Les mots de la maternelle PDF

Summary

Ce document est un guide pour l'enseignement du vocabulaire aux enfants en école maternelle. Il aborde les méthodes pour enrichir le vocabulaire et les capacités langagières des élèves, en prenant en compte le contexte social et familial de chaque enfant. Le guide met l'accent sur l'importance de l'interaction quotidienne et des supports d'apprentissage motivants.

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Les mots de la maternelle Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse p. 1 Sommaire Introduction................................................................................................................................. 3 Chapitre 1 : L’apprentissage de la langue...............

Les mots de la maternelle Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse p. 1 Sommaire Introduction................................................................................................................................. 3 Chapitre 1 : L’apprentissage de la langue.................................................................................... 4 Chapitre 2 : Concevoir l’enseignement du vocabulaire à l’école maternelle............................... 10 Chapitre 3 : Mettre en œuvre l’enseignement du vocabulaire dans une classe de maternelle... 22 Bibliographie et outils de référence............................................................................................ 61 p. 2 Introduction Chaque enfant enrichit son vocabulaire par l’usage, l’échange, dans des situations variées où le langage parlé est nécessaire. Le contexte de développement a donc une grande influence. L’attention portée au langage de l’enfant, le temps et les aides dont il bénéficie ou pas dans sa famille, l’exigence de précision qui lui est demandée, les milieux professionnels et sociaux où évoluent ses proches, sont parmi les composantes de ce contexte. Le rôle de l’école, et singulièrement de l’école maternelle, a toujours été d’enrichir le langage de l’élève, de systématiser l’étude du lexique et de la langue, pour développer sa capacité de dire le monde. Le temps de l’école maternelle correspond, dans le développement de l’enfant, à une période d’explosion lexicale. C’est donc le moment idéal qu’il faut mettre à profit pour aider tous les enfants à élargir leur capital lexical, leur vocabulaire. De nombreuses recherches montrent ce que l’expérience et la connaissance empirique laissent supposer : l’étendue du vocabulaire à l’école maternelle est un facteur prédictif de la réussite scolaire. 1 Alain Lieury a montré que les corrélations entre réussite scolaire et connaissances lexicales sont plus élevées que celles que l’on peut établir entre réussite scolaire et niveau intellectuel. Pour l’école, c’est un fait majeur qui renforce, s’il en était besoin, la nécessité de travailler le lexique avec les élèves pour augmenter fortement le vocabulaire de chacun d’eux. Dans la mesure où les mots disponibles pour l’élève conditionnent ses capacités de compréhension orale, ils conditionnent également sa capacité future d’apprentissage de la lecture 2 et de compréhension à l’écrit. En effet, « Compréhension écrite = décodage x compréhension orale ». Sur la base du vocabulaire d'abord acquis à l'oral à l’école maternelle, l'enfant sera en capacité d’établir des liens entre le mot décodé au cours préparatoire et son lexique mental déjà bien constitué. Il est donc nécessaire de créer les conditions qui permettent aux élèves dont les connaissances sont faibles d’enrichir et d’augmenter rapidement leur vocabulaire et leurs capacités d’inférer le sens des mots à partir d’indices progressivement travaillés. Chaque jour, dans toutes les situations d’apprentissage, mais aussi dans les échanges du quotidien et grâce aux histoires que le professeur raconte ou lit, les enfants découvrent de nouveaux mots qu’ils doivent réutiliser pour s’exprimer et se faire comprendre. Une simple exposition se révèle toutefois nettement insuffisante pour s’approprier un vocabulaire suffisamment riche. L’enrichissement lexical implique un enseignement explicite et dirigé de cet apprentissage avec des séquences spécifiques, des activités régulières de classification, de mémorisation de mots, de réutilisation de vocabulaire et d’interprétation de termes inconnus à partir de leur contexte ou de leur morphologie. L’un des défis de l’enseignement du vocabulaire se situe dans cet équilibre qu’il faut trouver entre la compréhension des mots en contexte et la réutilisation efficace des mots appris en dehors du contexte d’apprentissage. Les séances d’enseignement prennent généralement appui sur des supports d’apprentissage motivants (contes, textes de littérature de jeunesse, études d’œuvres d’art, etc.) mais aussi dans l’attention à l’emploi des mots justes dans l’interaction quotidienne, notamment avec les plus petits. La subtilité de cet enseignement réside donc dans la capacité à concevoir des apprentissages progressifs et structurés, en variant les contextes d’utilisation des mots pour faciliter l’apprentissage de leur sens. Cette publication de référence se propose de guider les professeurs dans la mise en œuvre de démarches d’enseignement au service des acquisitions lexicales. 1 Alain Lieury, Philippe Van Acker, Marielle Clévédé, Paul Durand, Les facteurs de la réussite scolaire : raisonnement ou mémoire sémantique ?, 2ème année d’une étude longitudinale en cycle secondaire (5ème), Psychologie et psychométrie, 1992. 2 Pédagogies et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ? Analyse menée en 2018-2019 par le groupe de travail Pédagogies et manuels scolaires du Conseil scientifique de l’éducation nationale (Csen), en collaboration avec l’académie de Paris p. 3 Chapitre 1 : L’apprentissage de la langue Il est important de bien comprendre ce que recouvrent les mots « langage oral» pour structurer l’enseignement auprès des enfants. Il existe en premier lieu un système linguistique. Propre à chaque langue, il définit les mots (lexique) et les règles (syntaxe) qui permettent d’ordonner les mots pour transmettre du sens (le français, l’anglais). Chaque langue repose sur un choix particulier de sons, ou phonèmes, et sur des règles pour les organiser (anglais et français n’utilisent par exemple, pas les mêmes sons pour construire des mots (le /u/ français n’existe pas en anglais et le /th/ anglais n’est pas utilisé en français ; aucun mot français ne commence par /tl/, une suite de phonèmes pourtant possible au milieu du mot comme dans atlantique). Ces sons et règles constituent la phonologie de la langue. Ce système linguistique ne suffit pas, car parler ou écrire ne sont pas des actes gratuits, et donc il est à l’interface avec deux autres systèmes, qui eux ne sont pas spécifiques d’une langue mais universels: un système symbolique et conceptuel (les idées que l’on veut transmettre) et un système social (les autres êtres humains à qui nos messages sont adressés). Chez la plupart des humains, c’est bien sûr la parole, ou langage oral, qui est le moyen essentiel de communication. Le bébé découvre très rapidement que la parole n’est pas seulement un bruit que l’on fait avec sa bouche mais un moyen pour échanger des informations avec les autres et apprendre sur le monde grâce aux autres. Cette découverte existe bien avant que l’enfant entre à l’école, mais l’école décuple cette faculté d’apprentissage en systématisant ce partage d’information entre adultes et enfants et en faisant découvrir aux enfants de nouveaux mots, donc de nouveaux concepts. Le rôle de l’école maternelle est donc d’agir à ces trois niveaux : 1) Améliorer l’aisance de l’enfant dans sa manipulation du système linguistique. Deux éléments clés continuent à s’améliorer entre 3 et 6 ans, la mémoire verbale et la syntaxe qui vont permettre de passer des courtes phrases, le plus souvent à la forme active, de la petite section à des phrases longues et complexes à la fin de la grande section. 2) Enrichir les concepts et donc le vocabulaire pour parler des formes et des nombres, du temps, de l’espace, et des nombreuses catégories d’objets, d’animaux, et de bien d’autres choses encore. Les mots ne sont pas vains. Ils nomment les choses. Enrichir le vocabulaire améliore donc la compréhension du monde par l’enfant. 3) Favoriser l’aisance sociale en dehors du cercle familial. En entrant à l’école maternelle, les enfants quittent la sphère familiale. Les us et coutumes de la famille peuvent être très éloignés de ce qu’attend l’école, notamment si la famille vient d’une autre culture, ou si les mots utilisés par la famille diffèrent de ceux de l’école. Mais pour tous les enfants, l’entrée à l’école représente une étape importante pour laquelle ils ont des attentes. L’enfant n’est pas passif vis-à-vis des situations qu’il rencontre. Il a des a priori sur ce qu’il doit, ou peut, apprendre dès la petite section. Ces a priori sont bien sûr modelés par la famille, mais aussi par l’équipe pédagogique. Ils ne s’appuient pas uniquement sur le retour verbal mais sur l’ensemble des attitudes familiales et de l’école elle-même vis-à-vis des apprentissages et vis-à-vis de l’enfant lui-même, comme capable d’apprentissage. p. 4 Quelques rappels sur l’acquisition du langage Tout enfant, sauf en cas de pathologie, apprend spontanément sa langue maternelle. Cet apprentissage commence dès la naissance, et sans doute dans les dernières semaines de la grossesse quand l’oreille et le cerveau sont assez développés pour percevoir, traiter et mémoriser les sons qui traversent le milieu amniotique du fœtus. Il existe plus de 6000 langues actuellement dans le monde sans compter les langues éteintes et celles qui apparaitront. Le langage est un système extrêmement puissant qui repose sur la capacité des humains à moduler des sons et à les combiner dans des séquences pour transmettre un sens. Chaque langue n’utilise qu’une partie de toutes les combinaisons qui seraient possibles. Les combinaisons choisies ne sont pas aléatoires mais obéissent à des règles (C’est le champ de la linguistique de comprendre quelles sont ces règles, comment elles évoluent et pourquoi les langues se transforment). Pour le bébé, il s’agit d’apprendre quels sont les sons utilisés dans sa langue maternelle et comment ils peuvent se combiner pour faire des mots. C’est ce qu’il fait au cours de la première année de vie. Il devient alors moins sensible à des sons utilisés par d’autres langues qui ne sont pas présents dans la langue de son environnement. Les petits japonais perdent la capacité à distinguer /r/ et /l/ et les petits français à percevoir l’accent du mot qui est fixe en français (sur la dernière syllabe) alors qu’il est variable dans beaucoup d’autres langues (anglais, espagnol par exemple). Par ailleurs, il repère que certaines combinaisons reviennent fréquemment comme son prénom, des mots comme « bisous », « papa », « maman », « biberon », etc…. A cet âge, commence la relation entre le système linguistique et le système conceptuel car le bébé comprend non seulement que les syllabes « ma » et « man » sont fréquentes mais aussi qu’elles réfèrent à une personne, donc que ces bruits 3 arbitraires représentent quelque chose d’autre qu’eux-mêmes. Le bébé découvre que la parole est une source d’information sur le monde et il va utiliser très vite cet outil pour s’aider à catégoriser les objets. Par exemple, dans une expérience on place un bébé face à un rideau (comme une scène de théâtre), et une main sort un objet A (un canard) de derrière le rideau, puis le replace ; puis on sort un objet B (un camion) et on le replace derrière le rideau ; puis on lève le rideau pour révéler soit deux objets (un canard et un camion), soit un seul : jusqu’à l’âge de 1 an, le bébé n’est pas surpris de ne voir qu’un seul objet (comme si les canards pouvaient se transformer en camions) ; mais si les deux objets A et B sont nommés au moment où ils apparaissent (« un canard », « un camion »), les enfants sont surpris de ne 4 voir que l’un ou l’autre quand le rideau se lève. Ceci n’est pas lié au fait d’avoir ajouté de la parole car si les deux objets sont nommés de la même façon (« un jouet »), les bébés ne sont pas sensibles à la différence entre les deux objets. Le fait de nommer les deux objets par deux noms différents attire leur attention sur le fait qu’il y a deux catégories d’objets et donc qu’ils ne peuvent se transformer l’un dans l’autre. Cet exemple a une portée générale retrouvée dans beaucoup d’études : nommer d’un même nom différents exemplaires d’une catégorie d’objets aide les enfants à découvrir les caractéristiques communes à ces objets qui définissent la catégorie (par exemple différents oiseaux ont tous des ailes), et ce mot les aide à mémoriser la catégorie (il existe des animaux qui sont des oiseaux). Enrichir le vocabulaire attire donc l’attention de l’enfant vers des aspects du monde. Il profite de ce que les autres ont déjà découvert. De fait, lorsque les enfants (typiquement entre 2 et 4 ans) passent leur temps à demander à leur entourage ‘c’est quoi ça ?’, ils en retirent beaucoup plus d’information que juste le nom d’un objet. On s’en 3 Bergelson, E., & Swingley, D. (2012). At 6-9 months, human infants know the meanings of many common nouns. Proceedings of the National Academy of Sciences, 109(9), 3253–3258. https://doi.org/10.1073/pnas.1113380109 Bergelson, E., & Swingley, D. (2013). The acquisition of abstract words by young infants. Cognition, 127(3), 391–397. https://doi.org/10.1016/j.cognition.2013.02.011 4 Xu, F. (2002). The role of language in acquiring object kind concepts in infancy. Cognition, 85(3), 223–250. p. 5 rend compte en comparant deux cultures : prenons l’exemple d’un enfant qui vit en ville, il pointe vers un arbre en disant ‘c’est quoi ça ?’, et on lui répond ‘c’est un arbre’ ; puis vers un autre arbre, et on lui répond à nouveau ‘c’est un arbre’. Cet enfant n’aura pas seulement appris que les arbres s’appellent ‘arbre’, il saura aussi qu’il n’a pas besoin de prêter attention aux différences entre les arbres (différentes feuilles, écorce, etc.). Au contraire, dans une communauté de chasseurs-cueilleurs où la subsistance repose sur la reconnaissance fine de nombreuses plantes, chaque arbre (fleur, plante) recevra son propre nom, et l’enfant saura qu’il doit prêter attention aux différences fines entre ces objets. Comment apprendre les mots ? On estime entre 50 000 à 100 000 mots le vocabulaire d’un être humain adulte, ce qui conduit à estimer que les enfants apprennent en moyenne 10 mots nouveaux par jour. Tout comme les adultes lorsqu’ils rencontrent un mot nouveau, les enfants apprennent le sens des mots grâce à leur contexte. Par exemple, si un garagiste explique à un client que la calandre de sa voiture est cassée, même si ce client ne connaît pas le mot ‘calandre’ au début de la conversation, il en aura au bout de quelques minutes une idée assez claire (que c’est une pièce de du moteur, sa fonction, sa forme, etc.). Mais la tâche est plus facile pour un adulte qui connaît tous les mots sauf un dont il est en train d’apprendre le sens, que pour les enfants qui ont énormément de mots nouveaux à apprendre. De nombreuses expériences ont montré que les enfants utilisent un faisceau d’indices pour deviner le sens des mots : le contexte linguistique (la phrase dans lequel le mot se trouve), le contexte visuel (ce qui se trouve autour d’eux), des indices sociaux (la direction du regard de leur interlocuteur, par exemple). Ainsi, des enfants de 18 mois à qui on montre une vidéo d’un pingouin qui saute, pensent que ‘bamoule’ veut dire ‘saute’ s’ils entendent ‘oh regarde, elle bamoule !’, mais que ‘bamoule’ veut dire 5 ‘pingouin’ s’ils entendent ‘oh regarde, c’est une bamoule !’. Ils sont donc capables d’inférer qu’un mot nouveau, comme ‘bamoule’, désigne une action s’il est présenté dans une phrase où il occupe la position d’un verbe (après un pronom personnel), mais un objet s’il est présenté dans une phrase où il occupe la position d’un nom (après un article). Des enfants de 19 mois, quant à eux, sont capables d’inférer que ‘bamoule’ est un animal et pas un objet inanimé, s’ils ont entendu auparavant une phrase comme ‘la 6 bamoule pleure’ (mais ne savent pas de quel côté regarder si on leur a dit ‘la bamoule est là’). Ils sont donc capables d’utiliser l’information que le sujet d’un verbe comme ‘pleurer’ est un être animé, pour inférer des propriétés du nouveau mot bamoule, et donc son sens probable. Cela fonctionne aussi pour des mots plus abstraits, qui sont difficiles à observer, comme ‘penser’ ou ‘croire’ : en effet, on peut dire ‘je pense qu’il fera beau demain’ ou ‘je donne un livre à Pierre’, mais pas ‘je donne qu’il fera beau demain’ ou ‘je pense un livre à Pierre’ Le fait qu’un verbe puisse prendre une proposition entière comme complément (‘qu’il fera beau demain’) donne une information importante sur son sens possible : c’est forcément un verbe de pensée (penser, croire, espérer…), ou un verbe de communication (dire, crier…), et cela est vrai dans toutes les langues du monde, puisque ça fait partie même du sens de ces verbes (on peut penser à un événement entier, qui sera décrit par une proposition 7 entière). 5 He, A. X., & Lidz, J. (2017). Verb Learning in 14- and 18-Month-Old English-Learning Infants. Language Learning and Development, 13(3), 335-356. https://doi.org/10.1080/15475441.2017.1285238 6 Ferguson, B., Graf, E., & Waxman, S. R. (2014). Infants use known verbs to learn novel nouns: Evidence from 15- and 19-month-olds. Cognition, 131(1), 139-146. https://doi.org/10.1016/j.cognition.2013.12.014 7 Gleitman, L. (1990). The Structural Sources of Verb Meanings. Language Acquisition, 1(1), 3–55. https://doi.org/10.1207/s15327817la0101_2 Fisher, C., & Gleitman, L. R. (2002). Language Acquisition. In Stevens’ Handbook of Experimental Psychology. https://doi.org/10.1002/0471214426.pas0311 p. 6 Entrer en communication : l’attention conjointe En ce qui concerne le rôle des indices sociaux, dès l’âge d’un an les enfants peuvent suivre le regard de leur interlocuteur, et également un signe de pointage du doigt vers un objet. Par exemple, si un adulte regarde alternativement un objet et l’enfant, en lui donnant un nom pour cet objet (‘oh, regarde, c’est un camion !’), l’enfant va suivre son regard et attacher le mot en question à l’objet qui est le focus de l’attention partagée ; et il est très facile pour l’adulte de voir si l’enfant suit son regard ou non. Si l’enfant prête attention à autre chose et ignore ce sur quoi on essaye d’attirer son attention, il vaut mieux se mettre à parler de ce à quoi il prête attention. Nommer les objets de l’univers familier de l’enfant, puis les situations, y associer l’enfant, se fait spontanément dans ce cadre. Pour illustrer le fait que l’enfant suit l’attention de l’adulte, l’expérience du téléphone est intéressante : un expérimentateur joue avec deux objets, un objet familier (ex. une balle), et un objet nouveau (ex. un nouveau jouet) ; dans une condition expérimentale, après avoir joué avec la balle et l’avoir nommée, il regarde le nouveau jouet et le nomme avec un mot nouveau (‘oh regarde, c’est une bamoule ! qu’est-ce qu’elle est belle cette bamoule ! etc…) ; dans l’autre condition expérimentale, juste au moment où il allait nommer le nouveau jouet, le téléphone sonne ; l’expérimentateur se lève, prend son téléphone, parle au téléphone sans regarder l’enfant ni le nouveau jouet, et il dit exactement la même chose (‘oh regarde, c’est une bamoule ! qu’est-ce qu’elle est belle cette bamoule !’). Dans les deux conditions, l’enfant prête attention au nouveau jouet. Mais quand on teste si l’enfant a appris le sens du mot ‘bamoule’ (est-ce qu’il regarde le nouveau jouet quand on lui dit ‘regarde la bamoule !’), seuls les enfants de la première condition l’ont appris. Ceux de la deuxième condition ont inféré que puisque l’adulte parlait au téléphone, 8 il n’était pas en train de s’adresser à eux, et que ce n’était pas le moment d’apprendre quelque chose. Toutes ces expériences mènent à deux conclusions principales : tout d’abord, lorsque les enfants apprennent le sens d’un mot, c’est grâce à un véritable processus d’inférence (ils calculent le sens le plus probable pour ce mot, dans son contexte au sens large), et pas une simple association entre un son et un stimulus visuel. Deuxièmement, le contexte linguistique d’un mot fournit énormément d’information sur le sens possible de ce mot (un objet vs une action, un être animé vs un objet inanimé, un verbe de pensée vs un verbe de transfert, etc…). Ce deuxième point amène lui-même une interrogation : si le contexte linguistique des mots est si informatif, comment ont fait les enfants pour apprendre les propriétés des contextes ? Par exemple, comment ont-ils appris que s’ils entendent ‘elle bamoule’, ‘bamoule’ réfère probablement à une action ? Cela vient du fait que les enfants démarrent leur apprentissage avec une poignée de mots très concrets, fréquents, facilement observables dans leur environnement (biberon, doudou, manger ou boire), et en 9 effet dès l’âge de 6 mois on peut observer des traces de connaissances pour ce type de mot. Puis, ils mémorisent les contextes dans lesquels ces mots se produisent (ex : elle mange, elle boit), et peuvent ensuite inférer, lorsqu’ils entendent un mot nouveau, comme ‘elle bamoule’, que ‘bamoule’ est un mot qui partage des propriétés sémantiques avec les mots qu’ils connaissent déjà (‘bamoule’ est semblable à ‘manger’ et ‘boire’, c’est aussi une action). Pour tester si cette hypothèse est plausible, une expérience récente a entrepris d’enseigner à des bébés de 20 mois des nouveaux contextes linguistiques, en utilisant une langue qui est presque le français, avec deux articles supplémentaires (du français ‘augmenté’). Dans ce pseudo-français, tous les mots qui réfèrent à des animés sont précédés par l’article ‘ko’, et tous ceux qui réfèrent à des objets inanimés, par l’article ‘ka’. Les enfants commencent par regarder une petite vidéo 8 Baldwin, D. A., Markman, E. M., Bill, B., Desjardins, R. N., Irwin, J. M., & Tidball, G. (1996). Infants’ Reliance on a Social Criterion for Establishing Word-Object Relations. Child Development, 67(6), 3135-3153. https://doi.org/10.1111/j.1467-8624.1996.tb01906.x 9 Bergelson, E., & Swingley, D. (2012). At 6-9 months, human infants know the meanings of many common nouns. Proceedings of the National Academy of Sciences, 109(9), 3253–3258. https://doi.org/10.1073/pnas.1113380109 Bergelson, E., & Swingley, D. (2013). The acquisition of abstract words by young infants. Cognition, 127(3), 391–397. https://doi.org/10.1016/j.cognition.2013.02.011 p. 7 où une dame joue avec des peluches d’animaux et des objets, qui sont connus par les enfants (ex : oh, regarde ko poule, elle lit ka livre ! ko poule appelle ko petit lapin. Ko lapin va monter dans ka voiture…). Puis, au moment du test, on leur présente un mot nouveau, en leur laissant un choix entre un nouvel animal, et un nouvel objet inanimé ; lorsqu’ils entendent ‘oh regarde ko bamoule !’, les bébés de 20 mois 10 regardent plus le nouvel animal, que lorsqu’ils entendent ‘oh regarde ka pirdale !’. Cette expérience montre que les jeunes enfants exploitent des mots qu’ils connaissent déjà pour inférer des propriétés des nouveaux articles qui leur sont présentés ; puis, ils utilisent les nouveaux articles pour inférer des propriétés de mots nouveaux. On voit donc que l’apprentissage du sens des mots est le résultat d’un cercle vertueux, où la connaissance d’un petit nombre de mots permet d’apprendre certains éléments de syntaxe, qui permettent d’apprendre plus de mots, etc. Tous ces résultats ont des conséquences directes sur les conditions qui vont permettre un apprentissage des mots réussis: pour enseigner un mot nouveau à un enfant, il faut capter son attention, puis lui présenter ce mot dans des contextes variés, pour réduire l’ambiguïté, et lui permettre de ‘trianguler’ au mieux le sens le plus probable du mot. Et pour qu’il puisse apprendre les propriétés des contextes linguistiques, il faut lui présenter des mots qu’il connaît déjà, dans des contextes variés. Différence de niveau verbal entre enfants De nombreuses études internationales ont noté le décalage de niveau verbal entre enfants. Or le niveau verbal est un des facteurs influençant l’apprentissage de la lecture, l’autre étant la capacité à manipuler les sons de la parole (syllabes puis phonèmes). En effet, le langage écrit est plus soutenu que le langage oral et il est plus facile d’être efficace dans le décodage si on retrouve des mots et tournures de phrases que l’on connait déjà que seulement si le résultat du décodage aboutit à obtenir un mot que l’on ne connait pas. Les études ont expliqué la différence de niveau verbal entre enfants non seulement par la quantité de 11 langage auquel ils ont été exposés mais surtout par sa qualité. En moyenne, les parents issus de catégories socio-professionnelles favorisées et qui ont un niveau de diplômes plus élevé parlent plus à leur enfant, mais surtout utilisent un vocabulaire plus riche et plus divers en types de mots, répondent en continuant sur la topique ouverte par l’enfant et ont moins de phrases ayant pour but de diriger le comportement de l’enfant. Les mots d’encouragement sont plus nombreux avec moins de phrases d’interdiction. Les différences ne concernent pas que le vocabulaire mais aussi la longueur et la richesse de la syntaxe. Il existe une relation significative entre la fréquence de phrases complexes utilisées par les 12 parents, mais aussi les enseignants, et celles produites par les enfants de 4 ans. Il se met alors en place une boucle vertueuse, car les adultes complexifient leur production en fonction du niveau de l’enfant. Donc les enfants utilisant des phrases plus longues et complexes ont des réponses de l’adulte elles-aussi plus complexes, ce qui les amène à progresser. Il faut donc toujours se placer un peu au-delà de la production de l’enfant et donc se trouver pour ainsi dire « sur la marche supérieure » pour attirer la production de l’enfant plutôt vers ce niveau plutôt. Les enfants qui possèdent tôt un riche vocabulaire acquièrent plus facilement de nouveaux mots et aussi comprennent plus facilement et donc plus vite des phrases plus complexes. En pratique, pour que les enfants apprennent il faut leur proposer une activité qui contient juste ce qu’il faut d’éléments nouveaux : si l’enfant connaît tout, il n’apprendra rien; s’il ne connaît rien, il n’apprendra 10 Barbir, Monica (2019). The way we learn. Thèse de doctorat, Université PSL, Paris. 11 Voir review de Schwab, J., & Lew-Williams, C. (2016). Repetition across successive sentences facilitates young children’s word learning. Developmental Psychology, 52(6), 879-886. 12 Huttenlocher, J., Vasilyeva, M., Cymerman, E., & Levine, S. (2002). Language input and child syntax. Cognitive Psychology, 45(3), 337-374. https://doi.org/10.1016/S0010-0285(02)00500-5 p. 8 rien non plus. Imaginons une enseignante qui lit à sa classe une histoire écrite dans un langage soutenu, avec du vocabulaire choisi, sans leur montrer d’images : les enfants qui ont un niveau de langage suffisant vont comprendre l’histoire, l’apprécier, et apprendre des éléments de langage qu’ils ne connaissaient pas encore ; ceux qui n’ont pas un niveau de langage suffisant ne vont rien comprendre, se désintéresser de l’histoire, et arrêter d’écouter. C’est toute la difficulté de l’enseignant qui fait face à toute une classe avec des niveaux de langage très variés, parce que les enfants ont des âges différents, et ne reçoivent pas tous la même exposition au français à la maison (à l’extrême, certains n’entendent pas du tout de français à la maison, parce que ce n’est pas la langue de leurs parents). Dans ces cas, il faut pouvoir repérer les enfants qui décrochent, et ménager du temps en petits groupes, voire en tête-à-tête, pour leur proposer des activités avec un niveau de langage qui leur permette de faire décoller leur système d’apprentissage du langage, jusqu’à ce qu’ils puissent rattraper leurs pairs dans les activités communes. Il convient avec de très jeunes enfants d’éviter les messages ambigus et de ne pas surestimer la capacité des enfants scolarisés à l’école maternelle à comprendre le second degré. Les écarts qui se veulent de l’ironie ou de l’humour placent les enfants en difficultés ; ils mettent beaucoup de temps à dépasser le sens littéral et à interpréter des phrases qui peuvent être contradictoires entre mots et intonation, comme « Quel méchant garçon ! » dit avec tendresse. Autre source de difficulté : jouer sur l’écart entre le sens littéral des mots et le sens dans la phrase grâce à l’intonation (une phrase négative avec une intonation positive), utiliser des références culturelles que l’on imagine connues de tous (par exemple : « tu crois au Père Noël ! »). p. 9 Chapitre 2 : Concevoir l’enseignement du vocabulaire à l’école maternelle L’enseignement du vocabulaire à l’école maternelle a pour finalité de permettre à tous les élèves de mieux communiquer, de comprendre et de se faire comprendre et, à l’issue des trois années, leur permettre d’entrer dans la lecture au CP. Les démarches les plus efficaces associent un enseignement structuré, régulier et explicite, des situations multiples d’interactions individuelles et collectives ainsi qu’une attention particulière à l’appropriation des mots. L’enseignement du vocabulaire à l’école maternelle Les premières étapes de l’acquisition du langage chez l’enfant se font avant son entrée à l’école, car dès sa naissance, il est entré dans un processus de communication avec son entourage. Ce processus est le moteur du développement langagier. Les mots apparaissent pour encoder et désigner les objets familiers, les principales personnes de l’entourage, et progressivement les états et les changements d’état de ces objets et personnes, les actions que les personnes effectuent sur les objets et les sentiments immédiats 13 de ces personnes. En éprouvant ses habiletés de communication et en découvrant leurs effets, l’enfant devient progressivement conscient de ses capacités langagières : autour de quatre ans, les enfants découvrent que les personnes, dont eux‐mêmes, pensent et ressentent, et chacun différemment de l’autre. Ils commencent donc à agir volontairement sur autrui par le langage et à se représenter l’effet qu’une parole peut provoquer : ils peuvent alors comprendre qu’il faut expliquer et réexpliquer pour qu’un interlocuteur comprenne, et l’école doit les guider dans cette découverte. Ils commencent à poser de vraies questions, à saisir les plaisanteries et à en faire. Dès lors que l’enfant dispose de cette capacité, l’enseignant doit s’interdire toute forme de connivence dans l’échange pour conduire l’élève à dire ce qu’il veut dire. Il faut donc lui laisser le temps, ne pas le couper, ni terminer son propos à sa place, sans quoi très vite, le très jeune élève s’adapte et se contente d’évoquer au lieu de dire, ou de dire ce qu’il croit que l’enseignant attend. En effet, « 30% des élèves ne prennent pas la parole et la longueur moyenne des interventions des autres élèves est de 6 à 8 mots, bien loin de ce qui serait nécessaire pour construire les phrases complexes ou acquérir les compétences discursives raconter, décrire, expliquer etc. attendues en grande 14 section par le programme (2015) pour l’école maternelle. » Des enjeux pour le langage oral et la lecture La pédagogie du langage doit aider l’enfant à passer de la simple conversation ancrée dans l’action à un langage plus détaché du contexte ou évoquant des éléments absents de la situation. L’enrichissement des mots du vocabulaire d’un élève ne se fait pas seulement au service de sa pensée ou de son expression orale, il se fait également au service de la dimension écrite du langage. La quantité et la qualité du vocabulaire de l’enfant faciliteront son entrée dans la lecture. L’enrichissement du dictionnaire mental s’inscrit dans le cercle vertueux qu’initie la lecture : plus on a de vocabulaire, mieux on lit, et plus on lit, plus on enrichit son vocabulaire. Le vocabulaire, son étendue (le nombre de mots potentiellement connus par un individu) et sa qualité (la richesse des informations formelles et sémantiques associées à chaque mot), la maîtrise des structures syntaxiques formelles, les capacités à comprendre, à rappeler et à produire oralement des histoires, à 13 Inserm, Acquisition du langage oral : repères chronologiques. http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/110/?sequence=10 14 Pierre Peroz, Apprentissage du langage oral à l’école maternelle, In Pratiques, n° 169-170, 2016. p. 10 effectuer des inférences, sont autant de capacités dont la construction débute à l’oral avant même l’entrée à l’école et qui favorisent la compréhension en lecture dès le cours préparatoire mais aussi plusieurs années après. Des difficultés précoces dans ce domaine ont des répercussions immédiates mais aussi à 15 plus long terme sur les performances de compréhension en lecture. L’apprentissage du vocabulaire à l’école maternelle L’apprentissage du vocabulaire à l’école maternelle a pour objectif de doter tous les élèves de fluidité et de compétences dans toutes les dimensions du langage: de l’expression orale à la réflexion, mais également à la compréhension du langage oral et écrit, pour l’instant simplement entendu. Il s’agit également d’encourager les capacités d’auto-apprentissage des formes orales plus complexes et moins fréquemment rencontrées. Dans des situations de classe, le professeur observe, de façon progressive entre la petite et la grande section, des énoncés verbaux très différents : des élèves utilisent des « mots phrases », juxtaposent deux mots pour se faire comprendre, d’autres élaborent des phrases avec un groupe nominal simple et un groupe verbal simple ou dans des structures simples, d’autres élaborent des phrases plus longues, parfois même des phrases complexes. Les différences entre les individus sont importantes, mais tous les élèves devraient en fin de GS : - s’appuyer sur des verbes très fréquents (dire, faire, mettre, aller, prendre, avoir, être…) et des pronoms pour s’exprimer ; - s’emparer du vocabulaire travaillé en classe et l’utiliser à bon escient dans les tâches langagières ; - corriger et reprendre leurs propos pour remplacer un mot par un autre plus précis ; - employer un vocabulaire usuel (vie quotidienne à l’école) suffisamment développé pour être précis dans leurs prises de parole et dans les activités ordinaires de la classe ; - réutiliser dans un autre contexte les mots appris dans un certain contexte ; - utiliser régulièrement des adjectifs et des adverbes pour spécifier leur propos ; - s’interroger sur un mot dont on ignore le sens ; - utiliser des connecteurs logiques et temporels. Un apprentissage par les pratiques usuelles du langage oral Le développement du langage et le maniement du vocabulaire se font quand on parle avec l’enfant de quelque chose qu’on fait ensemble. Certaines situations sollicitent davantage la réception, la production ou l’interaction langagière. Le contexte scolaire offre naturellement de nombreuses situations de communication qui ont toutes un intérêt pour faire progresser les élèves dans l’acquisition des instruments du langage et de ses usages. Toute la diversité des situations de vie à l’école et en classe est intéressante à exploiter pour une action pédagogique visant l’enrichissement d’un vocabulaire « de base » pour l’expression orale. Ces occasions diverses de situations rituelles, de jeux, de conversations, permettront à l’élève de : - « ritualiser » certaines paroles utilisées dans des occasions précises et de les intégrer à son dictionnaire interne : l’accueil, l’appel, l’habillage, le rangement, la présentation des activités et la passation des consignes, les synthèses et les bilans, fournissent des moments propices à la mémorisation de mots et de structures syntaxiques ; - entrer dans un vrai échange conversationnel avec l’adulte dans des activités où adulte et enfant(s) auront des rôles complémentaires qui les obligent à dire, à demander (jeux de 15 Maryse Bianco, Lire pour comprendre et apprendre, Rapport scientifique, Conférence CNESCO https://www.cnesco.fr/fr/lecture/lire-pour-comprendre-et-apprendre/ p. 11 construction, jeux de 7 familles, jeu de la marchande …), commenter, en utilisant un lexique spécifique précis ; - entrer dans une communication par l’activité gestuelle (chansons à gestes), ou par l’activité entre pairs (un projet pour « faire » ensemble), dans le but d’utiliser, d’éprouver, son vocabulaire et ses habiletés En toute confiance. Ces situations de communication de départ permettront de servir de base à l’apprentissage de contextes linguistiques, puis de diversifier les contextes d’utilisation des mots ainsi découverts. Un apprentissage qui se construit par les textes entendus Les élèves découvrent de nouveaux mots et de nouvelles structures syntaxiques par la lecture faite par l’adulte et par les échanges qui en découlent. « Les moments de réception où les enfants travaillent mentalement sans parler sont des activités langagières à part entière que le professeur doit rechercher et encourager, parce qu'elles permettent de construire des outils cognitifs : reconnaître, rapprocher, catégoriser, contraster, se construire des images mentales à partir d'histoires fictives, relier des événements entendus et/ou vus dans des narrations ou des explications, dans des moments d'apprentissages structurés, traiter des mots renvoyant à l'espace, au 16 temps, etc. ». Un apprentissage qui se construit conjointement avec une syntaxe correcte et précise La connaissance des mots et les règles d’assemblage qui fondent la syntaxe de la langue se construisent de manière conjointe, lexique et syntaxe étant indissociables dans tout acte de parole. Le rôle joué par le contexte de la phrase est aussi important pour la syntaxe que pour le lexique. Ainsi, l’élève de fin d’école maternelle doit prêter attention à la terminaison des mots et à l’ordre des mots qui détermine le sens de la phrase, généralement construite sur le modèle sujet-verbe-complément : par exemple : Le chien attend les enfants / Les enfants attendent le chien. Avant son entrée au CP, l’élève produit en situation fonctionnelle des phrases simples, affirmatives ou négatives, relevant des différents types de phrases (déclaratives, interrogatives, et impératives) puis il est progressivement capable de travailler les enchaînements de phrases et des phrases de plus en plus complexes. On attend, en fin de grande section, des phrases enrichies avec des compléments circonstanciels et des phrases plus complexes, notamment des complétives causales (parce que). En outre, les langues orales et écrites ont des syntaxes sensiblement différentes. Cela fait l’objet d’une attention particulière en compréhension comme en production. C’est pourquoi les caractéristiques linguistiques guident le choix des textes à mémoriser et le choix des lectures, voies d’accès privilégiées à la syntaxe de l’écrit. Les démarches pour favoriser l’apprentissage du vocabulaire Multiplier les interactions individuelles 17 De nombreux travaux montrent que l’acquisition du langage se fait grâce aux interactions entre l’enfant et ses proches. L’adulte conçoit spontanément des scénarios d’échanges entre lui et l’enfant. Ces routines ritualisées, installées dès la naissance, préfigurent les interactions futures de l’enfant avec son entourage à travers la notion de distribution de rôles sociaux, où l’on est tour à tour, récepteur ou émetteur d’un message. Ces scénarios ont un caractère ludique, tout comme le jeu. Ils se complexifient 16 Programme de l’école maternelle, Bulletin officiel spécial n° 2 du 26 mars 2015. 17 Par exemple, Kuhl et al. 20XX CHECK ; Hirsh-Pasek et al… p. 12 au fil du temps, allant jusqu’à des interactions et des communications sociales très élaborées. L’apprentissage de mots nouveaux est favorisé par l’adulte grâce à une verbalisation des situations en cours, des interactions avec l’enfant quand il essaie de produire des énoncés, des reformulations des productions enfantines, des questions ouvertes qui permettent à l’enfant de préciser sa pensée. La pratique de l’oral, en relation duelle, est cruciale dans les premiers âges de la vie, et par la suite, à l’école maternelle. Lors de sa première entrée à l’école maternelle, c’est essentiellement vers les adultes de référence, le professeur et l’agent territorial spécialisé en école maternelle (ATSEM) que le très jeune enfant se tourne pour faire part de ses besoins premiers, affectifs et physiologiques. Il noue une relation de confiance avec les adultes. L’enseignant et l’ATSEM sont les partenaires privilégiés d’une relation duelle, lors des moments de vie quotidienne, qui favorisent des conversations spontanées comparables à celles que l’enfant peut avoir avec un parent dans la vie familiale. Les repas, la sieste, l’habillage et le déshabillage, la gestion de la propreté corporelle constituent autant de situations de communication authentiques, où l’élève peut exprimer des besoins, des ressentis, qui favorisent le développement des capacités langagières. Les moments fonctionnels de la vie de la classe sont autant d’occasions d’apprendre de nouveaux mots et de découvrir leurs usages en contexte. Les situations d’apprentissage mises en œuvre dans la classe proposent un étayage intentionnel : 18 relances, reformulations en langage légèrement plus soutenu. L’élève progresse en s’appropriant la langue des adultes référents et en échangeant avec les adultes de la classe, attentifs au maintien de l’attention de l’enfant. Cela exige une attention toute particulière à la dimension modélisante du langage des adultes. Une des clés de l’enseignement du vocabulaire chez les très jeunes élèves consiste à écouter et partager, sans reprendre ou corriger systématiquement quand adviennent les premiers essais pour dire, mais au contraire en maintenant l’échange et la relation. Une seconde clé avec les plus jeunes élèves revient à créer les conditions de cette attention conjointe, en les observant lors d’activités libres dans les différents « coins d’évolution » (lecture, cuisine, jeux…) et d’aller partager un moment avec un élève pour entrer en conversation avec lui, sans intrusion, à son écoute. Entrer en communication avec l’élève par le biais de jeux libres dans les espaces dédiés aux jeux symboliques permet au professeur de reformuler dans un langage légèrement plus soutenu les énoncés de l’élève. Cette interaction langagière s’exerce au profit de l’élève qui, peu à peu, s’approprie un vocabulaire plus étendu. Donner au langage des adultes une dimension modélisante Toute la réflexion et la pratique professionnelle du professeur sont convoquées pour conduire à un enseignement du vocabulaire le plus efficace possible pour tous les élèves de l’école maternelle. Le langage, celui du professeur tout autant que celui, en devenir, des élèves, est au cœur de tous les domaines d’apprentissages de l’école maternelle. Il est présent dans tous les temps de la journée de l’élève. C’est lui qui accompagne l’activité de l’enfant par sa mise en mots. « Les ajustements de l’adulte se traduisent également dans l’expression verbale : il ne s’adresse pas à un tout- petit comme à un adolescent. On parle de langage adapté à l’enfant (LAE), dont les principales caractéristiques sont les suivantes : ralentissement du rythme de la parole, intonation exagérée, vocabulaire limité et composé de mots à référence concrète et fréquents dans la langue, énoncés courts, discours redondant (l’adulte se répète et répète ce que dit l’enfant, souvent en y ajoutant de l’information), de nombreuses descriptions et demandes d’actions ou d’informations. » Agnès Florin, Introduction à la psychologie du développement, Dunod, 2003. 18 Philippe Boisseau, Enseigner la langue orale en maternelle, RETZ 2005 p. 13 Une des premières difficultés de l’élève de maternelle est d’identifier un mot dans la chaîne sonore de l’adulte. L’accompagnement langagier du professeur est certes contextualisé et porté par des phrases, ce qui lui confère une richesse, néanmoins ce travail n’est efficace que s’il est pensé explicitement : éloigné de toute approximation, utilisant des structures (syntaxe, lexique, tournures, etc.) et un registre de langue choisis, ce modèle linguistique permet de construire et d’enrichir les capacités des élèves. C’est pourquoi il est nécessaire que le professeur mette en œuvre un « parler professionnel » modélisant qui permet la découverte et l’appropriation du lexique et de la syntaxe : - une parole modulée au débit ralenti avec une articulation marquée ; - des phrases courtes énoncées sans interruption en détachant les constituants grammaticaux pour favoriser la prise de repères syntaxiques ; - des modes de questionnement ouverts qui induisent des réponses avec des phrases plus complexes ; - un réseau de reprises et de reformulations proches du langage de l’élève, pour enrichir, préciser, mettre en relief le lexique ou certaines tournures, fixer des références par la remémorisation. Passer de découvertes incidentes à des apprentissages décontextualisés, explicites et structurés Dans ce contexte de classe où le professeur montre par son propre langage qu’il réfléchit et comprend, l’acquisition du vocabulaire par les élèves va tout d’abord reposer sur des occasions diverses d’enrichissement au fil de la classe : - dans des situations dans lesquelles les mots et leur sens sont associés à des actions ritualisées dans lesquelles ils sont employés, répétés, remis régulièrement en mémoire par le professeur et les pairs ; - dans des rencontres incidentes, au fil d’une activité, d’une lecture. Ces rencontres permettent l’acquisition du vocabulaire, à condition que l’attention soit bien focalisée sur ces mots nouveaux et qu’ils soient sollicités lors de séances où le vocabulaire est décontextualisé. Enfin, pour optimiser les apprentissages, il faut également prendre en considération les temps de classe qui sont consacrés au suivi des progrès des élèves. On sait aujourd’hui qu’il ne suffit pas de mettre l’élève en activité pour qu’il s’approprie les compétences visées, mais qu’il est essentiel que des outils mentaux lui soient donnés pour qu’il prenne conscience des connaissances qu’il possède, de la façon dont il les a construites et comment il les utilise (métacognition). Ce sont les phases de rétroaction et d’anticipation, temps de langage qui permettent de distinguer l’action seule et l’apprentissage. Pour cela, il faut que l’élève sache exactement ce qu’on attend de lui et que le professeur commente ensuite avec lui la tâche réalisée. La nature du retour (feedback) réalisée et les questions posées à l’élève auront un impact spécifique sur l’apprentissage en jeu, et par conséquent également sur l’usage du vocabulaire visé. « Une grande part des difficultés éprouvées par certains élèves à l’école, et ce, dès la maternelle, se situent sur le plan de l’identification des enjeux cognitifs des tâches scolaires. Certains élèves (les moins performants) réduisent cet enjeu à la simple réalisation de la tâche. Les savoirs sont assimilés aux savoirs d’actions scolaires ponctuels (répondre à une question, chercher un document, coller des vignettes, remettre en ordre des images, participer aux échanges verbaux) et n’incluent pas ce que ces actions permettent d’apprendre au- delà de leur mise en œuvre. Enfermés dans une logique du faire et guidés par la recherche de la réussite immédiate, ces élèves traitent les tâches scolaires sans chercher à en saisir la signification, c’est-à-dire ce qu’elles permettent d’apprendre. (…) Il s’agit de dépasser l’attitude de « faire ce que le maître dit » et de comprendre ce qu’on fait et comment on le fait. Et aussi pourquoi on le fait. » p. 14 Christine Caffieaux, Analyse des caractéristiques des feedback fournis par des enseignants d’école maternelle face aux prestations de leurs élèves. In Mesure et évaluation en éducation, 2009. Proposer un enseignement progressif du vocabulaire Deux conditions sont nécessaires à des modalités d’apprentissages optimisées : avoir une vision structurée de l’enseignement du vocabulaire que l’on veut concevoir pour la classe et disposer au départ d’un corpus de mots soigneusement choisis. Le choix du corpus s’effectue en fonction de l’âge des élèves et de leurs besoins. Les situations proposées sont motivantes, proches de l’univers de la tranche d’âge de l’enfant. L’attention du professeur est constante pour suivre les progrès réalisés et adapter les activités pour qu’elles soient accessibles à tous les élèves et qu’elles répondent à des besoins langagiers qu‘il aura préalablement identifiés. Une programmation annuelle assure la cohérence et la continuité dans la durée des séquences pédagogiques, lors de leur élaboration, quant au choix :  du vocabulaire ;  de la syntaxe ;  des supports (contes mythologiques et traditionnels, albums de littérature jeunesse, poèmes, chansons, comptines, projets communs, séquences sur la vie des plantes ou des animaux…) ;  des situations langagières (le temps de l’accueil, l’ouverture et la clôture des séances dans tous les domaines d’apprentissage, les jeux dans les espaces aménagés, les ateliers de langage,…) ;  du travail sur le matériau de la langue (code alphabétique et phonologie). Dans cette continuité, l’enseignement n’est pas linéaire et continu mais il prévoit des retours en arrière réguliers et mesurés, des activités de réemplois pour une remobilisation jusqu’à la stabilisation des connaissances et des capacités lexicales et langagières. En petite section, l’enseignement du vocabulaire consiste à mettre en relation le monde avec les mots. Avec de très jeunes élèves, le professeur s’appuie sur la réalité tangible que représente un objet que l’enfant n’a encore jamais vu ou dont il dispose dans son univers familier. Il attire l’attention des élèves sur son aspect, sa forme, sa ressemblance avec d’autres objets, son usage et l’expérience que les élèves ont de cet objet dans leur univers familier. Pour la représentation imagée, on préférera une photographie à une illustration, trop souvent stylisée et loin de la réalité matérielle de l’objet et surtout il sera bien spécifié aux élèves que l’objet est représenté. Progressivement, dès que l’élève est en mesure de prendre de la distance avec les énoncés oraux et que la parole devient objet de conscience, il devient possible de travailler en allant du mot vers le monde. Il n’est pas envisageable d’expliquer un mot nouveau aux élèves de petite section par une définition ou par un synonyme. Ces derniers seraient une source supplémentaire de difficulté. Le recours à l’objet lui- même, à l’action mimée s’il s’agit d’un verbe, doit devancer la représentation. En grande section, il est possible d’expliquer un mot par le recours à un autre mot, ou par une définition aux termes choisis. Les élèves sont en mesure d’établir des liens entre les mots et de commencer à comprendre qu’ils fonctionnent en réseau. Un exemple : En moyenne section, En prévision de la lecture d’un conte de Sara Cone Bryant, le petit moulin [référence], le professeur explicite préalablement ce qu’est un moulin, dans ce contexte. lors d’une séance d’anticipation, il fait découvrir et manipuler un moulin à café ancien, et introduit le verbe moudre, qui est récurrent dans le conte en s’appuyant sur une démonstration. Après la lecture et l’étude du conte, il montre aux élèves un moulin électrique. En grande section, il introduit la représentation imagée de différentes sortes de moulins (objet, moulins à vent restaurés, éolienne, etc.) et s’attache à faire émerger le concept technologique sous-jacent (usage de l’eau ou du vent, comme énergie pour entraîner un mécanisme). Choisir des modalités d’apprentissage spécifiques selon les objectifs d’enseignement et selon les besoins repérés p. 15 Des offres et des situations d’apprentissage variées sont proposées pour créer, en fonction des besoins observés dans la classe et pour chaque élève, les conditions d’un apprentissage du vocabulaire et d’une mémorisation durables :  en jouant : le jeu individuel ou collectif favorise la richesse des expériences vécues par les enfants et est respectueux de son développement psychologique. Ainsi toutes les activités de jeu qui sollicitent le langage oral, puis l’utilisation de jeux spécifiques (loto, jeu d’appariement …) peuvent assurer la découverte, l’acquisition et la réactivation des mots ;  en réfléchissant et en résolvant des problèmes : toutes les activités qui permettent la réflexion des enfants conduisent à des activités cognitives de qualité. Pour cela le professeur les met face à des problèmes à leur portée. Les activités d’observation, de tri, de comparaison, de catégorisation constituent de vraies situationsproblèmes. Les élèves recoupent des situations, mobilisent leurs connaissances, recourent à leur imagination, font des propositions et des choix. Ils procèdent par tâtonnement et font des essais de réponse. Ils mettent en œuvre diverses compétences langagières (converser, questionner, répondre, prescrire, décrire, raconter, exposer, justifier, expliciter) et construisent des opérations cognitives (comparer, catégoriser, associer, inférer, mémoriser).  en s’exerçant : les apprentissages et leur stabilisation nécessitent du temps. Les activités de répétition en variant les contextes et les situations et les supports sont donc indispensables ;  en mémorisant et en se remémorant : les temps et les outils de mémorisation permettent aux élèves d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences et une méthodologie qu’ils n’ont pas pour mémoriser. Toutes les activités qui permettent l’usage des mots favorisent l’enrichissement et la stabilisation du vocabulaire (mise en scène, sac à histoire, tapis de contes, boîte à histoire, plan de récit …). Les différences de maturité, d’accès au langage, nécessitent d’envisager une progressivité des apprentissages. Par exemple, l’attention d’un élève de petite section ne peut être sollicitée sur les mêmes supports que les élèves de moyenne ou grande section. Les supports proposés en petite section sont à choisir avec discernement : les centres d’intérêt des petits se limitent aux histoires simples. De même, les activités de catégorisation doivent être différenciées. Organiser l’apprentissage des mots à partir des trois dimensions (la forme, le contenu et l’usage) La question de l’acquisition du mot se réfère à un système en trois composantes : la forme, le contenu et l’usage. La forme comprend la phonologie (à l’école élémentaire l’élève abordera la forme écrite du mot) avec les sons perçus et articulés. Le professeur favorise le mécanisme analytique qui permet aux enfants de décomposer la parole entendue en unités pertinentes (les mots) pour construire des représentations adéquates. Il attire l’attention des élèves sur les ressemblances avec un mot connu (savane/savate) et veille à une prononciation juste. Le contenu se réfère à la signification du mot. Le sens d’un mot comporte un noyau stable sur lequel tout le monde s’entend. Au-delà de cette signification partagée qui fait consensus, le mot peut évoquer pour les adultes des connotations subjectives. Le mot n’est jamais isolé des autres mots de la langue. Ceci a pour conséquence pédagogique que l’enseignement du vocabulaire ne peut s’appuyer sur des listes constituées par compilation. En petite section, l’approche qui se limite à la fonction référentielle du mot (un objet, une action= un mot) est nécessaire, mais dès la moyenne section, les relations entre les mots doivent être découvertes par les activités de catégorisation. L’usage du mot est la pragmatique qui se réfère à son utilisation par des locuteurs. Il concerne le contexte dans lequel il est utilisé, sa fonction. En petite section, l’élève désigne l’objet ou l’image correspondants au mot, ou mime (dessine dans l’espace ou fait le geste). Il indique la fonction (« c’est pour...»). Il donne un exemple correspondant à son vécu. En grande section, l’élève doit être en mesure de faire une phrase contenant le mot, de chercher un synonyme ou une expression approchante et d’exprimer le contraire. p. 16 Fonder l’enseignement du vocabulaire sur les quatre piliers de l’apprentissage (l’attention, l’engagement actif, le retour d’information, la consolidation). L’élève scolarisé en petite section n’est pas en mesure de soutenir son attention très longtemps. Il est important de créer les conditions d’une attention conjointe : par exemple, en les rejoignant lors d’activités libres dans les différents « coins d’évolution » (lecture, cuisine, jeux…), en participant à leurs jeux, en entrant en conversation avec l’un deux, sans intrusion, à son écoute. Le professeur conçoit des procédés propres à éveiller l’attention des élèves sur un temps court (de 10 mn en début de petite section à 20 mn en grande section) et à mobiliser leurs capacités sur l’apprentissage des mots. Leur attention étant sans cesse sollicitée par leur environnement, il convient d’obtenir qu’elle s’arrête sur les stimuli nouveaux ou significatifs. Les situations qui réservent un effet de surprise sont à privilégier : boîtes ou sacs « mystère » où sont dissimulés les objets qui se réfèrent au vocabulaire étudié, jeux avec la marotte, énigme à résoudre (objet dissimulé, déplacé, en panne). L’engagement actif de l’élève s’obtient dans le cadre d’un travail inscrit dans un projet contextualisé de classe ou d’école. La motivation de l’élève va être fonction de la valeur qu’il accorde à la tâche proposée. L’enseignant peut intervenir sur la motivation en présentant des objectifs d’apprentissage dont l’élève reconnaîtra la valeur et l’utilité. Apprendre et comprendre des mots nouveaux, c’est construire du sens en lien avec une expérience vécue ou une réalité sensible qui fait sens et qui motive les élèves. Exemples d’activités: -Réaliser une recette simple, avec un support imagé ou non -Construire un objet -Explorer les propriétés des objets et de la matière -Observer un animal en captivité ou dans son milieu naturel et échanger sur son mode de vie -Comprendre les propriétés fonctionnelles d’un objet -Réaliser un parcours d’actions motrices -Utiliser un matériel riche et varié en peinture -Exprimer des sentiments devant des sélections d’objets inconnus, bizarres… -Faire des jeux de logique et de réflexion (jeux de société) -Utiliser des marionnettes et le théâtre d’ombres pour créer des jeux et des mises en scène -Se déguiser pour un événement exceptionnel. Le retour d’information, dans le cadre de l’enseignement du vocabulaire, constitue un véritable étayage pour l’élève. Les retours que le professeur propose en réponse aux approximations de l’élève sont essentiels pour l’acquisition du vocabulaire. Il essaiera de les utiliser à son tour. Les situations d’apprentissage mises en œuvre dans la classe proposent un étayage intentionnel : relances, 19 reformulations en langage légèrement plus soutenu, feedback (voir page 14). Philippe Boisseau insiste sur le principe du feedback dans le contexte scolaire : « un élève de trois ans progresse considérablement 20 dans des domaines variés grâce aux échanges adulte/enfant sans cesse rejoués. » Entrer en communication avec l’élève par le biais de jeux libres dans les espaces dédiés aux jeux symboliques permet au professeur de reformuler dans un langage légèrement plus soutenu les énoncés de l’élève. Cette interaction langagière s’exerce au profit de l’élève qui, peu à peu, s’approprie un vocabulaire plus étendu. Varier les modalités de regroupement Le professeur privilégie le grand groupe pour l’écoute, la compréhension en réception, les échanges conversationnels, la mémorisation et la restitution des connaissances. Attentif au comportement de chacun, il régule les échanges, porte une attention particulière aux « petits parleurs », sollicite les plus 19 Réaction, action en retour 20 Philippe Boisseau, Enseigner la langue orale en maternelle, RETZ 2005 p. 17 réservés avec bienveillance. Dans la classe multi-âge, il n’hésite pas à scinder le groupe classe et à organiser des regroupements différents pour chaque section. Il choisit les petits groupes pour la production langagière, les activités de structuration et d’analyse de la langue, l’étayage et la remédiation. Les activités qui se déroulent préférentiellement en petits groupes, se déroulent dans un contexte sécurisant, en confiance, pour faciliter les échanges. Le professeur prend soin de s’adresser à tous les élèves. Il sollicite fréquemment les plus réservés et s’attache à les intégrer aux échanges. Il se saisit de toutes les occasions pour engager avec chacun, en relation duelle, des échanges langagiers. Il privilégie la conversation spontanée autour d’une activité réalisée conjointement plutôt que la séquence de questionnement qui place l’élève en insécurité linguistique. Une première clé de l’enseignement du vocabulaire chez les très jeunes élèves consiste donc à écouter et partager, sans reprendre ou corriger systématiquement quand adviennent les premiers essais pour dire, mais au contraire en maintenant l’échange et la relation. Chez les plus jeunes, les relations et échanges individuels avec le maître sont essentiels. De nombreux 21 travaux montrent que l’acquisition du langage se fait grâce aux interactions entre l’enfant et ses proches. L’adulte conçoit spontanément des scénarios d’échanges entre lui et l’enfant. Ces routines ritualisées, installées dès la naissance, préfigurent les interactions futures de l’enfant avec son entourage à travers la notion de distribution de rôles sociaux, où l’on est tour à tour, récepteur ou émetteur d’un message. Ces scénarios ont un caractère ludique, tout comme le jeu. Ils se complexifient au fil du temps, allant jusqu’à des interactions et des communications sociales très élaborées. L’apprentissage de mots nouveaux est favorisé par l’adulte grâce à une verbalisation des situations en cours, des interactions avec l’enfant quand il essaie de produire des énoncés, des reformulations des productions enfantines, ou des questions ouvertes qui permettent à l’enfant de préciser sa pensée. S’inscrire dans une démarche qui aide à la mémorisation durable des mots Les trois étapes de la mémorisation sont l’encodage, le stockage et la récupération. Les opérations mentales de mémorisation chez les jeunes enfants ne sont pas volontaires et une simple exposition aux mots, sans analyse, ne suffit pas pour les mémoriser. « Offrir un mot quotidien, à partir d’une éphéméride, mot qui n’a pas de résonance dans la vie de la classe, éventuellement interchangeable avec celui de la veille ou du lendemain, qui n’est pas relié à d’autres et autour desquels aucun outil permettant le réemploi n’est créé, semble d’une rentabilité bien médiocre en termes d’apports lexicaux. » Micheline Cellier, Des outils pour structurer l’apprentissage du vocabulaire, éduscol, 2011. Trois étapes permettent de mémoriser des informations dans le cerveau et surtout, de s’en rappeler, l’encodage, le stockage et la récupération : - l’encodage : à partir d’un stimulus visuel, auditif, olfactif, moteur, l’information est traitée pour être mise en mémoire ; - le stockage : l’information est mise en lien avec les connaissances antérieures, pour la faire durer dans le temps. La mémoire retient des ensembles organisés, elle stocke les mots en réseau ou en toile. Pour aider au stockage d’un mot nouveau, il est utile de l’associer à des mots synonymes ou appartenant à la même catégorie, à des phrases, etc. ; - la récupération : l’information est extraite de la mémoire. C’est une opération complexe qui peut nécessiter l’aide du professeur par une contextualisation, une réactivation des liens avec les autres apprentissages (place du mot, synonyme, etc.) ou une activité de reconnaissance (retrouver dans une liste par exemple). p. 18 22 23 Ebbinghaus, psychologue allemand du 19e siècle , et de nombreux chercheurs contemporains , ont étudié la mémoire et notamment les façons d’associer les informations entre elles pour mieux les retenir. La courbe d’oubli d’Ebbinghaus montre que nous apprenons très vite mais oublions également très vite. Sa théorie a une incidence directe sur l’enseignement. L’élève étudie un nouveau contenu, quelque chose de neuf, il en retient la majeure partie pendant un temps très court. Ensuite, s’il ne l’utilise pas à nouveau, il l’oublie. S’il revoit le contenu d’apprentissage juste au moment où il allait l’oublier, il prolonge le temps de rétention et transfère ces nouvelles connaissances dans la mémoire à long terme. Quand le jeune enfant étudie des mots nouveaux qui n’appartiennent pas à son lexique habituel, il les retient pendant un temps très court. S’il revoit le contenu d’apprentissage juste au moment où il allait l’oublier, il prolonge le temps de rappel des mots nouveaux qui se fixent dans sa mémoire à long terme. Le professeur utilise ce rappel très régulièrement. De nombreuses études montrent qu’à temps total constant, l’apprentissage répété améliore la rétention en mémoire. Cet apprentissage répété consiste à répartir dans le temps à intervalles réguliers les rappels des mots appris et à créer les situations propices à une réutilisation. Mémoriser les mots, c’est pouvoir les réemployer et transférer à d’autres situations et contextes ce que l’on a déjà appris de certains mots et de leurs usages. Faire mémoriser les mots appris ne se limite pas à archiver leur trace sur des supports divers (cahiers, imagiers de la classe, affiches murales illustrées, boîtes à mots, guirlandes d’illustrations représentant des mots). La mémorisation du vocabulaire est facilitée par des moyens mnémotechniques multiples qui vont activer le rappel du mot dans toutes ses dimensions : sa forme sonore, son champ sémantique, ses représentations variées. Pour faciliter le rappel, le professeur évoque les contextes d’utilisation expérimentés en classe et les propriétés perceptives, fonctionnelles et catégorielles du mot. Cette mise en résonnance, associée à l’utilisation des traces, réactive les mots. La mémorisation est à encourager très régulièrement avec des activités d’entraînement ritualisées portant sur les mots nouveaux intégrés à des ensembles organisés. A l’école, la mémorisation des mots s’exerce très régulièrement, potentiellement à l’aide de rituels de classe, durant la séquence d’apprentissage. Le vocabulaire dont dispose un élève est beaucoup plus riche en réception qu’en production. Les mots qu’il a déjà rencontrés sont présents, mais il a parfois des difficultés à les mobiliser. La récupération a pour fonction de retrouver dans la mémoire à long terme une information parmi toutes celles qui s’y trouvent. L’oubli d’un mot ne trahit pas toujours une absence de stockage de l’information mais plutôt un manque d’indices qui pourraient favoriser l’accès et la récupération de l’information en mémoire. La récupération de l’information est facilitée par le recours à une image, un dessin ou grâce à l’évocation de la situation vécue dans laquelle le mot a été utilisé. Le professeur conçoit des outils – images et indices variés – pour le rappel de mots rencontrés antérieurement. 22 Hermann Ebbinghaus : La Mémoire. Recherches de psychologie expérimentale, Éd. : L'Harmattan 2011 23 Comment les intervalles temporels entre les répétitions d’une information en influencent-ils la mémorisation ? Revue théorique des effets de pratique distribuée – Gerbier, Koenig, Magnan, & Ecalle - L’Année psychologique 2015/3 (Vol. 115), pages 435 à 462 p. 19 Dans le cadre d’un auto-apprentissage spontané, les élèves parviennent souvent à dériver le sens des mots inconnus et à mettre en œuvre des mécanismes d’inférence pour deviner le sens des mots qui leurs sont inconnus. L’apprentissage du vocabulaire se fait par des stratégies de décompositions morphologiques des mots nouveaux pour en inférer le sens. Tous les enfants n’ont pas la même capacité à s’engager dans des résolutions de problèmes morphologiques, il convient donc de les y aider. Apprendre aux élèves à partir de la grande section les processus (analyser le contexte, repérer des indices, mettre en lien avec des mots connus) aide de manière certaine à acquérir le vocabulaire, s’ils n'utilisent pas déjà spontanément des stratégies pour comprendre des mots qu’ils n’ont jamais entendus. Il va sans dire que cette réflexion permettant de faire des hypothèses quant au sens des mots nouveaux s’adressera de préférence à des élèves de grande section en mesure d’adopter une posture métalinguistique. La résolution de problèmes morphologiques s’articule autour du morphème, unité linguistique de sens minimal qui contient en dépit de sa petite taille, des parties de sens. Rendre explicite des stratégies pour comprendre selon le contexte et résoudre des problèmes morphologiques, peuvent s’avérer des stratégies efficaces, par exemple en attirant l’attention des élèves sur les mots dérivés (terre, terreau, terrain, déterrer). Ainsi le professeur a un rôle déterminant dans la construction de ce système mnésique et dans ces opérations quand :  il diversifie les occasions d’apprentissage de nouveaux mots, qu’il nomme et commente,  il explique,  il communique,  il raconte ou lit des histoires,  il conduit les échanges,  il questionne les élèves,  il fait raconter, décrire, expliquer, justifier et argumenter…., Il fait alors opérer systématiquement des rappels de mémoire, il convoque des souvenirs et des perceptionsafin d’activer le réseau de la mémoire lexicale à partir de nombreux points d’entrées. Il fait ainsi éprouver la forme, le contenu et l’usage des mots. La démarche pédagogique est pensée en respectant une nécessaire progressivité, en respectant les différences interindividuelles , en prenant en compte, à la fois les trois dimensions du mot (la forme, le contenu et l’usage), les trois étapes de la mémorisation (l’encodage, le stockage et la récupération), les quatre piliers de l’apprentissage (l’attention, l’engagement actif, le retour d’information, la consolidation), et les quatre modalités d’apprentissage à la maternelle (en jouant, en résolvant des problèmes, en s’entrainant, en mémorisant et en se remémorant). En résumé  À l’école maternelle, l’acquisition d’un vocabulaire riche et structuré est essentielle pour tous les élèves. Maîtriser de nombreux mots et leurs usages permet à chaque enfant de s’exprimer plus précisément, de mieux comprendre les énoncés oraux et les textes entendus. p. 20  Le vocabulaire est au cœur des apprentissages langagiers à l’école maternelle et doit être enseigné explicitement. Au-delà des mots découverts incidemment, un corpus choisi par le professeur doit être construit de manière réfléchie, planifiée et progressive.  Les séances de vocabulaire s’appuient sur des situations motivantes qui contextualisent les apprentissages et les construisent dans les interactions entre pairs et avec les adultes.  L’élève est en capacité d’inférer les significations des mots à partir des contextes dans lesquels ils sont entendus. A l’école maternelle, ce processus est encouragé et explicité par le professeur.  Ces situations de départ permettront ensuite de concevoir des séances spécifiques où les mots seront réutilisés, comparés et enfin mémorisés.  Dans le cadre d’un apprentissage répété dans le temps, qui consiste à répartir dans le temps à intervalles réguliers les rappels des mots nouveaux, le professeur facilite la mémorisation des mots et il crée les situations propices à leur réutilisation.  La récupération a pour fonction de retrouver dans la mémoire à long terme une information parmi toutes celles qui s’y trouvent. Pour augmenter le capital lexical des élèves, le professeur favorise l’accès et la récupération des informations en mémoire. p. 21 Chapitre 3 : Mettre en œuvre l’enseignement du vocabulaire dans une classe de maternelle Les différentes pistes suivantes permettent de mettre en œuvre un enseignement adapté du vocabulaire au regard de la façon dont les enfants apprennent. Elles permettent de varier les stratégies et les outils pour favoriser le processus d’inférence qui permet à l’enfant de comprendre le sens des mots, et offrent différentes possibilités de présenter les corpus de mots et de les structurer pour en faciliter la mémorisation et la mise en réseau Faire rencontrer des mots Choisir des mots par univers de référence « Généralement, les premiers mots de l’enfant se réfèrent aux personnes et aux objets avec lesquels il est le plus souvent en contact, les objets et les personnes qui font partie de son univers, les membres de sa famille, les animaux, la nourriture, les boissons et les jouets » Inserm, Acquisition du langage oral : repères chronologiques http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/110/?sequence=10 Il semble donc logique que le parcours de l’élève dès la petite section débute avec des mots qu’il faut apprendre en priorité, car utiles pour comprendre et se faire comprendre, les mots les plus fréquents dans sa vie, dans la famille et à l’école. La progressivité des acquisitions implique de commencer par les mots relatifs aux actes du quotidien (hygiène, habillage, collation, repas, repos), aux activités de la classe (locaux, matériel, matériaux, actions, productions), et aux relations avec les autres (salutations, remerciements). L'enfant Sa famille Son cadre, son lieu de vie Ses émotions Ses objets Les actes du quotidien Du langage de l'enfant au langage de l'élève La classe L'école L'environnement Les apprentissages Les relations avec les Les éléments naturels Les espaces de vie, de jeu, autres élèves, les adultes La ville, le quartier, le village d'activités Les différents lieux, la Les transports cour Les métiers Le langage se déploie et se perfectionne dans les divers domaines qui offrent naturellement la possibilité de découvrir des champs lexicaux divers mais avant tout en relation avec le vécu et les intérêts de jeunes enfants. Les noms de nombres, de formes, de couleur, les noms qui servent à structurer l’espace et le temps, les mots qui servent à comparer des objets ou des collections, à classer, sont à enseigner tout autant car ils sont cruciaux pour la structuration de la pensée. p. 22 A trois ans, l'accent doit être mis sur les mots les plus usuels que beaucoup d'enfants ne possèdent pas et qu'il est prioritaire de leur apprendre si on veut assurer leur réussite. Il est toutefois souhaitable de ne pas être restrictif et d’aller bien au-delà. En outre, les élèves aiment découvrir, utiliser et jouer avec des mots difficiles. En lien avec des projets menés en classe, des sorties pédagogiques, on peut introduire les mots d’un champ particulier (éléments d’architecture d’un château du moyen-âge, machines agricoles). L’intérêt que l’enseignant lui-même manifeste pour les mots nouveaux accroit l’attention de l’élève, sa compréhension, sa motivation. Choisir des mots de classes grammaticales différentes On peut avoir tendance à privilégier les listes de noms, quand on pense à l’enrichissement du vocabulaire. Mais comme on l’a vu dans le premier chapitre, les enfants n’apprennent pas les mots isolément, mais dans le contexte de phrases elles-mêmes contextualisées. Il est donc nécessaire d’étudier tout type de mot et pas uniquement des noms. Le choix des verbes et des adjectifs permet une approche par la phrase qui constitue une démarche plus ambitieuse syntaxiquement et lexicalement. Le verbe, en particulier, « agit » avec les autres mots. Flexible, le verbe porte un grand nombre de déterminations importantes pour l’énonciation (temps, aspect, mode, voix). À partir de deux ans, se développent particulièrement les verbes d’action concrets, notamment les verbes de mouvement (courir, sauter, s’asseoir...), ceux qui désignent des actions (casser, manger, ranger, laver, habiller, …). Les verbes de sens plus abstraits comme les verbes de perception (voir, entendre, toucher...) ou renvoyant à des états mentaux (penser, réfléchir,...) ne sont produits qu’au milieu de la troisième année. Dans le même ordre d’idée, pour augmenter la capacité de dire, il est recommandé d’aborder très tôt avec les élèves :  les connecteurs spatiaux (à côté, dans, sous, en dessous…), qui permettent à l’élève de se situer dans son environnement et de situer les objets les uns par rapport aux autres,  les adjectifs, qui permettent d’enrichir l’expression des sentiments et de caractériser des objets,  les prépositions (à, de, chez, en, pour, sans, avec...). Choisir des situations diversifiées et enrichissantes La diversité des œuvres de littérature (contes traditionnels et patrimoniaux, albums, poèmes, comptines…) installe, en lien avec l'expérience singulière des enfants, une progressivité des pratiques et apprentissages culturels. Elle permet aux élèves de repérer et d’apprécier des effets de langue ou de langage. Chaque élève est conduit à s’emparer des formes langagières propres à la littérature (« il était une fois, quand tout à coup »…) afin de se constituer une sorte de « bibliothèque mentale » à travers la mémorisation de textes (exemple de la structure répétitive), de scénarios d’expériences (s’habiller, l’école…) et d’images (personnages archétypaux / états mentaux…). Il pourra l’utiliser ultérieurement et l’enrichir au fil de son parcours de lecteur. D’autres formes sont nécessaires et efficaces, comme préparer un gâteau, décrire un objet, comparer des objets ressemblants mais différents. « … je trouve dommage que, dans les petites classes, les activités de langage comme celles de lecture interprétative se fassent de plus en plus souvent, parfois de façon presque exclusive, à partir d’albums de fiction parfois très complexes, et moins à partir de tâches et de supports en technologie, en sciences ou de la vie pratique, par exemple. Sans dénigrer bien sûr les apports des récits et de la fiction, il me semble que c’est une fermeture des modèles possibles de développement du langage qui peut être discriminante, p. 23 et que cela limite les occasions de confronter les enfants à des tâches de verbalisation exigeantes, peut- être plus familières et lisibles pour certains. » Élisabeth Nonnon, propos recueillis et mis en forme par Jacques David, Langage oral et inégalités scolaires Entretien, In Le français aujourd'hui, n° 185, 2014. Tous les domaines d’apprentissage offrent potentiellement des occasions de travailler le vocabulaire, notamment un vocabulaire spécifique. Le programme insiste d’ailleurs sur la nécessité d’employer les mots justes. Donner une valeur structurante aux mots Faire comprendre aux élèves comment se structurent les mots Les outils d’aide à l’apprentissage du vocabulaire sont déterminants ; ils doivent être structurants, organisés, récapitulatifs et évolutifs. Comme les élèves ne déchiffrent pas encore et qu’il ne faut pas encourager la reconnaissance globale du mot, les outils concerneront exclusivement des images. Ils évoluent tout au long des apprentissages, s’enrichissent, se réorganisent, passent du mur au cahier, du jeu à l’affichage. Ils sont adaptés à la tranche d’âge des enfants. Ces supports constituent tout d’abord les traces d’une découverte, d’une recherche, puis vont permettre la mémorisation en permettant le stockage. Enfin, ils permettent de travailler sur les mots « hors contexte » et conduisent à un premier regard sur le fonctionnement de la langue. Deux catégories d’outils peuvent être proposées : 1. Des outils pour faciliter l’appropriation, la mémorisation, la désignation Les outils proposés ici avec des mots ne sont pas présentés comme tels aux élèves d’école maternelle qui ne déchiffrent pas encore. Des supports imagés qui font sens pour les élèves permettent de garder traces des travaux menés. - Les imagiers et autres représentations graphiques ou photographiques pour constituer des séries d’objets et d’images par entrée thématique. Il est nécessaire de proposer, aux plus jeunes élèves notamment, de nombreux imagiers (ceux du commerce mais aussi ceux fabriqués en classe à partir de références communes) pour qu’ils puissent structurer le concept de mot et mettre en réseau des connaissances qui participent à sa définition. Ces imagiers disponibles dans la bibliothèque de classe permettent d’archiver et d’organiser le vocabulaire. - Les images, dessins, photographies (prises en classe ou en famille), reproductions d’œuvres d’art, représentations ou témoignages visuels des événements vécus (un coquillage, une plume d’oiseau), sont efficaces lorsque l’on aborde un vocabulaire plus complexe. - Les jeux de lotos, d’appariement, les jeux des 7 familles, jeux de pistes et de société divers, sont autant d’occasions de nommer et de répéter des mots. - Les jeux de dominos constitués d’images correspondant au corpus de mots étudiés, permettent des appariements. C’est un moyen de relier des mots, par exemple : « bonnet-tête / Il met un bonnet pour ne pas avoir froid à la tête ». - Les jeux kinesthésiques (jeu de Kim…) permettent de manipuler de vrais objets ou des images qu’on nomme, caractérise, catégorise pour les mémoriser. L’élève identifie et nomme un des objets en mobilisant un des sens. - Les albums échos (individuels ou collectifs) se composent de photos d’enfants réalisant une activité d’apprentissage. Les photos s’accompagnent d’un petit texte de l’oral qui reprend les propositions émises spontanément par les élèves. Ils racontent ensuite les actions p. 24 photographiées avec le support de l’album. Les vidéos de classe sont également des supports exploitables pour faire « fonctionner » le vocabulaire découvert et se l’approprier. - Les dictionnaires de la classe, musée de la classe, murs d’images, transformables en fonction de thèmes abordés, peuvent induire une utilisation des mots associés à des objets (ou à leur représentation) eux-mêmes liés aux univers de référence. - Les boîtes thématiques regroupent les mots rencontrés en lien avec un thème (la forêt, les monstres, ce qui roule…) avec des objets, des images collectées, des affiches, des albums… - Les tapis de conte permettent de raconter l’histoire seul ou à plusieurs en jouant les personnages. - Les boîtes à histoires, boîtes à raconter et boîtes à comptines rassemblent les objets présents dans un conte, une comptine. Elles permettent aux élèves de raconter, de jouer une scène, d’inventer de courts dialogues, entre pairs, en autonomie ou avec le professeur. - Les images séquentielles proposent une suite logique d’images sur des actes de la vie quotidienne ou sur un récit. Elles incitent les élèves à utiliser les organisateurs du discours (enchaînements logiques, chronologiques…) : au début, ensuite, à la fin, avant, après… 2. Des outils qui structurent le vocabulaire et font réfléchir sur la langue  Des classements thématiques de mots ont pour objectif de contribuer à la catégorisation des mots découverts. Parmi ces classements, les fleurs lexicales permettent l’exploration régulière de champs lexicaux variés, leur enrichissement et la mémorisation d’un vocabulaire spécifique inscrit dans un réseau de sens, de hiérarchie, de morphologie. timbre courrier colis facteur lettre enveloppe  Les « maisons » de familles de mots pour observer la morphologie des mots. La préparation du professeur comprend les mots destinés à faire percevoir, exclusivement à l’oral, les parties communes à ces mots. ROUL E ROUL ETTE ROUL ADE p. 25 DÉ ROUL ER EN ROUL ER ROUL EAU ROUL EMENT ROUL ER Le professeur permet une première approche de la morphologie flexionnelle en grande section, exclusivement à partir d’exemples oraux (il attend/ils attendent ; vert/verte). Il explicite la construction des mots. La comparaison avec d’autres fiches morphologiques permet également de dégager, à l’oral exclusivement, des morphèmes dérivationnels (DÉ, EN, EMENT, ETTE…) : dé-/des- (préfixe : contraire) Dérouler / Rouler Déshabiller / Habiller Désobéir / Obéir Défaire / Faire Désordre / Ordre Décoller / Coller  Les jeux de catégorisation, jeux sur les contraires, jeux de dérivation, jeux sur les polysémiques ou les homophones, jeux de tris multiples, des jeux conduisant à des jeux de définition (principalement des jeux de cartes) permettent de s’entraîner et de se remémorer des acquis.  Un exemple de réseau de mots, outil récapitulatif pour le professeur : Grammaire Faux amis Sa famille un chant champignon chanter des chants chantier chanteur ils chantent chanteuse chanson chansonnette chantonner chant Homophone champ Presque pareils chanson hymne refrain Expressions mélodie au chant du coq musique chanter à tue-tête air p. 26 Tous ces outils doivent faire l’objet de temps de construction, de relecture collective, de manipulation, de jeu, vecteur d’apprentissage premier chez les enfants d’école maternelle. À la fin de l’école maternelle, l’exemple de représentation ci-dessous témoigne de l’apprentissage réalisé et de son évolution au fil des années. Ce tableau n’est pas présenté comme tel aux élèves, non lecteurs, mais figure dans les outils de programmation du professeur. Personnages de contes Personnages Métiers Verbes Réels Animaux Noms Imaginaires Adjectifs Vocabulaire des Univers de sens: Couleurs, référence odeurs La forêt Atmosphère Mots invariables (adverbes et locutions Matières: bois, adverbiales) Végétaux mousse Expressions Saisons Le réseau s’étoffe au cours de chacune des trois années de l’école maternelle. Les termes de cette catégorisation ne sont bien entendu pas utilisés avec les élèves. Ce type de carte peut se complexifier à l’envie selon les objectifs d’apprentissage et représente les connexions de sens entre différentes idées, les liens hiérarchiques entre différents concepts de façon synthétique. Cet outil donne de la lisibilité sur le lexique à étudier dans le cadre de l’univers de référence ciblé. Il permet de définir un choix de mots de différentes natures, qui s’inscrivent dans une progressivité pensée en équipe. Elle se prête également à la transmission d’outils dans le cadre de la liaison cycle 1 - cycle 2. p. 27 FOCUS Importance des activités de catégorisation en petite section Encouragées par le professeur à l’école maternelle, les manipulations sur le vocabulaire - trier et catégoriser des mots - conditionnent l’acquisition et la mémorisation du vocabulaire nouveau. Pour catégoriser, il faut être en capacité de se représenter en mémoire les propriétés des objets, pour ensuite établir des liens entre les propriétés communes à plusieurs objets, de manière à dégager un trait commun. Les très jeunes enfants ont une prédisposition quasiment naturelle à apparenter un nouveau mot à d’autres mots qui désignent des objets de la même famille. La catégorisation, qui se fait assez spontanément pour des catégories simples (animaux par exemple), devient consciente à l’école maternelle. La forme de l’objet, son usage, sa provenance, sont des indices d’appartenance catégorielle qu’ils apprennent à expliciter. Tout nouvel élément d'information sur son univers amène l'enfant à restructurer la signification initiale de ses premiers mots. Plus le système conceptuel de l’élève est riche, tant du point de vue de son contenu que du point de vue de son organisation, plus facile est l’activation en mémoire des objets. Par exemple en petite section, le professeur place dans l’espace dédié aux jeux symboliques toutes sortes d’ustensiles de cuisine, dont la reproduction sur de petites fiches vient enrichir la boîte, ou l’imagier, des ustensiles de cuisine. Participant aux jeux libres (exemple : dresser le couvert, ranger la cuisine, préparer une purée pour les poupons), il encourage les élèves à désigner chaque objet par un mot précis, en le prononçant tout d’abord, puis en les sollicitant pour qu’ils les utilisent. Il reprend, lors d’une séance structurée, en petit groupe, les acquisitions avec les supports imagés. Il demande aux élèves de nommer les objets, de les décrire, d’indiquer leur usage, de se rappeler le contexte dans lequel ils les ont utilisés. Il introduit de nouveaux objets que les élèves ne connaissent pas encore (par exemple, passoire, casse-noix, tire-bouchon, entonnoir, essore-salade). Le langage sur la fonctionnalité de chaque nouvel objet offre l’opportunité d’utiliser des verbes d’action (par exemple : déboucher, casser, essorer, etc.) Il glisse des intrus dans

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