Le trajet linguistique et social des emprunts PDF
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York University
1984
Shana Poplack, David Sankoff
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Cet article de 1984 explore le trajet linguistique et social des emprunts entre les langues. Il discute de la difficulté de déterminer les emprunts linguistiques dans les langues en contact et examine les processus linguistiques et sociologiques impliqués dans leur intégration.
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Document généré le 16 jan. 2025 09:29 Revue québécoise de linguistique Le trajet linguistique et social des emprunts Shana Poplack et David Sankoff Volume 14, numéro 1, 1984 Grammaires en contact URI : https://id.erudit.org/iderudit/602531ar DOI : https://doi.org/10.7202/602531ar Aller au somm...
Document généré le 16 jan. 2025 09:29 Revue québécoise de linguistique Le trajet linguistique et social des emprunts Shana Poplack et David Sankoff Volume 14, numéro 1, 1984 Grammaires en contact URI : https://id.erudit.org/iderudit/602531ar DOI : https://doi.org/10.7202/602531ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Université du Québec à Montréal ISSN 0710-0167 (imprimé) 1705-4591 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Poplack, S. & Sankoff, D. (1984). Le trajet linguistique et social des emprunts. Revue québécoise de linguistique, 14(1), 141–186. https://doi.org/10.7202/602531ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 1984 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ L E TRAJET LINGUISTIQUE E T S O C I A L D E S EMPRUNTS* Shana Poplack David Sankoff Le lexique d'une langue peut contenir une proportion considérable de mots provenant d'une ou de plusieurs autres langues. Pour le vocabulaire bien établi, les méthodes de la linguistique historique et comparative peuvent nous aider à déduire quels mots ont été empruntés, de quelle langue il s'agit et approximativement quand. Or, en situation de contact linguistique, il existe généralement de nombreux mots, originaires de l'une des deux langues, dont l'appartenance ou la non-appartenance au lexique établi de l'autre langue n'est pas claire. Au niveau synchronique, il est difficile de déterminer une telle appartenance, notamment parce qu'on ne dispose actuellement d'aucun critère praticable et scientifiquement acceptable pour décider si un item lexical provenant d'une langue, utilisé lors du discours dans une autre, soit par un seul locuteur, soit à maintes reprises dans une communauté, devrait être considéré comme un véritable emprunt. Ce mot pourrait aussi bien constituer le tout ou une partie d'une alternance entre des langues, ce qui en soi est un phénomène tout à fait distinct de l'emprunt. Il pourrait, par ailleurs, refléter l'acquisition incomplète de l'une des deux langues d'un locuteur bilingue, ou encore, être dû à un lapsus passager du type souvent étiqueté «interférence». * Cette recherche a bénéficié de subventions du Conseil de recherche en sciences naturelles et génie du Canada octroyées à Sankoff, et du National Institute of Education (É.U.) à Poplack, cette dernière dans le cadre d'une recherche plus vaste sur le contact de langues qu'elle a effectué au Center for Puerto Rican Studies, City University of New York. Alicia Pousada a administré le questionnaire au cours de l'enquête sur le terrain pour ce projet. On tient à remercier François Grosjean, Don Hindle, Raymond Mougeon, Edouard Béniak, Daniel Valois et les chercheurs au Center for Puerto Rican Studies, qui ont lu et commenté des versions antérieures de cette étude, ainsi que Mélanie Wodicka, qui a collaboré à la version française de l'article. 142 S H A N A P O P L A C K et D A V I D S A N K O F F On a prétendu qu'à partir d'un examen purement synchronique, c'est- à-dire sans évidence comparative ou étymologique, il est impossible de découvrir ou de décrire des emprunts (Fries et Pike 1949; voir aussi Haugen 1950a, Weinreich 1953), considérant comme acquis que ces derniers sont parfaitement assimilés aux patterns de la langue réceptrice. Nous ne sommes pas d'accord avec ce point de vue simpliste qui voudrait que l'incorporation de l'emprunt soit plutôt ponctuelle, sans période de rodage ou de transition. Nous nous attarderons spécifiquement au mécanisme par lequel un item perd graduellement son statut d'élément étranger pour devenir totalement intégré au lexique natif. Pendant cette transition, d'une part, il est difficile de reconnaître les emprunts, de les caractériser, et de les distinguer, structuralement et distributionnellement, des mots natifs, et, d'autre part, des formes de la langue étrangère d'où ils proviennent. Bien qu'il existe une vaste littérature qui traite spécifiquement de l'emprunt, il reste maintes questions non résolues à propos de leur acquisition, ainsi que d'autres aspects linguistiques et sociologiques, de même qu'il subsiste des dilemmes méthodologiques subtils impliqués dans leur discernement, leur définition, leur identification et leur caractérisation. Dans cette étude, nous allons dans un premier temps revoir la littérature pertinente en insistant sur trois aspects du processus de l'emprunt : les mécanismes linguistiques, la dynamique sociale et les problèmes de définition et d'analyse dans l'étude de transfert lexical. Nous dégagerons de ce travail un certain nombre de concepts et d'hypothèses qui ont été développés dans le but de décrire et d'analyser l'importation de formes d'une langue à une autre. Ensuite, nous procéderons à la concrétisation de ces concepts afin de les appliquer à un corpus de mots, dont certains s'avéreraient des emprunts, recueillis dans un échantillon d'enfants portoricains bilingues et de leurs parents. Nous soumettrons ces données à une analyse statistique afin de déterminer les dimensions de l'«espace» où évolue le processus d'emprunt ainsi que d'évaluer jusqu'à quel degré les processus d'intégration phonologique, syntaxique, lexicale et sociologique d'un élément étranger vont de pair ou progressent indépendamment. Dans cette étude, nous accordons une attention spéciale à la transmis- sion de matériel emprunté d'une génération à l'autre, et en particulier aux rôles de locuteurs jeunes et plus âgés, unilingues et bilingues dans la L E TRAJET DES EMPRUNTS 143 propagation et la détermination de la forme phonologique éventuelle de ce matériel emprunté. Les études traditionnelles et plus récentes traitant de l'emprunt soulignent le fait que les adaptations d'éléments étrangers de tout niveau linguistique aux patterns de la langue réceptrice, telles que l'incorporation de suffixes verbaux et nominaux, l'attribution du genre, etc. constituent des indications que les formes ont été intégrées dans cette langue (ex. Haugen 1950a, p. 396 et p. 440; également implicite dans Bloomfield 1933 : p. 450 et p. 453; voir aussi Hyman 1970, Lovins 1974). Fries et Pike (1949) incorporent des critères phonologiques, grammaticaux et sociaux dans leur postulat (p. 39) : un mot emprunté est complètement assimilé lorsque la séquence de phonèmes qui le compose (a) est équivalente aux séquences qui se produisent dans la langue réceptrice ou leur est analogue; lorsque (b) sa position par rapport aux frontières grammaticales est la même que dans les séquences composant des mots natifs; (c) lorsque ce mot est utilisé couramment par les locuteurs unilingues; enfin, la séquence de phonèmes peut être considérée complètement assimilée lorsqu'elle sert de pattern pour le développement de nouvelles séquences dans la langue réceptrice. Or, cet état d'assimilation complète ne se produit évidemment pas de façon instantanée. Et en ce qui concerne le déroulement de l'assimilation, qu'elle dure des mois, des années ou des générations, on sait relativement peu de choses. L'intégration linguistique des emprunts ne comprend que quelques aspects de leur assimilation à une langue. Les processus sociologiques de diffusion et d'acceptation en représentent d'autres. Les études de langues en contact ont signalé deux distinctions fondamentales, de nature sociologique ou sociolinguistique, pertinentes à l'incorporation de matériel emprunté au répertoire linguistique de la communauté. L'une comporte les rôles différents d'unilingues par rapport à des bilingues de divers degrés de compétence, l'autre implique la transformation des emprunts à travers les générations successives de locuteurs. Une opinion répandue voudrait que les locuteurs bilingues devancent les unilingues dans l'utilisation des emprunts, ces derniers les apprenant des premiers. Les locuteurs bilingues assimileraient de nouveaux sons plus tôt que leurs homologues unilingues (Fries et Pike 1949, p. 39). Haugen distingue, d'une part, les locuteurs unilingues et ceux qui sont devenus bilingues après l'âge adulte, et d'autre part, les locuteurs bilingues depuis 144 S H A N A P O P L A C K et D A V I D S A N K O F F l'enfance. Il observe que les éléments empruntés tendent à conserver un statut linguistique ambigu pendant quelque temps après leur première adoption (Haugen 1956, p. 55); il attribue une partie de cette vacillation à la conscience qu'a le locuteur bilingue de l'origine étrangère du mot, et de là, à son indécision vis-à-vis une prononciation selon les règles de la langue réceptrice ou de la langue source. De plus, les locuteurs unilingues ainsi que les bilingues adultes feraient des adaptations phoniques (ou «distorsions») d'emprunts, alors que les locuteurs parfaitement bilingues (depuis l'enfance) reproduiraient les patterns de la langue source (Haugen 1950a, 1956). À ces différences individuelles dans la compétence bilingue ainsi qu'à la simple volonté il attribue les formes alternatives des emprunts en norvégien. Il énonce trois étapes d'intégration des emprunts (ex. Haugen 1969, p. 394) en partant de l'étape «prébilingue», lorsque les formes sont reproduites en fonction des patterns de la langue réceptrice concomitant avec grande irrégularité, en passant par le «bilinguisme adulte», c'est-à-dire à l'étape où les emprunts sont produits plus systématiquement, pour aller jusqu'au «bilinguisme depuis l'enfance» pendant lequel les séquences phoniques (ainsi que d'autres patterns) de la langue source sont introduites dans la langue réceptrice. En effet, selon ce schéma, les locuteurs bilingues depuis l'enfance ou les locuteurs jeunes (qu'on ne distingue pas) sont les responsables de l'introduction de nouveaux patterns dans la langue réceptrice. Abstraction faite des locuteurs qui introduisent les emprunts et du mécanisme de leur propagation à l'intérieur du lexique à travers le temps et la communauté, un diagnostic important pour l'incorporation d'une forme dans le lexique de la langue maternelle est la fréquence accrue de son utilisation. De là, certains ont même attribué le degré d'intégration linguistique de l'emprunt à la fréquence de son utilisation à l'intérieur de la communauté (Kreidler 1979, p. 143). Holden (1976, p. 131) a même suggéré que la plupart des emprunts qui démontrent même un degré minimal d'utilisation courante dans la langue réceptrice, assument immédiatement une forme phonétique qui est identique à celles de cette dernière. Indépendamment de ces hypothèses de corrélation étroite entre la fréquence d'utilisation et les adaptations morphophonologiques, la fré- quence d'utilisation en elle-même a été considérée comme un critère d'intégration. Hasselmo suggère, au sujet des locuteurs suédois-anglais bilingues, que «certaines des unités du discours anglais introduites dans le L E TRAJET DES EMPRUNTS 145 discours suédois sont utilisées avec une telle régularité qu'il serait nécessaire de les considérer dans un certain sens intégrées dans un mode de parler américain-suédois» (Hasselmo 1970, p. 179). Plus spécifiquement, «si certains exemples d'interférence étaient répétés assez souvent dans le discours d'une certaine langue au point de devenir habituels, les formes et/ou les patterns impliqués pouvaient être traités comme étant intégrés (socialement) dans la langue de la communauté» (Hasselmo 1970, p. 179; voir aussi Mackey 1970). Mais comme Mackey l'a observé (p. 204), il n'y a pas nécessairement d'indication dans l'apparition unique d'un élément donné dans le discours qui détermine s'il s'agit d'un cas d'interférence ou d'un cas d'intégration. 1. Distinctions analytiques À première vue, il paraîtrait facile de détecter le matériel emprunté d'une langue dans le discours de l'autre, simplement par comparaison avec la variété standard de la langue réceptrice ou avec les communautés qui ne sont pas en contact avec la langue source. Ce type de comparaison externe se révèle, toutefois, plutôt inadéquat. La cooccurrence dans un même discours de formes provenant de deux langues pourrait bien refléter des processus autres que l'emprunt, dont les plus importants sont l'alternance de langues et l'acquisition incomplète d'une langue seconde. L'alternance de langues est tout simplement l'usage alternatif des deux langues dans le discours, même dans une seule phrase, sans influence nécessaire de l'une des langues sur les fragments du discours réalisés dans l'autre. L'acquisition partielle d'une langue seconde peut mener à l'usage d'éléments de la langue maternelle dans un discours destiné à être en langue seconde, mais de façon idiosyncrasique. On voudrait peut-être les considérer comme emprunts spécifiques au locuteur individuel, mais non au niveau de la variété linguistique de la communauté. Comme Haugen (1969, p. 37) le fait remarquer, les innovations des apprenants d'une langue ne s'étendent pas aux locuteurs natifs; ce sont les innovations qu'on fait dans sa propre langue qui s'étendent. On a également essayé de définir l'emprunt par exclusion; il n'est ni alternance de langues, ni utilisation momentanée ou idiosyncrasique de la langue maternelle pour combler des lacunes en langue seconde. Dans le schéma de Haugen (1956), tous ces phénomènes sont situés le long d'un continuum de différenciation de codes : l'alternance de langues gardant une 146 S H A N A P O P L A C K et D A V I D S A N K O F F distinction maximale entre les langues, l'intégration des emprunts reflétant un nivellement maximal de distinctions et l'interférence chez les apprenants référant à un chevauchement des deux langues, contrairement aux normes des deux. Pour situer un énoncé d'origine étrangère sur cette échelle, Haugen a suggéré que les formes phonologique et morphologique de l'élément emprunté soient les facteurs de diagnostic. Pourtant, c'est plutôt la compétence bilingue d'un locuteur qui détermine la prononciation de sa langue seconde, de sorte que ce critère identifiera faussement les alternances de langues comme des emprunts et vice versa. La suggestion de Shaffer (1978) selon laquelle l'intégration est discernable de façon plus exacte à l'aide de considérations syntaxiques ne réussit pas, elle non plus, à distinguer de façon non ambiguë les emprunts de l'alternance de langues. En fait, comme Hasselmo l'a observé, même si l'intention du locuteur était de choisir soit l'alternance de langues, soit l'intégration, les séquences de discours effectivement produites sont souvent ambiguës à cet égard, puisque l'alternance de langues ne peut être identifiée sur la seule base de traits linguistiques — phonologiques, morphologiques ou syntaxiques. Indépendamment de la volonté du locuteur, l'occurrence d'un élément étranger qui révèle un fort degré d'intégration sociale (c'est-à- dire d'acceptation et d'utilisation par les membres de la communauté) devrait être interprété comme un cas d'emprunt alors qu'une occurrence qui démontre un faible degré d'intégration serait un cas d'alternance de langues (Hasselmo 1970, p. 180). De façon semblable, Mackey (1970, p. 211) suggère que plus un item est intégré (utilisé), moins il est probable que son occurrence soit un cas d'interférence. 2. Vers un cadre théorique Dégageons des considérations précédentes quatre types fondamentaux de critères pour la caractérisation des emprunts : 1) Fréquence d'usage Selon ce critère, tel qu'utilisé par Fries et Pike, Hasselmo, Mackey et Murphy, plus un élément spécifique de la langue source est employé fréquemment dans le discours de la langue réceptrice et par plusieurs locuteurs, plus il est raisonnable de le considérer comme étant devenu un terme authentique de cette langue. 2) Le remplacement des synonymes de la langue maternelle Ce paramètre est mesuré par le test de «traduisibilité» de Hasselmo, par le test de disponibilité de Mackey, et est implicite dans la discussion de L E TRAJET DES EMPRUNTS 147 Weinreich sur l'intégration lexicale. S'il est possible de démontrer qu'un terme emprunté remplace en usage un terme indigène pour un même concept, on considère qu'il s'est approprié le rôle de ce dernier dans le lexique. 3) Intégration morphophonologique et/ou syntaxique Si un terme emprunté prend une forme phonologique typique de la langue réceptrice, acquiert les affixes morphologiques appropriés à cette langue et fonctionne dans les phrases comme un mot indigène de la même catégorie syntaxique, alors ce doit être un emprunt bien établi. Cette approche caractérise le travail de Fries et Pike, Bloomfield, Weinreich, Haugen et autres. 4) Acceptabilité Le fait que les locuteurs natifs jugent qu'un mot d'origine étrangère est une désignation appropriée dans leur langue, qu'ils soient ou non conscients de son origine étymologique, est une indication de ce que ce mot a une place dans le lexique récepteur. Tous ces critères ne seront cependant pas complètement satisfaits dans tous les cas que nous voudrions classer comme des emprunts, et chacun d'eux pourrait être satisfait par des mots qui ne le sont pas. Par exemple, un mot d'une langue peut être utilisé fréquemment dans un discours où une autre langue prédomine, mais seulement en vertu du fait que ce mot se produit souvent dans les alternances de langues (ex. le déterminant anglais the se produit fréquemment dans des SN anglais à l'intérieur de phrases espagnoles). Un mot emprunté peut être phonologiquement, morpholo- giquement et syntaxiquement intégré dans la langue réceptrice mais seulement parce que le locuteur a une faible compétence productive dans la langue source ou simplement à cause de traits partagés fortuitement par la langue source et la langue réceptrice. L'acceptabilité est notoirement trompeuse particulièrement dans les contextes où la langue réceptrice est socialement inférieure à la langue source ou vice versa. Même lorsque aucune des langues n'est stigmatisée, comme c'est le cas du contact suédois- anglais cité par Hasselmo, il se peut que des items lexicaux reconnus comme étant d'origine anglaise n'aient pas de traduction suédoise courante, mais jouissent quand même d'une grande acceptabilité (Hasselmo 1969, p. 71). Ces résultats sont difficiles à interpréter en termes d'intégration dans le répertoire récepteur, à moins d'attribuer arbitrairement la suprématie à un des critères impliqués. Des difficultés semblables également rencontrées 148 S H A N A P O P L A C K et D A V I D S A N K O F F dans une étude de bilingues mexicains-américains (Murphy 1974), ont amené Murphy à suggérer que non seulement des tâches telles l'identification, la traduction, etc. mais également la tentative même d'inciter les locuteurs bilingues à établir des frontières de langue, sont inappropriées (pp. 63-64). Le remplacement des synonymes peut constituer un critère fiable, mais seulement lorsqu'un seul mot emprunté déplace un seul mot indigène bien identifié, situation rarement rencontrée et difficile à démontrer, puisque le réfèrent précis d'un mot n'est pas toujours évident au moment de l'analyse. La majorité de ces critères sont basés sur des constatations anecdo- tiques, quoique venant de la part d'observateurs très perspicaces, et demeurent empiriquement non corroborés. Par exemple, la corrélation postulée entre la fréquence d'usage et le degré d'intégration linguistique, ou celle entre les degrés d'acceptabilité et d'intégration linguistique, toutes deux des hypothèses quantitatives, n'ont jamais été quantitativement mises à l'épreuve. Le rôle de locuteurs bilingues par opposition aux unilingues, ou de locuteurs âgés versus les plus jeunes dans l'introduction et la propagation d'emprunts n'a jamais été empiriquement établi ou même examiné. Des remarques anecdotiques sur les vacillations qui précèdent l'incorporation de mots transférés dans le vocabulaire ignorent le fait que l'hétérogénéité existe à tout niveau du comportement langagier et que de nombreuses études ont documenté cette hétérogénéité comme étant bien structurée au niveau de la communauté. Inversement, les études empiriques qui existent effectivement, et qui traitent en grande partie de l'acceptabilité et de la disponibilité, ne rendent pas compte des événements strictement linguis- tiques de l'assimilation des emprunts. Néanmoins, les quatre types de critères discutés ci-dessus sont utiles en ce sens qu'il se dégage des processus-clés qui comprennent le phénomène de l'emprunt lexical. En fait, il est raisonnable de supposer que lorsqu'on utilise un mot emprunté de plus en plus, son intégration phonologique et morphologique s'accroît, il déplace les formes concurrentes de la langue réceptrice et éventuellement, est accepté par les locuteurs natifs. 3. Données et méthodes 3.1 La situation de contact Cet article se base sur des données recueillies chez quatorze enfants et huit adultes, tous résidants d'une communauté bilingue stable de East L E TRAJET DES EMPRUNTS 149 Harlem à New York. Il s'agit d'une des plus anciennes communautés portoricaines des États-Unis. Malgré le fait que l'anglais ait coexisté avec l'espagnol portoricain depuis l'occupation américaine de l'île en 1898, le contact le plus intense s'est produit depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale sous l'influence d'un afflux massif aux États-Unis, concentré presque totalement dans la région géographiquement circonscrite de East Harlem. Malgré les attitudes défavorables de la population non hispanique envers la culture et la langue portoricaines, ainsi qu'une forte pression vers l'assimilation aux moeurs de la majorité anglophone, il n'est toujours pas évident qu'il y a eu dans cette communauté un revirement d'affiliation («shift») linguistique, même parmi des bilingues de troisième génération. On peut attribuer ce phénomène en partie à la circulation migratoire continue entre Porto Rico et les États-Unis, ainsi qu'à un afflux plus récent d'hispanophones d'autres parties des Antilles. Ces migrations ont comme effet de réapprovisionner la partie de la population unilingue ou de dominance espagnole et par le fait même de revitaliser la langue1. Bien que plusieurs aspects de la structure grammaticale de l'espagnol portoricain échappent à l'influence de l'anglais (Poplack 1981), à d'autres niveaux l'anglais se manifeste sous la forme d'alternances de langues et d'emprunts, suffisamment nombreux pour engendrer des stéréotypes chez les non-hispanophones et les Portoricains eux-mêmes. 3.2 Les informateurs Les parents et les enfants qui ont participé à cette étude faisaient partie d'un groupe plus large, objet d'une étude interdisciplinaire à long terme. Cette étude examinait les affiliations linguistiques dans une communauté bilingue stable, et les effets sur la langue espagnole d'un contact prolongé et intense avec l'anglais2. À une exception près, tous les adultes ont une 1. On peut donc dire des Portoricains de New York qu'ils sont sujets à une «pression culturelle» intense quoique à court terme, de la part des locuteurs de la langue source (Thomason 1981, p. 14). Ce genre de situation favorise des emprunts abondants d'items lexicaux de la langue source sinon de la structure étrangère même. Dans le schéma de Thomason, les situations de contact intenses mais à court terme résultent de la disparition de la langue réceptrice avant que ses locuteurs aient pu y incorporer beaucoup de traits linguistiques de la langue source. Comme on l'a mentionné ci-dessus, pourtant, il n'y a pas d'indication actuelle, ni de déplacement («shift»), ni de disparition de l'espagnol au niveau de la communauté. 2. Pour une description détaillée de l'étude et de ses résultats, voir ex. Language Policy Task Force 1980; Poplack 1982, 1983. 150 S H A N A P O P L A C K et D A V I D S A N K O F F dominance espagnole, alors que plus de la moitié de leurs enfants sont bilingues équilibrés, en ce sens qu'ils déclarent utiliser l'espagnol autant que l'anglais, ce qui a été effectivement observé. En outre, quatre enfants préfèrent l'anglais dans toutes les situations étudiées3. L'échantillon inclut les parents et leurs enfants, ce qui permet d'étudier la transmission des compétences bilingues d'une génération à l'autre dans le contexte d'un bilinguisme stable. 3.3 Les données Il semblerait très naturel, lors de l'étude des propriétés d'utilisation des emprunts, de travailler au moyen d'un corpus de discours bilingue spontané. Nous verrons, toutefois, que cela n'a pas été faisable, et que de toute façon, un tel corpus n'aurait pas suffi aux besoins de l'identification des emprunts. Il est évident que dans le discours des locuteurs bilingues, des éléments sont empruntés momentanément à l'autre langue sans qu'on ne les réentende, tandis que d'autres s'utilisent très régulièrement. La place d'un élément emprunté à l'intérieur d'un système de langue réceptrice, tel que Mackey le fait remarquer (1970, p. 201), est une question de degré : on ne rencontre pas seulement des éléments tout à fait intégrés ou tout à fait non intégrés mais aussi ceux qui sont partiellement intégrés. Lors de la recherche des mesures d'intégration, nous avons parcouru plus de 65 heures de discours recueilli dans des situations spontanées et formelles variées. Nous nous sommes vite aperçus que même des emprunts que nous croyions répandus n'étaient produits que très rarement. Ceci s'explique par le fait que la production de tout élément lexical dépend largement de ce dont le locuteur parle. Même dans un très grand corpus de discours libre, il n'y a aucune garantie que les locuteurs parleront de la même chose. En effet, dans environ 200 heures de discours enregistré chez les enfants et les adultes de notre échantillon, moins de la moitié des mots anglais de la Table 1 sont apparus dans un contexte espagnol, seulement dix d'entre eux ont été émis par plus d'un locuteur et seulement deux par plus de deux locuteurs : tape et building. Une difficulté supplémentaire s'ajoute ici : il s'agit du fait que pour évaluer la fréquence ou le degré d'utilisation, il est nécessaire de 3. Le jugement de «dominance», ou de préférence pour une langue par rapport à l'autre, a été fait sur la base de 1) nos observations ethnographiques de la langue utilisée plus fréquemment dans grand nombre de situations, 2) les auto-évaluations des locuteurs de leur propre compétence bilingue et 3) des analyses linguistiques de leur langage. L E TRAJET DES EMPRUNTS 151 connaître non seulement le nombre de fois qu'un élément a été produit mais également toutes les fois où il n'a pas été produit dans un contexte éligible. Des données de discours libre requerraient l'identification de toutes les équivalences sémantiques de chacun des mots empruntés ainsi que l'établissement de la proportion des mots émis en anglais et en espagnol pour chaque réfèrent, enfin une entreprise qui dépasserait de beaucoup l'étendue du présent travail. Par conséquent, nous avons choisi d'obtenir de nos locuteurs des désignations de concepts, ou de référents, tout en maintenant le stimulus constant. Nous avons élaboré un questionnaire contenant une série de photographies, ordonnées au hasard, de 45 items relevant de la vie quotidienne. Nous avons choisi des items facilement identifiables et susceptibles d'être désignés par un nom concret (Table 1). La majorité de ces photographies se référaient à des items que nous avions au préalable entendu dire en anglais dans des discours espagnols, soit dans notre corpus de données enregistrées, soit pendant notre expérience de recherche sur le terrain. Nous avons administré ce questionnaire, qui fait partie d'une batterie de tâches reliées à la langue, entièrement en espagnol. Nous avons montré chaque image à chacun des informateurs en lui demandant de nommer l'objet en espagnol : iQué es esto? «Qu'est-ce que c'est?» Nous avons encouragé les informateurs à répondre par une phrase complète (ex. Es un rufo. «C'est un toit») afin de nous permettre de repérer les indications de genre. Après la réponse initiale, nous les incitions à fournir d'autres mots pour désigner le concept, afin de détecter des synonymes éventuels. Ces réponses additionnelles ont été classées comme deuxièmes et troisièmes choix. Les données recueillies de cette façon sont semblables à celles obtenues par les tests de disponibilité utilisés par Hasselmo et Mackey, avec la différence que nous avons gardé constant le stimulus particulier tandis que ces chercheurs n'ont contrôlé que le domaine sémantique général. Ainsi nous avons réussi à pallier au problème d'équivalence sémantique décrit ci- haut. De plus, nos données fournissent davantage d'information sur l'intégration sociale et linguistique des items anglais. Bien que la situation d'administration d'un questionnaire soit relativement artificielle, il est à noter qu'au moment où les données ont été recueillies, l'interviewer avait déjà établi un rapport étroit avec les informateurs, à la suite de plusieurs années de recherches antérieures dans ce quartier d'East Harlem. 152 S H A N A P O P L A C K et D A V I D S A N K O F F Même si de telles réponses ne peuvent fournir qu'un témoignage indirect des phénomènes de discours spontané, elles sont toutefois très révélatrices en ce qui concerne les processus d'emprunt qui nous intéressent. Premièrement, nous savons quel mot anglais, s'il existe, est le plus fréquemment utilisé pour désigner un concept donné. Cette fréquence est l'indice de la probabilité d'usage de ce mot pour désigner ce même concept dans le discours spontané, bien que la relation entre les deux puisse être brouillée par d'autres facteurs tels que l'acceptabilité. Puisqu'il pourrait être difficile d'obtenir un item lexical spécifique pour certains concepts, il serait intéressant de tenir compte au moins de la fréquence avec laquelle n'importe quel mot anglais est offert. Une autre approche pour évaluer l'importance relative des mots anglais et espagnols pour un concept serait de noter le mot qui vient d'abord à l'esprit, autrement dit, celui qui s'offre le premier dans le cas ou plusieurs réponses seraient données. Les mesures ci-haut mentionnées ne se rapportent pas uniquement à la fréquence relative des termes anglais versus les termes espagnols pour un concept, mais indiquent aussi, indirectement, jusqu'à quel point un terme emprunté de l'anglais a pu remplacer un synonyme espagnol. Il y aurait une façon plus directe de mesurer cela : il s'agirait de compter le nombre de locuteurs ne donnant que des réponses anglaises correspondant à un concept versus ceux qui ont donné une réponse et en anglais et en espagnol. En ce qui concerne l'intégration linguistique, un examen approfondi de l'ensemble des réponses obtenues peut révéler différents degrés d'intégration phonologique et morphologique et, s'il y a indication de genre, celui-ci peut nous informer sur l'intégration syntaxique. Nous savons que la prononciation d'un mot en réponse à un questionnaire formel s'éloigne du vernaculaire; par conséquent, non seulement nous établissons une moyenne du degré d'intégration phonologique pour l'ensemble des locuteurs, mais nous tenons compte également de la forme la plus intégrée du mot. En ce qui concerne le genre, nous nous attendions à ce qu'un mot fréquemment utilisé révèle une bonne attribution du genre parmi les locuteurs. Toutefois, il se pourrait que le choix même d'attribuer ou non un genre à un mot originellement anglais soit une indication sur son statut d'emprunt intégré, tel que suggéré par Barkin (1980), et ce choix est aussi à noter. L E TRAJET DES EMPRUNTS 153 3.4 Les indices d'intégration Notre corpus est constitué des désignations (de une à trois) des 45 concepts pour chacun des 22 locuteurs de l'échantillon. En tenant compte des observations faites dans la section 2, les indices que nous avons définis se classent selon les trois catégories suivantes : 1) Mesures sociales de l'intégration Celles-ci indiquent, pour chaque concept analysé, dans quelle propor- tion de l'échantillon des locuteurs donnent des réponses incorporant des éléments de l'anglais dans leur lexique espagnol. 2) Mesures linguistiques de l'intégration Celles-ci démontrent jusqu'à quel point (en termes d'intégration moyenne ou d'intégration maximale) des formes provenant de l'anglais ont été adaptées aux patterns phonologiques, morphologiques ou syntaxiques de l'espagnol. 3) Contrôles d'analyse Ces indices ne mesurent pas l'acceptation, l'intégration ou l'assimilation d'emprunts dans l'espagnol; ils englobent plutôt d'autres paramètres de l'ensemble de réponses qui, pour des raisons techniques, pourraient exagérer ou interférer avec les mesures sociales et linguistiques des deux catégories précédentes. Nous définirons tout premièrement les indices du dernier ensemble, quoique moins intéressants, parce que certains d'entre eux rentrent dans les définitions des indices des deux autres ensembles. 3.4.1 Contrôles d'analyse Total (occurrences)* — le nombre total des mots, en comptant plusieurs fois le même mot si celui-ci est répété par plusieurs locuteurs, et en comptant séparément chaque réponse d'un locuteur, même s'il en a donné plusieurs. Total (locuteurs n'offrant aucune réponse) Total (échecs) — y compris les réponses non identifiables (ex. fluche inexistant pour «switch») et la non-réussite à susciter le champ sémantique visé (ex. New Jersey pour «building»). 4. Nous utilisons le terme «occurrence» pour référer à chaque production d'un item lexical. Les occurrences identiques appartiennent à un seul «type». 154 S H A N A P O P L A C K et D A V I D S A N K O F F Total (types) — le nombre total des différentes formes obtenues; les répétitions d'une même forme donnée par plusieurs locuteurs ne sont pas comptées plusieurs fois. Même si les réponses différaient quelque peu en phonologie (ex. suera/suéter sweater) ou en genre grammatical, elles ne comptaient que pour un type. Total (locuteurs offrant plusieurs réponses) — le nombre de locuteurs qui ont donné au moins deux désignations différentes pour un réfèrent particulier5. 3.4.2 Mesures sociales Les indices du second groupe sont des concrétisations de quelques-unes des approches discutées ci-haut pour mesurer la fréquence d'emploi, l'acceptabilité de désignations empruntées pour un concept spécifique, ainsi que la détermination du degré de remplacement de synonymes. Proportion (occurrences en anglais) — la proportion du nombre total des occurrences identifiées comme étant d'origine anglaise, pour représenter un concept déterminé. Proportion (types anglais) — la proportion des types qui sont identifiés comme étant d'origine anglaise. Proportion (anglais : premier choix) — de tous les locuteurs qui ont donné au moins une réponse, la proportion qui a donné une réponse en anglais en premier lieu. Ces indices sont les différents moyens d'évaluer l'importance de mots anglais de façon générale pour le concept aux dépens des mots espagnols. Proportion (type anglais le plus fréquent) — la proportion de toutes les réponses qui sont le type anglais le plus fréquent. Proportion (type anglais le plus fréquent)/Proportion (occurrences en anglais) — la proportion représentée par le type anglais le plus fréquent par rapport à toutes les réponses anglaises. Proportion (anglais : premier choix)/Proportion (occurrences en anglais) — la proportion des occurrences en anglais qui consistent en des premiers choix. Ces dernières mesures indiquent toutes jusqu'à quel point un seul mot anglais est la désignation préférée pour un concept. 5. Les échecs et le manque de réponse n'ont pas été inclus dans aucun des calculs autres que ceux qui ont été spécifiquement désignés pour en rendre compte. L E TRAJET DES EMPRUNTS 155 Proportion (réponses anglaises uniquement) — la proportion des locuteurs qui ont fourni une ou plusieurs réponses qui sont toutes d'origine anglaise. Proportion (réponses bilingues) — la proportion des locuteurs qui ont donné au moins une réponse anglaise et une réponse espagnole. Proportion (non espagnole uniquement) — la somme des deux indices précédents. Les contrastes entre réponses uniquement anglaises, bilingues et non espagnoles sont directement les indices du degré de remplacement de synonymes et sont également sensibles aux taux d'ensemble d'emploi de l'anglais et de l'espagnol. 3.4.3 Mesures linguistiques Le troisième groupe d'indices mesure l'intégration phonologique, morphologique et syntaxique de mots de la langue source aux patterns de la langue réceptrice. Moyenne (intégration des occurrences) — de toutes les occurrences de l'anglais, la valeur moyenne du code d'intégration phonologique (0 = non intégré, c'est-à-dire est totalement rendu via la phonologie de la langue source, ex. [ays kriym] 'ice cream'; 1 = partiellement intégré, c'est-à-dire est rendu avec la phonologie des langues source et réceptrice, ex. [aih kriym]; 2 = totalement intégré aux patterns de la langue réceptrice, y compris des manifestations de sa variabilité inhérente, ex. [aih krfz]). Moyenne (intégration des types) — de tous les types anglais, la valeur moyenne de l'intégration phonologique (la valeur pour chaque type est la moyenne de toutes ses occurrences). Intégration maximale — l'intégration maximale d'une occurrence de n'importe quel type anglais. Ces indices représentent différentes façons de résumer l'intégration phonologique des réponses. Consistance de genre — pour le type anglais le plus fréquent, la différence (absolue) entre le nombre d'occurrences codées comme étant au féminin et celles codées comme étant au masculin, divisée par le nombre total des occurrences codées pour le genre. Consistance selon l'usage — la différence absolue entre les nombres d'occurrences au féminin et au masculin divisée par le nombre total des occurrences, qu'on leur ait attribué ou non un genre, pour le type anglais le plus fréquent. 156 S H A N A P O P L A C K et D A V I D S A N K O F F Consistance analogique — de tous les types anglais codés pour le genre, la différence entre les nombres d'occurrences au féminin et au masculin, divisée par leur somme. La consistance de genre est une mesure pour déterminer si l'emprunt le plus fréquent reçoit le même genre de façon consistante. La consistance selon l'usage mesure en même temps si cet emprunt se voit attribuer un genre régulièrement et si ce genre est consistant. La consistance analogique mesure jusqu'à quel point le genre est consistant à travers tous les emprunts obtenus pour le concept, c'est-à-dire si le genre est attribué par analogie avec le genre d'une désignation de ce concept déjà existante dans la langue réceptrice. 4. Résultats 4.1 Classifications préliminaires La construction de notre liste de concepts, à partir du fait qu'on les avait entendu dénommés en anglais lors du discours spontané en espagnol, ne nous assurait que la possibilité d'obtenir certaines formes empruntées; mais nous n'avions aucune façon de savoir au préalable si elles seraient nombreuses, ou si les indices que nous avions définis les distingueraient d'une façon intéressante. En fait, en calculant les indices pour les réponses correspondant à chacun des 45 stimuli, nous avons découvert, non seulement que la majorité des stimuli provoquaient une proportion importante de formes d'origine anglaise, mais que celles-ci manifestaient une grande variabilité à l'intérieur de leur assimilation à l'espagnol. Ceci démontre la diversité inhérente au processus d'intégration. Des 45 concepts, le nombre moyen des réponses en blanc et anormales était pour chacun moins de 1.5 par stimulus. Seulement sept des concepts ont été désignés uniquement en espagnol et ont donc été exclus des calculs subséquents6 («boy», «bicycle», «plate», «spoon», «window», «girl», et «plant»). Les 38 items qui restent ont reçu des désignations en anglais et en espagnol à des degrés variables. La Table 1 montre que la majorité des concepts (63%) ont provoqué des désignations anglaises la plupart du temps (Proportion (occurrences en anglais)). Ces calculs suggèrent qu'un certain nombre de ces concepts ne 6. Ceux-ci ont été expressément inclus dans le questionnaire à titre de contrôles expérimentaux; avec l'exception de «window» nous n'avions aucune raison de supposer qu'ils pourraient être rendus en anglais. L E TRAJET DES EMPRUNTS 157 possèdent aucune désignation espagnole courante dans cette communauté : «tape» (100% de désignations anglaises), «hamburger» (96%), «zipper» (95%), «jacket» (83%), «hot-dog» (82%), «truck», (80%), «basement» (76%) et «sweater» (75%). Pour la plupart des concepts, très peu de locuteurs ont fourni des désignations et en espagnol et en anglais (Proportion (réponses bilingues)). En effet, plus de la moitié des locuteurs ont donné uniquement des désignations anglaises (Proportion (réponses anglaises uniquement)) pour 60% des concepts. Presque toutes les désignations offertes en anglais montraient une intégration partielle ou totale aux patterns phonologiques et/ou morphologiques de l'espagnol (Moyenne (intégration des occurrences)). Pour cinq concepts seulement, aucun locuteur n'a offert de désignation intégrée à l'espagnol : «frog» (6 occurrences), «pigs» (2), «watch» (1), «tape recorder» (11) et «bat» (2). Pour la grande majorité des concepts (84%) une seule désignation anglaise justifie entre 75% et 100% de tous les mots anglais donnés (voir Proportion (type anglais le plus fréquent)/Proportion (occurrences en anglais)). En effet, dans plus de la moitié des cas (63%), la désignation anglaise particulièrement favorisée représente la moitié ou même la presque totalité de toutes les occurrences, et anglaises et espagnoles; (bonne indication que ces mots méritent le statut d'emprunt intégré (Proportion (type anglais le plus fréquent)). Cela, malgré le fait qu'un minimum de deux types a été offert par stimulus7 et que certains en ont reçu jusqu'à huit, ex. «jeans» (8), «nickel» (7), «lipstick» (7), «suit» (6), «garbage can» (6), «baby» (6) (Total (types)). Cela reflète soit l'état actuel de fluctuation dans l'attribution lexicale à ces concepts ou bien le manque inhérent de relations mot/sens univoques dans ces domaines sémantiques. Environ 75% des désignations anglaises les plus fréquentes ont révélé un accord de 100% dans l'attribution du genre espagnol. Quelques-uns des chiffres indiquant moins qu'une parfaite consistance masquent le fait que différents genres peuvent être attribués à différentes variantes lexicales; par contre à l'intérieur de chaque variante il y a un accord total. C'est le cas de el hambérguer et la hamberga 'hamburger'; el suéter et la suera 'chandail'. 7. Sans aucun doute, cela est dû à la tâche qui encourageait les locuteurs à fournir des désignations supplémentaires. 158 S H A N A P O P L A C K et D A V I D S A N K O F F TABLE 1 Indices d'intégration pour 38 referents urrences types) 11 C imale Sc es a OCCl laise port yenn port Pro port port égra cS ÛÛ O "* O M- O 00 0 « Pro js £ g S-S «SWITCH».57.33.05.55.61 1.10 1.10 2.00 «FROG».33.39.15.15.31 0 0 0 «ICE CREAM».67.66.18.54.72.55 1.00 2.00 «TURTLE».21.66 0.21.21 1.30 1.00 2.00 «PIG».08.19.04.04.09 0 0 0 «CO AT».69.50.31.54.86.88 1.30 2.00 «PUPPY».16.50.14.04.19.50.50 2.00 «HOT DOG».82.75.13.77.90.63 1.50 2.00 «SHADE».73.59.11.70.82.17.42 2.00 «SANDWICH».67.50.42.52.95.58 1.10 2.00 «SOFA».12.39.19 0.19 2.00 2.00 2.00 «JEANS».41.62.44.19.64.80.30 2.00 «BASEMENT».76.33.19.69.89 1.80 1.80 2.00 «TAPE» 1.00 1.00 0 1.00 1.00 1.10 1.10 2.00 «WATCH».04.50.05 0.05 0 0 0 «SUIT».67.33.14.59.75 1.00 1.10 2.00 «SWEATER».75.25.23.66.90 1.90 1.90 2.00 «BUILDING».62.33.38.47.85 1.40 1.40 2.00 «BABY».59.16.18.59.77.70.66 2.00 «ZIPPER».95.50 0.95.95 1.30 1.30 2.00 «CAKE».29.33.19.14.34 1.10 1.10 2.00 «TAPE RECORDER».57.66.04.54.59 0 0 0 «BUTTERFLY».28.50 0.28.28.20.16 1.00 «TRUCK».80.66.14.75.89 1.60 1.50 2.00 «LIPSTICK».66.28.09.66.76 1.10.50 2.00 «HAMBURGER».96.75.04.95 1.00.67.75 2.00 «MATTRESS».66.59.28.57.85 1.30 1.80 2.00 «TOILET».74.19.23.71.95 1.60 1.60 2.00 «DIME».54.19.05.55.61 1.60 1.60 2.00 «BAT».09.50 0.09.09 0 0 0 «G ARBAGE CAN».11.33.04.09.14 1.00 1.30 2.00 «SWIMMING POOL».59.50.09.54.63.40.39 2.00 «ROOF».70.50.19.66.85.90 1.70 2.00 «JACKET».83.59.09.77.86 1.50 1.20 2.00 «PENNY».66.33.19.59.79 1.40 1.40 2.00 «NICKEL».40.28.10.36.47 1.90 1.80 2.00 «QUARTER».30.50.04.23.28 1.00 1.70 2.00 «BOBBY PIN».15.33.09.09.18.50.50 2.00 LE TRAJET DES EMPRUNTS 159 -g Consistanci e de ger Proportion (occun Proportion (anglai Consistancie selon c