Sylabus 4 : Introduction à la fonction de juger et au droit judiciaire PDF
Document Details
Uploaded by AmiableMemphis
UCLouvain
2023
Ester B.
Tags
Summary
This document is a syllabus for a course on the function of judging and judicial law in Belgium. It covers the three functions of public power and the three powers, along with their relationship.
Full Transcript
Ester B. – 2022/2023 Syllabus 4 : introduction à la fonction de juger et au droit judiciaire INTRODUCTION - OBJET DE LA PARTIE DE COURS Fonction de juger = trancher des litiges (ou des contestations) par application de règ...
Ester B. – 2022/2023 Syllabus 4 : introduction à la fonction de juger et au droit judiciaire INTRODUCTION - OBJET DE LA PARTIE DE COURS Fonction de juger = trancher des litiges (ou des contestations) par application de règles de droit, au moyen de décisions revêtues d'une autorité spécifique et au terme d'une procédure particulière. Þ La fonction de juger n’est pas monolithique en Belgique : juger n’est pas l’apanage d’un seul pouvoir, il y a plusieurs acteurs appartenant à d’autres pouvoirs qui peuvent juger CHAPITRE I. - LA FONCTION DE JUGER Section 1. - Les trois fonctions de la puissance publique (1) Fonction de réglementer (fonction normative) = consiste à établir l'ordre au moyen de normes, c'est-à-dire de règles générales et abstraite (2) Fonction d'administrer (fonction administrative ou gouvernementale) = consiste à établir l'ordre (au sens large), au moyen d'actes à portée individuelle. Þ Exemples : démolition d’un bâtiment, nomination, loi de naturalisation Elle concerne des individus particuliers, des situations particulières. (3) Fonction de juger (fonction juridictionnelle) = consiste à rétablir l'ordre en tranchant des litiges (ou des contestations) par application de règles de droit, au moyen de décisions revêtues d'une autorité spécifique et au terme d'une procédure particulière. Section 2. - Les trois pouvoirs (1) Pouvoir législatif : exercé par la Chambre des Représentants, le Sénat (quoique dans une mesure de plus en plus marginale suite à la sixième réforme de l’État) et le Roi C° art. 36 (2) Pouvoir exécutif : exercé par le Roi C° art. 37 (3) Pouvoir judiciaire : exercé par les Cours et tribunaux C° art. 40 La fédéralisation de la Belgique n’a pas encore eu de réel impact sur la fonction de juger. Contrairement aux fonctions législatives et exécutives, qui ont été démembrées, les cours et tribunaux restent des institutions fédérales. Il n’y a pas de justice communautaire ou régionale qui évoluerait en parallèle de la justice fédérale. Þ Exemples du démembrement des fonctions législatives et exécutives : pouvoirs exécutifs régionaux et communautaires, gouvernements régionaux… + des lois formelles au sens large peuvent être adoptées par les régions : les décrets et ordonnances Mais au niveau des juridictions administratives, il y a eu quand même des petites exceptions, des débordements de compétence : 78 Ester B. – 2022/2023 Þ Bien que la création des juridictions administratives demeure la compétence de la loi fédérale, la jurisprudence de la SLCE et de la Cour constitutionnelle admet que les Communautés et Régions, agissant sur le fondement de leurs pouvoirs implicites (art 10 de la loi spéciale du 8 août 1980), peuvent créer des juridictions administratives de première instance : création de petites juridictions administratives régionales, par exemple pour régler les contentieux des élections régionales Section 3. - L'absence de correspondance parfaite entre « pouvoirs » et « fonctions » Dans un système très rigide de séparation des pouvoirs, il y aurait une correspondance parfaite entre pouvoirs et fonctions. Mais notre doctrine ne fonctionne pas comme cela : si le principe général de droit à valeur constitutionnel qu’est la séparation des pouvoirs demeure fondamental en Belgique, il n’est pas rigide pour autant : il y a des collaborations entre les pouvoirs. Cette souplesse est visible dans plusieurs situations : - l’adoption d’une loi de naturalisation (fonction administrative) est faite par le pouvoir législatif, tout comme le vote du budget. - Le roi est l’incarnation même de cette souplesse : il est le chef de l’exécutif ainsi que la 3ème branche du PL. § 1. L'activité du Pouvoir judiciaire Cette souplesse se voit aussi dans l’activité du PJ : - C’est le PL qui vote les budgets de la justice, donc du PJ. - Qui nomme les juges ? Le Roi (art 151 C°), pareil pour les officiers du ministère public (art 153 C°) - Qui s’occupe de l’exécution du jugement si le condamné ne veut pas collaborer ? Le PE s’en charge, par la contrainte et au nom du Roi (art. 40, al. 2, de la C°). - Le Roi peut dispenser de l’exécution de peine (droit de grâce), donc encore une fois, interfère dans le PJ. (art. 110 C°) - Quand je veux poursuivre un parlementaire, il jouit d’une protection spéciale : il faut donc d’abord obtenir la levée de son autorité parlementaire (son immunité) donnée par l’autorisation de son assemblée parlementaire. Pour poursuivre pénalement un ministre aussi, il faut l’autorisation de son assemblée. Ici c’est donc le PL qui interfère dans le PJ (art. 59 et 120 C° + 103 + 125) § 2. - L'exercice de la fonction de juger La fonction de juger dépasse le pouvoir judiciaire, certaines « fonctions de juger » sont confiées à des organes se rattachant au PL : - Un cas surréaliste où la fonction de juger est réalisée par les Chambres : L’assemblée concernée règle les litiges qui touchent la composition et l’élection qui a élu ses membres, elle est le juge de la validité de ses propres élections (art 48 C°). 79 Ester B. – 2022/2023 Cette règle date du 18ème siècle et visait à protéger les Assemblées, car on se méfiait beaucoup du gouvernement des juges. Mais cette règle a vite mené à des abus (virer des parlementaires arbitrairement). Le gros problème ici est que la même personne juge et se fait juger à la fois : c’est contre le principe d’impartialité qui stipule « on ne peut être juge pour sa propre cause ». Cette règle-là existe encore aujourd’hui, bien que la Cour européenne des droits de l’homme l’a condamnée. On devrait donc abroger cet article, sauf qu’il n’est pas révisable car il ne se trouve pas dans les déclarations de révision de la C°, donc la Belgique est forcée de continuer à violer la convention européenne des droits de l’homme. - Cour des comptes : Il n’y a qu’une seule Cour des comptes, donc si son arrêt est cassé par la Cour de cassation, où va-elle renvoyer l’affaire ? À une commission ad hoc instituée au sein de la Chambre des représentants. Cette commission existe encore ajd, mais elle est totalement ineffective. Souvent, la fonction de juger est réalisée par des institutions non judiciaires : TIPS EXAMEN : Art 144 – 159 C° = toutes les juridictions du PJ. Si l’article est en dehors de cette fourchette, la fonction de juger n’est pas exercée par une juridiction judiciaire. - Les juridictions administratives : art 161 C° (Ex: le conseil du contentieux des étrangers). Parfois, pour bien exercer ses compétences que l’on a reçue en tant que communauté et région, il faut un peu dépasser chez les compétences du voisin, c’est ce qu’on appelle les compétences implicites, marginales : c’est grâce à cela que les juridictions administratives communautaires et régionales ont vues le jour. C’est ce que les communauté et région flamandes ont fait en créant une juridiction administrative pour statuer sur les litiges académiques, pour faire « appel » après que le jury ai pris sa décision. Les compétences d’une telle juridiction doivent être marginales, limitées et ne doivent pas empiéter sur l’ordre du système - Le Conseil d’État est le meilleur exemple d’une juridiction administrative. La SCACE statue sur la légalité des actes et règlements administratifs provenant d’autorités administratives. Le contentieux de l’excès de pouvoir (art 14 et 17 LCCE) est le principal dont s’occupe le CE, mais il statue aussi en appel de certains autres juges administratifs (art. 16, al.1er, 1°) et est l’équivalent de la Cour de Cassation pour toutes les juridictions administratives (14, § 2) ! + il statue sur la suspension de la dotation publique d'un parti politique qui témoigne d'une hostilité manifeste à l'égard des droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l'Homme. Donc il s’occupe des contentieux disciplinaires des partis politiques, qui sont subventionnés publiquement (= moyen d’assurer une forme de moralité dans la vie politique, pour que les partis ne soient pas « corrompus » par ceux qui leur font des dons). Doit-on tous les subventionner, même ceux qui dépassent les bornes (racisme, homophobie…), qui témoignent des hostilités manifestes envers les libertés ? On peut les priver de subventions pendant un temps pour le moins. Et c’est le CE qui s’occupe de juger de cela. 80 Ester B. – 2022/2023 - Le rôle important de la Cour Constitutionnelle en matière de fonction de juger - L’arbitrage, juridiction privée : les 2 parties doivent être d’accord pour aller devant cette juridiction. Il n’y a pas d’arbitrage contraint. Les matières qui concernent l’ordre publique ne peuvent pas faire l’objet de l’arbitrage. L’arbitre est désigné et rémunéré par les parties. Il peut utiliser le droit étatique, mais ce n’est pas obligatoire : les parties peuvent lui demander de statuer en équité. Sa décision s’appelle « sentence » - Les juridictions internationales Section 4. - Les attributions du Pouvoir judiciaire en matière de fonction de juger : lignes de démarcation constitutionnelles Très important à comprendre : « les attributions du pouvoir judiciaire se situent principalement dans le cadre du contentieux subjectif, et le contentieux subjectif est essentiellement confié au pouvoir judiciaire » § 1. - De la distinction entre contentieux objectif et contentieux subjectif Bien comprendre la distinction : Contentieux subjectif = l'ensemble des conflits qui portent sur la protection qui est à reconnaître aux droits subjectifs Þ Revoir définition droit subjectif Q1 La décision du juge peut être soit - déclarative d’un droit : le juge qui prononce l’atteinte à un droit subjectif ne crée pas ce dernier, il confirme juste qu’il a bien été lésé, soit - constitutive d’un droit : le juge crée une nouvelle situation juridique (en prononçant un divorce ou une faillite par exemple) Contentieux objectif = situation où l'objet du litige est de savoir si un acte est, ou non, conforme au droit objectif, indépendamment de la question de savoir si l'illégalité commise a porté ou non atteinte à des droits subjectifs Þ procès qui est fait à un acte pour déterminer si il est conforme au droit objectif Les attributions du Pouvoir judiciaire se situent principalement dans le cadre du contentieux subjectif : - L’ancien art 44 C° : monopole absolu au profit des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire pour ce qui concerne le contentieux des droits subjectifs civils (= tous les droits consacrés et organisés par le Code Civil et les lois qui le complètent) : « Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux » Une révision constitutionnelle du 6 janvier 2014 a cependant écorné ce monopole en ajoutant un second alinéa : « Toutefois, la loi peut, selon les modalités qu'elle détermine, habiliter le Conseil d'État ou les juridictions administratives fédérales à statuer sur les effets civils de leurs décisions » 81 Ester B. – 2022/2023 Mais cette rupture de monopole est très limitée, il s’agit simplement d’une économie de procédure en créant la possibilité d’obtenir devant un seul et même juge, dans le cadre d’un seul et même procès, le constat d’illégalité et la réparation du préjudice, et de ne pas devoir aller devant le CE pour le premier et devant les Tribunaux pour le second. - L’art 145 : les litiges dont l'objet est un droit subjectif politique relèvent en principe des attributions des cours et tribunaux de l'ordre judiciaire, sauf les exceptions établies par la loi, et en réalité il y a beaucoup d’exceptions Mais le pouvoir judiciaire dispose aussi de diverses attributions se rattachant au contentieux objectif : - Contentieux pénal : considéré comme un contentieux de type objectif (car on attaque l’acte de qqn, et c’est à cet acte qu’on fait procès) mais pourtant réglé par les Cours et tribunaux art 12 C° : on tire de cet article que le pénal s’occupe souvent de priver les gens de liberté, et par « juge », à l’époque, on visait le juge judiciaire. Donc on en conclut que seul le juge judiciaire peut régler les contentieux pénaux - Lorsqu’un juge judiciaire utilise l’exception d’illégalité (art 159 C°), il tranche un contentieux objectif. - Des dispositions législatives particulières peuvent confier au PJ le soin de se prononcer sur la légalité de certains actes administratifs déterminés, étant entendu que cette compétence sera soustraite à la compétence d'annulation générale du Conseil d'État. Exemple : le tribunal de police (PJ) s’occupe de contentieux objectifs (article 601ter, 1° et 2° du Code judiciaire) Comment savoir si un contentieux est plus subjectif ou objectif ? Et donc savoir si c’est le PJ ou le CE qui doit s’occuper du cas ? Théorie de l’objet véritable : Comment déterminer si l'enjeu véritable du litige consiste en la protection d'un droit subjectif ? Petitum = ce qui est demandé - Il y aura un droit subjectif quand il existera une règle de droit objectif qui règle expressément le cas et qui ne confère aucun pouvoir discrétionnaire aux pouvoirs publics, ils sont tenus d’agir Causa petendi = fondement de l’illégalité - Si l’illégalité est précisément la violation de la règle qui confère le droit subjectif, alors c’est un contentieux subjectif Exemple : Une commune refuse d'inscrire un étranger sur le registre de sa population, alors qu’elle doit le faire. Qui est compétent pour ordonner le sursis à exécution ? Il se rend au CE 82 Ester B. – 2022/2023 alors qu’il aurait dû aller devant le juge judiciaire, car il reprochait qu’on n’ait pas respecté son droit subjectif ! § 2. - De la distinction entre droits subjectifs civils et droits subjectifs politiques La Constitution réserve quasi exclusivement au Pouvoir judiciaire le contentieux des droits subjectifs civils (Const., art 144), tandis qu'elle autorise le législateur à soustraire à celui-ci une partie du contentieux des droits subjectifs politiques (Const., art. 145). - Question examen : L’enjeu de la distinction entre droits subjectifs politiques et civils est de savoir si on est dans l’article 144 ou 145 C° Qu’est-ce qu’un droit subjectif politique ? - Critère organique : les notions de droits civils et de droits politiques n'ont pas de contenu constitutionnellement identifiable, donc il appartiendra au législateur d’en décider. Lorsque le législateur a confié le contentieux portant sur tel ou tel droit à une juridiction non judiciaire, le soustrayant donc aux attributions du PJ, on peut en déduire qu'il s'agit d'un droit subjectif politique. - Critère matériel : puisque la C° évoque les droits politiques et civils, on en infère que le législateur doit vérifier quel droit est politique ou pas au regard de la définition qui se dégage de la C° (annexe 77, 78) Droits subjectifs politiques = l'ensemble des droits qui permettent une participation à l'exercice de la souveraineté, et les droits qui permettent de prendre part à la « distribution des services et des avantages que la puissance publique procure » (droit de vote et d'éligibilité, droit d'être nommé aux emplois civils et militaires, droit de payer l'impôt, droit aux allocations de chômage) à Le contentieux portant sur ces droits peut donc être soustrait au pouvoir judiciaire pour être confié à des juridictions administratives. Les droits politiques peuvent ne pas être réglés par les juridictions judiciaires, alors que les droits civils c’est uniquement par les juridictions judiciaires. Qu’est-ce qu’un droit subjectif civil ? = droits qui naissent des relations privées entre particuliers, le droit à la réparation d'un dommage, et les principales libertés (liberté d'expression, droit au respect de la vie privée, droit de propriété) Section 5. - La Cour de cassation comme gardienne des attributions respectives Fondamental : Qui est le juge compétent pour les conflits d’attribution de la fonction des juger ? Qui a la compétence de la compétence, celle qui peut juger de qui doit juger ? à La Cour de cassation (art 158 C°) À l’origine, le Constituant visait la situation où le PE chercherait à soustraire, au PJ, un litige où le PE était partie. Aujourd'hui, cet article vise l'hypothèse où surgit un conflit d'attribution entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires à propos d'un litige déterminé. Soit qu'une juridiction administrative et une juridiction judiciaire s'estiment 83 Ester B. – 2022/2023 compétentes pour connaître du même litige (= conflit positif), soit qu'aucune juridiction ne s'estime compétente pour en connaître (= conflit négatif) + Quand personne n’est compétent, c’est la Cour de cassation qui statue aussi. CHAPITRE II. - L'OBJET ET LES SOURCES DU DROIT JUDICIAIRE PRIVÉ Section 1. - L'objet du droit judiciaire privé Droit judiciaire privé (droit judiciaire civil) = ensemble des règles et principes qui régissent la fonction de juger exercée par les cours et tribunaux en « matière civile » (à comprendre ici par opposition à la « matière pénale ») (1) Qui est le juge ? Les règles d’organisation du pouvoir judiciaire répondent à cette question en décrivant le PJ, les juridictions qui le composent, et le statut des juges qui y siègent (ainsi que les auxiliaires de justice, avocats, greffiers, huissiers) (2) Quels sont ses pouvoirs ? À cette question répondent 2 types de règles de compétence au sens large : - Les règles d'attribution = règles qui définissent quelles sont les responsabilités et les prérogatives qui incombent ou appartiennent au Pouvoir judiciaire par rapport aux autres pouvoirs et, singulièrement, par rapport aux juridictions qui ne ressortissent pas elles-mêmes au Pouvoir judiciaire. (art 144 et 145 C°) - Les règles de compétence au sens strict = règles qui déterminent la manière dont, matériellement et territorialement, les attributions du Pouvoir judiciaire se répartissent entre les différentes cours et les différents tribunaux qui le composent. (3) Comment est rendue la décision de justice ? À cette question répondent les règles de procédure qui régissent : - Les conditions du droit d'action = droit grâce auquel une personne peut saisir une juridiction afin de statuer sur le bien-fondé de sa demande. À quelles conditions peut-on saisir la justice ? - L'instance judiciaire = succession d'actes qui a pour point de départ l'introduction de la demande en justice (ou l'introduction d'un recours) et qui a pour terme la décision rendue sur cette demande ou sur ce recours - Les voies de recours = voies ouvertes aux parties à l'instance (et, plus exceptionnellement, aux tiers), en vue d'obtenir une nouvelle décision à propos d'un litige sur lequel un juge a déjà statué. (4) Comment la décision de justice est-elle exécutée ? À cette question répond un ensemble de règles « les saisies et les voies d'exécution » (+ le règlement collectif des dettes, la médiation et l’arbitrage), qui définissent la manière dont l'exécution forcée d'une décision de justice peut être obtenue. 84