Politiques de l'Union Européenne PDF
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Université de Lille
Jonathan Layn
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Ce document est un cours complet sur les institutions et les politiques de l'Union Européenne, couvrant divers sujets tels que le champ des études européennes, la création des communautés européennes, l'élargissement de l'UE et les mécanismes de prise de décision. L'auteur analyse le fonctionnement des institutions européennes et leur impact sur les politiques publiques.
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lOMoARcPSD|36365031 IPUE - Cours complet Institutions et politiques de l'Union Européenne (Université de Lille) Scanne pour ouvrir sur Studocu Studocu n'est pas sponsorisé ou supporté par une université ou un lycée Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Politiques et...
lOMoARcPSD|36365031 IPUE - Cours complet Institutions et politiques de l'Union Européenne (Université de Lille) Scanne pour ouvrir sur Studocu Studocu n'est pas sponsorisé ou supporté par une université ou un lycée Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Politiques et institutions de lÕUnion europŽenne Cle moolde : tgs3vh Introduction gŽnŽrale 1 Chapitre 1 Ð Le champ des Ç European Studies È, entre ghettoìsation et normalisation 6 Chapitre 2 Ð De la Guerre Froide ˆ la crŽation des CommunautŽs europŽennes 21 Chapitre 3 Ð Ç Relance(s) et approfondissement È de la Ç construction europŽenne È 31 Chapitre 4 Ð LÕUnion EuropŽenne, un processus continu dÕŽlargissement au risque de la fragmentation ? 41 Chapitre 5 Ð Architecture institutionnelle et mŽcanismes de prise de dŽcision dans lÕUnion europŽenne 52 Chapitre 6 Ð Les caractŽristiques du gouvernement de lÕUE 76 Introduction gŽnŽrale Depuis plus de 70 ans dÕintŽgration europŽenne, il faudrait connaitre les institutions europŽennes et leur fonctionnement. CÕest le deuxi me plus grand marchŽ au monde avec un demi-milliard dÕhabitants. Peu de politiques publiques Žchappent ˆ lÕintŽgration europŽenne. LÕacquis communautaire concerne des secteurs variŽs : lÕŽconomie, lÕenvironnement, la protection des consommateurs, les migrations, les conditions de travail, le droit des femmes, le sport, etc. LÕUE est aussi un acteur international : elle parle dÕune seule voix dans les nŽgociations commerciales au sein de lÕOMC. LÕUE a dŽployŽ des troupes au Tchad, en Bosnie, en RDC par exemple. Le 23 septembre 2011, lÕUE a participŽ pour la premi re fois ˆ lÕAG annuelles des nations Unies. Le prŽsident du conseil europŽen Van POMPONYGI : il a parlŽ de la responsabilitŽ de lÕUE en Libye dans le soutien de sa transition politique. Les citoyens europŽens peuvent Žgalement tre consultŽs sur lÕavenir de lÕUE : Brexit en 2016, rŽfŽrendum sur le traitŽ Žtablissant une constitution pour lÕEurope en 2005 en France, rŽfŽrendum ˆ la suite de l'Žchec des nŽgociations avec la tro ka dans le cadre de la crise de la dette publique grecque en 2015 en Gr ce. Les symboles de lÕUnion europŽenne LÕUE existe dans des textes, des r glements : cÕest une instance de production juridique. Mais elle essaie aussi dÕexister ˆ lÕŽtat de symbole : lÕhymne ˆ la joie, le drapeau ˆ 12 Žtoiles (1986), sa devise Ç Unie dans la diversitŽ È, la journŽe de lÕEurope, le 9 mai (Robert Schuman, ministre des Affaires europŽennes lance lÕidŽe de la CommunautŽ EuropŽenne du Charbon et de lÕAcier le 9 mai 1950). Un des enjeux de lÕintŽgration europŽenne tient dans le dŽÞcit de lŽgitimitŽ de ce gouvernement. Ces symboles tentent en partie de rŽsoudre ce dŽÞcit en crŽant une sociŽtŽ europŽenne. Les fronti res ßoues de lÕEurope LÕUE est un objet en constante Žvolution : Žlargissement ˆ de nouveaux Etats membres (1973, 1981, 1986, 1995, 2004, 2007, 2012), ratiÞcation de nouveaux traitŽs (1951, 1957, 1986, TraitŽ de Maastricht 1992, 2001, TraitŽ de Lisbonne 2007) 1 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 De plus, entre en concurrence des traitŽs sur dÕautres sujets comme les traitŽs sur la gouvernance Žconomique et Þnanci re des Etats europŽens. Le pacte budgŽtaire europŽen ou TraitŽ sur la stabilitŽ, la coordination et la gouvernance met en place en 2012 le MŽcanisme europŽen de stabilitŽ (MES) : instance siŽgeant ˆ Luxembourg et agissant sur les Etats ayant des difÞcultŽs Þnanci res pour recouvrir la stabilitŽ (dirigŽ par Klaus Regling, allemand, passŽ par le FMI notamment). Les Etats europŽens contractent des dettes assorties dÕintŽr ts ˆ des investisseurs, notamment pour rembourser leurs autres dettes. Ces taux dÕintŽr ts dŽpendent de la note donnŽe par des agences de notation (Standman and Poors, etc.). Plus on est Þable, moins les taux dÕintŽr ts sont ŽlevŽs, et viceversa : a a ŽtŽ la perte de la Gr ce qui nÕŽtait plus en capacitŽ de rembourser ces dettes ˆ cause des taux dÕintŽr ts trop ŽlevŽs. LÕUE a donc agi pour Žviter ce cas de Þgure avec le MES. De plus, les fronti res de lÕEurope sont ßoues puisque lÕintŽgration sÕest faite ˆ plusieurs vitesses : - UE : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Gr ce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, PaysBas, Pologne, Portugal, RŽpublique Tch que, Roumanie, Slovaquie, SlovŽnie, Su de - Zone Euro : lÕUE moins la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, lÕEstonie, la Hongrie, la Pologne, la RŽpublique Tch que, la Roumanie et la Su de - Espace Schengen : lÕUE moins la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie, Chypre, lÕIrlande, le RU mais avec la Suisse, lÕIslande, la Norv ge et le Lichtenstein - La PEV : lÕUnion pour la MŽditerranŽe et le partenariat oriental (2010) : programme qui visait lÕEurope de lÕEst, puis les pays du Caucase, puis les pays du Maghreb par exemple. Ces fronti res sont mouvantes puisque lÕŽlargissement de ces fronti res nÕest plus continu, mais des Etats menacent de quitter ou quittent lÕUE (RU). LÕUE a donc lancŽ une politique de voisinage avec les pays avoisinants avec des avantages europŽens, sans acc s aux institutions : acc s au marchŽ commun par exemple. Le dossier de la Turquie, qui voulait tre intŽgrŽe, semble tre au point mort avec Erdogan. De m me, les nŽgociations dÕadhŽsion de lÕIslande sÕest arr tŽ avec la crise des subprimes. Mais des nŽgociations sont toujours en cours avec la MacŽdoine par exemple. M me au sein de lÕUE, il y a plusieurs formes dÕintŽgration pour ne pas participer ˆ toutes les instances europŽennes (opting-out) LÕUE nÕa pas non plus le monopole de lÕEurope politique. Le Conseil de lÕEurope nÕest pas une institution de lÕUE mais, instituŽ le 5 mai 1949, il agit pour la prŽservation et lÕamŽlioration de lÕEtat de droit en Europe avec ses 47 membres. LÕUEFA compte 55 fŽdŽrations, dont Isra‘l. DiffŽrentes formes dÕintŽgration existent en Europe et donc les fronti res de lÕEurope sont mouvantes. LÕAssociation europŽenne de libre-Žchange, fondŽe en 1960, avait ŽtŽ crŽŽe en concurrence directe de lÕUE. Au moment de la Guerre Froide, le Comecon Žtait une autre forme dÕintŽgration europŽenne avec la Russie. EnÞn, le III me Reich a reprŽsentŽ une autre forme dÕintŽgration avec un autre projet politique. LÕeuro-jargon LÕUE cÕest aussi un jargon : des mots anglais tirŽs du monde de lÕentreprise (task force, stakeholders, bargaining) ; des directions gŽnŽrales (DG Relex, ECFIN), des Formations du Conseil (JAI, EPSCO, TTE, EJCÉ), toutes deux anciennement dŽsignŽes par des numŽros ; et un ensemble dÕacronymes (CEJ, FEDER, FSE, ERT, LEF, COREPER) Les Žtudes sur lÕUE : quel ennui ? Les Žtudes sur lÕUE sont souvent dŽcrites comme ennuyeuses : A. Vauchez, Ç ÔLes Žtudes europŽennes, quel ennuiÕ Quelques mots sur une illusion bien fondŽe È, Politique EuropŽenne, n¡50, 2015. LÕUE reste de ce fait le terrain de chasse des experts. LÕUE appara”t donc comme quelque chose de technique, opaque, ŽloignŽ du commun des mortels. 2 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Vauchez explique que ces croyances sont vŽhiculŽes par les Žditorialistes, les journalistes, certains hommes politiques. Dans le JT de TF1 en 2014 par exemple, moins de 2 minutes sont accordŽes aux Žlections europŽennes, pour expliquer que les Fran ais ne semble pas passionnŽs par les Žlections et que lÕabstention va tre record. Une sorte de prophŽtie auto-rŽalisatrice, de discours performatif. Les professionnels de lÕEurope sÕaccommodent tr s bien de ces clichŽs : les personnalitŽs politiques proÞtent de cette idŽe dÕune Europe qui ennuie. Les universitaires ont Žgalement une part de responsabilitŽ dans lÕentretien de cette croyance. LÕŽtude de lÕintŽgration europŽenne sÕest forgŽe en marge des relations internationales et en marge de la sociologie politique : un ghetto ˆ part de politistes et de juristes spŽcialisŽs, avec des mani res dÕanalyser les politiques tr s uniques, avec des savoirs spŽciÞques, qui augmentent le cožt dÕentrŽe pour Žtudier lÕUE. Un Ç OPNI È LÕUE, un Ç OPNI È, un objet politique non identiÞŽ. CÕest un objet politique difÞcile ˆ classer, ˆ typiÞer. Il est difÞcile de plaquer des catŽgories de pensŽe, imaginŽes ˆ lÕŽchelle nationale, pour penser la construction europŽenne. Les grilles dÕanalyse ont souvent ŽtŽ pensŽes ˆ lÕŽchelon national. Jacques Delors, prŽsident de la Commission europŽenne de 1985 ˆ 1994 qualiÞait lÕEurope dÕOPNI. Delors avait invitŽ deux anthropologiques ˆ venir Žtudier la Commission europŽenne : Marc AbŽl s et Ir ne Bellier aux dŽbut des annŽes 1980. Ces chercheurs avaient parlŽ de Ç bizarrerie communautaire È. Ces expressions soulignent la difÞcultŽ dÕapprŽhender sur le plan intellectuel lÕensemble des processus que constituent lÕUE. LÕUE, en reprenant les mots de Weber, est une Ç entreprise institutionnelle È. Elle nÕest pas un Etat, mais pas non plus une organisation internationale classique. LÕUE ne rentre pas dans les catŽgories classiques de science politique. LÕUE est un syst me unique en son genre, sui generis, ainsi quÕun syst me en construction permanente. CÕest un syst me politique hybride qui emprunte ˆ des traditions et des mod les juridiques diffŽrentes : Etat, fŽdŽration, confŽdŽration. Le triangle institutionnel De la m me mani re, quand on regarde le triangle (ou losange) institutionnel (CF schŽma), il est difÞcile de savoir qui rel ve de lÕexŽcutif, qui rel ve du lŽgislatif. La Commission europŽenne (Bruxelles) est une institution supranationale qui veille ˆ la bonne exŽcution des lois europŽennes, qui met en Ïuvre les programmes, qui initie en partie les projets lŽgislatifs. Elle est prŽsidŽe actuellement Ursula Von der Leyen, depuis 2019, dŽsignŽe par une courte majoritŽ de 383 eurodŽputŽs sur 374 nŽcessaires. Elle est nŽe ˆ Ixelles, une commune de Bruxelles, a frŽquentŽ lÕŽcole europŽenne de Bruxelles et son p re Ernst Albrecht a ŽtŽ un des premiers commissaires europŽens (commission Einstein, chef de cabinet) et directeur de la direction gŽnŽrale de la concurrence. Elle a ŽtudiŽ aux Etats-Unis et parle de nombreuses langues. Elle est donc un pur produit de lÕUE. Le droit dÕinitiative est de plus en plus concurrencŽ par le Conseil europŽen, qui rŽunit les chefs dÕEtat et de gouvernement des Etats membres et qui impulsent les projets lŽgislatifs europŽens. Il est apparu dans les annŽes 1970, ˆ la suite des blocages de la commission, sous VGE et Helmut Schmidt. Le conseil est prŽsidŽ par Charles Michel, membre du Mouvement rŽformateur belge, PM belge de 2014-2019. Lui aussi apparait comme une reproduction des Žlites europŽennes : Louis Michel, son p re, a ŽtŽ commissaire de lÕUE et parlementaire europŽen. La prise de dŽcision est partagŽe entre le Conseil de lÕUE (Bruxelles, Justus Lipsius) et ses formations et, dans un processus de co-dŽcision, le Parlement europŽen. Une concurrence dÕautres institutions 3 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 De plus en plus, ces institutions sont concurrencŽes par des agences indŽpendantes, des Ç institutions non majoritaires È, Ç extŽrieures aux circuits de lŽgitimitŽ Žlectorale È (la CJUE et la BCE) selon les expressions de Vauchez. On a donc des institutions qui reposent sur une lŽgitimitŽ Žlective : Parlement et Conseil europŽen ; ainsi que des agences indŽpendantes aux circuits Žlectoraux : commission europŽenne, cour de justice europŽenne dont les dŽcisions contraignent les Etats et la BCE avec de forts moyens de pression sur les Etats gr‰ce au contr™le des liquiditŽs ˆ injecter dans le circuit europŽen. Un objet de fantasmes et de mythes LÕUE fait lÕobjet dÕun certain nombre de fantasmes et de mythes, autant vŽhiculŽs par les dŽtracteurs de lÕUE (les Ç eurosceptiques È qui critiquent la technocratie bruxelloise et les dŽcisions quÕelle impose malgrŽ le fait que ces dŽcisions doivent obtenir lÕaval des Etats membres) et les dŽfenseurs de lÕintŽgration europŽenne (fable du projet humaniste de paix et de prospŽritŽ menŽ avec courage par les p res fondateurs de lÕUE). LÕUE nÕa pas attendu les chercheurs pour avoir une histoire ofÞcielle. Selon Sylvie Boulard (LÕEurope pour les Nuls), ils ont utilisŽ leur esprit pour analyser les erreurs des gŽnŽrations prŽcŽdentes et leur cÏur pour joindre les Etats dans un projet commun, loin dÕune simple alliance. Ces discours offrent une mythologie europŽenne avec ses hŽros ˆ cŽlŽbrer. Ce passŽ europŽen est donc dŽpouillŽ de tout enjeu idŽologique et dŽpourvu de toutes les alternatives historiques avortŽes. Les seules oppositions lŽgitimes ŽvoquŽes sont celles de lÕŽchelle nationale ˆ lÕUE : il est difÞcile de penser une opposition ˆ lÕEurope telle quÕelle se fait, dans sa forme, et non pas juste ˆ lÕidŽe dÕEurope. LÕintŽgration europŽenne telle quÕelle se fait aujourdÕhui irait de soi, et serait inscrite dans un sens de lÕhistoire. Selon Denord et Schwartz par exemple, ˆ trop unir Ç Europe de la paix È et Ç Europe des marchŽs È, on risque de les croire Ç indissociables È (LÕEurope sociale nÕaura pas lieu). Les intellectuels et lÕEurope Les intellectuels de lÕEurope, notamment certains politistes ou juristes, ont pour bon nombre inscrit lÕUE dans un sens de lÕhistoire et ont donc lŽgitimŽ lÕEurope telle quÕelle se fait gr‰ce ˆ leur savoir scientiÞque. Il y a donc un double lien entre scientiÞques et acteurs politiques : transfert des catŽgories politiques dans le champ scientiÞque et dÕun autre c™tŽ transfert de problŽmatiques savantes dans les discours politiques. Par exemple, les Žtudes sur le Ç dŽÞcit dŽmocratique È nourrissent les discours et les solutions proposŽes, de m me pour lÕidŽe de Ç bonne gouvernance È. Ces termes sont donc ˆ la fois des th mes de recherche et des mots dÕordre politiques, dÕaction publique. DÕo parlent les thŽoriciens de lÕEurope ? Sylvie Goulard est dipl™mŽe de Science Po Paris, de lÕENA, elle enseigne au coll ge de Bruges, elle est membre du mouvement europŽen (fŽdŽraliste), conseill re politique de Prodi, de VGE, et elle est MEP pour le Modem, puis ministre des ArmŽes sous Edouard Philippe. Elle Žtait candidate de la France pour tre commissaire europŽenne (aujourdÕhui Thierry Breton apr s quÕelle ait ŽtŽ retoquŽe par les eurodŽputŽs fran ais). Giandomenico Majone, politiste italien, ayant ŽtudiŽ le dŽÞcit dŽmocratique, la gouvernance, la crŽation dÕagence, mais aussi expert invitŽ par la Commission pour produire des documents et participer ˆ des groupes de travail (Livre blanc europŽen sur la gouvernance de 2001) Paul Magnette, homme politique belge avec une double casquette de scientiÞque : au moment de la troisi me Ždition de son manuel, il Žtait ministre fŽdŽral belge du Climat et de lÕŽnergie. Institutions et politiques Il sÕagira maintenant dÕexpliciter les termes du cours Institutions 4 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Institution, du latin, instituo, Žtablir et qui dŽsigne une structure dÕorganisation dÕorigine humaine et destinŽe ˆ sÕinscrire dans la durŽe. Dans une approche juridique, lÕinstitution dŽsigne lÕensemble des structures politiques rŽsultant dÕun rŽgime politique mis en place par une Constitution (ici, un traitŽ europŽen). Dans une approche sociologique (Durkheim), la sociologique est la science des institutions, cÕest lÕobjet majeur de lÕŽtude de cette discipline. Ici, cÕest des mani res de faire, des mani res dÕagir, des mani res de penser, logŽes dans les esprits et dans les choses (symboles europŽens). CÕest donc une structure sociale (ou un syst me de relations sociales) dotŽe dÕune certaine stabilitŽ dans le temps et logŽe dans les esprits comme dans les choses. Les institutions politiques nŽcessitent dÕappuyer sur le r™le majeur du droit et des r gles. Le droit est un langage anhistorique et a-sociologique : les r gles sont prŽsentŽes comme universelles, anonymes, valables en tout temps, sans considŽration pour le contexte de production de la loi. Les thŽoriciens Žtudient donc les usages sociaux des r gles institutionnelles : elles fonctionnent comme des points de coordination de lÕaction des professionnels de la politique. Elles sont des Ç pense-b tes È (Lacroix). Elles permettent aux acteurs dÕafÞner leur stratŽgie mais surtout de faire lÕŽconomie de la rŽßexion ˆ chaque fois quÕils agissent. Conna”tre les contraintes et les logiques de lÕaction institutionnelle, les r™les de chacun, permet de sÕorienter dans lÕespace institutionnel. La dŽÞnition de ses r gles institutionnelles ne se fait pas quÕen droit, dans les textes, car le droit nÕest pas toujours capable dÕencadrer les pratiques des acteurs mais surtout parce que les acteurs institutionnels sont et font lÕhistoire immŽdiate des institutions (Lagroye). Politiques Le terme politique est polysŽmique : les anglosaxons distinguent polity (le politique, lÕinstance prŽposŽe au maintien de la cohŽsion sociale), politics (la politique, la sc ne sur laquelle sÕaffrontent des acteurs politiques pour obtenir et conserver le pouvoir) et policies (les politiques publiques, mises en Ïuvre par la fonction de rŽgulation du politique) LÕintŽgration europŽenne est un dŽÞ et un appel ˆ repenser ce que recouvrent le, la et les politiques : parce que les politiques publiques nationales ne peuvent plus tre pensŽes sans rŽßŽchir en m me temps sur les politiques publiques europŽennes ; parce que lÕUE nÕest pas assimilable ˆ un Etat ; parce que les Žlections parlementaires europŽennes sont insufÞsantes comme lieu de compŽtition politique. Peut-on alors vraiment parler dÕun espace public europŽen ? LÕespace politique europŽen appara”t plut™t comme un champ des pouvoirs transnationaux ˆ la croisŽe de champs des pouvoirs nationaux o sÕaffrontent de multiples stratŽgies politiques, bureaucratiques, Žconomiques, juridique et acadŽmiques, qui ne se limitent pas aux relations diplomatiques interŽtatiques. 5 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Chapitre 1 Ð Le champ des Ç European Studies È, entre ghettoìsation et normalisation Introduction European studies = hŽtŽrog ne. Tentatives dÕuniÞcation de lÕUE ont ŽtŽ nombreuses. LÕŽtude de lÕintŽ euro Žtait laissŽe aux juristes ou aux personnes ˆ la lisi re du champ scientiÞque. Sc.PO => dŽv 1990 = champ de recherche rŽcent. Des freins ont existŽs. Rare de penser lÕUE autrement quÕen termes pol et Žco. Espace lointain + terrain couteux Þnanci rement et symboliquement. Cadres utiles pour penser lÕUE b ceux utilisŽs pour les institutions nationales. 1990 => objectif des pol publiques de lÕUE = crŽation dÕun marchŽ commun. UE = dimension individuelle = frein aux European studies (aucune grande Þgure a part les p res fondateurs). Autre obstacle = langue. Fortes connexions entre lÕespace savant, sur la construction europŽenne, et lÕespace politicoadministratif. Section 1 : Les approches classiques de la construction europŽenne : Approches forgŽe pour penser la const euro et ont eu tendance ˆ ghetto ser les Žtudes sur lÕEurope. 2 approches = renvoient dŽbat normatif sur la q¡ de savoir si lÕEurope = processus supranational ou intergouvernemental. Enjeu = savoir qui sont les acteurs centraux de lÕUE : acteurs communautaires ou Etats. Supranationalistes = process dÕintŽ euro marquŽ par une dynamique dÕauto-renforcement que les gouv ne peuvent pas entraver ou contr™ler. Acteurs sociaux supranationaux (groupes dÕintŽr ts, lobbies) agissent avec les instit supranationales pour encourager le processus dÕintŽgration. Inter-gouvernementalistes = process demeure sous le contr™le des Etats membres. Les acteurs supranationaux = pas dŽterminants pour lÕintŽ. Les institutions supranationales = rŽsultat volontŽ des Etats ˆ partir des nŽgo. I) Le nŽo-fonctionnalisme, paradigme dominant (des annŽes 1950 aux annŽes 1970) (Haas) NŽo-fonc = paradigme dominant dans les Euro studies (1950-1970). Se dŽv au dŽbut de la cons euro = Žpoque CECA, traitŽ de Rome et lÕEURATOM. Paradigme met lÕaccent sur le process graduel et inŽluctable de la cons euro. Importance supranationalisme grandissant ˆ vocation fŽdŽraliste. Haas thŽorise approche Monnet : mŽthode consistait ˆ crŽer des solidaritŽs de fait dans des secteurs stratŽgiques pour crŽer des engrenages dŽbouchant sur un stade Þnal dÕinspi fŽdŽraliste. Chercheurs qui sÕinscrivent dans ce courant consid rent que la cons euro est motivŽe et mue par une logique = rŽpondre aux boulev Žco internationaux et internes apr s 2GM. Institutions doivent sÕanalyser ˆ partir des fonctions quÕelles sont censŽes remplir. = changements Žco qui crŽent les dynamiques. Un triple processus : Žconomique, politique et institutionnel Ces thŽories insistent sur les engrenages (spill over). 6 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 CECA crŽŽe pour raisons gŽostratŽgiques Ñ> sa crŽation Žchappe aux mains de ses crŽateurs. Elle rationalise lÕexploitation charbon + acier = autres Žnergies entrent en concurrence et nŽcessitent ellesaussi une meilleure intŽgration (crŽation dÕEuratom). = Spill over Žco ou fonctionnel. LÕengrenage deviendrait pol. Ce qui alimente ce spill over pol = dimensions de ÞdŽlitŽ = les secteurs sÕeuropŽanisent = acteurs dŽv des ÞdŽlitŽs transnationales. Pour Haas, la fondation du PE => faire Žmerger une classe pol pour encourager la const euro. LÕintŽ euro = Žmergence nouvelles forces pol (CE) ou nvx groupes Žco et sociaux (FTN, ONG, lobbys) qui ne pouvaient pas se dŽv autant dans les carcans nationaux. Peuples Þniront par sÕidentiÞer ˆ lÕUE = la bas que les dŽcisions sont prises. Cour de Justice euro + jurisprudence (inst supranationale) alimentent engrenage (spill over institutionnel) de la relance de la cons communautaire en facilitant lÕŽmergence de nouvelles coalitions + nvx consensus au sein des Etats membres. => fait avec adoption TraitŽ de lÕActe Unique EuropŽen (1980), sous Jacques Delors. Jurisprudence europŽenne (avc arr t Cassis de Dijon) a encouragŽ le dŽve des Žchanges intraeuropŽens + augmentŽ le cožt jeu Žconomique gŽrŽ au niveau national = acteurs Žco on insistŽ aupr s des gouv pour faire Žmerger des outils transnationaux de rŽgulation et de pol publiques. Le nŽo-fonc => thŽorise la mŽthode Monnet = encourage solidaritŽs de fait entre les Etats. Vision opposŽe aux fŽdŽralistes : crŽation brutale dÕune fŽdŽration euro, mais se confronterait ˆ rŽsistances des Etats concernŽs. Monnet = oriente cons euro vers un process graduel + fonctionnel. MŽthode Monnet = lancer un process dÕintŽ euro dans cadre de pol stratŽgiques (charbon et acier) + crŽer haute autoritŽ (constituŽe dÕexperts) chargŽs de superviser lÕintŽ de ce secteur + dŽgagŽ de contraintes des intŽr ts nationaux. AutoritŽ devient un soutien pour lÕintŽ euro. LÕintŽ de secteurs Žco crŽent des pressions fonctionnelles pour que dÕautres secteurs soient europŽanisŽs => intŽgration prog des instances nationales dans le cadre euro = transfert de loyautŽ des Etats vers lÕEurope (=conÞance des pop dans renforcement de lÕintŽ euro. LÕintŽ pol = consŽquence intŽgration Žco. Apports de cette thŽorie ThŽorie tjrs robuste. Observateurs ok pour dire quÕil existe de tels engrenages + eu des intuitions sur la notion de gouvernance. Prems approches avoir analysŽ tous les niveaux de prise de dŽcision. Insiste sur importance groupes dÕintŽr ts occultŽs/sous-estimŽs dans rŽcits cons euro. Critiques ƒpistŽmologique : thŽorie vŽhicule conception type Ç Þn des idŽologies È : modernisation Žco, globalisation => essoufßement nationalismes + idŽologies + Etat. IntŽgration euro irait vers le progr s = proces linŽaire vers stade Þnal. ThŽorie a ŽtŽ tr s fortement dŽmentie par les faits : la politique dÕobstruction du gŽnŽral de Gaulle dans les annŽes 1960. Cette thŽorie rend compte dÕun certain nombre de processus de la politique communautaire mais elle se trouve rapidement incapable dÕexpliquer le blocage des annŽes 1960, la crise de la chaise vide dŽclenchŽe par le gouvernement fran ais en 1966. LÕengrenage semble se crisper de fa on durable, sans que les institutions supranationales ne parviennent ˆ nourrir et relancer le processus. Ces Žv nements marquent de fait le retour en force des Etats, des acteurs Žtatiques, dŽsireux de rŽsister aux institutions supranationales et ˆ leur processus dÕappropriation de leurs ressources (de Gaulle et Thatcher). Dans ce cadre, dans les annŽes 1970, le Conseil EuropŽen prend toute son importance dans le jeu communautaire : une rŽunion des chefs dÕEtat europŽens ˆ lÕinitiative de VGE et Helmut Schmitt, qui nÕŽtait pas prŽvue dans les premiers traitŽs dÕintŽgration europŽenne. 7 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Le spill over institutionnel nÕest pas automatique. Cette approche est donc apolitique, justement parce quÕelle est fonctionnaliste. Elle sous-estime Žgalement les dimensions internationales, le poids de la Guerre Froide. Le poids de lÕEtat est aussi tr s largement nŽgligŽ dans ces travaux. La signature de lÕActe unique semble relancer le marchŽ unique et dans les annŽes 1980, les approches fonctionnalistes connaissent un renouveau et la relance communautaire semble conÞrmer le paradigme, avec ces logiques dÕentrainement. Cependant, lÕeuropŽanisation des politiques budgŽtaires ne renvoie pas quÕˆ un besoin objectif, un syst me dÕengrenage, mais renvoie aussi ˆ des idŽologies : la conversion progressive des Žlites europŽennes aux logiques monŽtaristes, ˆ lÕidŽologie nŽolibŽrale. Plut™t que de raisonner en termes de fonction prŽexistant les institutions, mais il faut Žtudier les prŽfŽrences politiques des acteurs ˆ un moment donnŽ dans une situation donnŽe. Dans les annŽes 1980, Mitterrand trouve dans lÕEurope un dŽrivatif aux dysfonctionnements internes et des logiques de tactique rentre donc en jeu. II) LÕintergouvernementalisme (Moravcsik, Milward, Hoffmann) Les blocages des annŽes 1960-1970 servent de base aux th ses intergouvernementalitŽs puisque ces chercheurs reprochent aux nŽo-fonctionnalistes de ne pas avoir pu prŽvoir ces dŽveloppements dans la construction europŽenne, et de ne pas voir le r™le de lÕEtat dans ces processus. LÕintergouvernementalisme est un courant issu du courant rŽaliste des relations internationales qui consid re que lÕEtat est au centre des relations internationales. Pourtant, lÕapproche rŽaliste ne sÕest pas intŽressŽe ˆ lÕintŽgration europŽenne puisquÕelle ne peut concevoir que des acteurs Žtatiques puisse librement accepter dÕabandonner une partie de leur souverainetŽ aux proÞts dÕune institution supranationale. Cette approche insiste sur la centralitŽ des gouvernements nationaux dans les processus europŽens, ˆ partir dÕun choix rationnel, dÕun rational choice. Ils prennent des dŽcisions aux termes dÕun calcul cožtsavantages pour maximiser leurs gains en faisant des choix qui rŽsulte quasi-intŽgralement de rapports de force Žtatique. LÕŽmergence des institutions supranationales est le rŽsultat de nŽgociations interŽtatiques fondŽes sur le choix rationnel des Etats (interstate bargaining). La logique ˆ lÕÏuvre est donc la capacitŽ de chaque Etat ˆ sÕimposer dans les nŽgociations. La thŽorie des jeux de John Nash est basŽe sur un concept dÕŽquilibre. Le dilemme du prisonnier consiste ˆ deux personnes arr tŽes par la police et interrogŽes simultanŽment. La meilleure stratŽgie pour les prisonniers est de ne rien rŽvŽler. Le probl me cÕest que la police mette la pression en afÞrmant que le complice a parlŽ et donc que le premier prisonnier prendra moins que le deuxi me. LÕasymŽtrie dÕinformation fait que la meilleure stratŽgie devient alors que les deux prisonniers rŽv lent le crime pour prendre moins puisque le risque quÕau moins un des deux parle est trop grand. La thŽorie de lÕŽquilibre explique pourquoi les Etats obtiennent moins que ce quÕils pourraient demander puisquÕils ne connaissent pas toutes les informations. De ce fait, selon la thŽorie des jeux, si lÕEtat se sent menacŽ dÕ tre mis ˆ lÕŽcart ou sÕil pense obtenir des compensations dans un autre domaine, il nŽgociera diffŽremment. Ces approches ont lÕintŽr t dÕinsister sur le poids et lÕimportance des Etats ˆ un moment o on annon ait un peu vide leur affaiblissement. Deux outils sont essentiels aux Etats dans ces nŽgociations, deux ressources inŽgalement distribuŽes que sont lÕinformation et les bŽnŽÞces attendus dÕun Žventuel accord. Dans la crise grecque par exemple, les Etats qui ont le moins besoin de coopŽration peuvent imposer des dŽcisions aux Etats qui ont le plus besoin de coopŽration, moins en mesure de sÕimposer dans les nŽgociations. La dŽmarche intergouvernementaliste postule lÕidŽe que les prŽfŽrences gouvernementales sont exog nes aux ar nes de nŽgociations et aux institutions internationales. Les prŽfŽrences sont dŽÞnies en dehors de la nŽgociation elle-m me, au niveau national. LÕintŽgration europŽenne rŽsulte donc des rapports de force entre Etats : la France, le Royaume-Uni ou plus rŽcemment les pays dits Ç vertueux È. Les Etats gardent lÕenti re maitrise des processus europŽens. 8 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 La construction europŽenne, loin dÕavoir diminuŽ la force propre des Etats, elle les a au contraire renforcŽ puisquÕelle a facilitŽ lÕadaptation des Etats au monde de lÕapr s-guerre. Parce quÕelle demeure sous contr™le des Etats, lÕintŽgration europŽenne demeure fondamentalement partielle, limitŽe aux low policies sans atteindre rŽellement les politiques rŽgaliennes. Les institutions europŽennes sont condamnŽes ˆ demeurer faibles du fait de leur manque dÕautonomie et dÕintŽgration. CÕest lÕanalyse dŽveloppŽe par Stanley Hoffman apr s la crise de la chaise vide. Les intergouvernementalistes vont quasi-uniquement Žtudier que le conseil des ministres, puis le Conseil europŽen. Ils Žtudient les marchandages entre Etats et gouvernements et rel guent aux second plan les institutions europŽennes. Il existe deux Žcoles dans lÕintergouvernemtalisme : le courant libŽral (Andrew Moravcsik) ou le courant rŽaliste (Stanley Hoffman ou Alan Milward). A la base de ces deux courants, il y a lÕidŽe que les prŽfŽrences des Etats sont dŽcidŽes en amont des instances internationales. Pour le courant libŽral, les prŽfŽrences gouvernementales sont spŽciÞques aux diffŽrents secteurs de lÕaction publique, prŽfŽrences qui reß tent les intŽr ts des groupes sociaux qui interviennent aupr s des instances nationales (intŽr ts commerciaux des entreprises nationales). Critiques Ces approches apportent une importance trop grande aux Etats, cÕest une analyse monocausale. LÕapproche rŽaliste postule lÕunicitŽ de lÕEtat, or lÕEtat dans le contexte de lÕUE renvoie ˆ une multiplicitŽ dÕacteurs et dÕinstitutions aux intŽr ts pas forcŽment convergŽs car dotŽs de logiques diffŽrentes, de client les diffŽrentes, de prioritŽs diffŽrentes. De m me, ces approches ont tendance ˆ nŽgliger un certain nombre dÕacteurs europŽens qui, par leur action de lobbying, modiÞe le contenu des politiques publiques europŽennes. Une des critiques tient sur ce quÕest lÕintŽr t national : la crŽation des intŽr ts nationaux est un processus plus complexe quÕune dŽcision exog ne, qui dŽpend des enjeux nationaux mais aussi des nŽgociations elles-m mes. Les institutions europŽennes ne sont pas toujours au service du pouvoir des Etats, elles nÕont pas seulement une fonction instrumentale : des processus dÕautonomisation au sein de lÕespace politique europŽen existe (cf. BCE par exemple). Les institutions ont des intŽr ts propres, des valeurs propres, et mobilise des acteurs pour les dŽfendre. Les Etats eux-m mes sont transformŽs par lÕintŽgration europŽenne. La conception libŽrale afÞrme que lÕEtat est la seule sc ne de rŽception des demandes sociales mais cela nŽglige les mouvements transnationaux ou infranationaux. Il existe dÕautres lieux, dÕautres espaces sur lesquels se mobilisent les acteurs sociaux et sur lesquelles sÕagr gent les demandes sociales : sc ne europŽenne, sc ne internationale, sc ne infrarŽgionale. Une derni re critique est une critique mŽthodologique liŽe ˆ la faiblesse des travaux empiriques. Les terrains de recherche sont essentiellement les grandes confŽrences intergouvernementales. On ne parvient pas ˆ saisir la diversitŽ des acteurs et les conÞgurations dÕacteur qui existent en Europe. Or il existe des processus plus complexes, avec la formation de coalition par exemple. LÕintergouvernementalisme fait de lÕhistoire de lÕEurope lÕhistoire des grands hommes qui oublient la fabrique quotidienne de lÕinstitution. Section 2 : Les nouvelles approches de la construction europŽenne Ces approches, ˆ lÕinverse des approches classiques, ont participŽ ˆ dŽghetto ser les European studies. Les dŽbats qui opposent supranationalistes et intergouvernemtalistes restent prŽsents, ces courants de recherche ne disparaissent pas. Mais ˆ partir des annŽes 1970, de nouvelles approches cherchent ˆ dŽpasser ce dŽbat quelque peu stŽrile sur la nature de lÕUE. Elles cherchent ˆ sortir de la recherche dÕune thŽorie analytique englobante : on part de lÕidŽe quÕil nÕy a pas de grande thŽorie de lÕUE mais une variŽtŽ dÕoutils pour comprendre lÕUE. CÕest moins ce quÕest lÕUE que ce quÕelle fait. 9 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 On parle dÕabord du nŽo-institutionnelle, les approches de la fabrique de lÕUE puis de la sociologique politique de lÕUE. I) Le nŽo-institutionnalisme (March et Olsen, Hall et Taylor, Stone Sweet) James March et Johann Olsen (1984) sont des nŽo-institutionnalistes. Ils cherchent ˆ insister sur le facteur institutionnel dans la vie politique. LÕUE dŽsigne ici un ordre politique et institutionnel qui sÕautonomise, qui a des effets propres aussi bien sur lui-m me que sur les Etats membres. La science politique a tentŽ de typiÞer le nŽo-institutionnalisme. Le point commun des trois courants dŽÞnis par cette typologie est de montrer le poids de lÕinstitution qui p se sur les acteurs et leurs stratŽgies. A) Le nŽo-institutionnalisme rationaliste (Tsebelis) Le nŽo-institutionnalisme rationaliste insiste particuli rement sur les conÞgurations de jeux gŽnŽrŽs par les institutions. Ce courant consid re que les acteurs, individuels ou collectifs, qui sÕadonnent ˆ ces jeux sont des acteurs rationnels dÕun point de vue Žconomique. Ils cherchent ˆ maximiser leur utilitŽ apr s un calcul cožt-avantage. Mais ces stratŽgies sont contraintes par les r gles institutionnelles. Les r gles institutionnelles, formelles notamment (r gles de vote) impose des stratŽgies particuli res : stratŽgie dÕalliance pour atteindre au mieux leurs objectifs par exemple. On peut donc dŽÞnir mathŽmatiquement, selon ces auteurs, les diffŽrentes possibilitŽs dÕaction des acteurs. On est dans ce que March et Olsen appellent Ç the logic of consequences È. B) Le nŽo-institutionnalisme sociologique (Christiansen, Jorgensen) Il existe aussi Ç the logic of appropriateness È. DÕautres auteurs parlent plus en termes de valeurs, de conßits. Les acteurs se comportent donc de mani re la plus lŽgitime. Les acteurs agissent en fonction de ce qui est conforme ˆ ce que les institutions attendent dÕeux. Les institutions dŽsignent alors des symboles, des valeurs, des clivages, quÕendossent les individus qui appartiennent ˆ une institution. Cela inßue sur leur comportement, sur leurs visions du monde mais aussi sur les objectifs politiques. En entrant dans une institution, les individus pŽn trent dans un ensemble humain structurŽe de ses propres r gles et conventions et lÕinstitution Þni par transformer lÕindividu (force socialisatrice des institutions). Les institutions ne sont donc pas que des r gles juridiques qui orientent les calculs rationnels des individus et donc, dŽÞnies en dehors des individus. Au contraire, les individus intŽriorisent ces contraintes, et les font vivre. En ce sens, les institutions europŽennes doivent sÕentendre comme des processus symboliques et cognitifs, avec des processus de socialisation. On parle donc parfois de constructivisme sociologique. C) Le nŽo-institutionnalisme historique (Pierson) Le nŽo-institutionnalisme historique insiste sur lÕidŽe que les institutions gŽn rent une histoire structurante qui p se sur les acteurs et les politiques publiques. Pierson parle ainsi de Ç path dependence È. LÕhistoire est structurante tant sur le dŽveloppement de lÕinstitution que sur le comportement des acteurs eux-m mes. Ce courant insiste sur la dimension temporelle et contextuelle qui permet ˆ un probl me dÕŽmerger. Ainsi, on ne peut pas comprendre lÕŽmergence des premi res coopŽrations europŽennes sans prendre en compte le contexte de la Guerre Froide et de lÕapr s-guerre (cf. la PAC se fait dans un contexte de rationnement alimentaire et de dŽveloppement du productivisme agricole). LÕŽvolution de lÕUnion europŽenne est dŽpendante de sa gen se. M me confrontŽe ˆ des crises, lÕŽvolution de la construction europŽenne reste fortement dŽpendante des conditions de crŽation de lÕUE. La construction europŽenne est un ensemble de symboles, de codes, de comportements, qui inßuent sur les acteurs et leurs fa ons de faire. Les acteurs ne peuvent pas faire ce quÕils veulent mais sont tenus par les conÞgurations europŽennes, notamment celles au sein desquelles ils marchandent. Ainsi, pour les nŽo-fonctionnalistes, les institutions correspondent ˆ la fonction pour laquelle ils ont ŽtŽ crŽŽs. Pour Paul Pierson, il nÕy a pas de logique fonctionnelle dans les intŽr ts Žconomiques. Il faut donc 10 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 dŽplacer le regard vers les acteurs qui disposent dÕassez de ressources politiques pour le faire. Les acteurs nÕont pas une vision claire de ce quÕils attendent, et pas de vision claire des effets des institutions quÕils ont crŽŽes. Il faut donc repenser le spill-over en intŽgrant une dimension historique. LÕhŽritage a un poids important. Il existe des mouvements cumulatifs qui cristallisent les conÞgurations institutionnelles et qui dŽtermine un cheminement de lÕaction publique. Ainsi, on parle de routinisation des pratiques : les individus sÕhabituent ˆ agir dans un cadre prŽcis avec des codes et pratiques intŽriorisŽs. Dans ce cadre, il est difÞcile pour les individus de choisir de nouvelles options, voire m me dÕenvisager lÕexistence de nouvelles options. Le passŽ sÕimpose donc de lui-m me et la dŽpendance au passŽ sÕimpose ˆ lÕaction (cf. les claviers Azerty). Les acteurs Žtatiques ne sont pas forcŽment en mesure dÕagir sur les effets des institutions quÕils ont crŽŽes mais ils sont aspirŽs par le mouvement et doivent redŽÞnir leurs actions et leurs attentes en fonction de celui-ci. Dans cette perspective, la nouveautŽ est productrice dÕincertitudes quant ˆ la place quÕon occupe dans une conÞguration donnŽe. Dans le cadre dÕune crise, aucun acteur ne veut tre marginalisŽ dans un processus et on sÕoriente alors vers le chemin le plus connu, le plus empruntŽ. Michel Dobry parle donc de rŽgression vers les habitus. La crise ne crŽe pas forcŽment la nouveautŽ mais au contraire emprunte des voies rassurantes, et donc renforce le statu-quo. Paul Pierson ne dit pas que le changement est impossible mais lÕhypoth se du changement de lÕaction publique doit se penser avec les contraintes institutionnelles et avec les processus de routinisation des pratiques (path dependence). Les institutions ne changent donc pas de mani re brutale mais de mani re incrŽmentale. Un exemple est la Banque centrale europŽenne et la crise des subprimes. Une approche constructiviste de lÕaction publique de la BCE La crise de 2008 est dÕabord une crise Þnanci re des marchŽs immobiliers. Mais les banques privŽes concernŽes (too big to fail) ont eu besoin du soutien des Etats ce qui a menŽ ˆ une crise des dettes souveraines. Ç LÕart du grand Žcart. La Banque centrale europŽenne face aux dilemmes provoquŽs par la crise de la zone Euro È ClŽment Fontan. Fontan mobilise dans cet article la notion de rŽputation en reprenant la notion ˆ Carpenter (analyse de la Food and Drug Administration). CÕest un ensemble de croyances symboliques sur une organisation partagŽes par une multiplicitŽ dÕaudience ˆ la base du pouvoir rŽgulateur de lÕagence. Fontan se demande alors quelle suite a ŽtŽ donnŽe ˆ la crise des dettes souveraines jusquÕau rachat des bons du trŽsor grec sur les marchŽs secondaires. Cette dŽcision prise ˆ Francfort le 10 mai 2010 nÕŽtait pas prŽvu dans les textes fondateurs de la BCE. Comment analyser ce changement ? Comment analyser les effets de cette crise ? La th se de Fontan est de dire que la politique monŽtaire donnŽe ˆ partir de ce moment-lˆ ne se trouvent pas dans les statuts ofÞciels de la BCE mais dans les Ç conditions idŽelles de sa crŽation È. Quand on a crŽŽ lÕeuro, on a crŽŽ une banque centrale comme autoritŽ indŽpendante. La BCE a ŽtŽ crŽŽe au nom de Ç lÕinconstance temporelle È. Pour les concepteurs, il fallait isoler la BCE de toutes pressions politiques parce que sa mission principale est dÕassurer la stabilitŽ des prix et donc la lutte contre lÕinßation. CÕest liŽ ˆ lÕorthodoxie ordolibŽrale. OrdolibŽralisme : courant Žconomique dŽveloppŽ dans les annŽes 1920-1930 qui voit dÕun mauvais Ïil le dŽveloppement du nazisme et du communisme et qui veut dŽvelopper une Žconomie sociale de marchŽ, avec une crainte des monopoles et de lÕinßation. On a donc donnŽ ˆ la BCE un tr s haut degrŽ dÕindŽpendance face au pouvoir politique au nom du principe dÕinconstance temporale. CÕest la base de se crŽdibilitŽ : les banquiers centraux nÕont pas dÕautres intŽr ts que la mission qui lui incombe. 11 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Or, avec la crise des subprimes de 2008 qui se mue en crise des dettes souveraines, la BCE se retrouve au-devant de la sc ne et fait face ˆ dÕimportantes pressions politiques pour prendre des dŽcisions hŽtŽrodoxes : jouer le r™le de pr teur en dernier ressort dans les crises Þnanci res m me si le traitŽ constituant la BCE ne prŽvoyait quÕun simple r™le dÕassistance (r™le minime pour encourager les Etats ˆ tre vertueux car pas de possibilitŽ de gros efforts de la BCE sur le principe). D s le dŽpart de la crise et la banqueroute de Lehman Brothers, la BCE a offert des liquiditŽs aupr s des banques commerciales pour quÕelles puissent acheter de la dette souveraine. Or, les agences de notation provoquent une asymŽtrie entre pays : certains ont des taux dÕintŽr ts tr s importants dans le cadre du rachat de leurs dettes par les banques commerciales. La politique monŽtaire de la BCE dŽcoule tr s fortement des arrangements institutionnels de dŽpart. CÕest lÕidŽe de Ç lÕart du grand Žcart È que Fontan Žvoque : comment gŽrer les tensions liŽes au rachat de la dette souveraine (Securities Market Program) ? La BCE met en Ïuvre ce programme mais doit tout faire pour ne pas apparaitre comme reniant ses principes, notamment vis-ˆ-vis de son audience orthodoxe. Le risque cÕest des attaques spŽculatives sur lÕeuro et la dŽprŽciation de la monnaie unique. Elle y parvient gr‰ce ˆ une communication subtile en technicisant ses dŽcisions hŽtŽrodoxes, en dŽpolitisant la prise de dŽcision. La BCE Žvoque moins la stabilitŽ des prix et davantage la stabilitŽ Þnanci re. Elle associe Žgalement la stabilitŽ Þnanci re ˆ la soutenabilitŽ des Þnances publiques. Par rapport aux autres banque centrale (Fed aux Etats Unis ou Bank of England), elle agit de mani re modeste. Elle ne publicise pas les titres quÕelle a achetŽ mais uniquement le montant hebdomadaire des titres achetŽs pour ne pas appara”tre comme intervenant pour sauver certains Etats particuli rement en difÞcultŽ. EnÞn, elle a ÏuvrŽ a stŽrilisŽ son intervention : elle a rachetŽ de la dette souveraine mais elle a aussi tr s largement facilitŽ lÕacc s aux liquiditŽs aux banques commerciales pour quÕelles continuent ˆ faire du Ç carry trade È (les banques commerciales pr tent aux Etats ˆ un taux spŽciÞque, mais les banques commerciales empruntent ˆ la BCE pour des intŽr ts moins importants). La BCE exige ainsi peu de contreparties aux banques commerciales, alors quÕˆ lÕinverse elle exige beaucoup de la part des Etats, avec des rŽformes structurelles de lÕŽconomie importantes. Le poids des arrangements initiaux a donc contraint et cadrŽ lÕaction de la BCE [La BCE nÕest pas censŽe pr ter de lÕargent aux Etats. En situation de crise, lÕinstitution est contrainte par sa gen se. Elle dŽcide donc de racheter de la dette souveraine, donc de pr ter de lÕargent ˆ des Etats. Elle le fait discr tement pour ne pas susciter de critiques et elle demande des contreparties importantes, ˆ lÕinverse de ces pr ts envers les banques commerciales. La crise lÕam ne ˆ changer, mais au Þnal, elle reste Þd le ˆ ces principes originels. Illustration du nŽo-institutionnalisme historique] Limites du nŽo-institutionnalisme Ce courant nŽglige la plasticitŽ qui existe au niveau europŽen : cet espace est caractŽrisŽ par de tr s nombreuses transactions, avec de tr s nombreux partenaires. Il existe Žgalement un jeu autour des normes communautaires (diffŽrentes interprŽtations au niveau national). EnÞn, de nombreuses crises europŽennes dŽstabilisent les transactions et ouvrent les jeux. De plus, ces approches sont tr s souvent dŽsincarnŽes : ces travaux se limitent ˆ lÕŽtude des prŽfŽrences dŽclarŽes des acteurs, ˆ lÕŽtude des discours des acteurs. Ils ne vont pas assez loin dans lÕanalyse des prŽfŽrences, mais aussi de lÕintŽriorisation des contraintes institutionnelles. II) LÕŽtude du Ç policy-making È europŽen En parall le des travaux nŽo-institutionnalistes, tout un ensemble de travaux se dŽveloppe pour Žtudier la fabrique de lÕaction publique europŽenne : aborder lÕUE comme espace de production de politiques publiques. Il sÕagit donc de dŽlaisser le dŽbat sur la nature de la construction europŽenne mais plut™t ˆ Žtudier ce que fait lÕUE et comment elle le fait, sÕintŽresser aux policies plus quÕau politics. LÕEurope 12 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Žmerge comme un espace spŽciÞque de construction de politiques publiques. On peut distinguer deux espaces de politiques publiques. A) LÕEurope comme multi-level governance (Hooghe et Marks) Ces travaux sont fortement marquŽs par le dŽveloppement de thŽories de la Ç governance È. LÕUE est apprŽhendŽe comme exemple type de la mani re dont sont affectŽs les gouvernements en vigueur depuis le dŽclin du welfare-state keynŽsien ˆ partir des annŽes 1970. Pour Marks et Hooghe, lÕUE est marquŽe par des spŽciÞcitŽs lourdes qui la distinguent des modalitŽs traditionnelles de construction des politiques publiques dans un cadre Žtatique. Cela illustre aussi les tendances qui affectent ces m mes Etats-nations. Dans les approches classiques des Etats keynŽsiens, lÕEtat est un Etat fort, unitaire, centralisŽ, capable dÕexercer un contr™le fort aussi bien sur les sociŽtŽs que sur lÕŽconomie. LÕUE fonctionne sur un mode diffŽrent : faiblesse structurelle de lÕautoritŽ centrale, absence relative de moyens Þnancier pour dŽvelopper ces politiques publiques, Žmergence de nouvelles mani res de conduire lÕaction publique. Cela se caractŽrise donc par une multiplication des acteurs associŽs : publics (administrations centrales, collectivitŽs rŽgionales) ou privŽs (lobbys, consultants, sociŽtŽ civile organisŽe). Cette multiplication est liŽe ˆ la technicisation des lÕaction publique mais aussi ˆ des restrictions budgŽtaires. Cela entraine un brouillage de la fronti re public privŽ : les acteurs publics nÕont plus quÕun r™le de leadership limitŽ et on observe une dilution de lÕautoritŽ politique publique. Les instances administratives tendent ˆ se normaliser, ˆ devenir des acteurs comme les autres malgrŽ leur r™le de leadership. Ces modes de rŽgulation horizontaux se caractŽrisent aussi par une multiplication des niveaux de nŽgociation : le niveau national reste prŽsent auquel sÕajoute les niveaux locaux (collectivitŽs rŽgionales, municipales) et supranationaux (instances internationales, UE, etc.). LÕUE dans son ensemble se prŽsente comme une superposition de diffŽrents nouveaux de gouvernements en interaction permanente, plus ou moins forte selon les secteurs. On parle donc de multi-level governance car chacun de ces espaces est marquŽ par ses objectifs politiques, ces modalitŽs dÕaction publique, qui peuvent diffŽrer. La compŽtence commerciale rel ve de la compŽtence exclusive de lÕUE. La Commission europŽenne est habilitŽe ˆ nŽgocier avec les gouvernements des autres Etats du monde. LÕunitŽ de la Commission sur ces dossiers nÕest quÕapparente puisque composŽe de diffŽrentes directions gŽnŽrales (Agriculture, etc.), parfois en concurrence. De plus, la Commission se trouve remise en cause par dÕautres institutions supranationales qui appartiennent au niveau europŽen : agence indŽpendante, Parlement europŽen, SecrŽtariat du Conseil, etc. Au niveau national, la Commission est confrontŽe aux Etats qui veulent dŽfendre leurs intŽr ts nationaux. Les Etats eux-m mes ne sont pas tout-puissants mais sont pris dans le jeu des nŽgociations collectives des Etats membres et peuvent tre mis en minoritŽ par le jeu de la majoritŽ qualiÞŽ. De plus, les Etats ne sont pas uniÞŽs : oppositions de partis dans les gouvernements de coalition, diffŽrentes bureaucraties. De plus, au niveau infranational, les Etats sont de moins en moins centralisŽs et les rŽgions peuvent chacune poursuivre des intŽr ts particuliers (cf. CETA en Belgique). EnÞn, les groupes dÕintŽr ts non-Žtatiques, gŽnŽralement des groupes Žconomiques mais aussi des groupes dÕintŽr ts sociaux, environnementalistes, etc., peuvent intervenir ˆ diffŽrents Žchelons de gouvernement (national, supranational, etc.). LÕautoritŽ europŽennes est donc dispersŽe entre les diffŽrents niveaux et les diffŽrents acteurs. CÕest pour cela que lÕespace de construction des politiques publiques est plastique Marks et Hooghe dŽÞnissent alors la multi-level governance : Ç Le point de dŽpart des approches fondŽes sur la gouvernance multi-niveaux est lÕexistence de compŽtences couvertes par de multiples gouvernement et lÕinteraction dÕacteurs politiques ˆ travers ces niveaux. Les exŽcutifs des Etats, bien que puissants, ne constituent pas moins quÕune partie des acteurs intervenant dans les politiques europŽennes. Les Etats ne sont pas lien exclusif entre les politiques domestiques nationales et les marchandages 13 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 intergouvernementaux qui se dŽroule au sein de lÕUE. La structure du contr™le politique est variable et non constante suivant les diffŽrentes sph res de lÕaction publique. È LÕaction publique au niveau europŽen devient de plus en plus complexe, de moins en moins lisible et de plus en plus ŽloignŽ dÕun schŽma classique de gouvernement. De ce fait, les auteurs forgent le concept de gouvernance pour expliquer cette autre forme de dÕaction publique, opposŽe au gouvernement (domination des acteurs publics, hiŽrarchisation des objectifs, des pilotages, etc.). Critiques du concept de gouvernance Le concept de gouvernance est issu tr s largement des thŽories du New public management (NPM) qui ont gagnŽ les sciences administratives ˆ partir des annŽes 1980. En tant que tel, le terme de gouvernance apparait polysŽmique parce quÕil dŽsigne ˆ la fois un cadre analytique mais en m me temps, il dŽsigne un cadre idŽologique, normatif. Cela renvoie ˆ une volontŽ de rŽorganiser lÕaction publique sur des mod les libŽraux avec le retrait de lÕEtat, la libŽralisation de lÕŽconomie, etc. CÕest un exemple des transferts entre catŽgories analytiques et catŽgories pratiques. Ce nÕest pas juste une catŽgorie universitaire mais cÕest aussi un concept avec une fonctionnalitŽ politique, notamment pour la Commission europŽenne dans sa qu te de lŽgitimitŽ pour produire des politiques publiques. Si lÕaction publique est affectŽe par de nouveaux mod les, il faut en m me temps constater la persistance des anciens mod les de construction de lÕaction publique. La gouvernance dŽsigne peut tre davantage des processus dÕaction publique ˆ la marge aux niveaux locaux, rŽgionaux et europŽens. On assiste ˆ une juxtaposition des mod les de gouvernements. NŽanmoins cette approche en termes de multi-level governance diff re des approches classiques de lÕaction publique europŽenne. Elle ne prŽtend pas tre une thŽorie qui cherche ˆ dŽgager des lois gŽnŽrales sur ce quÕest lÕUE mais ˆ une nouvelle conceptualisation de lÕaction publique europŽenne. Elle illustre lÕidŽe que lÕaction publique dans lÕUE se site ˆ diffŽrents niveaux et entre plusieurs niveaux. B) LÕUnion europŽenne comme espace de politiques publiques (MŽny, Muller, Surel, Lequesne) Les chercheurs fran ais sont arrivŽs tardivement sur le marchŽ de lÕŽtude europŽenne et se sont surtout des spŽcialistes des politiques publiques qui se sont intŽressŽs, dans les annŽes 1980, ˆ lÕEurope comme lieu de production de politiques publiques. Ces Žtudes sont marquŽes par lÕŽmergence dÕun agenda politique europŽen : les autoritŽs nationales nÕont plus le monopole de lÕagenda. Le choix des th mes ˆ lÕagenda se fait au niveau europŽen dans le cadre dÕespace spŽciÞque. Il faut donc penser les probl mes publics et leur rŽsolution dans le cadre europŽen (p che, chasse, santŽ, sŽcuritŽ, immigration, etc.) On a donc la constitution dÕun espace communautaire sur un mode pluraliste : lÕUE est devenue une sc ne ˆ part enti re de reprŽsentation des diffŽrents intŽr ts Žconomiques et sociaux concernŽs par lÕaction publique europŽenne. Cela se voit par le fait quÕun nombre croissant dÕorganisations dŽfendant des intŽr ts sÕinstallent ˆ Bruxelles et cherchent ˆ tre reprŽsentŽ aupr s des instances europŽennes. Cela se fait sans que se dŽgage des acteurs pivots : le jeu reste assez ouvert avec des nŽgociations dŽmultipliŽes. EnÞn, on a une transformation des modes de dŽcision : elle est marquŽe en Europe par lÕabsence de leadership dŽcisionnel stable, par lÕomniprŽsence de nŽgociation, par la centralitŽ du compromis. Cela ne rend pas toujours lisible le processus europŽen dans son ensemble. III) Les approches inspirŽes des acquis de la sociologie politique (Georgakakis, Sith, BaisnŽe, Robert, Buchet de Neuilly, Kauppi, Rask Madsen, Beauvallet) Ce courant est donc issu de la sociologie politique et notamment de la sociologie politique fran aise. Il repose sur la mobilisation de grilles dÕanalyse forgŽes pour Žtudier la sociogen se des Etats-nations en Europe occidentale (Marx, Weber, Elias, Bourdieu). Ce courant se dŽveloppe notamment par la prise de conscience dÕun risque, dÕun pŽril ŽvoquŽ de mani re croissante par les europŽanistes eux-m mes : la 14 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 ghetto sation de leur champ de recherche. A force de dŽbattre et de se situer par rapport aux paradigmes dominants, souvent plus descriptifs quÕanalytiques (nŽo-fonctionnalistes ou intergouvernementalistes), ce monde acadŽmique risque ˆ terme de ne plus parler quÕˆ ces seuls membres. La construction europŽenne est une entreprise institutionnelle (Weber) cÕest-ˆ-dire un processus de construction dÕune forme politique qui suit pour partie une pente analogue ˆ la construction de lÕEtat (agents spŽcialisŽs, recrutŽs avec des concours spŽciÞques, formes dÕappropriations de ressources et de compŽtences, formes dÕautonomisation, etc.) qui a pour lÕinstant ŽchouŽ ˆ revendiquer le monopole de la violence lŽgitime. Il en dŽcoule un processus singulier qui se donne ˆ voir dans un espace institutionnel double, marquŽ ˆ la fois par le poids des structures Žtatiques et par le poids des dynamiques communautaires. Les approches issues de la sociologie politique cherchent ˆ apprŽhender la construction europŽenne comme un ensemble de processus qui am ne ˆ voir lÕUE comme un nouvel espace diffŽrenciŽ de relations, de concurrences et de pouvoir. Cet espace se forme dans lÕinteraction entre diffŽrents acteurs : fonctionnaires europŽens et nationaux, reprŽsentants des Etats membres, Žlus europŽens, Žlus nationaux en charge de la question europŽenne, membres des groupes dÕintŽr ts, journalistes spŽcialisŽs, reprŽsentants des Etats-tiers, ainsi que les citoyens, les partis politiques, etc. Cet espace est un espace de concurrence et de pouvoir car il concentre un certain nombre de ressources dÕaction sur le monde. Les acteurs mentionnŽs sont en concurrence pour sÕapproprier ces ressources : institutions, procŽdŽs juridiques, connaissances, expertise, etc. Ils cherchent ˆ sÕapproprier ces ressources pour orienter la marche de lÕEurope selon leurs intŽr ts. CÕest un lieu dÕŽmergence de nouveaux professionnels en charge de la gestion de ces ressources communautaires et en charge de lÕexercice collectif du pouvoir dans cet espace. Ces professionnels se distinguent dÕautres catŽgories professionnelles par des statuts particuliers : fonctionnaires europŽens, carri res spŽciÞques distinctes des carri res nationales, etc. Ces professionnels partagent des lieux de sociabilitŽs particuliers : quartiers de Bruxelles, lieux de rŽsidence commune (Bruxelles-ville, Ixelles, Etterbeek), Žcoles spŽciÞques pour leurs enfants, etc. [Cela peut tre amenŽ ˆ changer avec lÕŽmergence du tŽlŽtravail apr s la pandŽmie] On parle dÕun espace de Ç coopŽration concurrentielle È. Ces acteurs sont en concurrence les uns avec les autres au sein de cet espace europŽen. Ils poss dent des ressources, en partie diffŽrentes. Leur prŽsence dans le jeu ne repose pas nŽcessairement sur les m mes lŽgitimitŽs (technocratiques, dŽmocratiques, etc.). Les uns et les autres rivalisent pour conserver les positions quÕils occupent ou pour renforcer, ou subvertir leurs positions dans cet espace. Les parlementaires veulent sÕimposer face ˆ la Commission, les fonctionnaires veulent conserver leur position centrale, les instances nationales cherchent ˆ maintenir la prŽŽminence des volontŽs Žtatiques, etc. Au-delˆ de ce qui les opposent, ces acteurs ont des rŽfŽrences, des complicitŽs communes, et ceci pour plusieurs raisons. Ils partagent un intŽr t commun au jeu europŽen, dont ils dŽpendent parce quÕils ont investi dans ce jeu du temps, des formations, des rŽseaux, des croyances, une carri re, une vie sentimentale, etc. Ils partagent ensuite des savoir-faire et des savoir- tres communs qui leur permet de coopŽrer : cÕest notamment le cas du culte du compromis, la prŽŽminence de la nŽgociation. Cet espace est aussi un jeu ˆ niveaux multiples. Ainsi, les diplomates en place ˆ Bruxelles au COREPER, face aux fonctionnaires de la Commission, apparaissent comme des acteurs dont les ressources proprement nationales sont dominantes. Ils sont attachŽs ˆ conserver la centralitŽ des Etats dans le processus communautaire. A lÕinverse, face ˆ leurs homologues dans les capitales nationales, ces diplomates apparaissent comme des acteurs europŽens parce que leur position au sein de lÕappareil dÕEtat dŽpend de la valeur des ressources proprement europŽanisŽes quÕils maitrisent. Ces acteurs ont besoin du renforcement de Bruxelles comme force politique. Suivant leur interlocuteur, un double-jeu sÕop re. 15 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 De plus, cÕest un jeu ˆ niveaux multiples puisquÕil nÕy a pas de leadership stable : aucune institution ne peut sÕimposer durablement et de mani re automatique face aux autres. De m me, aucune institution ne peut tre considŽrŽe comme homog ne : elles sont traversŽes par des luttes internes, entre services qui dŽfendent des intŽr ts parfois contradictoires. Aucun des acteurs du jeu europŽen nÕont intŽr t ˆ bloquer le processus lŽgislatif europŽen, et ceci quand bien m me ils en attendent des choses divergentes. Dans cet espace diffŽrenciŽ de relations, de concurrence et de pouvoir, les acteurs luttent pour pouvoir parler au nom de lÕEurope, chacun rivalise pour dŽÞnir les contours et limites de lÕEurope, pour sÕapproprier les ressources liŽes ˆ lÕEurope. Toutefois, ces luttes se fondent sur la base dÕun intŽr t partagŽ pour le jeu europŽen. Dans ce cadre, lÕUE se dŽÞnit comme un espace complexe de Ç coopŽration concurrentielle È dont il est difÞcile de prŽvoir les Žvolutions. Le sens de la sociologie politique de lÕUE est de sÕintŽresser aux r gles de droit censŽes dŽÞnir le sens de lÕUE mais aussi de sÕintŽresser aux individus qui interagissent dans cet espace. Les propriŽtŽs de lÕUE dŽpendent de lÕŽtat des jeux qui sÕy dŽroulent. Il faut donc dŽplacer le regard des institutions vers les acteurs qui les composent et les font exister au quotidien. Il est donc vain de dŽÞnir lÕEurope comme un essence aussi bien dans ses fronti res territoriales, culturelles, sectorielles, etc. puisque ces fronti res sont lÕenjeu m me des luttes qui font exister lÕEurope. Au sein de lÕespace europŽen, certains intŽr ts sont davantage privilŽgiŽs au dŽtriment dÕautres : ceux des fonctionnaires plut™t que les politiques, ceux des entreprises plut™t que les syndicats de travailleurs, ceux des consommateurs plut™t que les citoyens, etc. En effet, ce sont les acteurs qui poss dent les ressources les plus efÞcientes pour sÕimposer au sein de cet espace de relations, de concurrence et de pouvoir. La directive Bolkestein (services dans le MarchŽ intŽrieur) Les luttes qui caractŽrisent cet espace restent importantes. Tout un ensemble dÕacteurs cherchent ˆ renverser le rapport de force existant et, dans certains cas, avec succ s. Ainsi, autour de la directive portuaire ou autour de la directive Bolkestein (services dans le MarchŽ intŽrieur), les droits des travailleurs ont primŽ sur les intŽr ts patronaux. La th se dÕAmandine Crespy (Ç Qui a peur de Bolkestein ? Conßits, rŽsistances et dŽmocratie dans lÕUnion europŽenne È) Žtudie ce cas. Le TraitŽ de Rome prŽvoit la libŽralisation de la circulation des services (70% de lÕactivitŽ Žconomique europŽenne). Cette libŽralisation a fait beaucoup plus lÕobjet de rŽsistance que la libre circulation des capitaux, des travailleurs, ou des biens. La directive de Bolkestein a pour but de parachever le marchŽ intŽrieur et prŽvoit une libŽralisation ˆ grande Žchelle et pour la plupart des services, tend ˆ imposer le principe du pays dÕorigine. Cela a crŽŽ un conßit sans prŽcŽdent dans lÕhistoire de lÕintŽgration europŽenne qui sÕexplique par la convergence de diffŽrents agendas politiques et institutionnels : - LÕŽlargissement ˆ lÕEst de lÕEurope qui alimente les craintes liŽes aux migrations de travail - Le dŽbat sur la ratiÞcation du TraitŽ constitutionnel europŽen (Espagne, France et Pays-Bas soumise au rŽfŽrendum) La gauche sociale sÕen empare comme cheval de bataille contre la globalisation Žconomique. Des ONG, des syndicats, des partis politiques afÞrment que cette directive aurait des effets nŽfastes : absence de concertation, mise en Žquivalence de services incomparables (tŽlŽphonie mobile = soins ˆ domicile), application systŽmatique du principe du pays dÕorigine entraine un risque de favoriser de dŽlocaliser les entreprises et donc de favoriser une concurrence dŽloyale entre les travailleurs (dumping social), etc. Cette directive a donc donnŽ lieu ˆ une importante politisation qui diff re en fonction des espaces nationaux. Sur cette question, il est pertinent pour les opposants de cibler les eurodŽputŽs rapporteurs du texte de loi au Parlement et les prŽsidents des groupes. Deux commissions sont concernŽes (Empl et Imco). Des nŽgociations et compromis ont lieu. La rapportrice Evelyne Gebart soutient un texte de compromis qui 16 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 renverse en partie lÕŽtat du rapport de force : victoire de la mobilisation des syndicats de travailleurs. CÕest rare et cela montre la difÞcultŽ de telles mobilisations ˆ atteindre leurs objectifs. Avec de telles perspectives, lÕanalyse des processus europŽens supposent de dŽplacer le regard des institutions entendues au sens formel vers les acteurs qui les composent pour interroger la mani re dont ces acteurs utilisent ces modes thŽoriques de fonctionnement, les construisent et font exister ces institutions. Il sÕagit non pas ˆ sÕintŽresser de la Cour de Justice mais aux juges et avocats, non pas ˆ la Commission mais aux fonctionnaires, non pas aux groupes dÕintŽr ts mais aux lobbyistes. Les approches de sociologie politique sÕintŽressent beaucoup aux interactions entre lÕespace de pouvoir europŽen et les instances nationales : les formes de lŽgitimation de cet espace par les journalistes, par les nouveaux intermŽdiaires (Žlus, lobbyistes, agents europŽens aupr s des collectivitŽs territoriales) par les nouvelles Žlections, par les partis politiques europŽens. DÕautres travaux sÕintŽressent aux mobilisations sociales ˆ destination de lÕEurope. Plusieurs modŽlisations ont ŽtŽ formulŽes. A Ç multilevel political Þeld È Le politiste Niilo Kauppi propose dÕanalyser lÕespace europŽen comme un champ politique multi-niveau, un champ de concurrence mais aussi de coopŽration, structurŽ autour de deux axes de tension. Le premier axe (en abscisse), qui permet de comprendre les dynamiques de cet espace, est lÕaxe dÕopposition entre p™le national et p™le europŽen. Le p™le europŽen est composŽ des institutions de lÕUE avec des ressources transnationales contr™lŽ par des experts, des fonctionnaires, des eurocrates mais aussi des reprŽsentants des groupes dÕintŽr ts Žconomiques. Le p™le national est formŽ par les centres de dŽcision nationaux, contr™lŽ par les administrations centrales. LÕEtat sÕest construit sur lÕappropriation de ressources multiples au dŽtriment de la sociŽtŽ civile. La construction europŽenne semble en revanche devoir se comprendre comme un processus dÕaccumulation, par diverses institutions et groupes professionnels, de ressources au dŽtriment des Etats et des acteurs qui les incarne. La tension en abscisse renvoie ˆ une lutte pour la concentration du pouvoir politique. Le second axe (en ordonnŽe) est la tension entre ressources exŽcutives et ressources lŽgislatives. Dans le p™le exŽcutif on retrouve les fonctionnaires de la commission, les reprŽsentants des Etats au COREPER ou au Conseil des ministres. Ce p™le a lÕascendant sur le p™le lŽgislatif composŽ par les Žlus. Cela marque une opposition entre deux modes de lŽgitimitŽ contradictoire : technique et politique. La domination du p™le exŽcutif se manifeste par la primautŽ confŽrŽe au conseil de lÕUE par rapport au Parlement europŽen. CÕest un schŽma assez conforme aux mod les des Etats-nations (cf. la France). La construction communautaire renvoie ˆ un processus par lequel les p™les europŽens et les p™les exŽcutifs se sont renforcŽs lÕun lÕautre. Pour Kauppi, la construction europŽenne sÕapparente ˆ un processus de concentration supra-Žtatique des ressources exŽcutives, ce qui nourrit bien un dŽpassement du cadre national quÕun certain dŽÞcit dŽmocratique. Le champ de lÕeurocratie Didier Georgakakis prŽsente une autre modŽlisation du champ de lÕeurocratie en modŽlisant le concept de Pierre Bourdieu et en insistant sur lÕinvestissement dans lÕEurope, les croyances attachŽes ˆ la construction de lÕUE (Ç Sommes-nous tous les hŽritiers de Bourdieu ?È, podcast conseillŽ). Pour Bourdieu, quand on essaie de penser lÕEtat, il faudrait plut™t mobiliser la notion de champ du pouvoir que la notion dÕEtat (monopole de la violence physique ET symbolique lŽgitime) : on est habitŽ par lÕesprit Etat, la pensŽe Etat. Il ne faut pas prendre les objets tels quÕils sont constituŽs, mais il faut tenter de reconÞgurer ces objets. La thŽorie du champ (microcosme dÕindividus intŽressŽs ˆ la m me chose) permet de repenser lÕEtat pour penser ensemble les relations des choses qui semblent sŽparŽes (lÕEtat 17 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 et les entreprises par exemple). Il faut penser les relations entre tous les individus en lutte pour la conqu te du pouvoir ˆ un moment donnŽ. Le champ du pouvoir est diffŽrenciŽ selon des individus avec des intŽr ts diffŽrents : il nÕy a pas quÕune Žlite homog ne mais des stratŽgies diffŽrenciŽes. Georgakakis mobilise le concept de champ pour penser lÕespace politique europŽen : le champ de lÕeurocratie. Il insiste sur lÕintŽr t au jeu. Ce qui est majeur ce sont les Žcarts, notamment de position dans le champ et comment ces Žcarts prennent sens dans une situation donnŽe. On a par exemple des oppositions entre les permanents et les occasionnels, entre les agents qui dŽfendent un intŽr t particulier (local, Žconomique, social, national) et les agents qui dŽfendent lÕintŽr t gŽnŽral europŽen, entre ceux qui ont fait lÕessentiel de leur carri re dans le public et ceux qui ont fait lÕessentiel de leur carri re dans le privŽ. Sa modŽlisation se dŽÞnit par un axe vertical qui correspond ˆ la plus ou moins grande possession de capital de toute nature (Žconomique, social, culturel, mŽdiatique, etc.) Certains acteurs p sent plus que dÕautres sur cet axe. Entre un commissaire (en haut), un conseiller ˆ la reprŽsentation permanente, ou un campaigner de Green Peace, il y a une diffŽrence de poids sur la probabilitŽ de pouvoir peser dans ce champ. La diffŽrence entre ses acteurs ne tient pas seulement au volume de capital mais tient aussi ˆ la nature de ce capital : lÕaxe horizontal. Ce champ est tr s fortement structurŽ par lÕopposition entre les insiders, les permanents, et les intermittents (organisations internationales, collectivitŽs territoriales, etc.). Les permanents ont un crŽdit liŽ ˆ leur responsabilitŽ dans le champ, ˆ leur longŽvitŽ, ˆ leur mandat accordŽ par les nationaux. Les directeurs gŽnŽraux ont des carri res de plus en plus europŽanisŽes. Les hauts-fonctionnaires renferment des ressources de lŽgitimitŽ de type europŽenne. Une tension existe entre les commissaires, caractŽrisŽs de plus en plus par la dŽtention dÕun capital politique national au dŽtriment de compŽtences et de formes de lŽgitimitŽ propre ˆ lÕUE, et les hauts-fonctionnaires. Une forme de proximitŽ existe entre les lobbystes permanents et les administrateurs : en effet, les deux ont consacrŽ lÕensemble de leur carri re ˆ lÕUE. DÕautres polaritŽs peuvent tre mises au jour : entre ceux qui disposent de compŽtences techniques et ceux qui ont des compŽtences plus transversales, entre le monde des affaires et celui du secteur public. Derri re les coupures ofÞcielles, juridiques, cette modŽlisation donne ˆ voir une autre lecture des oppositions : les fronti res sont poreuses entre institutions supranationales, nationales, locales, etc. Conclusion La parabole des aveugles et de lÕŽlŽphant (fable dÕorigine indienne) raconte que six aveugles eurent ˆ dŽcrire un ŽlŽphant en touchant certaines parties de son corps et en dŽduisaient des interprŽtations diffŽrentes de ce quÕŽtaient un ŽlŽphant. Ils entraient donc en dŽsaccord quand ils ont confrontŽ leurs idŽes. Chaque humain a tendance ˆ formuler des vŽritŽs absolues fondŽes sur ces expŽriences socialement situŽes car il ignore les expŽriences socialement situŽes des autres. Ainsi, les diffŽrents courant ŽtudiŽs ici ne portent pas les m mes lunettes, nÕobservent pas les m mes sc nes ce qui expliquent les difÞcultŽs de dialogue entre chercheurs. Mais toutes ces approches permettent de rendre compte de rŽalitŽs et elles doivent tre ŽtudiŽes de mani re complŽmentaires. LÕobjet de ce cours consiste ˆ synthŽtiser les connaissances fournies par ces diffŽrentes approches avec un Þl rouge : lÕŽtude des processus par lesquels sÕautonomise progressivement un espace politique europŽen. 18 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 19 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Partie 1 Ð Une histoire de la construction europŽenne est-elle possible ? LÕidŽe sera ici de retracer les grandes Žtapes de la construction europŽenne en les repla ant dans les contextes politiques et gŽopolitiques dans lesquelles elles sÕinscrivent. Tout cela se fera en Žtudiant les stratŽgies des Etats, contre la dŽmarche nŽo-fonctionnaliste. On reviendra sur des moments de blocages ˆ certaines pŽriodes ou au contraire des moments o les Etats se sont engagŽs ˆ relancer la construction communautaire quand ils y trouvaient un intŽr t. A lÕinverse de ce que prŽtendent les intergouvernementalistes, on sÕintŽressera aussi aux acteurs supranationaux, et comment ces acteurs communautaires ont jouŽ le r™le dÕentrepreneur de cause pour nourrir des processus dÕintŽgration. Ce dŽtour par lÕhistoire permet de comprendre la mani re dont se mettent en place les grandes dynamiques structurelles et institutionnelles de la construction europŽenne. Il faut mettre ˆ distance une perception enchantŽe et une perception linŽaire de lÕHistoire de lÕEurope. Alan Millward, intergouvernementaliste, dŽconstruit le mythe des p res de lÕEurope (dont Jean Monnet) en expliquant que ces p res fondateurs auraient soutenu la construction europŽenne par intŽr t matŽriel pour leur pays et non par idŽalisme. La rŽalitŽ est plus complexe que ces visions. Cette image de lÕhistoire de la construction europŽenne a essentiellement ŽtŽ lÕÏuvre dÕacteurs prointŽgrationnistes, dÕacteurs engagŽs, et dans le corps universitaire, plut™t des juristes et des politistes qui Žpousaient les idŽes de cette histoire ofÞcielle. Cette histoire se fait sur une vision hŽro sŽe des fondateurs, centrŽe sur lÕEurope des Six, dans une acception tŽlŽologique (progr s dans un processus dŽterminŽ). Le terme dÕintŽgration porte en lui-m me une vision tŽlŽologique de lÕhistoire de la construction europŽenne, intŽgration Žtant un objectif majeur de lÕUnion europŽenne : lÕarticle premier du TraitŽ sur lÕUnion europŽenne dispose que lÕorganisation crŽe une Ç union sans cesse plus Žtroite entre les peuples de l'Europe È Par ailleurs, lÕhistoire des grandes dates fondatrices, dont le 9 mai 1950, pose le probl me de Ç lÕidole des origines È pour reprendre lÕexpression de Marc Bloch, historien (Apologie pour lÕhistoire ou mŽtier dÕhistorien, Ïuvre inachevŽe Žcrite pendant la 2GM). Dans le vocabulaire courant, les origines sont un commencement qui explique, et qui sufÞt ˆ expliquer. Lˆ rŽside lÕambigu tŽ. Pour Bloch, le danger cÕest que lÕhistorien a souvent tendance ˆ confondre Þliation et explication. Ainsi, la question du christianisme nÕest pas de savoir si JŽsus a ŽtŽ cruciÞŽ puis ramenŽ ˆ la vie mais la question est de comprendre pourquoi autant de personnes croient en la cruciÞxion et la rŽsurrection. Ainsi, dans le cas europŽen, il faut mettre en perspective les dates fondatrices avec le dŽveloppement dÕune politique paciÞŽe par exemple. A lÕopposŽ de ce qui sÕapparente ˆ une vision prophŽtique de la construction europŽenne, il sÕagit de voir que cela renvoie ˆ un processus de longue durŽe, largement aveugle, non linŽaire. Elle demeure une succession de bricolages, de compromis entre diffŽrents types dÕacteurs et de lŽgitimitŽs. Ç La structure de lÕUE proc s plus dÕun procŽdŽ expŽrimental et dÕajustements continus Une histoire de la construction europŽenne supposerait donc un retour sur sa prŽhistoire : lÕhistoire de la gen se des idŽes europŽennes qui ont fait lÕEurope (cf. projet du compte Richard Coudenhove-Kalergi dans les annŽes 1920, ou la fŽdŽration europŽenne dans le cadre europŽenne avec Altiero Spinelli, etc.). Antonin Cohen resitue la crŽation de lÕUE dans la dynamique de concurrence entre Etats europŽens dans le temps long depuis le XIV me si cle (dŽbut de formation dÕEtats modernes en Europe avec centralisation progressive du monopole militaire et Þnancier). Toutefois, on peut voir une conjoncture dans la 2GM avec la mise en place conjointe dÕinstitutions. 20 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 CÕest un processus au rythme alŽatoire : il ne faut pas forcŽment utiliser le terme de blocage, qui vŽhicule une vision tŽlŽologique de lÕintŽgration (il ne devrait pas tre bloquŽ). CÕest dans ce sens quÕil ne faut pas se contenter de lÕhistoire ofÞcielle produite par les institutions de lÕUE et le travail sur archives est crucial. Il faut Žgalement faire attention aux historiographies nationales dans lÕhistoire europŽenne qui a tendance ˆ insister sur le r™le de lÕEtat concernŽ dans la construction nationale. EnÞn, cÕest aussi un processus largement pensŽ et prŽsentŽ par ses architectes comme inabouti (rhŽtorique de lÕŽternel demain). Chapitre 2 Ð De la Guerre Froide ˆ la crŽation des CommunautŽs europŽennes Introduction Il nÕy a pas de dates fondatrices de lÕEurope, mais il y a une conjoncture qui se crŽe apr s la 2GM. Section 1 Ð Les prŽmisses de la construction europŽenne (1945-1950) Le contexte de destruction et dÕinstabilitŽ politique de lÕapr s 2GM entraine des acteurs ˆ fonder les prŽmisses de lÕUE : pour contenir lÕAllemagne, pour reconstruire les Žconomies, pour Žviter que le camp occidental tombe sous la coupe soviŽtique. En 1946, ˆ lÕUniversitŽ de Zurich, Churchill prononce un cŽl bre discours o il appelle ˆ la crŽation des Etats-Unis dÕEurope mais dans le m me temps parle du rideau de fer pour se protŽger des soviŽtiques. Le lancement des premi res coopŽrations europŽennes sont fortement dŽpendantes du contexte politique et diplomatique qui caractŽrise cette pŽriode : durcissement rapide des relations Est-Ouest. La mise en place de la GF sert de prŽludes aux offensives diplomatiques qui lance la machine europŽenne. Ainsi, les premi res coopŽrations europŽennes rŽpondent ˆ des stratŽgies des Etats dans ce contexte. Apr s 1945, lÕURSS ne se retire pas des territoires libŽrŽs ˆ lÕEst de lÕAllemagne ni au Nord de lÕIran et elle y fonde des gouvernements soviŽtiques. Elle cherche aussi ˆ obtenir le contr™le de la mer Noire aupr s de la Turquie et soutient les rŽvolutionnaires grecs. Les Etats-Unis sous la prŽsidence de Truman mettent alors en place une stratŽgie pour contenir la poussŽe des soviŽtiques en sÕassurant le contr™le des territoires situŽs ˆ lÕOuest, au Sud et ˆ lÕEst de lÕURSS. CÕest le containment par la pactomania poursuivi par Eisenhower : multiplication de pactes de dŽfense contre les soviŽtiques. Dans le cadre de cette stratŽgie de containment, trois types de coopŽration prennent forme en Europe : coopŽration Žconomique, coopŽration militaire et stratŽgique et coopŽration politique. Les rŽticences britanniques notamment expliquent le caract re partiel de ces coopŽrations. I) La coopŽration Žconomique : du plan Marshall ˆ lÕOECE (1948) En 1946, via le SecrŽtaire dÕEtat Georges Marshall, les Etats-Unis proposent une aide Þnanci re exceptionnelle ˆ lÕEurope, le Plan Marshall, assorti de conditions. Cette aide est refusŽe par lÕURSS et les Etats quÕelle contr™le et cela inspire la naissance du Conseil dÕaide Žconomique mutuelle (Comecon) dans le bloc de lÕEst, construction europŽenne parall le. Le plan Marshall est motivŽ par deux raisons principales : favoriser la reconstruction rapide de lÕEurope et lÕuniÞcation de lÕEurope occidentale pour Žviter la propagation de la mis re et parall lement des idŽes socialistes (PCF premier parti de France au sortir de la guerre dans un contexte de gr ves ouvri res) ; Žviter lÕŽcroulement de lÕŽconomie Žtatsunienne dont lÕactivitŽ productive a ŽtŽ boostŽe par la guerre (il faut trouver un marchŽ extŽrieur pour exporter les biens). 21 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 CÕest en ce sens que le plan Marshall est assorti de conditions. LÕune dÕentre elles est lÕexistence dÕun plan dÕensemble de la reconstruction de lÕEurope dÕo la nŽcessitŽ dÕune institution internationale pour gŽrer cet afßux Þnancier et la distribution des biens. En 1948 est donc crŽŽe lÕOrganisation europŽenne pour la coopŽration Žconomique qui rŽunit les 16 Etats bŽnŽÞciaires du plan Marshall. CÕest dans cette institution quÕon trouve les p res fondateurs de lÕEurope. Le poste de SecrŽtaire gŽnŽral de lÕOECE est conÞŽ ˆ Robert Marjolin, adjoint de Jean Monnet (Commissaire gŽnŽral au Plan). Ce commissariat gŽnŽral au Plan, sous la IV me, est une institution centrale puisquÕelle permet de moderniser lÕŽconomie et de reconstruire le pays. Paul-Henry Spaak si ge au Conseil de lÕOECE. En 1991, lÕorganisation change de nom : Organisation de coopŽration et de dŽveloppement Žconomiques (OCDE). CÕest un organisme de conseil et de prospectives Žconomiques qui a ÏuvrŽ ˆ diffuser des r gles de new public management et des th ses nŽolibŽrales en Europe. Ces idŽes Žtaient dŽjˆ prŽsentes d s la crŽation de lÕOECE puisque dans les conditions du plan Marshall on trouve lÕidŽe que les Etats bŽnŽÞciaires doivent adopter un code de libŽralisation pour ouvrir leur marchŽ notamment aux marchandises des Etats-Unis. Le plan Marshall permet de Þnancer les plans de modernisation des Žconomies et des Žquipements en Europe, et en France donc, sous lÕŽgide de Jean Monnet, commissaire au Plan. II) La coopŽration miliataire et stratŽgiques (Otan, 1949) La stratŽgie du containment mis en Ïuvre par les Etats-Unis se traduit en Europe par la signature de deux pactes de dŽfense dans un contexte de la dŽgradation de la situation en Europe (coup de force de Prague, blocus de Berlin). Un premier traitŽ dŽfensif est le Pacte de Bruxelles entre le BŽnŽlux, la France et le Royaume-Uni qui fonde lÕUEO. Le TraitŽ de lÕAtlantique Nord (OTAN) est ensuite signŽ pour contenir militairement la poussŽe soviŽtique en Europe. Le traitŽ de lÕOTAN comporte deux volets : un pacte dŽfensif (solidaritŽ des Etats signataires en cas dÕagression extŽrieure) et une organisation militaire intŽgrŽe qui place lÕensemble des Etats membres dans un cadre stratŽgique chapeautŽ par les Etats-Unis. La France quitte lÕOTAN en 1966 sur dŽcision du gŽnŽral de Gaulle apr s que le pays se soit dotŽ dÕune dŽfense globale avec lÕarme atomique. De 1966 ˆ 2009 la politique de dŽfense de la France sÕest dŽveloppŽe de mani re autonome et sÕest diffŽrenciŽe des autres stratŽgies des Etats europŽens qui sont restŽ dans lÕOTAN. [Cela permet de comprendre les positions de chacun dans les guerres du Golfe du dŽbut du si cle]. Les pays fondateurs de lÕOTAN sont : Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norv ge, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni. La Gr ce et la Turquie rejoignent lÕorganisation en 1952 et lÕAllemagne en 1955. Paul-Henry Spaak est SecrŽtaire gŽnŽral de lÕOTAN en 1957. Il est ˆ lÕorigine socialiste, PM de la Belgique en 1938, dŽfenseur de la politique dÕapaisement ˆ lÕŽgard des politiques fascistes. Il se meut apr s la guerre en ap™tre du Mouvement europŽen (mouvement crŽe ˆ la suite du congr s de la Haye en 1948 pour sÕopposer au communisme). CÕest Žgalement quelquÕun qui a beaucoup frŽquentŽ les Etats-Unis, notamment dans les annŽes 1950 (liŽ ˆ son poste ˆ lÕOTAN). Il y dŽcouvre son capitalisme et sa dŽmocratie. Les Etats-Unis, eux, font de lui leur Ç Monsieur Europe È. III) La coopŽration politique : le conseil de lÕEurope (1949) Sur le plan politique, les Etats europŽennes crŽe en 1949 le conseil de lÕEurope, dont le si ge est ˆ Strasbourg. CÕest une organisation intergouvernementale classique sur le mod le de lÕONU : une assemblŽe consultative composŽe des dŽlŽguŽs des Etats, un SecrŽtariat gŽnŽral qui anime et font vivre lÕinstitution au quotidien, un comitŽ de ministres. CÕest une organisation europŽenne mais qui nÕappartient pas ˆ lÕUE et qui nÕen partage pas le fonctionnement. Elle est par contre la doyenne des institutions europŽennes. 22 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Elle se crŽe dans une pŽriode de dŽtente vis-ˆ-vis de lÕAllemagne : la partie ouest sÕest dotŽ dÕune constitution avec sa Loi fondamentale en 1949. Elle est crŽŽe pour dŽfendre la dŽmocratie libŽrale sur le continent, favoriser la coopŽration des Etats membres dans des domaines comme la culture ou lÕŽducation, protŽger lÕEtat de droit, les droits de lÕhomme et les minoritŽs. En novembre 1950 est signŽe la Convention europŽenne des droits de lÕHomme et des libertŽs fondamentales qui fonde la Cour europŽenne des droits de lÕHomme. Elle peut rendre des dŽcisions qui contraignent les Etats sur les questions des droits de lÕhomme. En symŽtrie, lÕURSS renforce sa politique ˆ lÕŽgard des territoires quÕelle contr™le et essaie dÕintŽgrer les Etats dans un traitŽ dÕensemble. Le pacte de Varsovie rŽpond alors ˆ cette coopŽration politique ouesteuropŽenne. Section 2 : La Ç guerre froide È et les dŽbuts de la construction europŽenne (UE) Apr s 1949, la situation internationale continue de se tendre. CÕest le dŽbut de la Guerre froide, de lÕaffrontement des blocs qui se termine en 1989. Entre juin 1948 et mai 1949, on a un blocus de Berlin. Les zones dÕoccupation britanniques, fran aises et amŽricaines donnent naissance ˆ la RFA et la zone soviŽtique donne naissance ˆ la RDA. Le blocus de Berlin tente dÕimposer aux AlliŽs ˆ abandonner Berlin-Ouest. En 1950, cÕest aussi le dŽbut de la Guerre de CorŽe : un conßit qui menace de dŽgŽnŽrer en guerre ouverte entre les Etats-Unis et lÕURSS. On voit ici aussi la crŽation de deux Etats selon des rŽgimes politiques diffŽrents. Parall lement ˆ lÕOTAN, les Etats-Unis mettent en place dÕautres traitŽs internationaux pour contenir lÕURSS : le Pacte de San Francisco en 1951 avec le Japon, lÕorganisation du TraitŽ de lÕAsie du Sud-Est (OTASE) en 1951 avec lÕAustralie, la Nouvelle-ZŽlande, les Philippines et la Tha lande, ou encore le Pacte de Bagdad en 1955 avec lÕIrak, la Turquie, le Pakistan, lÕIran et le Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, une panique morale se crŽe autour du maccarthysme. Dans ce contexte, lÕAllemagne occupe en Europe une position tampon entre lÕEst et lÕOuest : RŽpublique FŽdŽrale dÕAllemagne et RŽpublique DŽmocratique Allemande se retrouve au cÏur de ce conßit froid entre Etats-Unis et URSS. Les Etats-Unis consid re quÕil est impossible de ne pas rŽarmer lÕAllemagne de lÕOuest, ce qui inqui te les diffŽrents gouvernements fran ais. La perspective gŽopolitique des Etats-Unis et du Royaume-Uni est dÕintŽgrer la nouvelle Allemagne dans le syst me atlantique ouest-europŽen. Cela permet aussi dÕemp cher que se dŽveloppe un leadership fran ais sur le continent. Des pressions sont exercŽes sur la France pour quÕelle accepte le rŽarmement allemand. Avec les fonds du plan Marshall et des fonds privŽs, les Etats-Unis encouragent les coopŽrations Žconomiques en Europe de lÕOuest. Gr‰ce ˆ lÕouverture des archives, lÕimplication des services secrets amŽricains est bien documentŽe alors m me que les p res fondateurs ont, dans leur mŽmoires, tenue secr te cette dimension (Churchill, De Gasperi, Monnet, Spaak, Adenauer). Tous les p res fondateurs ont pourtant nouŽ des contacts poussŽs avec les responsables de lÕACUE (American Community of United Europe). Cette organisation invite rŽguli rement ces personnalitŽs aux Etats-Unis dans des tournŽes destinŽes ˆ promouvoir aupr s des Žlites amŽricaines le fŽdŽralisme europŽen. LÕACUE (ÞnancŽ par la CIA) a tr s largement ÞnancŽ le Mouvement europŽen (plus de la moitiŽ des fonds) par le transfert par des fondations privŽes (fondation Ford ou Rockefeller par exemple). Les mouvements fŽdŽralistes europŽens se rejoignent sur un ferment commun, lÕanti-communiste : - La ligue europŽenne de coopŽration Žconomique : Paul Van Zeeland, Joseph Retinger - LÕUnion of European Federalists : Hendrik Brugmans, Henri Frenay (Combat), Alexandre Marc (Ordre nouveau), Denis de Rougemont (Ordre nouveau), Spinelli 23 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 - United Europe Movement : Churchill, Duncan Sandys - Mouvement socialiste pour les Etats-Unis dÕEurope : AndrŽ Philip, Marceau Pivert - LÕUnion parlementaire europŽenne : Coudenhove-Kalergi - Nouvelles Equipes internationales : Robert Bichet - Federal Union : Friedrich Hayek Les Etats-Unis ont Žgalement fortement encouragŽ les coopŽrations Žconomiques, par lÕACUE certes, mais aussi ˆ travers lÕaide ˆ la prise dÕimportance de personnages qui facilitent la rŽorientation de la position fran aise vis-ˆ-vis de lÕAllemagne. Le charbon allemand occupe alors une place importante pour la France. I) La CECA (1951) Dans ce contexte, le 9 mai 1950, le ministre fran ais des affaires Žtrang res, Robert Schuman, propose aux autres Etats europŽens dÕune Haute autoritŽ commune chargŽe de gŽrer pour le compte des Etats signataires leur production de charbon et dÕacier. Selon lui, cÕest pour Ç la paix mondiale È, Ç la civilisation È. Il afÞrme que Ç lÕEurope nÕa pas ŽtŽ faite, nous avons eu la guerre. LÕEurope ne se fera pas dÕun coup, ni dans une construction dÕensemble : elle se fera par des rŽalisations concr tes crŽant dÕabord une solidaritŽ de fait È Schuman est ministre des Affaires Žtrang res et est membre du Mouvement RŽpublicain Populaire (MRP). Le MRP rassemble les chrŽtiens-dŽmocrates, parti important de la IV me, qui donne souvent des ministres ˆ la coalition gouvernementale. Georges Bidault, lui, est prŽsident du Conseil. Le MRP est habitŽ par la tendance Schuman et la tendance Bidault : ils sont tous les deux catholiques, pratiquants, proches des dominicains, issus de circonscription proche o la sidŽrurgie est importante, membre du m me parti avant-guerre. Schuman est plus vieux (dŽputŽ de la III me Rep, alors que Bidault est entrŽ en politique apr s-guerre) que Bidault e a votŽ pour les pleins-pouvoirs de PŽtain. Bidault, lui, a participŽ ˆ la revue Combat et a participŽ au CNR. Leur rivalitŽ sÕorganise autour du minist re des Affaires Žtrang res. Jean Monnet a jouŽ sur cette rivalitŽ en proposant le projet du traitŽ CECA aux deux, et Schuman accepte. Une Žquipe rŽunie autour de Jean Monnet et du CGP Le plan Schuman a ŽtŽ ŽlaborŽ par une Žquipe rŽunie autour de Jean Monnet. La CECA doit au contexte particulier mais aussi ˆ cette Žquipe rŽunie autour du Commissaire gŽnŽral au plan. Dans cette Žquipe, on retrouve Etienne Hirsch (ingŽnieur de lÕEcole supŽrieur des Mines, carri re dans le privŽ, avant de devenir collaborateur de Monnet ˆ Londres, premier prŽsident dÕEuratom en 1957), Pierre Uri (Žconomiste) et Paul Reuter (juriste). Uri et Reuter sont des reprŽsentants des idŽologues de la troisi me voie, qui ont espŽrŽ de la rŽvolution communautaire de Vichy, et qui ont soutenu la modernisation de lÕapr s-guerre. Uri est dÕabord professeur de philosophie, mais radiŽ par le rŽgime de Vichy (juif). Il reprend ses Žtudes et fait un doctorat dÕŽconomie o il lit Keynes et c™toie Fran ois Perroux (Žconomiste qui a rŽßŽchi ˆ la rŽvolution communautaire et corporatiste). Uri rŽactualise la pensŽe de Perroux en mobilisant Keynes autour du Commissariat gŽnŽral au plan. Le Commissariat gŽnŽral au plan, Science Po Paris (Perroux y enseigne) et lÕENA (Uri y enseigne), et lÕInstitut de sciences Žconomiques appliquŽes (crŽŽe par Perroux) crŽe un polygone institutionnel o se dŽveloppe lÕidŽologie de la troisi me voie. Reuter, lui, est issu dÕune famille de juriste, proche des milieux catholiques. Il enseigne ˆ lÕEcole des cadres dÕUriage (avec Hubert Beuve-MŽry). La pŽdagogie de cette Žcole est fondŽe sur un retour au rŽel : il faut discuter dÕidŽes mais aussi apprendre ˆ faire des projets collectifs. CÕest un laboratoire du rŽgime de Vichy : retour ˆ lÕordre physique, moral et culte de la famille et des hŽros. Cette Žcole doit 24 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 Ïuvrer ˆ la formation idŽologique des cadres de la RŽvolution nationale autour du personnalisme et de la notion de communautŽ. Reuter y enseigne la nŽcessitŽ dÕune communautŽ europŽenne, dÕun Etat fort et dÕun corps dÕune Žlite dÕexpert pour gouverner. CÕest la gauche de la RŽvolution nationale, et beaucoup des Žl ves et des professeurs entrent en rŽsistance dans le Mouvement de libŽration nationale (Combat) apr s la dissolution de lÕŽcole en 1942. LÕidŽe communautaire, hŽriti re de Vichy, est rŽcupŽrŽe dans le bagage idŽologique de la IV me RŽpublique naissante. Le terme de communautŽ nÕa donc rien du hasard. Le plan ŽlaborŽ par cette Žquipe, endossŽe par Robert Schuman, repose sur lÕidŽe quÕil est nŽcessaire de moderniser les Žconomies europŽennes (accroitre la compŽtitivitŽ, fermeture dÕusines, rationalisation de la production du charbon et de lÕacier, etc.) en sÕappuyant sur des techniciens compŽtents, des experts spŽcialistes de leur secteur et de lÕŽconomie. Pour les membres de lÕŽquipe, la modernisation du pays doit passer dans lÕinsertion dans un espace Žconomique plus large pour faciliter lÕinsertion de la France dans lÕespace Žconomique international. Seuls les spŽcialistes sont pensŽs capables de mettre en Ïuvre ce projet, un projet de troisi me voie entre capitalisme et socialisme, entre libŽralisme et communisme. Ce projet CECA emporte avec lui une conception spŽciÞque du pouvoir politique. Les hommes politiques, qui ne tirent leur lŽgitimitŽ que de lÕŽlection, sont dŽpassŽs. La crise de 1929 et la 2GM a montrŽ leur incompŽtence. Pour pallier leur incompŽtence, il faut donner le pouvoir ˆ des individus aux compŽtences sanctionnŽes par des dipl™mes. LÕEurope doit offrir le cadre dÕun dŽpassement des cadres traditionnels dÕexercice du pouvoir, jusquÕalors monopolisŽ par les parlementaires, les Žlus, les notables. Ces conceptions de lÕaction publique sÕimposent en 1958 en France avec la V me RŽpublique (Þn de la domination du pouvoir lŽgislatif, mais syst me fondŽ sur le gouvernement contre le parlement et le pouvoir des hauts-fonctionnaires contre les Žlus et notables locaux). Tous ces acteurs autour de Jean Monnet partagent donc une m me conception de valoriser la compŽtence du technicien au dŽtriment du politique. Ils partagent Žgalement une volontŽ de concilier la planiÞcation et le marchŽ et de concevoir une construction europŽenne b‰tie sur le dos des souverainetŽs nationales et des luttes sociales avec en particulier lÕimportance de la Þgure des autoritŽs indŽpendantes. Paul Reuter a dÕailleurs largement ŽtudiŽ les autoritŽs indŽpendantes aux USA, en particulier la Tennessee Valley Authority. Cette autoritŽ mise en place par lÕadministration Roosevelt dans le cadre du New Deal est juridiquement indŽpendante. On retrouve ce type de Þgure dans lÕUE avec rŽguli rement la crŽation dÕagences indŽpendantes, la Commission europŽenne Žtant elle-m me une agence indŽpendante, hŽriti re de la Haute-autoritŽ de la CECA. Ces structures supranationales indŽpendantes sont peuplŽes dÕexperts. LÕidŽe est que ces structures permettent de se dŽgager des contraintes nationaux, Žtatiques mais aussi des contingences politiques paralysantes. De telles conceptions se sont forgŽes chez Jean Monnet tout au long de sa carri re : il est ˆ la fois homme dÕaffaires, diplomate de haut-rang et quelquÕun habituŽ ˆ frŽquenter les lieux de pouvoir, que ce soit ˆ Gen ve, Washington, Londres ou Paris. Il est nŽ en 1888 et dŽc de en 1979. Le gŽnŽral de Gaulle aurait dit : Ç Monnet, il fait un tr s bon Cognac. Malheureusement, cette occupation ne lui sufÞt pas È. Il est en effet lÕhŽritier dÕune famille de nŽgociants de cognac, les Cognac Monnet. Il arr te ses Žtudes ˆ 16 ans pour rejoindre lÕentreprise familiale et passe alors plusieurs annŽes ˆ Londres aupr s du reprŽsentant de la compagnie familiale qui lÕinitie au commerce, aux affaires et aux voyages. En 1914, il est reformŽ pour raisons de santŽ et rŽussit ˆ rencontrer le prŽsident du Conseil, RenŽ Viviani, qui le nomme dŽjˆ ˆ un poste de responsabilitŽs dans la coordination des ressources des alliŽs, Žtant donnŽ quÕil parle bien anglais. Apr s-guerre, il continue sa carri re internationale, puisquÕil devient secrŽtaire adjoint de la SDN, puis dŽmission en 1923 pour rendre les affaires familiales. Il entame ensuite une carri re dans le monde de la Þnance en intŽgrant des cabinets, dont la Þrme dÕinvestissements amŽricaines Blair & Co en 1920. Il devient VP de la Þliale fran aise de cette banque dÕinvestissement. En 1926, lors de la crise monŽtaire qui secoue la France, il est dŽp chŽ par la rŽserve fŽdŽrale amŽricaine pour rencontrer le PrŽsident du Conseil, Raymond PoincarŽ pour discuter de la 25 Téléchargé par Jonathan Layn ([email protected]) lOMoARcPSD|36365031 stabilisation du franc. Il est devenu en effet une autorit?