MICI Formation in Nursing PDF
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CHU de Caen
Jean-Marie Reimund
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This document covers inflammatory bowel diseases, specifically Crohn's disease and ulcerative colitis. It includes information on the diseases' definitions, epidemiology, pathophysiology, clinical presentations, diagnosis, and treatment, along with annexes and figures.
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Formation en soins infirmiers UE 2.5 Processus inflammatoires et infectieux Cours Maladies inflammatoires chroniques intestinales : maladie de Crohn et rectocolite hémorragique Jean-Marie REIMUND Une réalisation du Auteur : Jean-Marie Reimund Professeur des universités CHU de Caen, Service d’Hé...
Formation en soins infirmiers UE 2.5 Processus inflammatoires et infectieux Cours Maladies inflammatoires chroniques intestinales : maladie de Crohn et rectocolite hémorragique Jean-Marie REIMUND Une réalisation du Auteur : Jean-Marie Reimund Professeur des universités CHU de Caen, Service d’Hépato-Gastro-Entérologie et Nutrition, Pôle Médecine d’Organes et Cancérologie Relecture et validation : Jonathan Boutemy Praticien hospitalier - Médecin des Hôpitaux Service de Médecine interne - CHU de Caen Christian Marcelli Professeur des universités – Praticien hospitalier Service de rhumatologie du CHU de Caen Laurence Verneuil Professeur Chef du Service de Dermatologie - CHR de Caen Arnaud de la Blanchardière Praticien hospitalier - Médecin des hôpitaux Service des maladies infectieuses au CHU de Caen Catherine Jaouen Cadre formateur à l’IFSI de Vire Marc Bienvenu Praticien hospitalier - Médecin des hôpitaux Cette ressource fait l'objet d'une relecture et d'une validation par l'ensemble des contributeurs (universitaires, cadres formateurs, intervenants extérieurs) référents pour cette UE. Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 2 / 27 Sommaire Introduction ............................................................................................ 4 1. La maladie de Crohn............................................................................ 4 1.1. Définition et épidémiologie .................................................................... 4 1.2. Physiopathologie .................................................................................. 4 1.3. Présentation clinique ............................................................................ 5 1.4. Stratégie diagnostique .......................................................................... 5 1.4.1. Diagnostic différentiel .................................................................................7 1.5. Évolution et traitement .......................................................................... 8 1.5.1. Évolution .....................................................................................................8 1.5.2. Traitement médical .....................................................................................8 1.5.3. Traitement chirurgical .............................................................................. 11 2. La rectocolite hémorragique ............................................................. 12 2.1. Définition et épidémiologie .................................................................. 12 2.2. Physiopathologie ................................................................................ 12 2.3. Présentation clinique .......................................................................... 12 2.4. Stratégie diagnostique ........................................................................ 13 2.4.1. Diagnostic différentiel ............................................................................... 14 2.5. Évolution et traitement ........................................................................ 14 2.5.1. Traitement médical ................................................................................... 15 2.5.2. Traitement chirurgical .............................................................................. 16 Annexes ................................................................................................ 18 Annexe 1 ................................................................................................... 18 Annexe 2 ................................................................................................... 19 Annexe 3 ................................................................................................... 20 Annexe 4 ................................................................................................... 21 Annexe 5 ................................................................................................... 22 Annexe 6 ................................................................................................... 23 Annexe 7 ................................................................................................... 24 Annexe 8 ................................................................................................... 25 Annexe 9 ................................................................................................... 26 Annexe 10 ................................................................................................. 27 Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 3 / 27 Introduction Le groupe des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) est constitué de deux maladies, la maladie de Crohn (MC) et la rectocolite hémorragique (RCH). Elles sont toutes les deux responsables d’une inflammation chronique de la muqueuse intestinale. Elles surviennent souvent tôt dans la vie (habituellement chez l’adulte jeune voire parfois chez l’enfant ou l’adolescent) et évoluent par une alternance de périodes d’activité de la maladie (appelées « poussées ») et de période où la maladie n’est pas active (au repos : périodes de « quiescence »). Si leur cause n’est pas connue dans le détail, les nombreux travaux des dernières années ont amélioré la compréhension de leur physiopathologie, avec pour conséquence majeure le développement de nouveaux traitements médicaux. 1. La maladie de Crohn 1.1. Définition et épidémiologie La MC est une maladie inflammatoire chronique qui peut atteindre tous les segments du tube digestif, même si elle touche le plus souvent l’intestin grêle terminal (appelé « iléon terminal ») et/ou le côlon (Figure 1), ainsi que – à un moindre degré - l’anus et la région péri-anale (le périnée). En France elle concerne environ un habitant sur 1 000 (un peu plus de femmes que d’hommes) et globalement 5 à 10 nouveaux cas/100 000 habitants sont diagnostiqués tous les ans. Sa fréquence est en augmentation. Son pic de fréquence est observé chez l’adulte jeune (entre 20 et 30 ans) même si elle peut aussi se révéler chez l’enfant ou l’adolescent, ou encore chez des adultes plus âgés. 1.2. Physiopathologie Il ne s’agit pas d’une maladie à proprement parlé héréditaire, même si un nombre croissant d’anomalies génétiques ont été associées à la MC, rendant les sujets ayant une ou plusieurs de ces anomalies plus à même de développer la maladie (c’est ce qu’on appelle une « susceptibilité génétique »), s’ils sont par ailleurs exposés à certaines conditions environnementales favorisantes. Aucune anomalie génétique ou association d’anomalies génétiques trouvées dans la MC n’étant présentes chez tous les malades, il n’est pas possible d’utiliser la caractérisation génétique ni pour faire le diagnostic de la maladie, ni pour prédire le risque éventuel de l’entourage familial (en particulier les enfants) à développer un jour une MC. Chez les sujets ayant une susceptibilité génétique pour la MC, pour que la maladie se développe, il faut par ailleurs que le sujet soit exposé à un ou plusieurs facteurs de l’environnement. Aujourd’hui, les facteurs environnementaux les mieux connus pour potentiellement favoriser la survenue d’une MC sont le tabagisme actif et des anomalies de la flore intestinale (ou « microbiote » intestinal) encore très mal connues. La combinaison de ces deux éléments (« susceptibilité génétique » et « facteurs environnementaux favorisants ») va avoir pour conséquence une activation anormale et chronique de Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 4 / 27 la réponse inflammatoire et immunitaire de la muqueuse intestinale, responsable des symptômes et des signes cliniques de la MC. 1.3. Présentation clinique Diarrhée chronique (évoluant schématiquement depuis plus de quatre semaines selon la définition de la « diarrhée chronique »), avec émissions de glaires, et douleurs abdominales localisées ou diffuses (en fonction de l’extension et de l’intensité de l’atteinte inflammatoire) sont les deux principaux symptômes cliniques qui doivent faire penser à une MC, en particulier chez un sujet jeune (Tableau 1). D’autres symptômes généraux ou digestifs (amaigrissement) ou signes cliniques (fissure(s) ou fistule(s) anales), surtout lorsqu’ils sont associés à la diarrhée et aux douleurs abdominales doivent faire penser au diagnostic de MC. Enfin, des symptômes extra-digestifs peuvent être présents au moment des poussées voire parfois survenir avant l’apparition des premiers symptômes digestifs. Ceux-ci concernent essentiellement les articulations (arthralgies périphériques ou douleurs articulaires axiales), la peau (érythème noueux, et beaucoup plus rarement pyoderma gangrenosum) et la muqueuse buccale (aphtes), ou encore les yeux (uvéites à répétition), même si des atteintes hépatobiliaires, pulmonaires, neurologiques, etc. peuvent aussi être associées à la MC (mais elles sont beaucoup moins fréquentes. 1.4. Stratégie diagnostique Devant des symptômes et signes cliniques évocateurs de MC, la confirmation diagnostique va s’appuyer d’une part sur l’existence potentielle de certaines anomalies biologiques, et surtout, d’autre part, sur les examens endoscopiques, en l’occurrence l’iléo-coloscopie. Les anomalies biologiques qui peuvent être constatées ne sont pour la plupart pas spécifiques de la MC. Il s’agit essentiellement : (1) d’un syndrome inflammatoire caractérisé par une accélération de la vitesse de sédimentation (VS), une augmentation de la concentration sérique de la protéine Créactive (CRP pour C-reactive protein, une protéine de l’inflammation), et/ou une thrombocytose (augmentation du nombre de plaquettes sanguines) et, si la recherche est réalisée, d’une augmentation de la calprotectine fécale (une protéine inflammatoire détectée dans les selles, encore assez peu recherchée, le dosage n’étant pas disponible dans beaucoup de laboratoires d’analyses biologiques), et (2) éventuellement de signes de malabsorption (quand la maladie inflammatoire touche l’intestin grêle), parmi lesquels, une carence en fer (carence martiale) éventuellement révélée par une anémie microcytaire, une hypoalbuminémie (qui est aussi un marqueur de l’inflammation), une hypocalcémie, ou encore une carence en vitamine B12 (si l’atteinte concerne l’iléon terminal, seul endroit de l’intestin où cette vitamine et uniquement celle-ci, est absorbée). Une seule anomalie biologique actuellement assez facilement accessible en clinique courante, est relativement spécifique quand elle existe ; il s’agit de l’élévation de la concentration sérique d’anticorps anti-saccharomyces cerevisiae (ASCA). Sa recherche n’est cependant pas systématique et n’a réellement de sens qu’en cas de doute diagnostique. Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 5 / 27 Très clairement, la plupart du temps, le diagnostic va reposer sur la découverte d’anomalies de la muqueuse colique et/ou iléale terminale à l’iléo-coloscopie (coloscopie avec si possible iléoscopie rétrograde). Celles-ci sont variables (Tableau 2). Dans la MC active, les plus habituelles sont des zones érythémateuses et/ou œdémateuses, des ulcérations aphtoïdes (Figure 2A) ou des ulcérations plus larges, ovalaires (Figure 2B), parfois plus irrégulières (dites en « carte de géographie ») ou encore longitudinales (dites « en rails ») (Figure 2B), superficielles ou creusantes, du côlon (Figures 2A à 2C) et/ou de l’iléon terminal (Figure 3). Classiquement elles sont réparties « en mosaïque », avec entre les zones inflammatoires et/ou ulcérées, des intervalles où la muqueuse est d’apparence normale (Figure 1 et Tableau 2). Lorsque la MC est inactive, on voit parfois des lésions cicatricielles sous la forme de « pseudopolypes cicatriciels » (Figure 2D). L’iléo-coloscopie, même si elle n’est pas spécifique - on peut voir les mêmes lésions au cours de certaines iléites, colites ou iléo-colites infectieuses (mais le contexte clinique est souvent différent) -, en dehors du fait qu’elle montre les lésions et permet de préciser leur type, leur intensité et leur répartition (extension), permet aussi de faire des prélèvements (biopsies) pour analyse histologique (appelée aussi anatomopathologique). Enfin, l’iléo-coloscopie permet de déceler certaines complications, en particulier les rétrécissements inflammatoires et/ou cicatriciels du côlon, de l’iléon terminal ou encore ceux d’une anastomose iléocolique. Dans ce dernier cas, cet examen, réalisé 6 à 12 mois après une chirurgie de résection iléocaecale pour MC, permet de choisir le traitement de fond le mieux adapté pour limiter autant que possible la rechute post-opératoire (Figure 4). Dans la MC, l’analyse anatomopathologique des biopsies per-endoscopiques (ou sur une pièce opératoire) peut montrer des ulcérations ou ulcères (pertes de substance) plus ou moins profonds de la paroi digestive, des distorsion des cryptes (appelées aussi glandes de Liberkühn), une infiltration de la paroi intestinale par des cellules inflammatoires et immunitaires (on parle d’infiltration lympho-plasmocytaire) du chorion muqueux (appelé aussi lamina propria) voir une infiltration trans-murale (c'est-à-dire qui touche toute l’épaisseur et toutes les couches de la paroi digestive). L’infiltrat inflammatoire s’organise parfois en petits amas particuliers appelés nodules lymphoïdes. Enfin, dans 20 à 30 % des cas, l’examen histologique montre des structures particulières : les granulomes épithélioïdes et gigantocellulaires non caséeux (ce qui les distingue des granulomes caséeux qu’on peut trouver dans la tuberculose intestinale), qui sont très évocateurs de MC. Les fissures et les abcès de la muqueuse sont fréquents et sont la conséquence du fait que l’inflammation est souvent trans-murale (ou trans-pariétale). Dans l’ensemble la paroi intestinale est épaissie voire très épaissie, parfois complètement rétrécie (sténosée ; cf. plus bas : figure 6D). Enfin, la graisse mésentérique péri-intestinale est infiltrée, inflammatoire, épaissie : on parle de « scléro-lipomatose ». Dans de rares situations l’iléo-coloscopie ne montre pas de lésions, en particulier si celles-ci sont situées dans d’autres segments de l’intestin grêle (par exemple le jéjunum qui ne peut pas être techniquement exploré au cours d’une iléo-coloscopie) ou encore si l’endoscopie ne permet pas d’examiner l’iléon terminal (ce qui peut être techniquement difficile voire impossible). Dans ces situations, lorsque la suspicion de diagnostic de MC est forte, il est nécessaire de faire appel à des examens complémentaires radiologiques. Historiquement la technique de référence était le transit baryté de l’intestin grêle par entéroclyse. Mais avec les progrès majeurs de la tomodensitométrie Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 6 / 27 abdomino-pelvienne (et le développement de l’entéroscanner) puis celui de l’imagerie par résonance nucléaire (IRM) abdomino-pelvienne et de l’entéro-IRM, le transit baryté du grêle par entéroclyse n’est plus utilisé dans les pays occidentaux, même s’il reste encore très utile dans les pays en voie de développement où scanner et IRM n’existent pas ou sont très difficiles d’accès. A l’extrême, mais dans des mains entraînées, la simple échographie abdomino-pelvienne (surtout avec des sondes de haute fréquence), suffit à suspecter le diagnostic de MC, d’en apprécier l’extension, et de faire le diagnostic éventuel de complication de la MC : abcès intra-abdominal, fistule interne, fistule entérocutanée ou pelvienne, sténose, et bien sûr perforation (cas où le simple « abdomen sans préparation », quand la clinique fait suspecter le diagnostic, est suffisant). Dans les pays occidentaux les techniques de scanographie ou l’IRM sont préférentiellement utilisées, le scanner abdomino-pelvien plutôt en contexte d’urgence (quand on suspecte une complication aiguë de la MC nécessitant potentiellement une intervention thérapeutique – souvent chirurgicale – urgente) du fait de l’accès rapide au scanner (Figure 5), et l’IRM et/ou l’entéro-IRM (Figure 6) hors contexte d’urgence (cette technique étant encore difficilement accessible en urgence, mais offrant l’important avantage de ne pas exposer le malade à des radiations ionisantes, et pouvant donc aussi être réalisée chez la femme enceinte). 1.4.1. Diagnostic différentiel Habituellement, les caractéristiques cliniques (diarrhée chronique, douleurs, etc. ; cf. Tableau 1) associées à l’existence d’un syndrome inflammatoire biologique (et éventuellement à des signes de carence), et aux caractéristiques endoscopiques (incluant l’analyse anatomopathologique) et éventuellement radiologique en cas d’atteinte isolée du grêle, laissent peu de doutes quant au diagnostic de MC. Toutefois, chez un malade n’ayant ni antécédents familiaux ni passé personnel de diarrhée à répétition, une première poussée de MC peut parfois laisser un doute quant à une éventuelle diarrhée infectieuse (si celles-ci sont d’habitudes de courte durée, elles peuvent parfois se prolonger et laisser un doute diagnostique avec une MC). Dans ces cas, soit les coprocultures permettent de trancher, soit, si elles sont négatives (ce qui arrive régulièrement en cas de diarrhée infectieuse, l’examen étant réalisé alors même que les germes ont déjà « quitté » le tube digestif), c’est l’histoire ultérieure qui permettra en cas de nouvel épisode de porter le diagnostic de MC. Exceptionnellement, dans certaines circonstances, en particulier quand la présentation clinique est un peu atypique et/ou que les examens complémentaires ne sont pas franchement concluants, on peut être amené à évoquer le diagnostic de tuberculose iléo-caecale plutôt que de MC iléo-caecale. Il s’agit là de situations très particulières et très rares. Enfin, dans certaines pancolites inflammatoires sans autre atteinte digestive ou périnéale, il est parfois difficile initialement de faire la distinction entre pancolite de MC et pancolite de RCH. Dans ces cas, c’est là encore l’évolution qui en général permettra à un moment ou un autre de distinguer MC et RCH. Dans cette dernière situation, on parle de « colite inclassée ». Dans un premier temps ceci ne constitue d’ailleurs pas un obstacle au traitement puisqu’il est au début souvent le même qu’il s’agisse d’une MC ou d’une RCH. Ce n’est que lorsque la chirurgie est discutée comme option thérapeutique Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 7 / 27 ou lorsqu’on veut proposer au malade de participer à un essai thérapeutique, qu’il faut faire le maximum pour savoir s’il s’agit d’une MC ou d’une RCH. 1.5. Évolution et traitement 1.5.1. Évolution La MC (comme la RCH d’ailleurs) évolue le plus fréquemment par poussées entrecoupées de périodes où la maladie est inactive, périodes de quiescence ou de rémission qui sont plus ou moins longues. Dans certains cas ces périodes de quiescences sont très courtes voire incomplètes. Dans ces cas, la maladie évolue sur un mode presque continue avec des phases d’exacerbation (il y a quelques années on parlait de « formes chroniques actives », un terme qui n’est plus utilisé mais qui illustre assez bien ce type d’évolution). Avec les années qui passent, la maladie tend parfois à devenir moins active avec moins de poussées (mais ce n’est pas toujours le cas) ; il peut aussi s’agir d’une évolution liée aux progrès de la prise en charge des MICI au cours de la dernière décade. La guérison est exceptionnelle. L’évolution peut aussi être marquée par la survenue de complications. Les plus habituelles sont : les occlusions (sur sténose inflammatoire, ou sur sténose cicatricielle appelée aussi fibreuse), les fistules (soit internes, soit périanales ou recto-vaginales, ou exceptionnellement entéro-cutanées), les abcès, les perforations, et plus rarement les hémorragies ou encore la colite aiguë grave avec parfois colectasie (importante dilatation colique liée à l’intensité majeure de l’inflammation, colectasie parfois accompagnée d’un état de choc septique et faisant par ailleurs courir au malade un risque de perforation si le traitement médical d’urgence n’en permet pas la régression rapide). À long terme, dans la MC de localisation colique (après plus de 8 ans lorsque la MC a touché plus de 30 % du côlon et après plus de 15 ans quand elle a touché moins de 30 % du côlon), il existe aussi un sur-risque de cancer colorectal, même si celui-ci est modéré (environ 2 à 5 fois plus important que le risque de cancer colorectal de la population générale). C’est pour cette raison qu’il est recommandé de faire chez ces malades un dépistage et une surveillance endoscopique (à partir de 8 ou 15 ans du diagnostic de MC en fonction de l’extension colique ; une surveillance systématique plus tôt n’a aucun intérêt et doit être proscrite). Les modalités de cette surveillance sont bien codifiées et ont fait l’objet de recommandations de pratique clinique très précises auxquelles les médecins peuvent (et doivent) se référer. Dans la MC de l’intestin grêle, il existe aussi un sur-risque net de développer un adénocarcinome de l’intestin grêle. Néanmoins, l’adénocarcinome de l’intestin grêle en population générale étant exceptionnel, il reste aussi extrêmement rare dans la MC du grêle malgré le sur-risque, et aucune stratégie de dépistage systématique n’est recommandée dans la MC du grêle. La surveillance clinique seule est de mise. 1.5.2. Traitement médical En 2012 – 2013, et ceci malgré le fait que plusieurs questions se posent et sont régulièrement débattues (faut-il traiter plus forts et/ou plus tôt ? l’objectif du traitement est-il d’obtenir la disparition complète des symptômes ou faut-il absolument avoir une cicatrisation muqueuse parfaite même si le Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 8 / 27 malade n’a plus de symptômes ? etc.), la stratégie thérapeutique consensuelle sur le plan international est de proposer un traitement progressif (en fonction de l’extension et de l’intensité de la MC) pour atteindre une rémission (ou au moins une réponse) clinique (sans forcément chercher à obtenir une cicatrisation muqueuse totale). Dans les MICI (MC et RCH) le traitement comprend essentiellement deux volets : celui de la poussée (appelé aussi « traitement d’induction de la rémission ») et celui de fond (appelé aussi « traitement de maintien de la rémission »). Dans les cas où il existe une atteinte colique dite « étendue » (touchant plus de 30 % de la muqueuse colique dans la MC ou dépassant l’angle colique gauche dans la RCH), un traitement de prévention de la dysplasie et du cancer colorectal est aussi recommandé (cf. fin du paragraphe traitement de la RCH). Dans la MC, le traitement d’induction classique repose sur l’utilisation de glucocorticoïdes par voie orale (le plus souvent la prednisone ou la prednisolone) à raison de 1 mg/kg de poids corporel/jour (sans dépasser 80 mg/jour quel que soit le poids du malade). Ces glucocorticoïdes ont un certain nombre d’effets secondaires parmi lesquels par exemple la prise de poids et les changements physiques esthétiques qui en découlent (principales « plaintes » des malades), mais aussi la déminéralisation osseuse (une des principales préoccupations des médecins prescripteurs). C’est pour cette raison qu’ils sont utilisés le moins longtemps possible avec un certain nombre de recommandations. La supplémentation en potassium et surtout le régime sans sel strict ne sont plus systématiques (en fait la prise de poids sous glucocorticoïdes, initialement principalement mais faussement attribuée à leur pouvoir de rétention hydrosodée, est en réalité surtout liée au fait que les glucocorticoïdes agissent au niveau des centres cérébraux qui contrôlent l’appétit… en les stimulant ; plus que de demander de réduire l’apport en sel dans l’alimentation, il faut donc informer les malades que les glucocorticoïdes risquent de stimuler leur appétit et qu’il leur faut donc essayer de lutter contre cette stimulation en veillant à ne pas augmenter anormalement leur ration alimentaire quotidienne et en évitant les grignotages). En revanche, une suplémentation vitamino-calcique est recommandée (1 g/jour de calcium et 800 UI/jour de vitamine D3, sauf chez la femme enceinte où l’apport en vitamine D3 doit être réduit). Les glucocorticoïdes sont prescrits à la posologie de 1 mg/kg/jour jusqu’à la disparition des symptômes (« rémission » ; habituellement 4 à 6 semaines au maximum à cette posologie) puis ensuite progressivement diminués selon des recommandations internationales. Une diminution trop rapide et plus encore un arrêt brutal doivent être évités, puisqu’ils exposent le malade à un risque d’insuffisance surrénalienne aiguë, parfois grave, pouvant amener jusqu’à la nécessité d’une hospitalisation en réanimation médicale. Si la corticothérapie par voie orale en traitement d’une première poussée de MC permet d’obtenir une rémission dans les 4 à 6 semaines suivant son introduction, elle sera progressivement diminuée jusqu’à pouvoir l’arrêter. Dans ce cas, trois cas de figure peuvent schématiquement se produire : (i) Le traitement est efficace, la réduction puis l’arrêt des corticoïdes est possible, et le patient n’a plus de symptômes durant plusieurs mois. Dans ce cas, après une première poussée de MC, aucun traitement de fond n’est de mise aujourd’hui (ceci est susceptible de changer dans les Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 9 / 27 prochaines années avec le concept de « cicatrisation muqueuse »). En cas de nouvelle poussée après 6 mois au moins de rémission, la stratégie thérapeutique sera la même que celle d’une première poussée. (ii) Des symptômes de MC réapparaissent durant la décroissance des corticoïdes ou rapidement (quelques semaines à moins de 3 mois après leur arrêt complet). Dans le premier cas on parle de « cortico-dépendance », dans le second de « rechute précoce ». Dans ces deux situations, la stratégie thérapeutique classique est de reprendre une corticothérapie à dose efficace (toujours ≤ 80 mg/jour) et de prescrire en même temps un traitement de fond de la MC dont les deux objectifs sont d’une part de permettre l’arrêt complet des corticoïdes sans reprise des symptômes de MC et d’autre part de diminuer autant que possible le risque de rechute (nouvelle poussée) précoce. Ce traitement de fond repose en première intention sur l’utilisation des thiopurines : azathioprine (Imurel® : 2 à 2,5 mg/kg/jour) ou 6-mercaptopurine (Purinéthol® : 1 à 1,5 mg/kg/jour). Il est important de savoir que le délai moyen entre le début de la prescription des thiopurines et celui de leur efficacité est d’environ 3 mois, expliquant que durant cette période les malades restent habituellement sous corticoïdes à une dose stable. En cas d’échec ou d’intolérance aux thiopurines, deux alternatives se présentent : leur remplacement par du méthotrexate (mais il est tératogène ; les patients – souvent jeunes – ne doivent donc pas avoir de grossesse quand ils sont traités par méthotrexate, et en cas de grossesse un avortement thérapeutique est nécessaire), ou leur remplacement par un des deux anticorps anti-TNF (TNF pour tumor necrosis factor-alpha ; un des médiateurs importants participant à l’inflammation chronique intestinale) : l’infliximab (Remicade®) ou l’adalimumab (Humira®). (iii) À côté de ces deux situations où le traitement est initialement efficace, il en existe une troisième : celle où les corticoïdes par voie orale à la posologie optimale ne sont d’emblée pas efficaces (c’est ce qu’on appelle une « cortico-résistance »). Dans cette situation il est possible de tenter un traitement par glucocorticoïdes par voie intraveineuse (IV) durant 5 à 10 jours. Si cette option est efficace on fait un relais des corticoïdes IV vers des corticoïdes per os pour se trouver soit dans la situation (i) ou (ii). En cas d’échec de la corticothérapie IV, un traitement par anticorps anti-TNF est indiqué. Sans entrer dans les détails, ces traitements sont actuellement bien codifiés avec pour chacun d’entre-eux une phase de traitement d’induction de la rémission suivie d’une phase de traitement de fond préventif de la récidive précoce. Leurs modalités ne seront pas décrites ici. Dans les situations où il existe une atteinte périnéale, surtout s’il s’agit de fistules péri-anales simples ou complexes ou s’il s’agit d’une fistule recto-vaginale chez la femme, il est important de noter deux points : (i) si l’atteinte périnéale n’est pas trop importante - fistule(s) simple(s) -, la même démarche thérapeutique générale sera suivie, en y ajoutant une antibiothérapie per os (dont les modalités sont variables) reposant essentiellement soit sur les β-lactamines, mais plus souvent aujourd’hui sur les quinolones (par exemple la ciprofloxacine - Ciflox® -), ou sur les dérivés imidazolés Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 10 / 27 (le plus souvent le métronidazole - Flagyl® -), parfois en alternance ; (ii) en cas d’atteinte périnéale plus sévère (fistules péri-anales complexes et/ou fistule recto-vaginale), l’antibiothérapie et le traitement d’attaque standard peuvent être tentés, mais leur échec fréquent conduira le plus souvent d’emblée (ou au moins rapidement) à choisir un traitement par anticorps anti-TNF (infliximab ou adalimumab). 1.5.3. Traitement chirurgical Dans certaines situations le traitement médical ne suffit pas ou est inapproprié, rendant le recours à la chirurgie nécessaire. Ceci peut aussi être le cas dans les situations d’urgence essentiellement liées aux complications de la MC. Dans tous les cas où la chirurgie est nécessaire, il est important que celle-ci soit réalisée par un chirurgien ayant une expertise certaine de la chirurgie des MICI (MC ou RCH). Il s’agit en effet d’une chirurgie délicate, et tout geste inapproprié peut potentiellement conduire à un « casse-tête » voire à une réelle impasse thérapeutique aux conséquences physiques et psychologiques majeures pour les malades. Ainsi, dans l’idéal, toute décision de chirurgie (sauf situation d’urgence majeure ; cf. ci-dessous) devrait être prise en Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP ; comme d’ailleurs les décisions de traitement médical quand il s’agit de proposer éventuellement un anticorps anti-TNF versus la chirurgie versus la participation à un essai thérapeutique multicentrique national ou le plus souvent international). Schématiquement, le recours à la chirurgie est évoqué ou est nécessaire dans 3 situations : (i) lorsque la première poussée de MC se présente cliniquement d’emblée comme une urgence chirurgicale majeure (abdomen chirurgical aiguë, principalement occlusion résistant au traitement médical ou perforation), (ii) soit lors de la première poussée, soit au cours de l’histoire de la MC, lorsqu’apparaissent des complications ne relevant pas (plus) du traitement médical (perforation, sténose cicatricielle, parfois abcès impossible à traiter malgré les progrès de la radiologie interventionnelle et l’arsenal thérapeutique médical), (iii) soit enfin pour assurer au malade une forte sécurité concernant les complications potentielles du traitement médical (en particulier par les anticorps anti-TNF) ; ceci est le cas essentiellement s’il faut drainer une collection intra-abdominale (si la radiologie interventionnelle n’y parvient pas) et surtout s’il faut drainer des abcès périnéaux avant d’entreprendre un traitement par infliximab ou adalimumab. Ces considérations sont essentielles. Elles soulignent l’importance d’un échange permanent entre médecins et chirurgiens spécialistes des MICI surtout lorsque la situation clinique est complexe. C’est un exemple typique illustrant la nécessité et les bénéfices pour les malades d’un dialogue interspécialités (par le biais des RCP, mais également hors-RCP si l’urgence le nécessite). Hors situation d’urgence, l’idéal est d’ailleurs d’avoir au sein de la RCP d’autres interlocuteurs clés, en particulier les médecins radiologues et les médecins anatomo-pathologistes. Traitement : en conclusion… Ce qui précède constitue naturellement le « cœur du traitement ». Celui-ci utilise de manière logique, coordonnée, suivant les recommandations internationales au fur et à mesure qu’elles changent, les outils du traitement médical et chirurgical de la MC (mais ceci vaut aussi pour la RCH). Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 11 / 27 Il faut enfin noter qu’un élément non médical a incontestablement un effet thérapeutique démontré : l’arrêt du tabac. Il a été clairement démontré que la poursuite du tabagisme aggrave l’évolution de la MC et qu’à l’inverse, l’arrêt du tabagisme améliore le pronostic à long terme (moins de recours à la chirurgie, moins d’hospitalisations liées à la MC, moins de nécessité de recourir à des immunosuppresseurs ou des traitements « biologiques », type anticorps anti-TNF). 2. La rectocolite hémorragique 2.1. Définition et épidémiologie La RCH est aussi une maladie inflammatoire chronique intestinale. Contrairement à la MC, elle ne touche que le rectum et une partie plus ou moins importante du côlon (qui varie d’un malade à l’autre mais peut aussi varier chez un même malade au cours de l’évolution de la RCH) (Figure 1). En France son incidence est aussi d’environ 5 à 10 nouveaux cas/100 000 habitants (elle est plus fréquente dans d’autres régions du globe). Son pic de fréquence est aussi observé chez l’adulte jeune, mais habituellement un peu plus tard que la MC même si elle aussi peut se révéler chez l’enfant ou l’adolescent, ou encore chez des adultes plus âgés. 2.2. Physiopathologie Sa physiopathologie est proche de celle de la MC, quoi que le « poids » de la susceptibilité génétique y semble moindre et que les anomalies de la réponse inflammatoire et immunitaire observées ne sont pas tout à fait les même que celles notées dans la MC. Enfin le tabac n’a pas le même rôle, puisque contrairement à la MC, la RCH est plus fréquente chez les non-fumeurs, et que le tabagisme – qu’il faut tout de même fortement déconseiller du fait de ses autres effets néfastes sur la santé (cardiaques, artériels, respiratoires, ORL, souvent mortels, ce qui n’est pas le cas de la RCH) -, semble plutôt jouer un rôle protecteur (mal compris pour l’instant) vis-à-vis de la RCH. 2.3. Présentation clinique Diarrhée chronique avec émissions de sang (rectorragies fréquentes alors qu’elles sont rares dans la MC) et de glaires, et douleurs abdominales localisées ou diffuses (en fonction de l’extension et de l’intensité de l’atteinte inflammatoire) sont les principaux symptômes cliniques de la RCH (Tableau 1). D’autres symptômes généraux ou digestifs (amaigrissement) ou symptômes extra-digestifs peuvent être présents au moment des poussées voire parfois survenir avant l’apparition des premiers symptômes digestifs. Ils sont toutefois moins fréquents que dans la MC, à l’exception d’une manifestation extra-intestinale hépato-biliaire : la cholangite sclérosante primitive (inflammation autoimmune des voies biliaires). À l’exception de rares fissures anales simples habituellement postérieures (souvent conséquence de la fréquence des selles), contrairement à la MC, il n’y a pas d’autres atteintes périnéales dans la RCH. Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 12 / 27 2.4. Stratégie diagnostique Celle-ci est comparable à celle de la MC. Après avoir éliminé une infection digestive (coprocultures) et fait faire une prise de sang qui montre habituellement un syndrome inflammatoire biologique (accélération de la VS, augmentation de la CRP, augmentation de la calprotectine fécale si celle-ci est dosée) et parfois une anémie microcytaire ferriprive (si les rectorragies sont importantes), c’est surtout la coloscopie (avec iléoscopie rétrograde) et les biopsies per-endoscopiques qui permettront de poser le diagnostic. Comme cela est indiqué dans le Tableau 2 et la Figure 1, l’aspect endoscopique caractéristique de la RCH est une inflammation d’intensité variable, commençant toujours dès la jonction ano-rectale (ligne pectinée) puis s’étendant de manière continue (on dit aussi « d’un seul tenant »), sans intervalle de muqueuse saine, plus ou moins loin vers le côlon en amont pour s’arrêter brutalement à une jonction nette entre une muqueuse inflammatoire et une muqueuse macroscopiquement normale. L’extension est variable. On parle de proctite ou de rectite si l’inflammation ne dépasse pas la charnière rectosigmoïdienne, de rectosigmoïdite si l’inflammation s’arrête avant le côlon gauche, de RCH (ou de colite) gauche si l’inflammation touche le côlon gauche mais ne dépasse pas l’angle colique gauche, de RCH (ou de colite) « étendue » (au transverse gauche, au transverse droit, au côlon droit) si l’inflammation dépasse l’angle colique gauche mais n’atteint pas le caecum, et enfin de pancolite (ou de RCH pancolique) quand tout le côlon jusqu’au caecum est atteint par l’inflammation (Figure 1). L’iléon terminal est parfois discrètement inflammatoire mais jamais ulcéré : c’est « l’iléite de reflux ». Il n’y a jamais d’autre atteinte de l’intestin grêle. Enfin, il n’est pas rare, même si la limite de l’inflammation se situe bien avant le caecum, d’avoir un deuxième foyer inflammatoire strictement localisé au pourtour de l’orifice appendiculaire (inflammation péri-appendiculaire). L’intensité de l’inflammation est aussi variable : elle va du simple « effacement du dessin vasculaire » (Figure 7B) à un érythème (muqueuse rouge) franc avec muqueuse granitée, œdémateuse (aspect luisant), saignant facilement au contact de l’endoscope (Figure 7C), ou encore à une muqueuse micro-ulcérée, saignant spontanément (Figure 7D). Dans les formes les plus sévères, on peut voir des ulcérations voire des ulcères de forme et de taille plus variées, parfois profond (appelés alors « ulcères en puits »). Parfois, l’inflammation est un peu moins importante au niveau du rectum que sur le reste des segments coliques atteints. C’est souvent le cas lorsque les malades ont déjà pris des lavements ou des suppositoires de dérivés 5-aminosalicylés (5ASA) ou des lavements aux corticoïdes, mais cela peut aussi se voir spontanément en absence de tout traitement local. À l’examen anatomopathologique, les lésions (sauf quand l’inflammation est très sévère) sont habituellement plus superficielles, moins trans-murales que dans la MC. Les lésions les plus évocatrices sont des distorsions des glandes de Liberkühn dont certaines peuvent être bifides (alors que normalement elles sont agencées de manière régulière, les unes à côté des autres, perpendiculairement à la surface muqueuse colique), et un infiltrat lympho-plasmocytaire principalement localisé au chorion (lamina propria). Dans la RCH, comme il n’y a pas d’atteinte ailleurs sur le tube digestif qu’au niveau du rectum et d’une partie plus ou moins étendue de côlon en amont du rectum, la coloscopie suffit à poser le diagnostic. Bien entendu, les examens radiologiques (échographie, scanner et IRM abdomino- Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 13 / 27 pelviens) montrent aussi des anomalies, en particulier un épaississement de la paroi rectocolique, une densification de la graisse mésentérique liée à l’inflammation, ou encore des signes de complication (colectasie en cas de colite aiguë grave, perforation) (Figure 8). Toutefois, ces examens, surtout l’échographie et le scanner, ne sont pratiquement utilisés que dans des situations d’urgence. Quant à l’IRM abdomino-pelvienne et l’entéro-IRM, elles n’ont en pratique aucune indication dans la RCH puisqu’elles sont surtout performantes pour l’analyse des lésions ano-périnéales (fistules, abcès, etc.) et de l’intestin grêle dans la MC, atteintes qui n’existent pas dans la RCH (jamais ni abcès ni fistules périnéales, jamais d’atteinte significative de l’intestin grêle). 2.4.1. Diagnostic différentiel Comme dans la MC, dans la RCH, chez un malade sans antécédents familiaux ni passé personnel de diarrhée à répétition, une première poussée de RCH peut éventuellement évoquer une diarrhée infectieuse (même si celle-ci est d’habitude de courte durée, et est rarement aussi hémorragique que les rectorragies constatées dans la RCH). Dans ces cas, soit les coprocultures permettent de trancher, soit, si elles sont négatives, c’est l’histoire ultérieure qui permettra en cas de nouvel épisode de porter le diagnostic de RCH. Plus que dans la MC où l’aspect endoscopique ne permet parfois pas de trancher immédiatement entre diarrhée infectieuse aiguë et première poussée de MC (sauf s’il existe un ou des granulome(s) sur les biopsies), dans la RCH, l’aspect endoscopique est souvent typique et laisse peu de doute diagnostique. À côté d’un diagnostic différentiel possible avec une colite bactérienne, lorsque l’atteinte est limitée au rectum ou au rectosigmoïde, il faut dans des contextes particuliers évoquer deux autres diagnostics : (i) en cas de rapport sexuels anaux non protégés, celui de maladie sexuellement transmissible (syphilis, gonococcie, infection à chlamidia ou encore rectite herpétique), nécessitant la réalisation de prélèvements spécifiques, (ii) en cas de séjour récent en zone d’endémie, il faut penser à une éventuelle rectite ou rectosigmoïdite amibienne. Enfin, le diagnostic différentiel avec une MC n’est pas possible dans certaines situations (cf. cidessus). 2.5. Évolution et traitement La RCH évolue comme la MC en alternant poussées de la maladie et périodes de quiescence, sauf dans les formes où il n’est pas possible d’obtenir une rémission prolongée ou dans celles où les rechutes sont rapprochées. Elle peut aussi être à l’origine de complications, la plus fréquente étant la colite aiguë grave qui nécessite une prise en charge combinée médicale et chirurgicale. La colite aiguë grave peut elle-même se compliquer d’une colectasie (pouvant amener à la perforation), d’hémorragies importantes, ou encore d’un sepsis grave (et à l’extrême d’un choc septique). Néanmoins, sa prise en charge est bien codifiée, et dans les équipes entraînées, qui suivent les recommandations internationales, la morbidité et la mortalité liées à la colite aiguë grave sont aujourd’hui très faibles. Dans cette situation, il est urgent que le malade soit transféré dans un centre expert dès les premiers symptômes et signes cliniques évocateurs de colite aiguë grave. Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 14 / 27 2.5.1. Traitement médical Le traitement médical de la RCH dépend essentiellement de deux éléments : la localisation (extension) de la maladie, et la sévérité de la poussée. Là aussi, il existe actuellement des recommandations internationales qui envisagent toutes les situations et proposent pour chacune d’elles une prise en charge thérapeutique précise. De même, comme dans la MC, on distingue deux grandes phases dans le traitement : le traitement d’induction dont l’objectif est d’obtenir une rémission clinique, et le traitement de fond (ou « de maintien de la rémission ») qui a pour but de retarder autant que possible la prochaine poussée de RCH. Dans la RCH, les principaux médicaments utilisés sont : Les dérivés 5-aminosalicylés (5-ASA), qui peuvent être administrés par voie locale (suppositoires ou lavements, dans les formes limitées en extension) ou par voie orale (parfois en association avec les formes locales de 5-ASA). Ils sont surtout prescrits en traitement d’induction dans les poussées peu sévères et n’atteignant pas l’ensemble du côlon. Ils sont aussi utilisés comme traitement de fond dans les formes peu sévères et peu étendues. Enfin, ils sont utilisés en traitement (chimio) préventif de la dysplasie et du cancer colorectal pouvant compliquer la RCH étendue évoluant de longue date. Les glucocorticoïdes, qui sont uniquement utilisés en traitement d’induction (jamais en traitement de fond), à une posologie d’attaque habituellement un peu inférieure à celle de la MC (40 mg/jour per os de prednisone ou de prednisolone quel que soit le poids du malade). Schématiquement, ils sont utilisés de première intention dans les formes sévères et/ou étendues de RCH, ou en deuxième intention après échec des 5-ASA dans les formes moins sévères et/ou moins étendues. Comme dans la MC, ils sont toujours accompagnés d’une supplémentation en calcium et en vitamine D3. Les immunosuppresseurs (azathioprine ou 6-mercaptopurine, ou plus rarement le méthotrexate), utilisés en traitement de fond dans des situations bien précises qui ne seront pas détaillées ici), ou encore la ciclosporine, uniquement utilisée en traitement d’attaque dans la colite aiguë grave après échec des glucocorticoïdes IV (dans cette situation clinique, une alternative à la ciclosporine peut être l’infliximab). Les anticorps anti-TNF (fin 2012, seul l’infliximab a une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans la RCH) ; ils sont utilisés à la fois en traitement d’attaque puis en traitement de fond, dans les formes sévères après échec des autres traitements (« cortico-résistance » ou « cortico-dépendance non résolue par les immunosuppresseurs »), en particulier après échec des glucocorticoïdes. Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 15 / 27 2.5.2. Traitement chirurgical Il concerne 20 à 30 % des RCH et est envisagé dans trois situations : Échec du traitement médical d’une colite aiguë grave ou d’une forme plus chronique (dans ce deuxième cas souvent après avoir proposé et essayé un ou deux essais thérapeutiques avec de nouvelles molécules). Complication d’une colite aiguë grave ne laissant pas le temps de commencer le traitement médical (c’est pour éviter cette situation qu’un transfert dans un centre expert est recommandé dès les premiers signes évocateurs de colite aiguë grave) ou ne permettant pas de poursuivre le traitement médical (dégradation ou non-amélioration rapide de l’état clinique malgré un traitement bien conduit) sans mettre la vie du malade en danger : aggravation d’une colectasie, signes annonciateur de perforation colique voire survenue d’une perforation, sepsis mal contrôlé, etc. Découverte au cours d’une coloscopie de dépistage d’un cancer colorectal ou d’une lésion précancéreuse avancée (dysplasie de haut grade). Dans toutes les situations où une chirurgie est nécessaire dans la RCH, deux types d’intervention (parfois réalisées en plusieurs temps si la première intervention est faite dans un contexte d’urgence) sont discutée, en fonction du contexte : Si le rectum n’est pas trop inflammatoire, s’il est fonctionnel (s’il n’y a pas de microrectie) et si les sphincters anaux fonctionnent normalement, on peut proposer une colectomie totale (qui enlève tout le côlon sauf le rectum) avec une anastomose iléo-rectale. Dans ce cas il faut toutefois savoir que le rectum restant reste exposé à d’éventuelles nouvelles poussées de RCH et qu’il faut le surveiller régulièrement (selon les recommandations) pour dépister une éventuelle dysplasie ou un cancer colorectal. Les résultats fonctionnels au long cours de cette intervention (en tous cas s’il n’y a pas de trop fréquentes poussées de RCH sur le rectum restant) sont habituellement meilleurs que ceux de la seconde intervention ; mais il ne faut surtout pas faire d’anastomose iléo-rectale sur un rectum malade au moment de l’intervention ou dont les capacités fonctionnelles sont déjà réduites. Lorsque le rectum ne peut pas être conservé, l’intervention sera une coloproctectomie (on enlève tout le côlon et le rectum) avec une anastomose iléo-anale après que le chirurgien ait confectionné avec la fin de l’intestin grêle un « faux rectum » qui servira de réservoir. Le côlon et le rectum étant enlevés, le malade est considéré comme « guéri » de la RCH. Néanmoins, il faut savoir qu’après anastomose iléo-anale les malades gardent souvent un transit un peu accéléré (en moyenne 5 à 6 selles quotidiennes), et qu’on peut parfois avoir une inflammation aiguë ou chronique du réservoir (parfois difficile à traiter), appelée « pochite ». Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 16 / 27 Conclusion générale Maladie de Crohn et RCH sont deux maladies inflammatoires chroniques intestinales qui touchent préférentiellement l’adulte jeune. Ce sont des maladies chroniques dont il faut faire le diagnostic aussi tôt que possible, pour – quand cela est nécessaire (ce qui n’est pas toujours le cas) – traiter le plus tôt possible et tenter ainsi de diminuer l’évolutivité de la maladie et ses éventuelles complications. Leur diagnostic repose principalement sur l’iléo-coloscopie avec biopsies, même si la radiologie (échographie, scanner, IRM) peut être utile voire indispensable, en particulier en cas de MC et quand on suspecte une complication de MC ou de RCH. En urgence, ce sont l’échographie abdominopelvienne et le scanner abdomino-pelvien qui sont aujourd’hui le plus souvent utilisés (du fait de la difficulté à accéder à l’IRM en situation urgente). Hors urgence, mais peut-être aussi dans quelques années quand le parc d’IRM français sera suffisamment développé, en urgence, c’est l’IRM qui a aujourd’hui la préférence, en particulier du fait de son caractère non irradiant. Le traitement de la MC et de la RCH est aujourd’hui bien codifié mais nécessite une expertise réelle dans ce domaine, et dans certaines situation un fort partenariat médico-chirurgical. Il est surtout médical, parfois chirurgical. Le traitement est graduel utilisant tout un éventail de médicaments allant des 5-ASA et des corticoïdes aux biothérapies (actuellement uniquement les anticorps anti-TNF). Des recommandations internationales, remises régulièrement à jour, permettent aux médecins qui suivent des malades ayant une MICI de leur proposer la stratégie thérapeutique la mieux adaptée à chaque situation, même si certaines situations complexes posent parfois questions. Dans ce domaine, des progrès sont à attendre des nombreux essais thérapeutiques en cours et à venir. Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 17 / 27 Annexes Annexe 1 Maladie de Crohn Signes cliniques Diarrhée Douleurs abdominales Amaigrissement Syndrome de Koenig Rectorragies Lésion(s) anale(s) Fièvre Signes rhumatologiques Lésions cutanées Signes biologiques Syndrome inflammatoire accélération de la VS* augmentation de la CRP** Anémie (microcytaire) Signes de malabsorption diminution de l’albuminémie carence martiale diminution de la calcémie Rectocolite hémorragique 93 % 94 % 65-88 % 18 % 11 % 12-47 % 38 % 15-22 % 3-8 % Diarrhée Rectorragies Douleurs abdominales Amaigrissement 76 % 74 % 72 % 59 % Syndrome inflammatoire accélération de la VS augmentation de la CRP Anémie (microcytaire) Tableau 1. Principaux symptômes et signes cliniques observés dans la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique. *VS : vitesse de sédimentation, **CRP : protéine C-réactive (C-reactive protein). Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 18 / 27 Annexe 2 Maladie de Crohn Présence de lésions de l’œsophage à l’iléon terminal Lésions ano-périnéales Topographie et distribution des lésions coliques Type des lésions macroscopiques Caractéristiques microscopiques Rectocolite hémorragique Œsophage, estomac, duodénum et Jamais atteints jéjunum rarement touchés. sauf éventuellement Atteinte fréquente de l’iléon de discrètes lésions inflammatoires terminal. de l’iléon terminal : iléite de reflux. Fréquentes soit initialement, Normalement non ; fissure soit durant l’évolution : postérieure simple possible fissures, fistules simples (mais très rare). et/ou complexes, abcès. Typiquement : multifocales, Homogène, continue, segmentaires, avec alternance débutant systématiquement de zones saines à la jonction anorectale et de zones malades. (ligne pectinée). Parfois discrète inflammation péri-appendiculaire, sans ulcérations. Ulcérations aphtoïdes De la disparition plus fréquentes. du dessin vasculaire Ulcères longitudinaux à une inflammation intense ou en carte de géographie, avec ulcérations superficiels ou creusants. ou ulcères superficiels Plus fréquents sur le bord (ou creusants si sévères). mésentérique dans le grêle. Saignement muqueux spontané fréquent. Sécrétion de mucus normale. Anomalies microscopiques Infiltrat inflammatoire superficielles. trans-pariétal. Importante diminution de sécrétion Granulomes épithélioïdes du mucus. non-caséeux (30 % des cas). Diminution de la densité cryptique. Tableau 2. Principales différences entre atteinte digestive au cours de la maladie de Crohn et atteinte digestive dans la rectocolite hémorragique. Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 19 / 27 Annexe 3 Côlon transverse Maladie RCH de Crohn Jéjunum Côlon gauche Côlon droit Côlon sigmoïde Caecum Iléon Rectum Figure 1. Répartition de l’atteinte inflammatoire intestinale (intestin grêle et côlon) entre maladie de Crohn (MC) et rectocolite hémorragique (RCH). L’atteinte inflammatoire de la MC est habituellement plutôt « en mosaïque » alternant des zones de muqueuse inflammatoire (en rouge) et de muqueuse macroscopiquement saine (en rose). De plus, la MC peut toucher tous les segments du tube digestif (« de la bouche à l’anus »), avec par exemple sur la figure présentée, une atteinte sigmoïdienne, du côlon transverse gauche, d’une partie du côlon droit au caecum, de l’iléon terminal et de deux segments du jéjunum (figure de gauche). En revanche, l’atteinte inflammatoire de la RCH commence toujours au niveau de la partie supérieure du canal anal, à la jonction anus – rectum (c’est la « ligne pectinée »), pour ensuite toucher le rectum et une portion plus ou moins étendue du côlon, sans jamais toucher d’autres segments du tube digestif (avec quelques discrètes nuances ; cf. tableau 2). La figure de droite illustre une RCH touchant le rectum, le côlon sigmoïde et le côlon gauche, l’inflammation s’arrêtant à l’angle colique gauche. Dans la RCH, l’inflammation peut toucher le rectum seulement (on parle alors de « rectite » ou de « proctite »), le rectum et le côlon sigmoïde (« rectosigmoïdite de RCH »), du rectum jusqu’au côlon gauche (on parle de « RCH (recto)colique gauche »), atteindre le rectum jusqu’au-delà de l’angle gauche sans toucher le caecum (on parle de « RCH étendue ») ou toucher tout le côlon du rectum au caecum (on parle alors de « pancolite de RCH »). Dans la RCH, les lésions sont toujours circonférentielles, sans aucun intervalle de muqueuse saine contrairement à la MC. L’intestin grêle n’est jamais atteint (sauf exception ; cf. tableau 2). En cas de « pancolite », si l’anatomopathologie ne permet pas de faire la différence entre MC et RCH (cf. tableau 2), on parle de « colite indéterminée ». Dans ces rares cas, c’est souvent l’évolution de la maladie qui permettra de distinguer une « pancolite » de RCH d’une « pancolite » de MC. Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 20 / 27 Annexe 4 2A 2B Ulcération ovalaire Ulcérations aphtoïdes 2C 2D Ulcérations longitudinales Pseudopolypes cicatriciels Figure 2. Aspects endoscopiques de la maladie de Crohn (MC) colique. L’atteinte endoscopique dans la MC peut montrer des lésions de type très différent. Il est important de noter que chez un même malade ces lésions peuvent coexister. Les quatre photos ci-dessus illustrent certaines des anomalies les plus fréquemment constatées chez des malades ayant une MC colique : (2A) ulcérations dites « aphtoïdes » (parce qu’elles ressemblent à des aphtes buccaux). Ce sont des lésions très discrètes, mais qui doivent retenir l’attention du médecin endoscopiste. (2B) Les lésions sont plus marquées. Ce sont des ulcérations voire des ulcères arrondis, ovalaires au sein d’une muqueuse inflammatoire dite « érythémateuse » (rouge) et « œdémateuse » (luisante à l’endoscopie). (2C) Les lésions peuvent encore être plus étendues. Ici ce sont de longues bandes blanchâtres (« aspect en rails ») qui correspondent en fait à des ulcères longitudinaux de la muqueuse colique (le fond « blanchâtre », comme celui des lésions 2A et 2B correspond à de la fibrine). (2D) Parfois, quand la MC n’est pas active au moment de l’endoscopie, on peut voir des lésions cicatricielles qui permettent d’affirmer qu’il y a eu des lésions inflammatoires antérieures, et qui orientent fortement vers un diagnostic de MC. Ce sont comme ici des pseudopolypes : « pseudo » parce qu’ils n’ont rien de commun avec les polypes adénomateux classiques, et « cicatriciels » parce que parfois ils sont encore un peu inflammatoires quand la MC n’est pas tout à fait au repos (en période de « quiescence » de la MC). Ces pseudopolypes sont des témoins d’une atteinte inflammatoire de MICI par le passé, et que leur découverte, s’il n’y pas de symptômes cliniques ni d’autres lésions au moment de la coloscopie, ne nécessitent aucun traitement particulier. Jean-Marie Reimund © Université de Caen Normandie 21 / 27 Annexe 5 Figure 3. Iléite terminale. Cette photo, faite dans l’iléon terminal après iléoscopie rétrograde au cours d’une iléocoloscopie, montre très nettement de nombreux ulcères superficiels arrondis répartis sur une dizaine de centimètres de l’iléon terminal. Entre les ulcères la muqueuse de l’intestin grêle est rouge (érythémateuse) et apparaît luisante (œdémateuse). Il s’agit ici d’une MC de l’iléon terminal. Une des limites (diagnostic différentiel) de cet examen – sauf si les prélèvements (biopsies) mettent en évidence un (des) granulome(s) gigantoce