Module 7: Les agresseurs psychosociaux PDF
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Université Laval
2023
Michel Pérusse
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Module 7 details the psychosocial aggressors in the workplace. It covers definitions and models and explores the objective conditions of work, perceptions of work, and the effect on health.
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Santé et sécurité au travail Notions de base Module 7 Les agresseurs psychosociaux Michel Pérusse Département de médecine sociale et préventive Faculté de médecine Université Laval Santé et sécurité au travail : notions de base 2 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux Équipe de production Responsab...
Santé et sécurité au travail Notions de base Module 7 Les agresseurs psychosociaux Michel Pérusse Département de médecine sociale et préventive Faculté de médecine Université Laval Santé et sécurité au travail : notions de base 2 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux Équipe de production Responsable du cours Michèle Bérubé Département de médecine sociale et préventive Conception pédagogique Marc Champagne, service des ressources pédagogiques Denise Vigneault, conseillère en APTIC Yves Cantin, département de médecine sociale et préventive Mise à jour 2023 Michèle Bérubé Traitement de texte Louiselle Desjardins Michèle Gagnon 3 Santé et sécurité au travail : notions de base 4 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux Table des matières Objectifs d'apprentissage................................................................................. 7 Introduction...................................................................................................... 8 1. Définitions et modèle.......................................................................... 9 1.1 Les agresseurs psychosociaux.................................................... 9 1.2 Le stress.................................................................................... 10 1.3 Modèle explicatif du stress....................................................... 11 2. Les conditions objectives de travail.................................................. 11 2.1 Le contenu de la tâche.............................................................. 11 2.2 Le contexte organisationnel..................................................... 17 3. Perceptions du travail……………………………………………... 22 3.1 La perception du travail........................................................... 22 3.2 Les variables individuelles....................................................... 23 3.3 Les variables organisationnelles.............................................. 25 4. Les effets sur la santé........................................................................ 26 4.1 Les effet modérés et réversibles............................................... 26 4.2 Les effets à moyen et long terme............................................. 29 Conclusion..................................................................................................... 32 5 Santé et sécurité au travail : notions de base 6 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux OBJECTIFS D'APPRENTISSAGE Après l'étude de ce module, vous serez en mesure de : 1. Définir ce que sont les agresseurs psychosociaux. 2. Définir la notion de stress. 3. Décrire le processus par lequel les conditions de travail créent du stress. 4. Identifier les sources des agresseurs psychosociaux. 5. Décrire le rôle de la perception du travail dans la genèse du stress. 6. Identifier les effets sur la santé qu'engendrent les agresseurs psychosociaux. 7 Santé et sécurité au travail : notions de base INTRODUCTION La protection de la santé et de la sécurité des travailleurs passe par l'élimination ou le contrôle des contaminants en milieu de travail. Ceux-ci sont classés en six catégories. Jusqu'à maintenant, nous avons étudié les risques physiques, chimiques, ergonomiques, biologiques et mécaniques (risques d'accident). La dernière catégorie regroupe sous la notion d'agresseurs « psychosociaux » un environnement ou des conditions de travail susceptibles d'engendrer du stress qui peut à son tour avoir des effets néfastes sur la santé. Bien que ce champ d'étude de la santé et de la sécurité du travail évolue, il n’est pas toujours évident de faire des liens entre des conditions ou une organisation inadéquates du travail et leurs effets sur la santé de sorte que même en 2022 plusieurs personnes affectées par les agresseurs psychosociaux ne reçoivent aucune compensation pour maladie professionnelle. Cependant, les modifications apportées par l’adoption de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST) en octobre 2021 auront certainement un impact sur la reconnaissance de maladies professionnelles liées aux agresseurs psychosociaux. En modifiant l’objectif ultime de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST, article 2) par l’intégration de la notion d’atteinte à l’intégrité psychique, la LMRSST vient modifier l’interprétation de certains articles de ladite Loi. De plus, l’ajout du paragraphe 16 de l’article 51 de la LSST concernant la violence au travail et la nouvelle obligation faite aux employeurs d’inclure les risques psychosociaux liés au travail pouvant affecter la santé des travailleurs, dans leur programme de prévention ou leur plan d’action devraient faciliter l’acceptation des demandes d’indemnisation liées aux agresseurs psychosociaux. D’ailleurs, depuis ces dernières années, plusieurs recherches tendent à démontrer l'existence de liens entre des conditions ou une organisation 8 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux inadéquates du travail et leurs effets sur la santé. Nous proposons ici un modèle explicatif de la dynamique par laquelle certaines caractéristiques du travail vont produire des effets néfastes. 1. DÉFINITIONS ET MODÈLE 1.1 Les agresseurs psychosociaux Lorsqu'on parle d'agresseurs psychosociaux, on fait référence à une catégorie d'agresseurs extrêmement vaste. C'est également une catégorie d'agresseurs assez mal connue parce qu'elle est mal définie. Si on consulte, par exemple, le Livre blanc sur la santé et la sécurité du travail, la plupart des agresseurs à la santé ou à la sécurité sont relativement bien définis et certaines catégories d'agresseurs font l'objet d'une classification quant à leur nature, à leurs effets, etc. Cependant, lorsqu'on arrive à la définition de la catégorie des agresseurs psychosociaux, on ne retrouve que trois paragraphes formulés d'une façon relativement ambiguë, un peu comme si le législateur québécois était embêté et se cherchait une classe d'agresseurs dans laquelle il pourrait insérer tout ce qui n'appartient pas aux autres classes. Plusieurs tentatives ont été faites pour répertorier les divers agresseurs psychosociaux. On peut penser par exemple à la grille du LEST (le Laboratoire d'économie et de sociologie du travail) ou à la grille conçue par les Usines Renault. Ces deux outils sont des grilles qui visent à analyser les conditions de travail à un poste donné et elles comportent certaines des variables qu'on retrouve habituellement sous la catégorie « agresseurs psychosociaux ». Mais l'un des outils les plus utiles pour tenter de comprendre la nature des agresseurs psychosociaux et la portée de leurs conséquences sur la santé est un modèle produit par Katz et Kahn de l'Université du Michigan. Il a fait l'objet de reformulations par les chercheurs québécois Dolan et Arsenault. 9 Santé et sécurité au travail : notions de base Comme il s'agit d'un modèle produit dans le cadre d'études sur le stress, il serait nécessaire, en premier lieu, d'apporter certaines clarifications quant à la nature du phénomène du stress. Il existe en effet une certaine confusion dans la littérature et on retrouve plusieurs définitions du même terme. 1.2 Le stress La définition fondamentale du stress nous est fournie par les physiologistes qui ont fait des travaux sur le sujet, en particulier Hans Selye. Ainsi, ils définissent le stress comme une « réaction non spécifique de l'organisme à toute situation qui nécessite qu'on s'y adapte » Il s'agit là d'une définition très large, puisque les situations qui nécessitent une adaptation peuvent être soit de nature positive, comme un événement heureux (gagner à la loterie, faire des gains imprévus, etc.), soit de nature négative, comme un événement malheureux (la perte d'un être cher, se retrouver sans emploi ou d'autres événements du même genre). Toujours selon les physiologistes, il est normal que l'organisme humain soit stressé. Sans stress, il n'y a pas de vie. Cependant, certaines approches ont limité la notion de stress à sa connotation négative, ce que les physiologistes appellent « la détresse ». Dans l'étude des impacts sur la santé des variables psycho-sociales, on tend à utiliser le mot « stress » dans cette connotation négative. Pour les fins de l'exposé, nous allons donc continuer à utiliser le mot stress selon cette dernière connotation, à savoir qu'il s'agirait d'un état de tension produit par des événements ou des situations à caractère essentiellement négatif. 1.3 Modèle explicatif du stress Des chercheurs américains ont développé un modèle explicatif du processus par lequel des conditions de travail peuvent générer du stress et avoir un impact sur la santé (voir figure 1, à la page suivante). Le modèle comporte six cases décrivant diverses catégories de variables dont quatre forment l'axe central qui décrit le processus par lequel les conditions de travail peuvent produire, à long terme, des effets sur la santé. Les deux autres cases (celles au dessus et au-dessous) représentent le rôle de variables intervenantes qui peuvent modifier ce processus. Examinons-les en détail. 10 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux FIGURE 1 : Modèle des causes et conséquences du stress adapté des travaux de « l'Institute for Social Research » de l'Université du Michigan (French et Kahn, 1962, p.2) VARIABLES INDIVIDUELLES (âge, personnalité, etc.) Conditions objectives de travail Perception des conditions de travail Contenu - Nature du travail Contexte - Rôle Horaire Rémunération Etc. - Personnalité - Support social - Etc. Réactions (Stress) Effets sur la santé - Effets modérés réversibles - Effets à long terme VARIABLES ORGANISATIONNELLES (Politiques de gestion, autonomie, etc.) 2. LES CONDITIONS OBJECTIVES DE TRAVAIL 2.1 Le contenu de la tâche Dans la première case, on retrouve les conditions objectives de travail qui peuvent, à long terme, produire des effets sur la santé des individus. Les conditions de travail qui ont fait l'objet du plus grand nombre de recherches quant à leurs impacts sur la santé se regroupent ainsi : la nature du travail, la charge de travail (la surcharge ou la sous-charge), les problèmes de rôles (ambiguïté) et le contexte organisationnel de la tâche à l'intérieur duquel on retrouve des variables telles le mode de rémunération, les horaires et les relations interpersonnelles qui prévalent sur les lieux de travail. 11 Santé et sécurité au travail : notions de base 2.1.1 La nature du travail Examinons d'abord les variables reliées à la nature du travail. Deux phénomènes nous intéressent principalement à ce sujet. Le premier concerne le morcellement progressif des tâches, c'est-à--dire que les différentes actions à poser pour l'exécution d'une tâche ont été progressivement réduites à des unités de plus en plus simples. Ce morcellement ou cette parcellisation des tâches avait pour objectif de standardiser leur exécution et d'augmenter la production en rendant les tâches de plus en plus faciles à accomplir. Le deuxième phénomène qui nous intéresse est celui de la distanciation progressive entre les tâches reliées immédiatement à la production (c'està-dire les tâches d'exécution) et les tâches décisionnelles reliées, entre autres, à la planification de l'exécution et au contrôle de cette exécution. Or, ce qui fait la supériorité de l'humain sur la machine, c'est justement sa capacité de prendre des décisions complexes et de s'adapter à des situations imprévues. De même, ce qui constitue l'intérêt d'un travail, c'est justement la possibilité d'utiliser dans ce travail une part importante de nos acquis de formation, de notre expérience, de nos habiletés et de notre expertise. Aussi, les théories en motivation de travail veulent que l'élément motivateur central d'une tâche soit cette possibilité de mettre à profit nos habiletés et notre expérience, tout en nous permettant d'accomplir et de réussir des choses. Ce sentiment d'accomplissement, ce sentiment d'avoir réussi quelque chose, nous vient surtout du fait que nous pouvons constater le résultat de notre travail. On voit donc la distance énorme entre la parcellisation des tâches et ce que l'être humain s'attend de retirer de son travail. Ce fossé grandissant entre des tâches de plus en plus morcelées, de plus en plus décomposées et une main d'œuvre plus scolarisée, mieux formée, plus compétente, ayant donc des attentes de plus en plus élevées, est à l'origine du phénomène qu'on appelle « l'aliénation du travail ». L'insatisfaction et la frustration qui en résultent engendrent de nombreux problèmes tant au niveau de l'organisation ou de l'entreprise qu'au niveau individuel, puisqu'à long terme, ces sentiments se 12 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux sont traduits par des problèmes de santé physique et mentale pour les travailleurs concernés. 2.1.2 La charge de travail Le deuxième élément des conditions objectives de travail qui nous intéresse est celui de la charge de travail. La plupart des recherches dans ce domaine ont tenté de mettre en relation une surabondance de travail ou une surcharge de travail avec certains problèmes de santé. De plus, d’autres études suggèrent que la sous-charge de travail serait tout aussi nocive que la surcharge. Mais comment définit-on la surcharge de travail? La définition la plus couramment utilisée comporte trois éléments : « un trop grand nombre de choses à faire, de tâches à accomplir, dans un temps trop restreint ou avec trop peu de ressources ». Une charge normale se définirait donc comme un nombre adéquat de tâches à faire en disposant des ressources suffisantes et du temps nécessaire pour bien les accomplir. La surcharge résulte d'un déséquilibre dans l'un de ces trois volets. Il faut par ailleurs distinguer la surcharge qualitative de la surcharge quantitative. La surcharge qualitative résulte du fait d'avoir des choses trop complexes, trop difficiles à accomplir, tandis que la surcharge quantitative est le résultat d'un nombre trop important de tâches à accomplir, peu importe leur complexité. Ainsi, il existe des tâches qui présentent simultanément une surcharge quantitative et une sous-charge qualitative. C'est le cas notamment des tâches d'assemblage sur une chaîne de montage qui nécessitent souvent des gestes très simples et très peu d'expertise mais qui imposent une cadence assez rapide. Cela traduit également une relation entre la sous-charge qualitative et la « déqualification » des tâches. 2.1.3 Les rôles Le troisième élément qui nous intéresse dans ces conditions objectives est la notion de problème de rôles. Cependant, avant de parler de problèmes de rôles, il faut définir au préalable ce qu'est un rôle de travail. 13 Santé et sécurité au travail : notions de base Ainsi, le rôle de travail englobe trois (3) composantes principales (voir figure 2) : 1. les attentes de l'entreprise ou de l'organisation par rapport au titulaire du rôle (le travailleur); 2. les ressources dont dispose le titulaire du rôle pour accomplir son mandat; 3. le niveau hiérarchique ou la ligne d'autorité dans laquelle s'inscrit le rôle. FIGURE 2 : Modèle des composantes d'un rôle de travail ATTENTES DE L'ENTREPRISE Comportementales - qui fait quoi comment avec quels outils selon quel procédé durant combien de temps etc. Affectives (attitudes, sentiments) - motivation appartenance à l'entreprise loyauté recherche de l'excellence etc. RESSOURCES Sous la responsabilité du/de la titulaire du rôle : Decription des tâches - humaines matérielles financières LIGNE D'AUTORITÉ De qui relève le/la titulaire hiérarchiquement; niveau de contrôle exercé par la hiérarchie Le premier élément du rôle, à savoir les attentes, consiste essentiellement en des comportements que l'entreprise s'attend à voir poser par le titulaire du rôle. Ces comportements représentent généralement les tâches à 14 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux accomplir. Les attentes peuvent également prendre une autre forme : ce peut être, entre autres, les sentiments et les attitudes qu'on souhaite retrouver chez le titulaire du rôle. Ces sentiments sont, par exemple, la loyauté envers l'entreprise, l'attitude de recherche d'excellence, etc. La deuxième composante du rôle, ce sont les ressources. Normalement, pour que le titulaire d'un rôle puisse accomplir son mandat, on doit lui confier ou mettre à sa disposition des ressources humaines, physiques, matérielles, financières et ainsi de suite. Il est de la responsabilité du titulaire du rôle d'administrer ces ressources adéquatement pour atteindre les objectifs qui correspondent au rôle. La troisième composante du rôle, c'est la ligne d'autorité. Le rôle doit, entre autres, définir très clairement de qui relève hiérarchiquement son titulaire. Un des principes d'organisation veut qu'une personne dans une entreprise ou dans une organisation ne relève hiérarchiquement que d'un supérieur immédiat, et un seul. À la lumière de cette définition du rôle, examinons maintenant quels peuvent être les problèmes d'un rôle dans une entreprise. a) Ambiguïté du rôle La première grande forme de problèmes, c'est l'ambiguïté d'un rôle. L'ambiguïté survient lorsque l'un des éléments du rôle n'est pas clairement défini. Par exemple, il y a ambiguïté du rôle lorsque le titulaire d'un rôle ou d'un poste ne sait pas exactement ce qu'il a à faire ou ne connaît pas clairement le mandat qui lui est confié. Il y a ambiguïté de rôle lorsque les ressources pour accomplir le mandat ne sont pas définies ou ne sont pas précisées. b) Conflits de rôles On en distingue deux grandes sortes : les conflits intra-rôle et inter-rôle. Les conflits intra-rôle Une première forme de conflits intra-rôle se produit lorsque des tâches appartenant à un même rôle sont incompatibles entre elles. On en a un 15 Santé et sécurité au travail : notions de base exemple lorsqu'on demande à quelqu'un de produire plus rapidement et en même temps de produire sécuritairement, alors que la méthode à suivre pour procéder sécuritairement entraîne obligatoirement un ralentissement de la production. Il y a également conflit intra-rôle lorsque la personne qui remplit ce rôle doit répondre hiérarchiquement à deux ou plusieurs supérieurs et, par conséquent, doit recevoir des directives parfois contradictoires de deux ou plusieurs sources. Une troisième forme de conflit intra-rôle a été décrite précédemment; il s'agit de la surcharge de travail. Analysée en termes de conflit intra-rôle, la surcharge correspond à un trop grand nombre de tâches à accomplir par rapport à l'échéancier fixé. Une quatrième forme de conflit intra-rôle se présente lorsque la personne est fondamentalement en désaccord avec certaines des tâches qu'elle a à accomplir. On retrouve ce genre de conflit lorsque la personne, par exemple, est contrainte d'exécuter sa tâche d'une certaine façon alors qu'elle est foncièrement convaincue qu'une autre méthode serait plus efficace. Les conflits inter-rôle Il existe également deux grandes formes de conflits inter-rôle. Dans la première forme, il s'agit d'un conflit entre le rôle professionnel d'une personne et, par exemple, son rôle social ou son rôle familial. On rencontre souvent ce genre de problème chez des personnes dont le rôle au travail est surchargé et qui doivent faire des heures supplémentaires ou apporter du travail à la maison, au détriment de certaines fonctions, comme les fonctions parentales, par exemple. La deuxième grande forme de conflits inter-rôle se retrouve lorsque certaines tâches très spécifiques ont été attribuées à plus d'un rôle, c'est-à-dire à plus d'une personne, ou n'ont pas été attribuées du tout. S'il y a mésentente entre les personnes concernées quant à savoir qui doit accomplir ces tâches, il y a conflit inter-rôle. La lutte de pouvoir au sein d'une entreprise ou d'une organisation représente une forme particulière de ce 16 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux conflit inter-rôle, lorsque l'exécution des tâches concernées procure à la personne qui les exécute un contrôle sur un certain nombre de ressources. On se rend donc compte que toutes les formes de problèmes de rôle, que ce soit l'ambiguïté ou toutes les formes de conflits, résultent d'une définition inadéquate ou incomplète du rôle que doit assumer une personne à l'intérieur de l'entreprise. Mais l'exécution de ce rôle se fait dans un contexte particulier et, à ce titre, le contexte organisationnel de la tâche peut également avoir des répercussions sur la santé des personnes concernées. 2.2 Le contexte organisationnel Comme nous l'avons mentionné précédemment, nous allons traiter ici du mode de rémunération, d'horaires et de relations interpersonnelles. 2.2.1 Le mode de rémunération Le principal mode de rémunération qui est remis en cause, quant à ses effets sur la santé, est la rémunération au rendement. La rémunération au rendement sous-entend que c'est la quantité de production fournie par un individu qui déterminera sa rémunération en tout ou en partie. Ce mode de rémunération est utilisé dans le but évident d'inciter les individus ou les travailleurs à augmenter leur productivité. Les études sur le sujet tendent à démontrer que cette incitation à la production produirait des effets sur la santé, en raison d'un plus grand stress qu'elle génèrerait chez les individus qui sont ainsi rémunérés. Chez les travailleurs rémunérés individuellement au rendement, on constate une tendance à allonger les heures de travail de façon à pouvoir augmenter leur rémunération. Cet allongement des heures de travail produirait une certaine fatigue qui, accumulée pendant un certain nombre d'années, pourrait être néfaste à la santé. Chez les travailleurs rémunérés au rendement en fonction d'un travail d'équipe, en plus de cet allongement des heures de travail, on constate un certain stress lié à une tension à l'intérieur de l'équipe, tension attribuée au fait que les travailleurs exerceraient les uns sur les autres une plus grande pression de façon à ce que l'équipe atteigne ses quotas de production ou bénéficie d'une prime au rendement. En plus d'occasionner un plus grand stress chez les individus, 17 Santé et sécurité au travail : notions de base cette tension à l'intérieur de l'équipe produirait une dégradation des relations interpersonnelles. Les recherches sur le sujet sont encore peu nombreuses et les résultats ne sont pas univoques. Un des points importants qui reste à éclaircir en cette matière c'est de savoir si les diverses formes de rémunération au rendement (car la rémunération au rendement peut prendre de multiples formes) ont les mêmes effets sur la santé des personnes exposées. De plus, jusqu'à maintenant, la plupart des recherches se sont attardées à trouver les effets de cette forme de rémunération sur les accidents: très peu d'études ont porté sur son impact à long terme sur la santé des individus. 2.2.2 Les horaires Tout comme la rémunération au rendement, les horaires de travail peuvent prendre des formes très nombreuses et extrêmement diversifiées. Même si la littérature sur les effets des horaires de travail est relativement abondante, il n'en reste pas moins que plusieurs aspects des impacts des horaires restent à clarifier. Il semble bien que l'horaire de travail le plus convenable physiologiquement soit celui qui se situe entre huit ou neuf heures le matin et quatre ou cinq heures l'après-midi. C'est en effet durant cette période que les systèmes physiologiques chez l'être humain sont en phase d'activation maximale. Mais il y a certains secteurs d'activités économiques où il est essentiel que le travail se poursuive même pendant la nuit, en particulier le secteur des services qui assurent la santé et la sécurité du public : les soins de santé, les services de sécurité publique et ainsi de suite. Or, ce sont les formes de travail de nuit qui seraient les plus susceptibles de produire des effets indésirables sur la santé. On soupçonne plus particulièrement deux types de problèmes : Premièrement, l'être humain étant une espèce animale conçue pour vivre en mode diurne, on constate que la plupart de ses fonctions physiologiques et biochimiques sont en période d'activation durant le jour et en période de désactivation durant la nuit. Certaines de ces fonctions seraient même synchronisées en fonction de la lumière du soleil. Ainsi, le fait de travailler 18 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux durant la nuit produirait une perturbation de ces fonctions physiologiques et biochimiques, perturbations qui, à long terme, finiraient par produire des effets sur la santé. On constate que même chez les personnes travaillant de nuit depuis des années, il n'y a jamais inversion totale des cycles. Cette absence d'adaptation totale au travail s'expliquerait de la façon suivante : il y aurait une certaine adaptation progressive des cycles ou des phases de certains cycles tout au long de la semaine de travail, mais au jour de repos, à la fin de la semaine de travail, ces cycles reprendraient leur mode de fonctionnement diurne assez rapidement, de sorte que semaine après semaine, cette ré-acclimatation au travail de nuit resterait à faire. Le deuxième type de problème posé par le travail de nuit concerne le sommeil : ces problèmes sont d'ordre qualitatif et d'ordre quantitatif. Sur le plan qualitatif, il existe une phase de sommeil qui s'appelle le sommeil paradoxal. C'est pendant ces périodes de sommeil paradoxal que nous rêvons. Le rêve ou le sommeil paradoxal a pour fonction de liquider ou de faire diminuer certaines tensions psychologiques d'ordre affectif ou émotif comme, par exemple, l'état de certaines frustrations que nous avons connues durant la journée. Or, le fait de travailler la nuit et de chercher à dormir le jour semble entraîner une diminution des périodes de sommeil paradoxal durant le sommeil. Le sommeil de jour serait ainsi moins récupérateur au plan psychologique. Au plan quantitatif, on constate également que les personnes qui dorment le jour dorment en moyenne moins longtemps : alors que le sommeil de nuit dure en moyenne de sept à huit heures, les personnes dormant le jour dorment difficilement plus de six heures. Quant à savoir s’il faut privilégier un travail de nuit en poste fixe ou en rotation, il semble que sur le strict plan de la santé le travail en rotation soit moins néfaste. Quant à la forme idéale de rotation, il existe sur le sujet, deux écoles de pensée : l'école européenne et l'école américaine. Selon l'école européenne, les périodes de rotation courtes - pas plus de deux ou trois périodes de travail de nuit consécutives - seraient à privilégier car la perturbation des fonctions physiologiques chez l'être humain serait minimale. 19 Santé et sécurité au travail : notions de base De plus, les ergonomes européens recommandent des cycles de travail de nuit de quatre ou six heures plutôt que de huit heures. L'école américaine, au contraire, privilégie les cycles de rotation très longs sur une base de neuf semaines, à savoir trois semaines de jour, trois semaines de soir et trois semaines de nuit. Selon les tenants de cette approche, ce mode de rotation aurait pour effet de suivre les décalages progressifs dans les fonctions physiologiques de l'individu, de façon à rester, en quelque sorte, synchronisé avec le fonctionnement de la personne. Il semble que la formule privilégiée par les écoles européennes soit préférable puisqu'elle vise une désynchronisation minimale des fonctions physiologiques plutôt que de pousser ces désynchronisations au maximum. À l'opposé, si sur le plan de la santé, le travail en rotation est préférable au travail fixe de nuit, sur le plan social, il semble que ce soit le contraire. En effet, les personnes qui travaillent en rotation ont une certaine difficulté à participer à des activités sociales sur une base régulière. Par exemple, ces personnes ont de la difficulté à suivre un cours de perfectionnement qui se donne le soir parce que, une fois sur trois, elles sont au travail, donc non disponibles. De plus, il semblerait que les horaires en rotation entraînent plus de problèmes conjugaux. Cependant, il reste encore beaucoup de points à éclaircir dans ce domaine. 2.2.3 Les relations interpersonnelles Toujours dans les conditions de travail pouvant causer des problèmes, un volet important du contexte de la tâche est le climat des relations interpersonnelles qui existent à l'intérieur de l'entreprise. En effet, de nombreuses études ont démontré qu'un mauvais climat de relations interpersonnelles, des tensions entre les individus ou les collègues de travail, de la violence qu’elle soit verbale ou physique, peuvent être une source de stress très importante. Le climat des relations interpersonnelles dépend principalement des personnes concernées, mais on se rend compte que plusieurs variables situationnelles peuvent également créer un climat de relations interpersonnelles défavorable. 20 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux Deux grandes variables situationnelles retiennent notre attention à ce sujet. Il s'agit d'abord des problèmes dans la définition des tâches. En effet, le conflit de rôle, tel que mentionné plus tôt, peut avoir un impact négatif important sur les relations entre collègues de travail. Le deuxième volet est relié au premier : il s'agit du style de leadership qui est exercé par les supérieurs immédiats et de la philosophie de gestion des ressources humaines prévalant au sein de l'entreprise. Ces deux composantes peuvent également influencer le climat des relations interpersonnelles. Ainsi, il est très facile d'imaginer les répercussions que peut avoir sur un groupe l'attitude d'un supérieur hiérarchique qui exerce la politique de diviser pour mieux régner. De même, le style de leadership trop autoritaire peut créer un climat de tensions qui va se traduire par des états de stress. Le leader efficace dans la circonstance est celui qui sait s'adapter aux attentes des personnes qui composent son équipe de travail. De nos jours, la main d'œuvre, de plus en plus jeune et mieux qualifiée, s'attend à se voir confier de plus en plus de responsabilités. En termes de leadership, cela représente donc une nécessité de déléguer certaines responsabilités plutôt que de chercher à les centraliser. Certaines variables situationnelles, cependant, sont plus propices à produire un style de leadership autoritaire, autocratique. C'est ce qui peut arriver lorsqu'il y a un nombre important de personnes à superviser ou une surface de travail très vaste. Plus le nombre de personnes à superviser est grand, ou plus la surface de travail que le superviseur doit contrôler est vaste, plus le superviseur aura alors tendance à se sentir insécure, à se sentir anxieux et plus son comportement deviendra rigide; donc, plus son style de leadership aura tendance à être autocratique. Cela ne veut pas dire pour autant que le style autocratique soit systématiquement néfaste. En effet, lorsque l'entreprise traverse une période difficile ou lorsque le groupe traverse une période de crise, les membres du groupe auront tendance à rechercher un leader fort, un leader capable de prendre des décisions rapidement. En période difficile, ou en phase de crise, le groupe s'attend donc à voir un leadership autocratique et dans cette circonstance, le leadership démocratique est perçu comme une tentative de fuir des responsabilités. C'est pourquoi on considère généralement que ce qui est néfaste, ce n'est pas nécessairement le style de leadership en soi, mais 21 Santé et sécurité au travail : notions de base c'est plutôt la mésadaptation entre le style de leadership qui est pratiqué et les attentes du groupe de travail. Et c'est ce décalage qui créerait de l'insécurité et du stress. Enfin, il existe bien sûr d'autres types de conditions de travail qui peuvent causer des tensions et produire à long terme des effets sur la santé. On pense par exemple au fait de travailler dans un environnement dangereux ou encore d'être fréquemment en contact avec le public, en particulier lorsque ce contact implique d'avoir affaire à des gens irritables, agressifs ou qui présentent des anomalies de comportement, comme en milieu hospitalier psychiatrique, par exemple. Lorsqu'elles sont présentes, ces conditions ont bien sûr un effet non négligeable. 3. PERCEPTIONS DU TRAVAIL, VARIABLES INDIVIDUELLES ET ORGANISATIONNELLES 3.1 La perception du travail Il est très difficile de mesurer précisément l'effet sur la santé de l'une ou l'autre des conditions de travail discutées. Ceci tient au fait que deux personnes exposées à un même environnement de travail et aux mêmes conditions de travail n'y réagiront pas nécessairement de la même façon. Cette difficulté de mesurer les effets justifie l'inclusion, dans le modèle général, du stress de la deuxième case de l'axe central, qui traite de la perception du travail. Dans la mesure où un travail donné avec certaines conditions précises convient à une personne et qu'elle s'y sent à l'aise, il est peu probable que ce travail se traduise à la longue par des effets sur sa santé. En revanche, il est possible qu'une autre personne faisant le même travail s'y sente mal à l'aise, de telle sorte que des effets sur sa santé sont susceptibles de se manifester. Une tâche quelconque peut apparaître à une personne comme relativement facile et présentant peu de risques d'échec, alors qu'à une autre cette même tâche pourrait paraître assez compliquée et présenter une forte probabilité d'insuccès, de telle sorte que cette probabilité d'insuccès 22 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux la rendrait insécure et stressée. Par exemple, une étude effectuée auprès de gardiens de prison de la Colombie Britannique a démontré que les jeunes gardiens diplômés de collèges et peu expérimentés se sentaient très menacés par la possibilité d'une agression de la part des détenus, alors que les gardiens ayant plus d'ancienneté dont plusieurs étaient d'anciens militaire de carrière se sentaient beaucoup moins stressés face à cette éventualité. C'est pourquoi plusieurs chercheurs ont étudié les effets stressants, non pas d'une condition de travail comme telle, mais d'un écart entre les conditions de travail objectives et les attentes de la personne concernée face à sa tâche. Il est important de préciser cependant que, dans une telle situation, il est très difficile d'intervenir sur la perception qu'ont les personnes de leur travail. La prévention à la source des effets néfastes sur la santé passe plutôt par une modification des conditions de travail elles-mêmes. Deux autres catégories de variables peuvent influencer la perception qu'ont les individus de leurs conditions de travail et, à l'instar de celle-ci, vont modifier la quantité de stress qui sera générée. Dès lors, les effets sur la santé seront à leur tour modifiés. Ces catégories sont les variables individuelles telles que l'âge, la personnalité, le support familial, etc. et les variables organisationnelles telles la politique de gestion de l'entreprise, l'autonomie, l'ancienneté, etc. (voir figure 1). 3.2 Les variables individuelles Parmi les variables individuelles, celle qui attire sans doute le plus l'attention est la personnalité. Plus spécifiquement, on parle de deux types de personnalité : A et B. Une personne de type A serait compétitive, très hautement motivée et acharnée au travail. Cette personne se fixe des objectifs très élevés, des échéanciers très serrés et aime être engagée dans beaucoup de choses à la fois. Au contraire, la personnalité B serait plutôt de type coopératif. Il s'agirait d'une personne n'aimant pas être soumise à la pression et pour qui les délais 23 Santé et sécurité au travail : notions de base temporels ont quelque chose d'artificiel, La personne du type B serait beaucoup moins tendue et moins anxieuse. Selon l'interprétation des résultats de plusieurs recherches en cette matière, les personnes de type A sont beaucoup plus vulnérables à des problèmes de santé, principalement à la maladie cardiaque. Cette interprétation attribue donc à la personnalité de type A une valeur causale dans l'apparition de problèmes de santé. Il faut cependant faire preuve de beaucoup de prudence. En effet, il n'a jamais été démontré hors de tout doute que la personnalité de type A et la maladie cardiaque s'enchaînent dans une relation de cause à effet; ne seraient-elles pas plutôt deux conséquences d'une même cause, le niveau de pression organisationnelle exercée sur un individu et le stress qui en résulterait? En effet, on peut penser que si l'organisation se fixe des délais serrés, fonctionne sur un mode hautement compétitif et exerce beaucoup de pression sur les personnes qui y travaillent, il est fort probable qu'une telle organisation modèlera, en quelque sorte, le comportement des personnes à l'intérieur de l'organisation de façon à ce qu'elles adoptent le style de personnalité de type A. À l'inverse, une organisation où les échéanciers seraient plus généreux et où la pression exercée sur les personnes serait moins forte, serait plutôt susceptible de laisser apparaître un style de fonctionnement de type B, plus coopératif et moins compétitif. Une autre variable individuelle qui se retrouve également dans les variables organisationnelles et qui a son importance est le support ou soutien social. On place le soutien social dans les deux catégories de variables, parce que les sources de soutien peuvent se situer soit dans la famille ou dans le réseau d'amis (variable individuelle), soit dans l'organisation comme telle (variable organisationnelle). Par soutien ou support, on entend la possibilité de trouver du réconfort, de l'appui, de l'encouragement ou même de l'aide sur le plan technique pour résoudre certains problèmes. La présence de soutien social aurait pour effet de permettre aux personnes soumises au stress et aux frustrations de partager certains problèmes, de recevoir certains appuis et encouragements, ce qui par le fait même empêcherait l'accumulation de stress de dégénérer en problèmes de santé, en 24 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux agissant comme soupapes de sécurité pour libérer le trop-plein des pressions internes. À l'inverse, l'absence de soutien provoquerait l'isolement relatif des personnes et les rendrait plus vulnérables à une trop grande accumulation de pressions internes qui entraîneraient des problèmes de santé. 3.3 Les variables organisationnelles Parmi les variables organisationnelles, celles qui ont fait l'objet d'une attention plus particulière sont l'autonomie et l'ancienneté. Ainsi, le fait d'accorder à une personne une certaine autonomie dans sa tâche lui permettrait d'agir sur sa charge de travail, de mieux l'équilibrer ou de mieux la répartir, ce qui aurait un effet modérateur sur le stress. De plus, l'autonomie pourrait faire en sorte que la personne perçoive sa tâche comme un défi plutôt que comme une contrainte, ce qui pourrait atténuer la pression interne du stress. Certaines recherches ont mis en lumière un lien négatif entre l'ancienneté et le niveau de stress ressenti. Ceci peut être illustré par les résultats d'une étude effectuée auprès des chauffeurs d'autobus de la Société de transport de Montréal (STM). Ainsi, chez les chauffeurs, le choix des trajets et des horaires est accordé en fonction de l'ancienneté, c'est-à-dire que le chauffeur qui a le plus d'ancienneté dans l'organisation a le premier choix de trajet et d'horaire. Ce mécanisme permet donc aux chauffeurs les plus anciens de choisir les routes les moins stressantes, de sorte que ce sont les chauffeurs les moins anciens qui héritent des routes les plus achalandées aux heures de pointe. Il semble que plusieurs autres variables organisationnelles interviendraient dans le processus, mais les résultats de recherches à ce sujet sont relativement sporadiques et l'image qui s'en dégage est loin d'être claire. 25 Santé et sécurité au travail : notions de base 4. LES EFFETS SUR LA SANTÉ Quels peuvent être les effets de conditions de travail mal adaptées sur la santé d'une personne? On peut subdiviser ces effets en deux grandes catégories qui correspondent aux deux dernières cases de l'axe central du modèle général. Dans un premier temps, certains effets sont modérés, généralement à court terme pour ne pas dire instantanés et, la plupart du temps, réversibles. Mais lorsque ces effets mineurs se maintiennent trop longtemps ou se répètent trop souvent, il peut en résulter des effets à long terme, chroniques, plus graves pour la santé des individus. La difficulté à propos des résultats des recherches qui ont porté sur les effets du stress est que, d'une part, ces manifestations sur la santé peuvent prendre des formes très différentes chez diverses personnes et, d'autre part, que ces mêmes effets sur la santé peuvent provenir de facteurs qui n'ont rien à voir avec le travail. Bien que les effets néfastes d’une exposition prolongée au stress soient de plus en plus reconnus, il demeure difficile de démontrer hors de tout doute l'impact du stress sur un volet de la santé en particulier et également de faire la preuve irréfutable de l'origine professionnelle d'un problème de santé donné. 4.1 Les effet modérés et réversibles Les effets modérés peuvent se subdiviser en trois catégories : les effets physiologiques, les effets psychologiques et les effets comportementaux. 4.1.1 Les effets physiologiques Les physiologistes, et particulièrement Hans Selye, affirment que les réactions physiologiques que provoque le stress sont les mêmes, peu importe la nature de la situation, pourvu qu'elle exige des individus qu'ils s'y adaptent. C'est cette nécessité d'adaptation physiologique que Hans Selye appelle le syndrome général d'adaptation. Ces réactions sont entre autres l'augmentation de la fréquence cardiaque, de la respiration, de la sudation, du taux de certaines hormones, mise en veilleuse de certains systèmes comme le 26 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux système digestif (ce qui explique les problèmes de digestion chez les personnes stressées), etc. Ce syndrome se manifeste en trois phases. Au début, lorsqu'il y a apparition de la situation stressante au sens large, l'organisme traverse une période d'alarme où les systèmes physiologiques appelés à passer à l'action sont mobilisés et mis sous tension. Tant que dure la situation, tant que les forces de l'individu lui permettent de la supporter, sans toutefois qu'il soit capable de s'y adapter, l'organisme est maintenu en état de résistance. Mais lorsque la situation est trop intense, qu'elle se répète trop souvent ou qu'elle dure trop longtemps, l'individu atteint la limite de sa résistance et apparaît alors la troisième phase de syndrome, à savoir la phase d'épuisement. L'épuisement ultime est la mort. Mais comment se manifeste cet état de tension? Les physiologistes nous disent qu'il s'agit essentiellement d'une activation du système sympathique et d'une désactivation du système parasympathique. En d'autres termes, les systèmes de l'organisme qui seront mis à contribution pour passer à l'action sont préparés justement à l'action, alors que les autres systèmes, les systèmes périphériques, sont mis en veilleuse. Par exemple, le système digestif et le système reproductif qui ne sont pas directement mis à contribution dans le processus d'adaptation immédiate à une situation, sont temporairement désactivés. Cependant, le système cardio-vasculaire, le système respiratoire et le système musculaire, qui eux sont directement impliqués lorsque l'individu pose des gestes, sont mis sous tension et préparés à l'action : ainsi, le tonus musculaire augmente, le rythme respiratoire s'accélère, mais la profondeur des respirations diminue; le rythme cardiaque augmente, la tension artérielle aussi, surtout en périphérie (c'est-à-dire dans les extrémités des membres). De plus, l'organisme libère des sucres qu'il met en circulation dans le système, afin que les muscles puissent les utiliser au besoin et rapidement. On verra un peu plus loin que les effets majeurs sur la santé sont en relation directe avec ces manifestations physiologiques qui, pour une situation ponctuelle, demeurent réversibles. Cannon, l'un des physiologistes à avoir étudié le stress, a observé que chez les animaux cette réaction 27 Santé et sécurité au travail : notions de base physiologique est la même, peu importe que l'animal s'apprête à se battre ou à fuir. C'est ce que Cannon appelait la réaction de lutte ou de fuite. On constate que ce syndrome lutte-fuite est également ce qui caractérise les réactions psychologiques au stress. 4.1.2 Les effets psychologiques Les réactions psychologiques sont de deux ordres : ou bien l'individu va réagir violemment, avec agressivité, et on constatera alors des comportements belliqueux, des attitudes agressives ou revendicatrices, des éclats de voix, des emportements faciles; ou bien l'individu cherchera à se retirer de la situation. Dans ce cas, les réactions se manifestent par de l'apathie, une légère tendance dépressive, un retrait psychologique de la situation ou de la démotivation. Les comportements caractérisant le retrait psychologique sont le retard, l'absentéisme, le présentéisme, les prolongations des pauses - café ou de l'heure du dîner, un manque d'enthousiasme à la tâche. 4.1.3 Les effets comportementaux Quant aux effets comportementaux, on retrouve les indicateurs suivants : d'abord une augmentation de la consommation d'alcool. Ce comportement s'explique de la façon suivante : comme le stress entraîne une augmentation de la tension artérielle et comme l'alcool est l'un des plus puissants vasodilatateurs qui soit, la fuite dans l'alcool aurait en quelque sorte l'avantage d'aider l'individu à relaxer. Toujours parmi les effets comportementaux, il faut également mentionner l'augmentation de la consommation de café, l'augmentation du tabagisme et une augmentation de la consommation de médicaments, autant des calmants que des excitants. On peut donc facilement s'imaginer que lorsque des symptômes à court terme et réversibles se maintiennent, lorsque la situation perdure et que les effets sur l'individu se prolongent, il en résulte, à moyen ou long terme, des effets sur la santé sur les plans physique, psychologique, social et organisationnel. Nous allons examiner ces quatre catégories d'effets à moyen ou à long terme, c'est-à-dire les effets chroniques. 28 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux 4.2 Les effets à moyen et long terme D'abord sur le plan de la santé physique, certains problèmes sont de plus en plus reconnus comme étant causés par le stress. On pense, entre autres, au problème le plus couramment mentionné, soit celui des maladies cardiovasculaires. On a longtemps cru que ces maladies étaient l'apanage des cadres supérieurs, mais des études récentes suggèrent plutôt que les maladies cardio-vasculaires affecteraient surtout les cadres intermédiaires ou les personnes qui doivent respecter plusieurs exigences souvent incompatibles entre elles. Une autre pathologie très souvent reliée au stress est l'ulcère de l'estomac ou du duodénum. La maladie cardiaque et l'ulcère sont les deux pathologies les plus fréquemment mentionnées dans la littérature. Mais des résultats de recherches montrent également des liens entre le stress et plusieurs autres pathologies. On pense à des problèmes respiratoires tels que l'asthme; à des problèmes dermatologiques telles que des dermatoses aux extrémités, c'està-dire aux mains et aux pieds ou des irritations de l'épiderme au niveau de l'aine, des aisselles, des coudes et des genoux. Par ailleurs, une recherche effectuée auprès de contrôleurs aériens laisse croire également que le diabète pourrait avoir comme origine le stress. Ainsi, il semblerait que le diabète affecte principalement les catégories de personnes qui ont une surcharge quantitative, c'est-à-dire beaucoup de choses à faire, en même temps qu'une surcharge qualitative. En d'autres termes, ce seraient des tâches très importantes qui comporteraient une composante physique peu importante : des gens qui se mobiliseraient à l'action sous l'effet du stress, mais qui ne dépenseraient pas l'énergie ainsi mobilisée. Si on revient à la tâche du contrôleur aérien, en particulier dans les aéroports achalandés, on retrouve facilement la surcharge quantitative. La charge qualitative est extrêmement importante également puisque chaque petit point lumineux sur l'écran radar représente un avion avec toutes les personnes qu'il transporte. D'un autre coté, la composante physique de la tâche est peu élevée, puisqu'il n'y a pas beaucoup d'exercices inhérents à la fonction même de contrôleur aérien. 29 Santé et sécurité au travail : notions de base Enfin, d'autres recherches supposent que le stress serait à l'origine de problèmes musculaires comme les spasmes et qu'il produirait chez l'être humain des problèmes de la fonction de reproduction : on sait, entre autres, que le stress peut produire chez l'homme une impuissance temporaire; chez la femme, la dysménorrhée, c'est-à-dire la perturbation du cycle menstruel et chez les deux, éventuellement la stérilité. Mais il reste encore beaucoup de choses à démonter dans ce domaine. - Sur le plan psychologique, les deux principaux types de problèmes rencontrés sont la crise nerveuse et la dépression sévère. La crise nerveuse se retrouve chez les gens soumis à une forte tension, qui équivaut à du surmenage. Par ailleurs, la dépression sévère se retrouve surtout chez des gens qui ne sont pas en mesure de voir les résultats de leurs travaux ou qui sont souvent confrontés à l'échec. Pour avoir une idée que ces problèmes ne datent pas d’aujourd’hui, un article du Times de septembre 1983 mentionne que les trois principaux médicaments vendus aux États-Unis sont un médicament contre l'hypertension, un calmant et un médicament contre l'ulcère. Ce même article ajoute qu'en se basant sur un échantillon représentatif des entreprises américaines, les effets néfastes du stress, par le biais des absences, maladies, perte de production, etc., coûteraient annuellement entre 50 et 75 milliards de dollars à l'économie américaine, ce qui représente une moyenne d'environ 750 $ annuellement par travailleur ou travailleuse. - 30 Sur le plan collectif ou social, le fléau que représente l'alcoolisme serait en partie attribuable au stress. Des travaux récents suggèrent qu'il en serait de même pour l'augmentation du taux de divorce ou de problèmes conjugaux. À un niveau encore plus global, il semblerait que l'augmentation du taux de suicide et du taux de criminalité soit liée à une augmentation progressive du stress de vie. Ces problèmes seraient en partie reliés au niveau d'industrialisation et d'urbanisation, mais des études récentes ont également démontré des taux anormalement élevés de ces symptômes dans certaines professions. Avant de pouvoir conclure, Module 7 : Les agresseurs psychosociaux il faut toutefois réexaminer ces phénomènes beaucoup plus en profondeur. - En ce qui concerne les conséquences organisationnelles pour l'entreprise, les effets négatifs du stress vont se faire sentir d'abord sur la production. Ces effets néfastes sont susceptibles de se manifester par une diminution de la production en quantité ou une détérioration de la qualité, ou par l'augmentation des pertes de production. Ces effets vont également s'étendre à tout ce qu'une insatisfaction au travail peut laisser présager : détérioration du climat des relations interpersonnelles, tensions graves entre employeurs et employés, griefs, détérioration du climat humain et du climat des relations de travail. L'important est donc ici de procéder à un diagnostic très précis et très systématique de la situation de travail, afin de détecter les conditions qui seraient inadéquates. C'est uniquement après l'intervention visant à corriger ces conditions inadéquates que l'organisation pourra devenir plus efficace et que les personnes qui y œuvrent pourront éviter d'être stressées. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire pour cerner les causes du stress et démontrer leurs effets à long terme sur la santé. C'est là une tâche ardue, de longue haleine, qui nécessitera encore de nombreux travaux de recherche. 31 Santé et sécurité au travail : notions de base Conclusion Lorsqu'on analyse les mécanismes du stress sous cet angle et à la lumière de notre modèle, on est mieux en mesure de juger de la qualité préventive des diverses interventions qui sont proposées pour modifier le stress. Ainsi, certaines interventions visent à s'attaquer aux effets sur la santé. C'est le cas de toutes les interventions de type médical : on peut penser, par exemple, à la médication pour guérir l'ulcère ou pour permettre à des personnes de mieux dormir. Ces interventions ont pour but de corriger des effets, mais ne s'attaquent pas à la source du problème. Une deuxième catégorie d'interventions vise les manifestations du stress luimême. C'est le cas de l'activité physique et de toutes les techniques de relaxation ou de détente comme les exercices de respiration, la méditation transcendantale, le yoga, etc. Il va sans dire que le fait de faire de l'exercice physique est positif en soi. Un système cardio-vasculaire en meilleur état est plus tolérant et moins vulnérable aux maladies cardiaques. Une personne capable de relaxer ou de garder la maîtrise de soi est aussi plus susceptible d'aborder les problèmes avec calme, sans s'emballer. Cependant, même si ces techniques réussissent à rendre l'individu un peu plus tolérant, elles ne règlent pas le problème du stress à la source. Or, la seule façon efficace d'intervenir à long terme, c'est justement de faire disparaître la cause du stress à la source et, pour le stress en milieu de travail, la source se trouve dans les conditions de travail. C'est pourquoi une intervention proprement préventive visera à corriger les conditions de travail inadéquates. Il est peu efficace d'apprendre à une personne à relaxer le soir chez elle, si on la replonge dès le lendemain matin dans la situation même qui est à l'origine de son stress. Les interventions sur les conditions de travail peuvent prendre plusieurs formes : une redéfinition des rôles, un meilleur partage du travail, l'enrichissement des tâches, des équipes de travail autonomes ou semi-autonomes, la rotation des tâches, une amélioration des horaires, etc. Mais il faut bien préciser, qu'en ce domaine, il n'existe pas de recette miracle. 32 Module 7 : Les agresseurs psychosociaux RÉFÉRENCES Pour en connaître davantage sur le sujet consultez les sites suivants : Le stress (Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail) Risques psychosociaux : prévenir le stress, le harcèlement ou les violences (INRS) BIBLIOGRAPHIE French, J.R.P., et Kahn, R.L., (1962) A programmatic approach to studying the industrial environment and mental health. Journal of Social Issues, 18, 1-47 33