Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 PDF
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ULB Université Libre de Bruxelles
Nathalie Massager
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This document provides an overview of civil and Roman law concerning obligations. It details the theoretical foundations and principles of civil law, highlighting both its abstraction and timelessness, a significant aspect of its structure. It also touches upon the significance of legal logic within this context.
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BRUXELLES Volume 3 UNIVERSITÉ LIBRE DE Droit civil et fondements de droit romain Nathalie MASSAGER D/2023/0098/233 12 e édition – Tirage 2023-24/1 DROI-C-1002_C 9HSMFKA*aadaea+ Conformément à la loi du 30 juin 1994, modifiée par la loi du 22 mai 2005, sur le droit d’auteur, toute reproductio...
BRUXELLES Volume 3 UNIVERSITÉ LIBRE DE Droit civil et fondements de droit romain Nathalie MASSAGER D/2023/0098/233 12 e édition – Tirage 2023-24/1 DROI-C-1002_C 9HSMFKA*aadaea+ Conformément à la loi du 30 juin 1994, modifiée par la loi du 22 mai 2005, sur le droit d’auteur, toute reproduction partielle ou totale du contenu de cet ouvrage –par quelque moyen que ce soit– est formellement interdite. Toute citation ne peut être autorisée que par l’auteur et l’éditeur. La demande doit être adressée exclusivement aux Presses Universitaires de Bruxelles a.s.b.l., avenue Paul Héger 42, 1000 Bruxelles, Tél. : 02-650 64 40 – https://www.pub-ulb.be/ – E-mail : [email protected] « Une main plus ou moins habile ne fait pas seule l’artisan, et la valeur de son travail augmente à mesure que s’élève son niveau intellectuel : la créature humaine n’est pas un simple outil. » Henri La Fontaine (1854-1943) Docteur en droit de l’ULB, avocat, sénateur, prix Nobel de la Paix en 1913. MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 TITRE III DROIT DES OBLIGATIONS Introduction « La matière des obligations a un caractère qui lui et propre : elle est la plus théorique de toutes les parties du droit. C’est elle qui forme le domaine principal de la logique juridique, et c’est pourquoi elle plaît à ceux qui aiment à raisonner à la façon des mathématiciens » M. Planiol. Le droit des obligations (het verbintenissenrecht) est la matrice théorique de l’ensemble du droit privé patrimonial. Le droit des obligations constitue le droit commun du régime juridique des contrats et de la responsabilité civile notamment. Compte tenu de son champ d’application très large, le droit des obligations sert en outre de socle normatif à d’autres branches du droit privé tels que le droit économique et financier ainsi que le droit social. La matière du droit des obligations se distingue des autres branches du droit civil que nous avons étudiées, par plusieurs particularités qui lui confèrent une identité propre. Nous avons vu précédemment que le droit des personnes présente un caractère à la fois pointilliste et conjoncturel, étant appelé à se transformer au gré des évolutions de la société dont il organise les aspects les plus intimes et que le droit des biens véhicule un puissant ancrage dans les effets les plus concrets du rapport aux choses. A l’inverse, le droit des obligations définit des principes généraux essentiellement théoriques ayant vocation à l’universalité. Le droit des obligations se démarque par des qualités d’abstraction et d’intemporalité, qui en font le cadre de raisonnement idéal dans lequel se développe la logique juridique dans sa forme la plus pure. Par la qualité de sa formulation et de son ordonnancement, le droit des obligations offre un substrat de choix pour la construction de la pensée juridique qui caractérise notre droit positif tant par son appartenance au modèle rhétorique de la dialectique, que par des propriétés de pragmatisme et de modularité face aux impératifs de la réalité sociale et économique de la société. A l’exact opposé de la tendance actuelle du droit positif marquée par une inflation de textes visant à réglementer les aspects les plus détaillés des situations auxquels ils s’appliquent, les dispositions qui composent le droit des obligations établissent un cadre normatif de type minimaliste, ce qui en garantit précisément la pérennité. Le droit des obligations se caractérise tant par sa nature conceptuelle que par son exceptionnelle stabilité : pour l’essentiel, les textes du Code Napoléon étaient restés inchangés jusqu’à l’adoption du Livre 5 qui a été inséré dans le Code civil par la loi du 28 avril 2022 (M.B. du 1er juillet 2022) entrant en vigueur le 1er janvier 2023. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 1 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 La seconde particularité du droit des obligations tient à sa densité : les rédacteurs du Code civil ont fait choix de n’énoncer la règle que sous sa forme la plus condensée, dans un style direct et synthétique. Le caractère dépouillé des textes régissant le droit des obligations, tant dans la forme que dans le fond, a eu pour corollaire de laisser place à l’œuvre de la jurisprudence qui pendant plus de deux cents ans, s’est attachée à tracer les contours des principes définis de manière lapidaire par le législateur de 1804, proposant des définitions des concepts, dégageant des théories nouvelles, ajustant la portée de certaines règles susceptibles d’entrer en contradiction et allant jusqu’à ériger des constructions extraordinairement sophistiquées destinées à compléter les dispositions normatives originaires dont elles renforcent ainsi toute la force et la solidité. Le travail de codification du législateur a notamment consisté à rassembler, dans les textes du Livre 5, l’ensemble des apports émanant de la jurisprudence et de la doctrine, de manière à consolider les fondations d’origine et à rendre à la matière une meilleure lisibilité et une plus grande ouverture sur le monde en implémentant certains mécanismes adoptés par les systèmes juridiques d’autres pays et utilisés par la pratique. Enfin, la troisième particularité essentielle du droit des obligations et sans doute la plus importante est le rôle prioritaire qu’il accorde à la volonté de l’individu, la très grande majorité des règles qui le gouvernent étant supplétives. L’autonomie de la volonté trouve, dans le droit des obligations, un environnement intellectuel tout à fait favorable où elle peut s’épanouir harmonieusement sans être soumise, comme dans d’autres branches du droit civil, à une politique législative qui s’impose à elle. La consécration de cette volonté est toutefois pondérée par des principes directeurs traduisant l’équilibre des valeurs qui transcendent la matière : sécurité juridique, bonne foi, équité, responsabilité, notamment. La codification du Livre 5 a permis de réaliser un nouvel équilibre entre la liberté contractuelle laissée aux parties et le rôle du juge appelé à protéger les intérêts de la partie la plus faible dans des situations de déséquilibre contractuel, par exemple, par la consécration de la théorie de l’imprévision ou l’annulation du contrat pour abus de circonstances lorsqu’une partie a profité de la situation de vulnérabilité de l’autre. Tout en n’échappant pas à une régulation nécessaire, le droit des obligations apparaît comme un droit libre et indépendant, ce qui fonde tout à la fois sa plasticité et son incroyable résistance aux exigences des bouleversements de notre époque. Plan Le Titre III consacré au droit des obligations s’articule autour de deux chapitres : Chapitre I. Le régime général des obligations Chapitre II. Les sources des obligations. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 2 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 CHAPITRE I. LE RÉGIME GÉNÉRAL DES OBLIGATIONS Le régime général des obligations réunit l’ensemble des règles qui constituent le droit commun applicable à toute obligation quelle qu’en soit la source : la loi, un contrat ou un autre acte juridique, un quasi-contrat ou un fait générateur de la responsabilité extracontractuelle. Dans ce premier chapitre, nous étudierons successivement les sections : - Notion et classification des obligations (section I) Preuve des obligations (section II) Obligations avec pluralité d’objets ou de sujets (section III) Transmission des obligations (section IV) Exécution des obligations (section V) Inexécution des obligations (section VI) Extinction des obligations (section VII). Section I. Notion et classification des obligations Sous-section I. Notion Certains actes ou faits juridiques ont pour effet de créer un lien de droit appelé obligation entre un ou plusieurs créancier(s) permettant d’exiger l’exécution d’une prestation à charge d’un ou plusieurs débiteur(s), au besoin par la voie d’une action en justice : « L’obligation est un lien de droit en vertu duquel un créancier peut exiger si nécessaire en justice d’un débiteur l’exécution d’une prestation » (art. 5.1 c.civ.). L’obligation (de verbintenis) désigne le rapport juridique créé par l’effet de ces actes ou faits juridiques, qui confère à une personne le droit d’exiger l’exécution d’une prestation par une autre personne : - La personne qui est en droit d’exiger l’exécution de la prestation est titulaire d’un droit de créance et s’appelle le créancier (de schuldeiser) ; - La personne qui doit exécuter la prestation est titulaire d’une obligation ou dette et s’appelle le débiteur (de schuldenaar). Il peut y avoir une pluralité de créanciers et/ou une pluralité de débiteurs pour un même droit de créance ou une même obligation : le régime des obligations avec pluralité de sujets est alors applicable (voy. section 3). A chaque obligation, appelée également dette, incombant au débiteur correspond un droit de créance appartenant au créancier. Le droit de créance (de schuldvordering) est un droit subjectif civil patrimonial par lequel son titulaire, le créancier, est en droit d’exiger du débiteur l’exécution d’une obligation, le cas échéant en ayant recours aux voies d’exécution forcée. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 3 3 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Les notions de droit de créance, pour le côté positif du droit, et d’obligation ou de dette (de schuld), pour le côté négatif, désignent le même lien de droit, selon que l’on se place du côté de celui à qui bénéficie le rapport juridique (le créancier) ou de celui qui doit exécuter la prestation, par effet de ce même rapport juridique (le débiteur). Exemple : Le bailleur est créancier et le locataire débiteur de l’obligation du paiement du loyer, tandis que le bailleur est débiteur et le locataire créancier de l’obligation de mise à disposition du bien loué. Le droit de créance se distingue des obligations de nature morale, religieuse ou naturelle (non transformée en obligation civile) par la sanction qui s’attache au droit et permet à son titulaire d’en poursuivre l’exécution forcée par la voie d’actions judiciaires. La prestation à charge du débiteur peut consister à donner, à faire, à ne pas faire ou à garantir quelque chose. Par opposition aux droits réels qui portent directement sur des biens, le droit de créance porte nécessairement sur la personne du débiteur, dont le créancier est en droit d’exiger qu’il exécute sa prestation. Exemples : L’acheteur a le droit d’exiger du vendeur qu’il lui transfère la propriété du bien acheté : obligation de donner. Le vendeur a le droit d’exiger de l’acheteur le paiement du prix : obligation de faire. L’acheteur d’un fonds de commerce s’engage à ne pas faire concurrence au vendeur pendant un temps déterminé : obligation de ne pas faire. La caution doit payer la dette du débiteur défaillant : obligation de garantie. Obligation naturelle La loi définit l’obligation naturelle comme étant une obligation dont l’exécution ne peut pas être exigée en justice (art. 5.2, al. 1er, c.civ.). L’obligation naturelle est dépourvue de tout caractère contraignant : le débiteur d’une obligation naturelle a le choix de l’exécuter ou non, sans que le créancier puisse l’y contraindre par la voie d’un recours en justice. Nous avons vu (syll. 1) que les obligations naturelles reposent sur des liens d’ordre moral entre les individus, comme le devoir de s’entraider entre frères et sœurs dans le besoin, d’aider son enfant majeur à s’établir lorsqu’il quitte le domicile familial, ou encore de soutenir financièrement son partenaire fragilisé dans le cadre de la rupture d’un couple non marié (cohabitants légaux ou cohabitants de fait). Si le créancier d’une obligation naturelle ne peut pas en exiger l’exécution en justice, le débiteur qui exécute, volontairement et en pleine connaissance de cause, une obligation naturelle devient débiteur d’une obligation civile contraignante. L’exécution volontaire d’une obligation naturelle a pour effet de transformer l’obligation naturelle en une obligation civile, autorisant le créancier à en poursuivre l’exécution forcée en justice. Il en résulte qu’un paiement effectué, sans ignorance ni contrainte, en exécution d’une obligation naturelle transformée en obligation civile ne donnera pas lieu à une restitution (art. 5.2, al. 2 et 3, c.civ.). Exemple : Un cohabitant décide, sur une base purement volontaire, de fournir une aide alimentaire à son ancien partenaire : il ne sera pas admis à en exiger le remboursement a posteriori. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 4 4 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Sources des obligations Chaque obligation trouve nécessairement sa source soit dans la loi (comme l’obligation de payer des impôts), soit dans un acte juridique comme un contrat ou un testament, soit dans un fait juridique comme un quasi-contrat ou un fait générateur de responsabilité obligeant son auteur à réparer le dommage causé à autrui (art. 5.3 c.civ.). L’acte juridique suppose la volonté de son auteur de s’engager sur le plan juridique (art. 1.3 c.civ.), alors que le fait juridique produit des effets en droit sans que son auteur ait forcément eu l’intention d’être lié par des effets juridiques. Le fait juridique peut être licite comme dans le cas du quasi-contrat ou illicite comme dans le cas de la responsabilité extracontractuelle (voy. chapitre II, section II et III). Toute obligation suppose donc nécessairement : - une source : la loi, un acte juridique ou un fait juridique ; - deux personnes (au moins) : le(s) créancier(s) et le(s) débiteur(s) ; - un objet : donner, faire, ne pas faire ou garantir ; - un pouvoir de contrainte : la possibilité d’exercer un recours en justice si le débiteur n’exécute pas volontairement son obligation. Le régime général des obligations contient l’ensemble des règles constituant le socle juridique commun à toute obligation quelle qu’en soit la source, à moins que la loi s’y oppose (art. 5.138 c.civ.). Sous-section II. Classification des obligations Avant d’étudier les règles applicables à toutes les obligations, il convient de faire des distinctions parmi les obligations, des effets particuliers résultant du rattachement d’une obligation à l’une ou l’autre catégorie. Les deux principales classifications sont : les obligations de donner, de faire, de ne pas faire ou de garantir ; les obligations de moyens ou de résultat. I. A. Obligations de donner, faire, ne pas faire ou garantir Critère de distinction : l’objet de l’obligation Le créancier est en droit d’exiger de son débiteur qu’il exécute son obligation portant sur une prestation dont la nature peut être de donner, faire, ne pas faire ou garantir : « Une obligation a pour objet une prestation qui peut consister à faire ou ne pas faire quelque chose, à donner quelque chose ou à garantir quelque chose » (art. 5.46, al. 2, c.civ.). DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 5 5 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 On distingue : 1. Les obligations de donner Les obligations de donner (verbintenissen om iets te geven) sont les obligations dont l’objet consiste dans le transfert d’un droit ou la constitution d’un droit réel (art. 5.46, al. 3, c.civ.). L’obligation portant sur le transfert du droit de propriété est une obligation de donner, tout comme l’obligation résultant de la constitution d’un doit réel d’usage par exemple. Exemples : Obligation du vendeur ou du donateur de transférer la propriété à l’acheteur ou au donataire. Obligation du propriétaire de transférer l’usufruit en cas de constitution d’un usufruit par voie d’aliénation. 2. Les obligations de faire Les obligations de faire (verbintenissen om iets te doen) comprennent toutes les obligations positives dont l’objet consiste à accomplir une prestation (autre que celle visée par les obligations de donner). Exemples : Obligation de l’entrepreneur d’exécuter le travail convenu : obligation de l’architecte de concevoir les plans, de l’avocat de représenter son client en justice, du médecin de soigner son patient, du transporteur d’acheminer les marchandises à destination etc. Obligation du bailleur de mettre le bien loué à la disposition du locataire. Obligation de l’emprunteur de se comporter comme une personne prudente et raisonnable. Obligation du dépositaire de restituer le bien à première demande du déposant. 3. Les obligations de ne pas faire Les obligations de ne pas faire (verbintenissen om niet te doen) désignent toutes les obligations négatives, dont l’objet consiste pour le débiteur à s’abstenir d’accomplir un acte ou un fait juridique. Exemples : Obligation du locataire de ne pas installer ses bureaux dans les lieux loués. Obligation de l’emprunteur de s’abstenir de tout usage non conforme à la destination du bien emprunté. Obligation du dépositaire de ne pas se servir du bien mis en dépôt. 4. Les obligations de garantir Les obligations de garantir (verbintenissen om iets te garanderen) imposent au débiteur de s’engager auprès du créancier à lui offrir une garantie en cas de survenance d’un événement, la garantie pouvant prendre des formes différentes : indemniser le préjudice subi, restituer un bien, prendre fait et cause pour le créancier dans le cadre d’une procédure judiciaire, notamment. Exemples : Obligation du vendeur de garantir l’acheteur contre l’éviction du fait personnel ou du fait des tiers. Obligation du vendeur de garantir l’acheteur contre les vices cachés. Obligation de l’assureur d’indemniser en cas de sinistre. Obligation de la caution de payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 6 6 MASSAGER Nathalie B. Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Intérêt de la distinction L’intérêt de la distinction réside principalement dans le régime juridique particulier des obligations de donner : celles-ci impliquent de transférer ou de créer un droit réel et, le plus souvent également, de délivrer le bien sur lequel porte le droit réel. Alors que l’obligation de délivrer se concrétise matériellement, le transfert ou la création d’un droit réel est une opération incorporelle et donc malaisée à représenter. Or, il importe d’identifier le moment précis de l’exécution de l’obligation de donner qui a pour effet de transférer ou de créer le droit réel. L’obligation de donner correspond au moment même de la conclusion du contrat : dès que les parties contractantes ont accordé leur volonté, le contrat est formé et le transfert ou la création du droit réel intervient concomitamment à la conclusion du contrat. L’article 5.79 du Code civil dispose : « L’obligation de donner s’exécute conformément à l’article 3.14, § 2, du Code civil ». L’article 3.14, § 2, du Code civil dispose : « Le transfert ou la constitution d'un droit réel se réalise par un acte juridique translatif ou constitutif émanant d'une personne disposant du pouvoir de disposition, en exécution d'un titre valable emportant obligation de donner. L'acte juridique translatif ou constitutif se réalise par le seul échange des consentements des parties et l'obligation de donner s'exécute au même moment. Les parties sont présumées consentir dès qu'elles ont convenu de l'obligation de donner ». Ces dispositions énoncent un principe fondamental du droit des obligations : le transfert de propriété et plus largement, l’exécution de l’obligation de donner se réalise dès l’accord de volontés, par le seul échange des consentements des parties. Exemple : Sauf accord contraire, l’acheteur devient propriétaire dès que les parties se sont mises d’accord sur le bien faisant l’objet de la vente et sur le prix : le transfert de propriété intervient par le seul échange des consentements, le moment de délivrance étant sans influence sur le transfert de propriété. Exceptions Cette règle étant supplétive, les parties peuvent y déroger. En matière de vente, les parties insèrent souvent dans leur contrat une clause en vertu de laquelle la propriété du bien n’est transférée à l’acheteur qu’au moment du paiement intégral du prix : cette clause est appelée une clause de réserve de propriété. La loi prévoit également des exceptions, notamment : - Pour les biens fongibles (choses de genre), le transfert de propriété a lieu au moment de la spécification du bien ; - Pour les choses futures, le transfert de propriété a lieu au moment où la chose vient à exister (art. 3.14, § 2, al. 3 et 4, c.civ.) ; - En matière de vente commerciale, le transfert de propriété a lieu au moment de la délivrance du bien. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 7 7 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Transfert de la charge des risques Le transfert de propriété (de eigendomsoverdracht) entraîne le transfert de la charge des risques (de risico-overdracht) qui a lieu au moment de l’échange des consentements lorsque l’obligation de donner porte sur un bien non fongible (chose certaine), sauf clause dérogatoire : « Sauf accord des parties, le transfert de la propriété emporte le transfert des risques. Ainsi, si la chose vient à périr par un cas de force majeure après que l’obligation de donner a été exécutée, le créancier de la chose ne peut plus en exiger la délivrance, mais reste néanmoins tenu d’en payer le prix » (art. 5.80 c.civ.). La perte fortuite du bien non fongible (species) après l’accord de volontés incombe donc à l’acheteur. Il en résulte que si le bien non fongible est détruit par un cas de force majeure entre l’échange de consentements et la délivrance, l’acheteur devra supporter la perte fortuite du bien, même si le bien devait encore être livré par le vendeur : à défaut de clause contraire, si l’acheteur avait déjà payé le prix, le vendeur sera libéré de son obligation de livrer et ne devra pas rembourser à l’acheteur le prix versé par ce dernier. Application Sauf accord contraire entre les parties, l’acheteur d’une œuvre d’art (species) devient propriétaire de celle-ci dès que les parties se sont mises d’accord sur la chose vendue et sur le prix de celle-ci. Le transfert de propriété intervient par le seul échange des consentements : si les parties se sont accordées sur la chose et le prix le 1er janvier, l’acheteur est devenu propriétaire à ce moment-là, et ce même s’il est convenu que l’œuvre ne sera livrée à l’acheteur que le 31 janvier. Si l’œuvre est détruite par un incendie provoqué par la foudre qui ravage l’atelier de l’artiste où elle est entreposée entre le moment de la conclusion du contrat (1er janvier) et le moment prévu pour la délivrance (31 janvier), l’acheteur supporte la perte fortuite de l’œuvre, même si celle-ci devait encore être livrée par le vendeur. Si l’acheteur avait déjà payé le prix, le vendeur ne devra pas lui rembourser la somme versée et si le prix était encore dû, l’acheteur devra s’en acquitter alors même que l’œuvre n’existe plus. II. A. Obligations de moyens ou de résultat Critère de distinction : l’étendue de l’obligation Toutes les obligations ne s’imposent pas au débiteur avec la même intensité : certaines obligations obligent le débiteur à obtenir le résultat fixé, alors que d’autres obligations requièrent que le débiteur mette en œuvre tous les moyens dont il dispose pour atteindre l’objectif convenu. Application Des étudiants ayant organisé leurs vacances de sport d’hiver avec un voyagiste, se retrouvent bloqués au moment du retour : les cars devant les ramener chez eux ne montent pas en station en raison des chutes de neige. L’obligation du voyagiste de veiller à prévoir l’équipement adéquat pour que les cars puissent braver les conditions météorologiques certes défavorables mais pas inhabituelles en montagne en cette période de l’année constitue-t-elle une obligations de moyens ou de résultat ? DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 8 8 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 On distingue : 1. Les obligations de moyens Les obligations de moyens (inspanningsverbintenissen) sont des obligations par lesquelles le débiteur s’engage à mettre en œuvre tous les moyens et efforts raisonnables pour atteindre un résultat déterminé. Exemples : L’obligation de l’avocat de conseiller et défendre la cause de son client. L’obligation du médecin de prodiguer au patient les soins adéquats. L’obligation du photographe de développer les photos dans les règles de l’art. L’obligation du garagiste de réparer une panne mécanique. L’obligation d’une agence de sécurité de prévenir les cambriolages. L’obligation du banquier de faire fructifier le portefeuille d’actions de son client. 2. Les obligations de résultat Les obligations de résultat (resultaatsverbintenissen) sont des obligations par lesquelles le débiteur est tenu d’atteindre un objectif déterminé. À la différence du débiteur d’une obligation de moyens, le débiteur d’une obligation de résultat ne doit pas seulement mettre en œuvre tous les efforts raisonnables pour aboutir au but escompté : il doit aboutir au résultat fixé. Exemples : L’obligation de l’avocat d’interjeter appel dans le délai légal ou de comparaître à l’audience de plaidoirie. L’obligation du médecin de traiter le bon patient. L’obligation du chirurgien de ne laisser aucun matériau (compresses, etc.) dans le corps du patient. L’obligation du banquier de verser les intérêts prévus, de bloquer la carte magnétique déclarée volée. L’obligation du photographe de ne pas détruire les fichiers informatiques contenant les photos digitales du client. L’obligation du garagiste de restituer le véhicule après l’entretien ou la réparation. L’obligation du transporteur routier de transporter les marchandises sans les détériorer. L’obligation du teinturier de ne pas perdre les vêtements confiés pour nettoyage. L’obligation du vestiairiste de restituer les vêtements remis en dépôt. L’obligation d’un établissement hospitalier de restituer à la victime d’un accident ses effets personnels. Pour déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat, il convient de se référer à la volonté du législateur lorsque l’obligation est légale ou d’analyser la volonté des parties lorsque l’obligation est contractuelle. Exemple : L’obligation de respecter un délai peut être soit une obligation de résultat (interjeter appel dans le délai légal, réaliser une œuvre devant être proposée à la vente lors d’une foire d’art, livrer la robe de mariée pour le jour de la célébration, etc.), soit une obligations de moyens (engagement de l’avocat d’envoyer au client la consultation juridique dans les quinze jours, etc.). À défaut de volonté claire exprimée par les parties, il appartient au juge de déterminer la nature de l’obligation, au regard de différents critères dont notamment : 1) La participation du créancier à l’exécution de l’obligation Si le créancier prend une part active à l’exécution de l’obligation, celle-ci sera qualifiée d’obligation de moyens. En revanche, si le créancier ne peut en aucune manière intervenir dans l’obligation, elle sera considérée comme une obligation de résultat. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 9 9 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Applications La sécurité des voyageurs astreint le transporteur à une obligation de moyens lors des phases d’embarquement et débarquement (« accidents de quai » en matière ferrovière), alors que l’obligation est de résultat pendant la durée du déplacement. L’exploitant d’un remonte-pente est tenu par une obligation de sécurité de moyens en raison de la participation active du skieur, alors que l’exploitant d’une télécabine est tenu par une obligation de résultat. S’agissant du télésiège, l’obligation est de moyens durant l’embarquement et le débarquement et de résultat durant la remontée. L’obligation de sécurité du moniteur lors d’un saut en parachute en tandem est une obligation de résultat, sauf s’il est établi que le client s’est blessé à défaut d’avoir respecté la consigne « legs up » au moment de l’atterrissage : Liège (20e ch.), 31 mai 2012, J.L.M.B., 2013/30, p. 1566. 2) Le caractère aléatoire du résultat à atteindre L’obligation est de moyens si le résultat à atteindre est aléatoire, et de résultat si le résultat n’est pas aléatoire. Applications Pour l’avocat, l’obligation d’obtenir gain de cause présente (sauf exception) un caractère aléatoire, raison pour laquelle il s’agit d’une obligation de moyens : l’issue du procès dépend d’un nombre important de facteurs extérieurs sur lesquels l’avocat n’a pas de pouvoir, au premier chef desquels l’appréciation du juge. En revanche, le fait d’interjeter appel dans le délai légal ne présente pas de caractère aléatoire et dépend exclusivement de la compétence et de la prévoyance de l’avocat : il s’agit d’une obligation de résultat. Pour le médecin, l’obligation de soins est une obligation de moyens mais l’obligation de vérifier personnellement l’identité du patient avant de pratiquer une intervention ou d’administrer une médication dangereuse (traitement radioactif) est une obligation de résultat : Liège (20e ch.), 16 octobre 2014, J.L.M.B., 2016/41, p. 1935. De même, une erreur sur le membre à opérer relève d’une obligation de résultat. Pour l’entreprise de surveillance, la prévention des cambriolages est une obligation de moyens, mais l’installation d’un système d’alarme fonctionnel est une obligation de résultat. Pour l’organisateur de voyages, le respect des escales lors d’une croisière est une obligation de résultat sauf cas de force majeure (interdiction de débarquer en raison d’émeutes liées à la situation politique du pays), mais l’obligation de trouver des alternatives est une obligation de moyens : Com. Bruxelles (18e ch.), 26 octobre 2012, J.L.M.B., 2013/33, p. 1711. 3) L’acceptation du risque par le créancier L’obligation qui implique une part de risques librement consentie par le créancier sera considérée comme une obligation de moyens. A l’inverse, si l’obligation du débiteur exclut toute part de risque, l’obligation sera plutôt considérée comme une obligation de résultat. Applications La pratique de certains sports à risques (accrobranche, équitation, parapente etc.) ont pour effet que l’obligation de sécurité de l’organisateur est une obligation de moyens, alors que l’exploitant d’une plaine de jeux pour enfants est tenu par une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité du matériel mis à disposition (toboggan etc.). DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 10 10 MASSAGER Nathalie B. Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Intérêt de la distinction Le débiteur qui n’exécute pas son obligation commet une faute susceptible d’engager sa responsabilité : le créancier qui entend engager la responsabilité du débiteur en raison d’une inexécution devra apporter la preuve de cette inexécution. La distinction entre les obligations de moyens et de résultat présente un intérêt essentiel en ce qui concerne la preuve de l’inexécution par le débiteur de son obligation : « L’obligation de moyens est celle en vertu de laquelle le débiteur est tenu de fournir tous les soins d’une personne prudente et raisonnable pour atteindre un certain résultat. La preuve de la faute du débiteur incombe au créancier. L’obligation de résultat est celle en vertu de laquelle le débiteur est tenu d’atteindre un certain résultat. Si le résultat n’est pas atteint, la faute du débiteur est présumée, sauf à démontrer la force majeure » (art. 5.72 c.civ.). La charge de la preuve (de bewijslast) varie selon que l’obligation inexécutée est une obligation de moyens ou de résultat : - Si l’obligation non exécutée est une obligation de moyens, il appartient au créancier qui entend mettre en cause la responsabilité du débiteur de démontrer cumulativement : 1° que la prestation n’a pas été accomplie ou que le résultat n’a pas été atteint ; 2° que le débiteur n’a pas fait preuve de tout le soin et de toute la diligence dont aurait fait preuve une personne normalement prudente et raisonnable. Exemple : Le client (créancier) qui veut mettre en cause la responsabilité de son avocat (débiteur) devra prouver que l’avocat a perdu le procès diligenté pour son compte et qu’il s’est trompé dans le choix de la procédure, ou qu’il ne connaissait pas une loi nouvelle ou une jurisprudence sur laquelle reposait la résolution du litige, par exemple. - Si l’obligation non exécutée est une obligation de résultat, il suffira au créancier de démontrer que le résultat fixé n’a pas été atteint : le débiteur ne pourra alors échapper à sa responsabilité que s’il parvient à prouver qu’il a été victime d’un cas de force majeure. Exemples : L’avocat qui n’interjette pas appel dans le délai légal. Le dépositaire qui ne restitue pas la chose mise en dépôt. La situation du créancier est donc plus favorable dans le cas d’une obligation de résultat non exécutée que dans le cas d’une obligation de moyens non exécutée. Il n’est pas rare qu’un contrat stipule que l’obligation du débiteur est une obligation de moyens et non de résultat pour alléger la responsabilité qui pourrait peser sur le débiteur en cas d’inexécution fautive de son obligation. Toutefois, le juge n’est pas tenu par cette qualification : le juge pourra requalifier l’obligation du débiteur en obligation de résultat si cela apparaît conforme à la nature du contrat, notamment. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 11 11 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Obligations de garantie Les obligations de garantie sont des obligations de résultat renforcées, en ce sens que le débiteur qui n’atteint pas le résultat ne pourra pas échapper à sa responsabilité en démontrant un cas de force majeure. Les obligations de garantie découlent de la volonté des parties qui prévoient que le débiteur sera responsable en cas d’inexécution de son obligation, sans pouvoir se prévaloir d’un cas de force majeure. Dans certains cas, les obligations de garantie sont organisées par la loi, comme l’obligation de garantie des vices cachés du vendeur ou l’obligation de garantie décennale de l’architecte portant sur la solidité des constructions dont il a dessiné les plans. Section II. Preuve des obligations Le régime juridique de la preuve en matière civile est contenu dans le Livre 8 du Code civil. I. Charge de la preuve : « qui doit prouver ? » Si une obligation fait l’objet d’une contestation, la preuve du fait ou de l’acte juridique dont l’obligation est issue devra être apportée. La preuve (het bewijs) porte sur des faits ou sur des actes juridiques, mais non sur la règle de droit à appliquer qui doit être recherchée par le juge. La charge de la preuve (bewijslast) est dominée par deux règles (art. 8.4 c.civ.) : - La preuve du droit incombe au demandeur : « Celui qui veut faire valoir une prétention en justice doit prouver les actes juridiques ou faits qui la fondent ». Le demandeur qui réclame l’exécution forcée d’une obligation par le débiteur doit apporter la preuve de son existence et de son exigibilité. - La preuve de l’exception incombe au défendeur : « Celui qui se prétend libéré doit prouver les actes juridiques ou faits qui soutiennent sa prétention » Le défendeur qui prétend être libéré de l’exécution de son obligation doit apporter la preuve des faits ou actes juridiques fondant le moyen de défense qu’il oppose au demandeur (par exemple, la prescription). Exemple : Si je demande la condamnation d’une personne à me rembourser la somme que je lui ai prêtée, je dois établir l’existence de la cause de restitution fondée sur le contrat de prêt ansi que le montant de la somme à rembourser. Si l’emprunteur (défendeur) invoque le fait que je lui ai consenti une remise de dette (cause d’extinction), il lui incombe de prouver la remise de dette qui éteint son obligation de restitution. Il appartient donc à chaque partie de prouver la réalité des actes ou des faits qui fondent ses prétentions. Par exception, le mécanisme des présomptions légales a pour effet de déroger au régime de la charge de la preuve en dispensant le demandeur de devoir prouver un DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 12 12 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 élément de fait qui est présumé par la loi sans contestation possible (présomption irréfragable), ou jusqu’à preuve du contraire (présomption simple ou non-irréfragable). Nous avons vu également que la nature de l’obligation impacte la charge de la preuve, selon qu’il s’agit d’une obligation de moyens ou de résultat (voy. supra). En présence de circonstances exceptionnelles, le juge peut modifier la charge de la preuve lorsqu’il apparaît qu’une application des règles de droit commun serait manifestement déraisonnable (art. 8.4, al. 5, c.civ.). Le juge n’aura recours à cette « soupape de sécurité » que dans des cas extrêmes, liés par exemple à la disparition d’une preuve due à l’écoulement du temps, lorsqu’un déséquilibre important existe entre les parties (un particulier contre une grande entreprise), ou encore pour sanctionner le refus fautif d’une partie de collaborer à l’administration de la preuve. II. Administration de la preuve : « comment doit-on prouver ? » L’administration de la preuve vise les moyens de preuve. Fait juridique / Acte juridique La preuve d’un fait juridique est libre. Le fait juridique peut donc être prouvé par tous modes de preuve (met alle bewijsmiddelen) dont les témoignages et les présomptions de fait : cela sera le cas pour prouver une faute, un cas de force majeure, un vice de consentement, une fraude, la découverte d’un trésor etc.. En revanche, la preuve d’un acte juridique obéit au régime de preuve hiérarchisé en droit civil. A l’inverse d’autres branches du droit comme le droit pénal ou le droit économique notamment, le droit civil se caractérise par un système de preuve réglementé. Une partie n’est pas admise à prouver en justice ce qu’elle invoque par tous les moyens : notamment, la preuve par témoins n’a pas la même valeur probante qu’un écrit et n’est pas autorisée dans tous les cas. Force probante / valeur probante La valeur probante (bewijswaarde) d’une preuve désigne sa capacité à emporter la conviction du juge. La valeur probante est laissée à la libre appréciation du juge, sauf lorsque la loi supprime ce pouvoir d’appréciation en déterminant le degré de crédibilité et de confiance à accorder à une preuve : on parle, dans ce cas, de force probante. La force probante (wettelijke bewijswaarde) d’une preuve détermine le degré de liberté des parties et la marge d’appréciation du juge par rapport à la preuve qui est présentée. Lorsque la loi stipule qu’un mode de preuve a force probante (écrit signé, aveu, serment), cela signifie que le juge est lié par la preuve produite et que les parties ne sont autorisées à contester cette preuve que selon les procédures fixées par la loi : dans ce cas, la question de la valeur probante attachée à la preuve ne se pose pas dès lors que le juge ne peut pas apprécier le caractère plus ou moins convaincant de la preuve. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 13 13 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Ainsi, seul un écrit signé permet de démentir un autre écrit signé. Le serment peut être référé par la partie à laquelle il a été déférée dans les conditions prévues par la loi. A l’inverse, il n’est pas permis de produire des témoignages ou d’invoquer des présomptions de fait à l’encontre d’un écrit signé, d’un aveu ou d’un serment décisoire. Lorsqu’un mode de preuve n’a pas de force probante (écrit ne répondant pas aux exigences formelles, témoignages, présomptions de fait notamment), le juge est en droit d’apprécier librement le crédit qu’il accorde à la preuve produite et les parties peuvent rapporter la preuve contraire du fait ou de l’acte allégué par toutes voies de droit c’est-à-dire par tous modes de preuve. Par exemple, un témoignage ou des documents constituant des éléments de preuve peuvent être déposés pour contredire un autre témoignage ou une présomption : dans ce cas, le juge appréciera la valeur probante qu’il convient d’accorder à cette pièce. La valeur probante d’un moyen de preuve ne se pose donc que si la loi ne reconnaît pas de force probante à ce moyen de preuve. La loi détermine les modes de preuve qui sont admis par le juge, ainsi que la force probante qui s’y attache. En droit civil, les divers procédés de preuve sont établis par la loi selon une hiérarchie visant à assurer la sécurité des relations juridiques. La loi prévoit cinq modes de preuve, parmi lesquels on distingue trois modes de preuve parfaite dont la force probante s’impose au juge : - la preuve écrite (preuve littérale) la preuve par aveu la preuve par serment Et deux modes de preuve imparfaite dont la valeur probante est appréciée par le juge : - la preuve testimoniale la preuve par présomptions. Ces dispositions doivent être complétées par les règles du Code judiciaire relatives au droit procédural de la preuve (loyauté dans l’administration de la preuve, droit à la preuve etc.) et aux modes de preuve particuliers (tels que l’expertise judiciaire, la procédure d’enquête, le constat d’adultère, l’interrogatoire des parties etc.). Règles supplétives Les règles relatives à la charge de la preuve et à l’administration de la preuve sont supplétives, de sorte que les parties sont libres d’y déroger hormis les cas où la loi en dispose autrement (art. 8.2 c.civ.). Exemple : Les parties peuvent convenir que la preuve de leurs droits et obligations réciproques dans le cadre d’une vente pourra être apportée librement. A. Preuve parfaite La preuve parfaite est celle qui lie le juge : le juge est obligé de prendre une décision conforme si la preuve parfaite est apportée, à l’inverse de la la preuve imparfaite qui est laissée à l’appréciation du juge. Les trois modes de preuve parfaite sont : l’écrit, l’aveu et le serment décisoire. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 14 14 MASSAGER Nathalie 1. Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Preuve par écrit signé a) Principe Contrairement à certains systèmes juridiques de droit étranger - comme les systèmes anglo-saxons qui accordent une place prépondérante aux témoignages -, notre droit positif consacre, en matière civile, la prééminence de la preuve par un écrit signé pour les actes juridiques d’une certaine importance sur le plan pécunier. L’obligation faite par la loi d’imposer un écrit pour les actes juridiques portant sur un certain montant repose sur la triple garantie qu’offre l’écrit : - l’obligation pour les parties d’exprimer leur volonté de manière claire à l’aide d’une formulation plus précise que dans un échange verbal ; la constatation d’un accord in tempore non suspecto avant la naissance de toute contestation surtout, la pérennité assurée par l’écrit. Certaines matières du droit civil sont soumises à un régime de preuve dérogatoire, comme pour les époux qui entre eux, peuvent rapporter la preuve de la propriété des biens par tous modes de preuve. La priorité de la preuve écrite se traduit à travers deux règles (art. 8.9 c.civ.) : 1° Tout acte juridique (rechtshandeling) portant sur une somme ou une valeur égale ou supérieure à 3.500 euros doit être prouvé par un écrit signé (ondertekend geschrift). La sanction de ce formalisme probatoire est l’interdiction de suppléer l’absence d’écrit en recourant à des témoignages ou à des présomptions : à défaut d’écrit signé, la preuve de l’obligation n’est pas rapportée et son exécution ne peut donc pas être poursuivie en justice. Ainsi, lorsque l’obligation porte sur une valeur égale ou supérieure à 3.500 euros, le créancier qui en demande l’exécution en justice doit nécessairement se fonder sur un écrit signé répondant aux conditions formelles énoncées par la loi et faute de pouvoir produire un écrit valable, le créancier ne sera pas autorisé à établir l’existence de l’obligation qu’il revendique en recourant aux modes de preuve imparfaite. Dans certaines matières, la loi impose un écrit signé même lorsque le montant sur lequel porte l’obligation est inférieur à 3.500 euros, comme pour le bail ou en droit des assurances notamment. 2° Pour toute obligation quelqu’en soit le montant (même si l’obligation porte sur une valeur ou une somme inférieure à 3.500 euros), seul un écrit signé permet de prouver outre ou contre un autre écrit. Ainsi, seul l’écrit signé peut être utilisé par une partie qui veut prouver un fait ou un acte qui se rajoute à l’écrit (« prouver outre l’écrit »), ou qui contredit l’écrit (« prouver contre l’écrit »), outre l’aveu et le serment qui permettent également de prouver contre un écrit. L’exigence de la preuve écrite est exclue dans deux cas : - Les obligations portant sur des sommes ou valeurs inférieures à 3.500 euros pourront être prouvées par tous modes de preuve, dont la preuve testimoniale et par voie de présomptions de fait. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 15 15 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Il en résulte que les litiges, notamment dans le contentieux familial, portant sur des sommes moindres que 3.500 euros pourront se fonder sur une preuve par témoins ou sur la base d’indices de preuve. - Les tiers (derden) ne sont pas tenus par la règle de la priorité de l’écrit, de sorte qu’ils sont autorisés à établir l’existence de tout acte ou fait juridique par tous modes de preuve (art. 8.14 c.civ.). b) Formalisme probatoire Les écrits signés obéissent à des règles de forme communes relatives à la notion d’écriture, au caractère complet de l’acte, ainsi qu’à la signature. Le développement des techniques de communication électronique a conduit le législateur à adopter une conception large de la notion d’écrit et de signature électronique (art. 8.1 c.civ.). La signature électronique (elektronische handtekening) fait l’objet d’une réglementation précise reposant sur des dispositifs sécurisés en vue d’assurer une garantie de fonctionnalité et d’authentification. La loi distingue deux sortes d’écrits signés soumis à des conditions de forme particulières selon leur nature : 1° Actes authentiques Les actes authentiques (authentieke akten) sont les écrits dressés, avec les solennités requises, par un officier public ou ministériel : notaire, officier de l’état civil, huissier, greffier, avocat à la Cour de cassation, ainsi que certains fonctionnaires. La rédaction d’un acte authentique est soumise à des règles de forme strictes (art. 8.15 c.civ.). Les actes authentiques font foi jusqu’à inscription de faux : la loi attache une force probante particulière aux mentions protégées par l’authenticité, qui font preuve par elles-mêmes sans autre formalité à accomplir. Si une personne souhaite contredire de telles mentions, elle devra nécessairement introduire une procédure en inscription de faux (démontrer que l’acte est un faux) pour pouvoir rapporter la preuve contraire des mentions couvertes par l’authenticité. 2° Actes sous signature privée Contrairement aux actes authentiques, les actes sous signature privée (onderhandse akten) n’ont pas une force probante qui s’impose à tous : les actes sous signature privée font foi à l’égard de ceux qui ont signé ainsi que leurs héritiers (art. 8.18 c.civ.). Une force probante particulière s’applique aux actes sous signature privée qui sont contresignés par les avocats des parties (art. 8.23 c.civ.). L’acte d’avocat est celui par lequel les avocats apposent leur signature sur des conventions privées entre parties, afin de donner pleine foi de l’écriture et de la signature des parties à l’acte, tant à leur égard qu’à celui de leurs héritiers ou ayants-cause. Par son contreseing, l’avocat atteste avoir pleinement rempli son devoir d’information et de conseil à l’égard de la partie qu’il représente, en ce qui concerne les conséquences juridique de l’acte. DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 16 16 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 Les actes sous signature privée doivent obéir à des règles de forme distinctes selon qu’ils constatent un contrat synallagmatique (wederkering contract) ou un engagement unilatéral de payer (rechtshandeling houdende een eenzijdige verbintenis tot betalen) : a. Contrats synallagmatiques Les actes sous signature privée constatant des contrats synallagmatiques (étant des contrats réciproques, comme la vente par exemple) sont soumis à la règle des originaux multiples (art. 8.20 c.civ.). La règle des originaux multiples impose trois contraintes : 1° Les contrats synallagmatiques doivent être rédigés en autant d’exemplaires originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct : il suffit d’un original pour les parties ayant le même intérêt. Exemple : Deux époux vendent leur voiture à un acheteur : le contrat de vente devra être établi sous la forme de deux originaux, un pour les vendeurs et un pour l’acheteur. 2° Chaque original doit être signé par toutes les parties. 3° Chaque original doit mentionner le nombre total d’exemplaires originaux qui ont été établis : « Fait en deux exemplaires… ». L’omission de l’une ou l’autre de ces exigences a pour effet d’entacher l’acte de nullité relative : il s’agit d’un formalisme probatoire de sorte que l’acte n’est pas frappé de nullité en tant que « negotium » mais bien en tant qu’ « instrumentum ». En outre, la nullité sera couverte par la partie qui a commencé à exécuter la convention, de sorte qu’elle ne pourra donc plus se prévaloir du vice de forme qui l’affecte. L’acte entaché d’un vice de forme à défaut de remplir les trois conditions requises par la loi pourra le cas échéant constituer un commencement de preuve par écrit autorisant la preuve par témoins ou par présomptions (voy. infra). Application Mr X. vend sa voiture à un voisin. La vente est conclue en présence d’un ami de Mr X. pour un prix de 6.500 euros. Un contrat décrivant le véhicule et mentionnant le prix de la vente est signé par les deux parties en un seul exemplaire qui est conservé par Mr X. Un acompte est versé en espèces le jour même et les parties conviennent que l’acheteur versera le solde du prix avant la fin du mois. L’acheteur n’honore pas cet engagement. Pour obtenir le paiement du prix restant dû, Mr X. doit prouver l’existence du contrat de vente ainsi que le montant de sa créance. La charge de la preuve lui incombe et s’agissant d’un contrat synallagmatique portant sur une somme supérieure à 3.500 euros, la preuve écrite est exigée conformément à la règle des originaux multiples, outre la possibilité de rapporter la preuve par aveu ou serment décisoire. Un contrat de vente a été dressé par écrit et signé par les deux parties en un seul original, alors que l’on est en présence de deux parties ayant un intérêt distinct. En conséquence, le document écrit qui est en possession de Mr X. ne vaut pas preuve parfaite. Toutefois, le contrat peut être considéré comme un commencement de preuve par écrit émanant du défendeur, l’acheteur l’ayant signé. Mr X pourra dès lors être admis à recourir au témoignage de son ami pour compléter la preuve de l’existence du contrat et du prix restant dû. Toutefois, s’agissant d’un mode de preuve imparfaite, le juge pourra en apprécier la valeur probante. b. Engagements unilatéraux de payer Les actes sous signature privée qui contiennent des engagements unilatéraux portant sur une somme d’argent (comme un contrat de prêt ou une reconnaissance de dettes par DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 17 17 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 exemple), ou sur une certaine quantité de choses fongibles obéissent à un régime de preuve spécifique et ce, quelle que soit la valeur sur laquelle porte l’acte ou le contrat unilatéral donc même pour des montants inférieurs à 3.500 euros (art. 8.21 c.civ.). Dans ce cas, deux règles doivent être respectées : 1° L’acte doit être signé par la partie qui s’engage. 2° L’acte doit contenir la MENTION EN TOUTES LETTRES (et non en chiffres) de la somme ou de la quantité de choses que la partie s’engage à payer. Exemple : Une reconnaissance de dette doit être rédigée comme suit : « Par la présente, Monsieur X reconnait être débiteur à l’égard de Monsieur Y d’une somme de deux mille cinq cents euros, signature de Monsieur X ». c) Exceptions à la règle de la preuve écrite La règle de la preuve parfaite impose donc la preuve écrite pour toute obligation civile supérieure à 3.500 euros, sauf si les parties ont dérogé à cette exigence par convention. A défaut d’écrit, l’obligation pourra être prouvée par un autre mode de preuve parfaite (aveu ou serment), mais pas par témoins ou par présomptions. Par exception à cette règle, il existe des situations dans lesquelles à défaut d’écrit, la preuve pourra être apportée par voie de témoignages et de présomptions. Les cas autorisant la preuve par témoins ou par présomptions sont les suivants : 1° Commencement de preuve par écrit Le commencement de preuve par écrit désigne « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte juridique ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable l’acte juridique allégué » (art. 8.1.7° c.civ.). Le commencement de preuve par écrit (begin van bewijs door geschrift) peut être n’importe quel écrit (comme un virement bancaire par exemple) mais il doit avoir été établi non pas par la partie qui invoque l’obligation mais bien par celle à l’encontre de qui la partie demanderesse invoque l’existence d’une obligation. Un SMS peut constituer un commencement de preuve par écrit, pour autant qu’il n’y ait pas de contestation quant à son origine et que son auteur en admette la paternité. En l’absence d’écrit répondant aux exigences légales et prouvant ses prétentions, la partie qui entend poursuivre en justice l'exécution d’une obligation peut produire, à l’appui de sa demande, tous documents émanant du débiteur lui-même, en vue de pouvoir recourir à la preuve par témoins ou par présomptions pour conforter l’écrit émanant de la partie à qui on l’oppose : « Par dérogation à l’article 8.9, il peut être suppléé à l’écrit signé par un aveu, un serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit, pour autant que ce dernier soit corroboré par un autre mode de preuve » (art. 8.13 c.civ.). Dès lors, si un document écrit ne respecte pas les prescriptions imposées par la loi pour la rédaction des contrats synallagmatiques ou pour les engagements unilatéraux portant sur une somme d’argent ou sur des choses de genre, il pourra néanmoins, le DROI-C-1002_C PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 18 18 MASSAGER Nathalie Droit civil et fondements de droit romain Volume 3 cas échéant, être retenu comme un commencement de preuve par écrit et corroboré par voie de témoignages ou de présomptions. Application Madame Y. prête la somme de 20.000 euros à son amie Madame X., qui lui rédige une reconnaissance de dettes libellée comme suit : « Moi, Mme X. m’engage à rembourser à Mme Y. la somme de 20.000 euros pour le 31 décembre 2018. Fait à Bruxelles, le 12 février 2018. Signature de Mme X. ». Mme X. n’ayant pas honoré son obligation, Mme Y. veut poursuivre le remboursement forcé de la dette de Mme X. L’acte rédigé et signé par Mme X. ne satisfait pas aux prescriptions de la loi dès lors qu’il ne mentionne pas, EN TOUTES LETTRES, le montant de la somme prêtée : le formalisme probatoire requis par la loi pour les engagements unilatéraux portant sur une somme d’argent n’a pas été respecté. En revanche, il s’agit d’un écrit qui émane de la personne à laquelle il est opposé et qui rend vraisemblable le fait allégué : le document constitue donc un commencement de preuve par écrit, qui autorise la preuve par témoins ou par présomptions pour corroborer l’existence de l’obligation de Mme X. 2° Impossibilité matérielle ou morale de constituer un écrit Les situations d’impossibilité matérielle (materiële onmogelijkheid) visent toutes les circonstances dans lesquelles un créancier s’est trouvé dans l’incapacité physique de constituer une preuve écrite, ce qui est le cas pour tous les sinistres notamment (art. 8.12 c.civ.). De même, s’il est établi que l’écrit a été détruit ou a disparu par l’effet d’un cas de force majeure (door overmacht) comme dans un incendie involontaire ou suite à un cambriolage par exemple, le demandeur sera autorisé à rapporter la preuve de l’acte fondant ses prétentions par témoins ou par présomptions de