Psychologie clinique et Psychopathologies plurielles - 2024-2025 (PDF)

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Université Toulouse-Jean-Jaurès

2025

David VAVASSORI, Magali BATTY, Sonia HARRATI, Nathalène SEJOURNE, Viviane KOSTRUBIEC, Lucie BOUVET, Jeanne KRUCK

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psychology clinical psychology psychopathology psychoanalysis

Summary

Ce document est un sommaire d'un cours de Psychologie clinique et Psychopathologies plurielles à l'université Toulouse 2, couvrant l'année 2024-2025. Il présente le programme, les chapitres et les principaux auteurs abordés, proposant une approche historico-clinique des théories psychopathologiques.

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PY00304T Psychologie clinique et Psychopathologies plurielles Sommaire Psychologie clinique et Psychopathologie Plurielle – 103 pages Responsable de l’UE : David VAVASSORI, Magali BATTY Première partie : Psychologie Cli...

PY00304T Psychologie clinique et Psychopathologies plurielles Sommaire Psychologie clinique et Psychopathologie Plurielle – 103 pages Responsable de l’UE : David VAVASSORI, Magali BATTY Première partie : Psychologie Clinique et Psychopathologie Clinique – 64 pages Sonia HARRATI, David VAVASSORI Deuxième partie : Psychopathologie : une approche multidimensionnelle – 37 pages Nathalène SEJOURNE, Magali BATTY, Viviane KOSTRUBIEC Avec la contribution de Lucie BOUVET et Jeanne KRUCK Les modalités de contrôle des connaissances, éventuellement indiquées dans le document sont données à titre indicatif, sous réserve de validation par les départements de l’Université. Elles sont donc susceptibles d’être soumises à modifications. Pour vérification, connectez-vous sur le site de l’Université https://www.univ-tlse2.fr/accueil/formation-insertion/inscriptions-scolarite/le-controle-des- connaissances UFR de psychologie UE 304 Psychologie clinique et Psychopathologie Plurielle (Cet enseignement se compose de deux parties) Responsable : - David Vavassori, Professeur en psychologie clinique et psychopathologie. - Magali Batty, Professeur en Psychopathologie développementale Année 2024-2025 1 Première partie : Psychologie Clinique et Psychopathologie Clinique Partie rédigée par : - Sonia Harrati, Professeur de Psychologie Clinique et Psychocriminologie Clinique - David Vavassori, Professeur de Psychologie Clinique et Psychopathologie 2 Sommaire CHAPITRE 1 : PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE 4 1.1. QUELQUES RAPPELS ET REPERES CONTEXTUELS 4 1.2. LES APPORTS DE LA PSYCHANALYSE A LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE 8 1.1. UNE PREMIERE THEORIE DU SENS : L’HISTOIRE, L’INFANTILE ET LE SEXUEL – ELEMENTS DE REVISIONS A CONNAITRE POUR APRREHENDER LA SUITE (NE SERA PAS EVALUE). 10 1.2. ASPECT METAPSYCHOLOGIQUE DE L’APPAREIL PSYCHIQUE 11 CHAPITRE 2 : LA CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE DU SYMPTOME 19 2.1. LA CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE DU SYMPTOME 19 2.1.1. LES CARACTERISTIQUES DU SYMPTOME 19  L’INERTIE DU SYMPTOME 19  LE SENS DU SYMPTOME 20  LA VALEUR DE SATISFACTION PULSIONNELLE DU SYMPTOME 20 2.2. LE TRAUMA ET LA CAUSALITE PSYCHIQUE 21 CHAPITRE 3 : PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE 24 3.1. DEFINITION DE LA PSYCHOPATHOLOGIE 25 3.2. DU NORMAL AU PATHOLOGIQUE 26 3.3. LES STRUCTURES DE PERSONNALITE ET LEURS EXPRESSIONS PATHOLOGIQUES 29 3.4. LA NEVROSE ET SES FORMES PATHOLOGIQUES 31 3.4.1. NEVROSE HYSTERIQUE 32 3.4.2 NEVROSE OBSESSIONNELLE 35 3.4.3. LA NEVROSE PHOBIQUE 38 3.5. LA PSYCHOSE ET SES FORMES PATHOLOGIQUES. 42 3.5.1. LA PATHOLOGIE PSYCHOTIQUE 44 3.5.2. LA SCHIZOPHRENIE 44 3.5.3. DELIRES CHRONIQUES SYSTEMATISES OU PARANOÏA 46 3.5.4. LES PSYCHOSES AFFECTIVES : LA PSYCHOSE MANIACO-DEPRESSIVE (PMD) 48 3.5.5. PSYCHOSES DELIRANTES AIGUËS OU BOUFFEES DELIRANTES 49 3.5. LA PERVERSION 51 CONCLUSION GENERALE  Pédinielli, (1994). Introduction à la psychologie clinique. Paris. Nathan.  Rabeyron T. (2018). Psychologie Clinique et Psychopathologie. Paris : Armand Colin.  Bokanowski, T. (2002). Traumatisme, traumatique, trauma. Revue française de psychanalyse, 66(3), 745–757. doi:10.3917/rfp.663.0745  Laplanche, J. Pontalis, J.B. (1967). Vocabulaire de la Psychanalyse. Paris. PUF. 1988, 9è’ édition.  Jung, J. & Camps, F. (2020). Psychopathologie et psychologie clinique: Perspectives contemporaines. Paris: Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.jung.2020.01  Vavassori, D., & Harrati, S. (2018). Psychologie Clinique au défi des symptômes contemporains – 10 fiches pour comprendre. Paris : In Press. 3 CHAPITRE 1 : PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE1 Ce cours s’inscrit dans une lecture historico-clinique, c’est à dire qu’il est construit à partir des éléments ancrés dans les découvertes et les apports de la psychanalyse et de la psychologie clinique depuis 130 ans. Pour comprendre les évolutions les plus actuelles (psychanalytiques et psychopathologiques), il est nécessaire de saisir les origines des concepts. Certains ont largement évolués, disparues et d’autres ont émergés au fil des recherches et constats cliniques. Nous attirons donc votre attention sur le fait que les théories et concepts présentés dans ce polycopier continus d’évoluer, ce qui est le propre de la clinique contemporaine et de la recherche. 1.1. QUELQUES RAPPELS ET REPERES CONTEXTUELS La psychologie clinique est un champ de la psychologie dont l’histoire est porteuse de controverses scientifiques et épistémologiques aux prises avec son contexte social. Ces controverses n’ont jamais cessé et viennent animer l’actualité de la psychologie et de la profession de psychologue. L’actualité de la psychologie clinique relève d’une conjonction entre l’évolution de notre profession et l’évolution historique de notre société dans son ensemble, une société moderne pouvant être qualifiée de complexe. Le psychologue clinicien comme le chercheur en psychopathologie clinique sont donc de plus en plus sollicités pour une mise en sens des urgences subjectives venant ébranler tout un chacun. Cependant, force est de constater que la position des psychologues dans le monde contemporain nous invite continuellement à une réflexion sur notre discipline, notre place, nos rôles et fonctions en son sein, réflexion à la fois épistémologique, éthique, clinique et politique. Cette place vient interroger les limites de notre champ de compréhension et d’intervention2. 1. La naissance de la psychologie clinique : rappel historique La psychologie clinique, fondée sur l’écoute et la subjectivité du patient dans le rapport à la souffrance psychique, est un champ récent de la psychologie, controversé du fait de son histoire et son inscription sociale, institutionnelle et politique. En effet, malgré son indéniable attraction, cette psychologie a résisté, et résiste encore, aux diverses épreuves subies. Pour comprendre la nature du débat qui caractérise la psychologie clinique contemporaine, il convient de prendre la mesure du clivage qui oppose une psychologie centrée sur l’objet, dite naturaliste cherchant à établir des lois générales du fonctionnement humain, à une psychologie centrée sur le sujet, proche des conceptions humanistes mettant l’accent sur l’approche individuelle et approfondie du sujet. 1 Vavassori, D., & Harrati, S. (2018). Psychologie Clinique au défi des symptômes contemporains – 10 fiches pour comprendre. Paris : In Press. 2 Voir l’ouvrage Vavassori, D., & Harrati, S. (2018). Psychologie Clinique au défi des symptômes contemporains – 10 fiches pour comprendre. Paris : In Press 4 Sur le plan historique, l’avènement de la psychologie clinique dépend d’au moins deux évènements majeurs : La première relève des impasses scientifiques de la psychologie du 19e siècle. Dominée par le modèle expérimental, cette dernière est placée devant un dilemme épistémologique fondamental : renoncer à l’étude de l’intériorité de la subjectivité et adopter les critères des sciences de la nature pour expliquer le comportement humain ou renoncer à l’idéal de rigueur et d’exactitude des sciences de la nature pour l’étude de la réalité humaine en considérant que cette dernière ne relève pas en totalité de l’ordre naturel3. Le second événement concerne la naissance de la psychanalyse. Dès le début de sa réflexion, Freud est l’un des premiers à utiliser l’expression de « psychologie clinique » dans sa correspondance avec Fliess (lettre à Fliess du 30 janvier 1899). « Maintenant », écrit-il : « que la connexion avec la psychologie telle qu’elle se présentait dans les études sort du chaos, j’aperçois les relations avec le conflit, avec la vie, avec tout ce que j’aimerais appeler psychologie clinique »4. L’ouverture freudienne incite Lagache et les autres fondateurs de la psychologie clinique (Favez- Boutonnier, Anzieu et bien d’autres encore) à créer simultanément une profession et une discipline des sciences de l’homme5. La célèbre conférence intitulée « Psychologie clinique et méthode clinique », prononcée par Lagache à la Sorbonne devant le groupe de l’Évolution psychiatrique en 1949, est souvent présentée comme l’acte fondateur de la psychologie clinique en France, parce qu’elle témoigne des débuts de sa constitution comme discipline universitaire débouchant sur une formation professionnelle. Nous ne reviendrons sur les détails de la définition6et même si elle est controversée, il faut souligner qu’en insistant sur l’intérêt d’une approche singulière, globaliste de l’humain, Lagache impose la nécessité d’une nouvelle démarche de construction du savoir, d’une autre façon de faire la « science de l’homme ». La psychologie clinique a pu ainsi s’émanciper en tant que discipline scientifique et pratique, tout en composant avec la psychologie expérimentale avec laquelle elle coexiste au sein des programmes de formation universitaire, ainsi qu’avec la psychiatrie dont elle partage l’approche psychopathologique et la dimension soignante7. Pourtant, les propositions de Lagache (1949) loin d’être consensuelles suscitent aujourd’hui encore de nombreux débats à propos de la définition, de l’objet et de la délimitation de la psychologie clinique. Si le terme de « clinique » traduit l’aspiration de cette psychologie à s’autonomiser de la philosophie et de la médecine, ce vocable souligne historiquement son ascendance avec le soin médical et/ou psychiatrique notamment lorsqu’il est référé à la méthode de diagnostic. Il comporte de fait une ambiguïté à l’origine de 3 Foucault, M. (1962). Naissance de la Clinique. Paris : PUF. 4 Freud, S. (2007). Lettre du 30 janvier 1899. In Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904. Paris : PUF. 5 Ohayon, A. (2006). La psychologie clinique en France. Éléments d’histoire. Connexions, 1 (85), 9-24. 6 Lagache, D. (1949). Psychologie clinique et méthode clinique. L’évolution psychiatrique, Vol(1), 155-178. 7 Chagnon, J.-Y. (2014). Introduction. Communication présentée au colloque « Actualité de la psychologie clinique. Une histoire en devenir », Villetaneuse, Paris. 5 plusieurs dissensions, épistémologique, éthique et pratique, avec pour incidence une diversité de définitions de la psychologie clinique. 2. La psychologie clinique au cœur des enjeux épistémologiques De nos jours, malgré la reconnaissance de la singularité et de l’autonomie de la psychologie clinique, sont à nouveau (re) mises en question sa définition, ses frontières avec d’autres disciplines, son statut scientifique par rapport à l’essor des neurosciences, sa reconnaissance sociale ainsi que les attentes ambivalentes dont elle fait l’objet. La diversité des définitions de la psychologie clinique témoigne que celle-ci peut être considérée en référence à son champ d’action et son contenu de formation, à une méthodologie ou à une attitude propre, ou encore comme un savoir, une science. Plus précisément, il n’est pas rare que dans les prises de position de tel ou tel psychologue, fût-il clinicien, elle se trouve assimilée soit à l’étude de certains cas cliniques (notamment dans le domaine de la pathologie mentale), soit à un certain type d’instrument (par exemple les épreuves projectives), soit à un modèle théorique (psychanalytique, systémique, comportemental...). Ce dernier point nous intéresse plus particulièrement car, au cours de son histoire, la psychologie clinique a cherché à assurer son contenu en se nouant à des corpus théoriques anciens et/ou prestigieux comme ceux de la psychiatrie, de la phénoménologie, de la psychanalyse, de la psychologie différentielle, des théories systémiques et, plus récemment, des sciences cognitives et des neurosciences. Il en résulte que ces oscillations entre différents modèles de pensée donnent à la psychologie clinique l’apparence d’un « fouillis » théorique, créent des apories définitionnelles et aboutissent à une confusion des sens et au morcellement. La psychologie clinique ne saurait se définir par référence exclusive à un modèle théorique au risque d’être taxée d’un enfermement doctrinal, ni même par référence à un éclectisme théorique au motif d’incompatibilités épistémologiques et cliniques supposées d’un modèle de pensée dit intégratif. Si telle ou telle définition est toujours récusée par tel ou tel clinicien, libre à chacun de choisir son modèle de pensée. Libre à chacun de choisir sur quel corpus théorique la psychologie clinique peut assurer son action. Par conséquent, cette élaboration est un moment nécessaire pour aboutir à une identité professionnelle. Pour nous, le terme de « clinicien » demeure l’élément fondamental de cette recherche d’identité professionnelle. Une recherche de sens et de signification s’avère essentielle car l’unité de signification est loin de se faire à la fois chez les étudiants et chez les psychologues, chacun d’entre eux donnant un sens manifeste personnel qui semble renvoyer au désir de chacun. Par ailleurs, le renforcement, depuis plusieurs années, du statut social du psychologue clinicien, la multiplication des champs nouveaux où il est appelé à intervenir - aujourd’hui et dans l’avenir - lui confère une spécificité professionnelle au travers de la polyvalence de ses attributions. Cette dispersion et cette diversification des champs d’intervention obligent le clinicien à s’interroger sur son identité professionnelle, sur ce qui définit son objet et fonde sa 6 démarche, indépendamment des lieux où elle s’exerce. Cette réflexion nous paraît garante de la validité d’une clinique psychologique, à la fois comme discipline scientifique et comme corps de pratiques professionnelles. Dans ce cours, nous soutenons que la psychologie clinique, étant donné son histoire, ses fondements épistémologiques, sa méthode, ses objets, sa posture clinique, est plus qu’une praxis pratiquée « au lit du malade ». Les particularités de la position clinique relèvent, quels que soient les outils du psychologue, de l’écoute du fonctionnement psychique du sujet à travers ses associations verbales et non verbales, mais également des propres associations du psychologue, associations coproduites dans le cadre et le dispositif concernés (Chagnon, 2014). Ce parti pris nous conduit à évoquer plus attentivement les rapports entre psychologie clinique et psychanalyse. C’est donc à travers cette posture clinique que les psychologues ont l’opportunité d’atteindre ce que le sujet a de plus singulier et de plus personnel en réalisant dans l’examen clinique une rencontre intersubjective qui ne réduit pas la perception d’autrui à ses expressions en les figeant dans des représentations. Ce lieu de rencontre est à concevoir, dans l’optique clinique, dans l’au-delà d’un technicisme social qui ne voit dans la psychologie - clinique - qu’un instrument au service du pouvoir dans ses multiples concrétisations institutionnelles. Voilà l’un des enjeux majeurs de la psychologie clinique psychanalytique contemporaine. 7 1.2. LES APPORTS DE LA PSYCHANALYSE A LA PSYCHOLOGIE CLINIQUE Sur le plan historique, l’invention de la psychanalyse est à l’origine de nombreuses ruptures épistémologiques qui ont contribuées à l’avènement aussi bien de la psychopathologie que de la psychologie clinique contemporaines. Ces deux sous-disciplines de la psychologie se sont autonomisées pour prendre acte de la conception de l’humain proposée par la psychanalyse (ou la phénoménologie) tout en continuant d’essayer de l’appréhender à partir d’une approche scientifique. La psychanalyse a ainsi contribué à donner naissance au nouveau paradigme de la psychologie clinique (Ohayon, 1999). En effet, certaines conceptions de la psychologie clinique et de la psychopathologie, empruntent pour une grande part leur corpus théorique à la psychanalyse. Elles exploitent ce que Freud a découvert – l’existence d’un ordre de causalité psychique, la fonction du symptôme dans l’économie subjective - et mis en œuvre dans sa pratique soit l’efficace de la parole. La psychanalyse, écrit Freud8« est le nom : 1) d’un procédé d’investigation des processus psychiques, qui autrement sont à peine accessibles ; 2) d’une méthode de traitement des troubles névrotiques, qui se fonde sur cette investigation ; 3) d’une série de conceptions psychologiques acquises par ce moyen et qui fusionnent progressivement en une discipline scientifique nouvelle ». Éclaircir la position de la psychologie clinique au regard de la psychanalyse devient fondamental, car si celle-ci s’y réfère, elle n’en est pourtant pas. Comme le souligne Missonnier9, c’est bien à travers un travail de séparation/individuation que la psychologie clinique trouvera son identité. Disons que la psychologie clinique d’orientation psychanalytique s’appuie sur plusieurs idées majeures empruntées à la psychanalyse à savoir : – La particularité ou le cas particulier aux dépens de l’idéal ou de la généralisation. – L’humain en tant que sujet de sa propre histoire, sujet de l’inconscient et de la causalité psychique. – La valeur de solution du symptôme, sa fonction dans l’économie subjective. – La théorie du fonctionnement mental et un modèle de pratique fondés sur l’associativité et le couple transfert-contre-transfert. De ces postulats peut découler le contenu de la psychologie clinique d’orientation psychanalytique. Si une telle définition intègre pleinement la pensée psychanalytique, elle ne peut néanmoins s’identifier à elle. 8 Freud, S. (1923). Psychanalyse et théorie de la libido. In Résultats, idées, problèmes : 2. Paris : PUF 9 Missonier, S. (2013). Genèse et enjeux épistémologiques de la psychologie clinique périnatale. Cahiers de psychologie clinique, 1 (40), 89-120. 8 La psychanalyse ne doit pas être confondue avec la psychologie clinique. Il s’agit de deux disciplines différentes. Néanmoins, leurs rapports apparaissent complexes. L’Université ne forme pas des psychanalystes, mais des psychologues cliniciens qui étayent sur la psychanalyse leur pratique et leur identité de clinicien. Pour Missonnier (2013), la psychologie clinique d’orientation psychanalytique offre au sujet un espace/cadre de rencontre visant la mise en sens de la conflictualité consciente et inconsciente inhérente à la vie à partir de l’écoute d’un autre, s’évertue de construire un sens partagé des obstacles intrapsychiques et intersubjectifs. Pour Favez-Boutonier, le principe d’une « clinique à mains nues » dans une situation « d’implication réciproque » est déterminant pour une psychologie clinique d’orientation psychanalytique. Dans cette perspective, la prise en compte de la complexité du sujet et de son environnement est centrale. Il s’agit « d’envisager la psychologie dans une perspective dynamique », de « considérer la vie humaine comme une histoire dans laquelle certaines forces produisent des mouvements » (Favez-Boutonnier, 1959). L’auteur affirme l’importance de la méthode biographique permettant au sujet de se réapproprier son histoire. Ici, se dessine l’intérêt d’un travail clinique au singulier basé sur les processus de transformation symbolisante et sur l’associativité des processus psychiques10. C’est pourquoi selon Roussillon (2009), l’attribut de « clinique » renverrait à « la mise au chevet des processus associatifs » narratifs, mais aussi des obstacles inhibiteurs. À l’instar de Missonnier (2013), nous soutenons dans ce cours une psychologie clinique se spécifiant, d’une part par l’analyse « de la réalité psychique consciente/inconsciente, subjective/intersubjective du sujet en situation sous ses formes individuelle/groupale, “normales”/“pathologiques” ». Dès lors, la psychologie clinique dispose de la possibilité d’entrevoir le sens d’une conduite à travers la modalité et la variété de ses expressions. C’est la posture clinique qui se trouve ici revendiquée par les psychologues cliniciens, en fonction de laquelle ils tentent de poser la spécificité de leur être professionnel. Qu’est-ce que la posture clinique, sinon une façon de procéder face au sujet qui implique toute une idéologie humaniste, un savoir-faire et un savoir-être intimement liés entre eux et au savoir clinique ? Ce savoir clinique est avant tout un savoir spécifique qui englobe l’idée de l’engagement de l’être entier du praticien vers son objet de connaissance qui est en même temps un sujet sur lequel il agit. 10 Roussillon, R. (2009). L’associativité. Libres cahiers pour la psychanalyse, 20 (2), 19-35. 9 1.1. UNE PREMIERE THEORIE DU SENS : L’HISTOIRE, L’INFANTILE ET LE SEXUEL – ELEMENTS DE REVISIONS A CONNAITRE POUR APRREHENDER LA SUITE (NE SERA PAS EVALUE). Cette partie est un support de révision dont les éléments doivent être acquis pour comprendre l’ensemble du cours. Le texte de 1905, Trois essais sur la théorie de la sexualité, inaugure la troisième phase de l’œuvre de Freud. A partir de ce texte important, souvent remanié et annoté par Freud, la théorie psychanalytique inscrit le rapport à la sexualité au centre de l’expérience humaine. Du même coup, Freud change la conception qu’on se faisait de la sexualité et de l’enfance. - La conception freudienne de la sexualité : Généralement la sexualité désigne les activités et le plaisir qui dépendent du fonctionnement de l’appareil génital. C’est un aspect particulier de la vie, un parmi d’autres. Selon les époques, la morale et la culture, la sexualité des adultes est cachée, secrète, ou explicite, ou exhibée. De toute façon, elle est cloisonnée dans des institutions sociales, comme toutes les activités humaines. A partir de l’expérience psychanalytique, Freud s’est rendu compte que l’expérience de plaisir ne se limitait pas à l’expérience sexuelle génitale, à partir de la puberté, mais se trouvait au centre de l’économie psychique, dès l’enfance. Toute une série d’excitations et d’activités procurent dès le début de la vie un plaisir qui n’est pas réductible à l’assouvissement d’un besoin physiologique. Ces plaisirs et activités pourront se composer ou se décomposer. Dans ce sens, la sexualité génitale apparaît comme une modalité particulière de réalisation du plaisir, modalité composée des différentes formes, très diversifiées, explorées pendant l’enfance. Au fond, Freud prend conscience que le sexuel n’est pas plus réductible au génital que le psychisme ne l’est au conscient. - La conception freudienne de l’enfance : Freud va bouleverser la conception de l’enfance de façon scandaleuse. Il révélera que l’enfant n’est pas aussi innocent qu’on le dit, qu’il est sexué et désirant, qu’il explore naturellement toutes les formes des plaisirs érotiques, même si son immaturité foncière ne lui permet qu’une sexualité partielle. La sexualité infantile devient dès lors déterminante pour la construction du psychisme et de la personnalité adulte, notamment comme source des névroses adultes. Freud présente donc une conception de l’enfant et de l’adulte où l’enfant est déjà adulte, prématurément, et l’adulte porte toujours en lui les effets de son enfance, « névrotiquement ». Ces deux étapes de la vie ne sont donc pas aussi séparées et étrangères l’une à l’autre. - Pulsions et pulsions partielles : Pour rendre compte à la fois des aberrations sexuelles et de la sexualité infantile, Freud (1905) introduit un concept majeur de la psychanalyse : la pulsion (Trieb). Il emploie ce terme pour l’opposer au terme classique « instinct » ou au terme « tendance ». C’est une poussée, dit-il, à la limite des domaines psychique et physique, donc à la fois physique et psychique, poussée qui à sa source dans une excitation corporelle localisée. Son but est l’apaisement d’une telle tension en mettant en oeuvre un comportement susceptible d’en permettre la décharge. L’intermédiaire par lequel la pulsion atteint son but est appelé objet. La dynamique de la pulsion est donc caractérisée par quatre termes : la poussée, la source, le but et l’objet. 10 Dès l’enfance, la source est variable dans le corps, selon un certain ordre : la bouche, l’anus, la musculature, les organes sexuels, et finalement le corps en totalité ou en partie peuvent être la source de la pulsion. Au début de la vie, les sources somatiques sont en rapport avec les besoins primaires et les progrès de la maturation. Freud parle de zones érogènes. La pulsion a ici un caractère typiquement écartelé et morcelé, elle est dite partielle. Les pulsions orales, anales… sont indépendantes les unes des autres. Le but est toujours la satisfaction, mais les modalités d’obtention sont très variables : incorporer, expulser, retenir, sucer, lécher, toucher, caresser et être caresse, regarder, se montrer, agir et dominer, être passif, être actif, introduire. La source et le but sont donc préférentiellement dès le début de la vie du côté somatique des compétences humaines. Par contre, la recherche de l’objet apte à réduire cette tension exige préférentiellement une participation nécessaire de l’activité psychique. L’objet est parfaitement substituable, interchangeable, selon les lois du psychisme naissant : un objet peut prendre la place d’un autre dans la réalité psychique. Le sein prend la place du lait, le regard de la mère prend la place du sein, sa voix peut être un objet de substitution, son odeur, un mouchoir même, ou un coin de drap de lit ou de teille d’oreiller. L’expérience de plaisir, tout en s’étayant, en s’appuyant sur les expériences de satisfaction concrète, se développe dès lors en circuit fermé, à l’intérieur du psychisme, avec une grande part d’auto-érotisme. Des parties du corps, des activités, des fonctions corporelles, sont prises comme objets et buts substitutifs. Cette vie pulsionnelle parut d’abord à Freud comme anarchique, puis il s’aperçut finalement qu’une organisation relative dirigeait 1’expérience infantile vers la sexualité génitale. II décrira cette organisation progressive en termes de stades. Selon la loi d’organisation du psychisme, ces expériences pulsionnelles privilégiées - stade oral, stade anal, stade phallique - appelées prégénitales, vont constamment se réorganiser et s’unifier dans une organisation génitale (stade génital). L’organisation génitale, vers laquelle semblent tendre les pulsions sexuelles humaines, se fait en deux temps séparés par la période de latence : la phase phallique, ou organisation génitale infantile et l’organisation génitale proprement dite qui s’institue à la puberté et se caractérise par le complexe d’oedipe et complexe de castration venant marquer la différence des sexes et la différence des générations. 1.2. ASPECT METAPSYCHOLOGIQUE DE L’APPAREIL PSYCHIQUE Dès le début de son oeuvre, Freud utilise le terme d’appareil psychique pour suggérer l’idée que le psychisme a un travail, une tâche à accomplir. Elle consiste en la transformation de l’énergie psychique ou libido. Ainsi, Freud conceptualise les phénomènes psychiques selon un triple point de vue : topique, économique, dynamique.  Le point de vue topique : Freud considère que l’appareil psychique est composé de différents systèmes qui coexistent et assurent chacun une fonction particulière. Freud décrit ainsi l’inconscient comme un lieu séparé de la conscience qui constitue l’essentiel du psychisme. Pour lui, il constitue le point de départ de tous les faits psychiques. Au cours de son œuvre, deux topiques vont se succéder sans pour autant se correspondre terme à terme. Dans un premier temps sa 11 conceptualisation s’appuiera sur l’opposition Conscient - Préconscient – Inconscient (1ère topique) à laquelle succédera à partir de 1920 celle du Ca – Moi – Surmoi (2ème topique). La première topique oppose l’inconscient au système préconscient-conscient. Selon ce modèle, l’inconscient, constitué des pulsions primaires et des désirs refoulés, est séparé du système préconscient-conscient par la censure, c’est-à-dire l’instance refoulante. Le refoulement est l’opération par laquelle le sujet cherche à repousser puis à maintenir dans l’inconscient des représentations mentales liées à une pulsion. Les contenus refoulés gardent toute leur activité et la dépense d’énergie pour éviter que le retour du refoulé soit important. Il est à la vie psychique ce qu’est la censure à la communication des informations. Dans certaines circonstances, ce qui a été refoulé activement peut revenir à la conscience au cours d’une interprétation par exemple ou d’un traumatisme. Le sujet a beaucoup de mal à accepter cette prise de conscience parfois très douloureuse. Elle lui paraît alors injustifiée, fallacieuse, intolérable, il s’efforce de s’en défendre. La seconde topique fait appel aux trois instances (ça, moi, surmoi) dont l’évolution, la fonction et les buts vont s’élaborer et se diversifier au cours des stades du développement psychoaffectif. Le système du Ca est le pôle pulsionnel de la personnalité ; réservoir de pulsions innées, il comporte aussi des éléments acquis qui ont été refoulés. Du point de vue économique, il est le réservoir de l’énergie psychique. D’un point de vue dynamique, il entre en conflit avec le Moi et le Surmoi. Le système du Moi est l’instance centrale de la personnalité. Son domaine est celui des perceptions et des processus intellectuels. Son rôle est l’auto-conservation. Le Moi reçoit des stimulations du monde extérieur ; il doit éliminer toutes celles qu’il juge excessives ou dangereuses pour l’unité de la personne. Le Moi fonctionne selon le principe de réalité, il correspond à la pensée objective, socialisée et rationnelle. Cette instance est surtout un médiateur entre le ça et le monde extérieur d’une part mais aussi entre le ça et le Surmoi (troisième instance psychique). Sa fonction de compromis est assurée par un certain nombre de mécanismes de défense, qui restent inconscients et dont la mise en oeuvre est déclenchée par l’angoisse née des conflits. Le système du Surmoi est la troisième instance psychique. On la décrit comme dérivée du Moi. Elle se forme par intériorisation des exigences et des interdits parentaux. Cette assimilation des forces répressives que l’individu a rencontrées lors de son développement, fait de ce système l’élément censeur et juge de la personnalité. En majeure partie inconscient, le Surmoi manifeste son existence dans le champ de la conscience morale, de l’autocritique, des interdictions, du système de valeurs. 12  Le point de vue économique : Freud postule que le fonctionnement de l’appareil psychique est soumis au principe de constance c’est-à-dire à la nécessité de maintenir aussi bas que possible la quantité d’excitations qu’il contient. Il est soumis à deux sortes d’excitations : ▪ Des excitations émanant de l’environnement, discontinues, auxquelles il lui est possible d’échapper. ▪ Des excitations provenant de l’intérieur de l’organisme appelées pulsions qui se manifestent comme une "force constante" à laquelle il est impossible de se soustraire. Au sens strict, les pulsions se manifestent sous la forme d’une représentation et d’une quantité d’énergie qui lui est attachée. Ainsi, on constate qu’il s’agit d’un concept limite entre le somatique et le psychique. Elle est constituée de quatre éléments : la poussée qui est le moteur de la pulsion ; le but soit la recherche de la satisfaction ; l’objet qui est ce à partir de quoi la pulsion peut atteindre son but ; la source soit un processus somatique qui est localisé dans un organe ou une partie du corps.  Le point de vue dynamique : Freud explique le trouble psychique par le conflit entre les forces de l’inconscient qui cherchent à se manifester et la répression qu’exerce sur elles le système conscient qui tend à s’opposer à cette manifestation. Le refoulement est le mécanisme par lequel sujet cherche à repousser ou à maintenir une représentation, un souvenir, lié à une pulsion à l’écart, à distance du conscient. Pour Freud, le principe de plaisir ne domine pas toute la vie psychique. Il considère que les phénomènes psychiques résultent de l’opposition de forces plus ou moins antagonistes c’est- à-dire du conflit existant entre les deux pulsions fondamentales, la pulsion de vie et la pulsion de mort. On constate ici que la notion de conflit se trouve au cœur de la conceptualisation freudienne. La psychanalyse le considère comme constitutif de l’être humain. 13  Processus primaires et secondaires C’est à partir de l’étude des mécanismes des rêves que Freud introduit le modèle de l’appareil psychique qui gère tout le fonctionnement psychique de l’homme. En rapport avec le point de vue topique, donc des systèmes articulés, soit dans un premier temps l’Inconscient et le Conscient, il énonce les deux principes qui gouvernent leur fonctionnement soit les deux modes de fonctionnement psychique : les processus primaires et secondaires. Les processus primaires : Ils caractérisent le fonctionnement du système inconscient. Contrairement à ce que la psychologie classique affirmait les processus inconscients ne sont pas caractérisés par l’absence de sens, mais par le glissement incessant du sens. Déplacement, condensation et surdétermination visent toujours à établir, par les voies les plus courtes, une identité de perception. Tout se passe comme si les processus primaires tentaient de retrouver une perception, une représentation identique de l’objet résultant de l’expérience de satisfaction. Tous les moyens sont bons pour établir cette identité représentative de l’objet qui procure la satisfaction. Primitivement ces objets sont évidemment liés à la sensorialité et à l’action dans l’expérience du nouveau-né. On trouve des traces de ce fonctionnement de l’appareil psychique dans beaucoup de symptômes névrotiques ou psychotiques, mais aussi dans l’activité psychique normale des enfants. Les processus primaires ne s’embarrassent pas des logiques rationnelles de la pensée consciente. Les processus secondaires : Ils caractérisent le fonctionnement du système conscient. Pensée vigile, attention, jugement, raisonnement, action contrôlée, s’opposent aux processus primaires. Ces processus secondaires tentent d’établir l’identité de pensée en modifiant l’identité de perception. La pensée s’intéresse aux voies de liaison entre les représentations, à leur articulation logique, dédaignant si possible leur intensité affective. Le langage et la symbolisation répondent à ces exigences. On pourrait dire que la pensée se plie aux lois de la grammaire et de la sémantique, incluant à la fois des différenciations de nomination (une chose est distinguée de telle autre) et de conjugaison (ce qui se passe aujourd’hui n’est pas la même chose que ce qui s’est passé ou que ce qui se passera). D’un point de vue dynamique ou économique, dans les processus primaires l’énergie s’écoule librement, passant sans entrave d’une représentation à l’autre, cherchant toujours à retrouver l’expérience hallucinatoire de la satisfaction primitive. Freud parlera plus tard de Principe de Plaisir. On peut remarquer que le jeune enfant est beaucoup plus que l’adulte sous l’emprise des processus primaires dans son fonctionnement normal; il cherche les satisfactions les plus immédiates, sans tenir compte de la réalité et de la logique sociale ou intellectuelle. La pensée enfantine est très proche de son vouloir. Il pense égoïstement ce qu’il désire, comme le rêveur, l’homme primitif et la névrose. Le désir ignore le temps et le langage, il ne peut attendre. Comme ses moyens techniques sont immatures, l’enfant ne peut les réaliser dans la vie de tous les jours; alors il les hallucine. C’est la voie la plus courte vers une satisfaction ou l’évitement de l’insatisfaction. Dans les processus secondaires au contraire, 1’énergie est toujours liée et s’écoule de façon contrôlée. Les représentations sont investies et articulées logiquement de façon plus stable. La satisfaction est différée, ajournée, permettant ainsi des expériences mentales et 14 sociales qui mettent à 1’epreuve les différentes voies de satisfaction possibles. Freud parlera plus tard de Principe de Réalité. On voit que les deux modes de fonctionnement sont la négation l’un de l’autre. L’appareil psychique est donc décrit comme dialectique (régit par deux principes contraires), incluant sa propre négativité. Le psychisme individuel est donc pris entre ces deux principes, ces deux exigences contradictoires, ces deux modes de fonctionnement. L’un cherche constamment les relations immédiates qui permettent la satisfaction, l’autre, niant cette exigence, cherche au contraire à établir des relations logiques, suspendant la satisfaction. L’homme est toujours pris dans la contradiction des processus primaires et des processus secondaires. 1.4. Aspect psychogénétique Le point de vue génétique envisage la construction du psychisme à partir du développement psychosexuel de l’enfant. Pour la psychanalyse, la sexualité́ est présente dès l’enfance et se transforme progressivement. La psychanalyse attribue au mot « sexualité́ » le sens élargi du mot allemand « lieben » qui signifie aimer. « Nous considérons comme appartenant au domaine de la sexualité́ toutes les manifestations de sentiments tendres découlant de la source des émois sexuels primitifs...» (Freud, 1916- 1917) La description de la sexualité́ infantile par Freud vers 1900 a provoqué une révolution intellectuelle et un scandale car Freud démystifie l’idée de l’innocence de l’enfant au sujet de sa sexualité́ : « Il est généralement admis que la pulsion sexuelle fait défaut à l’enfance et ne s’éveille que dans la période de la puberté. C’est là une erreur lourde de conséquen- ces, puisque nous lui devons l’ignorance où nous sommes des conditions fondamentales de la vie sexuelle.» (Freud, 1897) 1.4.1. Les stades libidinaux Le développement de la personnalité́ dans la théorie freudienne est conçu comme une succession de stades différents mais susceptibles de se chevaucher. La notion de stade repose sur l’idée d’une succession de différentes zones érogènes11(orale, anale, génitale) et d’une modification des relations objectales évoluant de l’auto-érotisme à l’hétéro-érotisme, de la sexualité́ prégénitale à la sexualité́ génitalisée.  Le stade oral: (0-1an) La relation symbiotique de l’enfant au sein maternel organise le premier stade de la vie affective autour de la fonction alimentaire. À ce stade, la zone érogène utilisée pour la recherche du plaisir est constituée par les lèvres, la langue et la cavité́ buccale. La satisfaction libidinale est étayée4 sur le besoin physiologique d’être nourri. À ce stade, le plaisir est 11 Zone érogène : région corporelle susceptible d’être le siège d’une excitation de type sexuel. 15 autoérotique. L’enfant n’est pas différencié́ du monde extérieur : il y a « indifférenciation Moi/non-Moi» et état «anobjectal». Le désir caractéristique du stade oral est l’incorporation orale des objets, qui sont des objets partiels5. Le nourrisson entretient avec ces « morceaux d’objets » une relation autoérotique dans le cadre du narcissisme primaire et une relation anaclitique6 (du grec, se coucher sur, s’appuyer) étant donné la dépendance totale du nourrisson à sa mère ou à son substitut nourricier. La fin du stade oral correspond au sevrage qui peut être une expérience traumatique susceptible de laisser des traces indélébiles.  Le stade anal : de 1 à 3-4 ans Le stade anal commence lorsque s’installe le contrôle sphinctérien, lorsque la défécation devient un acte que l’enfant peut commander. Ce contrôle sphinctérien apparaît avec la marche comme deux acquisitions ouvrant la voie vers l’indépendance. La muqueuse ano-rectale représente à ce stade la zone érogène, siège de toutes les sensations de l’érotisme anal. Le contenu intestinal joue un rôle d’excitant, devient un objet d’échange et d’expression symbolique. L’objet fécal, vécu par l’enfant comme une « partie de son propre corps » est « un cadeau » qu’il peut, soit donner et prouver ainsi son obéissance et son amour, soit refuser et prouver ainsi son hostilité. Ce stade est appelé sadique-anal pour marquer cette dimension relationnelle caractéristique. Le désir d’exercer son pouvoir sur l’entourage et non plus uniquement sur son corps propre s’ajoute au plaisir de contrôler. L’objet fécal, pouvant être soit expulsé à l’extérieur de son propre corps soit retenu à l’intérieur permet à l’enfant d’apprendre à distinguer un objet interne et un objet externe. La relation d’objet12 au stade anal est caractérisée par le sadisme, le masochisme, pourquoi, l’on parle de primat du « phallus ». Les psychanalystes différencient pénis et phallus : l’ambivalence, le couple actif-passif, le narcissisme, la bisexualité : – le sadisme : l’agression contre l’objet est chargée de plaisir ; – le masochisme : l’accès au plaisir est vécu passivement et dans la douleur ; – l’ambivalence : l’objet quand il est éliminé est détruit alors que l’objet retenu est gardé comme un bien précieux et aimé ; – le couple actif-passif : l’enfant expérimente dans sa relation à autrui les tendances opposées : dominer-être dominé/gentil-méchant, etc.; – le narcissisme : vocable issu du mythe de Narcisse qui désigne l’amour que le sujet se porte à lui-même. Le narcissisme est renforcé à ce stade car l’enfant éprouve un sentiment de puissance en s’opposant à son entourage et en conquérant une certaine indépendance ; – la bisexualité : Freud a mis en évidence la bisexualité humaine enracinée dans la phase anale du développement où le rectum est vécu à la fois comme un organe creux excité passivement et un organe expulsant activement les matières fécales. Karl Abraham (1877-1925) a différencié le sous-stade de réjection et le sous- stade de 12 Relation d’objet désigne le rapport du sujet au monde, qu’il soit interne ou externe. 16 rétention. – La phase expulsive est caractérisée par un plaisir autoérotique narcissique et par le sadisme : l’objet fécal expulsé est détruit et utilisé par l’enfant pour s’opposer à l’apprentissage de la propreté par ses parents. – La phase rétentive est caractérisée par la découverte du plaisir autoérotique masochique. Les selles procurent à l’enfant du plaisir qui est obtenu passivement et, par un acte conservatoire, l’enfant défie ses parents.  Le stade phallique après 3 ans Les conflits affectifs centrés sur l’analité sont remplacés par l’intérêt de l’enfant pour la zone génitale : zone érogène du stade phallique. Une certaine unification des pulsions partielles sous le primat des organes génitaux s’instaure. Les préoccupations de l’enfant pendant ce stade se concentrent sur la curiosité sexuelle, la fécondation, le coït et la naissance. – L’enfant manifeste une curiosité par rapport à la sexualité, la procréation, l’accouchement, les relations sexuelles des parents. La curiosité sexuelle infantile se focalise sur la « découverte » de la différence anatomique entre les sexes et la scène primitive. – Pour les deux sexes, l’organe mâle est l’organe génital au cœur des préoccupations : c’est le pénis désigne l’organe sexuel ou sa représentation figurée dans les fantasmes tandis que le phallus a une référence symbolique ; le phallus dans la doctrine freudienne est signification. Lacan désigne par phallus un signifiant qui renvoie à tout ce qui concerne l’instauration de la loi : le phallus introduit dans la relation de l’enfant à la mère un terme de médiation où s’ordonne la dialectique du sujet et de son désir.  Le conflit œdipien (cet aspect sera développer dans le chapitre 2) Le complexe d’Œdipe (entre 3 et 5 ans) pour les psychanalystes freudiens joue un rôle « d’organisateur central dans la structuration de la personnalité́ ». La façon dont le sujet traverse le complexe d’Œdipe influence son organisation psychique ultérieure sur le continuum de la santé mentale ou de l’organisation psychique névrotique. Dans les organisations psychiques psychotiques, les fixations prégénitales dominent et le conflit œdipien n’a pas été́ véritablement élaboré́. Le conflit œdipien est sexuellement spécifié́ et s’inscrit dans une problématique entre trois personnages : l’enfant, la mère et le père. Au cours du stade phallique, une nouvelle relation débute pour l’enfant qui, de duelle devient triangulaire. C’est le fameux triangle œdipien qui inaugure une véritable génitalisation de la libido.  La période de latence : de 6 ans à l’apparition des premiers signes pubertaires La période de latence constitue un entracte entre la sexualité infantile et l’organisation génitale adulte. L’enfant renonce à ses exigences œdipiennes et les sentiments se transforment 17 en tendresse. L’enfant se tourne vers le monde extra- familial. «La période de latence – de “dormance” pourrait-on dire en se référant à la dormance des graines végétales pendant laquelle la croissance est en veilleuse – cache en fait un feu pulsionnel qui couve et qui va s’embraser à la puberté.» (Jeanclaude, 2001) La période de latence est une période où n’intervient aucune organisation nouvelle de la sexualité. Cette période se caractérise par l’intérêt porté par l’enfant au monde extérieur. Elle se singularise par le développement de formations réac- tionnelles comme la honte, la pudeur, le dégoût. Elle peut être le point de départ de nombreuses névroses dues à des difficultés rencontrées par l’enfant dans la liquida- tion du complexe d’Œdipe. J. Bergeret (1974) parle de « silence évolutif » pour caractériser la période de latence qui contraste avec les changements de l’adolescence où « les possibilités évolutives » sont multiples sur le plan structurel. L’adolescence est une étape de développement affectif de l’individu où tout peut être remis en question.  La puberté et la phase génitale : 11-16 ans Cette période se caractérise par une maturation biologique des organes génitaux et correspond à une réactivation du stade phallique et des désirs correspondants : le refoulé œdipien fait « bruyamment » retour et vient troubler le jeune qui sort d’une période de tranquillité pendant la latence. L’adolescent dispose d’un corps capable de satisfaire tout ce qui avait été refoulé. La virulence des révoltes des adolescents répond à la réactivation œdipienne et à la flambée pubertaire. L’évolution libidinale se caractérise à l’adolescence par l’abandon des objets d’amour parentaux et le choix de nouveaux objets libidinaux. 18 CHAPITRE 2 : LA CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE DU SYMPTOME 2.1. LA CLINIQUE PSYCHANALYTIQUE DU SYMPTOME D’une manière générale, on aborde la question du symptôme comme renvoyant à une situation pathologique, une situation où le sujet ne peut vivre normalement, où il souffre. Le symptôme est ce dont le sujet se plaint, ce qui le fait souffrir et qui à l’occasion le pousse à consulter. Le symptôme se présente d’abord comme quelque chose qui est à supprimer. Le sujet consulte à propos de quelque chose dont il ne sait comment se débarrasser. Le symptôme se présente d’abord par sa face d’encombrement, d’inconfort. Sans conteste celui qui accueille cette souffrance doit chercher à la soulager. Seulement ce soulagement n’est pas simple à obtenir. Il existe une inertie du symptôme. Il tend à résister au traitement. Le symptôme est-il toujours source de souffrance ? Doit-il toujours être envisagé comme quelque chose qu’il faut absolument faire disparaître pour le bien du celui qu’il affecte ? 2.1.1. LES CARACTERISTIQUES DU SYMPTOME  L’inertie du symptôme Freud constate très vite que le malade n’a pas aussi formellement qu’il le prétend l’intention de renoncer à sa maladie. Il existe une inertie du symptôme, une butée à l’interprétation, une résistance du patient à voir disparaître son symptôme. Freud est conduit à introduire des remaniements à sa doctrine. Ils ont donné lieu à l’élaboration de la seconde topique dont les principaux articles sont : « Au-delà du principe de plaisir » (1921), « le moi et le ça » (1923), « le problème économique du masochisme » (1924), Inhibition, symptôme, angoisse (1926), et Malaise dans la civilisation (1930). Ces remaniements permettent de comprendre le problème posé par la complaisance du moi à l’égard du symptôme. Dans ses leçons d’Introduction à la psychanalyse, Freud envisage dans la Conférence 17 (« Le sens des symptômes ») et la Conférence 23 (« Les voies de formation du symptôme »), la valeur de message du symptôme et celle de la satisfaction paradoxale qu’il contient. Ainsi pour la psychanalyse, la face d’inconfort n’est pas la seule face du symptôme. Il en existe une autre qui constitue l’essence même du symptôme. Le symptôme n’est pas un accident. Freud a d’abord découvert que les symptômes étaient comme les rêves : des messages ; il a découvert ça chez des sujets qui parlaient avec leurs corps, disons, des morceaux de leurs corps. Mais en étudiant les sujets malades de leurs pensées, ceux qui ne peuvent pas s’empêcher de penser, il a découvert que le symptôme avait une valeur de jouissance. Il obéit à une logique précise et revêt une valeur de satisfaction. Ce que Freud a découvert et qui invalide aux yeux des psychanalystes au moins, toutes les promesses de guérison totale et rapide, c’est qu’il y a une satisfaction présente dans le symptôme. Une satisfaction qui est cachée. Une satisfaction qui, éventuellement, peut aussi faire souffrir. Le symptôme comporte une satisfaction inconnue. Le symptôme peut prendre le sens d’une satisfaction. 19  Le sens du symptôme Dans la psychanalyse, le symptôme a été conçu exactement sur le même mode et dans le même moule que l’ensemble formé par le rêve, le lapsus, l’acte manqué. Il a donc été abordé à partir de la supposition qu’un sens est là en attente d’être déchiffré et donc en lien avec le refoulement. On peut donc interpréter le symptôme. Il veut dire quelque chose au double sens de : il signifie quelque chose et il veut (volonté) dire autre chose. Il manifeste un vouloir dire à l’œuvre. Le symptôme apparaît comme sens refoulé, comme une énigme. Quelque chose ne peut pas se dire. Le symptôme est une formation de l’inconscient qui signe le retour du refoulé. La représentation refoulée doit, pour faire retour et être enfin acceptée par la censure, se substituer à une autre représentation anodine. Il faut qu’elle soit suffisamment déformée et énigmatique pour que la conscience puisse l’assumer (condensation et déplacement).  La valeur de satisfaction pulsionnelle du symptôme Un autre versant du symptôme s’est très vite imposé à Freud, l’idée d’une satisfaction à l’œuvre dans le symptôme (satisfaction substitutive). Freud montre que la recherche du plaisir n’est pas le but essentiel du fonctionnement psychique, il y a un Au-delà du principe de plaisir, une compulsion de répétition en lien avec la pulsion. Freud décrit un dualisme pulsionnel : d’un côté, les pulsions dites de vie, poussent au progrès ; d’un autre côté, des pulsions rétrogrades, dites de mort, poussent au rétablissement d’un état antérieur. La résistance du symptôme traduit le fait que le symptôme procure une satisfaction substitutive à celle qui n’a pas eu lieu du fait du refoulement. Sur un autre versant que celui du sens, celui de la libido, le symptôme vient à la place d’une satisfaction sexuelle qui n’a pas eu lieu, ou qui n’a pas pu se réaliser pleinement. Il constitue une suppléance à l’insatisfaction pulsionnelle (seconde topique freudienne). Pour Freud le symptôme ne s’interprète correctement que mis en relation avec un premier événement sexuel rencontre : le symptôme sert une satisfaction sexuelle, les voies qu’il emprunte pour cela varient, les détours sont multiples, mais en définitive une satisfaction s’obtient. Sur ce second versant, Freud fait donc valoir la dimension pulsionnelle en jeu dans le symptôme. Le symptôme apparaît donc comme une formation mixte, composite (substitution signifiante et satisfaction substitutive). 20 2.2. LE TRAUMA ET LA CAUSALITE PSYCHIQUE À travers le parcours de Sigmund Freud, le concept de traumatisme s’est vu remanié à de nombreuses reprises, conservant cependant une place centrale et déterminante au sein de la psychanalyse. Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que la théorie freudienne du traumatisme a subi trois avancées importantes au cours de son histoire : ▪ L’élaboration et l’abandon de la neurotica pour la théorie de l’après-coup, ▪ Le développement du point de vue économique du traumatisme, ▪ Les enjeux narcissiques du traumatisme. 2.2.1. L’élaboration et l’abandon de la neurotica pour la théorie de l’après-coup En 1895, dans Études sur l’hystérie et l’Esquisse, Freud postule que la majorité de ses patients, au cours du traitement, en viennent à se remémorer des expériences de séduction, vécues passivement et avec effroi, « pouvant aller de simples avances en paroles ou par gestes jusqu’à un attentat sexuel » (Laplanche et Pontalis, 1967, p. 436). L’auteur démontre comment ce type de traumatisme se produit nécessairement en deux temps, en après-coup. Dans sa première théorie (théorie de la séduction ou neurotica), celui-ci propose que tout sujet névrotique, lors de son enfance, ait réellement été victime d’une forme de séduction (agression) sexuelle imposée de l’extérieur par un adulte. Toutefois, dans sa lettre à Wilhem Fliess (1897), Freud avoue « ne plus croire » en cette proposition (neurotica), en raison de l’improbabilité du fait que toutes ses patientes aient véritablement subi un acte de séduction de la part d’un parent. Dès lors, pour Freud, ce n’est plus la scène de séduction (réelle) qui est l’organisateur principal de la névrose, mais plutôt le fantasme de celle-ci. Le fait nouveau, souligne-t-il, est que les hystériques fantasment certaines scènes vécues comme traumatisantes et qu’il « est donc nécessaire de tenir compte, à côté de la réalité pratique, d’une réalité psychique » (Freud, 1914, p. 275). Ainsi, selon cette seconde théorie du traumatisme (théorie de l’après-coup), deux temps sont à considérer. Premier temps celui de l’avant-coup, un enfant subit un acte, par exemple sous la forme de soins corporels, qui sera écarté de la conscience grâce au refoulement. Puis, le second temps, l’après-coup, survient après la puberté alors qu’une scène analogue au traumatisme originel réactive le souvenir de la première scène et lui confère sa connotation sexuelle traumatique. Charbonnier (2007) précise que c’est donc la façon par laquelle le psychisme compose avec l’évènement premier qui définit, dans ce cas, la nature traumatique de l’expérience et qui permet au refoulé de faire retour dans le préconscient et de se manifester sous forme de symptômes. 2.2.2. Le développement du point de vue économique du traumatisme Par la publication de son texte « Au-delà du principe de plaisir » (1920), Freud introduit et remanie bon nombre des assises conceptuelles et théoriques de la psychanalyse. Il développe la notion de membrane « pare-excitante » qui non seulement protège l’appareil psychique par l’amortissement des excitations en provenance de l’extérieur, mais permet aussi un travail psychique, un emmagasinement des quantités pulsionnelles. A partir de ce moment, le phénomène est compris comme une effraction de la membrane pare-excitante, une rupture de la barrière de défense, par un manque de préparation de l’appareil psychique, celui-ci n’arrivant pas à lier et à transformer un phénomène quantitativement trop important. Freud (1920) rappelle que c’est l’absence d’angoisse signal, 21 supposant préparer l’appareil psychique à d’éventuels dangers ou surcharges quantitatives, qui mène à l’effraction traumatique de la barrière pare-excitante. Lorsqu’il y a traumatisme, le Moi, impréparé, se voit vulnérable par rapport à l’effraction quantitative, d’origine externe ou interne, et devient submergé par l’effroi (schreck). Le principe de plaisir est mis en échec et l’appareil psychique s’efforce de « se rendre maître de ces excitations, d’obtenir leur immobilisation psychique d’abord, leur décharge progressive ensuite » (Freud, 1920, p.302). Le sujet est sidéré, médusé, et n’arrive pas à s’approprier correctement ce à quoi il est confronté. Puis, le défaut de mise en sens laisse toute la place à la compulsion de répétition comme tentative de maîtrise de cette expérience désorganisantes (souvenirs traumatiques, cauchemars, etc.). Somme toute, à cette époque, Freud conçoit le traumatisme comme un trop-plein, « un afflux d’excitations qui est excessif, relativement à la tolérance du sujet et à sa capacité de maîtriser et d’élaborer psychiquement ces excitations » (Laplanche et Pontalis, 1967, p. 499). Mais la genèse du traumatisme peut parfois être difficilement identifiée puisqu’elle ne renvoie pas systématiquement à un unique évènement grandiose ou spectaculaire tel un attentat terroriste ou un désastre naturel ou humain. Thierry Bokanowski (2002) met l’accent sur le fait qu’en réaction à l’effraction traumatique s’installe un type particulier d’aménagement psychique ayant des effets « en positif », qui cherchent à répéter l’expérience traumatique dans le but, jamais atteint, d’arriver à la maîtriser ou à lui donner un sens (Freud, 1939). 2.2.3. Les enjeux narcissiques du traumatisme Finalement, en 1926, dans « Inhibition, symptôme et angoisse », Freud propose un lien entre le traumatisme et la perte d’objets ou figures relationnelles significatives. Puis, dans « Moïse et le monothéisme » (1939), il affirme que les expériences originairement constitutives de l’organisation de la psyché, comme nos premières relations aux parents, peuvent entraîner des atteintes précoces du Moi et des blessures narcissiques qui entachent le développement d’un sentiment d’exister en tant qu’être total et intègre. C’est d’ailleurs principalement ces idées qui seront reprises et détaillées par Sándor Ferenczi, comme nous l’exposerons dans la section qui suit. Dans les années 1920, Sándor Ferenczi reprend la notion du trauma sexuel de la première théorie freudienne et décrit les effets sur la psyché d’une quantité d’excitation sexuelle vécue trop prématurément par l’enfant. L’auteur remanie aussi les idées avancées par Freud après le tournant de 1920, en insistant cette fois sur le rôle de l’objet réel, notamment en soulignant les effets du déni ou de la disqualification de la souffrance traumatique de l’individu. Ainsi, bien que Ferenczi ait élaboré une théorie complexe de la confusion des langues (1925) pouvant s’instaurer dans le rapport entre le parent et son enfant. La « Confusion des langues » de Ferenczi est l’un des textes de référence pour les conceptions contemporaines du traumatisme. 22 2.2.4. Le traumatisme aujourd’hui Aujourd’hui on peut distinguer 2 types de ou deux catégories de traumatismes (Bokanowski,2017) : - Les traumatismes qui sont organisateurs et qui vont s’avérer être en lien avec les troubles des processus secondaires dans le fonctionnement psychique : inhérents à la constitution de la psyché, ils sont organisateurs du fait qu’ils n’entravent pas les possibilités du fonctionnement psychiques. Ils sont le plus souvent secondaires à une perte objectale ou d’ordre narcissique dont le deuil ou le dépassement n’ont pu être possibles pendant l’organisation psychosexuelle de l’enfance. Les traumatismes organisateurs sont le plus souvent en lien avec un événement datable de la vie psychique, l’apparente réalité du traumatisme est souvent associée à un sentiment d’irréparable (en lien avec des ruptures, déceptions ou à un abandon). - Ils se différencient des traumas dont le fonctionnement perturbe gravement l’organisation de l’économie pulsionnelle et de la symbolisation ; ils sont d’autant plus désorganisateurs qu’ils sont précoces (quelques fois avant l’acquisition du langage). Ils sont en lien avec une qualité défaillante d’un objet approprié (la mère ou son tenant lieu), lequel n’est pas en mesure sur le plan psychique d’être suffisamment disponible pour recevoir et surtout transformé, les projections d’un psychisme en voie de développement. Ainsi, lorsque l’investissement maternel s’est avéré déficiant - en raison d’une dépression, d’un deuil interminable, d’une « phobie du toucher », etc. – l’insuffisance de contenance de l’objet primaire ne permettant pas à l’enfant de métaboliser les décharges pulsionnelles. Les éléments présentés ci-dessus restent très succincts pour traiter la question fondamentale du traumatisme en psychopathologie et seront développés en master, cependant ils permettent de vous donner des repères afin d’aller plus avant si vous le souhaitez. Bibliographie conseillée :  Bokanowski, T. (2002). Traumatisme, traumatique, trauma. Revue française de psychanalyse, 66(3), 745–757. doi:10.3917/rfp.663.0745  Laplanche, J. Pontalis, J.B. (1967). Vocabulaire de la Psychanalyse. Paris. PUF. 1988, 9è’ édition.  Jung, J. & Camps, F. (2020). Psychopathologie et psychologie clinique: Perspectives contemporaines. Paris: Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.jung.2020.01 Foucault M. (1954). Maladie mentale et psychologie. Paris. PUF. Freud S., (1895), Etudes sur l’hystérie, Paris, PUF, 1992, 11 ème édition Freud, S. (1915-1917). Introduction à la psychanalyse. Paris. Pavot. 1961. 2e édition. Freud, S. (1915). Névrose, Psychose et Perversion. Paris. P.U.F. 1995. 9éme édition. Freud S., (1920), Au delà du principe de plaisir, In Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, Freud, S. (1923). Psychopathologie de la vie quotidienne. Paris. Payot. 1981.  Marty, F. (2017). Les grands concepts de la psychologie clinique. Paris : Dunod. Ménéchal, J. (1997). Introduction à la psychopathologie. Paris : Dunod. Ohayon, A. (1999). L’impossible rencontre. Psychologie et psychanalyse en France. 1919-1969. Paris : La découverte.  Pédinielli, (1994). Introduction à la psychologie clinique. Paris. Nathan.  Rabeyron T. (2018). Psychologie Clinique et Psychopathologie. Paris : Armand Colin. Samacher, R. et al. (1998). Psychologie clinique et psychopathologie. Paris : Bréal. 23 CHAPITRE 3 : PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE (A lire absolument pour cette partie : La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ? François Gonon ; que vous trouverez directement sur la plateforme Iris ou sur internet) Pour rappel avec les cours de L1, de nombreux auteurs s’intéressant à la psychologie clinique ont tendance à différencier celle-ci de la psychopathologie. Dans la pratique, en France, les psychologues cliniciens travaillent pour une grande part auprès de personnes présentant un trouble mental ou du moins un état de souffrance nécessitant un accompagnement psychologique. Il existe alors une psychologie clinique appliquée à la pathologie mentale comme il existe une psychologie clinique appliquée à d’autres domaines (groupes, communications, développement). Dans les définitions que nous allons présenter, il y a peu de différences de structure entre une partie de la psychologie clinique et la psychopathologie. D’ailleurs, la définition de Lagache est éclairante : « La psychopathologie met en œuvre toutes les méthodes psychologiques possibles, et elle les applique à des hommes vivants, pour lesquels les plus grandes réalités humaines, la vie et la mort, la santé et la maladie, la liberté et la détention, l’amour et le travail son en jeu ». Cette partie du cours est empreinte de l’histoire de la psychopathologie en tant que discipline et bien entendu du cadre psychologique dans lequel elle est enseignée. Pour nous, la psychopathologie est la « psychologie du pathologique », entendez ici l’étude, la théorie psychologique, des formes de souffrances qu’elles que soit leurs causes (Pedinielli, 2002). La notion de psychologie du pathologique désigne l’analyse psychologique du fait pathologique (ou de la dimension psychologique du fait pathologique). La psychopathologie s’appuie donc sur des situations concrètes d’interactions avec des sujets présentant une souffrance et produit une interprétation, venant alimenter les connaissances en psychopathologie. L’analyse des phénomènes pathologiques comporte deux niveaux complémentaires : - Le premier a trait à la description des aspects psychologiques des faits pathologiques comme les angoisses, les troubles de la perception, du raisonnement, les hallucinations…la description d’un trouble consiste alors à trouver les phénomènes concrets qui permettent de le reconnaître, d’en dresser un portrait, que l’on se situe au niveau de l’apparence (comme dans la sémiologie psychiatrique) ou des processus inconscients (description des formes d’angoisses et des mécanismes de défense pour la psychanalyse par exemple) (Pedinielli, 2002). - Le second niveau concerne les théories explicatives psychologiques des troubles. L’explication vise à fournir une origine (étiologie) qui répond à la question pourquoi ? et les mécanismes (pathogénie) qui répondent à la question comment ? (Pedinielli, 2002). En tant qu’introduction à la psychopathologie, ce cours à d’ailleurs comme ambitions de présenter principalement les aspects descriptifs et pathogéniques de la névrose et de la psychose. 24 La psychopathologie tout en étant une discipline interprétative, s’appuie sur des descriptions qui permettent de distinguer les troubles entre eux, elle reste donc une discipline concrète, pratique et clinique. La psychopathologie clinique est l’outil qui nous permet de relever, d’analyser et d’interpréter des éléments qui s’échangent dans la relation avec le sujet (effets de transfert et de contre-transfert). Le savoir psychopathologique ne s’applique pas au sujet de manière dogmatique, il correspond à des questions, des hypothèses, des analogies que fait le clinicien et qui permettent d’entendre d’autres dimensions dans le discours du sujet. Faire de la psychopathologie clinique c’est se donner les moyens de susciter le discours du sujet, de s’interroger sur sa logique et de l’interpréter. 3.1. DEFINITION DE LA PSYCHOPATHOLOGIE Classiquement, une discipline scientifique se définit à partir de son objet d’étude, ses méthodes, son histoire et son champ d’application. La définition varie aussi en fonction du cadre de référence choisi par les différents auteurs. De nos jours, la psychopathologie est l’objet de définitions multiples, dont le dénominateur commun est le suivant : - « il s’agit de l’étude des troubles mentaux, des maladies mentales, du fonctionnement mental anormal, soit encore de la psychologie des conduites pathologiques. Elle envisage les phénomènes de l’activité psychique morbide du point de vue de leur description, de leur classification, de leurs mécanismes et de leur évolution » (Samacher et al. 1998). Parmi les auteurs contemporains Pedinielli (1994) considère que la psychopathologie fait partie de la psychologie clinique qu’il définit comme : - « la sous-discipline de la psychologie qui a pour objet l’étude, l’évaluation, le diagnostic, l’aide et le traitement de la souffrance psychique, quelle que soit son origine ». Pedinielli ne distingue pas psychologie clinique et psychopathologie, tandis que Ménéchal considère que la psychopathologie fonde la psychologie clinique. En revanche, chacun d’eux leur assigne le même objet : la souffrance psychique (Capdevielle, Doucet, 1999). La psychopathologie est donc définie par « son champ d’étude » qui est le même que celui de la psychiatrie. Cependant, les buts et les moyens diffèrent. Le but de la psychopathologie est la compréhension et la connaissance ; celui de la psychiatrie est la thérapeutique, la prophylaxie et la réadaptation. Les moyens de la psychiatrie ne sont pas seulement psychologiques, mais aussi médicaux, biologiques, etc. La psychopathologie « fait appel à l’ensemble des cadres de références et des disciplines (psychiatrie, psychologie, psychanalyse, sociologie, anthropologie, linguistique, psychopharmacologie, neurobiologie, …) susceptible d’apporter des éléments de connaissance sur la maladie mentale et les dysfonctionnements psychiques sous tous leurs aspects » (Capdevielle, Doucet, 1999). L’opposition entre décrire et interpréter (ou expliquer) possède des effets sur la manière de classer les états pathologiques. Il est faux de penser que la psychopathologie clinique répugne aux classifications : elles y sont omniprésentes. Mais deux types peuvent être opposés : 25 - Les classifications syndromiques fidèles à l’aspect médical qui décrivent les phénomènes pathologiques à partir des éléments observables de l’extérieur et de leurs fréquences d’association. Ainsi l’état dépressif pourra être décrit à partir de la présence de la tristesse, de pessimisme, de ralentissement psychomoteur, d’idées de suicide et d’insomnies et/ou d’anorexie… l’association de ces troubles formes alors l’épisode dépressif. Ce type de classification syndromique (ou taxinomique) correspond aux classifications internationales (CIM-10, DSM IV). - Les classifications étio-pathogéniques quant à elles classent les troubles à partir des mécanismes ou des conflits qu’on estime à leur origine. On estimera que par opposition aux névroses qui reposent sur le refoulement, les psychoses sont liées à une défense comme le déni de la réalité, la projection, le clivage pour lutter contre des angoisses de morcellement liées à une relation d’objet fusionnelle. La classification repose ici sur un phénomène interprété, difficile à percevoir, ce qui lui confère une dimension spéculative (Pedinielli, 2002). 3.2. DU NORMAL AU PATHOLOGIQUE La psychopathologie pose de façon cruciale la question du normal et du pathologique. Elle ne peut se concevoir indépendamment d’une réflexion sur la maladie mentale et sur son rôle dans la société. Désigner la maladie mentale conduit à prendre position sur la place laissée à la déviance et à la marginalité dans les conduites humaines et à délimiter les contours subjectifs du normal (Foucault, 1954). La psychopathologie décrit cet espace de pensée entre la reconnaissance de la maladie mentale, externe à la raison, et à la compréhension du trouble psychique du sujet qui fait appel à la communauté de l’humain. Elle est en permanence située dans un mouvement d’inclusion/ d’exclusion, entre neutralité et jugement, elle est à la frontière de la bienveillance et de l’observation scientifique. Elle se situe donc entre le biologique et le politique, entre l’inscription génétique différenciée du sujet, et de ses choix intersubjectifs d’alliance et de séparation (Ménéchal, 1997). La question de la normalité est très connotée par des considérations idéologiques personnelles. Il est donc très important de se montrer extrêmement prudent si l’on veut avoir accès à un jugement pertinent. Encore une fois la perception du normal et du pathologique est assujetti au contexte social, économique et culturelle dans lequel nous évoluons en tant que clinicien, mais surtout au contexte dans lequel a évolué et évolue le sujet. Quand pouvons-nous dire que nous sommes dans le pathologique ou non ? Deux grandes conceptions existent : 1) Le point de vue discontinuiste, correspond à une opposition nette du normal et du pathologique. La normalité est conçue en tant que concept statistique ou en tant qu’absence de maladie. L’approche discontinuiste oppose le normal et le pathologique et correspond à un point de vue médical où des maladies comme la schizophrénie sont considérées comme qualitativement différentes de la normalité ou de santé mentale. 2) Le point de vue continuiste, la maladie et la santé constituent un continuum qui part de la normalité et se termine avec les formes les plus graves de la pathologie mentale. La psychanalyse a contribué au développement de cette notion de continuité. Freud a montré 26 qu’il n’existait aucune coupure, aucun hiatus entre des fonctionnements psychiques considérés comme « normaux » et le fonctionnement de type névrotique. L’impossible séparation est affirmée par Freud (1940) quand il écrit dans l’Abrégé de psychanalyse, qu’il était « impossible d’établir scientifiquement une ligne de démarcation entre états normaux et anormaux ». De nombreux psychologues cliniciens, psychiatres acceptent aujourd’hui l’idée d’un continuum de changements imperceptibles conduisant d’un fonctionnement efficace à une désorganisation sévère de la personnalité. Sur ce continuum, un comportement est conçu comme pathologique lorsqu’il représente une déviance sociale ou lorsqu’il s’accompagne de la part de la personne qui le manifeste de témoignages de souffrance ou de détresse et enfin, lorsqu’il engendre un handicap psychologique (Goldstein et al., 1986). Dans le domaine de la psychopathologie de l’enfant, Ajuriaguerra et Marcelli (1982) soulignent que le normal et le pathologique ne doivent pas être considérés comme distincts l’un de l’autre. Les champs du normal et du pathologique s’interpénètrent : « un enfant peut être pathologiquement normal » (enfants conformistes, enfants hyper matures) ou « normalement pathologique » (phobies de la petite enfance, conduites de ruptures à l’adolescence, …). Marcelli et Braconnier (1984), dans Psychopathologie de l’enfance montrent que la question du normal et du pathologique se pose avec acuité à l’adolescence. Les critères sur lesquels se fonde la notion du normal et du pathologique sont tous mis en échec : la norme statistique ou sociologique et la normalité opposée à la maladie. Même si les approches discontinuiste et continuiste sont en opposition de par leur perception du normal et du pathologique, il n’en reste pas moins un désir commun d’identifier le moment, la période ou un sujet perd sa capacité d’adaptation et son homéostasie psychique. La diversité des approches du normal et du pathologique témoigne de la complexité de ces concepts clés en psychopathologie et en psychologie clinique. Les débats qu’engendre la définition des concepts de normal et de pathologique ont une grande valeur heuristique. Ils contribuent au développement de nos connaissances concernant les troubles psychopathologiques et plus particulièrement, dans les domaines du diagnostic, de l’évolution, du dépistage des personnes à risque et de la prévention. Ces débats ont contribué à la constitution du champ de la psychopathologie et de celui de la psychologie clinique. 27 Bibliographie Ajuriaguerra, J., Marcelli, D. (1982). Psychopathologie de l’enfant. Paris : Masson. Beauchesne, H. (1986). Histoire de la psychopathologie. Paris : PUF. Bergeret, J. (1985). La personnalité normale et pathologique. Paris : Masson. Besançon, G. (1993). Manuel de psychopathologie. Paris : Dunod. Canguilhem, G. (1966). Le normal et le pathologique. Paris : PUF. Goldstein, M. J., Baker, B.L., Jamison, K.R. (1986). Abnormal psychology. Boston : Little Brown and Compagny. Harrati S., Vavassori D, Villerbu L., (2009). Délinquance et Violence, Collection 128, Armand Colin : Paris. Freud, S. (1940). Abrégé de psychanalyse. Paris : PUF, 1973. Ionescu, S. (1995). Quatorze approches de psychopathologie. Paris : Nathan Université. Marty, F. (2017). Les grands concepts de la psychologie clinique. Paris : Dunod. Ménéchal, J. (1997). Introduction à la psychopathologie. Paris : Dunod. Pedinielli, J.L., Bertagne, P. (2002). Les Névroses. Collection 128. Paris : Armand Collin. Roussillon R. et al. (2007) Manuel de psychologie et de psychopathologie clinique générale. Paris : Masson. Samacher, R. et al. (1998). Psychologie clinique et psychopathologie. Paris : Bréal, 35-44. 28 3.3. LES STRUCTURES DE PERSONNALITE ET LEURS EXPRESSIONS PATHOLOGIQUES Être psychologue clinicien, c’est rencontrer des sujets, qui se trouvent en plus ou moins grande souffrance et qui vont réagir plus ou moins bien à l’aide que l’on peut leur proposer. Il est extrêmement difficile de prévoir comment les patients vont évoluer. Le recours à la notion de structure psychique du sujet est une aide pour penser l’état actuel du patient et son devenir. Pour « penser la structure psychique », le clinicien se pose un certain nombre de questions : concernant les enfants, est-ce que le potentiel d'évolution est sauvegardé ? Quelle est la structure de base ? L'organisation va-t-elle pouvoir s'enrichir ? Il s'agit d'apprécier les capacités et les compétences qui soutiennent les acquisitions. À propos des enfants plus grands, des adolescents et des adultes, on s’interroge, quand ils amorcent une décompensation13 (c'est-à-dire qu’ils expriment une souffrance, décrivent des symptômes gênants) sur le type de pathologie qu’ils risquent de développer. C'est en vue d'apporter des éléments de réponse à de telles questions pratiques que l'analyse clinique et conceptuelle de la structure psychique apparaît utile. De plus, la confrontation à l’incompréhension du fonctionnement psychique, nous conduit cliniciens et chercheurs, à une tentative de représentation, d’abstraction de la dynamique intrapsychique afin de pouvoir en retranscrire le fonctionnement. Les modèles structuralistes jouent se rôle quel que soit leurs origines. La structure psychique Freud est parmi les premiers à avoir proposé un modèle de compréhension de la signification fonctionnelle des symptômes névrotiques qui privilégie le milieu et le développement affectif de l'individu sur l'équipement biologique. Ces symptômes ne seraient que la représentation ou la fixation de l'angoisse liées à l'équilibre de trois instances (le ça, le Moi et le Surmoi) organisés en fonction de la maturation affective de la personnalité. Cette théorie dite psychodynamique, révolutionnaire à l'époque, est toujours actuelle tout en ayant intégré les connaissances cliniques et scientifiques actuelles. Même si celle-ci a été écartée pour la description des troubles mentaux dans les dernières versions des grandes classifications internationales (DSM V, CIM 11), elle reste cependant importante dans la compréhension des symptômes contemporains dont l’étiologie est au croisement de l’histoire individuelle, collective et du contexte sociétal dans lequel elles s’actualisent. En fait, beaucoup de cliniciens défendent une lecture psychodynamique comme un modèle théorique explicatif et compréhensif qui a une valeur dans ses applications pratiques. C'est donc à chaque clinicien de faire fonctionner ce modèle en fonction des situations cliniques rencontrées. Selon Bergeret (1986), la structure de personnalité organise l’articulation des mécanismes intrapsychiques (mécanismes de défense, conflits, angoisses, positions libidinales, relations d’objet) et l’apparition des phénomènes pathologiques (symptômes et signes concrets de celle-ci). Stable et définitive, elle peut ne jamais décompenser et exister sans symptômes et signes pathologiques. En d’autres termes, le modèle structural de Bergeret 13 La décompensation est la rupture d’un équilibre. Dans certaines maladies, des troubles qui existent potentiellement, peuvent être pendant un certain temps « compensés ». Leurs conséquences néfastes n’apparaissent pas, du fait de défenses qui les équilibrent. Lorsque les défenses tombent, l’équilibre est rompu, le trouble va se manifester, la maladie sera « décompensée ». La décompensation psychique est une crise qui marque l’effondrement des mécanismes de défense habituels d’une personne confrontée à une situation affective nouvelle et insupportable. La déficience psychique originelle se manifeste alors d’une façon aiguë révélant la fragilité du moi et les effets des carences affectives ou des tendances psychotiques. 29 distingue deux grandes structures du fonctionnement psychique : névrotique et psychotique ; et une catégorie dite « astructuration » : les états limites (Rabeyron, 2018). Selon ce modèle, la structure de personnalité se constitue dans les premières années de la vie et existe chez chacun, « sujet malade ou sujet sain ». Toutefois, si le sujet est soumis à de trop fortes difficultés internes et/ou externes, on peut assister à une décompensation selon un schéma préétabli. Elles ont en commun leur incapacité à rétablir l'équilibre perturbé autrement que par voie régressive (et non progressive : développement, réorganisations créatives, etc.). C'est donc leur ancrage libidinal profond qui justifie l'individualisation des structures psychiques de base. L'évolution libidinale plus tardive installe des modalités supplémentaires de fonctionnement qu'on peut désigner comme organisations. Ainsi la névrose est une structure, mais l'obsession, la phobie ou l'hystérie peuvent être considérées comme des organisations. Structure Instance Angoisse Mécanisme de Relation Dominante défense d’objet Névrose Surmoi Castration Refoulement Génitale Psychose Ça Morcellement Déni Fusionnelle Etats-Limites Idéal du Moi Perte d’objet Clivage Anaclitique Tableau récapitulatif des repères cliniques pour l’analyse structurale (Bergeret) L’analyse structurale nous conduira alors dans le cadre d’une étude de cas à investiguer après le recueil des symptômes (manifestations évoquées par le patient) la nature de l’angoisse, les mécanismes de défense, le type de relation d’objet mise en œuvre. Ces trois niveaux permettant de dégager des hypothèses quant à la structure du sujet (psychotique, névrotique, perversion, états-limites). Une autre contribution française à la psychopathologie structuraliste est apportée par Lacan. Celui-ci insiste sur l’importance du langage qui structure l’inconscient : « l’inconscient fonctionne comme un langage structuré ». Dans Les Formations de l’inconscient, Lacan (1956-1957) écrit à ce sujet : « Il y a une structure homogène dans les symptômes, les rêves, les actes manqués et les mots d’esprit. Il s’y joue les mêmes lois structurales de condensation et de déplacement3 qui sont les lois de l’inconscient. Ces lois sont les mêmes que celles qui créent le sens dans le langage. » Une des thèses importantes de Lacan est que les mécanismes des formations de l’inconscient s’assimilent à ceux du langage selon deux figures centrales : (a) la métaphore ou condensation et (b) la métonymie ou déplacement. Le type d’étude proposé par Lacan lui a valu différentes critiques, dont le reproche majeur, que mentionne Godefroy (1983), est d’avoir « algébrisé » l’inconscient. Beauchesne (1986) note qu’à la suite de Lacan, on a tenté de définir les principales organisations pathologiques en termes de structures (névrotique, psychotique, perversion, états-limites par exemple). 30 De l’analyse structurale à l’analyse processuelle La modélisation structuraliste du psychisme qu’elle soit celle de Lacan ou celle de Bergeret, nous permettent actuellement d’aller plus loin et d’évoluer vers une perception dite processuelle, qui insiste sur l’idée qu’un même sujet peut être organisé selon différents types de processus, permettant une vision moins figée et correspondant à une clinique contemporaine plus en adéquation avec le contexte sociétal favorisant les souffrances narcissiques-identitaires. L’analyse processuelle poursuit le travail de l’analyse structurale en dégageant les processus prévalent chez le sujet. L’enjeu est important puisqu’il s’agit ici de reconstruire la subjectivité et ses logiques inconscientes et les souffrances qui y sont liées. Cette analyse processuelle permet de constituer différentes hypothèses du fonctionnement psychique afin de le rendre compréhensible, mais il est important de noter que cela n’est en rien la vérité mais une mise en sens des éléments cliniques des différents niveaux d’analyses. La démarche s’apparente à une démonstration des hypothèses, dans l’objectif de montrer de quelle manière les indices collectés aident à comprendre certaines logiques inconscientes en lien avec les difficultés du sujet. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons jamais véritablement savoir ce qui constitue et anime la vie psychique d’une personne que nous prenons en charge, donc nous ne pouvons produire que des hypothèses qui tendent d’en restituer sa complexité en s’appuyant sur un raisonnement précis et rigoureux. 3.4. LA NEVROSE ET SES FORMES PATHOLOGIQUES Dans les débuts de leur rencontre avec la psychologie clinique et la psychopathologie, les étudiants confondent souvent névrose et personnalité névrotique. Il s’agit donc de commencer par faire le point sur ce qu'est la structuration névrotique et ce que sont les pathologies névrotiques. La psychologie clinique et la psychopathologie proposent une approche complémentaire à la perspective médicale en apportant une lecture subjective de certaines problématiques. La souffrance psychique est appréhendée de point de vue de son intériorité dans l’objectif d’en dégager les processus psychiques à son origine en tentant de répondre aux questions comment et pourquoi ce sujet souffre–t-il ? Le conflit oedipien représente pour Freud le complexe central des névrosés. Le sujet se confronte aux désirs et interdits, inceste et parricide, liés à l’oedipe positif et négatif. Le complexe de castration est lié au complexe d’oedipe, la menace de castration devenant effective comme sanction possible aux désirs interdits : cette menace engendre une angoisse de castration, angoisse spécifique de la névrose. Complexe d’oedipe et de castration sont des « épreuves » psychiques du développement, traversés par tout un chacun. Cette structuration centrée autour du complexe d’oedipe fonctionne sous le primat du principe de réalité. Elle se caractérise par l’intégration de la problématique oedipienne, l’existence de conflits internes entre désirs et défenses et la présence d’une angoisse dite de castration (culpabilité) qui infiltre tous les domaines de la vie psychique. Tant que la structure reste « compensée », il n’y a pas (ou très peu) de manifestations symptomatiques. 31 Dans cette configuration psychique, le conflit dit névrotique est nourri par le désir du sujet auquel vient s’opposer la défense, suscitant angoisse et symptôme comme formation de compromis. L’angoisse occupe une place centrale dans la névrose, ce qui a contribué à ce que le les classification internationale (DSM) rangent certaines manifestation symptomatique (TOC, phobies, etc.) dans la catégorie des Troubles Anxieux supprimant ainsi la catégorie « névroses ». Dans le champ psychanalytique, la névrose va être caractérisée par le dérapage de ce système de fonctionnement de l'individu qu'est la structuration névrotique. Si le moteur de la structuration névrotique est l'anxiété ou l'angoisse, la principale cause et le principal symptôme de la maladie névrotique va être la perte du contrôle par le patient du symptôme « angoisse ». Dans les cas les plus graves, ceci vient parfois rendre inopérant les mécanismes censés réduire l’angoisse. Cette angoisse va s'exacerber, évoluer par crises incontrôlables, devenir ingérable et orienter le patient vers deux grands types de dérives : - le repli - la transformation de l'angoisse en un activisme pathologique, qu'il soit moteur (obsessionnel ou compulsif), mental (phobie), fantasmatique (hystérie) ou interprétatif (hypochondrie). Ces transformations de l’angoisse vont être les seuls moyens pour l'individu de rester intégré et socialisé. Le repli pourra cependant engendrer une perte notable des capacités de l'individu de même que la réduction considérable de ses interfaces relationnelles. Il est à noter que la dépression ne fait pas partie de la maladie névrotique, mais l'angoisse qu'elle génère en surcroît peut être à l'origine d'une décompensation névrotique. 3.4.1. NEVROSE HYSTERIQUE Définition : La névrose hystérique correspond à des pathologies psychiques particulièrement marquées par des symbolisations, éventuellement déplacées sur le corps (conversions). Présentation clinique L'hystérie se caractérise par un polymorphisme symptomatique. Ses limites restent donc difficiles à cerner. Classiquement, l'hystérie se définit par l'association : - de critères objectifs comportementaux : conversions somatiques ; - de critères symptomatiques : intense demande affective, hyper expressivité des affects, vie imaginaire dense et labile, grande suggestibilité ; - de critères de structure : le mécanisme de défense prévalent est le refoulement, qui vise à lutter contre la culpabilité œdipienne. 32 La conversion hystérique : Caractéristiques générales de la conversion : Elle s'exprime préférentiellement au niveau des organes de la vie de relation et de façon involontaire. Elle n'est pas la conséquence d'une atteinte organique et ne répond pas aux lois de l'anatomie ni de la physiologie. Les examens cliniques et para cliniques n'en donnent pas l'explication. Elle apparaît souvent après un conflit avec l'entourage, un choc affectif ou à la faveur d'une régression importante et est en général réversible après un laps de temps très variable. L'influence du milieu extérieur sur la disparition des symptômes est importante (variations selon le contexte). Elle survient souvent chez un sujet ayant des antécédents médicaux ou après mise en contact avec des s

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