🎧 New: AI-Generated Podcasts Turn your study notes into engaging audio conversations. Learn more

Dunod HGG 2A 2 - Histoire, Géographie et Géopolitique PDF

Loading...
Loading...
Loading...
Loading...
Loading...
Loading...
Loading...

Document Details

SmartestSuccess

Uploaded by SmartestSuccess

Matthieu Alfré,Apolline Balabaud,Frédéric Bernard,Nicolas Bouillon,Arnaud Chaniac

Tags

histoire geopolitique géographie études sociales

Summary

This textbook is a comprehensive study guide for History, Geography, and Geopolitics (HGG) for second-year university undergraduate students. It includes detailed dissertations, case studies, diagrams, oral exam preparation, and essential references to support learning and exam preparation. The book covers various world regions, including Europe, Africa, the Middle East, the Americas, and Asia, their development and geopolitical dynamics.

Full Transcript

Couverture : Conception graphique : Mise en page : Belle Page © Dunod, 2022 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff www.dunod.com ISBN : 978-2-10-084509-5 Sommaire Couverture Page de titre Page de copyright La référence des étudiants ambitieux Les auteurs...

Couverture : Conception graphique : Mise en page : Belle Page © Dunod, 2022 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff www.dunod.com ISBN : 978-2-10-084509-5 Sommaire Couverture Page de titre Page de copyright La référence des étudiants ambitieux Les auteurs 1 - L’Union européenne, l’Europe et le monde Chapitre 1 - L’Union européenne et ses territoires : intégrations et fragmentations Dissertation - Le continent européen entre intégrations et fragmentations Étude de cas - Les pays d’Europe centrale et orientale : une intégration imparfaite à l’Union européenne Étude de cas - Les positions du Royaume-Uni envers la construction européenne Croquis - Intégrations et fragmentations de l’Union européenne Exemple de colle - Être Européen dans les années 2020 Ouvrage de référence - Luuk van Middelaar, Le réveil géopolitique de l’Europe (2021) Chapitre 2 - L’Union européenne et son voisinage proche : la Russie et l’espace méditerranéen Dissertation - L’Union européenne et ses voisins : entre attraction et répulsion Étude de cas - La Méditerranée orientale, un espace périlleux pour l’Union européenne ? Étude de cas - L’Union européenne face au défi migratoire Croquis - Les voisinages européens entre opportunités et menaces Exemple de colle - Géopolitique de l’extension territoriale russe depuis 1991 Ouvrage de référence - Alexandre Douguine, Fondamentaux de géopolitique (1997) Chapitre 3 - L’Union européenne dans le monde Dissertation - L’Union européenne dans la rivalité sino- américaine Étude de cas - L’Europe de la défense : mythes et réalités Étude de cas - L’Allemagne contemporaine, le pivot géopolitique et géoéconomique de l’Europe Croquis - L’Union européenne dans la rivalité sino- américaine Exemple de colle - Les pays européens ont-ils encore les moyens de faire la guerre ? Ouvrage de référence - François Heisbourg, Le temps des prédateurs : La Chine, les États-Unis, la Russie et nous (2020) 2 - Le continent africain, le Proche et Moyen-Orient Chapitre 4 - États et territoires, cultures et sociétés Dissertation - Les mutations des États et sociétés en Afrique et au Proche et Moyen-Orient Étude de cas - Unité et diversité du monde arabe Étude de cas - L’Éthiopie, un nouveau lion africain ? Croquis - Le continent africain face au défi climatique Exemple de colle - L’urbanisation en Afrique, un vecteur de changement ? Ouvrage de référence - Antoine Sfeir, L’islam contre l’islam : l’interminable guerre des sunnites et des chiites (2013) Chapitre 5 - Le développement : politiques et enjeux Dissertation - Le développement du Proche et Moyen- Orient dans la mondialisation Étude de cas - Les défis démographiques sur le continent africain : frein ou atout pour le développement ? Étude de cas - Dubaï : une vitrine contestée du monde arabe Croquis - La Côte d’Ivoire, du miracle au mirage ? Exemple de colle - Les pays du Maghreb entre l’Europe et l’Afrique Ouvrage de référence - Jean-Michel Severino et Jérémy Hajdenberg, Entreprenante Afrique (2016) Chapitre 6 - Géopolitique du continent africain, du Proche et du Moyen-Orient Dissertation - Les décolonisations en Afrique sont-elles achevées ? Étude de cas - La stratégie turque à l’international : un néo-ottomanisme ? Étude de cas - Les enjeux géopolitiques et géoéconomiques de la bande sahélo-saharienne Croquis - Les rivalités et rapports de puissance au Proche et Moyen-Orient Exemple de colle - La transition énergétique du Proche et Moyen-Orient Ouvrage de référence - Sylvie Brunel, L’Afrique est-elle si bien partie ? (2014) 3 - Les Amériques Chapitre 7 - Géopolitique des Amériques Dissertation - Les relations entre les États-Unis et l’Amérique latine Étude de cas - Les mutations de Cuba, un symbole fort du continent Étude de cas - La géoéconomie du canal de Panama Croquis - Géopolitique et géoéconomie des Amériques Exemple de colle - La mer des Caraïbes : une Méditerranée américaine ? Ouvrage de référence - Mike Davis, City of Quartz : Los Angeles, capitale du futur (1990) Chapitre 8 - Les États-Unis : société, politique et puissance à l’époque contemporaine Dissertation - Les États-Unis et l’exercice de la puissance Étude de cas - Le soft power des États-Unis Étude de cas - Société et démographie des États-Unis : un fondement de puissance ? Croquis - Les États-Unis dans le monde en 2050 : la chute de l’aigle ? Exemple de colle - L’anti-américanisme Ouvrage de référence - Barack Obama, Une terre promise (2000) Chapitre 9 - Amérique latine : émergences et crises Dissertation - L’Amérique latine, entre émergences et crises Étude de cas - Les ambitions de puissance du Brésil Étude de cas - La polycrise au Venezuela depuis Chávez Croquis - L’Amérique latine entre dépendances et émancipations Exemple de colle - Les violences en Amérique latine Ouvrage de référence - Alain Rouquié, Le siècle de Perón. Essai sur les démocraties hégémoniques (2016) 4 - L’Asie Chapitre 10 - Géopolitique d’une région multipolaire Dissertation - Les rivalités et rapports de puissance en Asie Étude de cas - La puissance chinoise en Asie orientale Étude de cas - Taïwan, une île convoitée Croquis - La mer de Chine méridionale : un espace maritime sous tension Exemple de colle - Hong Kong, un pays, deux systèmes Ouvrage de référence - Qiao Liang et Wang Xiangsui, La guerre hors limites (1999) Chapitre 11 - Les espaces asiatiques dans la mondialisation Dissertation - L’Asie est-elle le nouveau centre de la mondialisation ? Étude de cas - La péninsule de Corée : un territoire de contrastes en Asie Étude de cas - Singapour, un modèle controversé pour les pays asiatiques Croquis - L’Asie orientale : un espace de développement intégré Exemple de colle - Les mers asiatiques entre dynamique d’intégration et rivalités conflictuelles Ouvrage de référence - Alice Ekman, Rouge vif, l’idéal communiste chinois (2020) Chapitre 12 - Deux géants asiatiques : la Chine, puissance mondiale, l’Inde, puissance émergente Dissertation - La Chine, colosse aux pieds d’argile ? Étude de cas - L’Inde, du développement aujourd’hui à l’émergence demain ? Étude de cas - La frontière sino-indienne, foyer de tensions durable entre les deux géants Croquis - Les contrastes de la géographie indienne Exemple de colle - Les puissances chinoise et indienne peuvent-elles coexister ? Ouvrage de référence - Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembiski, Chindiafrique, La Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain (2014) La référence des étudiants ambitieux L’histoire, géographie et géopolitique (HGG) est une discipline aussi redoutable que passionnante pour les étudiants ambitieux que j’accompagne depuis tant d’années. L’amplitude de son programme, la diversité de ses approches, la profusion de ses références et l’intensité de sa préparation concourent parfois à désorienter les préparationnaires, même les plus talentueux et engagés. Alors même qu’elle est indispensable pour les futurs managers d’entreprises, cette matière fondamentale subit sa réputation injuste d’être aléatoire et chronophage. Dans cette perspective biaisée, seuls quelques happy few, membres privilégiés d’une élite préparationnaire, pourraient briller en HGG au concours. Avec toute l’équipe de MyPrepa, nous avons voulu édifier l’ouvrage de référence pour les étudiants ambitieux. Il doit s’imposer comme le socle indispensable de tous vos apprentissages et de toutes vos révisions en HGG. Cet ouvrage de synthèse couvre l’intégralité du nouveau programme de deuxième année. Il déploie notre méthodologie gagnante dans une multitude de formats afin que les étudiants ambitieux obtiennent la note maximale aux épreuves du concours : 12 dissertations complètes : elles constituent votre support de cours de référence car elles déclinent la méthodologie MyPrepa avec des introductions problématisées, des argumentations rigoureuses et des exemples situés ; 24 études de cas approfondies : elles complètent vos cours personnels et nos dissertations complètes pour éblouir le correcteur grâce à la rédaction de paragraphes denses qui permettent de distinguer vos copies ; 12 croquis commentés et faits à la main : sous ma supervision, Apolline Balabaud, a réalisé avec virtuosité ces croquis, exceptionnels de justesse et d’esthétique, pour vous aider à visualiser, à mémoriser et à représenter votre cours ; 12 colles expliquées : par une approche originale et une argumentation nerveuse, nos colles vous accompagnent dans la mise en action rapide de vos connaissances pour maîtriser l’exercice de l’oral à HEC, mon école d’origine ; 12 références indispensables : contextualisés et déployés, ces ouvrages fondamentaux pour notre discipline doivent être cités, restitués et analysés dans toutes vos productions, ce qui donne un avantage comparatif à votre production. Pour réaliser cet ouvrage de référence, j’ai constitué une équipe d’auteurs soudée, enthousiaste et compétente. Outre Apolline pour les cartes, Frédéric, Nicolas, Arnaud et Adrien ont tous accompli un travail formidable, adapté aux aléas de la rédaction, dans des délais courts. J’adresse une mention spéciale à Apolline, qui a fourni un effort incomparable pour les croquis, et dont le talent n’a d’égal que l’humilité. Nous avons tous hâte d’apprendre que vous aurez intégré l’école de vos rêves grâce à notre manuel d’histoire, géographie et géopolitique. Matthieu Alfré Les auteurs Matthieu Alfré est diplômé de HEC Paris, de Sciences Po Paris et de la Sorbonne. Il dirige les classes préparatoires parisiennes de l’institut d’excellence MyPrepa. Depuis plus d’une décennie, il forme à la géopolitique des étudiants ambitieux et des managers internationaux. Il coordonne la collection d’ouvrages de MyPrepa tout en animant NeoGeopo, le média d’analyse de l’actualité internationale. Il a coordonné l’ensemble du volume et rédigé le chapitre 3. Apolline Balabaud est étudiante en master Programme Grande École au sein de l’EM Strasbourg. Elle a réalisé l’ensemble des croquis du volume. Frédéric Bernard est étudiant à l’ESSEC, à Sciences Po et à l’INALCO. Il collabore en tant qu’assistant de cours au sein des classes préparatoires de MyPrépa en présentiel comme en distanciel. Il a rédigé les chapitres 10 et 11. Nicolas Bouillon est diplômé de HEC Paris, et a obtenu une maîtrise en histoire de la Sorbonne. Il a travaillé deux ans aux classes préparatoires Saint-Jean de Douai pour former les étudiants aux épreuves orales (culture générale, anglais, triptyque). Après une carrière à Paris et à l’international, il travaille aujourd’hui à la direction d’un musée d’art et d’histoire, et a été admis au concours des conservateurs du patrimoine. Il a rédigé les chapitres 2, 6 et 9. Arnaud Chaniac est agrégé d’histoire, ancien élève de l’École normale supérieure et diplômé de HEC Montréal. Il est actuellement doctorant en histoire des relations internationales à l’université de Montréal. Il a notamment été interrogateur en classes préparatoires économiques et commerciales dans plusieurs lycées parisiens. Il a rédigé les chapitres 7 et 8. Adrien Gredy est étudiant à HEC Paris et à la Sorbonne. Il est passionné par l’histoire-géographie-géopolitique depuis sa classe préparatoire et participe à la rédaction de la newsletter NeoGeopo. Il a obtenu deux 20/20 et un 19,5/20 dans la matière au concours de la BCE. Il a rédigé les chapitres 1, 4, 5 et 12. 1 L’Union européenne, l’Europe et le monde L’Union européenne et ses territoires : intégrations et fragmentations L’Union européenne et son voisinage proche : la Russie et l’espace méditerranéen L’Union européenne dans le monde CHAPITRE 1 L’Union européenne et ses territoires : intégrations et fragmentations Dissertation – Le continent européen entre intégrations et fragmentations Étude de cas – Les pays d’Europe centrale et orientale : une intégration imparfaite à l’Union européenne Étude de cas – Les positions du Royaume-Uni envers la construction européenne Croquis – Intégrations et fragmentations de l’Union européenne Exemple de colle – Être Européen dans les années 2020 Ouvrage de référence – Luuk van Middelaar, Le réveil géopolitique de l’Europe (2021) 1 Dissertation Le continent européen entre intégrations et fragmentations Le 7 octobre 2021, le Tribunal constitutionnel polonais a estimé que plusieurs articles des traités européens étaient incompatibles avec la Constitution polonaise. Cette décision particulièrement forte pourrait signifier une volonté de détachement du projet de construction européenne. Depuis l’arrivée au pouvoir du parti populiste Droit et Justice (PiS) en 2015, les tensions entre la Pologne et l’Union européenne ne cessent de s’accroître. Cette décision révèle une fragmentation politique au sein de l’Europe alors même qu’une partie de la population polonaise souhaite toujours poursuivre l’intégration au sein de l’Union européenne. Le 10 octobre, des dizaines de milliers de Polonais ont manifesté dans tout le pays afin de témoigner leur volonté de prolonger l’aventure européenne. L’Europe géographique s’étend sur 10,1 millions de km² et compte 750 millions d’habitants (en incluant notamment la Russie). Elle est marquée par des limites géographiques comme l’océan Atlantique à l’Ouest, l’océan Glaciale Arctique au Nord, la mer Méditerranée au Sud et les monts Oural et le Caucase à l’Est. Ce continent présente une diversité culturelle importante, allant des cultures slaves aux cultures scandinaves en passant par les cultures germaniques et celtes. Pendant le XXe siècle, un projet d’ampleur inédite prend forme sur le continent européen : la construction européenne. Cette dernière désigne le processus d’édification d’institutions de politiques communes et de coopérations entre plusieurs États qui débute à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Elle concerne les domaines politique, économique, institutionnel et sécuritaire. Pour Bernard Bret, dans Les notions d’intégration et de fragmentation : approche géographique (2005), « le terme d’intégration désigne le renforcement des liens qui unissent les éléments d’un système ». Dans la construction européenne, l’intégration considérée peut prendre une forme hybride, qui conjugue le supranational, dépassant les États-nations, et l’intergouvernemental, qui les associe. Mais ces potentielles intégrations n’empêchent pas de profondes fragmentations. Pour Stéphane Rosière, dans sa Géographie politique et géopolitique : une grammaire de l’espace politique (2004), la fragmentation est un « processus de division ou de différenciation de ce qui, antérieurement, était uni ou homogène ». Ce concept de fragmentation peut donc s’appliquer à toutes les échelles et dans tous les espaces puisqu’il concerne aussi bien la ségrégation socio-spatiale urbaine que les écarts de développements nationaux. Le continent européen repose bel et bien sur cette double tendance d’intégrations et de fragmentations. Pourtant, ces deux dynamiques semblent être opposées, voire s’annuler l’une l’autre. Selon les périodes de l’histoire, ces tendances n’ont pas eu la même intensité. Les fragmentations actuelles semblent bien plus importantes que celles présentes au sortir de la Seconde Guerre mondiale. De même, elles ont pu prendre des formes différentes et provenir de sources différentes. Comment comprendre la double dynamique d’intégrations et de fragmentations dans l’histoire de l’Europe, dynamique qui semble pourtant contradictoire, ce qui aboutit à la naissance d’une Europe « dialogique » selon l’expression d’Edgar Morin (Penser l’Europe, 1987) ? Le continent européen est historiquement marqué par des fractures bien que le projet de construction européenne révèle une dynamique intégratrice majeure (1). L’oscillation entre intégrations et fragmentations provient de la résurgence des nationalismes et de l’essoufflement du projet européen (2). Ainsi, l’Europe apparaît de plus en plus fragmentée au point que l’intégration demeure à géométrie variable (3). 1 Le continent européen est historiquement marqué par des fractures bien que le projet de construction européenne révèle une dynamique intégratrice majeure a. Fracturée par la Seconde Guerre mondiale, la construction européenne débute dans un contexte de guerre froide L’Europe est profondément ravagée à l’issue de la Seconde Guerre mondiale tant le continent européen est au cœur de la guerre de 1939 à 1945. Les bombardements détruisent les villes et les infrastructures, comme à Dresde en Allemagne, à Londres au Royaume-Uni ou à Caen en France. En Europe, 35 millions de personnes trouvent la mort durant la guerre, dont 20 millions pour l’URSS uniquement. Les morts se trouvent principalement parmi les civils. Face à ces importants dégâts, la refonte de l’Europe passe par un rêve intégrateur fort. Prononcé le 19 septembre 1946 à l’université de Zurich, le discours de Winston Churchill marque le commencement de la construction européenne. Il y plébiscite une réconciliation et une amitié franco-allemande, ainsi que la création d’une organisation européenne pour favoriser la paix et le développement sur le Vieux continent : « il consiste à reconstituer la famille européenne, […]. De lui donner une structure de telle manière qu’elle puisse se développer. Nous devons ériger une sorte d’États-Unis d’Europe ». La première matérialisation du projet européen passe par le Congrès de la Haye du 7 au 10 mai 1948. Présidé par Churchill, ce congrès rassemble des personnalités politiques et économiques de 17 pays d’Europe et a pour objectifs de prouver l’existence dans tous les pays libres d’Europe d’un mouvement d’opinion en faveur de l’unité européenne, de discuter des enjeux de son unité et proposer aux gouvernements des actions concrètes. Ainsi, des projets concrets voient progressivement le jour et sont source d’intégration. À la suite du discours de l’Horloge prononcé le 9 mai 1950 par Robert Schuman est fondée la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951 avec la RFA, la France, l’Italie et le Benelux. Celle-ci a pour objectif de promouvoir le multilatéralisme et le droit international et de participer à la reconstruction européenne politique et économique, via un organe principal : la Haute Autorité, présidée par Jean Monnet. Toutefois, des fragmentations naissent déjà du fait de la variété des positions nationales envers ce projet. Pour la France, l’institution est un moyen d’encadrer le retour à la souveraineté nationale de la RFA sans que les États-Unis ne le fassent. Pour la RFA de Konrad Adenauer, il s’agit d’un gage d’amitié avec la France et un moyen de rendre à la RFA une égalité de droits avec les autres pays de la CECA. Le début de guerre froide marque les premières fractures au sein du Vieux continent. La naissance des deux blocs séparés par le rideau de fer entre l’Ouest pro-États-Unis et l’Est pro-URSS témoigne d’une fragmentation majeure en Europe, matérialisée à l’échelle locale par le mur de Berlin, construit en 1961. Ainsi, fracturée par la Seconde Guerre mondiale, l’Europe tente de concrétiser son intégration par le projet politique européen. Toutefois, des dissensions naissent déjà au sein de ce projet, et à plus grande échelle, la guerre froide fragmente le continent européen. b. Malgré des fractures réelles, la dynamique intégratrice de la construction européenne progresse jusqu’à 1992 tandis que le bloc de l’Est se rapproche progressivement de l’Ouest Complémentaire à son élargissement géographique, l’intégration européenne est réelle. Différentes vagues d’élargissement ont lieu : les traités de Rome de 1957 fondent la Communauté économique européenne (CEE), composée par la France, la RFA, l’Italie et le Benelux, tandis que le Royaume- Uni, l’Irlande et le Danemark intègrent le projet en 1973. En 1981, la Grèce rejoint la CEE, puis, en 1986, l’Espagne et le Portugal font de même. Ces élargissements progressifs révèlent une dynamique intégratrice majeure et prouvent l’attractivité du projet européen. En effet, ce dernier s’accompagne d’actions politiques de plus en plus tangibles. Par exemple, le Conseil européen est créé en 1974. Il fonctionne avec des sommets entre exécutifs des États membres (au moins 4 par an) qui ont pour objectif de dessiner les grands axes de la politique de l’Union européenne. L’ambition initiale repose sur le principe qu’approfondir l’intégration européenne nécessite de forts engagements politiques en matière financière, monétaire, énergétique et économique. Cependant, le contexte de guerre froide révèle des fractures au sein du projet européen dans des domaines variés. De nombreux exemples attestent de cette réalité, parmi lesquels l’échec de la Communauté européenne de défense (CED), premier projet commun de défense à l’échelle européenne dans le cadre de la construction européenne. Président du Conseil français, René Pleven soumet en 1950 à l’Assemblée nationale un projet d’organisation supranationale européenne de défense pour la création d’une armée européenne. Bien qu’accepté par plusieurs pays occidentaux, le projet est refusé par l’Assemblée nationale en 1954, ce qui provoque son abandon. Cet exemple, comme celui de la « politique de la chaise vide » de Charles de Gaulle, entre 1965 et 1966, témoignent de fractures déjà réelles quant au projet de construction européenne, malgré la forte dynamique intégratrice enclenchée. c. À l’issue de la guerre froide, l’Union européenne apparaît dans un premier temps comme étant la voie d’intégration principale en Europe Le projet européen se renforce vers une union sans cesse croissante. En 1992, le traité de Maastricht est signé, ce qui permet la fondation de l’Union européenne (UE). Il entraîne l’accélération de la construction européenne avec 12 pays et différents chantiers majeurs : une Europe plus intégrée et fédérale (citoyenneté), le chantier monétaire avec la monnaie commune, l’euro, et un renforcement du poids diplomatique et militaire (PESC). L’intégration est ainsi à la fois institutionnelle, économique et géopolitique, ce qui lui donne plus de portée tant elle tend à s’étendre avec les vagues d’élargissements prévus. Toutefois, des fractures intraétatiques et interétatiques intraétatiques se multiplient déjà parmi les membres de l’UE. D’un point de vue intraétatique, la montée de l’euroscepticisme se fait de plus en plus sentir. En 2005, le « non » par référendum de la France et des Pays-Bas concernant le projet de traité constitutionnel de l’Europe met en lumière l’importante distance entre les populations et une construction européenne perçue comme éloignée des enjeux des populations. Les partis ouvertement eurosceptiques ou europhobes voient leur popularité fortement croître : le Rassemblement national en France, le Mouvement 5 étoiles ou la Ligue du Nord en Italie ou même l’AfD en Allemagne. D’un point de vue interétatique, les fragmentations grandissent comme l’atteste le cas de la question migratoire. Les positions des États membres s’affrontent : par exemple, le groupe de Višegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie), aussi appelé V4, s’oppose aux politiques européennes d’accueil des migrants et au règlement Dublin III. Les tensions entre la France et l’Italie pour l’accueil de l’Aquarius, un navire de migrants, qui a quitté la Libye à l’été 2018, montrent l’exacerbation des fragmentations à la période contemporaine. Une Europe du compromis émerge pour dépasser des fractures qui semblent quasi-structurelles. Les clauses d’opting-out incluses dans le traité de Maastricht de 1992 pour le Danemark et la Grande-Bretagne ou le concept d’« abstention constructive » introduit par le traité d’Amsterdam de 1997 favorisent le dépassement de certaines fractures. Ainsi, l’« abstention constructive » permet, lorsque la procédure d’adoption impose l’unanimité, qu’un pays de l’Union européenne s’abstienne de voter sans pour autant que cela n’empêche l’adoption de la décision. Le cas le plus célèbre étant celui du Royaume-Uni refusant d’adopter l’euro comme monnaie unique. Enfin, l’effondrement du bloc soviétique rapproche l’Est de l’Ouest. Avec la chute de l’URSS en 1991, les pays d’Europe centrale et orientale se tourne progressivement vers l’Ouest avec l’OTAN et l’Union européenne. Des programmes sont même mis en place pour faciliter la transition et aider ces pays. En 1989, le programme PHARE aide les pays candidats à l’adhésion dans leurs préparatifs économique et politique. Le programme possède 3 objectifs principaux : renforcer les administrations publiques et les institutions nationales ; promouvoir la convergence vers la législation de l’Union (acquis communautaire) ; promouvoir la cohésion sociale et économique. 2 L’oscillation entre fragmentations et intégrations provient de la résurgence des nationalismes et de l’essoufflement du projet européen a. La variété de nations et d’entités politiques au sein de l’Europe est à l’origine de fractures croissantes Les pays européens possèdent des cultures très différentes. Le fait démocratique fait l’objet de fragmentations nombreuses en Europe en raison de l’histoire des pays membres. Le cas des régimes illibéraux révèle bien en quoi les différences originelles entre les pays participent au renforcement de fractures au sein de l’Union européenne. Selon Pierre Rosanvallon, historien français auteur du Siècle du populisme (2020), l’illibéralisme est « une culture politique qui disqualifie en son principe la vision libérale ». Opposée à la démocratie libérale, la notion est souvent désignée par l’appellation « démocratie illibérale ». Ce courant politique a pris son essor à partir des années 2010, principalement avec le rôle du gouvernement hongrois de Viktor Orbán (Fidesz). Le Premier ministre hongrois s’en réclame ouvertement. À l’occasion d’un discours à l’université de Baile Tusnad, il affirme vouloir bâtir « un État illibéral, un État non libéral. Il ne nie pas les valeurs fondamentales du libéralisme comme la liberté, etc. Mais il ne fait pas de cette idéologie un élément central de l’organisation de l’État. Il applique une approche spécifique et nationale. » Il considère qu’il faut se dégager des paradigmes occidentaux qui vantent la démocratie libérale (pluripartisme, protection des Droits de l’homme, etc.) pour adopter la même position que d’autres grandes nations dans le monde – il cite Singapour, la Chine, l’Inde, la Turquie ou encore la Russie. Cette posture est bien sûr très éloignée de visions d’Europe de l’Ouest ou du Nord, ce qui montre l’ampleur des fragmentations des conceptions politiques des pays européens. Que ce soit avec le recours à l’article 7 par le Parlement européen contre la Hongrie (procédure d’exclusion) ou avec les critiques et inquiétudes de plus en plus nombreuses à l’encontre de la Pologne ou de la Roumanie, les fragmentations politiques sont nombreuses en Europe. b. Des fractures politiques naissent des différentes visions quant à la construction européenne Dès le Congrès de la Haye (1948), et tout au long de sa construction, différentes visions s’opposent quant à l’avenir du projet européen. Certains pays comme la France défendent une Europe des Nations (vision souverainiste) qui préserve l’autorité des États d’une dilution dans un organe européen. Ils refusent de déléguer certaines compétences régaliennes à des instances supranationales. En témoigne par exemple le refus français, en août 1954 du traité instituant la Communauté européenne de défense, pourtant ratifié par la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, et l’Allemagne. À l’inverse, d’autres pays, tels que la RFA, aspirent à une construction plus approfondie, dans laquelle les instances supranationales dirigeraient le projet européen. Plus encore, certains peuples comme les Britanniques ou les Danois défendent une Europe « à la carte », où l’engagement national s’opère à géométrie variable. Soucieux de tirer parti du bloc économique en formation, les deux États imposent, tour à tour, leurs conditions d’adhésion au projet européen : en 1950, le Royaume-Uni refuse de participer à la CECA, il accepte en 1992 de ratifier le traité de Maastricht mais refuse d’adopter l’euro comme monnaie nationale. La CEE, puis l’UE, sont perçus par certains pays comme des menaces à la souveraineté, mais aussi comme une condition nécessaire à l’essor économique. Ce sont d’ailleurs ces perspectives de croissance économique qui achèvent de convaincre les pays du sud comme la Grèce en (1981) puis l’Espagne et le Portugal (1986) d’adhérer au projet européen. En effet, au moment de son entrée dans la CEE, le PIB de la Grèce est inférieur de 50 % à la moyenne communautaire, et les taux de chômage et d’inflation y sont plus élevés que chez ses voisins européens. Avec son adhésion, la Grèce espère bénéficier de la Politique agricole commune (PAC), et de certains fonds structurels comme le Fonds européen de développement régional (FEDER). C’est cette même aspiration à un meilleur niveau de vie, couplée à un constat de l’échec du régime communiste et à une recherche de protection vis-à-vis de la Russie, qui pousse les pays d’Europe de l’Est (ex-membres de l’URSS : Pologne, Hongrie, République tchèque, etc.), à intégrer l’Union en 2004. c. Les élargissements successifs ont entraîné à la fois une intégration économique et des fractures politiques Les élargissements de la CEE et de l’Union européenne représentent un véritable succès, d’abord économique, mais aussi géopolitique. Le Marché commun européen naît avec l’un des traités de Rome en 1957. Il permet d’instituer une Union douanière en 1968, ce qui dynamise la circulation des marchandises entre les pays membres de la CEE. Dès 1973, avec l’intégration du Royaume-Uni, les plus grandes puissances économiques européennes se retrouvent réunies au sein d’un même bloc, ce qui renforce le poids de la CEE dans les échanges commerciaux internationaux. À cette complémentarité économique s’ajoute un poids géopolitique croissant dans les relations internationales. Même si au cours de la guerre froide, certains pays, comme la France gaullienne, prônaient une troisième voie face aux deux Grands. En 1991, l’Europe apparaît comme une puissance potentielle de plus en plus crédible. Elle étend sa sphère d’influence politique et économique sur le « glacis protecteur » de la Russie avec l’adhésion des pays de l’Est, et la mise en place en 1992 de la Politique européenne de voisinage (PEV), qui permet aux États non-membres de l’UE (Ukraine, Moldavie, Biélorussie, Caucase méridional) de bénéficier de subventions européennes et d’accords commerciaux préférentiels. Mais, la multiplicité des élargissements rend l’unité et la cohésion plus difficile, principalement d’un point de vue politique et économique, au sein de l’UE. En effet, dès le début des années 2000, les écarts de richesse se creusent entre les membres. Alors que l’Allemagne affiche un taux de chômage structurellement bas grâce aux réformes Hartz votées sous Gérard Schröder entre 2003 et 2005, les pays de l’Est et du Sud demeurent dans une situation de relative précarité, ce qui entretient une fracture économique au sein du bloc et nourrit des flux migratoires Est-Ouest nombreux. Ceux-ci provoquent notamment des levées de boucliers lorsque le marché du travail est déjà tendu dans les pays d’accueil, en témoignent notamment les contestations concernant le prétendu « vol » d’emplois nationaux au Royaume-Uni par des infirmières ou plombiers polonais. 3 Ainsi, l’Europe apparaît de plus en plus fragmentée au point que l’intégration demeure à géométrie variable a. La construction européenne a été la source d’une intégration à géométrie variable La dynamique intégratrice est bien réelle, car l’UE constitue aujourd’hui la zone de libre-échange la plus aboutie au monde. Bien qu’elle ne représente que 6,9 % de la population mondiale, ses échanges commerciaux valent 15,6 % du volume total du commerce mondial en 2019. Au sein de l’Union, 63 % du volume total des échanges commerciaux sont réalisés avec d’autres États membres, ce qui atteste de l’ampleur du marché intérieur de l’Union. Cette dynamique est amplifiée par le dessin d’une Europe à plusieurs vitesses. Trois zones peuvent être distinguées dans l’espace européen : les membres de l’Union européenne, les membres de la zone euro et les membres de l’espace Schengen. En effet, si certains pays, comme la France, l’Espagne, la Grèce ou l’Allemagne, font partie des 3 zones, d’autres États n’y appartiennent pas toujours. Pour éviter les blocages, le choix du pragmatisme a été fait en donnant des contours variables à l’intégration européenne. La volonté de prendre en compte les souhaits souverains des États- nations et de leurs populations n’empêche pas la naissance de césures qui freinent la cohésion globale. Dès 1994 dans l’ouvrage L’Europe à géométrie variable. Transition vers l’intégration, Pierre Maillet et Dario Velo montrent en quoi seule une Europe à géométrie variable, mais organisée, permettrait de garantir à l’Union une forme de cohérence, nécessaire face aux nombreux défis qui se présentaient déjà. L’Europe des cercles conduit en réalité à une fragmentation du projet européen, alors que son but est de faciliter l’intégration dans la dynamique européenne. b. Pour autant, les fractures semblent s’accroître au sein du Vieux Continent Les fractures sont aujourd’hui économiques et sociales. Entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est, des fragmentations socio-économiques sont toujours réelles. Par exemple, la Hongrie et la Pologne atteignent 60 % du PIB par habitant de la France en parité de pouvoir d’achat, et ce chiffre descend à 40 % pour la Roumanie et la Bulgarie. Cette fragmentation est aussi majeure entre le Nord et le Sud, comme la crise économique de 2008 a pu le montrer, avec les risques de solvabilité des PIIGS (Portugal, Italie, Grèce, Espagne et Irlande). Les fractures sont aussi politiques. L’histoire des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), longtemps sous le giron d’empires se traduit par une volonté accrue d’indépendance alors même que celle-ci reste fraîchement acquise. Dès lors, les oppositions aux décisions supranationales de « Bruxelles » se font nombreuses dans ces pays, et participent à la fragmentation du continent d’un point de vue politique. Coralie Delaune, spécialiste de l’Union européenne, ajoute dans son ouvrage Europe, les États désunis (2014) qu’il y a « un gouffre entre le projet affiché et la réalité constatable » et que le manque de soutien démocratique, la tyrannie de « l’économisme et du juridisme » participent à l’essoufflement du projet européen. Enfin, les fragmentations sont aussi géopolitiques. À l’Est, le retour du spectre de la guerre place l’Europe orientale en opposition avec l’Europe occidentale. Pour Cyril Bret, professeur à Sciences Po et auteur pour la revue Diplomatie, « le retour du refoulé guerrier sur le sol européen » dans les Balkans, en Ukraine ou dans le Caucase montre une fracture géopolitique en Europe. L’intangibilité des frontières est remise en cause, la force militaire s’applique avec intensité (Crimée), les tensions larvées se prolongent tandis que de nouvelles batailles (cybercriminalité et terrorisme) naissent. Ainsi, les fractures sont multiformes au sein de l’Europe aujourd’hui et semblent largement dépasser les dynamiques d’intégration. c. Ces fragmentations considérables participent à l’essoufflement du projet européen Les fragmentations multiplient augmentent le risque de paralysie du projet européen. Le Brexit en est un exemple probant. Voté le 23 juin 2016 (51,9 % pour le camp du Leave), cet événement marque une cassure sans précédent dans l’histoire du projet européen par l’activation de l’article 50 du traité de l’Union européenne (TUE). Jamais un pays n’avait quitté auparavant l’Union européenne ou même la CECA ou la CEE. Cette rupture fondamentale dans l’histoire de l’Europe semble témoigner de l’essoufflement du rêve intégrateur européen. Mais les récentes évolutions tendent à être en faveur d’une relance du projet européen. Dans les années 2010, il existe aussi un refus manifeste de l’implosion territoriale européenne : le fait que la Grèce n’ait pas quitté l’Union à la suite de sa grave crise économique signe que la solidarité européenne est bien réelle. De même, la volonté écossaise de rester dans l’UE de façon indépendante après le Brexit, acté en 2020 prolonge cette dynamique. Les Européens font un usage croissant de leur droit de vote. Le taux de participation aux élections européennes de 2019 est de 50,66 %, soit plus de 8 points de pourcentage de plus qu’en 2014. Ceci révèle un renouveau du lien entre l’Union européenne et ses peuples. Plus récemment, dans le cadre de la crise sanitaire de la Covid-19, le plan de relance de l’Union européenne (juin 2021) témoigne d’un nouvel élan européen : 672 milliards d’euros de subventions et de prêts doivent ainsi être accordés aux pays membres de l’Union européenne. La première émission de dette commune de l’Union est un symbole fort de la volonté d’unité dans la crise des pays membres. Enfin, le refus de nouvelles intégrations suit paradoxalement une logique de renforcement de l’intégration européenne. Le refus de nouvelles entrées à court terme (Albanie, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie, Turquie) relance l’intégration et témoigne de la volonté des dirigeants européens de redessiner le projet européen avec les membres déjà présents. Conclusion En définitive, l’Europe est un continent marqué par une double logique d’intégrations et de fragmentations. Si le projet de construction a permis une dynamique intégratrice d’ampleur sans précédent à l’échelle mondiale, il n’a pas pu masquer les fractures multiples marquant le Vieux Continent. La guerre froide, l’opposition entre supranationalité et intergouvernementalité, les différentes cultures politiques ou les crises récentes (économique, migratoire, sanitaire, écologique) sont autant de facteurs de fragmentations en Europe. Il apparaît toutefois que cette double logique est inhérente à l’Europe et à son avenir, comme Edgar Morin le remarque en décrivant une Europe « dialogique ». Comme le montre Guy Verhofstadt, député européen et ancien Premier ministre belge, dans son ouvrage Sortir de la crise : Comment l’Europe peut sauver le monde (2009), c’est dans la difficulté des crises que l’Union européenne puise l’énergie nécessaire à son sursaut. Selon l’auteur, cette force pourrait même lui permettre de devenir une puissance à part entière encore plus importante. Comme Jean Monnet, père fondateur de l’Europe, le disait : « L’Europe se fera dans les crises et sera la somme des solutions à ces crises. » 2 Étude de cas Les pays d’Europe centrale et orientale : une intégration imparfaite à l’Union européenne 1 Les origines de la volonté d’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale a. La volonté de s’émanciper des modèles soviétiques dès les années 1980 Dans les années 1980, le contexte est propice à l’émancipation des pays d’Europe centrale et orientale. La disparition progressive du rideau de fer en Europe, produit de la guerre froide séparant le bloc de l’Ouest du bloc de l’Est à l’échelle européenne, permet aux pays de l’Est d’espérer progressivement une émancipation. Le rideau de fer s’affaisse progressivement, d’abord avec la conclusion de la crise des euromissiles de 1977 à 1987, puis principalement avec la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989. S’inspirant de l’Europe de l’Ouest, les pays d’Europe de l’Est commencent à partager une volonté de libéralisation. Ces initiatives sont notamment motivées par l’arrivée à la tête de l’URSS de Mikhaïl Gorbatchev en 1985. Ce dernier a notamment mis en place les politiques de perestroïka (la restructuration du modèle économique) et de glasnost (un impératif de transparence). Toutefois, le retour des pays d’Europe centrale et orientale en Europe à la suite de la chute du Mur a entraîné des velléités indépendantistes majeures, comme en atteste le cas yougoslave. Les guerres de Yougoslavie renvoient à des conflits s’étendant de 1991 à 2001 dans cette ancienne république fédérative socialiste. La rhétorique nationaliste serbe de Slobodan Milosevic transforme progressivement l’armée populaire yougoslave (JNA) en armée serbe. La quête de la « Grande Serbie » a ainsi provoqué des guerres violentes. Un des exemples paroxystiques de la violence de ces guerres est celui du génocide bosniaque perpétré par l’armée de la République serbe de Bosnie lors de la guerre de Bosnie- Herzégovine de 1992 à 1995. b. À partir de la fin de la guerre froide et l’effondrement soviétique, de fortes attentes d’adhésion à un bloc atlantico- européen À la suite des guerres violentes en ex-Yougoslavie, Est comme Ouest souhaitent une stabilisation et une pacification de l’Europe orientale. Pour autant, la priorité est donnée par les pays de l’Est à l’adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pour plusieurs raisons. D’abord, les critères d’adhésion pour rejoindre l’OTAN sont plus souples que ceux exigés par la CEE (puis l’UE). Ensuite, parce que le rapport à l’ex-URSS, la Russie, est toujours teinté de crainte. Se placer sous la protection américaine est une façon crédible de se protéger d’une potentielle résurgence russe ou du moins d’une volonté russe de replacer ces pays dans sa sphère d’influence. Enfin, le difficile passage au libéralisme, appelé « thérapie de choc » dans les années 1990, a pu limiter les désirs d’une intégration européenne précoce des pays d’Europe centrale et de l’Est. c. Malgré les espoirs de rattrapage socio- économique et politique nés de la vague d’adhésion de 2004, des divergences persistent entre l’Ouest et l’Est Finalement, en 2004, pays d’Europe centrale et de l’Est rejoignent le projet européen : la Bulgarie, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Cette vague d’adhésion est la plus importante de l’histoire de la construction européenne. Elle constitue un pas en avant fondamental dans l’intégration des pays d’Europe centrale et de l’Est. Cette intégration sans précédent a suscité un espoir de rattrapage socio-économique et politique. Les différences socio- économiques liées à l’économie adaptée de type soviétique par les pays d’Europe centrale et de l’Est n’ont pas permis le même développement qu’en Europe de l’Ouest. D’un point de vue politique, le pluripartisme, la liberté de la presse ou bien certaines libertés individuelles n’étaient pas accordés dans les pays de l’ancien bloc soviétique. La perspective de l’Europe de l’Ouest était alors plus qu’attrayante. Cependant, le sens de la solidarité européenne reste encore fragile, comme en attestent les positions des pays d’Europe centrale et de l’Est quant à la guerre en Irak. Si des pays comme la France ou l’Allemagne se sont opposés à l’entrée en guerre des États-Unis en 2003, l’ensemble des pays d’Europe centrale et de l’Est se sont alignés avec le gouvernement de George W. Bush. Les divergences de vues dans les relations internationales font entrevoir une intégration toujours imparfaite de ces derniers au sein de l’Union européenne. 2 Une intégration en réalité imparfaite a. Au niveau socio-économique, une progression réelle mais profondément contrastée Les niveaux de vie restent assez éloignés malgré un rattrapage de certains des pays d’Europe centrale et de l’Est. À l’exception de la République tchèque et de la Slovénie, les IDH (2019) des anciens pays du bloc soviétique sont bien inférieurs à ceux d’Europe de l’Ouest. La Hongrie (0,845), la Croatie (0,837) ou la Roumanie (0,816) sont bien loin de la Norvège (0,954), les Pays-Bas (0,933) ou le Danemark (0,935). Si les IDH des pays d’Europe centrale et orientale sont inférieurs à ceux de leurs voisins occidentaux, il demeure qu’une évolution réelle a eu lieu, signe d’une intégration de plus en plus grande en Europe. Ces pays enregistrent une forte augmentation de leurs IDH, ce qui traduit un réel rattrapage socio-économique. En 1990, l’IDH hongrois était de 0,704, celui croate de 0,670 et celui roumain de 0,701. En outre, les taux de croissance semblent aujourd’hui stables et importants, signe d’un développement économique réel. Pour Eurostat, le taux de croissance en Hongrie en 2019 est de 4,6 %, contre en Pologne, 4,7 %, et en Roumanie de 4,2 %. Ces forts taux de croissance révèlent un rattrapage économique toujours important avec le maintien d’un important dynamisme économique. Par ces taux de croissance positifs, les pays d’Europe centrale et de l’Est s’intègrent plus facilement à l’Europe et à son marché. Comme pour les autres pays d’Europe, la crise sanitaire de la Covid-19 a fortement affecté leur taux de croissance. b. Au niveau politique, une transition difficile : le « désenchantement démocratique » (Jürgen Habermas) Dans les PECO, la transition vers l’État de droit reste un processus difficile. L’État de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Ce concept a été forgé à la fin du XXIe siècle par le politologue américain Fareed Zakaria (The rise of illiberal democracy, 1997). À l’origine, il désigne le désenchantement né dans les pays de l’Est à la suite de l’effondrement soviétique. Aujourd’hui, la démocratie illibérale existe en opposition aux fondements de la démocratie libérale que sont la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, l’État de droit ou les libertés individuelles. Depuis sa reprise du pouvoir en Hongrie en 2010, Viktor Orbán fait preuve d’un illibéralisme de plus en plus marqué. Ce principe, aussi revendiqué par la Pologne par exemple, témoigne d’une fracture profonde avec le reste de l’Europe et marque ainsi une transition toujours difficile d’un point de vue politique. Pour Ralf Dahrendorf, dans Réflexion sur la révolution en Europe (1991) : « il faut 6 mois pour créer une démocratie politique, 6 ans pour amorcer une transition économique mais il faut 60 ans pour se transformer en société ouverte ». c. La crise migratoire et la montée à l’Est d’euroscepticisme La crise migratoire a entraîné une crise réelle dans de nombreux permis d’Europe centrale et orientale. La crise migratoire prend en majeure partie racine dans les printemps arabes de 2011 et dans la fragilité des États africains ainsi que du Proche et Moyen-Orient : les migrants arrivent principalement la route marocaine, la route libyenne et la route turque. Cette crise migratoire s’est intensifiée dans les années 2010 et particulièrement en 2015 (1,5 million de personnes pénétrant l’espace Schengen), du fait de la dégradation de la guerre civile syrienne. En 2016, la Pologne a délivré 586 000 permis de résidence à des ressortissants non-européens, soit 20 % du total de l’Union européenne. Ces chiffres montrent ainsi en quoi la Pologne est concernée par la crise migratoire. Le gouvernement conservateur polonais s’oppose ainsi aujourd’hui très fortement à l’immigration. Afin d’augmenter leur poids, et en particulier concernant la question migratoire, des pays d’Europe centrale et orientale se sont unis pour s’opposer à certaines positions communes. Formé en 1991 à l’issue de la guerre froide dans l’optique de faciliter l’intégration de ses membres à l’OTAN, le groupe de Visegrád (ou V4) est une plateforme gérée par la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie. Depuis 2015, leur défense de la souveraineté des États membres au sein de l’Union européenne ne cesse de renforcer leur notoriété. Pour Jacques Rupnik, spécialiste des pays d’Europe centrale et orientale, « ils n’ont pas confiance dans le modèle occidental d’une société multiculturelle ». Leur position ferme concernant l’accueil des migrants renforce leur poids, bien qu’ils ne représentent que 4 États au sein de l’Union européenne. Symbole de l’euroscepticisme croissant, ce groupe témoigne de l’intégration imparfaite des pays d’Europe centrale et de l’Est en Europe. 3 Pour autant, cette intégration inégale est à relativiser en raison d’intérêts communs a. Des intérêts communs à l’Ouest comme à l’Est : une intégration qui serait profitable L’Union européenne a toujours besoin de sa partie orientale pour rayonner. Suivant sa volonté de devenir une puissance « normative » selon Zaki Laïdi (La norme sans la force : l’énigme de la puissance européenne, 2005), elle cherche à faire rayonner son modèle via l’instauration de normes, sociales, économiques ou environnementales, auprès des nouveaux membres de l’Union. Réciproquement, les pays d’Europe centrale et de l’Est ont besoin de la dynamique économique de l’Europe de l’Ouest. En effet, la puissance du marché européen réside encore beaucoup aujourd’hui dans le dynamisme et l’importance économique historique des pays d’Europe de l’Ouest. Comme la menace russe pèse toujours, et que les alternatives géopolitiques ne sont pas nombreuses, les pays d’Europe centrale et de l’Est conservent un lien fort avec l’Ouest en raison d’intérêts géopolitiques. Des pays comme l’Estonie se voient menacés par la Russie qui tient aujourd’hui encore à sa sphère d’influence héritée du passé soviétique. En 2007 par exemple, elle a subi une cyberattaque d’ampleur sur les sites de son gouvernement. De même à l’Ouest, en 2018, les Pays-Bas ont annoncé avoir déjoué une cyberattaque russe visant l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) au moment où cette dernière menait une enquête sur une présumée attaque chimique en Syrie. b. Une Union européenne toujours attractive pour d’autres pays d’Europe centrale et orientale En 2020, cinq pays candidatent officiellement à l’adhésion à l’Union européenne : la Turquie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie et enfin l’Albanie. Certaines demandes sont plus avancées que d’autres dans le cas des négociations, d’autres comme celle de la Turquie sont au point mort. Par exemple, le Monténégro depuis juin 2012 et la Serbie depuis janvier 2014 sont des pays candidats en négociations d’adhésion. D’autres pays comme la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo sont des candidats potentiels. L’attractivité de l’Union européenne est toujours réelle et signe la volonté claire de pays d’Europe centrale et orientale d’intégrer le projet européen. 3 Étude de cas Les positions du Royaume-Uni envers la construction européenne 1. L’intégration du Royaume-Uni au projet européen a été progressive et hésitante de 1948 à 1961 a. Le Royaume-Uni est au fondement de la construction européenne Le Royaume-Uni est au fondement économique de la reconstruction européenne. Il fait partie des instigateurs du plan Marshall en 1947. Ce plan consiste en un soutien économique important apporté par les États-Unis à destination des pays d’Europe ravagés par la guerre. Il vise à permettre la refonte de l’Europe et surtout à accroître la sphère d’influence étatsunienne dans un contexte d’émergence de la guerre froide. Ainsi, il en est le premier bénéficiaire avec 12,8 milliards de dollars obtenus. En 1948, l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) a été fondée afin de renforcer la coopération et les échanges intra-européens. Son objectif est de répartir l’aide provenant du Plan Marshall. D’un point de vue politique et juridique, l’influence du Royaume- Uni sur la construction européenne a été majeure. À l’occasion de son discours à l’université de Zurich le 19 septembre 1946, Winston Churchill prône la naissance des « États-Unis d’Europe » : « il nous faut édifier une sorte d’États-Unis d’Europe ». Par la suite, il devient président d’honneur à La Haye en 1948, quand 700 délégués favorables à l’établissement d’une assemblée parlementaire européenne se sont réunis. Deux résultats concrets sont ainsi atteints : le traité de Londres de 1949, qui permet la création du Conseil de l’Europe, et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) en 1950. Enfin, le Royaume-Uni est à l’origine des premiers accords en matière militaire. D’abord avec la signature du traité de Bruxelles entre la France, le Benelux et le Royaume-Uni. Cet accord signé en 1948 prévoit l’organisation d’une coopération militaire, économique, sociale et culturelle entre ses États membres, ainsi qu’une clause de défense mutuelle. Par la suite, il figure aussi dans les principaux membres fondateurs de l’Organisation du traité l’Atlantique Nord, plus communément appelé OTAN, signé le 4 avril 1949. Le Royaume-Uni s’est trouvé aux fondements de la construction européenne. b. Toutefois, sa volonté souverainiste la pousse à ne pas intégrer les organisations européennes naissantes Le Royaume-Uni n’a pas subi les mêmes pertes que la majeure partie des États européens et semble avoir moins besoin d’un projet commun pour se relever. Le fait de ne pas avoir été occupé, contrairement à une grande partie des pays d’Europe occidentale et orientale, fait que la reconstruction est moins difficile, bien qu’évidemment les dommages ont été importants, notamment avec le bombardement de la ville de Londres (Blitz de 1940-1941). De plus, l’opposition entre sa vision souverainiste et l’impulsion fédéraliste européenne contrarie son entrée dans le projet. Le Royaume-Uni refuse par exemple la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) car leur sidérurgie est autosuffisante et surtout parce que c’est la Haute Autorité de la CECA, instance supranationale dirigée par Monnet, qui prend les décisions. L’Association européenne de libre-échange (AELE) naît en 1960 En réponse au projet de construction européenne. Elle vise à concurrencer la Communauté économique européenne (CEE). La Suisse, l’Autriche, la Suède, la Norvège, le Danemark et le Portugal en font ainsi partie. L’AELE permet un libre-échange, mais sans marché commun ni union douanière, contrairement à la CEE. c. Finalement, le Royaume-Uni demande l’adhésion à la construction européenne dans un contexte fragile L’AELE apparaît limitée tant la construction européenne gagne en puissance et en rayonnement. Par exemple, le Royaume-Uni réalise plus d’échanges avec le Commonwealth ou même avec les pays membres de la CEE qu’avec les pays membres de l’AELE, ce qui symbolise l’étendue de son échec. En parallèle, la construction européenne est toujours plus dynamique : dans les années 1960, les taux de croissance du PIB des pays membres de la CEE sont en moyenne de 4 %. La comparaison se révèle défavorable au Royaume-Uni, qui peine avec 2 % de hausse annuelle moyenne du PIB. Ainsi, motivée par des raisons à la fois économique et géopolitique, le Royaume-Uni finit par demander l’adhésion à la Communauté économique européenne dès 1961. D’un point de vue économique, le Royaume-Uni souhaite adhérer à la CEE pour profiter du Marché commun et de l’enrichissement économique. D’un point de vue géopolitique, la décolonisation ainsi que l’échec de l’opération à Suez le 26 juillet 1956 poussent le Royaume-Uni à forger de nouvelles alliances stratégiques. 2 Ainsi, jusqu’en 1992, le Royaume-Uni participe au projet européen, toujours avec des réticences a. La candidature britannique a été refusée à deux reprises en raison des positions françaises Par deux fois, le Royaume-Uni se voit refuser l’adhésion au projet européen, en 1963 et en 1967. Le premier refus intervient en 1963 en raison principalement de la position du président français Charles de Gaulle. Ce dernier considère que le Royaume-Uni est le cheval de Troie des États-Unis en Europe et redoute la dérive atlantiste qu’impliquerait son entrée dans la CEE. À la suite du départ du général de Gaulle en 1969, la porte de l’Europe s’ouvre pour le Royaume-Uni. L’arrivée de Pompidou au pouvoir, plus européiste, consacre la possibilité d’intégration du Royaume-Uni. Ainsi, en 1973, le Royaume-Uni devient officiellement membre de la CEE. b. Le Royaume-Uni trouve de nombreux intérêts dans la construction européenne Le Royaume-Uni adopte une posture pragmatique et utilitariste envers le projet européen. Il cherche ainsi à dépenser le moins possible et à gagner le plus possible dans plusieurs politiques communes. Il entend profiter aussi d’un marché unique particulièrement attractif et d’aides structurelles nombreuses. Il peut grâce, à son intégration, vendre ses produits dans toute l’Europe, unifiée par le Marché commun : l’Europe représente ainsi 45 % du commerce du Royaume-Uni à partir de son adhésion. Concernant les aides, ce dernier est le 1er bénéficiaire du FEDER. Tout ceci permet à Londres de renforcer son poids, ce qui engendre un basculement géographique du centre de gravité de la CEE. Londres renforce son statut de ville mondiale en se spécialisant toujours plus dans les services financiers. Elle se situe au Nord de la « banane bleue » selon l’expression de Roger Brunet (Les villes européennes, 1989). Cette dernière désigne un espace densément peuplé et fortement urbanisé allant de Londres à Milan en passant par vallée du Rhin. À l’intérieur de cet espace se concentrent la production de richesse et les flux les plus importants d’Europe, elle est donc pleinement intégrée géographiquement. De 1986 à 1994, le tunnel sous la Manche est creusé entre Calais et Douvres, ce qui permet de relier le Royaume-Uni à la France, donc au continent européen dans son ensemble. Le pays atténue ainsi son isolement relatif, fruit de son insularité, et le centre de gravité économique penche à l’Ouest au crépuscule du XXe siècle. c. Il pose ses différentes conditions sous Margaret Thatcher Différentes conditions sont posées par le Royaume-Uni pour participer au projet européen. À l’occasion du sommet de Dublin de 1975, le pays obtient un rabais en cas de difficultés économiques, une clause de suspension de sa contribution et impulse la création du FEDER pour les Midlands britanniques. Dans un contexte socio-économique compliqué, l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir, entre 1979 et 1990, entraîne un renforcement de la position souverainiste et pragmatique du Royaume-Uni. En 1979, à Dublin encore, elle déclare « I want my money back » à un journaliste du Guardian. Par cette formule, Margaret Thatcher s’oppose farouchement au fonctionnement de la PAC, qui selon elle, avantagerait trop la France, et qui léserait le Royaume-Uni. En 1984, à l’occasion du sommet de Fontainebleau, elle obtient gain de cause en se voyant rembourser les 2/3 de son solde budgétaire. 3 Les penchants souverainistes du Royaume-Uni finissent par prendre le pas a. La signature du traité de Maastricht en 1992 et l’Europe à plusieurs vitesses Le traité de Maastricht consacre la naissance de l’Union européenne. Signé en 1992, il marque l’accélération de la construction européenne avec douze pays et différents chantiers majeurs : une Europe plus intégrée et fédérale, le chantier monétaire avec l’euro et un renforcement du poids diplomatique et militaire de l’UE. La position britannique diffère pourtant sur des nombreux points avec celle dessinée par le projet européen. Le Royaume-Uni s’oppose à ce projet jugé trop fédéraliste. Il souhaite mettre en place une Union à plusieurs vitesses. Ainsi par exemple, le Royaume-Uni refuse d’adopter l’euro dès 1992. b. La montée de l’euroscepticisme éloigne le Royaume-Uni du projet européen Le XXe siècle s’achève avec l’élection de Tony Blair en 1997 au poste de Premier ministre, marquant l’ultime page européiste du Royaume-Uni. L’héritage économique de la Révolution conservatrice thatchérienne se fait sentir, et la troisième voie esquissée se veut à la fois très libérale tout en cherchant à réinstaurer le Welfare State, à travers la création d’un salaire minimum avec un interventionnisme social plus marqué. Le Royaume-Uni cherche à imposer ses vues sur le continent et à devenir un véritable moteur, sur plusieurs plans. Le discours de Saint-Malo en 1998, où Tony Blair et Jacques Chirac affirment vouloir « créer une force armée commune crédible », et la stratégie de Lisbonne de 2000, qui consiste à bâtir « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde » par des investissements accrus en R&D, sont deux piliers de cette ambition retrouvée. Toutefois, les dissensions naissent progressivement entre les pays européens et Tony Blair. Et c’est la guerre en Irak qui va cristalliser ces tensions. La position britannique, restée fidèle à l’offensive américaine, est à l’origine d’un progressif éloignement du Royaume-Uni et du continent. L’arrivée au pouvoir de Gordon Brown en 2007 augure la montée de l’euroscepticisme et de l’europhobie au Royaume- Uni. Ce dernier n’a pas les mêmes aspirations que son prédécesseur. Il se montre hostile à tout rapprochement avec l’Union européenne. Il estime que le Royaume-Uni, confronté à des problèmes internes pressants, avec les effets de la crise de 2008 et la hausse du chômage, ne peut pas faire les efforts d’intégration vis-à-vis des PECO nouvellement membres. De plus, le déclenchement de la crise des dettes souveraines et les insuffisances de la technostructure européenne face aux enjeux de la mondialisation renforcent le sentiment de désengagement du Royaume-Uni. Les PIIGS, victimes de cette crise, se retrouvent en très grande difficulté et la non-assistance du gouvernement Brown à l’Irlande témoigne de ce désintérêt profond du Premier ministre en exercice pour ses voisins. c. Le Brexit et la sortie de l’Union européenne Le 23 juin 2016 est voté le Brexit avec 51,9 % de « Leave ». Cette nouvelle fait l’effet d’une bombe : trois ans après la promesse de David Cameron de soumettre cette décision à un référendum au suffrage universel direct, et après une rupture brutale entre les deux franges de son propre parti, le peuple britannique décide de quitter l’Union européenne. La campagne menée par Nigel Farage de l’UKIP et une partie des conservateurs, dont Boris Johnson, est teintée de manipulations de l’opinion publique, y compris par des agents étrangers, et se fonde sur les relents nationalistes et xénophobes du populisme le plus traditionnel. La procédure pour rendre effectif le Brexit a été longue tant elle a été marquée par d’âpres négociations. Acté en 2020, le Brexit un révélateur des profondes dissensions internes au sein du pays. Les classes moyennes et rurales (Cornouailles) ont voté pour alors que les populations citadines (Londres et sa périphérie, Manchester) et jeunes se sont prononcées contre, ce qui témoigne d’un pays à deux vitesses. Confronté à de nombreux dossiers, de l’indépendantisme écossais à la frontière irlandaise, le Royaume-Uni demeure à la croisée des chemins. 4 Croquis Intégrations et fragmentations de l’Union européenne Le mot de la cartographe Je me suis inspirée de l’excellent ouvrage de Matthieu Alfré et Christophe Chabert, Le monde en cartes : méthodologie de la cartographie. Il comporte une jolie carte sur les intégrations et fragmentations de l’Union européenne. Les auteurs abordent les principaux facteurs de pression qui s’exercent sur l’unité européenne. Rappelez-vous que l’une des compétences les plus importantes aux concours est de savoir de transformer une carte complexe en un croquis simple. C’est ce à quoi je vous propose de vous entraîner avec ce sujet fascinant. 5 Exemple de colle Être Européen dans les années 2020 Être Européen dans les années 2020 débute avec la crise sans précédent de la Covid-19. Les modes de vie se sont progressivement uniformisés à mesure que les confinements deviennent la norme en Europe face à l’ampleur de la crise sanitaire. Les différences, qu’elles soient économiques ou culturelles, se sont ainsi atténuées. Le plan de mise en commun de la dette avec l’Union européenne en 2021 a permis un fort rapprochement entre les pays membres, alors même que le projet européen semble aujourd’hui s’essouffler. L’Europe est un continent de 10,1 millions de km2, comptant 764 millions d’habitants (l’ONU incluant la Russie dans l’Europe). Il est marqué par des limites géographiques comme l’océan Atlantique à l’Ouest, l’océan Glaciale Arctique au Nord, la mer Méditerranée au Sud ainsi que les Monts Oural et le Caucase à l’Est. Ce continent présente une diversité culturelle importante, allant des cultures slaves aux cultures scandinaves en passant par les cultures germaniques et celtes. Les modes de vie y sont assez proches, malgré bien sûr des différences locales historiques. Ceci s’explique notamment par le développement économique à l’Ouest de l’Europe et son expansion à l’Est avec l’implosion de l’URSS (1991). Le projet de construction européenne a cherché à donner une raison d’être commune aux Européens souhaitant s’impliquer dans le projet. Elle a débuté en 1951 avec la création de la CECA, puis s’est déployée par élargissement et approfondissement jusqu’à former l’Union européenne avec 27 pays. Cette volonté d’unir les Européens reste partielle, et à l’aube des années 2020, les sentiments nationalistes semblent de plus en plus l’emporter : très peu se décrivent comme « Européen » mais plutôt comme Italien, Polonais ou Grec. Ce sentiment marquerait ainsi la différence entre « être Européen » et « se sentir Européen », car on peut se sentir Européen sans se désigner comme tel. Pourtant, les années 2020 semblent marquer une véritable rupture dans l’histoire européenne. Les enjeux se multiplient : ils sont économiques avec la crise sanitaire, migratoires avec les migrations venues des environs de l’Europe ou culturels avec le désir nationaliste en réaction avec le projet européen supranational. Pourtant, que signifie aujourd’hui être Européen ? Existe-t-il un sentiment européen commun aux populations « de l’Atlantique à l’Oural » pour reprendre les mots de Charles de Gaulle ? Peut-on se détacher de l’État-nation, ce « plébiscite de tous les jours » selon Ernest Renan (dans son discours « Qu’est-ce qu’une nation ? » de 1882) et embrasser un sentiment européen plus large ? À l’aube des années 2020, un désir d’être Européen existe-t-il encore dans un contexte de repli nationaliste fort ? 1 Un sentiment européen de plus en plus trouble a. L’unité culturelle européenne varie fortement selon les espaces concernés Des similitudes : dans les modes de vie, mais aussi dans les racines (gréco-romaines et chrétiennes). Pour Paul Valéry dans Mais qui est donc Européen (1919) : « Partout où les noms de César, de Gaius, de Trajan et de Virgile, partout où les noms de Moïse et de Saint Paul, partout où les noms d’Aristote, de Platon et d’Euclide ont eu une signification et une autorité simultanées, là est l’Europe. » Mais des cultures extrêmement nombreuses et variées : scandinave, germanique ou latine. b. Des projets communs en perte de vitesse : l’unité européenne mise à mal Le déclin du projet de construction européenne : la difficulté à réagir ensemble. La faible participation aux élections européennes : 50,66 % en 2019. c. Un sentiment national de plus en plus fort : vers un relent nationaliste ? L’essor des partis nationalistes dans tous les pays : le RN en France, AFD en Allemagne, Aube dorée en Grèce, la Ligue du Nord en Italie, etc. L’AFD est mouvement eurosceptique et nationaliste allemand créé en 2013 à Berlin. Il est le 5e parti au Bundestag après les élections de 2021 et termine 4e aux élections européennes en 2019. 2 Pour autant, des attaches communes persistent et façonnent l’essence européenne : vers un désir européen a. Une relance d’un projet européen unique au monde plus ou moins abouti Des relances nombreuses : la mise en commun de la dette en 2020 dans le cadre de la crise sanitaire par exemple. La jeunesse européenne s’intéresse de plus en plus au projet européen, comme en attestent les votes aux dernières élections européennes. Dans son discours au Parlement européen en 2021, Ursula von Der Leyen, présidente de la Commission européenne, déclare que l’année 2022 sera l’année européenne de la jeunesse. b. Des défis communs nombreux qui appellent à une unité renforcée, ce qui peut tendre à renforcer le sentiment européen Différents défis qui appellent à une union : défi sécuritaire, défi migratoire, défi économique (économie post-Covid). c. Une solidarité renforcée par le retour de la guerre sur le sol européen L’invasion russe en Ukraine a provoqué une union importante sur les plans économique, politique et militaire en Europe (envoie d’armements, soutien financier, refus du projet Nord- Stream 2 par l’Allemagne). 3 Ainsi, la solidarité politique semble même aujourd’hui se renforcer, appuyée par la jeunesse a. Le retour de la solidarité politique La mise en commun de la dette, une première, à la suite de la crise sanitaire : un plan de relance de 750 milliards d’euros, dont plus de la moitié sont des dons. b. Une génération nouvelle de plus en plus attachée à l’Union européenne et aux nouveaux enjeux Le vote de la jeunesse est de plus en plus important : aux élections de 2019, les moins de 25 ans et les 25-39 ans ont augmenté leur taux de participation de respectivement 14 et 12 points de pourcentage par rapport à 2014. Les programmes Erasmus (1987) et Erasmus + (2014) rencontrent toujours un grand succès. 33 pays participent aujourd’hui à Erasmus + (parmi lesquels tous les pays membres). L’agence Erasmus+ en France estime que 10 millions de citoyens européens pourraient en bénéficier sur la période 2021-2027. La figure de Greta Thunberg, jeune militante suédoise, met en relief l’importance des enjeux du développement durable aux yeux de la jeunesse européenne (mais aussi mondiale). 6 Ouvrage de référence Luuk van Middelaar, Le réveil géopolitique de l’Europe (2021) Né aux Pays-Bas en 1973, Luuk van Middelaar est un éminent historien et philosophe politique. Il a été le conseiller politique du président du Conseil européen Herman Van Rompuy de 2010 à 2014. Grand intellectuel européen, il est professeur de droit européen à l’université de Leyde. L’essentiel de l’ouvrage Publié en 2021, Le réveil géopolitique de l’Europe analyse les relations de l’Union européenne avec son voisinage, qu’il soit turc ou russe, le partenaire étatsunien et le colosse chinois. Il conclut son ouvrage en développant le rapport de l’Union européenne avec sa propre « entrée dans l’Histoire ». Selon Luuk van Middelaar, l’UE est aujourd’hui confrontée à une triple finitude : territoriale, économique et spatio-temporelle, la géopolitique se dessine selon trois axes : la puissance, le territoire et le récit. L’UE apparaît aujourd’hui « allergique aux frontières » et peine à affirmer une politique claire quant à ces dernières. Pour l’auteur, les années des crises, entre 2014 et 2016, restent celles du réveil géopolitique de l’Union européenne. Du fait de l’annexion russe de la Crimée (2014) et de la crise des migrants (2015), crise dans laquelle la Turquie a occupé un rôle prédominant, « l’Europe a perdu son innocence géopolitique ». En outre, les relations avec la Chine se sont profondément complexifiées depuis la signature de l’accord sur les investissements en 2020. Si cette décision marque une véritable rupture avec les positions privilégiées des États- Unis, la complaisance perçue avec un État négligeant les droits de l’homme (Tibet, Hong Kong, Xinjiang) affadit l’image de l’UE. Tour à tour partenaire, concurrente ou rivale systémique, la Chine semble ainsi en position de force face à une UE trop focalisée sur sa puissance normative. Enfin, les relations avec les États-Unis apparaissent aussi ambivalentes même si van Middelaar demeure favorable à la relation transatlantique. Selon lui, trois points majeurs détermineront la relation future entre l’UE et les États-Unis. D’abord, l’établissement d’un véritable « agenda transatlantique », ce qui passe par le renforcement de l’euro en tant que levier de puissance et la redéfinition de l’avenir de l’OTAN dans un contexte de tensions accrues avec la Russie. L’Union européenne doit aussi s’attacher à la troisième dimension de la géopolitique : le « récit », qui fait le lien entre le passé, le présent et l’avenir. En dernière analyse, c’est le récit européen qui cristalliserait toute sa puissance. Son intérêt et son utilisation dans une copie Le livre de Luuk van Middelaar permet d’étayer une réflexion sur l’éveil de l’Union européenne géopolitique, sur ses difficultés et surtout sur l’avènement de sa puissance. Il permet d’affiner son propos en interrogeant le rapport d’une puissance à son récit de légitimation. CHAPITRE 2 L’Union européenne et son voisinage proche : la Russie et l’espace méditerranéen Dissertation – L’Union européenne et ses voisins : entre attraction et répulsion Étude de cas – La Méditerranée orientale, un espace périlleux pour l’Union européenne ? Étude de cas – L’Union européenne face au défi migratoire Croquis – Les voisinages européens entre opportunités et menaces Exemple de colle – Géopolitique de l’extension territoriale russe depuis 1991 Ouvrage de référence – Alexandre Douguine, Fondamentaux de géopolitique (1997) 1 Dissertation L’Union européenne et ses voisins : entre attraction et répulsion En septembre 2021, la chancelière allemande Angela Merkel déclare lors d’une visite officielle à Belgrade : « Il est dans l’intérêt géostratégique de l’Union européenne d’accepter les pays des Balkans en tant que nouveaux pays membres ». L’Allemagne est en effet un fervent défenseur des candidatures des pays des Balkans à l’Union européenne (UE), en particulier de la Serbie et du Monténégro. Ces deux pays sont actuellement courtisés par la Chine, qui noue avec eux des projets économiques et politiques. L’intégration de ces pays permettrait, selon l’Allemagne, d’écarter l’influence chinoise, quitte à fermer les yeux sur certaines des dérives autocratiques qui y sont observées (corruption importante, mafias, tentative de coup d’État au Monténégro). Cette situation géopolitique invite à s’intéresser aux relations ambivalentes, entre attraction et répulsion, qui lient l’Union européenne et ses voisins. L’UE est une union politico-économique qui compte 27 États membres, et qui est la dernière étape du processus de la construction européenne. Celle-ci a été initiée par la CECA en 1951, puis renforcée par les traités de Maastricht (1992) et de Lisbonne (2007). Les frontières de l’UE sont vastes – elles s’étendent du Portugal à la Finlande, de l’Irlande à Chypre. L’UE définit ses pays voisins comme d’une part les pays d’Europe continentale, potentiels candidats à l’adhésion, et d’autre part les pays définis par la politique européenne de voisinage (PEV), qui vont du Maroc à la Syrie, et du Caucase à la Biélorussie. L’UE est un « objet politique non identifié » (Jacques Delors) et dont les relations avec ses voisins doivent rendre compte de la multiplicité des pouvoirs et dynamiques qui l’anime. Ses facteurs d’attractivité (villes-monde, IDH élevés, matières premières), et de répulsion (guerres ou instabilité géopolitique, institutions en crise) permettent de mieux comprendre ces relations de voisinage. À la suite de plusieurs élargissements, et à l’heure où l’UE est frappée par des crises multiformes, le modèle européen est-il encore attractif auprès de ses voisins ? 1 L’Union européenne a un fort pouvoir d’attraction sur ses voisins a. Le solde migratoire net de l’UE témoigne de son attraction Les soldes migratoires des pays voisins de l’UE vers certains de ses pays membres témoignent du fort pouvoir d’attraction de ceux-ci envers leur voisinage. Vivre et travailler dans l’UE représente une nette amélioration du niveau de vie pour beaucoup de migrants, sous la forme de salaires plus élevés, de meilleurs services publics (santé, éducation, transports publics), et parfois aussi d’un climat de stabilité politique favorisant l’exercice de libertés individuelles. Les pays voisins qui émigrent le plus vers l’UE sont le Maghreb (5 millions de migrants, en majorité vers la France), la Turquie (2,5 millions, en majorité vers l’Allemagne), et les pays balkaniques (plus de 2 millions). À la suite de la guerre au Donbass et en Ukraine, plusieurs millions de réfugiés ukrainiens ont été accueillis dans l’UE. L’Allemagne est le pays de l’UE qui accueille le plus de migrants, avec plus de 13 millions en 2019 selon l’ONU. Ce pays accueille à la fois de nombreux migrants économiques, dont la moitié sont originaires de l’UE, ainsi que de nombreux réfugiés. L’Allemagne a accueilli plus d’un million de réfugiés dans les années 1990 suite à la guerre de Yougoslavie, et quasiment autant lors de la crise migratoire de 2015-2017. Cette ouverture importante du pays aux réfugiés des crises internationales peut- être résumée par la phrase d’Angela Merkel de 2015 (« Wir schaffen das ! », ou en français « Nous allons y arriver ! »). Les flux migratoires dans l’UE ont un impact à la fois sur les pays d’accueil et les pays d’origine. L’argent que les migrants envoient au pays (les remises) représente souvent une source importante de revenus pour les pays d’origine. Au Maroc par exemple, cela représente 6 % du PIB selon les calculs de la Banque mondiale. Du côté de l’UE, les migrations représentent un apport démographique notable dans un contexte de natalité faible. L’Allemagne, par exemple, a un solde naturel négatif depuis 1972, et son niveau de population se maintient par un solde migratoire positif. b. Plusieurs pays voisins souhaitent rejoindre l’UE Cinq pays sont officiellement reconnus en 2020 comme candidats potentiels pour un futur élargissement de l’UE : l’Albanie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie et la Turquie. En 2022, à la suite de l’invasion russe, la Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie ont demandé à être candidats dans le cadre d’une procédure accélérée, et Erdoğan, le président turc, a demandé à relancer les négociations d’adhésion pour son pays. Pour les quatre premiers pays cités, l’adhésion à l’UE représente un objectif particulièrement attractif, souvent cité par leurs dirigeants, avec la possibilité d’intégrer le marché unique européen et d’obtenir des fonds de convergence. L’élargissement vers les pays balkaniques ne rencontre néanmoins pas l’unanimité au sein des pays membres de l’UE. En particulier, Emmanuel Macron a opposé son véto en octobre 2019 à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Le président français estime que l’UE n’est pas prête pour un nouvel élargissement, et qu’il faut rendre la procédure d’adhésion réversible et progressive. D’autres pays se sont agacés du refus français, comme l’Allemagne, la Hongrie et l’Autriche, qui estiment qu’en retardant l’entrée de ces pays dans l’UE, la porte est ouverte à ce que la Chine, la Russie et la Turquie y jouent un rôle plus important. La Serbie et le Monténégro sont actuellement les pays les plus avancés dans la procédure d’adhésion à l’UE. Ces deux pays, culturellement proches de la Russie (influence forte des églises orthodoxes) sont marqués par des présidents autocratiques (Aleksandar Vucic, Milo Dukanovic), avec un fort népotisme et des contre-pouvoirs (justice, médias) faibles. En 2013, le Monténégro a emprunté un milliard de dollars à la Chine pour la construction d’un segment d’autoroute de 40 kilomètres de long, alors que le PIB du pays est de 5 milliards de dollars par an. En cas de non-remboursement, le Monténégro devra céder des terres à la Chine. En 2021, le Monténégro a demandé de l’aide à l’UE pour rembourser cet emprunt. c. La politique européenne de voisinage (PEV) renforce les liens de l’UE avec ses voisins non candidats à l’adhésion La PEV a été conçue en 2001 pour formaliser les relations de l’UE avec ses voisins non candidats à l’adhésion. À l’origine destinée à l’Ukraine, la Moldavie et la Biélorussie, la PEV a été étendue aux pays de la Méditerranée (du Maroc jusqu’à la Syrie), et aux pays du Caucase. Certains pays voisins de l’UE ne sont pas membres de la PEV : les pays de l’AELE (Suisse, Islande, Norvège et Liechtenstein), la Turquie (accord d’Ankara en 1963), la Russie (accord de Corfou en 1997), et les pays balkaniques. La PEV définit un statut officiel de « pays voisin de l’Union ». Il formalise une coopération transfrontalière pour lutter contre le crime organisé, les trafics illicites et les filières d’immigration irrégulière. L’Union pour la Méditerranée (2008) et le Partenariat oriental (2009) sont les deux volets de la PEV. En 2014, l’UE a adopté des accords d’association avec la Moldavie, l’Ukraine et la Géorgie, qui crée une zone de libre-échange approfondi et complet (ou ZLEAC) entre ces trois pays et l’UE. Il aboutit à une réduction des droits de douane et des barrières non tarifaires, et vise à harmoniser la législation de ces pays avec le droit communautaire européen. Ces accords sont considérés comme une ingérence de la Russie dans son pré carré. L’UE finance des projets de développement dans le cadre de la PEV, notamment dans l’infrastructure (eau, énergie, transports), l’éducation, et la sécurité. Par exemple, l’UE finance la modernisation du secteur ferroviaire moldave. Le coût total du projet s’élève à 110 millions d’euros, avec 5 millions de subventions directes de l’UE, le solde étant couvert par des prêts de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), et la Banque européenne d’investissement (BEI). Les chemins de fer moldaves se sont équipés en 2020 de nouvelles locomotives diesel, fabriquées au Kazakhstan par l’entreprise américaine Wabtec. En échange, le parlement moldave s’est engagé à adopter un nouveau code législatif ferroviaire avec des règles de gestion plus transparentes, fondées sur les directives de l’UE. L’UE possède un fort pouvoir d’attraction, comme en témoignent les flux migratoires et les demandes d’adhésion de ses voisins. En retour, l’UE fait le pari qu’une plus forte intégration économique avec ses voisins aura pour conséquence une meilleure stabilité régionale. Quels sont les contre-pouvoirs qui se dressent face à cette influence de l’UE dans son voisinage ? 2 Frappée par les crises multiformes, l’UE est concurrencée par un contre-modèle autoritaire a. Un voisinage instable et périlleux Les pays voisins de l’UE sont plusieurs à traverser d’importantes crises : l’Ukraine, la Libye et la Syrie sont en proie à des combats armés ; l’Algérie (Hirak), la Tunisie et le Liban à d’importantes contestations politiques ; Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) maintient des bases arrières terroristes en Algérie et en Libye. Enfin, la question israélo-palestinienne et les revendications turques en Méditerranée orientale sont une menace pour la stabilité régionale. Le cas de l’Ukraine est symptomatique de ce voisinage instable de l’UE. La révolution orange de 2004 a rapproché le pays du camp occidental, avec un souhait de la population pour plus de libertés politiques et une fin de la corruption endémique. La Russie a cherché à maintenir le pays sous son influence, notamment en empoisonnant Viktor Iouchtchenko en 2004 et via les conflits gaziers entre 2005 et 2009. En 2014 la révolution de Maïdan rapproche définitivement le pays de l’UE lorsque le président Viktor Ianoukovitch, pro-Russe, est remplacé par un gouvernement pro-européen. La Russie contre- attaque en annexant la Crimée en 2014 et en finançant une guerre dans la province du Donbass, puis en lançant l’invasion du pays en 2022. La crise ukrainienne entre 2014 et 2022 a montré l’ambivalence de l’UE vis-à-vis de l’Ukraine. D’un côté, l’UE a appuyé les sanctions internationales contre la Russie en 2014 ; de l’autre elle a autorisé la construction de Nord Stream 2, un gazoduc reliant la Russie à l’Allemagne, qui aurait fait perdre 1,5 milliard de dollars par an au gouvernement ukrainien, soit presque 10 % de son budget annuel. Il aura fallu l’invasion de l’Ukraine en 2022 pour que l’UE affirme plus nettement sa puissance géopolitique, en acceptant des sanctions beaucoup plus fortes vis-à-vis de la Russie. b. Des voisins repoussés par les échecs européens L’UE fait face depuis 15 ans à une série de crises : crise économique, crise migratoire, crise de gouvernance et crise sanitaire. Ces crises ont nourri l’euroscepticisme dans plusieurs pays membres, et ont éloigné des pays candidats. À la suite de la crise financière de 2007, la zone euro a été frappée par une crise sur les dettes souveraines. Celle-ci se manifeste avec violence en Grèce en 2010-11, puis s’étend à l’Irlande, au Portugal et à Chypre. En 2020 la crise de la Covid a été un révélateur de la perte de souveraineté industrielle de plusieurs pays membres : la France a été incapable de produire du matériel médical en quantités suffisantes malgré plusieurs champions nationaux du secteur (Sanofi, Ipsen, BioMérieux). La crise migratoire en 2015-16 a montré la profonde divergence de l’UE quant à l’accueil de réfugiés. D’un côté des pays comme la Croatie, la Pologne, et le Portugal n’en ont accueilli quasiment aucun. De l’autre côté, la Suède a accordé l’asile et la protection subsidiaire à 100 000 personnes en 2016-2017, soit l’équivalent de 1 % de sa population. La construction par la Hongrie d’une barrière à sa frontière a été perçue par certains pays membres comme une défense légitime des frontières de l’UE, par d’autres comme un nouveau « mur de la honte ». L’échec du mécanisme de répartition des réfugiés en 2017 est le symbole d’un consensus devenu plus difficile au sein d’une UE à 27 membres. Les prises de décision sont souvent paralysées par les possibilités de véto des différents membres. L’ensemble de ces crises permettent d’expliquer le refus de pays comme l’Islande, la Norvège et la Suisse de rejoindre l’UE, ces pays préférant une association au marché unique sous la forme d’accords douaniers et économiques. En 2016, le vote pour le retrait du Royaume-Uni de l’UE marque un coup dur au modèle européen. Entré en vigueur en 2020, ce retrait crée de nouvelles frontières externes pour l’UE, terrestre en Irlande du Nord et maritime au niveau de la Manche. c. Un modèle répulsif s’impose dans le voisinage européen Le modèle politico-social défendu par la Russie, la Turquie et la Chine vient concurrencer le modèle défendu par l’UE auprès de ses voisins. Plusieurs des pays voisins de l’UE sont attirés par ce contre-modèle autoritaire qui s’oppose au modèle libéral défendu par l’UE. L’exemple le plus frappant en est la Biélorussie. Ce pays, dirigé par le dictateur Alexander Loukachenko, est considéré comme un pays vassal de Moscou, et a servi de base arrière pour l’invasion de l’Ukraine. Son président s’est aussi rapproché de la Turquie, qui est devenue le deuxième investisseur du pays derrière la Russie. En 2021, Loukachenko a lancé une attaque hybride contre l’UE, en orchestrant une filière d’immigration clandestine en provenance du Moyen-Orient vers la Pologne et la Lituanie. Au sud et à l’est de la Méditerranée, l’idéologie islamiste s’exprime à la fois dans des partis politiques, des associations caritatives et par des chefs religieux. La place de la femme et la primauté de la religion sur le politique sont en opposition frontale avec les valeurs défendues par l’UE. Cette idéologie alimente des discours politiques violents de rejet de l’Occident (en Turquie, au Maroc, en Algérie), ainsi que de multiples attentats terroristes perpétrés sur le sol européen (Londres, Paris, Madrid, Nice, Bourgas, etc..). Un pic de violence est atteint en 2015 avec l’extension maximale de l’État Islamique en Irak et de la Syrie et le départ de milliers de jeunes européens partis rejoindre leurs rangs. Dans L’Europe et l’avenir du monde (2009), le géographe Michel Foucher rappelle que l’UE, qui n’est ni un État ni une nation, est perçue par ses citoyens comme une contrainte extérieure, et non comme une volonté collective. L’UE doit s’affirmer si elle veut maintenir sa puissance au niveau mondial et défendre ses intérêts dans son voisinage. d. Les défis prioritaires de l’UE face à ses voisins Assurer l’intégrité des territoires aux marges de l’Union La Russie, et à moindre mesure la Turquie, menacent l’intégrité territoriale de pays membres ou de pays voisins de l’UE ; leur expansionnisme est une épreuve pour l’UE. La Russie a financé entre 2014 et 2022 une guerre dans la province ukrainienne du Donbass, puis a tenté en 2022 une invasion complète du pays. Les élites politiques russes accusent régulièrement l’Ukraine, la Pologne et les pays baltes d’être pro- occidentaux, et profèrent régulièrement des menaces à peine voilées de bombarder et d’envahir ces pays. L’invasion et la domination de ces pays sont théorisées de longue date, comme le montre le succès du livre Fondamentaux de géopolitique d’Alexandre Douguine, publié en 1997 et enseigné dans les écoles d’états-majors de l’armée russe. L’Ukraine et les pays baltes ont fait partie de l’URSS jusqu’en 1991 et leurs mouvements nationaux furent durement réprimés par Moscou. En 1932-33, les réquisitions de blé décidées par Staline en Ukraine ont provoqué la mort de 3 millions d’Ukrainiens (l’Holodomor). En 1940, vingt mille officiers et membres de l’élite polonaise sont assassinés par la police politique de l’Union soviétique (le massacre de Katyń). En 1949, presque 100 000 Baltes sont déportés en Sibérie (l’opération Priboï). La mémoire de ces massacres et de l’occupation russe, ainsi que la volonté d’atteindre la prospérité observée en Europe de l’Ouest, expliquent la forte attraction de ces pays à rejoindre l’OTAN et l’UE peu après leur indépendance en 1991. La Turquie, en pleine croissance économique et démographique, représente à moindre mesure un défi pour l’intégrité territoriale de l’UE. La doctrine turque « Mavi vatan » (Patrie bleue) considère qu’une partie des eaux territoriales grecques et chypriotes appartiennent à la Turquie. Ankara a envoyé en août 2020 le navire d’exploration Oruç Reis dans les eaux territoriales grecques, ce qui a provoqué une riposte militaire de la France, qui a envoyé deux chasseurs Rafale et deux bâtiments de la marine nationale dans la zone. Suite à cet incident, le gouvernement grec a passé commande auprès de la France de six frégates et trente avions Rafale, alors que la Turquie augmente elle aussi ses capacités militaires, par des livraisons de sous-marins allemands et une industrie nationale militaire en pleine expansion. e. Assurer la sécurité énergétique des pays membres En 2019, l’UE a importé pour 60 % de sa consommation d’énergie de l’étranger, selon Eurostat. Le premier fournisseur de l’UE est la Russie, qui lui fournit respectivement 40 % et 30 % de ses importations en gaz et en pétrole. Or, la Russie utilise ses matières premières comme une arme géopolitique, ce qui place l’UE et ses voisins d’Europe de l’Est dans une situation de dépendance à haut risque. L’invasion de l’Ukraine en 2022 a placé cette « géopolitique des tubes » (Philippe Rekacewicz) au cœur du conflit, avec la fermeture de Nord Stream 2, et l’engagement annoncé de l’UE de cesser ses importations de gaz et de pétrole russe. La dépendance de l’UE au gaz naturel est une conséquence du paquet climat-énergie voté par l’UE en décembre 2008 (aussi appelé directive « 3 x 20 »). L’objectif de cette directive est de porter la part des énergies renouvelables à 20 % du mix énergétique total de l’UE (cette part a été de 19,7 % en 2019 selon Eurostat). En conséquence, les pays de l’UE ont investi massivement dans le solaire et l’éolien. Ce type de production énergétique est par nature imprévisible et fortement variable. Les centrales au gaz ou au charbon sont donc rendues nécessaires pour assurer une production électrique stable. La forte hausse des prix du gaz et de l’électricité en 2021 a révélé la faiblesse de cette stratégie énergétique de l’UE. Certains pays de l’UE possèdent des terminaux méthaniers et des unités de regazéification qui permettent de s’approvisionner en gaz naturel à l’étranger, notamment au Qatar et aux États- Unis, par le biais du GNL

Use Quizgecko on...
Browser
Browser