Mener des hommes: Asseoir son Autorité et sa Légitimité PDF
Document Details
Uploaded by PeerlessAshcanSchool
2005
Daniel Hervouët
Tags
Summary
This book explores qualities and methods for building authority and legitimacy in leadership roles. It provides a practical approach, drawing on Daniel Hervouët's experiences in the military and other contexts. The book is aimed at leaders, offering principles and strategic steps for success, including building legitimacy, decision-making, and team leadership.
Full Transcript
Daniel Hervouët Introduction de Frank Bournois Mener des hommes Asseoir son autorité et sa légitimité - tirage n° 36212 12 Que...
Daniel Hervouët Introduction de Frank Bournois Mener des hommes Asseoir son autorité et sa légitimité - tirage n° 36212 12 Quelles sont les qualités et les méthodes auxquelles s’adosser pour établir son autorité et sa légitimité ? Quelle démarche stratégique concrète mettre en place pour faire face à l’adversité et assumer ses fonctions dans un double souci de performance et d’humanisme ? Original et captivant, cet ouvrage revisite les arcanes du management de manière opérationnelle et pédagogique. Étoffé de cas et de récits d’expériences vécues, il propose une série de principes éprouvés et basés sur le bon sens qui vous permettront de : 0 construire votre légitimité 362 0 prendre les décisions au bon moment 0 forger votre propre style de leadership 0 mettre en valeur les qualités des hommes qui vous entourent « Quel plaisir que ce condensé de bon sens, de valeurs, barbarycourte.com | Photo : www.thierryserayphotography.com d’authenticité venant d’un homme placé au cœur de l’action, emportant l’adhésion et l’énergie de ses équipes ! » Alain Mauriès. Vice President Human Resources Coca-Cola Entreprise France Daniel Hervouët, formé à l’école des forces spéciales et du renseignement pendant une quinzaine d’années, consacre désormais ses réflexions à la pédagogie qu’il convient de mettre en œuvre pour faire profiter les décideurs des leçons tirées du monde de l’extrême. Penser l’action et forger l’outil qui permet d’affronter le réel sans désillusion, tels sont les sujets de prédilection évoqués ici. Saint- n° cyrien, diplômé de l’IEP Paris, du Defense Resources Management Institute, Naval Postgraduate Code éditeur : G54539 ISBN : 978-2-212-54539-5 School, Californie (États-Unis), membre du corps d’inspection ministérielle du ministère de la Défense, ancien directeur des études de l’Institut de Hautes Études de Défense Nationale, Daniel Hervouët est également professeur associé de gestion à Paris II (Panthéon-Assas). Aux frontières du management, ce livre est né de la rencontre entre Frank Bournois et Daniel Hervouët. Frank Bournois est professeur au Ciffop à l’Université Panthéon-Assas et cofondateur du master Coaching et développement personnel. Spécialiste de la préparation des futurs dirigeants, il publie régulièrement des ouvrages sur le développement des hauts potentiels. Il conçoit et anime des séminaires de leadership au profit de grandes entreprises européennes et de leurs comités de direction. - tirage n° 36212 12 Mener des hommes Asseoir son autorité et sa légitimité 362 n° - tirage n° 36212 Éditions d’Organisation Groupe Eyrolles 12 61, bd Saint-Germain 75240 Paris cedex 05 www.editions-organisation.com www.editions-eyrolles.com 362 Chez le même éditeur, Christophe Inzirillo, Frank Bournois, L’intelligence sportive au service du manager. Vincent Guibert, Comment manager. 50 situations quotidiennes commentées. n° Le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisa- tion des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée notam- ment dans l’enseignement, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. © Groupe Eyrolles, 2005, 2010 ISBN : 978-2-212-54539-5 - tirage n° 36212 Daniel Hervouët 12 362 Mener des hommes Asseoir son autorité et sa légitimité Deuxième édition n° - tirage n° 36212 12 362 n° - tirage n° 36212 12 362 À tous ceux, petits et grands, qui, chemin faisant, m’ont aidé à me construire. À Gwilherm, Morigann et Gwendal en guise d’héritage. n° - tirage n° 36212 12 362 n° - tirage n° 36212 12 Sommaire Note au lecteur............................................................................. 362 XI Un certain regard sur l’exercice du leadership............................... XV Préambule en forme de fiction...................................................... 1 Partie I Mener les hommes pour la première fois Chapitre 1 Se préparer à commander........................................ 21 Chapitre 2 Établir des relations avec ses partenaires.................. 41 Chapitre 3 Observer le milieu................................................... 63 Chapitre 4 Créer la cohésion..................................................... 79 Chapitre 5 Gérer l’adversité...................................................... 103 Chapitre 6 Diriger.................................................................... 125 Pour en savoir plus… Lexique du commando.............................................................. 155 Les forces spéciales étrangères.................................................... 161 n° Partie II À vous de jouer Chapitre 7 Développer un style de leadership et en faire © Groupe Eyrolles un drapeau.............................................................. 169 Chapitre 8 Mettre en place une structure de décision stratégique............................................................... 171 - tirage n° 36212 VIII Sommaire Chapitre 9 Mettre en place une structure de management opérationnelle......................................................... 179 12 Chapitre 10 Mettre en œuvre une méthode de raisonnement « commando »......................................................... 183 Chapitre 11 Développer une philosophie de l’action................... 191 Chapitre 12 Intégrer les enseignements dans le capital d’expérience............................................................ 197 Conclusion en forme de fiction..................................................... 201 Index............................................................................................. 207 Table des matières........................................................................ 211 362 n° © Groupe Eyrolles - tirage n° 36212 12 362 Cet ouvrage, fruit de l’observation et de l’expérience directe, propose au lecteur une démarche progressive qui repose dans un premier temps sur un inventaire des qualités et méthodes générales auxquelles il convient d’adosser son action pour en établir la légitimité. Dans un second temps, ces préalables posés, on s’attaquera à la démarche stra- tégique concrète du dirigeant en lui proposant un mode d’organisation pragmatique et une méthodologie inspirée de la méthode de raisonne- ment tactique pour assurer la cohérence et l’efficacité de l’action. À la manière des maillons d’une chaîne, les éléments contribuant à l’édification de l’autorité du dirigeant sont évoqués tour à tour avec le présupposé qu’une chaîne a la force du plus faible de ses maillons. Chacun aura à cœur d’identifier ses points faibles pour apporter les mesures correctives nécessaires. n° © Groupe Eyrolles - tirage n° 36212 12 362 n° - tirage n° 36212 12 Note au lecteur par Frank Bournois Dans le cadre de cette courte note introductive, j’aimerais expliquer 362 au lecteur pourquoi le professeur de sciences de gestion est admiratif de l’ouvrage écrit par le contrôleur général des armées Hervouët, véritable contribution au management. Apprendre aux frontières du management d’entreprise Ce livre est le fruit d’une idée qui surgit à l’occasion d’une visite ensemble auprès de certaines unités des forces spéciales fran- çaises. Je suis alors marqué par la forte teneur managériale présente dans les missions à conduire. L’univers des commandos concerne des missions : – à très haute valeur ajoutée stratégique ; – où le facteur temps est crucial : préparation, moment précis du déclenchement, rapidité du déroulement, bouclage final… ; – où la prise de décision permet de résoudre des problèmes où la vie n° d’autrui est souvent en jeu ; – où la réussite des missions impose des mécanismes d’organisa- tion et de coordination subtils ; – où bien évidemment rien ne peut se produire sans l’intercession d’un chef préparé et respecté par les membres de son groupe. © Groupe Eyrolles Tous vivent dans un esprit de cohésion singulier qui n’a rien à envier aux meilleures chartes de valeurs d’entreprise. - tirage n° 36212 XII Note au lecteur Même si on l’a oublié, il faut accepter comme une évidence que le management des hommes n’est pas l’apanage du monde de l’entre- 12 prise. Il est très présent dans toutes les formes d’action socialisées. Il y a tant à apprendre à la lisière du monde de l’entreprise : – dans la sphère sportive, où la victoire d’une équipe n’est pas que la conséquence alchimique du hasard ; – dans le monde artistique et musical, où la reconnaissance au plus haut niveau implique une chorégraphie complexe de comporte- ments ; – dans le monde artisanal, où le chef-d’œuvre collectif et sa beauté 362 font oublier la dynamique humaine. Et ceci est vrai ; – dans l’exercice de professions à haut risque, où la coopération humaine est un facteur critique de réussite (secteur médical, aéro- nautique…). Bénéficier de l’expérience intime des groupes de commandos Le présent ouvrage entre dans l’intimité du fonctionnement d’un groupe de commandos : peu dans sa dimension technique ou tech- nologique mais intensément dans sa dynamique humaine. Et c’est une première en la matière. Des livres ont couvert les aspects histo- riques ou tactiques mais aucun n’avait encore jusqu’à ce jour révélé l’art de diriger de tels groupes. Parmi les 11 000 ouvrages consacrés au leadership en langue anglaise, il n’y a pas d’équivalent et ne s’en approchent que les écrits de Richard Marcinko comme Leadership Secrets of the Rogue Warrior : A Commando’s Guide to Success n° (Digital, 2000). Daniel Hervouët nous fait entrer dans l’école du chef, au sens le plus noble du terme. Le chef est simplement celui qui est placé à la tête (caput en latin) du groupe et c’est donc capital (même origine étymo- © Groupe Eyrolles logique, tout comme le mot « capitaine ») ! Le chef, ne l’oublions pas, c’est la version latine du leader anglo-saxon qui a tendance à dominer la littérature managériale. - tirage n° 36212 Note au lecteur XIII Le lecteur va découvrir la noblesse de la notion de commandement (déjà utilisée par Fayol) qui ne s’assimile pas à des ordres de petits 12 chefs. Le commandement se construit sur la confiance et la sécurité (cum mandare, étymologiquement « placer sa confiance », ce que l’on retrouve dans mandataire ou lettre recommandée) ! Mener des hommes permet de visiter les arcanes du management humain, de manière opérationnelle et pédagogique : – à travers six chapitres très structurés, fruits de l’observation et de l’expérience des chefs de commandos : se préparer à commander, 362 établir des relations avec ses partenaires, observer le milieu, créer la cohésion, gérer l’adversité, diriger. Les six chapitres constituent les maillons indissociables et inséca- bles d’une chaîne d’attitudes et de comportements. Bref, de ce que l’on appellerait ailleurs (dans l’entreprise) « les compétences mana- gériales indispensables ». Les maillons d’une chaîne sont complé- mentaires et chacun sait que sa résistance globale dépend du plus faible d’entre eux. Ceci résonne tout particulièrement à l’heure où les managers formalisent l’importance des réseaux personnels et sociaux ! – Le lecteur pourra réfléchir et construire sa propre légitimité de n° manager, dans son contexte spécifique. Au fil des pages, la ques- tion de l’exemplarité du chef se fait de plus en plus nette. On comprend alors que le chef n’impose pas son respect, mais que c’est son respect qui s’impose. – L’auteur sait nous transmettre une méthodologie pour parvenir à © Groupe Eyrolles l’esquisse d’un style individuel. En évitant les recettes de toutes les circonstances… - tirage n° 36212 XIV Note au lecteur – Pour être intervenu avec Daniel Hervouët auprès de nombreux publics de managers du CAC40, cette méthodologie constitue 12 autant de ressorts pour l’équipe dirigeante que pour leurs collabo- rateurs portant la responsabilité de projets. – Le spécialiste de ressources humaines, en fonction de ses propres objectifs va trouver une longue liste de critères pour la détection des hauts potentiels de demain. Rappelons simplement que les fameux centres d’évaluation (assessment centers) puisent leurs sources dans l’univers des commandos et des exercices de simulation. – Le livre constitue aussi un plaidoyer pour la diffusion du concept de résilience1 managériale. Ou encore cette nécessité, pour l’homme 362 au travail, d’anticiper les chocs professionnels et de savoir rebondir, le cas échéant. Mais les idées dépassent la sphère profes- sionnelle pour aussi aborder le domaine personnel (dont la culture générale et l’hygiène de vie du chef ). Saluons l’entreprise de Daniel Hervouët qui contribue ainsi à mieux saisir les apprentissages du collectif dans les organisations. Alors que le monde des affaires devient de plus en plus exigeant et que l’autorité hiérarchique ne s’accepte plus si facilement, la fibre huma- niste de l’auteur alliée à une éthique du chef nourrit l’envie de diriger et de faire progresser nos sociétés. n° © Groupe Eyrolles 1. Développé dans É. Albert, F. Bournois, J. Duval-Hamel, J. Rojot, S. Roussillon et R. Sainsaulieu, Pourquoi j’irais travailler, Eyrolles, 2003. - tirage n° 36212 12 Un certain regard sur l’exercice du leadership La fonction dirigeante est avant tout incarnée par la capacité originale 362 d’un individu à mener un groupe humain vers ses objectifs en inté- grant dans son raisonnement et ses attitudes un grand nombre de facteurs de natures différentes et complexes. Cette capacité s’identifie et se construit dans le temps. C’est la raison pour laquelle cet ouvrage insiste sur le parcours initiatique du chef, sur sa capacité à nouer des liens privilégiés avec ses collaborateurs et partenaires sans quoi il n’est pas de mobilisation dans l’action. Parallèlement, conscient que cette action se déroule dans le cadre d’une dialectique des volontés, le dirigeant est placé dans le contexte d’adversité qu’il doit gérer. Pour cela, des éléments lui sont fournis pour renforcer sa capacité à observer le milieu dans lequel il évolue, à créer la cohésion autour de ses projets, à gérer l’adversité et enfin à assumer ses fonctions dans un double souci de perfor- mance et d’humanisme. n° Cette réconciliation de deux notions souvent présentées comme antagonistes est le point central des enseignements tirés de l’obser- vation de l’exercice du leadership dans le contexte extrême des commandos. © Groupe Eyrolles - tirage n° 36212 12 362 n° - tirage n° 36212 12 Préambule en forme de fiction Ce récit est une fiction. Il a pour objet de montrer aux personnes peu accoutumées à cet univers comment se déroule une mission type. Il 362 rassemble de nombreux éléments glanés dans des phases d’entraî- nement répétées par les hommes des forces spéciales, des bribes d’opérations réelles d’extraction de ressortissants, des situations vécues par des forces spéciales alliées. Ces quelques pages, qui concentrent des faits qui s’étaleraient dans la réalité sur plusieurs heures ou jours, soulignent comment sont mises en valeur, dans l’action, des années de formation, d’entraînement et de préparation. Ces hommes issus d’unités diverses appartenant aux trois armées (terre, air, mer), interviennent dans les trois dimensions, savent combiner leur savoir-faire, coordonner leur action et intégrer les termes de leur mission de manière à réduire au minimum les risques qu’ils encourent et maximiser leurs chances de réussite. Océan Atlantique, 5 h 00, dix miles sud des Banana Islands (Sierra Leone). n° La masse sombre du Sirocco glisse sur l’eau en laissant dans son sillage le sourd grondement de ses machines. L’obscurité dissimule la côte qui n’est qu’à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau. La mer est calme. C’est à peine si les pales des hélicoptères répartis sur le pont d’envol oscillent au gré de la houle. L’air est doux. L’officier de © Groupe Eyrolles quart observe les mécaniciens qui s’affairent autour de leurs ma- chines. Les commandos ont cessé leurs préparatifs. Ils ont disparu dans le ventre du navire. - tirage n° 36212 2 Préambule en forme de fiction Dans la salle de briefing, le lieutenant Kern rejoint ses hommes qui l’attendent pour un dernier point. Leurs silhouettes sont massives. Ils 12 sont déjà équipés. Les poches des gilets de combat sont gonflées de grenades et de munitions. Les visages bariolés à la crème de camou- flage ont quelque chose d’effrayant. Dans un coin, les équipages d’hélicos tranchent avec leurs combinaisons de vol jaune sable. L’entrée de l’officier impose naturellement le silence, les regards se fixent sur lui. Il jette un œil à sa montre puis vérifie l’heure à l’horloge électronique accrochée au mur. « Messieurs, calez vos montres, Il est 5 h 03. À 5 h 30, décollage vers 362 vos objectifs. Rien n’a changé par rapport au plan d’action que nous avons préparé hier. Juste un bref rappel. L’adjudant Vargas va d’abord faire le point des derniers renseignements dont nous disposons. » Le sous-officier s’avance pour appuyer sur une touche de l’ordina- teur. Une image s’affiche sur grand écran. Une vue aérienne, prise à environ trois cents mètres d’attitude. « Voilà le village de Bambaya, trois kilomètres à l’est de Waterloo. » En dépit de la gravité de la situation, des sourires s’affichent sur les visages. « Oui, ça ne s’invente pas ! Désolé ! Nos otages sont toujours dans la maison en dur, ici, à cinquante mètres du village. Quatre rebelles en contrôlent l’accès. Une mitrailleuse de 30 mm est installée devant l’unique entrée qui donne sur le village. En général, il y a deux types qui restent à l’intérieur, un qui somnole à côté de la mitrailleuse et n° un autre qui fait les cent pas devant la maison. À cent mètres, une vingtaine de rebelles sont installés dans les cases. Armes indivi- duelles, RPG1 et un bitube de 14,5 monté sur un pick-up2. La plupart du temps, ils sont shootés. Ils se croient donc invincibles et n’ont peur de rien. Les villageois sont à l’écart, dans la partie sud. Les © Groupe Eyrolles 1. Lance-roquettes antichar d’origine russe. 2. Il s’agit de mitrailleuses lourdes montées sur affût double. Leur puissance de feu est redoutable. - tirage n° 36212 Préambule en forme de fiction 3 otages : deux hommes, une femme et une petite fille. Ils ne sortent jamais. Ils doivent partager la pièce unique avec leurs gardiens. » 12 Tout en décrivant la situation, l’adjudant faisait défiler les photos reçues par transmission de données au petit matin. Elles s’impri- maient dans les rétines. La connaissance visuelle du terrain ferait gagner de précieuses secondes. « Les gars de Penfen1 sont en place depuis trente-six heures. Ce sont eux qui nous ont fait parvenir ces photos. Ils confirment qu’à 4 h 30 rien n’avait changé. Deux tireurs d’élite de Montfort2 ont été mis en place avec eux. Ils sont prêts à nous appuyer. » 362 Son intervention terminée, il s’écarta pour céder la place au lieute- nant. « Merci Vargas. À présent, je rappelle le mode d’action. Décollage à 5 h 30. Deux Pumas. Zhang avec ton équipe, tu vas dans le Zoulou Tango3. Les autres avec moi dans le Fox Yankee. Mise en place en corde lisse vers 6 h 00 au point November. Avec les mouvements aériens des hélicos de l’ONU, les nôtres passeront inaperçus. » Tout en parlant, le lieutenant désignait les lieux, sur la carte murale, avec un crayon laser. Simple rappel, car tous connaissaient par cœur le mode opératoire qu’ils avaient répété des dizaines de fois entre eux. À partir de là nous progressons vers nos bases d’assaut. Six kilomè- tres à parcourir en sûreté sur les deux itinéraires parallèles que nous avons définis. À 8 h 00, tout le monde est en place. Silence radio jusque-là. n° 1. Le commando de Penfentenyo est l’un des commandos marine spécialisé dans la reconnaissance et le renseignement, qui appartient à la composante marine des forces spéciales. © Groupe Eyrolles 2. Le commando de Montfort est spécialisé dans les appuis à distance, notamment celui fourni au moyen de tireurs d’élite capables de rester six heures à l’affût en observant la cible qu’ils auront à détruire. 3. Immatriculation de l’hélicoptère. - tirage n° 36212 4 Préambule en forme de fiction Je déclencherai l’action. Zhang, avec ton groupe, tu nous couvres face au village, je ne veux pas de surprise de ce côté-là. Sur mon 12 ordre, les tireurs d’élite flashent les sentinelles. Avec le groupe d’assaut, on pénètre dans la maison, grenades éclair, on traite les rebelles. Attention, pas une égratignure aux otages. Dès que le groupe d’assaut attaque, Zhang et ses gars détruisent la 14,5 et le groupe de rebelles. C’est clair ? — Clair, répondirent les hommes dans un grondement collectif. — Bien, quatre hélicos seront en stand-by1 derrière les reliefs, trois kilomètres à l’est, à partir de 8 h 00. Dès que la zone est sécurisée, ils rappliquent sur mon ordre. On fait trois grappes2 aux points 362 Alpha, Bravo et Charlie. Première grappe pour les gars de Penfen et de Montfort au sud de la maison. Deuxième pour mon groupe avec les otages devant la maison et dernière pour Zhang et ses gars à proximité de leur zone d’action. Pas trop près sinon vous allez être gênés par la fumée des cases qui vont cramer. Le Puma canon3 assu- rera la sécurité de l’opération. Ok ? Les pilotes opinèrent en direction de Kern. « Des questions ? » Un court silence confirma au lieutenant que ses hommes étaient prêts. « Ok, embarquez, départ dans dix minutes. » n° 1. Stand-by est utilisé pour signifier une position d’attente. 2. La technique de la grappe consiste pour un groupe de personnes à se fixer au moyen d’un mousqueton à une corde descendue d’un hélicoptère et à être enlevé par cet hélicoptère pour quitter rapidement une zone dangereuse. Pendant le © Groupe Eyrolles transport, la grappe humaine pend sous l’hélicoptère. 3. Le Puma canon est un hélicoptère doté d’un canon de sabord (côté) de 20 mm qui assure la sécurité d’une opération de récupération de personnel au sol en inter- disant, par ses tirs, à un adversaire de s’approcher. - tirage n° 36212 Préambule en forme de fiction 5 Bambaya, 8 h 05. Les deux détonations n’en firent qu’une tant elles furent simulta- 12 nées. Les rebelles dansèrent une fraction de seconde, comme des hommes ivres, avant de s’effondrer, la tête transpercée par une balle de 7,62. Contre la maison, un groupe compact progressait, les armes braquées comme les aiguilles d’un hérisson, couvrant toutes les directions. Un rebelle sortit après avoir entendu les coups de feu des tireurs d’élite. Mal réveillé de ses excès de shit, il ne vit pas sa dernière heure arriver. Un gars de Montfort qui l’avait saisi dans sa lunette scella son sort. 362 Le claquement sec de la grenade éblouissante lancée dans la maison ne laissa pas le temps au dernier rebelle de tirer sur les otages. Le binôme de tête du groupe d’assaut était déjà à l’intérieur. Comme à l’entraînement, ils durent trier du regard les cinq personnes qui étaient dans la pièce. Deux claquements secs éliminèrent le dernier danger. « Clair à l’intérieur », hurla l’un des commandos à destination de son chef. Dans un coin de la pièce les otages recroquevillés au sol, les uns contre les autres, affichaient des traits de terreur. Le lieutenant pénétra dans la maison et jaugea rapidement la situation. « Armée française, n’ayez pas peur, lança-t-il d’une voix rassurante. Venez, dit-il en tendant la main. Nous allons vous évacuer immédia- tement par hélicoptère. Vous ne risquez plus rien. » n° Quelques secondes plus tard, une série d’explosions assourdissantes embrasa la partie nord du village. Les hommes de Zhang venaient de lancer leurs grenades. Des flammes d’une vingtaine de mètres s’élevèrent immédiatement au-dessus des cases qui se consumèrent comme de la paille. Des détonations saccadées ponctuèrent le tir © Groupe Eyrolles ajusté des commandos qui avaient resserré leur étau sur les derniers rebelles. Ceux-là ne viendraient plus perturber l’opération. - tirage n° 36212 6 Préambule en forme de fiction Déjà les hommes de Kern s’affairaient sur les quatre otages pour leur faire enfiler des harnais. 12 « Tu vas voir, dit un commando à la petite fille, ce sera mieux qu’à Disneyland. » À l’extérieur, le battement saccadé des pales d’hélicoptère se rap- procha. Le groupe du lieutenant se rassembla selon un ordre précis. Les otages encadrés de près tenaient leur mousqueton à la main comme on leur avait dit de le faire. Une corde descendit du ciel à laquelle tous se retrouvèrent bientôt fixés. La puissance de la turbine arracha en douceur la grappe humaine à 362 la pesanteur. À quelques centaines de mètres, deux autres machines avec leur curieux appendice amorçaient également leur virage pour retourner vers le Sirocco, tandis qu’en contrebas le Puma canon achevait sa ronde protectrice. Le lieutenant Kern eut un soupir de soulagement. Il revenait avec tous ses hommes. n° © Groupe Eyrolles - tirage n° 36212 Mener les hommes pour la première fois 12 362 PARTIE I Mener les hommes pour la première fois « L’autorité implique une obéissance dans laquelle les hommes gardent leur liberté… » Hannah Arendt, La crise de la culture « Quels que soient les riens dont nous nous occupions, c’est pourtant l’authentique et le grand qui s’impriment dans notre mémoire avec le plus de force. » Ernst Jünger, Le cœur aventureux n° - tirage n° 36212 8 Mener les hommes pour la première fois Les commandos, nés dans les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale, ont développé une culture qui vise à optimiser l’action de 12 petits groupes en tirant un parti maximal de leurs ressources humaines et de leurs moyens techniques. L’innovation dans les méthodes et l’audace qu’ils cultivent leur permettent de viser des objectifs d’ampleur stratégique. Tension vers l’action imprégnée d’humanisme, extrême compétence mobilisée jusqu’aux limites, adhésion et partage de valeurs fortes au service d’un objectif commun, imagination en perpétuel mouvement additionnant les talents sans exclusive, modestie et autocritique 362 constructives, recherche de l’efficacité maximale, l’esprit commando mérite un examen intéressé. Nourrie de fondamentaux de la nature humaine, aux antipodes du dogmatisme ou de la théorie artificielle, cette philosophie de l’action où l’homme est la clef de voûte présente de nombreux attraits pour tout responsable à la recherche de méthodes qui ne font pas que sacrifier à la mode. Renouveler l’exercice du leadership en s’inspirant d’un exemple de l’extrême, voilà l’idée. Commandement et leadership, deux univers étrangers ? La notion de commandement est marquée au mieux du sceau du comique troupier, au pire de l’infamie de l’autoritarisme. Commander, « c’est exercer son autorité sur quelqu’un en lui dictant sa conduite », nous dit Le Robert. À l’opposé, le leadership est « l’aptitude d’une n° personne à exercer une influence dominante sur d’autres personnes en obtenant leur adhésion active à des idées, des orientations, des projets ou d’autres actions sociales », selon le Grand dictionnaire de l’office québécois de la langue française. Pris sous cet angle, le commandement est un mode plutôt archaïque d’exercice du leader- © Groupe Eyrolles ship dans lequel le chef désigné agit en monarque. Ce cliché tire son origine de l’exercice de l’autorité du chef militaire au combat. Sous le feu de l’ennemi on n’a pas le temps de chercher à exercer une - tirage n° 36212 Mener les hommes pour la première fois 9 influence. Le chef formé et entraîné à cela doit assumer sa responsa- bilité de commandement sans contestation. 12 Mais l’histoire nous apprend que cette autorité ne peut s’exercer durablement sans assises solides. La liste est longue des armées débandées faute de confiance dans les compétences de leurs chefs. La liste est également longue des sacrifices inutiles consentis par des troupes disciplinées mais commandées par des chefs incompétents. Commander ne consiste donc pas à appliquer les termes d’un mandat, en fonction d’un diplôme obtenu préalablement, mais à exercer une autorité authentique assise sur la confiance gagnée 362 auprès de ses subordonnés en faisant ses preuves. Commander est une philosophie, un art, qui, à l’instar de celui du cavalier, doit s’appliquer sans contrainte excessive. La question du commandement, centrale pour les forces armées, est particulièrement sensible chez les commandos. Le contexte dans lequel ils agissent impose en effet une efficacité maximale. Il est donc normal que son exercice y ait été soumis à un examen sévère, nourri d’expériences concrètes. Or il n’est pas de forces de commandos authentiques dans lesquelles l’exercice du commandement puisse être assimilé à de l’autorita- risme. Au contraire, on voit s’y développer un style de leadership qui met souvent mal à l’aise les hiérarques classiques. Certains d’entre eux ne voient chez ces hommes que des marginaux incontrôlables, tels les corps francs du capitaine Conan qui « exécutait des coups de n° main d’une audace terrifiante »… [avec] … « ses cinquante types (qui) lui obéissaient mieux qu’au bon Dieu1 ». Ces préventions ne sont que l’expression d’un profond décalage culturel. Là où beaucoup s’attachent à la forme, les commandos font © Groupe Eyrolles prévaloir le fond car ils savent que, dans les circonstances extrêmes, le formalisme n’a pas sa place. Dépouillés du décorum, ils vont à 1. Roger Vercel, Capitaine Conan, Albin Michel, 1934. - tirage n° 36212 10 Mener les hommes pour la première fois l’essentiel. Le chef, entouré de ses hommes, assume la charge la plus lourde. Il se doit non seulement d’être un bon équipier, mais en 12 plus il lui revient d’anticiper sans relâche. Il collecte les informations, suggère des modes d’action, écoute les remarques, ouvre la voie aux initiatives, pousse chacun à donner le meilleur de ses compétences tout en veillant à leur survie. Son autorité est organique et non insti- tutionnelle, elle repose sur le développement, jamais achevé, d’un leadership reconnu de tous, adossé à une compétence constatée sur le terrain. C’est l’école de la vérité, celle où le mensonge et les apparences ne 362 tiennent pas longtemps sous l’effet de l’épreuve et de la promiscuité. Sans se lancer dans des parallèles douteux entre guerre tout court et « guerre économique », le chef de commando pourrait suggérer quelques idées à son camarade civil. L’hyper-concurrence dans laquelle se débattent les acteurs économiques engendre des trau- matismes et des peurs qui déstabilisent nombre de personnes. Leur potentiel s’en trouve sérieusement altéré. Dans cet environnement, à l’instar du chef de commando qui mène ses hommes dans la tour- mente, le patron doit s’efforcer de préserver un lien de confiance suffisamment solide avec ses collaborateurs pour que la solidarité entre eux ne soit pas qu’une formule. La recherche immédiate du profit doit être alors écartée pour faire prévaloir un investissement de plus long terme sur le capital humain. Ce style de leadership est de nature à limiter le stress lié à l’environ- nement en replaçant l’être humain au centre des préoccupations. n° Corpus intemporel, il s’affranchit des modes et demeurera valide aussi longtemps que le bon fonctionnement des sociétés dépendra du comportement des hommes. © Groupe Eyrolles Développer encore l’agressivité ? L’allusion aux commandos, lorsqu’on raisonne sur les modes de mana- gement, peut provoquer des craintes légitimes. S’agit-il d’un nouvel - tirage n° 36212 Mener les hommes pour la première fois 11 avatar de cette agressivité concurrentielle que l’on prend souvent pour un gage de professionnalisme ? La technique commando serait 12 un nouveau moyen efficace de « tuer » ses concurrents ou de riva- liser à l’excès avec telle ou telle partie prenante ? Croire en cela reviendrait à ignorer la culture des forces spéciales. Il ne faut pas confondre le contexte dans lequel interviennent les commandos et la façon dont ils s’y préparent. Si leur domaine de prédilection est, pour faire court, la guerre ou au moins la crise, il n’est pas celui de l’apologie de la violence. Les commandos opèrent comme des chirurgiens de l’impossible. Peu nombreux, agissant en 362 univers hostile, ils doivent obtenir un maximum d’effet avec un minimum de moyens. Concentrés sur des missions à haute valeur ajoutée stratégique (renseignement, libération d’otages, extraction de ressortissants, capture de terroristes ou de criminels de guerre), ils sont en première ligne des situations les plus brûlantes. Leur obli- gation de discrétion en fait des hommes de l’ombre qui recueillent rarement les lauriers de leurs réussites et pansent leurs plaies dans l’ignorance générale. Ces commandos sont marqués par leur genèse. Issus, au moins dans l’esprit, des unités de choc de la Seconde Guerre mondiale, ils ont développé leurs premiers savoir-faire aux côtés des Britanni- ques dans la lutte contre le nazisme. Pour résumer caricaturalement leurs valeurs, on pourrait dire qu’ils mettent en œuvre une audace extrême au service d’une cause juste. Leurs règles déontologiques sont rigoureuses et font l’objet d’un long apprentissage. Chacun des savoir-faire appris dans les centres d’entraînement s’accom- n° pagne d’un savoir-être qui donne du sens aux efforts hors du commun que l’on exige d’eux. À l’image des arts martiaux, la forma- tion commando enseigne la maîtrise de la violence par le contrôle de soi. L’assurance de sa force permet d’en maintenir l’usage au © Groupe Eyrolles plus bas niveau nécessaire. Ce n’est donc pas la violence ou l’agressivité qui sont au centre de cette réflexion, mais plutôt l’art de travailler ensemble avec un sens - tirage n° 36212 12 Mener les hommes pour la première fois aigu du collectif, l’efficacité optimale par l’analyse approfondie des facteurs de réussite, le désintéressement par l’adhésion à un sys- 12 tème de valeurs qui assure une place à chacun. Promouvoir des valeurs exclusivement masculines ? Il est vrai que les commandos sont un univers d’hommes. Les chants, les rituels y sont masculins. De la même manière qu’il n’y a pas si long- temps, les navigateurs, les alpinistes, les pompiers et les Premiers ministres étaient des hommes. On n’en est plus là. Sans remonter jusqu’aux Amazones, des brèches 362 s’ouvrent progressivement dans ce vieil édifice social. Aucun domaine n’est à l’écart de ces évolutions. Des femmes ont été inté- grées au service action de la DGSE1, au GIGN2, alors que la sécurité de Kadhafi est assurée par des gardes du corps féminins depuis de nombreuses années. Ça ne veut pas dire pour autant que cela se fait sans heurts. Ridley Scott s’est efforcé de montrer, dans son film À armes égales, les difficultés d’intégration d’une femme, pourtant exceptionnelle en tout (Demi Moore), dans ce monde hyper-machiste. Malgré l’emphase hollywoodienne, on peut y trouver quelques accents de réalisme. Mais il ne s’agit pas de s’interroger ici sur les limites plus ou moins objectives qui expliquent la faible féminisation des unités de commandos. Le sujet est plutôt d’étudier un mode d’exercice alter- natif du leadership qui sonne le glas des relations de pouvoir tradi- tionnelles pour promouvoir un système plus humain donc plus n° efficace à long terme. Face aux épreuves ultimes, l’officier de commandos tire sa force du partage du fardeau de la mission avec ses équipiers. Sans se délester de ses responsabilités, il consulte ses hommes et les informe de ses © Groupe Eyrolles 1. Direction générale de la sécurité extérieure. 2. Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale. - tirage n° 36212 Mener les hommes pour la première fois 13 intentions. L’action se fait alors par une adhésion librement consentie aux objectifs du chef qui aura su exercer sur eux un ascendant naturel 12 adossé à une compétence reconnue. Le faux-semblant n’y a pas sa place, pas plus que l’autoritarisme glacé ou les combinaisons machiavéliques. Les personnalités sont à nu, face à des situations qu’il faut maîtriser ensemble. Une telle démarche est probablement de nature à permettre au prag- matisme féminin de s’exprimer plus largement. La culture commando, prise comme référence comportementale, met les hommes et les femmes sur un pied d’égalité face à l’enjeu de la réussite pour peu 362 que le jeu ne soit pas volontairement biaisé. Le commando comme exemple ? Le monde des commandos est très connoté dans l’imaginaire popu- laire. Il est revenu à la mode lorsque le Mur de Berlin est tombé. Privés du grand ennemi soviétique contre lequel se mobilisaient depuis des décennies le génie scientifique américain et une armée pléthorique, les responsables de la Maison-Blanche se sont retrouvés face à un danger plus insidieux, plus sournois. Il fallait désormais traquer le terroriste dans sa cache pour sauver le monde libre. Seuls des hommes exceptionnels, surentraînés, pouvaient s’acquitter de cette mission. C’est ainsi que s’est développée, surtout à travers le cinéma, l’image du commando, clone de Rambo, déroulant un scénario qui débouche inéluctablement sur la victoire finale. La réalité est tout autre. Si les critères physiques de sélection sont n° extrêmement sévères, c’est dans sa tête que réside la véritable puis- sance du commando. La formation qu’il reçoit vise à transformer le citoyen plus ou moins égoïste attiré par l’aventure qu’il était au départ en un équipier fiable qui soit tout sauf un aventurier. © Groupe Eyrolles Le commando est un système humain qui tire son efficacité d’une concentration élevée de volonté, de technicité, d’audace, de résis- tance à l’adversité et d’imagination. Mais ce qui mérite d’être retenu, - tirage n° 36212 14 Mener les hommes pour la première fois c’est que ces qualités ne sont pas le fruit d’une simple addition arith- métique de talents individuels préexistants, elles résultent d’une 12 mutation profonde. Opposé au vedettariat, l’esprit commando crée une interdépendance technique et affective entre les individus. Comme les éléments d’une horlogerie complexe, chacun est valorisé par le groupe tandis que le groupe tire ses caractéristiques et son potentiel de la combinaison des talents individuels. Dans un commando, l’effectif est trop réduit pour gaspiller la ressource d’un équipier et le laisser se marginaliser. Tous les talents doivent être mobilisés aux limites du possible. Mais ce résultat ne saurait être atteint sous l’effet de la contrainte. Il résulte d’une adhésion pleine 362 et entière aux valeurs du groupe instillées par l’exemple et la mise en situation. Pour autant, cela n’implique en rien le conformisme, au contraire. Ces valeurs sont précisément celles d’une imagination en permanente effervescence, d’une recherche constante de modes de résolution alternatifs des difficultés rencontrées. Comme au rugby, les commandos doivent trouver sans cesse les moyens de relancer l’action, de surprendre, d’innover. Seule une équipe imaginative, aux savoir-faire individuels et collectifs éprouvés peut y parvenir. Dans ce contexte, le chef se doit d’exercer son autorité d’une manière peu conventionnelle, axée sur l’essentiel, dépouillée des formalismes inutiles. Pour cela, il doit non pas faire des prouesses supérieures à celles de ses hommes, mais développer une aptitude à valoriser leur potentiel, à obtenir le meilleur d’eux sans les mettre inutilement en danger, ni les user prématurément. Ce mode d’exercice du comman- dement est un humanisme tourné vers l’action dont les enseigne- n° ments dépassent très largement le seul univers des commandos. Encore une méthode prête à porter pour manager déboussolé ? © Groupe Eyrolles Un manager en quête d’un kit de recettes ne trouvera pas son compte dans ce livre. Il n’y a pas de note d’organisation interne qui soit susceptible de mettre en œuvre en quelques semaines la culture - tirage n° 36212 Mener les hommes pour la première fois 15 « commando ». Une telle démarche, au demeurant ridicule, serait condamnée à l’échec. S’inspirer du mode d’exercice du leadership 12 dans les commandos impose un temps d’arrêt, une réflexion, un bilan. La question n’est pas de savoir si le manager a assez de souffle pour atteindre des sommets élevés, mais plutôt de s’assurer qu’il a la volonté et les aptitudes nécessaires pour promouvoir une culture alternative de l’exercice de l’autorité sur le long terme. C’est un choix philosophique qui modifie radicalement les rapports de force et les priorités. Dans cette logique, qui donne la primeur aux valeurs, on part du constat que le plus important facteur à prendre 362 en compte est la ressource humaine. Si cette condition est réalisée, les adaptations techniques, méthodologiques ou autres, rendues nécessaires par l’évolution du contexte, en seront infiniment facili- tées. Les mutations apparaîtront naturelles et les esprits seront disposés à les traiter sans réticences conservatrices dans la mesure où la cohésion sociale se sera construite autour de valeurs d’adapta- tion et de réaction rapide. C’est une éthique du management qui recentre les enjeux sur les êtres humains en ce qu’ils sont les moyens et la fin de toute action. Placé au centre, l’homme n’a plus à subir, puisqu’on lui donne l’opportunité d’agir du meilleur de lui-même, à la place qui lui revient. Cette éthique est exigeante pour tout le monde. Elle impose aux chefs d’être exemplaires, transparents et d’ouvrir des perspectives mobilisatrices. Elle crée également pour chacun un impératif perpé- tuel de valeur ajoutée. L’édifice repose sur des bases fragiles aussi n° longtemps que cette culture particulière ne s’est pas enracinée dans tous les esprits. Le délai de retour sur investissement du leadership « commando » est donc proportionnel à la confiance instaurée ainsi qu’à la qualité de mise en œuvre des principes de base énoncés dans © Groupe Eyrolles cet ouvrage. - tirage n° 36212 16 Mener les hommes pour la première fois Comment les principes dégagés dans des unités d’élite pourraient-ils s’appliquer à tous ? 12 Comment peut-on imaginer faire profiter le plus grand nombre de ce qui n’est accessible qu’à une élite triée sur le volet ? La multiplica- tion des prérequis tendrait à prouver que seules quelques structures particulièrement bien profilées seraient en mesure de se lancer sur cette voie. Or, il n’en est rien. De la même manière que nombre de matériaux ou de technologies devenus usuels ont été développés primitivement pour satisfaire des besoins rares et spécifiques (ordinateurs pour la 362 défense, Gore-Tex pour les alpinistes…), l’expérience de l’exercice du leadership chez les commandos constitue une sorte d’élixir obtenu à haute pression. Ce qui a été mis au point dans les conditions les plus dures peut ensuite être mis en œuvre dans des conditions normales car les tests en ont validé le contenu. Il reste à en vulga- riser les valeurs et les méthodes. À la manière du stratège industriel qui se réfère à Sun Tzu, un diri- geant soucieux d’efficacité pourra intégrer la culture de leadership « commando ». Il est des références qui traversent le temps sans rien perdre de leur valeur parce qu’elles s’appuient sur des éléments qui puisent leur source dans l’éternel humain. Les techniques et les méthodes changent, mais il y a toujours au fond de l’individu une même flamme qui brûle. Cette flamme, résumée sommairement par la pyramide de Maslow, est intégralement prise en compte dans le leadership « commando ». n° L’originalité chez les commandos, c’est que ces dimensions sont prises en compte de façon organique, permanente, désintéressée. C’est l’honneur des chefs de s’en assurer. Ils sont largement payés en retour par le dévouement de leurs hommes. © Groupe Eyrolles Comment ces cinq besoins universels sont-ils pris en compte ? 1. Le maintien de la vie est un devoir sacré du chef, même si dans certaines circonstances la dangerosité des missions occasionne - tirage n° 36212 Mener les hommes pour la première fois 17 12 Besoin d’accomplissement personnel Besoin d’estime de soi Besoin d’amour, d’appartenance Besoin de protection et de sécutité 362 Besoin de maintien de la vie des pertes. L’iconographie romantique du sacrifice inutile ne fait pas partie de l’imaginaire du commando. 2. Le besoin de protection et de sécurité est procuré par une sauve- garde mutuelle renforcée par le souci du chef de veiller sur le sort de ses hommes, pendant les missions, mais aussi bien au-delà (formation, promotion, suivi de carrière…). 3. Le besoin d’appartenance est satisfait par un esprit de corps fait de solidarité, d’amitié, de soutien mutuel et d’adhésion à des valeurs fortes. Les rites initiatiques d’admission dans les commandos y contribuent (sélections, stages de formation, cérémonies), de la n° même manière que les traditions vivantes (habitudes vestimen- taires, fêtes, vie en commun). 4. Le besoin d’estime de soi y est nourri par la nature des missions qui donnent au commando le sentiment de servir une cause juste (lutte antiterroriste, extraction de ressortissants, libération d’otages, © Groupe Eyrolles capture de criminels de guerre…) dans le cadre d’un État de droit. Parallèlement, la confiance accordée aux unités de commandos par les hautes autorités leur renvoie une image valorisante. - tirage n° 36212 18 Mener les hommes pour la première fois 5. Le devoir d’épanouissement de l’autre est pleinement rempli dès lors que les activités des commandos leur permettent de sonder 12 leurs limites, d’aller au bout de leurs capacités en ayant la certi- tude que ces efforts seront reconnus par leurs pairs et que ces épisodes ne sont que des étapes d’un parcours plus vaste sur lequel ils sont accompagnés et suivis. Une utopie pour venir à bout des travers humains ? Une réaction courante consiste à reconnaître les vertus d’une méthode pour immédiatement expliquer qu’elle ne peut pas s’appli- 362 quer à son domaine. On invoque tour à tour les défauts de ses colla- borateurs, l’inefficacité de l’organisation, le poids des contraintes. La liste peut s’allonger à l’infini pour justifier de poursuivre sur les errements antérieurs ou se limiter à appliquer des réformes clés en main en sous-traitant à des consultants faute d’avoir le temps de s’y consacrer en personne. Au bout du compte, les structures s’usent en querelles fratricides, en jalousies interservices et en frottements de toutes natures. On roule dans un autocar dont chaque passager tient un volant, un levier de vitesse et joue du frein et de l’accélérateur. Chacun est désespéré par l’inefficacité générale et considère qu’on sabote son travail. Le stress s’installe dans la meute sous la menace du mâle dominant dont on aimerait prendre la place avant qu’il ne nous mette à la porte. La peur retombe en pluie fine sur les niveaux subalternes qui somatisent les dysfonctionnements organisationnels pour la plus grande prospérité des psychanalystes et des laboratoires pharma- n° ceutiques. Évoquer le leadership façon « commando » dans ce contexte semble relever de l’utopie. Le poids des inerties se dresse comme un obstacle insurmontable et semble devoir le reléguer dans le placard des acces- © Groupe Eyrolles soires fantaisistes. Et pourtant. Si l’on essaye petit à petit, en montrant l’exemple d’en haut, de développer un climat de confiance, de transpa- rence en pénalisant systématiquement les attitudes individualistes - tirage n° 36212 Mener les hommes pour la première fois 19 et intéressées, en mobilisant les équipes autour d’objectifs clairs et réalistes, dans le respect de chacun, la révolution peut se mettre 12 en route. Au lieu de flatter le mauvais côté de chacun, on le pousse à prendre du plaisir à contribuer à sa mesure à l’œuvre collective. La méthode « commando » n’est rien d’autre qu’une démarche construite et éprouvée visant à obtenir le meilleur de chacun dans une adhésion entière aux objectifs collectifs. Mais pour y parvenir, la politique incantatoire n’est d’aucun secours. Il faut au contraire retrousser les manches et réapprendre à travailler ensemble avec loyauté. 362 Pour peu qu’on ne se décourage pas à la première déconvenue, les mentalités peuvent évoluer assez rapidement. L’essentiel est d’énoncer les nouvelles règles, non pas sous la forme d’un pro- gramme, mais une à une, progressivement, de les faire vivre au quotidien et de prêcher par l’exemple. La réussite dépend étroite- ment de l’implication durable des plus hauts échelons hiérarchi- ques, relayés sans faille jusqu’aux plus bas échelons. Les structures offrent une inertie au changement, mais savent percevoir quand le vent tourne. Il importe de faire en sorte que des faits concrets par lesquels on mesure la réalité d’une réforme apparaissent clairement aux yeux de tous. Les effets positifs ne sont alors pas longs à se manifester. La culture « commando » aide à trouver la manière de rendre fertile une terre en jachère. n° © Groupe Eyrolles - tirage n° 36212 12 362 n° - tirage n° 36212 12 Chapitre 1 Se préparer à commander On peut être né avec des qualités intrinsèques de chef, on n’est pas pour autant prêt d’emblée à en assumer les responsabilités. L’énergie et l’aptitude à rassembler doivent être canalisées en même 362 temps que se forgent les qualités intellectuelles et humanistes indis- sociables de la fonction dirigeante. Acquérir une culture générale Apprendre à se connaître soi-même Forger son esprit de décision Être en forme physique Développer son esprit critique et s’accoutumer à accepter celui des autres Se forger une éthique humaniste du commandement Apprendre à diriger le travail de groupe S’entraîner à dégager une vision Apprendre à dialoguer quel que soit l’interlocuteur Savoir développer une complicité avec ses collaborateurs n° Acquérir une culture générale « La véritable école du commandement est la culture générale », © Groupe Eyrolles Charles de Gaulle, Vers l’armée de métier. Ce thème d’apparence passe-partout est cependant essentiel. Il ne consiste pas à emboîter le pas de ceux qui font profession de constater - tirage n° 36212 22 Se préparer à commander le déclin du savoir et la décadence des mœurs. Il évoque simplement le caractère central de la culture générale dans la formation initiale et 12 permanente du chef. La culture générale n’est pas une simple accumulation de connais- sances pluridisciplinaires. Elle est le premier outil du chef pour appréhender la réalité complexe à laquelle il va se trouver confronté. Conçue comme une ouverture et non comme une fin, elle prépare à aborder l’inconnu avec curiosité, modestie et intérêt. Elle nourrit l’acceptation de cet inconnu comme une richesse, mais aussi comme une donnée incontournable. L’histoire, la géographie, les sciences 362 naturelles, le droit, les relations internationales, l’économie, la sociologie, les religions, sont autant de clés qui aideront le décideur à identifier les facteurs déterminants d’une situation et à mesurer l’influence qu’ils exercent sur sa propre action. La tentation est forte de trouver causes et justifications au sein de l’univers spécialisé dans lequel on se laisse enfermer. La culture générale en bouscule les limites et ouvre l’horizon. Elle est l’atout de ceux qui voient loin pour avoir observé les ruptures du passé et savent en déduire les indices de celles qui sont susceptibles de survenir dans le futur. C’est un éveil intellectuel, une perpétuelle remise en cause, un réflexe vital contre les lieux communs et les jugements hâtifs, un atout dans l’adversité, un raccourci vers les solutions, un avantage compétitif, un temps d’avance sur ceux qui découvrent les réalités au gré de l’actualité. Appétit de savoir plutôt que connaissance ency- clopédique, c’est une posture intellectuelle qui confère un avantage au moment où se présentent les difficultés. À l’instar de ces exer- n° cices de mathématiques que l’on pratique avant un concours, la culture générale prépare l’esprit à envisager les différents modes de résolution. Fort de cette souplesse d’esprit, le chef est en posture d’étudier toutes les hypothèses sans résistances culturelles ni a © Groupe Eyrolles priori. La culture générale exige un investissement initial. Les études faites à l’université ou en école y contribuent, mais ne sauraient constituer à - tirage n° 36212 Se préparer à commander 23 elles seules un socle suffisamment solide. L’effort doit se poursuivre en privilégiant deux voies particulières : le voyage et la littérature. 12 La littérature permet de se frotter à la multitude des sentiments hu- mains. Tout a été écrit sur les mobiles de l’homme. Lire, c’est absor- ber un concentré d’expérience : le jeu du pouvoir chez Shakespeare, le courage et l’abnégation chez Xénophon, l’amour, l’ambition, la jalousie chez Balzac, Maupassant… La littérature est l’oxygénation du chef. Tout en lui offrant une détente, elle déclenche en lui un pro- cessus d’éternelle curiosité et le nourrit. Le voyage est le complément indispensable de la littérature car il en 362 corrige les effets négatifs. Se limiter à la lecture aurait des effets stériles. On ne peut en rester à l’expérience des autres. Ce qui importe, c’est le vivant. Aller à la découverte d’autres modes d’orga- nisation sociale, d’autres attitudes, d’autres façons de penser, de se nourrir, d’exprimer son respect, ses sentiments, d’exercer le pouvoir, de faire des affaires, de pratiquer une religion, d’éduquer les enfants… accélère la compréhension de la complexité. Une semaine passée en Chine apporte plus que la lecture de dix monographies. Les grands groupes modernes ne s’y trompent pas en organisant des learning expeditions1 pour leurs futurs dirigeants en alliant culture générale, culture d’entreprise et connaissance de soi. Le voyage renforce la base sur laquelle on bâtit. Il offre un parcours initiatique qui aide à grandir en embrassant plus large, à l’instar de ces enfants d’industriels que les familles les plus avisées faisaient embarquer autrefois comme mousses à bord de grands voiliers. Le tour du monde dans un environnement exigeant valait diplôme d’aptitude n° aux fonctions de futur capitaine d’industrie. Mais la culture générale ne saurait se limiter à un acquis de départ. Sans travail, elle s’érode. Le futur chef doit prendre l’habitude de rechercher le contact, de recueillir des témoignages, de s’intéresser à © Groupe Eyrolles l’expérience, aux activités des autres, c’est une courtoisie en même 1. Littéralement, des « expéditions apprenantes ». - tirage n° 36212 24 Se préparer à commander temps qu’une démarche utile. Un jour peut-être il aura affaire à eux. Au minimum, il s’enrichira de leurs raisonnements et apprendra à 12 connaître leurs objectifs et leurs méthodes. On trace son propre chemin en apprenant des autres. Cette quête ne doit prendre fin qu’au dernier jour de sa vie. Apprendre à se connaître soi-même C’est sans doute l’exercice le plus difficile. Le naturel humain oscille entre la surévaluation et la sous-estimation de soi. Les facteurs psy- chologiques et affectifs conditionnent étroitement ce sentiment. 362 Inutile de revenir sur les nombreuses recherches menées dans ce domaine. L’essentiel est de trouver des repères rustiques et d’adopter une démarche pragmatique. Pour savoir qui l’on est, la sagesse conseille en premier lieu de prendre ses distances vis-à-vis des contraintes sociales. Peu importe que l’on soit plus ou moins intelligent que ses parents, que ses frères et sœurs, que le premier de la classe… Il convient de se placer dans un univers plus large où les talents se mesurent sur une échelle plus diversifiée. Élargir son cercle d’amis et celui de ses activités est ici d’un grand secours. Les tribus ont ceci de négatif qu’on y a une place assignée. En sortir ouvre l’horizon des possibles et multiplie les hiérarchies de référence. Tout le monde a eu les oreilles rebattues par l’histoire du borgne roi au royaume des aveugles. Tout compte fait, il n’est peut-être pas inutile de lui consacrer un peu d’attention. Si l’on parvient à accéder à ce premier palier de liberté, il faut n° accepter ensuite de se livrer à un voyage intérieur. Tout d’abord, il faut examiner ses penchants naturels : j’aime lire ou pas, j’aime les maths ou pas, je suis organisé ou pas, sportif ou pas… Prendre d’emblée le contre-pied de ses penchants naturels est une © Groupe Eyrolles erreur. On ne devient pas un leader charismatique parce qu’on est l’enfant d’un leader charismatique. Rien de pire que ces obligations dynastiques qui ont condamné des générations d’enfants à devenir - tirage n° 36212 Se préparer à commander 25 officiers, médecins, avocats ou commerçants pour se conformer à une tradition familiale. Outre le désagrément personnel que cela peut 12 engendrer, c’est une source de contre-performance. On n’atteint jamais l’excellence à contre-rôle. Pour être un chef, il faut d’abord avoir envie de l’être, puis être capable de le devenir. On ne le devient pas non plus parce que c’est le but ultime d’un beau parcours commencé à l’école. Conquérir une place de chef n’est pas en devenir un. Puis, il faut se mettre à l’épreuve, toutes les épreuves possibles, pourvu qu’elles aident à révéler un pan de notre personnalité. Épreuves physiques pour connaître ses limites, notamment celles de 362 sa volonté ; épreuves morales et psychologiques pour savoir à partir de quand on cesse de s’intéresser aux autres pour ne plus penser qu’à soi ; épreuves intellectuelles pour mesurer ses facultés d’ana- lyse, de synthèse, de maîtrise des sciences, des arts, de choix dans l’extrême pour apprécier son aptitude à la décision. Les écoles mili- taires ont une certaine expérience dans ce domaine, qui fait la part de ceux qui donneront le meilleur d’eux-mêmes dans les fonctions opérationnelles, logistiques ou administratives. La vie ordinaire offre un complément d’épreuve à travers l’amitié, l’amour, les relations sociales. Il faut en décrypter les événements non pas sous forme d’auto-justification, mais en s’efforçant d’iden- tifier nos ressorts intimes, ceux qui orienteront nos décisions et guideront nos attitudes. Pas de connaissance de soi sans un minimum d’honnêteté intellec- tuelle. Le conditionnement dans lequel on se laisse enfermer n’y n° conduit pas naturellement. Aussi est-il utile de se faire aider, au moins au début. Les sports de l’extrême, la vie de groupe sont égale- ment d’un apport appréciable en ce qu’ils sanctionnent nos agisse- ments en permanence. L’expérience aidant, l’autonomie de jugement et l’auto-jugement deviennent possibles. © Groupe Eyrolles Enfin la connaissance de soi provient également du reflet donné par le regard des autres. Il faut savoir entendre ce que, souvent, on ne - tirage n° 36212 26 Se préparer à commander nous dit pas. Une personne peut se tromper à notre sujet, le milieu dans lequel on évolue peut aussi avoir intérêt à infléchir notre 12 comportement par un regard normatif et conformiste. Mais, l’expé- rience aidant, il devient possible de faire la part des choses. Les signaux faibles émanant de notre entourage finissent par renvoyer une image fidèle. De plus, le naturel revenant toujours au galop, on ne peut pas abuser tout le monde tout le temps. La réalité de ce que nous sommes se dessine finalement dans les yeux de nos parte- naires par un effet de miroir. À l’issue de cette quête, une fois établis les contours de notre 362 personnalité, il faut vivre avec, sans orgueil ni dégoût. C’est la prin- cipale leçon de réalisme de la vie que d’accepter de vivre avec soi- même en toute connaissance de cause. Il est moins dangereux de piloter un vieux coucou en sachant ce qu’il en est que de s’imaginer, à tort, être aux commandes d’un avion supersonique. La bonne connaissance de ses performances et de ses limites permet d’établir correctement le plan de vol. Forger son esprit de décision La première chose qu’on demande à un chef, c’est de décider avec courage et lucidité. Avec lucidité car la décision est toujours un choix entre plusieurs options concurrentes qui ne manquent pas d’intérêt. Chacune a ses partisans, ses arguments, ses points forts. La lucidité est le fruit de la mobilisation de son savoir, de son jugement, le résultat d’un raisonnement stratégique, le fruit d’une vision d’avenir, n° d’un exercice de synthèse. Il ne faut pas la confondre avec cet éclair de génie, attendu comme un oracle par certains « décideurs ». Dans le meilleur des cas, cet éclair n’est qu’une bonne intuition et dans le pire une partie de poker menteur. © Groupe Eyrolles La lucidité se forge à l’expérience. Elle est d’autant plus vive que le jeune chef aura bénéficié préalablement de l’exemple et des conseils d’un parrain plus âgé ayant fait ses preuves. Les princes les plus - tirage n° 36212 Se préparer à commander 27 avisés se sont efforcés dans le passé de préparer leur progéniture à régner. De grands capitaines d’industrie en ont fait autant, Gallieni et 12 Lyautey instillèrent leurs prop