Ontogénèse: Développement du Comportement chez l'Homme PDF
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Université de Rennes 2
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Ce document traite du développement du comportement humain , explorant les interactions entre la génétique, l'environnement et les expériences qui façonnent le comportement humain au fil du temps. La discussion sur les théories biologiques, les connaissances de base et l'épigénèse probabiliste éclaire les nuances de ce processus complexe. Le texte couvre diverses approches, allant des facteurs génétiques aux expériences du moment de l'éclosion qui affectent le développement postnatal des comportements.
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DEVELOPPEMENT DU COMPORTEMENT CHEZ L’HOMME INTRODUCTION Un des phénomènes les plus remarquables du monde vivant est la transformation d’une cellule unique, après divisions, différenciations et mouvements cellulaires, à un adulte formé souvent des millio...
DEVELOPPEMENT DU COMPORTEMENT CHEZ L’HOMME INTRODUCTION Un des phénomènes les plus remarquables du monde vivant est la transformation d’une cellule unique, après divisions, différenciations et mouvements cellulaires, à un adulte formé souvent des millions de fois plus grand et plus complexe. L’ontogenèse représente alors l’ensemble des processus de développement de l’organisme (morphologique, anatomique, physiologique etc) et intéresse différentes disciplines scientifiques. En éthologie, nous nous intéressons à la façon dont vont se mettre en place et se modifier les comportements d’un individu au cours de sa vie. L’ontogenèse est l’un des quatre axes de l’éthologie moderne, avec la fonction, la causalité et l’évolution du comportement, selon la définition de l’un de ses pères fondateurs, le hollandais Nikolaas Tinbergen (1907-1988), prix Nobel en 1973. L’étude du développement comportemental de l’enfant chez l’Homme a fait l’objet de nombreuses recherches en psychologie bien évidemment, mais également en éthologie. On trouve classiquement des études réalisées à partir d’entretiens, de questionnaires, de tests cognitifs et des études reposant sur l’observation de comportements. Là aussi, nous pouvons distinguer les observations dites naturalistes et celles dites contrôlées en laboratoire. L’intérêt de l’éthologie pour la compréhension du développement humain est double. Premièrement, les grandes découvertes en éthologie animale ont souvent servi de fondations aux théories proposées ensuite chez l’Homme, notamment en psychologie. L’Homme est un animal et certains processus développementaux reposent sur des bases biologiques qui sont loin d’être propres à notre espèce. Ces processus ont souvent des fonctions adaptatives essentielles et sont donc profondément enracinées dans notre arbre évolutif avec des précurseurs possibles chez l’animal. Deuxièmement, l’éthologie humaine est une sous-discipline à part entière qui repose sur l’observation (quantification objective) des comportements et leur interprétation, source d’informations particulièrement utile quand il s’agit d’étudier des individus non-verbaux (jeunes enfants, personnes très âgées ou développement atypique comme les autistes). Ne seront abordées ici que les théories développementales dites biologiques (Lorenz, Bowlby, Watson, Pavlov, Skinner, Bandura…), mais il en existe évidemment plusieurs autres : Psycho-analytiques (Freud, Erikson), Cognitives (Piaget), Ecosystémiques (Bronfenbrenner), Intelligences multiples (Gardner). 1 I – Définitions et courants de pensées 1 – L’inné et l’acquis L'ontogenèse est historiquement source de débats, opposant classiquement l’inné (ou le gène) à l’acquis (ou l’environnement, l’apprentissage, la culture). Au 17ème siècle par exemple, le philosophe J. Locke disait que toutes nos connaissances dérivent de nos expériences alors que deux siècles plus tard, F. Galton, le cousin de Darwin, disait que l’éducation et l’environnement ne produisent que peu d’effets sur l’esprit et que la plupart de nos compétences sont héritées. Pourtant, cette dichotomie n’a aucun sens. Il ne faut pas oublier que le gène n’est qu’un support transmissible. L’ADN est une molécule inerte qui se reproduit uniquement sous influence, celle du milieu. Gène et environnement sont donc indissociables. En 1967, Bijou & Baer disaient “It is a mistake to ask which traits are hereditary and which are learned. […] The correct question, as always, is how development takes place, in detail, step by step through the causal chains found operating in a specific individual under study.” Le comportement exprimé par un individu est alors le produit d’une interaction entre le génotype, l’environnement interne dans lequel les gènes sont exprimés et l’environnement externe dans lequel vit l’individu. L’ensemble constitue un système actif et dynamique dont les éléments sont en relation dialectique permanente. Dans son milieu, l’individu est soumis à des stimulations endogènes (physiologiques, comme les hormones ou l’appétit) et exogènes (comme la lumière ou les congénères). On parle donc désormais d’épigenèse qui représente l’action du génome dépendant de l’environnement. La théorie épigénétique stipule qu'un embryon se construit peu à peu, en devenant de plus en plus complexe. Cette théorie est historiquement opposée à la théorie de la préformation, qui voit l'embryon comme un être vivant « miniature » appelé homunculus, formulée en 1694 par Nicolas Hartsoeker [Diapo D1]. Waddington (1942) parle de « paysage épigénétique » [D2], car il y a finalement autant de trajectoires développementales qu’il y a d’individus étant donné que chaque individu se développe dans un milieu qui lui est propre. Ces trajectoires sont non linéaires, soumises à des perturbations extérieures. Le développement comportemental se fait par grandes étapes d’intensités et de durées inégales. Les étapes les plus importantes sont néanmoins celles qui se réalisent précocement dans la vie de l’individu. Une des premières étapes, longtemps négligée par les scientifiques, est d’ailleurs la période prénatale. Une autre étape clé est celle survenant au moment de la naissance, chaque individu se trouve alors projeté dans un environnement dont les limites spatiales et les stimulations sensorielles sont incomparablement plus vastes que ce 2 qu’elles étaient jusque-là. Une autre étape est celle du passage à l’âge adulte, car associée à un bouleversement hormonal et social. Evidemment, le développement ne s’arrête pas là et se prolonge toute la vie de l’individu. Un premier facteur de variation est donc l’espérance de vie qui a beaucoup augmentée depuis un siècle (49 ans en 1900 et 77 ans en 2000, [D3]) mais de façon très variée selon les cultures (37,2 ans en Zambie et 83,5 en Andorre, [D4]). Un deuxième facteur de variation est le degré de continuité du changement développemental observé. Pour certains comportements, le développement est discontinu, pour d’autres il est continu et pour d’autres encore sujet à une période critique (lapse de temps limité pendant lequel l’organisme est biologiquement capable de répondre de manière adaptative) ou sensible (période optimale d’émergence). 2 – Le « Core knowledge » Cette théorie revisite les deux courants de pensées traditionnels : (1) l’esprit humain est flexible et adaptable, il repose sur un mécanisme unique et général d’apprentissage permettant de détecter toutes les régularités et diversités de la vie au cours de l’expérience (voir Locke, Hume) ; (2) l’esprit humain repose sur une multitude de mécanismes à usages spécifiques, chacune de ses prédispositions étant façonnée par l’évolution afin de remplir une fonction particulière (voir Darwin, Pinker). Pour les défenseurs du « Core knowledge », ces deux pensées sont erronées. L’humain serait alors doté d’un nombre limité (4 voire 5) de systèmes de représentation distincts (« core knowledge systems ») spécifiques à des domaines : les objets, les actions, les nombres, l’espace, et possiblement les partenaires sociaux. Chaque nouvelle compétence et connaissance se construirait à partir de ces quelques fondations, qui seraient profondément enracinées dans la phylogénie et l’ontogénie, sans supériorité humaine (mêmes systèmes chez l’homme et l’animal). 3 – L’ « épigenèse probabiliste » A la fin des années 60, le psychologue américain Gilbert Gottlieb (1929 - 2006) propose ce modèle développemental qui considère l’individu en développement comme un système hiérarchique, interactif et émergent [D5]. Il y a donc des interactions hiérarchisées et bidirectionnelles entre les gènes et les structures qu'ils codent et dont ils assurent le métabolisme (les productions hormonales), entre ces structures et les comportements ainsi qu’entre les comportements et le milieu. Le développement individuel est caractérisé par un accroissement de la complexité de l’organisation, c'est-à-dire l’émergence de nouvelles propriétés et 3 compétences structurales et fonctionnelles, à tous les niveaux hiérarchiques. Il apparaît comme une conséquence des coactions (bidirectionnelles) ascendantes et « horizontales » entre ces parties. Lorsqu’elles sont horizontales elles associent les éléments d’un même niveau hiérarchique (gène-gène, cellule-cellule), ascendantes si elles touchent des niveaux différents (cellule-tissu, système nerveux-comportement). Pour Alberts, le développement consiste en une suite d’adaptations à une série de « niches ontogénétiques » (qui commence par le ventre de la mère chez les mammifères). Gottlieb propose la notion de « canalisation expérientielle » et insiste tout particulièrement sur l’importance des stades très précoces du développement. Le développement post-natal des comportements s'appuie en effet sur des stimulations sensorielles prénatales qui participent à la maturation des systèmes sensoriels et forment les premiers apprentissages. Il se base pour cela sur de nombreux travaux réalisés chez le canard colvert. Ses travaux sont également une bonne illustration de la difficulté de contrôler l’ensemble des facteurs potentiellement déterminants et des faux-à priori que l’on peut avoir. Il a d’abord montré que le caneton colvert était capable juste après l’éclosion d’identifier le cri maternel parmi les cris d’autres espèces. Si on place un jeune caneton dans une arène avec deux haut-parleurs l’un diffusant le cri conspécifique, l’autre diffusant un cri de poule (ou une autre espèce de canard), le caneton se dirige vers le cri maternel [D6]. Si on élève l’embryon en couveuse, isolé de tout bruit, le caneton placé dans l’arène après éclosion reste capable d’identifier le cri maternel. Pourtant la conclusion que ceci soit génétique est fausse. Le caneton commence à crier dans l’œuf, 2-3 jours avant éclosion après avoir percé la chambre à air et commencé à respirer. Gottlieb a suggéré que le fait d’entendre sa propre voix pouvait servir d’expérience au caneton. Il a alors opéré un embryon de canard, l’empêchant de pépier quand il est dans l’œuf. Confronté à un choix entre cri maternel et cri de poule, le caneton opéré choisit au hasard. Si par contre on reprend la même expérience du caneton dévocalisé et placé en incubation près d’un haut-parleur qui diffuse des cris de poule, il choisira dans l’arène le cri de poule. II – Les bases génétiques et physiologiques 1 – Les fondations génétiques a - Les comportements dits « instinctifs » Le terme d’instinct est aujourd’hui sujet à débat et donc à utiliser avec précaution. Parmi les comportements historiquement dits « instinctifs », on trouve les comportements aberrants qui ont été maintenus au cours de l’évolution. Par exemple, le chien domestique qui tourne 4 plusieurs fois sur lui-même dans le salon avant de se coucher. Ce comportement a une forte composante génétique. Il descend de la version sauvage qui avait alors pour fonction de tasser l’herbe avant de s’allonger. On trouve aussi les dispositions à reconnaître les situations stimulantes et inhibitrices. Par exemple, le jeune chaton (qui n’a encore jamais vécu d’expérience de dénivellation) placé devant l’illusion optique d’un changement de niveau recouverte d’une vitre s’arrête, hésite et reste au « bord » [D7]. Ces comportements dits « instinctifs » existent même chez des animaux très évolués et complexes comme l’homme. Ils concernent alors des comportements importants pour la survie. C’est le cas du réflexe de succion chez le bébé humain, indispensable à la prise alimentaire par allaitement, qui est déclenché par la simple mise en contact du mamelon avec la langue et le palais, ou du sourire qui est observable sur un enfant né aveugle qui n’en a jamais vu. b – Quelques gènes connus L’étude des mutations, qui sont des modifications rares, accidentelles ou provoquées de l'information génétique (séquence d'ADN ou d'ARN) dans le génome, a permis de découvrir le rôle de certains gènes dans le développement comportemental. Nous pouvons ainsi citer le gène FOXP2 et son rôle dans le développement du langage. En 2001, l’étude de la famille K.E. par une équipe de chercheurs britanniques a démontré qu’une mutation de ce gène provoquait un trouble héréditaire de la prononciation et de la compréhension des règles grammaticales liées à l’utilisation du passé et du pluriel. Ce trouble a été observé chez 16 des 30 membres de la famille. Les membres non affectés, ainsi que les 360 personnes témoins, ne présentaient pas de mutation sur ce gène. C’était la première fois qu’un gène était directement associé à l’expression orale. Il code pour une protéine capable d’activer l’expression d’autres gènes dans le cerveau, notamment dans le striatum et le cervelet, deux régions cruciales pour la coordination motrice en relation avec les instructions provenant du cortex. La mutation de ce gène affecte le développement du cerveau du fœtus. D’autres gènes sont en cours d’étude sur le chromosome 22 pour la schizophrénie, sur le chromosome 18 pour les troubles bipolaires. D’autres pistes existent pour certains traits de personnalité et pour l’alcoolisme par exemple. c - La limite du « pouvoir » des gènes Complexité du phénomène : « l’empreinte génomique » Un gène est soumis à empreinte lorsque l'expression de ce gène dépend de son origine parentale (maternelle ou paternelle). On connaît actuellement chez l'Homme plus de 30 gènes 5 soumis à empreinte parentale, et on estime qu'il en existe probablement dix fois plus. Lorsqu'un gène est soumis à empreinte, une seule des deux copies du gène est active (expression monoallélique). Il existe des gènes qui ne fonctionnent bien que lorsqu’une des deux copies réprime l’autre (celui soumis à empreinte). Les modifications du génome ne sont pas des modifications de la séquence ADN mais des modifications épigénétiques par l’environnement interne. Les maladies rencontrées en pathologie humaine seront la conséquence : - soit de la perte d'expression de l'allèle actif. Exemple des syndromes de Prader-Willi (origine paternelle Chromosome 15) et Angelman (origine maternelle Chromosome 15). Prader-Willi : hypotonie sévère de la période néonatale, une hyperphagie entraînant une obésité, une petite taille post-natale, un hypogonadisme, des mains et des pieds courts, un visage caractéristique (étroit, yeux en amande et bouche de petite taille aux lèvres minces), un retard mental modéré. L’incidence est de 1/15 000 naissances. Angelman : retard mental sévère, une absence de langage, des manifestations de rires inappropriés, une microcéphalie, une ataxie (un manque de coordination fine des mouvements volontaires), des convulsions et parfois une hypopigmentation (certaines zones insuffisamment colorées). L'incidence est de 1/20 000 naissances. - soit de l'expression anormale de l'allèle normalement silencieux ("relaxation d'empreinte"). Exemple du syndrome de Beckwith-Wiedemann (origine maternelle Chromosome 11): caractérisé à la naissance par un gigantisme du corps et une petite tête, une viscéromégalie (grosses viscères) et une macroglossie (grosse langue). L’incidence est de 1/14 000 naissances. Coaction Gène-Environnement Chez l’animal, des études de privation d’expérience, de reproduction sélective ou de mutation provoquée permettent de comprendre le poids relatif de l’environnement. Chez l’Homme, un moyen utilisé est l’étude des jumeaux. Si deux organismes sont génétiquement identiques, toute différence est donc liée à l’environnement. Les vrais jumeaux monozygotes (provenant d’un même ovule fécondé) ne sont pourtant pas strictement identiques sur le plan comportemental, ni même dans l’organisation du système nerveux. Il suffit d’observer les empreintes digitales (= terminaisons nerveuses) des vrais jumeaux qui sont certes très proches mais néanmoins différentes. De plus, alors que le volume du cerveau est presque entièrement déterminé par des facteurs génétiques, le dessin des circonvolutions dépend surtout de facteurs environnementaux (résultat d’un examen en résonance magnétique nucléaire des cerveaux de dix paires de vrais jumeaux et de neuf paires de dizygotes - « faux » jumeaux - de même sexe). 6 Une méta-analyse a été effectuée en 1997 rassemblant les résultats de 212 études pour tester l’influence des proximités génétiques et environnementales sur le quotient intellectuel, en comparant entre autres des vrais et faux jumeaux élevés ou non ensemble [D8]. Ils montrent que la part génétique est certes importante mais qu’elle ne peut pas tout expliquer. Par exemple, la corrélation entre vrais jumeaux ayant vécu ensemble est plus forte qu’entre vrais jumeaux n’ayant pas vécu ensemble. Autre exemple, la corrélation entre enfants et parents biologiques est plus forte qu’entre enfants et parents adoptifs, mais la corrélation est bien plus forte si les enfants ont vécu avec leurs parents que s’ils ont vécu séparément. 2 – Les bases hormonales Les hormones jouent un rôle essentiel dans les processus de développement. Les hormones agissent par exemple sur les rythmes biologiques (circadiens, infradiens et ultradiens) et notamment sur la vigilance et par voie de conséquence sur l’apprentissage. Cela fait l’objet de recherches sur les rythmes scolaires, à savoir les heures, jours ou mois les plus propices aux différents types d’apprentissage (voir Hubert Montagner par exemple qui montre que la concentration est meilleure le matin, préconisant les activités plus ludiques pour l’après-midi, et que deux semaines consécutives de vacances sont nécessaires pour avoir un réel effet reposant plutôt que deux semaines séparées). Les hormones stéroïdiennes (œstrogène, testostérone, cortisol, aldostérone) jouent un rôle dans la différenciation du circuit neural régulant les comportements adultes dits typiques de chaque sexe. Elles agissent à des périodes critiques pendant la neurogénèse ainsi que dans l’expression du comportement chez l’adulte. Ainsi, nous trouvons des différences sexuelles physiques, cérébrales et comportementales. Les génotypes mâle et femelle sont tous les deux compatibles avec le phénotype mâle ou femelle. La direction du développement du cerveau vers un phénotype mâle ou femelle et l’émergence à la puberté des comportements associés dépendent de l’exposition à ces hormones. Les cerveaux mâles et femelles diffèrent par exemple dans la taille et le nombre de neurones et de connections synaptiques de certaines zones, comme l’hypothalamus. Pour des raisons éthiques évidentes, les études d’injections hormonales réalisées chez l’animal ne peuvent pas être toutes reproduites chez l’Homme. Mais nous pouvons tirer des enseignements de l’étude des personnes atteintes de troubles endocriniens. Par exemple, les filles atteintes d’hyperplasie congénitale des surrénales se développent avec un certain degré de masculinité (organes génitaux externes, comportements : jeux « brutaux » ou choix de jouets 7 préférés généralement par les garçons), et une plus grande probabilité de développer des préférences homosexuelles. Il existerait aussi un lien possible entre hormone et agressivité. Cela est démontré dans les tests sur les rongeurs mais reste à un stade d’hypothèse probable chez l’Homme. Par exemple, la concentration en testostérone mesurée dans le sang avant et après une compétition athlétique est plus forte chez les vainqueurs que chez les perdants. De plus, si elle n’est pas corrélée avec le niveau d’agressivité rapporté dans des questionnaires, elle l’est (positivement) avec la violence des crimes des prisonniers hommes ou femmes. L’influence de l’exposition prénatale à la testostérone sur la socialisation à long terme de l’individu fait également l’objet de recherches. Nous pouvons mesurer, lors de prélèvements amniotiques, la concentration en testostérone fœtale et constater une corrélation négative avec : - le nombre et la durée de contacts visuels chez le garçon de 12 mois lors de tests à base de vidéo, - la taille du vocabulaire maitrisé à 18 - 24 mois par les filles et par les garçons, estimée à partir de questionnaires donnés aux parents, - la qualité des relations sociales à 4 ans et le degré d’empathie à 6-8 ans, également évalués à partir de questionnaires donnés aux parents. 3 – Les autres facteurs de l’environnement interne a – L’alimentation La qualité nutritive de l’alimentation de la mère pendant la grossesse va jouer un rôle important dans le développement comportemental du jeune. Si on expose des rattes gestantes à un régime alimentaire normal (Contrôle) ou faible en protéine (Test), le jeune Test, âgé de 12 semaines et soumis à un protocole d’auto-sélection de son alimentation, choisira des aliments plus riches en graisse et en protéine que le jeune Contrôle. La quantité d’aliments joue aussi un rôle. Des jeunes nés d’une mère sous-nourrie pourront développer des comportements anormaux et avoir des problèmes de croissance. Des chercheurs ont étudié des chattes nourries normalement et des chattes nourries avec 50% de moins d’aliments pendant la deuxième moitié de la gestation et les six premières semaines après la naissance. Les mères sous-nourries ont montré moins de comportements maternels et plus d’agressivité avec leurs petits. Les petits ont eu des problèmes de croissance, notamment au niveau cérébral (télencéphale, cervelet, tronc cérébral) et ont présenté des retards de développement pour certains comportements comme l’ouverture des yeux, la tétée, plusieurs comportements posturaux, locomoteurs (ramper, courir, 8 marcher, grimper), exploratoires et de prédation. Après le sevrage, malgré une alimentation redevenue normale, ces jeunes étaient encore plus sensibles que les chatons normaux aux risques d’accidents pendant les phases de jeu, avaient des capacités réduites d’apprentissage, étaient plus craintifs et des comportements agonistiques envers d’autres chats. Des effets, néanmoins amoindris, ont même été constatés sur les jeunes de la génération suivante. Des études montrent également des conséquences à long terme d’une importante malnutrition chez le jeune enfant humain. En 36 mois seulement, un enfant développe sa capacité à penser, à parler, à apprendre et à raisonner. Une étude réalisée aux États-Unis, auprès d’enfants adoptés en Corée, a mis en avant des déficits intellectuels à l’âge scolaire chez ceux qui avaient subi de la malnutrition manifeste avant leurs deux ans [D9]. Ils ont classé le niveau de malnutrition des enfants de « très mal nourri à bien nourri ». Ils ont comparé les QI d’enfants adoptés avant et après l’âge de 2 ans. On observe d’une part que les enfants adoptés tardivement ont un score plus faible que ceux adoptés avant l’âge de 2 ans pour un niveau de malnutrition donné. D’autre part, plus la malnutrition était sévère, plus le score diminue quel que soit l’âge de l’adoption. D’autres recherches ont cependant souligné l’extraordinaire plasticité du cerveau et sa capacité étonnante à récupérer après l’adversité. Ainsi malgré une malnutrition, certains enfants évolueraient sans que rien n’y paraisse sur leurs capacités. La privation d’eau, via la déshydratation de la mère pendant la grossesse aura également un impact sur les préférences alimentaires du jeune qui se dirigera vers une alimentation plus salée. Cela a été montré chez les jeunes issus de rattes gestantes soumises à une solution déshydratante de polyéthylène glycol, et est connu chez les bébés de femmes ayant souffert de vomissements fréquents pendant leur grossesse. Il existe également des exemples de coaction gène/alimentation sur le développement. La phénylcétonurie est une maladie génétique grave en relation avec un trouble du métabolisme de la phénylalanine (acide aminé d'origine alimentaire). Elle affecte un nouveau-né humain sur 16 000 et est responsable d'une arriération mentale. Dans les cellules du foie, une enzyme, la PAH (phénylalanine hydroxylase), permet de transformer la phénylalanine en excès en tyrosine (autre acide aminé). Chez les individus phénylcétonuriques, le gène responsable de la PAH est défectueux. Chez les phénylcétonuriques, la transformation de la phénylalanine ne peut se produire et la phénylalanine s'accumule alors dans le sang alors que le taux de tyrosine est abaissé. L'excès de phénylalanine dans le sang est toxique pour le système nerveux et perturbe le développement du cerveau de l'enfant, entraînant un retard mental. L'abaissement des taux de tyrosine entraîne un abaissement de la production de mélanine, ce qui fait que les enfants 9 atteints ont tendance à avoir des cheveux, un teint et des yeux pâles. L'excès de phénylalanine est converti en phénylcétones qui seront excrétées dans l'urine, d'où le nom de la maladie. La sueur et l'urine de l'enfant atteint ont une odeur typique due à la présence de cétones. Néanmoins, l'enfant atteint et dépisté peut vivre avec un développement cérébral normal, en suivant un régime pauvre en phénylalanine. Il s'agit d'un régime dans lequel on supprime toute viande, poisson, œuf, laitages, féculents, pain, pâtes, céréales… c'est-à-dire tout aliment pouvant contenir la protéine produisant la phénylalanine. b – Autres substances Le tabac Fumer pendant la grossesse entraîne des risques de retard de croissance de l’enfant. Par exemple, le poids à la naissance décroit en proportion directe avec le nombre de cigarettes fumées. En moyenne, les enfants de fumeurs sont de 150 à 250 grammes plus légers que les enfants denon-fumeurs. Les effets sur le retard de croissance à plus long terme sont moins bien connus. Plusieurs auteurs ont néanmoins trouvé des différences de taille et de circonférence de tête à l’âge de 7, 11, 14 et 23 ans. Une exposition prénatale à la nicotine est aussi associée à une moins bonne orientation auditive à la naissance et à des tremblements et sursauts inhabituels. Des scores cognitifs plus faibles et des difficultés dans l’acquisition du langage ont été rapportés chez des enfants de 2, 3 et 4 ans. L’alcool Boire pendant la grossesse s’accompagne d’un risque de retard mental. Le cas le plus extrême est le syndrome d’alcoolisation fœtale, décrit par Lemoine en 1968 suite à l’étude de 127 enfants nés d’une mère alcoolique. Les enfants souffrant de ce syndrome auront une petite taille et petite tête, une faible intelligence et un visage caractéristique [D10]. Les médicaments et les drogues Un autre phénomène connu est l’état de manque dans lequel se trouve le nouveau-né à la naissance lorsque sa mère a consommé de la drogue pendant la grossesse. L’étude longitudinale d’une cohorte de 32 enfants dont les mères consommaient de la méthadone (à différentes doses) pendant la grossesse et de 42 enfants dont les mères n’en prenaient pas montre également des conséquences importantes sur le développement du jeune. La méthadone est 10 utilisée comme substitut des opiacés chez les consommateurs d'héroïne. Les auteurs montrent une relation entre dosage de méthadone et risque de naissance prématurée, ralentissement de la croissance et durée où l’enfant reste à l’hôpital après la naissance. La relation entre prise de cocaïne prénatale et développement cognitif, physique et comportemental de l’enfant en bas âge (39 mois en moyenne) a également été démontrée. Les femmes ayant consommé de la cocaïne au cours du premier trimestre de la grossesse ont donné naissance à des enfants avec une petite tête, des problèmes de mémorisation à court terme, des troubles comportementaux (introverti et extraverti, caractère difficile qui s’amplifie au cours des années). Le fer Les effets du fer ont été étudiés chez les enfants de 9 mois, de différentes origines culturelles, et plus ou moins sévèrement atteints de carence (comparaison d’enfants sans carence, avec carence mais sans anémie, avec carence et anémie). Le degré de carence s’est révélé être lié au degré de retard d’acquisition de certains comportements moteurs (comme attraper une balle de petite ou grande taille). III – Le développement cognitif, moteur et perceptuel 1 – Les notions d’Umwelt et de « canalisation expérientielle » Le concept d’« Umwelt » nous vient du biologiste – philosophe allemand Jakob von Uexküll (1864-1944). L’individu est alors vu comme un sujet habitant son propre univers subjectif (« son monde propre »), déterminé par sa perception sensorielle et ses capacités cognitives, elles-mêmes déterminées par l’histoire évolutive de l’espèce d’appartenance ainsi que l’âge et l’expérience de l’individu. Uexküll distingue le « Merkwelt » (tout ce qu’un sujet perçoit de l’environnement) du « Wirkwelt » (action du sujet sur son environnement). La perception sensorielle correspond à la réception de stimulations sensorielles émanant de l’environnement physique et social qui agissent sur des récepteurs sensoriels et à l’intégration centrale qui en permet une représentation. Il est alors important de ne pas confondre les notions de sensation, discrimination, reconnaissance et préférence. Selon Patrick Bateson, le développement humain (mais cela est vrai aussi chez l’animal) est caractérisé à la fois par une grande constance (p. ex. les humains passent tous par les mêmes étapes développementales : marche vers 18 mois, parle vers 2 ans et atteinte de la maturité sexuelle pendant l’adolescence) et par une remarquable plasticité. Les études sur la perception sensorielle sont intéressantes pour cela. Gilbert Gottlieb illustre cette constance en nous faisant 11 remarquer que, chez les mammifères et les oiseaux, les modalités sensorielles suivantes deviennent fonctionnelles toujours dans le même ordre au cours du développement : 1- Tactile, 2- Vestibulaire, 3- Auditive, 4- Visuelle. Pour illustrer la flexibilité au contraire, nous pouvons nous intéresser à la plasticité neuronale. Deux phénomènes neurobiologiques participent à cela. Tout d’abord, la « stabilisation sélective » des synapses au cours du développement précoce. Ainsi, certaines synapses non stimulées vont disparaitre pendant que les autres se fixeront. Ensuite, la « spécialisation neuronale » qui permet de passer d’une réponse cérébrale généraliste à une réponse spécialisée sous la pression de l’environnement. Sachant en plus que ce phénomène peut être intermodal. Par exemple, des cailleteaux exposés de manière prénatale à des stimuli visuels (flash lumineux) auront une plus mauvaise reconnaissance auditive de la voix de la mère. Chez l’Homme, les bébés nés aveugles développent une audition et une perception tactile très fine, tout comme les bébés nés sourds compensent sur le plan visuel (leur aire auditive dans le lobe temporal répondra notamment aux stimulations visuelles). 2 – La vision a – Le rôle de l’expérience montré dans des études fondatrices chez l’animal Il a été démontré chez l’animal qu’une privation visuelle, et donc le manque d’expérience visuelle, peut conduire à des phénomènes de dégénérescence secondaire au niveau central des structures qui existent à la naissance. Par exemple, si on détruit la rétine d’un fœtus macaque à 2 mois de gestation quand les neurones du cortex sont déjà en place, on observera une dégénérescence du noyau du thalamus qui transmet l’information visuelle à l’aire visuelle primaire. Si on élève un chimpanzé de la naissance à l’âge de 7 mois ½ dans l’obscurité, il présentera ensuite des difficultés de fixation, une incapacité à éviter les obstacles et une mauvaise performance dans les tâches de discrimination visuelle. Après quelques mois à la lumière certaines facultés sont récupérées. Ces mêmes expériences réalisées sur un adulte n’auront pas d’effet. Les conséquences peuvent être encore plus importantes chez les animaux présentant un système visuel principalement monoculaire, avec une sensibilité accrue lorsque l’individu est très jeune et un impact à long terme. Les travaux d’Hubel & Wiesel (1965) à ce sujet sur le chat ont donné lieu à l’obtention d’un prix Nobel de physiologie et médecine en 1981. Ils ont trouvé que dans le cortex visuel, plus particulièrement dans l’aire 17, il y avait 7 classes de neurones, par exemple, ceux qui répondent à la stimulation de l’œil opposé, ceux qui répondent à l’œil situé du même côté et ceux qui répondent à une stimulation conjointe des deux yeux [D11]. Les 12 chatons commencent à ouvrir spontanément les yeux à l’âge de 9 jours. Ils ont occlus la paupière d'un œil de chatons âgés de 10 jours, un à deux mois après, les enregistrements électriques des neurones corticaux montrent que la quasi-totalité des neurones corticaux de l'aire 17 ne répondent qu'à la stimulation de l'œil resté ouvert, ceux normalement activés par l'œil occlus ou pour les stimulations conjointes étant définitivement inactivées. L’œil était anatomiquement et physiologiquement normal mais avait un fonctionnement aveugle. La même expérience réalisée à l’âge adulte n’a à nouveau eu aucune conséquence. Blakemore & Cooper (1970) ont également étudié le développement de la vision chez le chaton et montré que dans le cortex visuel, il y a aussi des cellules sensibles à l’orientation du stimulus : horizontal, vertical ou oblique [D12-13]. Chez le jeune chat, il y a des cellules sélectives et des cellules généralistes mais chez l’adulte, on trouve surtout des cellules sélectives. Ils ont élevé de jeunes chatons dans l’obscurité, sauf pendant de courtes périodes quotidiennes au cours desquelles les chatons étaient mis dans des chambres cylindriques recouvertes de traits soit horizontaux, soit verticaux. Par la suite, ces chats ont développé des neurones visuels corticaux qui pour la plupart ne répondaient qu’à des objets situés dans un angle de 45 degrés par rapport aux lignes auxquelles ils ont été habitués. Ainsi, adultes, les chats stimulés avec des rayures horizontales ne possédaient que des cellules sélectives à l’horizontal et percevaient très mal les objets et structures verticaux, et inversement pour ceux stimulés au niveau vertical. Il ne s’agit pas ici à proprement parler de dégénérescence mais de modification (plasticité neuronique qui fait qu’une cellule devienne plus ou moins spécialisée) provoquée par l’expérience. b – Développements pré- et post-natals chez l’Homme La principale caractéristique de notre perception (toutes modalités confondues) est qu’elle est organisée. Le monde que nous expérimentons est très complexe, constitué de plusieurs entités qui changent constamment au fur et à mesure de nos déplacements. Mais nous ne percevons pas un monde d’entités déconnectées, nous percevons des objets, des événements et des personnes. Selon Piaget (années 50), la perception visuelle est particulièrement pauvre à la naissance, nécessitant donc un important développement post-natal et un apprentissage intensif pendant plusieurs mois, voire années. Cela concerne plus certains aspects, comme la perception fine des formes, tailles, positions et distances, que d’autres, comme la perception de la lumière (qui déclenche par exemple un réflex pupillaire). Selon Gibson (années 50-70), nos sens, dont la vision, se sont organisés au cours de l’évolution de manière à pouvoir détecter automatiquement les variables de première importance et ainsi percevoir le monde de manière 13 efficace dès la plus jeune enfance. Le compromis actuel est de considérer l’enfant comme un être « compétent » qui arrive au monde avec un équipement visuel organisé intrinsèquement adapté aux besoins, mais modifiable par l’expérience. Sur le plan anatomique, si la zone périphérique de la rétine est bien formée dès la 26 ème semaine de grossesse, la zone centrale ne sera pas complètement formée à la naissance. Les connexions nerveuses se mettent pour la plupart en place entre la 26 ème et la 29ème semaine post- conception (PC), mais continueront à évoluer jusqu’à l’âge de 15 mois. Il y a 150% de plus de créations de synapses dans le cortex visuel à l’âge d’1 an que chez l’adulte. Nous savons peu de choses sur la perception prénatale, si ce n’est que le fœtus réagit par accélération cardiaque et mouvements corporels à la présentation de spots lumineux extra-utérins dès la 36ème semaine. L’œil du nouveau-né est 3 à 4 fois plus petit que celui de l’adulte, alors que le facteur est en moyenne de x 21 pour le reste du corps. Nous savons que l’acuité visuelle du nouveau-né diffère de l’adulte, il perçoit par exemple uniquement à 6m un objet vu par un adulte à 180m. Pour tester les caractéristiques de la vision du bébé ou sa préférence visuelle, une méthode classique consiste à montrer simultanément deux images ou objets et comparer la durée du regard orientée vers chaque objet. L’objet le plus regardé est alors dit préféré et une différence de durée de regard démontre une capacité de discrimination. Ainsi, nous pouvons présenter deux ronds plus ou moins sombres pour évaluer la sensibilité au contraste, ou présenter un rond blanc plein face à un rond blanc avec un centre coloré pour évaluer la perception des couleurs. A deux mois (et pas à un mois), le bébé discrimine bien les rouge / orange / bleu / bleu-vert sur fond blanc mais pas le jaune-vert ou le violet. Il discrimine le rouge de l’orange, mais pas le bleu du gris. C’est à deux mois, que le bébé progresse fortement dans sa perception des couleurs, des profondeurs et des mouvements. Il va d’ailleurs préférer les objets en mouvements aux objets statiques et ceux en 3D aux photos en 2D de ces mêmes objets. Les auteurs se sont également intéressés aux capacités de ségrégation et à la perception de l’unicité. En éloignant plus ou moins deux objets, nous pouvons également démontrer que le bébé de 3 mois perçoit deux objets adjacents comme un seul mais plus à 8-10 mois. Par ailleurs, si on familiarise le bébé avec une image représentant une tige en partie cachée derrière un bloc et qu’ensuite on lui donne le choix entre l’image de cette même tige mais soit coupée en deux, soit entière, à 4 mois (et pas à la naissance) le bébé regarde préférentiellement la tige coupée en deux car considérée comme nouvelle [D14]. Des tests biomécaniques peuvent également être utilisés pour étudier la perception des mouvements des personnes ou objets. A 3 mois un enfant est capable de discriminer un 14 mouvement cohérent (prédictible) d’un mouvement randomisé (exposition à un écran avec des points lumineux bougés dans l’espace pour simuler un mouvement) [D15]. Mais déjà à 2 jours, l’enfant préfère regarder un mouvement biologique cohérent (simulation du déplacement d’une poule) par rapport à un mouvement biologique non cohérent (poule à l’envers, tête en bas) ou non biologique [D16]. Il y a donc bien une différence entre simplement discriminer et associer une signification à l’entité perçue. En lien avec l’idée d’une émergence au cours de l’évolution d’une prédisposition à la perception sociale, il est intéressant de noter que cela existe aussi chez le poussin. Dans un test de choix, le poussin se dirigera préférentiellement vers l’écran diffusant la représentation d’un mouvement biologique (poule qui marche plutôt que statique) même s’il s’agit d’un prédateur potentiel (chat) [D17]. D’autres travaux sur ce sujet ont porté sur la perception des visages. Les nouveau-nés humains, mais également les poussins tout justes sortis de l’éclosion (testés avec les mêmes stimuli), vont regarder préférentiellement un visage normalement formé à une photo de visage déformée. Les bébés vont regarder préférentiellement des patterns présentant les propriétés physiques d’un visage, triangle « yeux-bouches », orientées dans le bon sens (yeux en haut) [D18]. Pour certains auteurs, les nouveau-nés ont donc une représentation mentale innée d’un « modèle de visage ». Il existe d’ailleurs dans le cortex orbitofrontal une aire spécialisée dans le traitement de l’apparence, des comportements et intentions d’humains. Les nouveau-nés sont particulièrement sensibles aux traits du visage car ils imitent très précocement les expressions faciales réalisées par un adulte qui se penche au-dessus de lui, parfois même dès la première fois qu’ils voient un visage. Dès l’âge de 3 jours, le nouveau-né préfère regarder un visage souriant à un visage non souriant, un visage qui le regarde à un visage qui regarde sur le côté [D18]. La direction du regard a une signification pour lui. Lors d’une expérience avec successions d’images congruentes ou non-congruentes (un objet apparait du côté regardé ou du côté opposé), les saccades des mouvements oculaires sont plus rapides en situation où il y a congruence avec l’attente du bébé [D18]. Le nouveau-né regarde aussi préférentiellement les visages jugés comme attractifs par les adultes. Ce biais en faveur de « l’attractif » est très robuste car il a été vérifié en montrant des visages de personnes d’âges, de sexes et d’origines ethniques différentes, et mêmes d’animaux (visages de chats jugés attractifs par les adultes). Outre ces prédispositions, l’expérience joue néanmoins un grand rôle. La préférence pour le visage maternel par exemple se met en place plus progressivement. A 3 mois, les bébés ayant été élevés principalement par une femme préfèreront (plus que les autres) les visages de femmes à ceux des hommes et discrimineront plus facilement différents visages de femme. L’inverse est vrai si le référent familial principal est un homme. Par contre ce biais 15 ne sera observé qu’en testant des visages de personnes ayant la même origine ethnique que le sujet. D’ailleurs, s’il n’existe pas de préférence pour les visages de sa propre origine ethnique à la naissance, elle apparait vers 3 mois. A 6 mois, la capacité à discriminer différents visages, conspécifiques ou hétérospécifiques, sera encore plus fine. Mais là encore cela dépend de la familiarité. Par exemple, les bébés caucasiens discriminent aussi bien les visages caucasiens qu’africains ou asiatiques à 3 mois mais plus à 9 mois (perte de capacité liée à l’expérience). 3 – L’audition Les connaissances sont un peu moins avancées que sur la vision en raison des contraintes techniques d’étude. Sur le plan anatomique, l’oreille se développe de l’intérieur vers l’extérieur (1 oreille interne, 2 oreille moyenne, 3 oreille externe). Vers 2-4 semaines PC la vésicule otique se met en place. A 10 semaines la cochlée atteint une forme quasi-adulte, idem pour la trompe d’eustache 5 semaines plus tard et le pavillon 3 semaines encore après. A 19-20 semaines, l’oreille est bien innervée et l’audition est fonctionnelle avec une plus grande sensibilité aux sons graves chez le fœtus et aux sons aigus à la naissance. Néanmoins, un affinage post-natal est observé, notamment dans la discrimination du rythme (séries de silences et bruits alternés plus ou moins rapidement), de l’intensité et des fréquences. La capacité à détecter l’origine spatiale d’un son est présente à la naissance mais s’affine jusqu’à 4 mois. Concernant l’opportunité d’expérience prénatale, il est à noter que l’environnement sonore d’un fœtus est très différent de celui d’un nouveau-né. Une étude avec insertion de micro juste avant la naissance a permis de montrer que les bruits internes étaient essentiellement inférieurs à 1000Hz avec une intensité maximale de 25dB. Les bruits externes sont très atténués par la barrière abdominale, avec une perte de 2dB à 250Hz et de 26dB à 2000Hz. Quand des enregistrements intra-utérins effectués simultanément à des repasses extra-utérines par haut- parleur de paroles humaines ont été rejoués ensuite à des adultes, seuls 30% des 3120 phonèmes français ont pu être reconnus. Néanmoins, le fœtus (dès 33 semaines PC) et le bébé montrent une préférence pour la voix de sa mère et la langue maternelle. La prosodie semble être un support d’apprentissage car lorsque les voix sont jouées à l’envers, la préférence disparait. Chez le bébé plus âgé, la préférence peut être évaluée avec le paradigme d’orientation de la tête vers une source sonore plutôt qu’une autre. Ainsi, on montre que le bébé préfère également les langues appartenant à la même classe rythmique que sa langue maternelle. Nous pouvons utiliser aussi un protocole basé sur la vitesse de succion d’une tétine proposée au bébé. On diffuse une série de sons 16 identiques suivie d’un son modifié et si le rythme de succion change le bébé a perçu de manière auditive la différence. Ainsi, à deux mois le bébé discrimine m de n, v de f et b de d. Comme pour la vision, on observe également une perte de certaines capacités au cours du développement. Cela concerne tout particulièrement la perception des langues au cours de la première année. Les bébés de langue maternelle anglaise discriminent de moins en moins bien à partir de 4 mois différentes voyelles norvégiennes ou allemandes. Les bébés anglais et français discriminent à 4 et 6 mois, mais plus à 9, différentes intonations du Thaïe, alors que les bébés chinois (qui ont une langue de la même classe rythmique) de 9 mois en seront encore capables. Les bébés japonais de moins d’un an discriminent un l d’un r mais pas les adultes. Plusieurs études ont démontré l’existence d’une mémorisation des sons perçus dans le ventre et d’un apprentissage transnatal orientant les préférences auditives après la naissance. Ainsi, même si le nouveau-né est séparé de sa mère pendant ses 3 premiers jours de vie, il continuera à 3 jours de préférer la voix de sa mère. Si le fœtus est exposé pendant les 6 dernières semaines de la grossesse à des textes spécifiques lus oralement et joués par haut-parleur, à la naissance il reconnaitra ses lectures. En effet le rythme de succion sera accéléré pendant la diffusion de ces passages familiers. Cela a été confirmé dans une autre étude qui a réalisé des mesures électro-encéphalographiques (EEG) quelques jours après la naissance sur 15 bébés tests et 15 bébés témoins. Aucune procédure prénatale n’a été mise en place pour les bébés témoins, mais les bébés tests ont été exposés à une repasse répétée de séquences audio dès la 29ème semaine de grossesse à raison de 5 à 7 repasses par semaine toujours à la même heure (la mère avait pour consigne de rester silencieuse à ce moment-là). Des CD ont pour cela été donnés aux mères avec des séquences audio de 8 minutes composées de mots TATATA répétés des centaines de fois entrecoupés de passage musicaux sans parole. De plus, des variantes de ce mot étaient insérées dans les séquences, avec des changements de voyelles TATOTA ou d’intonation sur la deuxième syllabe TATATA. Les auteurs ont observé une reconnaissance postnatale des mots et de leurs variantes par les bébés tests avec une plus grande réactivité cérébrale que chez les bébés témoins. De plus, plus le bébé avait été exposé, plus la réactivité cérébrale était forte. De la même manière, en exposant 4 heures un fœtus pendant 3 jours avant l’accouchement à certains morceaux de musique, il s’activera plus à l’âge 3 et 5 jours en réécoutant ces morceaux. Nous savons qu’il existe aussi une reconnaissance postnatale de génériques de feuilletons télévisés beaucoup regardés par la mère pendant la grossesse. Les bébés issus d’une grossesse ayant eu lieu dans une maison proche d’un aéroport manifesteront moins de sursauts en écoutant des repasses de bruits d’avions. 17 L’information serait mémorisée de façon d’autant plus rapide et durable lorsqu’elle se trouve associée à une situation émotionnelle particulière (principe de l’apprentissage associatif). L’apprentissage associatif postnatal a été montré dans une étude consistant à exposer de façon répétée un nouveau-né à un son, apparié ou non à une présentation de mamelon artificiel non nutritif. Après quelques essais, la réponse de succion après diffusion de ce son est plus grande chez les nourrissons ayant reçu des présentations appariées. Le conditionnement opérant est possible 24h après la naissance. Si maintenant on place un nouveau-né dans un berceau avec un casque et un mamelon artificiel dans la bouche, il est alors capable d’apprendre qu’en accélérant sa succion il déclenche la diffusion de la voix de sa mère alors qu’en la ralentissant il déclenche la diffusion d’une voix étrangère. Il est fortement probable que les émotions positives (relaxation, plaisir) ressenties par la mère en écoutant de la musique par exemple ou en regardant un feuilleton pendant la grossesse aient été transmises au fœtus pendant l’exposition sonore et facilitant la mémorisation. Cette hypothèse d’apprentissage associatif lié aux émotions a récemment été testée chez l’animal. Des truies gestantes ont été exposées à deux voix humaines deux fois 10 minutes par jour pendant le dernier mois de gestation [D19]. Une voix était associée à des traitements appréciés par les truies (grattage) et l’autre voix à des traitements non appréciés (pulvérisation d’air sur le nez). Les porcelets ont ensuite été soumis, à 7, 14 et 21 jours, à des situations stressantes (isolement social) en présence ou non d’une repasse de ces voix [D20]. La conclusion est claire : les porcelets ont mémorisé les voix humaines entendues prénatalement et sont rassurés (moins d’émission de cris de détresse pendant l’isolement) par la voix associée à des émotions positives de la truie mais pas par la voix associée à des émotions négatives. L’influence de l’expérience sur la perception auditive peut être directement mesurée au niveau cérébral. Un bon exemple chez l’animal est celui de la spécialisation neuronale chez l’oiseau chanteur qui dépend de la complexité de l’environnement social pendant le développement [D21-24]. On peut enregistrer la réponse neuronale (sous la forme de cartes d’activité) d’un étourneau à l’écoute de différents chants de son espèce. On constate alors, qu’à l’intérieur d’un noyau du chant qui est l’analogue du cortex auditif des mammifères, sont présents des neurones dits généralistes qui répondent à tous les champs et des neurones spécialisés qui répondent uniquement à certains motifs acoustiques. Une expérience a montré qu’en isolant pendant 2 ans des étourneaux au départ âgés d’une semaine, ces derniers présentaient proportionnellement beaucoup plus de neurones généralistes que dans le cerveau d’étourneaux sauvages. On retrouve aussi chez l’homme une modification des structures en 18 place en fonction de l’expérience auditive. Chez les personnes au développement typique, la production du langage active essentiellement l’hémisphère gauche et notamment le gyrus angulaire gauche. Chez les personnes sourdes de naissance, qui pratiquent la langue des signes, ce biais de latéralité n’existe pas et les deux hémisphères sont tout autant activés au niveau du gyrus angulaire. Par contre, pour les personnes qui deviennent sourdes après la puberté et apprennent alors tardivement la langue des signes, on retrouve un biais en faveur de l’hémisphère gauche, le gyrus angulaire droit ne s’activant pas. Cela peut concerner différentes aires sensorielles. Par imagerie à résonance magnétique, on constate une différence de représentation corticale des doigts de la main gauche entre des personnes contrôles et des musiciens qui jouaient d’un instrument à corde, ces derniers ayant une représentation plus large, surtout pour le 5 ème doigt (auriculaire) [D25]. L’ampleur de cette représentation corticale était en plus corrélée à l’expérience du musicien, autrement dit plus on apprend tôt à jouer d'un instrument à cordes, plus le nombre de neurones impliqués dans le traitement du doigt 5 (auriculaire) est grand. Il a aussi été montré que la partie antérieure du corps calleux des musiciens est généralement plus large. 4 – L’olfaction et la gustation Trois systèmes sont impliqués dans la perception olfactive chez l’homme : le système olfactif principal (perception de la plupart des odeurs comme la vanille et le chocolat), le système trigéminal (odeurs dites « tactiles » comme la menthe et les épices) et le système voméronasal (perception des phéromones comme les odeurs liées au stress). Ils se mettent respectivement en place vers 11, 4 et 7 semaines PC. Les connexions corticales s’installent tôt, vers 7-8 semaines PC mais les récepteurs nasaux arrivent bien plus tard, vers 28 semaines. Pour la gustation, les papilles gustatives se mettent en place de la 7 ème et la 14ème semaine PC. L’information olfactive ou gustative est traitée globalement, en termes hédoniques. Le nouveau-né manifeste des expressions faciales et des comportements (approche – retrait) caractéristiques de situations plaisantes ou déplaisantes en percevant certains goûts ou odeurs [D26]. Par exemple, des substances sucrées (sucrose) déclenchent, dès la naissance, des expressions comme le relâchement du visage, des succions ou des protrusions de langue, ainsi que des accélérations de la respiration. Les substances amères ou acides déclenchent au contraire des réactions négatives comme le pincement de lèvres, le froncement des sourcils, le plissement du nez, un recul de la tête et un ralentissement de la respiration. Ces réactions sont retrouvées également chez l’animal comme les rongeurs ou les singes. Les réactions aux odeurs 19 sont parfois néanmoins moins claires que celles observées avec les goûts. Ces substances peuvent aussi être utilisées dans des protocoles de conditionnement classique chez des nouveau- nés de 1-2 jours. Le paradigme consiste à caresser le front du bébé 10 secondes avant de lui donner une solution de saccharose (18 fois de suite), avant de procéder à une extinction de 9 essais (caresse sans solution administrée). La réponse à la caresse est alors typique d’une réponse conditionnée : orientation de la tête, ouverture de la bouche et succion. Sur le plan social, d’anciens travaux avaient déjà montré que l’enfant à la crèche pouvait reconnaître à l’odeur un vêtement porté par sa mère. Nous savons désormais, avec les études de Benoist Schaal que la capacité de reconnaissance olfactive de la mère par l’enfant existe à l’âge de 3 jours, mais également de l’enfant par la mère. Pendant la lactation, l’aréole du sein émet des substances spécifiques, grâce à un certain nombre de glandes exocrines (sébacées, corpuscules de Montgomery…), qui forment une structure odorigène reconnaissable. Difficile de savoir ici s’il s’agit d’un processus de reconnaissance de parentèle (que l’on sait exister chez les mammifères) ou un phénomène d’apprentissage. Au-delà du social, le rôle de l’expérience est démontré dans l’étude suivante. Un nouveau-né de 3 jours, nourri au biberon, est exposé, pendant son sommeil actif, à deux odeurs de lait : celui provenant de la formule utilisée depuis sa naissance ou une formule non familière d’une autre marque, et ce avant et après son repas de manière à tester également l’effet satiété. Les résultats montrent que le battement cardiaque s’accélère pendant la phase de satiété avec la formule familière et est associé à des mimiques négatives de rejet. Le bébé, qui n’a plus faim, reconnait l’odeur familière et comprend la signification associée. En exposant un nouveau-né prématuré de 28 semaines PC à une odeur nouvelle de manière répétée, dix fois dix secondes suffisent pour que l’odeur soit mémorisée. Nous savons également qu’il existe un apprentissage fœtal. Tout d’abord, le fœtus perçoit clairement les informations. En modifiant artificiellement la composition du liquide amniotique par une injection de saccharine ou de lipiodol à 34 semaines PC, on observe respectivement une accélération et un ralentissement du rythme de déglutition. De plus, le nouveau-né reconnaîtra certains aliments ingérés par sa mère pendant la grossesse. Si la mère enceinte consomme de l’anis les 10 derniers jours de la grossesse, à 3 heures et à 4 jours, le bébé exposé est attiré par une odeur d’anis alors que le bébé non exposé (dont la mère n’en n’a pas consommé) détourne la tête spontanément face à l’anis. Quelques études portent sur la perception des phéromones, mais cette fois chez l’adulte. Nous savons par exemple que les étudiantes qui passent beaucoup de temps ensemble à l’université (colocataires, dortoirs) vont synchroniser leurs cycles menstruels. Pour vérifier le 20 rôle des phéromones dans ce processus, une expérience a été réalisée. Des échantillons de sueur d’une femme dite « donneuse » sont présentés quotidiennement (trois fois par semaine pendant 4 mois) à des femmes présentant des cycles réguliers de 29 jours. On observe à la fin de l’étude que ces femmes synchronisent leurs cycles avec celui de la donneuse. Si on présente des odeurs masculines à des femmes aux cycles irréguliers, les cycles deviennent plus réguliers. 5 – Le toucher Le système somesthésique comprend les processus kinesthésiques (coordination liée aux mouvements et au spatial) et cutanés (sensibilité de la peau au toucher, pression, température, douleur). Les récepteurs cutanés apparaissent à 7 semaines PC, se connectent à la colonne vertébrale une semaine plus tard puis au cerveau entre 20 et 24 semaines. Nous savons peu de choses sur la perception tactile prénatale. De vieilles études réalisées sur des fœtus avortés ont observé des réactions à des stimulations tactiles réalisées à l’aide d’un esthésiomètre dès 7 semaines PC sur le visage, puis progressivement jusqu’à 14 semaines PC sur le reste du corps le long d’un axe antéropostérieur. L’observation de grossesses de jumeaux témoigne de possibles réponses d’un fœtus aux mouvements de l’autre dès 12 semaines. Les échographies montrent aussi des auto-contacts (main / tête) dès 10 semaines et un suçage du pouce à 13 semaines PC. Une pression réalisée sur l’abdomen maternel entre 32 et 40 semaines PC entraine des changements de rythmicité cardiaque du fœtus. Le toucher est un sens primordial (le premier à se mettre en place au cours de l’ontogenèse) chez l’homme, mais également chez l’animal. La peau est le système sensoriel le plus large du corps humain. Il suffit d’observer l’importance de la part prise par le contact physique tout au long du développement notamment social (contacts mère-jeune, entre amis pendant l’enfance et même plus tard). Le contact physique a une fonction de réconfort que ce soit de l’auto- ou de l’allo-contact. Le toucher a également une fonction exploratoire (d’abord manuelle et buccale chez le bébé). Dès le premier jour après la naissance, le toucher permet au nouveau-né de discriminer avec la main des formes et textures. La douleur à la naissance est également perçue. La concentration en béta-endorphine sanguine est plus forte chez les bébés nés avec utilisation des forceps que sans. Chez les nourrissons nés de mères diabétiques, les ponctions sont fréquentes et le bébé anticipe la douleur et finit par pleurer dès qu’on lui nettoie le bras avant la ponction. Il existe de plus une latéralité de la perception tactile. 27 filles nées à terme ont été testées 24 et 60h après la naissance. La procédure consistait à toucher la lèvre ou 21 la joue avec une brosse à poils doux. Une plus forte réponse (orientation de la tête et rythme cardiaque) est observée lors de la stimulation du côté droit. Des expériences réalisées chez l’animal montrent que le besoin de contact est plus fort que des besoins primaires comme l’alimentation. Harlow a montré l’importance du contact lors d’expériences d’isolement social de jeunes macaques rhésus [D27]. Le jeune est laissé seul, sans sa mère biologique, avec au choix une mère de substitution artificielle dite « câline » (poupée) et une mère de substitution « nourricière ». Le constat est que le jeune manifeste spontanément une préférence pour la mère « câline ». Il montrera des signes de dépression si cette mère « câline » est retirée de la cage et pas si c’est la mère « nourricière » qui est retirée. Chez le rat, la manipulation tactile néonatale entraine des modifications importante dans le système nerveux central et notamment au niveau du « circuit de la récompense » (lié au plaisir, à l’alimentation et à la réponse au stress). Le toilettage par la mère aura des effets bénéfiques sur la croissance du raton et sa mémoire spatiale. Il est cependant important de noter qu’un contact physique forcé, effectué sous une forme de contrainte, n’est pas particulièrement bénéfique. Par exemple, manipuler le poulain à la naissance (quelques jours uniquement à raison de quelques minutes par jour) en le caressant et en l’immobilisant sans violence mais sans son consentement modifiera la façon dont l’animal s’exprimera en situation de stress. Quelques mois plus tard et même un an après, lorsque les chevaux non manipulés précocement ont tendance à s’éloigner ou fuir, les chevaux manipulés dans l’enfance se figent et hennissent. Cela pose la question des conséquences d’un rôle passif ou actif du jeune dans son propre développement. L’effet d’une privation de contact chez l’humain est difficile à étudier. Quelques travaux dans des orphelinats parlent d’effets dévastateurs même si les variables sont difficiles à contrôler dans ces approches méthodologiques. Dans les années 70, des chercheurs ont comparé deux populations, une (témoin) où l’enfant est laissé en contact avec sa mère pendant une heure après la naissance et l’autre (test) où la durée est de 15 minutes de plus. L’impact de cette simple différence est visible à 3 mois avec les mères de la population test qui portent plus et regardent plus en face leurs enfants, ainsi qu’à 3 mois avec les enfants de la population test qui sourient plus et pleurent moins. Il existe des comportements de contacts parentaux routiniers, les mères ont tendance à toucher du bout des doigts leurs nouveau-nés avant d’apposer la paume de la main et de commencer par les extrémités avant d’atteindre le tronc. Les mères de prématurés ont des comportements tactiles plus lents. Les pères ont des comportements tactiles moins nombreux et plus vigoureux. Les mères peuvent reconnaitre leurs enfants, 5 et 79h après la 22 naissance, en touchant simplement la surface du dos de leurs mains. Le toucher est également une composante importante du jeu mère-enfant. Les jeux avec stimulations tactiles sont associés à plus de sourires que les jeux avec objet ou les jeux de lecture. L’importance du contact chez l’enfant humain a également fait l’objet d’études basées sur la procédure « Still face ». Cette procédure se décompense en trois phases : 1) la mère interagit librement avec l’enfant (touchers, voix, expressions faciales), 2) la mère exprime un visage figé neutre, dépourvu d’expressions, ne parle pas et ne touche pas l’enfant, 3) la mère interagit à nouveau librement. Typiquement, en phase 2, l’enfant détourne son regard, cesse de sourire, manifeste des comportements liés à des émotions négatives, augmente son activité vocale et se touche lui-même plus. L’auto-contact pendant la phase 2 est particulièrement important chez les enfants de mères dépressives. A 3 mois, l’effet de la phase 2 est plus marqué si le toucher est présent en phase 1 que s’il est absent. Et si le toucher est présent en phase 2, la réponse de l’enfant est au contraire moins forte. Certains médecins utilisent ces connaissances pour mettre en place des pratiques particulières en maternité. Une pratique créée en Colombie en 1970 et arrivée aux USA en 1980, est le « peau à peau » : le bébé est nu, posé sur le torse nu du parent et recouvert d’une couverture. Cela agit sur la régulation de la température et de la respiration de l’enfant, mais agirait aussi sur l’acceptation de l’allaitement naturel, l’attachement, les pleurs et les cycles de sommeil. Une autre pratique est le massage, qui remonterait en réalité à 1800 ans avant notre ère et qui aurait un effet notamment sur la croissance du prématuré et sur la production d’ocytocine (à action anti-stress). D’autres pratiques posent au contraire question. Le répertoire comportemental des prématurés en turbulette a été comparé à celui de bébés en body [D28]. La turbulette empêche clairement les mouvements d’auto-contacts (main – tête) et donc l’opportunité d’auto-réconfort et ces derniers manifestent plus de comportements d’inconfort. Il existe aussi des variations culturelles importantes dans les styles de contact. Les mères japonaises et américaines ne touchent pas leurs enfants de la même manière. Les mères japonaises alternent stimulations faciales et vocales avec stimulations tactiles. Les mères américaines ont plus de stimulations multimodales et globalement touchent plus leur enfant à l’échelle de la première année. Aux États-Unis, les mères d’origine hispanique ont plus de comportements tactiles que les mères d’origine anglophone. Au Kenya et en Egypte, le contact diminue fortement de 18 à 27 mois puis augmente de 27 à 29 mois. Chez les Bushmen, l’enfant est 75% du temps en contact avec quelqu’un de 3 à 6 mois. A Taïwan, les mères portent plus que les pères qui eux sont plus impliqués dans les jeux « brusques ». En Israël et en Palestine, 23 les mères touchent leur enfant autant quand il manifeste des signaux positifs que neutres mais moins suite à des comportements de retrait, alors que les pères concentrent leurs comportements tactiles pour les contextes positifs. 6 – L’intermodal Le monde est un ensemble d’objets et d’événements qui inondent nos sens en continu. Nos sens doivent donc être très organisés pour relever le chalenge de la perception, de la discrimination et de la reconnaissance. Le flux d’informations est multimodal et l’attention sélective tout comme la perception intermodale nous permet d’y répondre de manière plus efficace. L’ « attention sélective » nous permet de détecter un ami dans une foule, de suivre le parcours d’un ballon lors d’un jeu et de comprendre les propos d’une personne au milieu d’une soirée bruyante. Cette capacité s’affine avec l’expérience. A un stade précoce, l’attention sélective est guidée par les stimuli perçus puis, au cours du développement, elle est modulée par des processus ‘Top-Down’ (planifications, buts, attentes). Les preuves de perception intermodale existent dès la naissance. Le nouveau-né tourne sa tête ou son regard dans la direction de la source d’émission d’un son assurant ainsi une coordination audiovisuelle. L’« effet ventriloque » a également fait l’objet d’études sur des bébés d’1 mois. L’enfant perçoit comme un événement audiovisuel unique deux évènements distincts mais coordonnés : d’un côté une marionnette qui bouge silencieusement ses lèvres selon un rythme défini et de l’autre une voix qui parle en respectant ce rythme. Le rythme et la synchronie sont des informations dites amodales qui guident l’attention et la perception intermodale. Cela facilite également l’apprentissage. La relation arbitraire entre un objet et son nom est plus facilement mémorisée si montrer et nommer l’objet se font en synchronie que si l’objet est statique ou montré en décalé. La « redondance intersensorielle » correspond justement au fait que l’information amodale est perçue simultanément par les différents sens. Cette redondance à travers les sens attire notre attention, tout particulièrement à des stades de développement précoces quand les capacités perceptuelles sont plus limitées. Il a par exemple été montré chez l’animal, qu’une stimulation redondante audiovisuelle (flashs lumineux synchronisés à une diffusion de cris maternels) avant éclosion chez la caille améliore l’apprentissage de la reconnaissance postnatale de la voix de la mère par rapport à une stimulation unimodale ou biomodale asynchrone. Chez l’enfant humain, des expériences montrent aussi l’importance de la synchronie geste / son dans l’apprentissage d’une mélodie à partir d’un jeu (marteau tapant sur un support pour faire de la musique). 24 L’auto-exploration multimodale permet à l’enfant d’acquérir de nouvelles compétences dans la coordination des mouvements et le langage. A 1 mois, l’enfant distingue auto- et allo- (social) stimulations. Entre 3 et 5 mois, il détecte la redondance intersensorielle entre vision et proprioception lors de la réalisation de mouvements. Une expérience consiste à exposer un enfant à deux vidéos, l’une (a) diffusant en direct l’image de ses jambes en mouvement et l’autre (b) diffusant celles d’un autre enfant ou les siennes mais enregistrées précédemment [D29]. A 3 mois, il préfère se regarder (a), mais à 5 mois il préfère ce qui est « social » (b). L’enfant apprend par ailleurs à parler en percevant le lien entre ses mouvements articulatoires et le feedback auditif associé à sa production de son. L’enfant de 2 mois préfère aussi regarder un visage dont les lèvres bougent en synchronie avec les paroles entendues et ils peuvent apparier un visage à une voix synchronisée en se fiant au rythme de parole ou à la forme des lèvres (p. ex. visage prononçant a ou i). Plusieurs études soulignent une capacité de traitement intermodal de l’information. Deux heures après la naissance, la préférence pour un visage maternel est plus forte si la voix de la mère a été diffusée juste avant. Dès 3 jours, il est capable de reconnaître visuellement un objet précédemment tenu dans la main. 7 – Les actions On distingue le simple fait de tendre le bras ou d’ouvrir la main vers (réponse orientée) du geste volontaire permettant à un enfant d’attraper un objet (réponse dirigée vers un but), cela n’émerge que vers 3-4 mois. Entre temps, le système perceptuel et motivationnel s’affine. La vision n’est pas nécessaire pour guider la main vers une cible, dans le noir un enfant qui ne voit pas sa main peut néanmoins atteindre un objet lumineux dès 6 semaines. Au cours de la première année, les mouvements des bras et mains sont souvent symétriques, attraper à deux mains émerge avant la capacité à attraper un objet avec une seule main. Le bébé va aussi canaliser progressivement son énergie, il va d’abord réagir à une stimulation en bougeant l’ensemble de son corps avant de concentrer ses réactions sur le membre concerné. Il est évident que la maturation (systèmes nerveux et musculaire) joue un rôle, mais l’expérience (notamment l’opportunité de s’exercer) également. Déjà au niveau prénatal, des chercheurs indiquent que le comportement ultérieur de l’humain est influencé par la position de l’embryon dans l’utérus, en relation avec la liberté relative de ses mouvements. Les enfants qui se sont développés en position céphalique, montrent aussitôt de bons réflexes de flexion et d’extension. Si on leur gratte la plante des pieds, ils rétractent leurs jambes vers eux. Après une 25 position de siège, la même stimulation déclenche une extension des jambes et les mouvements d’extension prédomineront plus tard dans le répertoire des mouvements du nourrisson. Même si les bébés passent par les mêmes grandes étapes, il existe une importante variabilité individuelle dans les vitesses d’acquisition [D30]. Quelques mois après la naissance, les bébés capables de rester assis sans aide attrapent à une main plus tôt que les autres. Selon la même logique, l’opportunité est un facteur explicatif. Les bébés « nageurs » vont plus rapidement au stade bipède que les autres qui marcheront à 4 pattes plus longtemps. Le rôle joué par l’expérience est bien démontré dans les études portant sur les variations culturelles. Les capacités des nouveau-nés africains et euro-américains sont très similaires à la naissance, mais plus tard, le tonus musculaire et certains comportements moteurs (activités « main à bouche », contrôle postural, mouvements impliqués dans la marche) sont souvent décrits comme plus importants et plus précoces chez les bébés africains. Plusieurs causes sont possibles : alimentation, rythmes de vie, opportunité à s’exercer. Par exemple, la posture verticale est plus importante quand on est porté sur le dos ou les hanches que si on est allongé. Cette position permet un exercice des muscles du tronc et de la ceinture pelvienne (essentiels pour s’assoir et marcher). De plus, la position verticale joue sur l’action des glandes surrénales et donc sur les processus attentionnels. Au Kenya, dans la tribu des Kipsigi, les enfants sont 50% de fois plus souvent en position verticale qu’aux USA. Ils ont également 20 séances d’allaitement par jour pendant les quatre premiers mois, quand les bébés américains en ont six. Les pratiques pour endormir l’enfant sont également différentes. Les travaux sur les gestes ont également souligné l’existence d’une latéralité précoce. Chez le fœtus, il existe une asymétrie dans la succion du pouce en faveur de la main droite dès 15 semaines de gestation (étudié sur 274 fœtus), indépendamment de la position du corps. Dès la 10ème semaine de gestation, il y a une plus grande fréquence de mouvements du côté droit (pour 54 des 72 fœtus étudiés). Cela se prolonge après naissance, avec une préférence pour tourner la tête à droite à 1h et à 5 jours lors d’expériences consistant à tenir la tête du bébé en position centrale avant de la lâcher. IV – Le développement émotionnel et social 1 – Les émotions et le tempérament L’ontogenèse du développement émotionnel est complexe et commence bien avant la naissance. Le fœtus est directement ou indirectement exposé à l’état physiologique et aux maladies de la mère à travers le placenta et l’environnement intra-utérin. Une dépression de la 26 mère pendant la grossesse par exemple modifie la concentration en hormones et en neurotransmetteurs de cet environnement. Cela aura une influence sur la physiologie et le comportement du fœtus (instabilité de la rythmicité cardiaque, moins de mouvements en sommeil actif, plus faible réactivité en situation stressante), mais également de l’enfant après la naissance (concentrations en dopamine, norepinephrine et sérotonine altérées, poids plus faible à la naissance, développement moteur ralenti, faiblesses immunitaires, sommeil difficile). Les études précédemment citées de « Still Face » montrent bien que, très tôt, le bébé a des attentes de réciprocité de l’engagement affectif et un besoin d’échanger des signes d’intérêts et des manifestations de plaisir lors d’interactions avec autrui. Deux théories développementales existent : - La « théorie des émotions différentielles » (enracinée dans la pensée Darwinienne) : les émotions de base (aversion, joie, tristesse, intérêt, colère, peur, surprise) se différencient selon un calendrier prédictible reposant sur la maturation des circuits neuronaux, indépendamment du développement cognitif. Certaines émotions sont déjà fonctionnelles à la naissance comme l’aversion et l’intérêt. - Les émotions de base sont inexistantes pendant le premier mois de vie car les sentiments, qui forment le noyau des processus émotionnels, ne peuvent se mettre en place que lorsque l’enfant a la capacité cognitive de mettre du sens sur un évènement et de faire la différence entre soi et l’autre. Les réactions des nouveau-nés seraient alors indifférenciées (détresse générale), diffuses et bipolaires (positif, négatif) et basées sur des processus physiologiques (faim, douleur). L’étude suivante nous montre par exemple que l’expression de la colère s’affine au cours du temps. Un bébé a les bras maintenus par un expérimentateur pour déclencher des manifestations de colère avec en face de lui sa mère ou une femme inconnue. A 1 mois, le bébé manifeste des expressions faciales négatives grossières. A 4 mois, les expressions sont plus fines (Evaluation par le « Maximally Discriminative Facial Movement Coding System »). A 7 mois, elles sont en plus socialement dirigées. Il en est de même pour le sourire. Il est d’abord, chez le nouveau-né, déclenché par des stimulations endogènes (sourires pendant le sommeil paradoxal ou en phase de somnolences), puis devient « social » en réponse à une stimulation tactile dans un premier temps, puis auditive et enfin visuelle. La notion de tempérament aborde la question de l’individualité comportementale et la composante physiologique sous-jacente (émotions) au développement des comportements. Il est assez facile, chez l’Homme comme chez l’animal (oiseaux et mammifères), de distinguer 27 les individus sur la base de leurs profils comportementaux. On s’intéresse alors à la fois à la différence inter-individuelle et à la stabilité intra-individuelle dans les réponses automatiques aux stimulations émotionnelles. Les différentes dimensions qui permettent de définir le tempérament varient beaucoup selon les espèces et les auteurs (p. ex. impulsivité, sociabilité, timidité, autorégulation, excitabilité, réactivité, inhibition, persistance). Il existe des bases génétiques à certaines caractéristiques comportementales dont l’inhibition, la réactivité, la sociabilité et la persistance ; d’une manière générale les manifestations émotionnelles négatives semblent plus héritables que les positives. Il existe aussi une influence des expériences prénatale et postnatale. Parmi ces expériences, le stress maternel est souvent mis en avant. Par exemple, les niveaux de cortisol maternel sont positivement corrélés au niveau de peur chez l’enfant nourri au sein mais pas au biberon. Certains traits seraient plus féminins (timidité) et d’autres plus masculins (impulsivité). D’autres traits seraient culturels comme l’inhibition face à la nouveauté plus marquée chez les enfants chinois qu’américains. Des coactions gène – environnement ont été étudiées, comme la forme de l’allèle D4 du gène qui code pour les récepteurs à la dopamine et la qualité du soin parental qui influencent l’impulsivité et le niveau d’activité générale de l’enfant. Une autre coaction gène- environnement concerne le gène 5-HTT (impliqué dans la production de sérotonine) et le niveau de support social reçu par l’enfant (évalué par des enquêtes et questionnaires) qui interfèrent pour jouer sur l’inhibition comportementale de l’enfant à 84 mois (tester en présence d’un nouvel objet et d’un humain inconnu). Les enfants qui possèdent l’allèle court de ce gène et un faible support social seront plus inhibés. A plus long terme, le tempérament influencera la personnalité de l’individu. Il y a par exemple un lien entre autorégulation et persistance chez l’enfant et conscienciosité chez l’adulte, ou entre sociabilité chez l’enfant et agréabilité chez l’adulte. Néanmoins, ces travaux sur le tempérament et la personnalité sont parfois controversés et ils sont donc à interpréter avec précaution. Le besoin de se différencier des autres au fil du développement est cela dit assez persistant et a fait l’objet de nombreuses études. Par exemple, Zazzo parle du « paradoxe des jumeaux » qui bien que semblables génétiquement et physiquement, et malgré une symbiose évidente, ne se ressembleraient pas plus psychologiquement que des frères ou sœurs ordinaires, du fait du besoin de se construire soi- même et donc de se séparer de son jumeau (alternance complémentarité / rivalité). 2 - L’imitation 28 L’humain est intrinsèquement social. La capacité à apprendre en observant l’autre est bien plus efficace et moins dangereux que l’apprentissage par essai erreur. L’imitation joue un rôle important dans cet apprentissage. Il existe trois fonctions principales : - L’imitation a une fonction socio-communicative car copier les actions des autres facilite l’engagement social, - L’imitation a une fonction cognitive car copier les actes sur les objets aide à apprendre comment utiliser des outils et des stratégies cognitives, - L’imitation est fondamentale pour la compréhension par les enfants de la différence entre soi et l’autre. L’imitation est spécifique. Dès les premiers jours (voire pour certaines études dès 42 minutes), le nouveau-né est capable d’imiter des actes réalisés par les adultes comme : ouvrir la bouche ou pincer les lèvres, tirer la langue à droite ou sur le côté. Si l’on apprend à un enfant à utiliser un outil, que lui-même sert de tuteur à un deuxième enfant et ainsi de suite avec 5 enfants différents à la chaine, on constate une grande stabilité dans la technique d’utilisation de l’outil. L’expérience consiste à utiliser un seul dispositif mais qui peut être actionné de plusieurs manières [D31], l’enfant du début de la chaine se voit présenter une seule technique qui diffère d’une chaine à l’autre. La même expérience réalisée avec des chimpanzés montre des résultats similaires. Une autre expérience a suivi un protocole identique, avec un autre dispositif plus complexe, dans l’objectif de comparer des enfants de 3 ans (testé sur 65 enfants) et de 5 ans (testé sur 62 enfants). On observe ici une plus grande stabilité dans la transmission à 5 ans qu’à 3 ans, et entre garçons plutôt qu’entre filles. L’imitation est flexible et liée à la mémoire. La réponse peut être immédiate ou décalée dans le temps si par exemple la bouche du bébé est occupée lors d’une imitation d’expression faciale. L’imitation n’est pas compulsive, sans distinction de cible. Pour certaines choses, le parent sera la cible préférentiellement imitée, pour d’autres il s’agira des copains du même âge. Un enfant de 12 ou 18 mois imite plus un geste réalisé avec des bras humains qu’avec des pinces mécaniques ou des moufles. L’engagement social du partenaire joue sur l’imitation. Dans l’expérience suivante, un enfant de 15 mois observe un adulte qui : 1) le regarde et lui parle avant de réaliser le comportement cible à imiter, 2) regarde le mur en lui parlant avant de réaliser le comportement en question. L’enfant imitera plus dans la première situation où l’adulte lui prête une attention particulière. L’enfant prend en compte le contexte émotionnel avant d’imiter. Dans l’expérience suivante, un enfant de 18 mois observe deux adultes interagir. L’adulte 1 appuie sur un bouton, 29 l’adulte 2 regarde son partenaire et dans un cas (a) manifeste un mécontentement (« c’est agaçant ») de face, dans un autre cas manifeste le même mécontentement mais de dos (b), puis dans un dernier cas ne manifeste aucun mécontentement (c). Puis l’adulte 2 regarde l’enfant. Celui-ci reproduira moins le geste dans la condition (a) que dans les conditions (b) et (c). Les mêmes résultats sont observés si au lieu de tourner le dos, l’adulte ferme les yeux. 3 – La relation Parent – Enfant La durée prolongée de l’enfance chez l’Homme optimise les opportunités d’influences parentales sur la sociogenèse. La relation Parent – Enfant est une étape clé, parfois appelée « berceau de la compréhension sociale », pour le développement social (communication, langage) et émotionnel (expressions émotionnelles, régulation des émotions). Le parent est la première source sociale d’apprentissage. a – L’attachement * Les travaux précurseurs sur l’empreinte chez l’oiseau L’empreinte est un comportement d’attachement qui se centre rapidement sur un objet particulier ou une classe d’objets. Il résulte d’un apprentissage, indépendant de tout effet génétique, au cours duquel un individu exposé à un stimulus clé, généralement tôt dans le développement, formera une association privilégiée à long terme avec cet objet référent ou avec ce qui lui ressemble, déterminant ainsi une bonne partie de la vie de l’individu. Konrad Lorenz est le premier à avoir décrit le phénomène de l’empreinte en 1935 [D32]. Ses travaux sur l’oie cendrée sont mondialement reconnus. Il obtiendra en 1973 avec Tinbergen et Von Frisch le prix Nobel. Après avoir retiré des œufs à une mère, il s’est occupé des petits dès l’éclosion et s’est rendu compte que les jeunes l’ont tout de suite considéré comme une « mère » de substitution et ont développé un attachement particulier pour lui, le suivant partout dans toutes ses activités. L’empreinte se manifeste à un certain moment de la vie, appelé période sensible. Cette période est précoce, généralement juste après la naissance, et de courte durée. Par exemple, chez les oies et les canards la période sensible pour apprendre le comportement de « suivi de la mère » s’étend entre 24 et 48 heures après l’éclosion. Le jeune apprendra en réalité à suivre le « premier objet large mobile » rencontré. Ainsi, l’empreinte peut se faire sur la mère ou, si elle n’est pas là, sur bien d’autres choses de grande taille que la mère canard ou oie, indépendamment de la forme, de la couleur. Les mouvements attirent l’attention mais ne sont pas pour autant essentiels. De nombreuses expériences ont montré que l’empreinte du poussin 30 pouvait se faire sur un humain, un morceau de bois ou même une paire de bottes en caoutchouc. Ils créeront un lien avec cet item unique et le suivront partout. Konrad a ainsi développé une association avec ses petits oisons pendant toute leur vie. Bien qu’il fût le premier à démontrer cela scientifiquement, l’empreinte était déjà connue. Depuis plusieurs siècles, les paysans chinois avaient rentabilisé cette tendance à l’empreinte pour rendre des canards plus efficaces dans le contrôle des escargots qui autrement endommageaient les rizières. Ils imprégnaient les canards sur un piquet spécial et déplaçaient régulièrement le piquet dans la rizière afin que toutes les zones infestées d’escargots soient soumises à une prédation efficace. L’empreinte semble plus importante chez les espèces nidifuges, où les jeunes sont moins dépendants de leur mère pour la nourriture et la chaleur que chez les espèces nidicoles, qui confinent leurs petits souvent vulnérables et sans plume/poil. L’empreinte est quasi- irréversible. La connaissance imprégnée restera toute la vie. De toutes les formes d’apprentissage, l’empreinte est la plus difficile à oublier. Certains événements vécus par l’animal et notamment un niveau de stress élevé pendant la période sensible renforceront l’empreinte. L’empreinte établira une préférence entre un individu donné et une certaine espèce. Quelle que soit sa tendance génétique, une fois imprégné, l’animal préférera toujours suivre des stimuli ressemblant à son référent plutôt qu’un conspécifique. Les oies de Konrad préféraient le suivre plutôt que d’autres oies. Certains comportements sont plus affectés que d’autres par l’empreinte. Konrad a remarqué que des choucas, imprégnés à lui, lui faisaient la cour, lui présentant des vers de terre, tentant même de les introduire dans ses oreilles. Cependant, en dehors de toute excitation sexuelle, ces oiseaux se joignaient volontiers aux conflits entre conspécifiques. L’empreinte peut agir différemment sur le jeune selon son identité sexuelle. Cela a été démontré chez le diamant mandarin. Une expérience subtile sur l'imprégnation sexuelle des diamants mandarins a été réalisée en utilisant des oiseaux albinos (les normaux ont des plumages très complexes qui auraient rendu difficile le contrôle). Avant que les petits ouvrent les yeux à 8 jours, le chercheur a peint les becs des parents de 2 couleurs différentes : rouge pour le mâle et orange pour la femelle, ou vice versa. Les petits restèrent en contact avec leurs parents "manipulés" durant 7 semaines, ensuite ils furent mis en isolation visuelle des autres diamants jusqu'à leur maturité sexuelle 10 semaines plus tard. Chaque sujet fut mis ensuite dans une cage donnant sur 2 compartiments latéraux, chacun contenant un oiseau diamant de test. Celui-ci pouvait être mâle ou femelle et avoir un bec rouge ou orange. 12 sujets mâles sur 14 31 ont choisi l'oiseau-test ayant le bec de la même couleur que leur mère, que cet oiseau soit mâle ou femelle. Par contre, les sujets femelles choisissaient toujours d'aller vers l'oiseau-test mâle, quelle que soit la couleur du bec. * Les théories sur l’attachement chez les primates Dans les années soixante et soixante-dix, le psychologue britannique John Bowlby (1907-1990) et le primatologue américain Harry Harlow (1905-1981) ont développé les théories complémentaires de l'attachement (Bowlby) et des affinités (Harlow) pour rendre compte chez l'Homme et les primates non humains des phases de développement des individus. Ces théories s’inscrivent dans la continuité des travaux éthologiques de Lorenz et s’opposent à la théorie plus instinctive du lien défendue par Freud. L’attachement selon Harlow et Bowlby se construit progressivement avec les expériences relationnelles de vie. C’est grâce aux interactions de tous les jours que l’enfant développe une préférence (un lien émotionnel) pour les individus qui prennent principalement soin de lui. Ce lien spécifique est stable à travers les différents contextes, inscrit sur le long terme et socialement dirigé. La figure d’attachement est recherchée lorsque l’enfant est apeuré, fatigué ou malade. L’attachement permet donc à l’enfant de vivre dans un environnement plus sécurisant. Selon Bowlby, la relation étroite qui unit l'enfant à ses parents, sa fratrie et sa famille s'établit au cours de 4 phases. Pendant la phase 1 (0 – 4 semaines), le jeune émet des signaux socio-affectifs orientés en se comportant d’une façon caractéristique vis-à-vis des gens mais sans discrimination d’objet ou avec une discrimination limitée (ex : auditive). Au cours de la phase 2 (4 semaines - 6 mois), les signaux sont ciblés, surtout dirigés vers la mère ou les figures d’attachement (mise en place d’une préférence). A la phase 3 (6 mois - 3,5 ans), l'enfant maintient sa proximité avec l'adulte en le suivant partout (importance de la locomotion en plus de l’émission de signaux), puis en phase 4, il y a formation d’associations comportementales complexes rectifiées quant au but : la mère devient un concept indépendant dont sont compris les sentiments et motivations. La théorie des affinités d’Harlow décline l'ensemble des comportements qui participent à l'établissement et au maintien des liens sociaux dans un groupe d’animaux de même espèce en 5 phases : la phase 1, affection de la mère dirigée vers le jeune, la phase 2, affection du jeune dirigée vers la mère (inversion), la phase 3, affinité entre compagnons de la même classe d’âge (période cruciale pour l’émancipation future), la phase 4, affinité de type hétérosexuel et la phase 5, affinité de type paternel (vers le mâle protecteur). Harlow ajoute que si un problème a lieu aux cours des phases 1 ou 2, l’acquisition des phases suivantes pourra être perturbée. Dans 32 les expériences d’Harlow d’isolement social chez le macaque, on observe que le jeune se développe physiquement comme les individus non privés socialement mais développe de sévères troubles comportementaux, dits dépressifs (prostré dans un coin, balancement d’avant en arrière, auto-morsure) avec des effets à long terme sur les compétences sociales des individus. Les jeunes macaques d’Harlow resteront par exemple terrifiés lorsqu’on leur présentera des congénères. L'éventuelle réversibilité des symptômes dépend de la durée d'isolation. Si elle dure de la naissance à 3 mois, les symptômes sont réversibles. Par la suite, ils deviennent progressivement irréversibles : pour une durée d'une année, l'animal est définitivement irrécupérable. Derrière l’idée de « période sensible » dans les processus d’empreinte, il y a une base biochimique évidente (rôle de l’acétylcholine estérase par exemple). Il en serait de même pour l’attachement. On parle de plus en plus d’une influence possible de l’ocytocine, médiateur endocrinien connu pour son rôle lors de l’accouchement mais également des liens amoureux chez l’adulte. L’action de cette hormone sur la mise en place de l’attachement au fil des premiers mois après la naissance est liée à la présence de « comportements organisateurs / comportements d’attachement » qui préparent le terrain. Ces comportements, selon Bowlby, seraient fortement déterminés génétiquement (succion, agrippement, pleur, suivi) et déclencheraient des réponses chez le partenaire (sourires, caresses, alimentation). Les processus de reconnaissance et l’implication de toutes les modalités sensorielles sont importants pour la mise en place de l’attachement et notamment l’olfaction. Ce constat repose également sur des travaux très connus en éthologie chez la brebis. Au cours des premières minutes après la mise- bas, la brebis lèche et flaire son jeune ce qui lui permet d’apprendre à la reconnaître pour plus tard le laisser venir téter. Lorsque dans le troupeau, qui comprend plusieurs jeunes, un petit s’approche, il se met « tête bèche » ce qui permet à la mère de le flairer pour vérifier son identité. Cinq minutes de flairage post-natal sont suffisantes pour permettre une reconnaissance. Si le contact est empêché après la naissance, la mère ne laissera jamais son petit téter. Le jeune n’est pas passif mais est acteur du processus d’attachement, de par ses réponses à certaines stimulations parentales et la synchronisation de ses comportements à ceux du parent. Tous les enfants n’ont pas les mêmes compétences. Les prématurés par exemple ont plus de difficulté à s’engager (plus d’évitement du regard, moins de jeu social, moins d’attention mutuelle). Ainsi, l’attachement n’est pas un processus exclusivement instinctif ou expérientiel, les deux phénomènes co-agissent. Certaines recherches montrent de plus que l’attachement au père peut être aussi fort que l’attachement à la mère même s’il est moins étudié. 33 b – Styles parentaux Marie Ainsworth succède à John Bowlby dont elle partage l’idée selon laquelle l’attachement est un besoin primaire. Son travail a permis de souligner l’existence de différents types d’attachement chez les enfants de 12 à 18 mois. Pour tester la qualité de l’attachement, elle expose par exemple des enfants à la situation suivante (« The Strange Situation »): l’enfant est observé seul avec sa mère, puis lorsque la mère sort de la pièce, lorsqu’une personne inconnue entre puis repart et enfin lorsque la mère revient. Les auteurs s’accordent aujourd’hui sur l’existence de 4 types d’attachement : - Attachement sécurisant : l’enfant cherche la proximité, le contact ou à interagir avec son parent, mais surtout lors des réunions ; s’il est en contact, il proteste lorsqu’il est déposé ; l’enfant manifeste, par des signes, qu’il ressent le départ de son parent au moment de la séparation et l’accueille chaleureusement quand il le retrouve mais ne focalise pas son attention sur lui et retourne jouer ; le fait d’être seul ne crée pas de détresse importante ; l’enfant peut ou non être aimable, sans pour autant être mal à l’aise, ave