Introduction à l’économie de la santé PDF
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Le Mans Université
Florian Fouquet
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Ce document est une présentation sur l'économie de la santé, se concentrant sur la santé comme un capital et les choix intertemporels. Il examine aussi les externalités et l'asymétrie d'information dans le domaine de la santé. Le document est ciblé sur un public universitaire (L3 Economie).
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Introduction à l’économie de la santé Chapitre 2 - La santé comme objet économique L3 Economie Florian Fouquet [email protected] Bibliographie sélective Castiel, D. (2020). Economie de la santé - L’émergence d’une discipline. Editions Ellips...
Introduction à l’économie de la santé Chapitre 2 - La santé comme objet économique L3 Economie Florian Fouquet [email protected] Bibliographie sélective Castiel, D. (2020). Economie de la santé - L’émergence d’une discipline. Editions Ellipses, Paris. Fargeon, V. (2014). Introduction à l’économie de la santé - 2ème édition. Presses Universitaires de Grenoble. Zweifel, P., & Breyer, F. (1997). Health Economics. Oxford University Press, New York. Beresniak, A., & Duru, G. (2020). Economie de la santé. Elsevier Masson. https://www.hospinnomics.eu/ Florian Fouquet Plan du chapitre La santé comme capital Les choix intertemporels Externalités de santé et biens collectifs Asymétrie d’information dans la production de soins Florian Fouquet 1- La santé comme capital Florian Fouquet La santé : bien ou capital ? Les biens, au sens économique du terme, suivent un ensemble de règles et ont un certain nombre de propriétés qui ne s’appliquent pas ou peu à la santé. La question du contrôle de la production La plupart des biens supposent un certain contrôle du processus de production, une possibilité de s’adapter à la demande. Par exemple, si un producteur de céréales anticipe une baisse (une hausse) de la demande, il peut limiter (amplifier) sa production pour réduire (augmenter) ses stocks. Dans le cas de la santé, une telle adaptation est impossible : il est impossible de contrôler sa production de santé en tant que telle. Florian Fouquet La santé : bien ou capital ? Les biens, au sens économique du terme, suivent un ensemble de règles et ont un certain nombre de propriétés qui ne s’appliquent pas ou peu à la santé. La question de l’échangeabilité et de la transférabilité Les biens produits sont en général destinés à une tierce personne, à qui l’on transfère la propriété du bien, moyennant un paiement ou non. Pour les biens tangibles, le mécanisme est évident. Pour les services (intangibles), cela demande un peu d’abstraction, mais on peut identifier le transfert par le résultat obtenu. Mais la santé d’une personne donnée n’est d’aucune manière transférable à une autre : il est impossible de « donner un peu de santé à quelqu’un » ! Florian Fouquet La santé : bien ou capital ? Plutôt que comme un bien, on va aborder la santé comme un capital : on a un élément durable, qui va se déprécier avec le temps et s’il n’est pas entretenu. Ce « capital santé » offre une utilité aux agents : de manière directe, en contribuant au bien-être des individus ; de manière indirecte, en permettant aux agents de participer à l’activité économique, elle-même source de revenus et permettant des gains d’utilité. De ce point de vue, les propriétés de la santé comme capital sont analogues à celles du capital humain (Becker, 1964). La santé est d’ailleurs souvent intégrée comme un élément à part entière du capital humain. Le modèle de Grossman (1972) développe en détail l’idée du capital santé. Florian Fouquet Le modèle de Grossman (1972) Le modèle de Grossman est un modèle de demande de santé, visant à modéliser l’évolution de l’état de santé des individus. Il se base sur l’idée d’un capital santé qui se déprécie au fil du temps et peut évoluer en fonction des choix effectués par l’individu. Grossman distingue deux modèles : le modèle de consommation de santé, dans lequel être en meilleure santé apporte de la satisfaction et augmente l’utilité des individus ; le modèle d’investissement en santé, dans lequel l’amélioration de l’état de santé permet d’améliorer la capacité de travail et donc d’augmenter les revenus. La décision d’investissement en santé vise à compenser la dépréciation du capital santé au fil du temps. Florian Fouquet Le modèle de Grossman (1972) Sous contrainte de revenu et de temps, l’individu détermine son niveau de santé désiré, puis investit en conséquence (en temps et en consommation de biens et services médicaux) pour atteindre / maintenir ce niveau. En pratique, l’individu compare les coûts de l’investissement avec les rendements espérés, en termes de maintien en santé. Il prend en compte : des coûts directs, en général la dépense médicale elle-même ; des coûts indirects, notamment celui du temps passé à se soigner, qui ne peut donc pas être utilisé pour obtenir un revenu. / Les décisions sont prises en se basant sur l’utilité intertemporelle, qui permet de prendre en compte la dépréciation du capital santé. Florian Fouquet Le modèle de Grossman (1972) Exemple d’application (d’après Castiel, 2020) Un individu occupant un emploi manuel se blesse à l’épaule et fait face à un choix. S’il va voir un kiné d’urgence le soir même, il pourra aller travailler dès le lendemain ; s’il choisit d’attendre que la douleur passe d’elle-même, il ne pourra pas travailler le lendemain et devra prendre un jour de congé. Cet individu travaille sept heures par jour et une séance de kiné coûte 60€. 1. Si cet individu travaille au salaire médian (environ 12€ net), quel sera le rendement de l’investissement ? Qu’en déduisez-vous ? 2. Si cet individu travaille au SMIC (environ 9€ net), quel sera le rendement de l’investissement en santé ? Qu’en déduisez-vous ? 3. Comparer les résultats des deux questions précédentes. Que pouvez-vous en conclure ? Florian Fouquet Le modèle de Grossman (1972) Intérêts du modèle de Grossman Il identifie le rôle des variables économiques (revenu, prix des soins, etc.) dans les décisions de santé. Il permet une prise en compte de la dimension temporelle dans les décisions relatives à la santé. Il permet de faire une distinction entre santé et soins de santé : la première n’a qu’une valeur d’usage (c’est le capital dont on parle), les seconds ont une valeur d’échange (Rochaix, 1997). Limites du modèle de Grossman Dans ce modèle, on suppose que les individus sont parfaitement capables d’identifier les coûts et gains associés à leurs décisions. Dans ce modèle, les individus disposent d’une rationalité calculatoire et traitent la santé et les soins comme n’importe quel autre bien. Florian Fouquet Santé et choix individuels En économie, on suppose en général que, si les agents prennent leurs décisions et sont maîtres de leurs choix, ils vont suivre leurs préférences. Sur un marché compétitif, chaque agent va maximiser son bien-être individuel (utilité pour les individus / ménages, profit pour les entreprises) en fonction de ces préférences. Si chaque agent suit son propre intérêt, la « machine économique » fonctionne et chacun peut satisfaire ses besoins : la marché se régule de lui-même. Comme évoqué dans le chapitre 1, cette vision s’applique difficilement au domaine de la santé. Florian Fouquet Santé et choix individuels Bien que la santé soit perçue comme importante, les individus n’agissent pas en conséquence pour maximiser leur utilité lorsqu’il s’agit de décisions relatives à la santé. Trois raisons principales (et non indépendantes les unes des autres) : les choix de santé résultent d’un arbitrage entre court terme et long terme, entre présent et futur ; des externalités empêchent le fonctionnement normal du marché ; les choix de santé s’opèrent dans un cadre d’information imparfaite. On va donc s’intéresser (1) aux choix intertemporels, (2) aux externalités de santé et (3) à l’asymétrie d’information dans la production de soins de santé. Florian Fouquet 2- Les choix intertemporels Florian Fouquet Les choix intertemporels On va s’intéresser aux décisions prises à un moment donné du temps et à leurs conséquences à la fois dans le présent et dans le futur. Les décisions intertemporelles sont courantes en économie et ne s’appliquent pas qu’au domaine de la santé. Les plus courantes sont les comportements d’épargne et d’emprunt. Épargner, c’est renoncer à une partie de sa consommation aujourd’hui pour pouvoir consommer plus demain. Emprunter, c’est diminuer sa consommation demain pour pouvoir consommer plus aujourd’hui. Les choix intertemporels sont d’autant plus importants quand on parle de santé, puisqu’il s’agit d’un capital qui peut s’apprécier ou se déprécier au fil du temps. Florian Fouquet Les choix intertemporels La question qui se pose est d’évaluer l’utilité apportée par la décision, à la fois à la période présente, mais aussi à toutes les périodes futures. Intuitivement, on imagine assez bien que l’on accorde d’autant moins de valeur à l’utilité dont on bénéficiera dans le futur que ce futur est éloigné. Inversement, on valorise plus fortement des gains (ou des pertes) immédiats. La valorisation du présent et du futur varie selon les individus : c’est la notion d’escompte, qui caractérise la préférence pour le présent. Une personne impatiente, avec une préférence forte pour le présent, aura un taux d’escompte élevé : elle survalorisera le présent par rapport aux situations futures. Une personne très patiente sera quasiment indifférente entre présent et futur et aura donc un taux d’escompte très faible. Florian Fouquet Les choix intertemporels Cette préférence pour le présent à des conséquences importantes sur les comportements de santé des individus, notamment en ce qui concerne les comportements à risque. Par exemple, fumer est nocif pour la santé, mais l’effet apparait avant tout à long terme. Ainsi, un individu avec une forte préférence pour le présent pourra surévaluer son gain d’utilité immédiat et/ou sous- estimer les conséquences négatives à long terme. Par ailleurs, les individus ne font pas forcément preuve de cohérence temporelle. En particulier, un individu avec une forte préférence pour le présent sera amené à se comporter de manière incohérente, à la fois parce qu’il regrettera dans le futur les décisions prises dans le passé, et parce que, dans ce même futur, il aura tendance à ne pas se tenir à ce qui avait été initialement prévu. Florian Fouquet Les choix intertemporels Au niveau agrégé pour une population, le taux d’escompte (typiquement sa moyenne ou sa distribution) pourra influencer le choix entre politiques publiques préventives ou curatives. Les politiques préventives comptent en général sur un escompte plus faible de la population, dans la mesure où elles vont réduire le bien-être immédiat au profit d’une augmentation de l’utilité future. Les politiques curatives tentent de corriger après coup les conséquences de « négligences » relatives à l’état de santé, potentiellement liées à un taux d’escompte fort de la population. L’incohérence temporelle des populations a tendance à favoriser des politiques qui vont jouer sur la (supposée) préférence pour le présent des individus. Florian Fouquet 3- Externalités de santé et biens collectifs Florian Fouquet Les externalités de santé On parle d’externalités quand la décision d’un individu impacte d’autres individus sans compensation. On a une externalité positive quand un individu bénéficie d’un avantage sans en supporter les coûts. Ex : cooptation On a une externalité négative quand un individu subit un coût ou un désavantage sans obtenir de compensation. Ex : pollution Le fonctionnement par le marché, de par son objectif de maximisation de l’utilité individuelle, ignore la présence d’externalités. Si ces effets externes existent bel et bien, le marché ne mènera pas à une décision collectivement optimale. Bien souvent, ces externalités sont internalisées par une intervention publique. Florian Fouquet Les externalités de santé Dans le domaine de la santé, beaucoup de décisions impliquent des externalités, positives comme négatives. La vaccination permet de protéger les personnes qui reçoivent le vaccin, mais elle bénéficie à l’ensemble de la population en réduisant les risques de contamination. Les personnes non vaccinées reçoivent donc un bénéfice sans en supporter les coûts (prix du vaccin, éventuels effets secondaires, etc.). Le tabagisme affecte négativement la santé des personnes qui fument, mais aussi celle des personnes qui les entoure (tabagisme passif). Ces personnes subissent une perte sans recevoir de compensation de la part des fumeurs. Et ce ne sont que deux exemples parmi un très grand nombre ! Florian Fouquet La santé : bien individuel ou bien collectif ? De par la présence d’externalités, mais aussi parce qu’elle est une des sources de la performance économique d’un pays, la santé est a minima un « concernement collectif » (Crozet, 1997). La bonne santé générale d’une population peut être vue comme un objectif en soi (Arrow, 1963). Comme on l’a déjà évoqué, les caractéristiques de l’objet santé limitent son allocation par un mécanisme pur de marché. On envisagera souvent la santé ou les soins de santé comme des biens mixtes (à la fois individuels et collectifs), ce qui justifie au moins en partie les financements publics et la production non marchande. Florian Fouquet La santé : bien individuel ou bien collectif ? Rivalité : la consommation d’un bien par un agent diminue la quantité de ce bien disponible pour les autres agents. Exclusion : la consommation d’un bien est limitée pour tout ou partie des agents par des barrières et/ou des coûts importants. Typologie des biens : Exclusif Non exclusif Bien privé Bien commun Rival Objets Banc dans un parc Bien de club Bien public pur Non rival Route à péages Qualité de l’air Florian Fouquet La santé : bien individuel ou bien collectif ? Des exemples du caractère mixte des biens de santé (Fargeon, 2014) La vaccination est un bien/service privé pouvant donner lieu à un paiement, mais l’existence d’externalités lui donne des caractéristiques de bien collectif. L’admission aux urgences (en particulier en France) est non exclusive, mais fait l’objet d’une rivalité, liée à des effets d’encombrement. Le fait de respirer un air peu pollué est non rival, mais cela peut faire l’objet d’une exclusion en raison des coûts liés au fait d’habiter dans des zones moins polluées (coût du logement, des transports, etc.). Pour la majorité des biens de santé, des composantes individuelles et collectives se mêlent à différents degrés. Florian Fouquet 4- Asymétrie d’information dans la production de soins Florian Fouquet Incertitude dans la relation patient-médecin Contrairement à la santé elle-même, les soins de santé ont des caractéristiques plus proches de la définition traditionnelle d’un bien. Notamment, il s’agit d’un bien/service échangeable, auquel il est possible de donner une valeur pécuniaire. Une caractéristique est cependant très différente des biens standard : il y a incertitude, d’une part sur le besoin, et d’autre part sur le fonctionnement ou la qualité des soins prescrits ou pratiqués. Si vous achetez un réfrigérateur, vous savez à quel besoin il répond et vous pouvez identifier très rapidement s’il fonctionne, voire même sa qualité. Dans le cas d’un traitement médical, en revanche, le patient n’a en général pas ou peu d’informations sur le besoin réel, ni sur le bien- fondé d’un tel traitement. Florian Fouquet Incertitude dans la relation patient-médecin Le patient n’a en général pas l’information nécessaire pour évaluer correctement son état de santé, et en tout cas n’a pas le savoir médical dont dispose le professionnel de santé. Le professionnel de santé est le moyen pour le patient d’obtenir : l’information sur son état de santé, à travers les diagnostics médicaux ; l’information sur les soins et traitements possibles, ainsi que les bénéfices et les risques associés à chacun ; la prescription elle-même, c’est-à-dire l’accès aux traitements. Sans l’intervention du professionnel de santé, qui est à l’origine de l’offre de soins, le patient ne peut pas formuler sa demande de soins. Offre et demande de soins sont donc intrinsèquement dépendantes l’une de l’autre. Florian Fouquet Biens d’expérience, biens de confiance Il y a donc une asymétrie d’information très forte entre le patient et le professionnel de santé. Même en imaginant un patient parfaitement informé, il reste une part d’incertitude sur l’efficacité médicale réelle du traitement : chaque patient réagit de manière différente aux traitements. On dit souvent que les biens et services médicaux s’apparentent à des biens d’expérience (Shapiro, 1983) et/ou à des biens de confiance (Batifoulier, 1992). Biens d’expérience : biens dont la qualité est perçue progressivement, en les consommant, l’information provient de la répétition. Biens de confiance : biens dont le consommateur ne perçoit jamais la qualité, l’information provient uniquement du professionnel. Florian Fouquet Protéger la relation patient-médecin L’incertitude résultant de l’asymétrie d’information entre le patient et le professionnel de santé peut conduire à des dérives si elle n’est pas encadrée. C’est la raison pour laquelle on a mis en place un certain nombre d’institutions et de régulations. En particulier, l’accès aux professions médicales et paramédicales et limité et contrôle par la présence de certifications et de diplômes, ainsi que pour un certain nombre de professions par un enregistrement autorisant l’exercice (par exemple, inscription à l’Ordre des Médecins). Plus largement, une large majorité des actes médicaux et paramédicaux et des prestations de soins fait l’objet d’une régulation par l’autorité publique. Ces caractéristiques ont des implications particulières sur l’offre de soins, que l’on abordera dans le chapitre 3. Florian Fouquet