniques l’explique pour une large part : il était fondé sur le principe de l’autonomie interne (Indirect rule) qui avait eu pour effet d’associer les élites locales à l’exercice du pouvoir. Contrairement à la France, la Grande-Bretagne n’a jamais nourri le projet d’assimiler les populations de ses colonies. A l’inverse, les décolonisations de l’Indonésie et de l’Indochine virent vite au conflit armé. L’indépendance de l’Indonésie, jusque-là colonie néerlandaise, est proclamée en août 1945 par Soekarno. La métropole tente aussitôt de reprendre le contrôle du territoire mais sa Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 36 riposte provoque une puissante campagne anticolonialiste animée par les médias américains. L’ONU s’en mêle et pousse les Pays-Bas à reconnaître l’indépendance de leur colonie en 1949. Le scénario est voisin en Indochine, vieille possession française composée de la Cochinchine, de l’Annam, du Tonkin, du Cambodge et du Laos (voir carte 3, ci-dessous). Le fondateur du parti communiste indochinois et du mouvement nationaliste Viêt-minh, Hô Chi Minh, proclame l’indépendance du Vietnam en 1945. La France est bien disposée à faire quelques concessions au départ, mais elle durcit vite sa position. Ainsi le nouveau haut commissaire en Indochine, l’amiral Thierry d’Argenlieu, saisissant le prétexte d’un incident entre soldats français et vietnamiens et désireux d’en imposer au Viêt-Minh, fait bombarder le port d’Haiphong en 1946, tuant au passage 6 000 personnes. Mais Hô Chi Minh ne s’en laisse pas compter : il réplique en ordonnant un massacre d’Européens à Hanoï puis gagne le maquis. La guerre d’Indochine commence. L’Indochine française en 1945 Les nouveaux États de la péninsule en 1954 Carte 3 - La fin de l’Indochine française La guérilla pratiquée par le Viêt-Minh convient mal à la France. Cette dernière doit en outre compter avec l’internationalisation larvée du conflit, qui crée un clivage Est -Ouest typique de la guerre froide : la Chine, communiste depuis 1949, apporte son aide militaire au Viêt-Minh, cependant que la France reçoit le soutien des États-Unis. En métropole même, certains commencent à dénoncer l’engagement militaire français, comme le député de gauche Pierre Mendès-France, qui déclare en 1950 que la France a tout à perdre et n’a rien à gagner dans ce conflit. La pression en faveur d’une solution négociée monte dans le pays, d’autant Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 37 que le conflit, après s’être s’enlisé, tourne peu à peu au désavantage des troupes françaises. La défaite française de Dien Bien Phu, le 7 mai 1954, convainc finalement la métropole de cesser le combat. Les accords de Genève, signés le 31 juillet suivant, marquent officiellement la fin de l’Indochine française. Quatre États naissent alors : le Laos, le Cambodge, le Nord-Vietnam – d’obédience communiste, dont la capitale est Hanoï – et le Sud-Vietnam – sous influence américaine, dont la capitale est Saïgon. 2.3. La décolonisation de l’Afrique (voir carte 4, ci-dessous) 2.3.1. La décolonisation de l’Afrique française Carte 4 – Les indépendances africaines La constitution de la Quatrième République, votée en 1946, modifie le cadre institutionnel organisant les relations entre la France et ses colonies. Elle met en place une Cours d’histoire du DAEU A réservé aux stagiaires en régime distanciel du « réseau breton » (UBO, UBS, UR2). Auteur : Jean Le Bihan (université Rennes 2). Diffusion interdite en dehors du cercle des inscrits réguliers à ce cours. 38 fédération, l’Union française, qui se compose d’une as