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2011

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psychomotor development child development psychology

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Le développement psychomoteur Annabelle Miermon, Céline Benois-Marouani, Marianne ´ Jover To cite this version: Annabelle Miermon, Céline Benois-Marouani, Marianne ´ Jover. Le développement psychomoteur. Manuel d’enseignement de psychomotricité :-...

Le développement psychomoteur Annabelle Miermon, Céline Benois-Marouani, Marianne ´ Jover To cite this version: Annabelle Miermon, Céline Benois-Marouani, Marianne ´ Jover. Le développement psychomoteur. Manuel d’enseignement de psychomotricité :- Tome1 : Concepts fondamentaux, pp.25 - 82, 2011, Psy- chomotricité, 978-2-35327-129-0. hal-02479358 HAL Id: hal-02479358 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02479358 Submitted on 14 Feb 2020 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Miermon, A., Benois, C. & Jover, M. (2011). Le développement psychomoteur. In P., Scialom, F., Giromini et J-M Albaret (Eds), Manuel d'enseignement de psychomotricité (pp.25-82). Marseille : Solal. Chapitre 2 : Le développement psychomoteur Annabelle Miermon, Céline Benois-Marouani et Marianne Jover L’intervention du psychomotricien est guidée par un ensemble de représentations conceptuelles de l’enfant, de son développement et des processus qui sous-tendent le développement et les pathologies. Concevoir la possibilité d’agir sur le développement psychomoteur d’un enfant et sa pathologie suppose d’en avoir une connaissance préalable, tant dans sa nature que dans les voies d’entrée dont le psychomotricien dispose pour tenter d’en modifier la trajectoire, d’en stimuler l’évolution et/ou d’en compenser les manques. Le développement psychomoteur est un phénomène complexe qui doit être compris pour pouvoir servir de référence, tout particulièrement dans les cas où il est atypique et/ou troublé. C’est pourquoi, nous pensons qu’il est judicieux d’identifier le patrimoine culturel qui est le nôtre et de comprendre l’évolution des premières descriptions et théories du développement psychomoteur jusqu’à nos jours. C’est au prix de cette lucidité intellectuelle que nous pourrons guider notre action de praticien mais, aussi et surtout, la réflexion que nous devons nourrir au sujet de notre pratique et de ses effets. Définitions et approches théoriques Définition du développement Le développement fait référence au changement. L’étude du développement consiste à comprendre la façon dont le sujet fonctionne à un âge déterminé ou à un moment de sa vie. Les modifications du fonctionnement au cours du développement sont aussi fondamentales car il s’agit de comprendre les mécanismes qui déclenchent ou qui permettent le changement tels que la maturation, l’expérience, les stimulations, le désir… 1 Le développement, envisagé comme le changement dans le fonctionnement de l’individu au cours du temps, est actuellement étudié sur une échelle de temps qui couvre l’intégralité de l’existence, de la conception jusqu’à la mort. Ces conceptions « life span » du développement sont importantes car elles traduisent le fait que le changement est présent tout au long de la vie. Cette perspective permet d’aborder des questions aussi variées que la nature et les modalités des interactions entre facteurs innés et environnementaux au cours de l’ontogénèse, les relations existant entre les différentes périodes de la vie de la personne ou encore la façon dont les différences de culture et/ou de milieu social agissent sur la trajectoire développementale des individus. Les champs d’étude du développement sont nombreux : développement biologique, du corps et des cellules, développement psychomoteur, développement cognitif, développement social et développement affectif. Nous voudrions, dans cette introduction, défendre l’idée que le développement de l’individu résulte de l’interaction entre les différents domaines du développement. Il est donc fondamental que le psychomotricien ne se centre pas sur un seul domaine du développement pour ne pas amputer sa compréhension des phénomènes qu’il observe. Il est enfin important de souligner la nuance à faire entre le développement et l’apprentissage. Si le développement semble renvoyer à un processus relativement spontané et endogène, ce n’est pas le cas de l’apprentissage. Ce dernier terme est généralement employé pour les acquisitions reposant sur des processus actifs et conscients la plupart du temps (imitation, essai, observation, répétition). La différence entre ces deux processus de changement est plus ou moins abordée selon les auteurs. Pour Vygotsky (1997), l'apprentissage donne naissance, réveille et anime chez l'enfant toute une série de processus de développement internes qui, à un moment donné, ne lui sont accessibles que dans le cadre de la communication avec l'adulte et de la collaboration avec les camarades, mais qui, une fois intériorisés, deviendront une conquête propre de l'enfant. Apprentissage et développement sont donc intimement lies. Ce lien a été théorisé par Vygotsky au moyen de la notion de zone proximale de développement. Ce terme traduit la distance entre le niveau de développement d’un enfant et sa capacité potentielle d'apprentissage à un moment donné de sa vie ; autrement dit la distance séparant les réalisations d’un enfant lorsqu’il est seul face à une tâche et ses réalisations lorsqu’il est guidé par un adulte. 2 Pour cet auteur, « les processus du développement ne coïncident pas avec ceux de l’apprentissage mais suivent ces derniers » (Vygotski, 1933/1985, p. 114). Données historiques sur le développement psychomoteur On peut distinguer sommairement deux types d’influences qui ont nourri les connaissances sur le développement psychomoteur en Occident : d’un côté l’histoire de l’évolution du statut d’enfant et de la théorisation du développement, de l’autre, l’histoire de la pathologie psychomotrice (Dumas, 1999) qui, en premier lieu, a fondé la psychomotricité. Cette dernière a en effet croisé sur son chemin des influences multiples allant de la pathologie neurologique et psychiatrique à la psychosociologie en passant par la psychanalyse et le comportementalisme. Dès l’Antiquité (IVème millénaire avant J.-C. - Vème siècle), l’enfant est perçu comme un sujet ayant une place au sens politique du terme (Becchi et Julia 1996, 1998). Son éducation est considérée à part entière dans le processus social. Les historiens notent toutefois des différences selon les lieux et les époques, mais également selon les âges des enfants (Ariès, 1960). Si l’éducation, l’action de la société sur le sujet est envisagée, la conceptualisation du développement est peu présente. A partir du Moyen-Âge (500 - 1500 après J.-C. environ), les préoccupations sur l’enfance restent d’ordre éducatif mais se tournent vers l’avenir scolaire et professionnel des enfants. Ce regard sur l’enfant comme un être en construction est toutefois très inégalement réparti dans une époque instable et aux écarts importants au sein de la population. Toutefois, dans certaines régions, les conditions socio-économiques ne permettent pas l’accompagnement éducatif et scolaire et de nombreux enfants travaillent dès l’âge de 7 ans. La Renaissance (16ème - 18ème siècle) est marquée par un regain d’intérêt pour la sphère éducative et les premières approches développementales apparaissent, postulant qu’« on ne naît pas homme, on le devient » (De pueris instituendis, Érasme ; Lehalle, 2006). Parallèlement, les premières approches naturalistes apparaissent fin du 18ème, début du 19ème siècle et l’éducation tient compte des « tendances naturelles » que l’enfant doit pouvoir exprimer, qu’il ne faut pas contrarier par des modèles sociétaux, tout en maintenant la place de l’éducation par la déduction et/ou l’expérience qu’on qualifierait aujourd’hui de sensori-motrice et cognitive. Ainsi, Rousseau en 1762 propose avec «Émile ou De l’éducation» un 3 ouvrage pédagogique donnant à découvrir l’enfance au travers de cinq tranches d’âge : la petite enfance, l’enfance (de 5 à 12 ans), l’adolescence (de 12 à 15 ans), la fin de l’adolescence et l’âge adulte. C’est une époque où l’enfant en développement devient un sujet d’étude mais toujours dans le but d’améliorer les pratiques éducatives. Les conditions socio-économiques s’améliorent du fait de la (r)évolution industrielle et des progrès médicaux. Les enfants sont libérés progressivement des contraintes et des responsabilités qu’ils avaient dans l’organisation sociale et la survie de la communauté. Une politique de l’enfance se dessine : vaccinations, réglementation du travail, scolarisation obligatoire, etc. Ces décisions, prises à l’échelle de la nation, mettent en évidence l’existence de différences inter- individuelles et un panorama des besoins et capacités, mais aussi des limites et des vulnérabilités de l’enfant (premières traces de quantifications sur des cohortes - taille, poids, périmètre crânien, etc. -). Avec les travaux de Darwin (1859), les connaissances sur l’évolution des espèces (développement phylogénétique) mais aussi sur le développement de l’individu (développement ontogénétique) progressent au 19ème siècle et viennent étayer la conception de l’enfant comme étant un individu ayant un développement spécifique. L’intérêt de cet apport réside dans le fait que la succession des étapes n’est pas le seul aspect abordé : les chercheurs de cette époque pensent aussi le développement en termes de nature et de détermination des changements à l’œuvre au cours du développement. Les débats entre naturalistes et empiristes s’intensifient et l’on s’interroge sur la nature des évolutions observées au cours du développement. Les premiers spécialistes ont commencé à étudier le développement psychomoteur et psychologique des enfants sous forme de monographies, des descriptions précises du développement d’un enfant par un observateur, souvent son père. Avec les progrès réalisés en statistiques, à la fin du 19ème siècle, l’utilisation d’échantillons d’enfants se généralise avec la mise en place d’études extensives sur des cohortes plus larges d’enfants. Celles-ci permettent de se défaire du manque d’objectivité de la méthode monographique ou de petits échantillons. Des travaux descriptifs et normatifs du développement psychomoteur sont alors réalisés. C’est ainsi que Gesell (1880-1961) psychologue et médecin américain réalise ses premiers films d’observations en 1924, puis établit en 1938 un inventaire du développement moteur afin d’évaluer un quotient de développement et de déviances, inventaire adapté en France par Odette Brunet et Irène Lézine en 1951. Nancy Bayley propose également 4 en 1936 une échelle de développement des habiletés motrices de 0 à 3 ans sur la base d’observations monographiques de 61 enfants. Peu à peu, l’étude du développement moteur s’est également distinguée des études sur le développement psychologique. Ainsi, il faudra attendre 1965 pour que l’échelle de développement de Brunet et Lézine, qui porte sur 4 domaines de développement (Coordination oculo- manuelle, Posture, Socialisation et Langage) soit nommée « Échelle de développement psychomoteur » plutôt que « Échelle de développement psychologique ». On voit ici que le développement psychomoteur est devenu très tardivement un sujet d’étude à part entière. Concepts clés dans l’étude du développement psychomoteur Les débats théoriques autour du développement, de ses déterminants, de la nature et de la progression des changements observés ont été nombreux. Certains d’entre eux sont récurrents et méritent que l’on s’y attarde un peu pour mieux saisir les problématiques liées au développement psychomoteur. L’inné et l’acquis En philosophie, la contribution de l’inné (Rousseau) et de l’acquis (Locke) dans la détermination des caractéristiques individuelles, qu’elles soient psychomotrices ou psychologique a souvent été discutée. Dans la perspective innéiste, le déroulement des changements développementaux moteurs suit un ordre immuable, conditionné soit par le développement corporel (musculaire et osseux), soit par le développement cérébral programmé avant la naissance. Au concept de développement se substitue souvent le concept de maturation. Maturation et innéisme insistent sur l’importance des facteurs endogènes, notamment la maturation du système nerveux central et périphérique et le caractère inné de cette maturation, comme responsables du développement. Piaget (psychologue suisse, 1896-1980), pour sa part, développe un modèle constructiviste du développement. Il s’intéresse à la mise en place du savoir, par le sujet, sous formes de structures mentales. Il postule que le bébé (puis l’enfant) construit ces structures activement, par le biais de conduites sensori-motrices. Il 5 introduit un début de rupture conceptuelle avec le maturationisme en insistant sur le rôle fondamental de l’activité de l’enfant dans son développement. Le développement psychomoteur n’est pas le seul résultat de la maturation du système nerveux central (SNC), aboutissant à des compétences innées et des stades de développement progressifs et déterminés génétiquement. Il n’est pas non plus une succession d’expériences sensori-motrices permettant une construction intellectuelle. Il est la résultante d’interactions circulaires entre compétences perceptives présentes très précocement d’une part et sollicitation de l’environnement et productions motrices ultérieures d’autre part. Le développement est perceptivo- moteur. Continuité et discontinuité développementale : la notion de stade La question de la forme du développement est souvent abordée dans les théories développementales : continu ou discontinu. Ce débat porte sur la nature des changements observés au cours du développement. Le développement est considéré comme continu lorsqu’il est conçu comme le résultat de modifications quantitatives. On entend par là que le développement résulte de l’accumulation de changements. Inversement, le développement est considéré comme discontinu si le développement procède par changements qualitatifs. C’est ainsi que le concept de « stade de développement » s’est progressivement imposé dans la littérature dès la fin du 19ème siècle (Lehalle, 2006). Il semblerait que les 1ers utilisateurs de cette notion mal définie l’aient fait dans le but de décrire la chronologie du développement : celui-ci se déroule dans le temps et en décrire la chronologie par stade fut capital à la reconnaissance et la validation de l’existence de la notion de développement. Mais par la suite, les auteurs, surtout des psychologues, ont tenté d’interpréter le développement par le biais de la notion de stade. De nombreux auteurs ont eu recours à cette notion sans que l’on en saisisse toujours l’objectif : s’agit-il d’une modélisation théorique décrivant les produits observables du développement psychomoteur, voire des acquisitions psychomotrices regroupées par tranche d’âge ; ou bien s’agit-il de processus responsables des changements développementaux visibles ? Piaget et Wallon notamment, se sont penchés sur l’explicitation des liens existants entre deux stades. L’un, Piaget favorise une approche continue : les changements sont progressifs, successifs et pourtant 6 amènent un changement de nature dans la progression observée (ils amènent la construction cognitive). Ceci sera très fortement illustré (et repris par divers auteurs) dans les acquisitions du stade sensori-moteur qui construisent les structures cognitives par le biais des explorations sensorimotrices. Piaget sera d’ailleurs critiqué pour cela par les post-piagétiens. Ceux-ci (Lécuyer, 2004) mettront à jour des capacités perceptives et cognitives très précoces chez le nourrisson, bien avant l’apparition de certaines conduites sensori-motrices, allant jusqu’à invalider la notion même de stades (piagétiens ou non) ; l’autre, Wallon, favorise une approche discontinue du développement avec l’interprétation selon laquelle le passage d’un stade à l’autre se fait sous forme de « crise », permettant une alternance entre centration des préoccupations développementales sur l’individu d’une part et centration sur le monde extérieur et les échanges d’autre part. Mais les auteurs dans leur ensemble peinent à mettre à jour des lois générales de développement par stade qui expliqueraient les processus du développement dans tous les domaines. La généralisation de l’utilisation de « stade » reste donc problématique et ne permet pas de comprendre le développement dans sa globalité. « Age », « période », « stade », « étape », « phase », « niveau » etc., Osterrieth en 1955 recense « 18 systèmes de stades qu’il a analysés » aboutissant à « 61 périodes de développement … » ! « Passage », « glissement », « progression », « régression », « réorganisation » : là encore, la terminologie pour dénommer les processus entre 2 stades abonde mais aucune de ces lois ne rend compte du développement en général et elles ne s’appliquent qu’à un domaine de fonctionnement du développement ou qu’à un auteur. Au final, le recours à la notion de stade permet plutôt de fournir des principes de classification beaucoup plus que des principes explicatifs des mécanismes du développement. Le symposium de l’APSLF (Association de Psychologie Scientifique de Langue Française) appelé « Le problème des stades en psychologie génétique » en 1955 soulève la question et Piaget conclut à « l’absence pour le moment, de (tels) stades généraux ». Et de rappeler l’attention qu’il faut accorder aux variations interindividuelles à l’intérieur d’un même stade, ce qu’il nommera les décalages horizontaux. 7 Développement moteur et développement perceptif L’observation du développement des premiers mois de vie du bébé est restée longtemps celle des seules manifestations motrices. Le nourrisson n’est alors pas considéré comme un être émissif ou doué de capacités à percevoir l’environnement, il ne peut que réagir, de façon stéréotypée et désordonnée aux stimulations qui l’assaillent. La méthode de l’observation du développement privilégiée à cette époque correspond aux moyens contemporains disponibles. Peu à peu, l’étude du développement moteur va se doter de méthodes spécifiques et fines permettant de mieux appréhender les compétences précoces et les mécanismes du développement. Dans les années 1980, des technologies modernes et des paradigmes de recherche permettent de mettre en évidence l’étendue des compétences perceptives et cognitives des nouveaux nés et des bébés (Lecuyer, 2004 ; Lecuyer, Stréri & Pêcheux, 1996). La méthodologie a permis de comprendre en partie le fonctionnement perceptivo-moteur sans avoir à interroger ce bébé encore privé de langage. Les théories du développement doivent alors intégrer des données sur les capacités sensorielles, perceptives et cognitives considérables qui sont beaucoup plus nombreuses, complexes et précoces qu’envisagé précédemment. Ces dernières précèdent donc, dans leur apparition, les capacités motrices traditionnellement utilisées pour les mettre en évidence. C’est par exemple le cas pour la permanence de l’objet. Cette compétence perceptive permet à l’individu de considérer qu’un objet existe et continue d’exister lorsqu’il ne le perçoit pas. Piaget (1937) avait observé, que malgré leur capacité à retirer un tissu sous lequel un objet intéressant est caché, les enfants du sous-stade 4 du stade sensori-moteur, âgés donc de 8 à 12 mois, commettaient des erreurs lorsqu’ils recherchaient un objet caché successivement sous deux caches différents (erreur A non B). Il a fallu attendre les travaux de Baillargeon (1987, 2004), basés sur le paradigme de réaction à l’évènement impossible pour montrer que dès 2,5 mois, le bébé est « surpris » qu’un objet caché derrière un cache mobile ne perturbe pas la trajectoire de celui-ci ; il fixe alors très intensément le dispositif qui lui est présenté. Le bébé serait donc capable de comprendre le monde physique avant de pouvoir agir sur celui-ci, perspective inverse à ce que Piaget concevait. La question du développement moteur est donc revisitée sous la forme suivante : de quelle façon et dans quelle proportion ces 8 compétences perceptives précoces contribuent-elles au développement de conduites motrices ultérieures ? La réponse à cette question est infiniment complexe comme le suggèrent les deux exemples suivant. Tout d’abord, les travaux de recherche montrent qu’il y a un décalage entre la perception des caractéristiques des objets et le développement de la préhension (Corbetta 1999). Malgré des compétences perceptivo-visuelles précoces chez des bébés de 2 à 3 mois et notamment, la capacité à discriminer des objets de dimensions différentes ou à les reconnaître quelle que soit leur orientation spatiale (Slater et al., 1990 ; Bower, 1966), le bébé ne met pas à profit ces connaissances dans l’organisation de sa préhension. Celui-ci adapte son geste de préhension, par anticipation en fonction de l’objet, de sa dimension ou de son orientation, entre 6 et 13 mois selon les études (Newell, Scully, McDonald & Baillargeon, 1989 ; von Hofsten & Rönnqvist, 1988). Spelke (1995, 2004), leader du mouvement nativiste, propose une explication pour ces décalages entre capacités perceptives et contrôle de l’action. Perception et action motrice seraient gérées par des systèmes de représentations différents : il y aurait un système représentationnel pour guider la recognition d’objets et un système représentationnel pour guider l’action. Cette hypothèse ne nous permet toutefois pas de répondre à la question : comment une compétence perceptive très précoce peut- elle s’actualiser au travers d’une conduite motrice ultérieure ? Linéarité et non-linéarité du développement : la question des régressions La forme du développement en termes de linéarité ou de non-linéarité est également un objet d’échanges et de débats. Le développement procède-t-il par une amélioration progressive et continuelle des performances, ou comprend-il des régressions momentanées ? Cette question est le corollaire des méthodes d’étude du développement utilisées. En effet, les recherches ayant recours à des cohortes d’enfants et à une méthode transversale d’analyse des résultats tendent généralement à montrer que le développement est linéaire et que, par exemple, le contrôle postural s’améliore progressivement au cours de l’enfance. Les chercheurs se sont plus récemment astreint à valider par des approches longitudinales des analyses réalisées préalablement sur des enfants de groupes d’âges différents. Dans 9 ce cas, les résultats montrent souvent que les trajectoires individuelles présentent très souvent des régressions, préalablement masquées par la méthode transversale. L’exemple du passage de la bimanualité à l’unimanualité permet d’illustrer la question de la régression ou de la non-linéarité du développement psychomoteur. Au cours du développement, la mise en place de conduites motrices bimanuelles s’installe aux alentours de 3 mois, à la suite de la disparition progressive du réflexe asymétrique du cou, laquelle permet une posture symétrique du corps et favorise probablement une utilisation des deux bras (Fagard, 2001). Les conduites motrices unimanuelles apparaissent ensuite avec la stabilisation de la station assise entre 5-6 mois et 11-12 mois environ. Curieusement, vers la fin de la première année survient un retour à des conduites non différenciées, bimanuelles, dans les mouvements d’approche et de préhension d’objets. Cette alternance entre unimanualité et bimanualité représente du point de vue théorique un intérêt particulier pour notre propos et nous l’approfondirons dans le chapitre suivant. Approches théoriques du développement psychomoteur Nous avons vu plus haut que la compréhension du développement repose sur celle des mécanismes qui l’induisent, que nous pourrions appeler les facteurs de développement, et sur la façon dont ces changements se déroulent, ce que nous pourrions appeler les mécanismes du développement. La connaissance des âges de développements psychomoteurs, présenté dans le présent chapitre, sous le terme de repères développementaux, ne permet en aucun cas de penser, ni de comprendre le développement d’un enfant, qu’il soit typique ou atypique. En revanche, nous défendons l’idée que rattacher les repères développementaux à des modèles théoriques permet de fournir des cadres de compréhension aux particularités développementales individuelles et au développement troublé (Rivière, 2004). La présentation rapide des modèles que nous proposons est organisée de façon chronologique et nous nous sommes limités aux théories contemporaines. Ces théories doivent être distinguées par leur façon d’envisager les facteurs et mécanismes de développement. 10 Le maturationisme et l’accent sur les facteurs endogènes L’approche maturationiste est directement issue d’une perspective essentiellement médicale du développement. Arnold Lucius Gesell en est le théoricien le plus connu. Le développement psychomoteur est identifié à la croissance des systèmes biologiques : muscle et système nerveux. La maturation est le principal facteur de développement, c’est un facteur intrinsèque, endogène. Tout particulièrement au début de la vie, le développement est prédéterminé génétiquement et les changements développementaux suivent un ordre immuable. Le développement psychomoteur est envisagé comme une accumulation séquentielle de performances sur laquelle les facteurs environnementaux ont une influence minime (Gesell, 1929 ; Illingworth, 1978). De ce point de vue, la maturation corticale permet que le mouvement, tout d’abord réflexe et inorganisé, devienne coordonné du fait de l’influence inhibitrice du cortex. Le développement tonique suit inexorablement les lois de développement céphalo- caudale et proximo-distale (voir encadré ci-dessous). C’est seulement à partir de 3 mois que le milieu commence à influencer le développement en apportant des expériences et des apprentissages, même si ceux-ci ne jouent que sur la qualité des acquisitions fonctionnelles (Saint-Anne d’Argassies, 1982). Les compétences psychomotrices sont alors, au même titre que les réflexes, considérées comme un témoin de la maturation. Gesell a ainsi codifié des normes de développement et standardisé des tests simples et évolutifs précisant les âges d’apparition des acquisitions. De nombreux tests et échelles de développement sont issues de cette perspective, et fournissent une norme de développement souvent bien utile au praticien (test de Brunet-Lézine, Josse, 1997 ; test de développement fonctionnel moteur, Vaivre Douret, 1997). Les lois de développement céphalocaudal et proximo-distal A la fin du XIXième et au début du XXième siècle, les chercheurs se sont particulièrement attachés à déterminer des lois générales sur l’organisation du développement moteur. Ces lois devaient refléter l’influence de la maturation, mécanisme par essence prédéterminé génétiquement. Les recherches portèrent à la fois sur des enfants, des animaux et des fœtus. Les résultats de ces recherches ont conduit à postuler l’existence de deux lois de développement générales (Coghill, 1929, Gesell et Amatruda, 1945) : la loi céphalo-caudale et la loi proximo-distale. 11 Selon la loi céphalo-caudale, la maturation se fait à partir de la tête et en direction des pieds, ou la queue chez l’animal. De ce point de vue, l’acquisition de la station debout est un processus graduel qui nécessite que l’enfant passe successivement par des étapes ordonnées de maintien de la tête, puis du tronc, puis du bassin, puis des jambes. De la même façon, le contrôle des membres supérieurs précède celui des membres inférieurs. La loi proximo-distale énonce que la maturation se fait à partir de la tête et du tronc, vers les épaules, les bras, et finalement les mains et les doigts. La progression suit la même logique pour les membres inférieurs. Ces lois concernent à la fois, selon les auteurs et les définitions, le développement morphologique, le développement de la myélinisation, du tonus, les réactions posturales ou encore le développement du contrôle moteur. Si les échelles de développement psychomoteur tendent à conforter ces lois, il existe en réalité peu de recherche en vérifiant l’existence et les principes qui les sous-tendent. Les travaux contemporains confirment la loi céphalo-caudale (Woollacott et al., 1987) mais peinent à vérifier la loi de développement proximo-distale (McBryde et Ziviani, 1990). Les travaux conduits par Gesell et ses collaborateurs ont eu une importance fondamentale pour la rigueur des observations (Gesell, 1954). Cette perspective rencontre cependant des difficultés à interpréter l’influence précoce de l’environnement sur certains aspects du développement (Mellier, 1993 ; Jover, 2000). La culture, l’environnement social, des facteurs exogènes du développement Henri Wallon (1879-1962), Lev Semenovitch Vygotsky (1896-1934) et plus tard Jérôme Bruner (1915-) ont développé des théories du développement psychologique faisant une place large à l’environnement social. Sans entrer dans le détail de chacune de ces théories, nous proposons ici d’envisager des exemples permettant d’illustrer la fonction de l’environnement social dans le développement. Pour Wallon (1934, 1942, 1945), que les psychomotriciens évoquent souvent, les facteurs de développement biologiques et sociaux sont nécessaires, complémentaires et inséparables. Le développement de l’enfant est conçu comme résultant des interactions entre les contraintes neurobiologiques de la maturation et les conditions sociales de relation. Le facteur biologique est responsable de la maturation du système nerveux central et le facteur social gère l'interaction entre 12 l'enfant et le milieu. Wallon souhaite théoriser le développement de l'enfant dans ses composantes biologiques, affectives, sociales et culturelles. Il propose un modèle du développement de la personne en six stades de la naissance à l’adolescence (tableau 1). Au cours de celui-ci, l’enfant passe successivement par des phases où l’affectivité prédomine et des phases où c’est l’intelligence (loi de prépondérance, loi d’alternance fonctionnelle). Selon le stade de développement, l’enfant se tourne vers le monde (orientation centrifuge) et la construction de l’intelligence prime ou bien au contraire il se centre sur lui-même (orientation centripète) et la construction de la personne prime. Les stades à dominante centrifuge et centripète se succèdent alternativement et la loi d’intégration fonctionnelle fait que chaque stade intègre les fonctions des stades précédents. Stade Age Orientation Caractéristiques Stade impulsif 0 -3/6 mois centrifuge désordre gestuel, fusion émotionnelle Stade émotionnel 3-12 mois centripète reconnaissance dans le miroir, différentiation émotionnelle Stade sensori-moteur et 1-3 ans centrifuge intelligence pratique puis projectif discursive, début d’individuation Stade du personnalisme 2-6 ans centripète différentiation moi autrui Stade catégoriel, stade 6-11 ans centrifuge représentation abstraite de la personnalité polyvalente Stade de l'adolescence à partir de centripète achèvement de la construction 11 ans de la personnalité Tableau 1 : Synthèse des stades de développement selon Wallon Si les psychomotriciens apprécient tant cet auteur, c’est qu’il a considéré le corps comme le support des premières interactions de l’enfant avec son environnement social. Par exemple, l'émotion du bébé est identifiée par l’environnement à partir de son tonus et de son activité motrice ; desquels elle se différencie ensuite progressivement. Les émotions constituent donc les premiers échanges entre le 13 bébé et sa mère car le bébé maîtrise rapidement ce moyen d’expression. Les interactions précoces entre la mère et l’enfant permettraient à celui-ci de prendre conscience de lui, grâce à l’Autre, ce qui fait de l'homme un être social avant tout. Motricité et émotion constituent donc des éléments centraux de cette théorie du développement1. Pour Vygotsky, l’influence de l’environnement se réalise au travers des interactions sociales, du langage et de l’affectivité. La « loi génétique générale du développement culturel » implique que « dans le développement de l’enfant, toute fonction apparaît deux fois ou dans deux niveaux différents. Dans un premier temps, elle apparaît au niveau social, et dans un deuxième temps, au niveau psychologique. […] Derrière toutes les fonctions supérieures et ses relations, il y a, génétiquement, des relations sociales, des véritables relations entre personnes. » (Vygotski, 1933, p. 91). Le développement est donc un processus dialectique qui va du niveau interindividuel au niveau intraindividuel. Enfin, Bruner s’est orienté dans une direction comparable en avançant que la pensée humaine provient des interactions entre les structures mentales de l’individu et la culture dans laquelle il évolue. L’enfant est « un être social, tourné d’emblée et prioritairement vers autrui ». C’est activement qu’il construit ses connaissances, en prenant appui sur son environnement : les relations interpersonnelles, relations entre pairs et relations de tutelle avec l'éducateur ou les parents sont au cœur du processus d'apprentissage. Dès les premiers mois, le bébé acquiert des routines, des formats d’interaction qu’il définit comme des épisodes interactifs standardisés, microcosmes régit par des règles dans lequel l’adulte et l’enfant échangent (Bruner, 1984, p. 22). Ces formats, observables dans des situations quotidiennes et routinières de soins, de repas, ou de jeux (coucou-caché) préfigurent l’alternance de la prise de parole dans une conversation et vont aider l’enfant à acquérir des capacités à interagir avec son environnement culturel. En développant des concepts comme la relation de tutelle et l’étayage dans les apprentissages, Bruner a mis en 1 Les travaux menés notamment par Rochat et al. (2006) sur le développement de la conscience de soi indiquent que la théorie de Wallon est obsolète pour ce qui concerne le développement de la distinction soi-autrui. Nous tenons toutefois à maintenir sa présentation comme un exemple de modèle intégrant des déterminants biologiques et sociaux du développement. 14 évidence le caractère déterminant de l’aide que peut apporter l’adulte à l’enfant en développement. Ces théories ne ciblent pas aussi spécifiquement le développement moteur que peuvent le faire les théories maturationnistes. Elles peuvent cependant constituer un point d’ancrage pour aborder le développement de l’enfant dans un contexte social et culturel donné. L’environnement, en répondant, guidant et socialisant les actions de l’enfant, imprime au développement, psychologique mais aussi psychomoteur, des caractéristiques qui lui sont propres. Les théories écologiques et le poids de l’expérience motrice Les écrits du couple Gibson, James (1979) et Éleanor (1910-2002), insistent sur l’importance de la perception pour comprendre le développement de la motricité. Dans cette perspective, dites théorie écologique, perception et action sont intimement reliés et le passage de l’un à l’autre est direct, sans étape de représentation ni de « calcul ». L'action est directement issue de la rencontre perceptive entre le sujet et l'objet. Les propriétés de l’objet sont directement perçues en fonction des actions applicables sur lui, c'est le principe d'affordance (Gibson, 1969). Dans cette modélisation de la motricité, les processus qui poussent à des changements au cours du développement sont auto-régulés. En effet, ce sont les caractéristiques perceptives de l’objet ou de l’environnement qui guident directement le sujet sur les possibilités d’action. Celle-ci alimente à son tour la perception en générant des informations sur l’action elle-même et les transformations de l’environnement obtenues. C’est donc grâce aux comportements d’exploration que l’enfant accède à de nouvelles perceptions qui, par le biais des affordances, génèrent de nouvelles formes motrices au cours du développement. L’élément clef de la théorie de Gibson est que le développement de l’enfant repose sur la différenciation progressive des affordances. Autrement dit, le développement repose sur un apprentissage perceptif (apprendre à percevoir l’environnement, Gibson, 1988). Progressivement l’enfant discrimine et détecte les éléments, les propriétés signifiantes de l’environnement. La discrimination est liée aux capacités motrices de l’enfant et à son expérience. C’est la combinaison de l’apprentissage et de l’expérience qui permet une différenciation progressive des stimulations. De ce point de vue, le développement cognitif est très lié au développement perceptif et moteur. 15 Ainsi pour résoudre une tâche, il faut que l’enfant ait perçu tous les éléments en présence. Les performances au cours du développement ou des apprentissages se modifient, non pas parce que l’enfant a appris une nouvelle réponse, mais parce qu’il a perçu le problème différemment. Ainsi, par exemple, Gibson et al. (1987) ont montré que des enfants du même âge exploraient différemment une surface à traverser suivant qu’ils maitrisent ou non la locomotion bipède : la latence pour se lancer, le temps d’exploration manuelle et visuelle de la surface à traverser diffèrent chez les marcheurs et les non marcheurs. L’analyse de l’environnement est donc faite en fonction des capacités motrices. L’influence de l’environnement et de l’expérience motrice et sensorielle est remise en avant. Cette théorie permet de rendre compte de l’influence de l’expérience sur le développement psychomoteur. Celle-ci est au moins aussi importante, si ce n’est plus, que la maturation et les transformations morphologiques. Cette théorie laisse toutefois en suspens des éléments sur le contrôle de l’action et de son développement. Une théorie dynamique du développement : multiplicité des déterminismes La perspective dynamique non linéaire est issue à la fois de l'approche écologique gibsonnienne et de celle de Bernstein et propose un véritable changement de paradigme dans la conception de l’organisation du contrôle moteur. Bernstein (1967) résout la difficulté de conception du contrôle moteur liée à la complexité musculaire et squelettique par les concepts de degré de liberté et de synergie. Le degré de liberté rend compte des possibilités de mouvement offertes par la structure musculo- squelettique des membres : les mouvements possibles sont en nombre limité. D’autre part, la synergie permet d’ordonner le comportement d’un point de vue spatio-temporel et d'abandonner l'idée d'une activation individuelle de muscles. Ces deux principes expliquent que la réalisation d’un mouvement nécessite moins de contrôle et offre à la fois stabilité et flexibilité (Thelen et al., 1987). Au début des années 1980, Kelso et ses collaborateurs avancent que le mouvement ne résulte pas d’une prescription à l’échelle du système nerveux central mais de l’interaction entre les propriétés physiques du corps, de l’environnement et des projets de l’individu. C’est la théorie non linéaire des systèmes dynamiques appliquée au contrôle moteur, 16 bousculant la vision d’un cerveau commandeur pour laisser la place à un cerveau partenaire de l’organisation du mouvement. Les déterminismes à l’œuvre au cours du développement sont, de ce point de vue, multiples. L’enfant naît avec des possibilités de coordination : il produit des mouvements rythmiques ayant une organisation synergique et temporelle importante. L'environnement, l’expérience et les caractéristiques du sujet modifient progressivement les patterns moteurs au cours du développement et les synergies sont progressivement transformées en action adaptative. Les habiletés motrices émergent graduellement sous l’influence conjuguée de la maturation du système nerveux, du développement des systèmes perceptif, neuro-musculaire et squelettique, des proportions corporelles, du rapport entre masses musculaires et graisseuses, des expériences sensorielles et motrices et de l’intention. L’influence respective de chacun de ces facteurs varie au cours du développement. Le développement postural n’est alors pas linéaire, il consiste en des changements d’état en fonction de l’interaction d’une variété de déterminants qui transforment les systèmes qui composent le bébé. Ces changements peuvent intervenir de façon abrupte et discontinue (Thelen & Spencer, 1998, Thelen, 1989 ; Zanone, 1990). De nombreuses recherches se sont attachées à étudier les caractéristiques du développement moteur de l’enfant en adoptant cette perspective. Les expériences phares ont été réalisées par Thelen et ses collaborateurs qui ont montré, par exemple, que les caractéristiques cinématiques du réflexe de marche automatique étaient modifiées chez l’enfant de 6 semaines par l’ajout de poids autour de la cheville, ou par l’immersion des jambes du bébé dans l’eau, procédures qui modifient les conditions de réalisation du réflexe (Thelen et al., 1984, 1987). Ainsi, en positionnant verticalement des bébés de 2 mois jusqu’à mi-corps dans l’eau, la diminution de la pesanteur sur les membres inférieurs entraîne la réapparition du réflexe de marche automatique (Thelen et al. 1984). La disparition des réflexes est donc, de ce point de vue, le résultat de l’augmentation de la masse adipeuse par rapport à la masse musculaire2. D’autres recherches ont portées sur le développement du geste de saisie (Thelen et al., 1993). Les mouvements sont d’abord larges et imprécis, variables dans leur trajectoire, puis l’analyse longitudinale 2 Rappelons ici que pour les tenants des théories maturationistes, la disparition du réflexe de marche est la conséquence du processus de corticalisation, qui permet une prise de contrôle du cerveau sur la motricité réflexe (Illingworth, 1978). 17 des mouvements d’atteinte montre que les premières saisies sont suivies de tentative de reproduction du geste, encore et encore, jusqu’à ce qu’un mouvement satisfaisant, reproductible et souple soit réalisé. La perspective dynamique non linéaire présente l’avantage de tenter d’expliquer de nombreuses différences inter-individuelles, la variabilité des observations réalisées chez le bébé et la discontinuité du développement. L’environnement y occupe une place importante, sans pour autant négliger la maturation ; les facteurs de développement envisagés sont à la fois endogènes et exogènes. Cependant, ce modèle se heurte encore à quelques difficultés d’interprétation : prodigieuse rapidité du développement psychomoteur, transferts d'apprentissage. Le darwinisme neuronal : du système nerveux au comportement Les théories dites du Darwinisme neuronal se rapportent à la théorie de l’épigenèse par stabilisation sélective des synapses (Changeux, 1983) et la théorie de sélection des groupes de neurones (Edelman, 1987). Dans une perspective clairement issue des neurosciences, ces théories tentent de rendre compte des profondes interactions entre le système nerveux et l’environnement au cours du développement. Pour Changeux (1983), l’activité d’un réseau nerveux entraîne la stabilisation des synapses qu’il contient et l’élimination progressive des autres. En s’appuyant sur des expériences sur la jonction neuromusculaire, il montre que la stabilisation de certaines synapses se fait à l’issue de trois étapes développementales : la croissance neuronale qui consiste en une prolifération des neurones, la redondance transitoire qui voit se réaliser des connexions neuronales en surnombre, et l’élimination-stabilisation dans laquelle certaines des synapses vont disparaître et d’autres se stabiliser en fonction de l’expérience sensorielle. De son coté, Edelman (1987) décrit également trois phases clés dans l’épigénèse du cerveau au cours desquelles se réalise la sélection des groupes de neurones. La sélection développementale qui comprend la neurogenèse, la migration neuronale, la croissance des axones et dendrites, la mort neuronale programmée et la formation des connexions. La deuxième phase est la sélection par l’expérience : le câblage entre groupes neuronaux est modifié en fonction des interactions avec l’environnement, notamment sensoriel. De plus, les neurones qui sont actifs en 18 même temps, par exemple parce qu’ils répondent à la même stimulation sensorielle, voient leurs connexions se renforcer. Des répertoires primaires et secondaires, réseaux neuronaux d’une région donnée se construisent. Enfin, dans une troisième phase, ces répertoires s’arrangent progressivement entre eux en cartes spécialisées, par la réentrée des informations entre les différentes cartes, physiquement connectées entre elles par un réseau très dense de fibres. Prenons l’exemple de deux cartes, l’une spécialisée dans le traitement visuel des couleurs et l’autre dans le traitement visuel des contours. Chaque carte reçoit indépendamment des signaux du monde extérieur, mais la réentrée permet que ces cartes se connectent sans que l’on ait besoin d’un superviseur d’ordre supérieur qui mette en lien ces deux dimensions d’un objet visuel. Ces trois processus sont sensibles à de très nombreuses influences environnementales et n’ont pas lieu de la même façon, ni au même endroit chez deux personnes différentes. Ces influences se combinent pour donner une diversité de structures colossales qui fait que, deux jumeaux ont des cerveaux tout à fait différents. Les théories du darwinisme neuronal proposent un modèle novateur dans la filiation des théories maturationnistes. Le cerveau est conçu comme le centre de la perception et de l’action, et la maturation du système nerveux est cruciale dans le développement. En revanche, ces auteurs formalisent et mettent en évidence l’effet des expériences et de l’environnement, au niveau cellulaire et au niveau individuel sur le développement du système nerveux. De la bimanualité à l’unimanualité : quatre regards L’alternance entre bimanualité et unimanualité décrite plus haut (Linéarité et non- linéarité du développement : la question des régressions) est un bon exemple pour illustrer les différences entre les regards portés par chaque perspective théorique sur le développement. Nous avons vu que les mouvements d’approche et de préhension d’objets sont majoritairement bimanuels aux alentours de 3 mois, puis unimanuels entre 5-6 mois et 11-12 mois, avant de redevenir transitoirement bimanuels à la fin de première année. Fagard (2001) et Corbetta (1999) proposent quelques pistes d’explication des changements en fonction des conceptions théoriques du développement. 19 Pour expliquer ces changements, Gesell & Ames (1947) ont avancé que des réorganisations neuro-motrices résultant des processus maturationnels seraient à l’origine de cette « régression » vers la bimanualité. D’autres chercheurs ont envisagé la question au travers de l’interdépendance entre les systèmes perceptifs, cognitifs et sensori-moteurs (Karni et al., 1998). De ce point de vue, la multitude d’acquisitions perceptives, posturales et motrices de la première année de vie pourrait déstabiliser les conduites différenciées unimanuelles et faire ré-émerger les comportements bimanuels à l’occasion de la mise en place de la locomotion bipédique. Les systèmes perceptifs, cognitifs et sensorimoteurs sont ici conçus comme interdépendants et interagissant. Ces ajustements du développement expliquent les discontinuités observées au fil du temps et paradoxalement établissent des liens pour comprendre l’organisation générale du comportement moteur en devenir. Une autre approche consiste à envisager cette régression, au contraire, comme un phénomène d’anticipation de l’utilisation de la deuxième main en tant que « main complémentaire » dans les coordinations bimanuelles apparaissant à la fin de la 1ère année de vie. En d’autres termes, on voit apparaitre transitoirement avant qu’elles ne s’installent, des coordinations où les deux mains ont des rôles différenciés au cours d’une même manipulation d’objet mais demeurent coordonnées vers un but commun et identique : main support stabilisant l’objet et main d’exploration (Bruner, 1970, Kimmerle et al. 1995). Un autre point de vue, neurofonctionnel celui-ci, envisage l’implication différentielle des structures cérébrales. La motricité distale impliquée dans l’unimanualité serait sous contrôle de structures cérébrales (voies cortico-spinales) distinctes de celles qui gèrent la motricité proximale et favorise la bimanualité (structures vestibulo-spinales), et dont le développement serait plus tardif (Kuypers, 1962). Enfin, selon une approche dynamique, Thelen et al. (1993) ont postulé que le retour à une organisation bimanuelle de la préhension en fin de première année est lié à des facteurs intrinsèques qui impliquent de façon générale dans la motricité, des patterns fréquents d’activité bimanuelle motrice, y compris dans des mouvements globaux des membres supérieurs sans objets (Corbetta & Thelen, 1996). 20 Synthèse Nous avons présenté, dans cette partie, les questions fondamentales que se sont posés et se posent les théoriciens, chercheurs et praticiens, sur le développement psychomoteur, ainsi que les débats et questions clés qui ont traversé leur travail. La présentation réalisée ici n’est pas exhaustive, tant sur les concepts clés que sur les cadres théoriques présentés. Nous avons ainsi choisi de ne pas approfondir les modèles de développement du contrôle postural (Hadders-Algra et al., 1997 ; van der Fits & Hadders-Algra, 1998b, Assaiante & Amblard, 1995) ou mettant l’accent sur les facteurs cognitifs du développement (Mellier, 1990, von Hofsten & Ronnqvist, 1993) développés ailleurs (Jover, 2000). Comme la science est en perpétuelle développement, certaines questions présentées ici dans un cadre historique sont à l’heure actuelle relativement désuète. Par exemple, le débat entre déterminant inné et déterminant acquis a été dépassé il y a longtemps et les auteurs s’attachent à présent à analyser les mécanismes de leur influence respective. De la même façon, la centration exclusive sur un seul facteur de développement, qu’il s’agisse de l’environnement social ou de la maturation, ne fait plus partie des théories contemporaines. Afin d’illustrer notre propos, voici un bref résumé de la perspective que propose d’adopter von Hofsten (2004) sur le développement moteur. Pour cet auteur, connu pour avoir mis en évidence les premières atteintes manuelles et les capacités de poursuite visuelle, le développement moteur ne peut être vu comme une question uniquement de contrôle croissant des muscles. En considérant l’action contextualisée plutôt que le mouvement isolé, il montre qu’il est tout aussi important de tenir compte de la raison pour laquelle un mouvement est réalisé, comment les mouvements sont planifiés et comment l’enfant anticipe ce qui va se produire. Il intègre les données les plus récentes sur les modèles du contrôle moteur, sur la fonction des neurones miroirs, sur les capacités de prédictions et de connaissance de l’environnement des nourrissons, sur la motivation et la satisfaction associées à l’action, ainsi que sur les liens importants existant entre perception et action. Pour lui, la perception, la cognition et la motivation émergent et se développent à travers les interactions entre le corps, le cerveau et le monde extérieur. Ces interactions sont elles-même dépendantes de la croissance corporelle et du développement cérébral. Ainsi par exemple, l’émergence de la saisie d’un objet repose à la fois sur un contrôle 21 différencié de la main et du bras, sur un contrôle postural efficace, une perception précise de la profondeur, des muscles assez fort pour soutenir le mouvement et la motivation d’atteindre l’objet. Von Hofsten met également l’accent sur l’importance du contrôle prospectif dans le développement psychomoteur. C’est en parvenant à anticiper les actions d’autrui (théorie de l’esprit…) et les caractéristiques des évènements physiques qui l’entourent (trajectoire des objets, propriétés des objets…) que l’enfant pourra progressivement construire des mouvements orientés, ajustés et efficients (von Hofsten, 2004). Pour finir, on constate que le contexte politique et socio-économique a été un des premiers moteurs poussant à l’intérêt et la réflexion concernant le développement de l’enfant. L’évolution des technologies, la place accordée au psychisme et les connaissances sur les liens entre perception et cognition dans les théories du développement moteur ont ensuite bâti les théories actuelles (écologique et dynamique) qui depuis une dizaine d’années tentent de se faire une place au rang des théories du développement moteur dans une culture professionnelle encore peu sensible à ce genre d’approches. Repères développementaux L'étudiant en psychomotricité a besoin de connaître précisément le développement typique de l'enfant, l'adolescent, l'adulte et la personne âgée pour pouvoir appréhender plus tard la désorganisation de ce développement dans son travail clinique et les interactions entre le développement de la pathologie et le développement psychomoteur. Il est donc fondamental dans cette partie de donner des repères concernant ce développement. Pour des raisons didactiques, la présentation des repères développementaux des différentes compétences psychomotrices a été scindée en plusieurs parties étudiées séparément. Il est évident que ce découpage ne correspond pas à la réalité du développement humain qui est systémique, c'est-à-dire résultant des interactions entre plusieurs dimensions du développement. Par exemple, les acquisitions posturales statiques sont abordées distinctement de la motricité dynamique, ce qui facilite une bonne compréhension des choses mais ne reflète pas la réalité. 22 Par ailleurs les repères sont présentés par des moyennes d'âge d'apparition des acquisitions. Or il faut garder à l'esprit que ces moyennes ne représentent pas la grande variabilité interindividuelle existant dans le développement de l'enfant. Par exemple, l’âge moyen de l’acquisition de la marche est de 12 mois, mais certains enfants marchent à 9 mois, d’autres à 18. C’est l’écart type d’un échantillon d’étalonnage, ou bien l’intervalle interquartile qui permet de déterminer le caractère déviant d’un âge d’acquisition (voir à ce propos la partie Disparité et hétérogénéité du développement). Ces repères doivent donc être envisagés dans une approche globale de l'enfant en tant que personne. C’est l’accumulation et l’articulation des retards qui devront être prises en compte par les professionnels. Tonus et posture Le tonus et la posture sont les fondements de toute motricité, ce sont également deux éléments en lien direct avec les émotions et leur expression. Leur développement nous informe sur la maturation neurologique du bébé. L'observation et la compréhension du développement du contrôle tonique et de la régulation posturale sont donc primordiales pour le psychomotricien (Jover, 2000). Nous allons définir brièvement ces termes avant d'étudier l'évolution de ces deux fonctions essentielles dans le développement psychomoteur. Définitions Le tonus est l’état de légère contraction musculaire qui n’aboutit pas au mouvement mais assure la résistance à la pesanteur, qui fixe les articulations dans une position déterminée et donc maintient la posture lors de l’exécution d’un mouvement. Cette contraction est isométrique (la tension augmente mais la longueur du muscle ne change pas), permanente et involontaire. Elle est en lien avec le niveau de vigilance de la personne. On distingue le tonus passif autrement appelé permanent ou de fond qui représente la répartition tonique au repos et le tonus actif : mécanismes musculaires régulateurs en jeu pendant le mouvement. La posture est définie comme le maintien du corps dans une position donnée grâce à une activité musculaire permanente qui s’oppose au jeu des articulations, c'est donc 23 la position des parties du corps, les unes par rapport aux autres, et par rapport à la pesanteur. La posture prépare et soutient le mouvement. Elle a également, une valeur communicative importante. Dans le champ des communications non verbales, la posture est ainsi un moyen d'expression très important des émotions (Corraze, 1988). Comme pour le tonus, on distingue deux types de postures. La posture orthostatique ou antigravitaire et à la posture dynamique ou directionnelle. La posture est régulée par le tonus, par les émotions et le système sensoriel. Sur le plan sensoriel, les informations qui permettent de réguler la posture proviennent du système visuel, du système vestibulaire et du système somato- sensoriel. Ces récepteurs sensoriels donnent des informations sur la position du corps dans l'espace et permettent des corrections. La contribution du système visuel au contrôle postural est opérationnelle dès la naissance : le nouveau-né peut stabiliser sa tête en fonction du déplacement réel de son corps mais aussi quand le déplacement est seulement induit visuellement (Jouen & Lepecq, 1989). À 2 mois on peut observer des différences de posture entre les bébés non-voyants et les autres (Bullinger & Mellier 1988). Le système vestibulaire, dont les récepteurs sont situés dans l'oreille interne, permet la perception du mouvement et de l'orientation par rapport à la verticale. Il contribue également à l’organisation de la posture dès la naissance : le réflexe de redressement (maintien de la tête droite lorsque le corps est incliné) du nouveau-né est déclenché par des informations vestibulaires. Enfin, le système somato-sensoriel se décompose entre le système proprioceptif et le système tactile. Le nouveau-né a accès à ces informations précocement : le réflexe d’extension, par exemple, est induit par le système cutané et proprioceptif qui signale que le poids du corps repose sur les pieds et les jambes du bébé. La régulation posturale repose sur des mécanismes complexes dont les recherches montrent que c’est autour de 7 ans, voire même au cours de l’adolescence, qu’ils sont maitrisés (Assaiante et al., 2005 ; Viel et al., 2009). Les caractéristiques toniques du nourrisson Le nouveau-né montre une répartition tonique très déséquilibrée caractérisée par une hypotonie axiale et au niveau des membres, une hypertonie des muscles fléchisseurs associée à une hypotonie des extenseurs (figure 2). 24 Figure 2 : Nouveau-né de 2 mois. Les membres supérieurs et inférieurs, mais également les extrémités (orteils et doigts) présentent une position en flexion. La mesure de l’extensibilité des membres montre que les membres inférieurs présentent une hypoextensibilité entre 0 et 6 mois environ puis rejoignent un point d’équilibre. Ensuite, une période d’hyperextensibilité est repérable entre 10 et 24 mois, et une diminution de l’hyperextensibilité pour arriver à un niveau « normal » vers 3 ans. Les membres supérieurs montrent une hypoextensibilité également dans la première année puis une augmentation progressive jusqu’à 3 ans (Stambak, 1963). Il existe d’importantes différences interindividuelles, on constate parfois jusqu’à 9 mois d’écart entre les enfants concernant le début de la période d’hyperextensibilité (entre 7 et 15 mois). Organisation céphalo-caudale et proximo-distale Le développement du contrôle de la motricité et du tonus se fait chez tous les vertébrés selon deux lois immuables : il suit les directions céphalo-caudale et proximo-distale. C'est à dire que le bébé contrôle en premier les muscles de son visage, puis sa tête (vers 3 mois), son tronc (vers 7,5 mois) et ses membres inférieurs (vers 11 mois) : c’est le sens céphalo-caudal. Conjointement, il contrôle en premier les muscles de ses membres en fonction de leur proximité avec l'axe du corps (sens proximo-distal) et va donc maîtriser le contrôle de la motricité au niveau 25 de son épaule, puis de son bras, puis de sa main et enfin de ses doigts. C'est le sens de la maturation neurologique qui détermine ce sens de développement du contrôle de la motricité volontaire et du tonus. Les redressements3 Du fait de la répartition tonique, le nouveau-né présente un axe hypotonique, sans aucune possibilité de tenue de la tête ni du tronc, et des membres en flexion permanente. Petit à petit, il va se redresser, selon la loi céphalo-caudale décrite précédemment. Le contrôle de la tête L'épreuve du tiré-assis, dans laquelle on amène le bébé qui est allongé à la position assise en le tractant par les bras, indique qu'à la naissance la tête est complètement ballante. Dans cette épreuve, qui constitue un item du test de Brunet Lézine, la tête est maintenue droite chez 73 % des enfants de 2 mois, que les épaules et la tête précèdent le tronc chez 60 % des enfants de 3 mois (Josse, 1997)4. A la fin du premier mois en moyenne, quand il est tenu en position assise ou quand il est allongé sur le ventre, le bébé relève sa tête par moment en vacillant. Le maintien de la tête est possible pendant 15 secondes chez la plupart des bébés tenus assis entre 10 jours et 4 mois. L'âge médian de l’acquisition du maintien de la tête est de 2 mois5, et 80 % des enfants y parviennent à 3 mois. Dès le deuxième mois, la tête est tenue bien droite, mais brièvement, quand le bébé est assis et il la relève ainsi que ses épaules quand il est posé sur le ventre. A 3 mois en moyenne, la tête est bien tenue quand le bébé est placé assis, et il la relève avec ses épaules en s'appuyant sur ses bras quand il est allongé sur le ventre (84 % des enfants de 2 mois y parviennent, Josse, 1997). 50 % des enfants tiennent bien droite leur tête pendant un déplacement à partir de 3 mois, certains le font dès 3 Nous envisagerons uniquement les acquisitions posturales dans ces paragraphes sur le redressement et non les coordinations qui permettent de passer d’une posture à une autre. 4 Notons, même si cela ne relève pas simplement du contrôle de la tête, qu’à l’âge de 6 mois, lors de la traction sur les bras, l’enfant en décubitus dorsal se soulève jusqu’à la station assise dans 80 % des cas 5 L’âge médian correspond à l'âge auquel 50 % des enfants présentent une compétence donnée. 26 la fin du premier mois et d'autres ne pourront le faire qu'à 5 mois sans que cela se situe en dehors de la normalité. Le tronc : la station assise Sans aide, le nouveau-né ne tient pas assis, son dos est cyphotique jusqu'à un mois. A partir de 3 mois en moyenne, ce sont les épaules qui se redressent. 80 %des enfants tiennent assis avec un léger support (le haut du tronc est droit mais pas les lombaires) à 6 mois, plus de la moitié réalise cet exploit à 4 mois. Dès 5 mois, le tronc est droit mais la station assise n'est pas acquise, elle le sera avec le support des bras vers 6 mois pour la moitié des enfants et sans le support des bras à 7 mois (80 % des enfants). Il faut remarquer que la tenue assise avec le support des bras est une acquisition qui montre une très petite variabilité : 90 % des enfants le font entre 5 et 8 mois. La tenue assise sans aucun support est acquise entre 5 mois et demi et 10 mois et demi. A partir de 7 mois et demi en moyenne, le bébé tient assis mais de manière statique, le mouvement le déstabilise encore. La position assise dynamique n'est maîtrisée qu'entre 7 et 9 mois, à partir du moment où le tonus des fléchisseurs des membres inférieurs a diminué et permet d'étendre les jambes pour stabiliser la position. L’enfant est alors capable de manipuler des objets dans cette position, puis d’en ramasser lorsqu’ils sont posés autours de lui. La station debout Tout petit, et jusqu'à 3 mois en moyenne, le bébé se redresse automatiquement dès que ses pieds touchent une surface et qu'il est soutenu, c'est le point de départ du reflexe archaïque appelé marche automatique. Quand ce réflexe disparaît, l'enfant replie les jambes et ne se redresse plus du tout. C’est seulement vers 5 mois, brièvement, qu’il recommence à se redresser. L’enfant se maintient debout avec support (soutenu légèrement sous les bras, ou en appui sur une table basse, par exemple) vers 6 mois pour 50 % des enfants, et vers 10 mois pour 90 %. L’étalonnage du baby-test de Brunet-Lézine fournit les chiffres suivant pour cette même compétence, 45 % des enfants à 8 mois et 90 % à 11 mois6. Pour parvenir à 6 La légère discordance entre ces données souligne l’immense variabilité de vitesse du développement psychomoteur et engage à la prudence dans la considération des âges moyens d’acquisition. 27 ce redressement il faut en effet réunir deux conditions : le tronc doit être verticalisé et le tonus des fléchisseurs des membres doit avoir diminué pour permettre l'extension des jambes. La précocité de la station debout semble être en forte corrélation avec la tonicité de l’enfant : les enfants hypertoniques se tiennent debout nettement plus tôt (vers 8 et 9 mois) que les enfants hypotoniques (10 mois ; Stambak, 1963)7. Stambak ne retrouve toutefois pas cette corrélation entre l’extensibilité et les autres acquisitions posturales comme le maintien de la tête ou la position assise. De manière générale, la station debout sans appui est acquise vers 11 mois pour la moitié des enfants, certains parviendront à cette prouesse dès 9 mois et d'autres devront patienter jusqu'à 16 mois. Cependant l'enfant n'a pas encore acquis l'équilibre statique. Il écarte les jambes pour augmenter la taille de son polygone de sustentation et fait de nombreuses chutes car il a du mal à garder son centre de gravité à l'intérieur du polygone de sustentation (figure 3). Figure 3 : Enfant de 13 mois se tenant debout sans appui quelques secondes. Noter l’écartement des jambes et des bras qui contribuent à une augmentation de la surface du polygone de sustentation. Stambak (1963) a fait passer l’item « se tient debout avec appui » du test du Brunet- Lézine à 55 enfants et a observé des différences importantes entre les garçons et les filles au début de cette acquisition, qui s’atténuent par la suite. A 8 mois, 46 % des 7 Si la nature du lien entre ces deux éléments n’a pas été établie au moment des observations de Stambak (1963), les modèles dynamiques permettent aujourd’hui d’envisager le tonus comme un paramètre de contrôle dans l’émergence de la station debout chez le bébé (Thelen, 1995). 28 garçons réussissent l’épreuve pour 24 % des filles. A 10 mois, 96 % des garçons et 78 % de filles se tiennent debout avec appui. Dès 11 mois la différence entre les sexes devient minime. Les équilibres précaires Au delà du maintien de la station debout, l’enfant progresse dans son contrôle de la posture en arrivant progressivement à maintenir la position debout alors que les situations d’équilibre sont précaires : sur un pied, sur un support étroit, avec les yeux fermés… C'est sur ces aspects fins que le développement psychomoteur se poursuit lentement, pour s’achever au moment de l’adolescence. La station debout sur un pied est réalisée avec aide par 75 % des enfants de 2 ans et 58 % des enfants y parviennent sans aide pendant 2 secondes à 30 mois (Josse, 1997). Le manuel du test M-ABC (Soppelsa et Albaret, 2004) rapporte que, sur leur pied « préféré » les enfants de 4 ans tiennent en moyenne 8 secondes, ceux de 5 ans 13 secondes, et ceux de 6 ans 18 secondes (figure 4). Dans le même test, des équilibres précaires sont également utilisés pour évaluer la capacité des enfants à se maintenir debout pour une durée donnée, sur un support instable ou étroit entre 9 et 12 ans. Ainsi, il s’agit bien de progressivement maîtriser les positions instables en étant capable de les maintenir ; ce qui implique un réglage fin des ajustements posturaux anticipés et réactifs. 29 Figure 4 : Equilibre unipodal chez une enfant de 4 ans. La position des bras contribue efficacement à la stabilisation de la posture qui est maintenue pour une durée supérieure à 5 secondes. Coordinations motrices globales Définitions Les coordinations motrices globales sont des mouvements impliquant le tronc et un ou plusieurs segments corporels. Ils sont planifiés, c'est-à dire-orientés vers un but et organisés dans le temps et l'espace. On pourra citer par exemple, le passage du décubitus ventral à la station assise ainsi que les mouvements de locomotion. Paoletti (1999) définit la coordination motrice comme étant « la mise en jeu ordonnée et l’enchaînement harmonieux de mouvements constitutifs d’une action donnée ». Les changements de position Nous avons choisi de présenter sous cette appellation toutes les coordinations motrices qui impliquent l’intégralité du corps mais pas la locomotion. Les retournements Le premier véritable changement de position que peut exécuter le nouveau-né est de se retourner sur le dos (décubitus dorsal) lorsqu’il est placé sur le coté (décubitus latéral). Certains bébés (10 %) effectuent ce mouvement dès 1 mois, la moitié à 2 mois et la totalité des enfants à 6 mois. Dans l’étalonnage du test de Brunet-Lézine (Josse, 1997) 82 % des bébés présentent ce comportement à 2 mois. A partir de 2 mois pour les plus précoces et à 4 mois en moyenne, les bébés parviennent à faire le mouvement inverse, à savoir, passer du décubitus dorsal au décubitus latéral. Entre 6 et 7 mois, la moitié des enfants se retournent du décubitus dorsal au décubitus ventral (allongé sur le ventre), les plus précoces réalisent ce retournement à 4 mois et il faudra attendre 10 mois pour que tous le fassent (76 % des enfants réalisent ce retournement à 8 mois, Josse, 1997) Passage décubitus dorsal à position assise 30 Stambak (1963) remarque dans son étude sur le lien entre le tonus et les acquisitions motrices une dissociation entre les capacités des enfants. Le fait de se tenir assis et la possibilité de se soulever seul du décubitus jusqu’à la station assise sont des compétences qui n’ont pas de relation entre elles. Le passage du décubitus dorsal à la position assise est acquis pour 88 % des 55 enfants étudiés par Stambak à 8 mois. Ils sont très rares à y parvenir dès 6 mois et à 7 mois 46 % réussissent cet item. La figure 5 illustre à quel point cette transition entre deux positions nécessite une coordination spatiale, et temporelle entre l’activité des bras, des jambes, du tronc et de la tête. Le test du Brunet-Lézine ne distingue pas la position de départ de cette façon mais signale que l’enfant passe du décubitus à la station assise dans 62 % des cas à 10 mois et dans 76 % des cas à 11 mois (Josse, 1997). Figure 5 : Passage du décubitus dorsal à la position assise chez un enfant de 13 mois. Passage assis debout Chez les enfants étudiés par Stambak (1963), rares sont ceux qui parviennent à se dresser seuls à 8 mois, ils sont toutefois 39 % à 9 mois et 89 % à 11 mois. L’étalonnage du Brunet-Lézine (Josse, 1997) rapporte que 60 % des enfants de 10 mois (89 % à 11 mois) passent de la position assise à la position debout en prenant appui sur une chaise, une table basse ou tout autre support. Entre 10 et 14 mois, suivant les enfants, apparaît la possibilité de se baisser et de se redresser une fois en position debout. C’est aussi autour de 12 mois que les enfants parviennent à s’asseoir sans se laisser tomber, alors qu’ils étaient debout (Josse, 1997). 31 Les organisations locomotrices Le jeune enfant va évoluer dans ses modes de locomotion en s’appuyant sur des postures de plus en plus verticales pour aboutir à la marche bipède. Les âges d’acquisition de ces habiletés locomotrices sont soumis à de grandes différences interindividuelles, de même le déroulement de ce cheminement vers la marche n’est pas toujours identique. Il résulte à la fois des caractéristiques de l’enfant (hérédité, maturation, morphologie), de facteurs environnementaux (surfaces glissantes, possibilité d’appuis), mais également de la motivation de l’enfant à se déplacer (von Hofsten, 2004). La reptation Le ramper consiste au début en une traction du corps par les membres supérieurs tandis que les membres inférieurs restent passifs. Aux alentours de 6 mois, la moitié des enfants esquissent des tentatives de déplacement. Dans ces premières tentatives de reptation, les membres supérieurs, très toniques, fonctionnent parfois en rétropulsion et le bébé recule. Petit à petit, les jambes se mettent en action et contribuent au déplacement qui devient alors effectif. Stambak (1963) note que cette acquisition se fait en moyenne vers 6 mois, 10 % des bébés « rampeurs » commenceront à 5 mois et 90 % auront cette possibilité à 11 mois. En comptabilisant tous les modes choisis (reptation, 4 pattes ou sliding8), le manuel du Brunet-Lézine rapporte des déplacements chez 22 % des enfants à 7 mois, chez 47 % à 8 mois, chez 75 % à 9 mois et chez 87 % à 10 mois (Josse, 1997). Si une grande partie des bébés (87 %) affiche un parcours classique et utilise successivement la reptation, la propulsion quadrupède avant de se lever et de marcher, ce n'est pas le cas de tous. Dans une étude longitudinale, Largo et ses collaborateurs (1985) ont ainsi pu observer une très grande variété dans les trajectoires de développement des enfants : quelques enfants vont user parallèlement du ramper et du 4 pattes et 10 % des enfants ne vont jamais ramper et présentent la marche quadrupède comme premier mode de déplacement. 8 Le sliding est un mode de déplacement dans lequel l’enfant est en station assise et se déplace par des mouvements de flexion et d’extension de jambes ou de petits sauts sur les fesses. 32 La marche quadrupède La marche à 4 pattes succède très souvent à la reptation (Adolph et al., 1998). Elle consiste en un déplacement sur les genoux ou les pieds et sur les mains, l’abdomen soulevé (figure 6). Autrement nommée propulsion quadrupède, elle se fait en général avec des mouvements des membres croisés et alternés, plus rarement l'enfant peut marcher l'amble (mouvements homolatéraux des membres inférieurs et supérieurs). La marche quadrupède apparaît en moyenne autour des 7 mois du bébé, certains y parviennent dès 5 mois. Figure 6 : Marche quadrupède chez une enfant de 11 mois. La locomotion est réalisée avec des mouvements croisés et alternés des membres. Si chacune des habiletés locomotrices nécessite un apprentissage spécifique, il existe cependant un lien facilitateur entre le ramper et le 4 pattes, les enfants qui rampent ont ainsi une marche quadrupède plus rapide et plus efficace d’emblée (Bril, 2000). Comme pour la reptation, la marche quadrupède n'est pas présente chez tous les enfants : 7 % des bébés n'utilisent pas ce moyen de déplacement (Largo et al., 1985). 2 % des enfants vont, par exemple, se déplacer en ayant recourt au sliding. La marche bipède Les premiers pas d’un enfant sont un moment symboliquement important pour son entourage. Après les étapes de pré-locomotion décrites précédemment, on peut distinguer une phase d’acquisition puis d’affinement de la marche. Pour les enfants les plus précoces, la possibilité de faire quelques pas en étant soutenu s’observe dès 6 mois. La moitié des enfants y parvient avec un soutien à 9 mois. Presque un mois plus tard, est décrit le cabotage (figure 7), c'est-à-dire une 33 marche sur le côté avec appui sur un support (un bord de fauteuil ou une table basse). La maitrise progressive de l’équilibre est réalisée au travers d’un transfert de l’appui : les enfants s’appuient de moins en moins sur leurs bras, et l’appui se fait de plus en plus sur les jambes (Haehl et al., 2000). Progressivement, l’enfant peut lâcher une main, puis parvient à la locomotion autonome. Figure 7 : Cabotage chez un enfant de 13 mois en appui sur un accoudoir. Au début du déplacement, il prend appui des 2 mains et soulève sa jambe puis il accélère son mouvement en déplaçant les membres supérieur et inférieur homolatéraux en même temps. Autours de 10 mois, la marche avec aide devient possible. Ainsi, Josse (1997) observe 47 % de réussite à 11 mois à l’item : marche avec aide quand on lui tient une main (85 % à 12 mois). Les premiers pas autonomes apparaissent à 9 mois pour les plus précoces, pour la moitié des enfants à 12 mois et pour la grande majorité, cette étape essentielle est franchie à 17 mois. Le manuel du baby-test de Brunet- Lézine fournit les âges suivant pour une locomotion autonome courante : 23 % des enfants à 12 mois, 48 % des enfants à 13 mois, 60 % des enfants à 14 mois, 76 % des enfants à 15 mois et 98 % des enfants à 17 mois (Josse, 1997). La relation entre hypertonicité et marche précoce, si elle est moins nette que celle entre hypertonicité et acquisition précoce de la station debout, existe cependant (Stambak, 1963). La marche du bébé est très différente de celle d’un adulte, le contrôle visuel est prépondérant, la tête est donc inclinée vers l’avant, probablement pour surveiller les mouvements des membres inférieurs. L’enfant pose le pied à plat contrairement à 34 l’adulte qui attaque le pas par le talon. Le membre inférieur est projeté en hauteur, l’écartement entre les deux pieds est très important. On constate deux phases dans l’acquisition de la marche mature : « une phase d’intégration de la posture et du mouvement » (durant 3 à 5 mois) pendant laquelle les paramètres de la marche changent vite (la vitesse et la longueur du pas augmentent l’écartement des pieds et la durée du double-appui diminuent) et la marche devient réellement efficace. La phase d’ajustement, d’une durée nettement plus longue (durant 5 à 6 ans) permet à la marche de l’enfant de devenir semblable qualitativement à celle de l’adulte (Bril, 2000). Lien entre marche automatique et marche volontaire Le lien entre marche automatique et marche volontaire est source de questionnement pour de nombreux chercheurs (Hay, 1985 ; Jover, 2000). Le comportement de marche automatique montre une grande proximité morphologique avec le mouvement volontaire de la marche, ce qui alimente de nombreuses interrogations sur la valeur fonctionnelle du réflexe. Les réponses varient selon les théories. Pour les maturationnistes, le lien entre mouvement volontaire et réflexe n'est qu'apparent, nous avons vu plus haut dans ce chapitre que pour ces auteurs, les comportements archaïques doivent disparaître pour que s’installe la motricité orientée et volontaire (de Ajuriaguerra, 1978 ; Saint-Anne d’Argassies, 1982). Si la marche automatique et la marche définitive ont des formes communes, l'une est un mouvement rythmique isolé et l'autre est une construction motrice et maturationnelle, elles sont ainsi chacune sous le contrôle de modules neuronaux parallèles et distincts (Hadders-Algra & Prechtl, 1992 ; Touwen, 1993). A l’inverse, les théories dynamiques envisagent un lien direct entre marche automatique et locomotion. Les réflexes se coordonnent et permettent le mouvement volontaire : le rythme des pédalages et des coups de pieds est celui que l'on retrouvera dans l'activité de la marche. La disparition des réflexes correspond à un changement morphologique : le bébé arrête l'activité face à des contraintes biomécaniques. Thelen a ainsi montré que les mouvements réflexes de pédalages du bébé reprenaient si celui-ci était plongé dans l’eau : grâce à Archimède, il peut à nouveau « pédaler » (Thelen et al., 1987). 35 La course La course et la marche se ressemblent beaucoup. La différence est que dans la course, le rapport de temps entre phase de double appui et phase de suspension est inverse : chez l’adulte, 60 % du cycle est passé en double appui lors de la marche, et 40 % lors de la course. Dans la course, un temps important est passé avec les deux pieds sans contact avec le sol (Collet, 2002). La course débute vers 2 ans en moyenne, c'est à ce moment-là un mouvement peu organisé avec des difficultés de contrôle dans le freinage et la direction. Les enfants de 3 ans commencent à pouvoir courir de manière continue et à 4 ans le mouvement devient bien contrôlé. Gallahue (1989) a décrit de façon précise les étapes du développement psychomoteur de l’enfance en distinguant, pour les différentes acquisitions, les niveaux initiaux, élémentaires et matures. Au stade initial de la course (avant 2 ans), le jeune enfant a une base de support large, une extension incomplète de la jambe qui supporte le corps et une phase de suspension brève, le pas est inégal et la rotation de la jambe courte. A la réception du pas, la jambe et les pieds présentent une rotation vers l’extérieur. Enfin, les mouvements des bras sont courts et raides. Le contact des pieds avec le sol est complet et on ne distingue pas la phase d’attaque du talon de celle du soulèvement des orteils. Au stade élémentaire (vers 2 ou 3 ans), la base de support se réduit et la jambe d’appui présente une extension plus complète au décollage, et le fléchissement du genou est plus marqué à la réception. La longueur du pas s’allonge, les mouvements des bras sont plus marqués et la vitesse de course augmente par rapport au stade précédent. Enfin, entre 4 et 6 ans, au stade mature, la longueur des pas est importante et la vitesse de course augmente en conséquence. L’extension de la jambe d’appui est complète et la course présente une véritable phase de suspension. La réception n’induit pas de rotation de la hanche ni du pied et les bras montrent un mouvement de rotation vertical en opposition à celui des jambes. Au niveau du pied, le contact avec le sol débute clairement par le talon et se termine avec les orteils. Une fois le stade mature atteint, la vitesse de course continue d’augmenter jusqu’à l’adolescence, en fonction, bien sûr, de la motivation de l’adolescent et de son entrainement ! Le saut 36 Le saut, à l'instar de la course, débute vers 2 ans en moyenne (parfois un peu plus tôt chez les enfants hypertoniques) de manière anarchique et très coûteuse en énergie. Vers 3 ans l'efficacité du mouvement a augmenté. A 4 ans, les sauts deviennent plus variés (en enjambant, à pieds joints...) et de plus grande amplitude. Le saut à cloche-pied est bien maîtrisé autours de 6 ans. La montée et la descente des escaliers La montée d’escalier est une habileté dont la précocité de l'acquisition dépend pour partie de l’environnement. Dans une étude sur 444 enfants, Berger et al. (2007) ont observé la capacité à monter un étage de manière autonome, quelle que soit la méthode utilisée. Ils constatent que 77 % des enfants ayant un escalier dans leur maison ont acquis cette habileté dès 11 mois contre 37 % des enfants de 11 mois qui n'ont pas d'escaliers chez eux. La descente d'escalier semble moins influencée par la présence ou non d'escalier dans la vie quotidienne de l'enfant. Dans le manuel du Brunet-Lézine, l’étalonnage montre que 57 % des enfants sont capables de monter à quatre pattes quelques marches d’un escalier à 13 mois, et 84 % à 14 mois (Josse, 1997). Lorsque l’enfant n’est pas confronté à un escalier, cette motivation ascensionnelle se traduit par l’escalade d’un fauteuil ou du lit. Berger et al. (2007) ont également montré que les parcours des enfants ne sont pas toujours identiques en ce qui concerne l'ordre de leurs acquisitions motrices. Dans la plus grande partie des cas, on trouve deux trajectoires de développement : a) 4 pattes ou ramper, cabotage, marche, montée d'escalier, descente d'escalier (17 %) et b) 4 pattes ou ramper, cabotage, montée d'escaliers, marche, descente d'escalier (15,5 %). Si de manière plus isolée, les auteurs remarquent que ces trajectoires peuvent se modifier quelque peu, on ne trouve pas d'enfant qui maîtrise la descente d'escalier avant la montée. La stratégie utilisée pour les premières montées d'escalier est à 94 % le 4 pattes (figure 8), pour la descente cela se diversifie, dans l'ensemble, les premiers essais se font dos à la descente. 37 Figure 8 : Montée de l'escalier à 4 pattes chez un enfant de 13 mois. La moitié des enfants de 17 mois parvient à monter un escalier seul sans alterner les pieds, cependant, la descente doit être accompagnée. La totalité des enfants y parviendra juste avant 2 ans. La descente de manière non alternée est réalisable à partir de 2 ans (Bayley, 1936). Plus récemment, Josse (1997) date autour de 17 mois l’acquisition de la montée autonome d’un escalier en alternant les pieds. Motricité manuelle et coordinations bimanuelles Le développement de la motricité manuelle Le développement de la préhension des objets La préhension des objets peut être décomposée en 3 phases, l’approche ou atteinte, la prise et enfin la manipulation (Fagard, 2000). Le réflexe de pré-atteinte (prereaching, von Hofsten, 1982, 1984) ou atteinte déclenchée par la vue existe dès la naissance et démontre une coordination précoce entre vision et préhension. Il consiste en une extension et une ouverture de la main orientée vers un objet positionné à proximité de l’enfant, alors que celui-ci est installé dans une chaise qui le maintient incliné sans qu’il ait à fournir d’effort. Si précocement, l’atteinte et la prise fonctionnent indépendamment, la main se referme trop tôt ou trop tard. Vers 2-3 mois la prise et l’atteinte se coordonnent. Le geste de pré-atteinte a la caractéristique d’être sans correction (balistique) et de rater souvent sa cible (40 à 7 % de réussite selon les auteurs, Bower, 1974 ; Ruff & Halton, 1978). C’est autour de 3 mois que les auteurs décrivent les premières tentatives d’approche volontaire. 38 L’approche Le bébé, à partir de 3 mois, entreprend ses premières approches par balayage dans un geste chaotique et saccadé, déclenché de préférence par un objet en mouvement. C’est l’épaule qui est contrôlée en premier. Le geste d’approche est en général bilatéral, même si l’objet est présenté sur le coté. Petit à petit l’approche va devenir unilatérale et parabolique : extension du coude suivie d’une flexion. On note une difficulté à s’arrêter au bon endroit. Vers 8-9 mois, le mouvement s’arrête souvent avant l’objet. Il s’agit maintenant d’une approche directe : avancée de l’épaule, allongement du bras et arrivée de la main sur l’objet. Aux alentours d’un an, le geste redevient bilatéral9, même pour un petit objet, ou avec handicap. Konczak et Dichgans (1997) ont réalisé une étude sur le développement du geste d’atteinte d’un objet stationnaire chez 9 enfants, de manière longitudinale, à 16, 20, 24, 28, 32, 36, 52 et 64 semaines. Les enfants effectuaient des gestes d’atteintes vers un objet stationnaire situé à hauteur d’épaule. L’enregistrement de la trajectoire de la main montre qu’à 20 semaines, le geste est d’abord direct mais mal ajusté. A 36 semaines, l’analyse de la vitesse montre que le geste est programmé en deux séquences mais que le freinage sur l’objet est bien ajusté. A 64 semaines, le geste parait programmé en une seule séquence mais le ralentissement est encore mal contrôlé : la main touche l’objet au cours de son déplacement. Il faudra encore un moment avant que le mouvement soit bien contrôlé et que l’arrêt du mouvement coïncide très exactement avec la position de la cible. La prise La prise d’un objet a pour but de s’en saisir, pour ce faire, la main doit s’ajuster aux caractéristiques physiques de celui-ci : volume, forme, taille, poids mais aussi tenir compte de l’utilisation qui en sera faite. Deux types de prises ont été observées successivement dans l’ontogénèse, l’agrippement en force ou « power grip » et plus tard l’agrippement de précision ou « precision grip » (Halverson, 1931). Cette observation ancienne a été confirmée plus récemment par plusieurs auteurs. Touwen (1976), Holstein (1982) ou Newell et al. (1989) ont observés des prises de précision 9 Cf. à ce propos l’encadré De la bimanualité à l’unimanualité : quatre regards 39 dès 4 mois quand ils présentaient un objet petit. Ce serait, selon eux, parce qu'on ne présente pas des objets nécessitant une pince fine aux bébés que l’on ne voit pas apparaître ces prises de façon précoce dans de nombreux travaux. Le développement de la prise se décompose globalement en 3 phases en fonction des lois de progression céphalo-caudale et proximo-distale. La prise cubitopalmaire est majoritaire, la saisie est réalisée dans la région cubitale de la paume, à la base de la main. 10 % des bébés parviennent à saisir un cube de cette manière dès 2 mois, la moitié des bébés présentera cette prise à 4 mois, la quasi-totalité à 7 mois. Dans un second temps, la prise digito-palmaire apparaît, la prise est réalisée entre les doigts et la paume. 10 % des bébés de 5 mois saisissent un cube avec une opposition du pouce par rapport aux autres doigts, 50 % à 7 mois et 90 % à 8 mois et 3 semaines. Enfin, la pince radio-digitale augmente en fréquence, c’est la pince fine entre index et pouce, acquise pour 10 % des enfants dès 7 mois, pour la moitié à 10 mois, pour 90 % à 14 mois. L’apparition de ces différentes pinces dépend surtout des objets à saisir, le bébé présente très tôt une grande variété de pinces, dont l’utilisation est encore parfois peu ajustée compte tenu de la tâche à réaliser (figure 9). Figure 9 : Trois pinces présentées par une enfant de 14 mois dans une tâche d’introduction de perles dans une bouteille. Les pinces sont variées, digito palmaire ou radio-digitale, ainsi que le choix de la main. La prise évolue avec, entre 15 et 18 mois, une amélioration dans la précision du geste et dans la finesse du relâchement. La vitesse augmente. Fagard et Pezé 40 (1997) notent ainsi que, dès 10 mois, le temps de réaction (temps compris entre la vision de l'objet et le geste de saisie de cet objet) diminue. Ce temps de réaction, très bref avant 6 mois, s'allonge entre 6 et 10 mois ce qui permet d'améliorer les capacités d'anticipation. La capacité à anticiper signifie que le mode de saisie s’adapte mieux aux caractéristiques extrinsèques et intrinsèques de l’objet (poids, position…) et la manière de prendre l’objet varie selon le but du geste. Les contraintes environnementales et les propriétés des objets sont progressivement prises en compte de façon anticipée, qu’elles soient accessibles visuellement ou non. On trouve ainsi l’âge de 4 mois pour la distance (Rochat, Goubet & Sanders, 1999), entre 5 et 9 mois pour la prise en compte de lorientation (Lockman, Ashmead & Bushnell, 1984 ; Rochat, 1992), entre 5 et 13 mois selon les auteurs pour la prise en compte anticipée de la taille (Butterworth, Verweij & Hopkiins, 1997 ; Siddiqui, 1995; von Hofsten & Rönnqvist, 1988), entre 12 et 24 mois pour la texture (Forssberg et al., 1995) et entre 12 et 24 mois pour le poids (Forssberg et al., 1992 ; Hauert, 1980 ; Hauert et al., 1981; Mounoud & Bower, 1974). Grasping et préhension Basée sur une vision maturationniste du développement, l’idée que le grasping gène la mise en place de la préhension volontaire est encore très répandue (Illingworth, 1978 ; Saint-Anne D’Argassies, 1982 ; Ajuriaguerra, 1978). Ce reflexe archaïque commence avant le terme de la grossesse et s’étend jusqu’à 6 mois environ. Pour la « catching phase » (fermeture des doigts provoquée par la stimulation tactile de la paume) le réflexe perdure environ jusqu'à 3 mois : 50 % des enfants de 3 mois ont les mains en général ouvertes, 10 % commencent dès la 3ème semaine. Pour la "holding phase" (déclenchée par la stimulation proprioceptive des récepteurs musculaires et tendineux, et qui donne le maintien d’une main fermée sur l’objet) il reste présent jusqu'à 5-6 mois environ. A 6 mois, 90 % des enfants ont les mains en position ouverte le plus souvent. La coïn

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