Guide Vocabulaire Maternelle 2021 PDF
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2021
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Ce guide pour les enseignants de maternelle se concentre sur le développement du vocabulaire des élèves. Il fournit des informations sur l'apprentissage du langage, l'acquisition du sens des mots, et les méthodes d'enseignement. Le guide est illustré d'exemples concrets et se base sur les recherches actuelles en pédaogogie et éducation.
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Un guide fondé sur l’état de la recherche Pour enseigner le vocabulaire à l’école maternelle L’écriture de cet ouvrage a été coordonnée par la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Son élaboration a été assurée par un groupe d’expert...
Un guide fondé sur l’état de la recherche Pour enseigner le vocabulaire à l’école maternelle L’écriture de cet ouvrage a été coordonnée par la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Son élaboration a été assurée par un groupe d’experts. Sommaire INTRODUCTION 4 Le développement du vocabulaire : un enjeu fondamental à l’école maternelle CHAPITRES I 7 8 L’apprentissage de la langue L’acquisition du langage 11 L’acquisition du sens des mots 12 Le développement de l’attention de l’enfant 14 L’inégale acquisition du langage par les élèves II 17 18 L’enseignement du vocabulaire Compétences langagières attendues à la fin de la maternelle 20 Un enseignement explicite fondé sur l’interaction avec l’élève III 33 La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire 34 Le choix des mots et des situations 37 Une nécessaire structuration des mots 41 L’importance des activités de catégorisation en petite section 42 Faire réutiliser les mots 44 Avoir une attention particulière pour les élèves très éloignés de la langue de scolarisation 44 Suivre les progrès des élèves 51 Focus | Un exemple de construction de séquences sur les trois années de l’école maternelle 67 Focus | Un exemple de séquence en petite section pour travailler le champ lexical des vêtements 70 Focus | Un exemple de séquence en moyenne et grande sections à partir d’un conte traditionnel 77 Focus | Un exemple de séquence en moyenne et grande sections à partir d’un texte documentaire 86 Focus | Un exemple de séquence à partir d’une œuvre d’art BIBLIOGRAPHIE ET OUTILS DE RÉFÉRENCE 96 Ouvrages 96 Articles 98 Rapports, contributions et conférences 4 — Introduction Le développement du vocabulaire : un enjeu fondamental à l’école maternelle 5 — Introduction Chaque enfant enrichit son vocabulaire par l’usage et l’échange. Le contexte social et culturel dans lequel se développe l’enfant a donc une grande influence sur son niveau de langue. L’attention portée à son langage, le temps et les aides dont il bénéficie ou non dans sa famille, l’exigence de précision qui lui est demandée pour formuler des situations, ses sentiments ou ses désirs, sont les composantes essentielles de ce contexte. Le rôle de l’École, et singulièrement de l’école maternelle, est d’enrichir le langage de l’élève, de systématiser l’étude du lexique et de la langue, pour développer sa capacité de dire le monde et lutter contre l’inégale maîtrise de la langue par les élèves. L’abaissement de la scolarité obligatoire à 3 ans permet d’agir dès le plus jeune âge. Le temps de l’école maternelle (3-5 ans) correspond, dans le développement de l’en- fant, à une période d’explosion lexicale. C’est donc le moment idéal pour aider tous les enfants à élargir leur capital lexical. De nombreuses recherches montrent ce que l’expérience et la connaissance empi- rique laissent supposer : l’étendue du vocabulaire à l’école maternelle est un facteur prédictif de la réussite scolaire. Alain Lieury a montré que les corrélations entre réussite scolaire et connaissances lexicales sont plus élevées que celles que l’on peut établir entre réussite scolaire et niveau intellectuel1. Pour l’École, c’est un fait majeur qui renforce, s’il en était besoin, la nécessité de travailler le lexique avec les élèves pour augmenter fortement le vocabulaire de chacun d’eux. Dans la mesure où les mots connus par l’élève conditionnent ses capacités de com- préhension orale, ils conditionnent également sa capacité future d’apprentissage de la lecture et de compréhension à l’écrit. En effet, compréhension écrite signifie déco- dage et compréhension orale2. Grâce à un lexique étoffé acquis à l’école maternelle, l’enfant sera en capacité de comprendre les mots décodés au cours préparatoire. 1— Alain Lieury, Philippe Van Acker, Marielle Clévédé, Paul Durand, « Les Facteurs de la réussite scolaire : raisonnement ou mémoire sémantique ?, 2e année d’une étude longitudinale en cycle secondaire (5e) », Psychologie et psychométrie, 1992. 2 — « Pédagogies et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment choisir ? » Analyse menée en 2018-2019 par le groupe de travail Pédagogies et manuels scolaires du Conseil scientifique de l’éducation nationale (Csen), en collaboration avec l’académie de Paris. 6 — Introduction Il est donc nécessaire de permettre aux élèves d’enrichir leur vocabulaire et leurs capacités d’inférer3 le sens des mots. Chaque jour, dans toutes les situations d’apprentissage, mais aussi dans les échanges du quotidien et grâce aux histoires que le professeur raconte ou lit, les enfants découvrent de nouveaux mots qu’ils doivent réutiliser pour s’exprimer et se faire comprendre. Une simple exposition se révèle toutefois nettement insuffisante pour s’approprier un vocabulaire assez riche. L’enrichissement lexical implique un ensei- gnement explicite et dirigé de cet apprentissage avec des séquences spécifiques, des activités régulières de classification, de mémorisation de mots, de réutilisation de vocabulaire et d’interprétation de termes inconnus à partir de leur contexte ou de leur morphologie. L’un des défis de l’enseignement du vocabulaire se situe dans cet équilibre qu’il faut trouver entre la compréhension des mots en contexte et la réu- tilisation efficace des mots appris en dehors du contexte d’apprentissage. Les séances d’enseignement prennent généralement appui sur des supports d’appren tissage motivants (contes, textes de littérature de jeunesse, œuvres d’art, etc.) mais aussi sur l’attention portée à l’emploi des mots justes dans l’interaction quotidienne, notamment avec les plus petits. La subtilité de cet enseignement réside donc dans la capacité à concevoir des apprentissages progressifs et structurés, en variant les contextes d’utilisation des mots pour faciliter l’apprentissage de leur sens. Cette publication de référence se propose de guider les professeurs dans la mise en œuvre de démarches d’enseignement au service des acquisitions lexicales. 3— Inférence : opération logique qui consiste à conclure qu’une proposition est vraie du seul fait de sa liaison avec une ou plusieurs propositions dont la vérité a été établie précédemment. I L’apprentissage de la langue 8 — L’apprentissage de la langue L’école maternelle doit permettre à chaque enfant de manipuler la langue avec aisance. Pour cela, il est nécessaire d’enrichir le capital lexical du jeune enfant, processus qui relève principalement de la langue orale. L’acquisition du langage Avant toute chose, il est important de bien comprendre ce que recouvrent les mots « langage oral ». Le système linguistique propre à chaque langue définit les mots (lexique) et les règles (syntaxe) qui permettent d’ordonner les mots pour transmettre du sens. Chaque langue repose sur un choix particulier de sons, ou phonèmes, et sur des règles pour les organiser. Par exemple, l’anglais et le français n’utilisent pas les mêmes sons pour construire des mots : le /u/ français n’existe pas en anglais et le /th/ anglais n’est pas utilisé en français ; aucun mot français ne commence par /tl/, suite de phonèmes pourtant possible au milieu du mot comme dans « atlantique »). Ces sons et règles constituent la phonologie de la langue. ENFANT ENSEIGNANT CONCEPTS CONCEPTS SYSTÈME Mots SYSTÈME LINGUISTIQUE Syntaxe LINGUISTIQUE Attitude pédagogique COGNITION COGNITION SOCIALE SOCIALE Attente de connaissances de la part des adultes 9 — L’apprentissage de la langue Ce système linguistique ne suffit pas à définir la langue ; il est à l’interface avec deux autres systèmes qui, eux, sont universels : — un système symbolique et conceptuel : les idées que l’on veut transmettre ; — un système social : les autres êtres humains à qui nos messages sont adressés. Chez la plupart des humains, c’est bien sûr la parole, ou langage oral, qui est le moyen essentiel de communication et qui mobilise les trois systèmes évoqués précédemment : le lexique, la syntaxe et les phonèmes. Il existe plus de 6 000 langues actuellement dans le monde. Tout enfant, sauf en cas de pathologie, apprend spontanément sa langue maternelle. Cet apprentissage commence dès la naissance, et sans doute dans les dernières semaines de la gros- sesse, quand l’oreille et le cerveau sont assez développés pour percevoir, traiter et mémoriser les sons qui traversent le milieu amniotique du fœtus. Le langage est un système extrêmement puissant qui repose sur la capacité des humains à moduler des sons et à les combiner dans des séquences pour transmettre un sens. Chaque langue n’utilise qu’une partie de toutes les combinaisons possibles. Les combinaisons choisies ne sont pas aléatoires mais obéissent à des règles (c’est le champ de la lin- guistique de comprendre quelles sont ces règles, comment elles évoluent et pourquoi les langues se transforment). Pour le bébé, il s’agit d’apprendre quels sont les sons utilisés dans sa langue maternelle et comment ils peuvent se combiner pour faire des mots. C’est ce qu’il fait au cours de sa première année de vie. Il devient alors moins sensible à des sons utilisés par d’autres langues qui ne sont pas présents dans la langue de son environnement. Les petits Japonais perdent la capacité à distinguer /r/ et /l/ et les petits Français à percevoir l’accent du mot qui est fixe en français (sur la dernière syllabe) alors qu’il est variable dans beaucoup d’autres langues (en anglais et en espagnol, par exemple). Par ailleurs, le bébé repère que certaines combinaisons reviennent fréquemment comme son prénom, des mots comme « bisous », « papa », « maman », « biberon », etc. À cet âge, commence la relation entre le système linguistique et le système conceptuel car le bébé comprend non seulement que les syllabes « ma » et « man » sont fréquentes, mais aussi qu’elles réfèrent à une personne, donc que ces bruits arbitraires repré- sentent quelque chose d’autre qu’eux-mêmes4. Le bébé découvre que la parole est une source d’information sur le monde et va utiliser très vite cet outil pour s’aider à catégoriser les objets. Par exemple, dans une expérience, on place un bébé face à un rideau (comme une scène de théâtre), et une main sort un objet A (un canard) de derrière le rideau, puis le replace ; puis, on sort un objet B (un camion) et on le replace derrière le rideau ; puis on lève le rideau pour révéler soit deux objets (un canard et un camion), soit un seul : jusqu’à l’âge de 1 an, le bébé n’est pas surpris de ne voir qu’un seul objet (comme si les canards pouvaient se transformer en camions) ; mais si les deux objets A et B sont nommés au moment où ils apparaissent (« un canard », 4 — Elika Bergelson & Daniel Swingley, “At 6-9 months, human infants know the meanings of many common nouns”, Proceedings of the National Academy of Sciences, 109(9), 3253–3258, 2012. https://doi.org/10.1073/pnas.1113380109. Elika Bergelson & Daniel Swingley, “The acquisition of abstract words by young infants”, Cognition, 127(3), 391–397, 2013. https://doi.org/10.1016/j.cognition.2013.02.011. 10 — L’apprentissage de la langue « un camion »), les enfants sont surpris de ne voir que l’un ou l’autre quand le rideau se lève5. Ceci n’est pas lié au fait d’avoir ajouté de la parole, car si les deux objets sont nommés de la même façon (« un jouet »), les bébés ne sont pas sensibles à la différence entre les deux objets. Le fait de nommer les deux objets par deux noms différents attire leur attention sur le fait qu’il y a deux catégories d’objets et donc qu’ils ne peuvent se transformer l’un dans l’autre. Cet exemple a une portée générale retrouvée dans beaucoup d’études : nommer d’un même nom différents exemplaires d’une catégorie d’objets aide les enfants à découvrir les caractéristiques communes à ces objets qui définissent la catégorie (par exemple différents oiseaux ont tous des ailes), et ce mot les aide à mémoriser la catégorie (il existe des animaux qui sont des oiseaux). Le fait d’enrichir le vocabulaire de l’enfant attire donc son attention sur des aspects du monde. Il profite de ce que les autres ont déjà découvert. De fait, lorsque les enfants (typiquement entre 2 et 4 ans) passent leur temps à deman- der à leur entourage « c’est quoi ça ? », ils en retirent beaucoup plus d’informations que le seul nom d’un objet. On s’en rend compte en comparant deux cultures : prenons l’exemple d’un enfant qui vit en ville ; il pointe vers un arbre en disant « c’est quoi ça ? » et on lui répond « c’est un arbre » ; puis vers un autre arbre, et on lui répond à nouveau « c’est un arbre ». Cet enfant n’aura pas seulement appris que les arbres s’appellent « arbre », il saura aussi qu’il n’a pas besoin de prêter attention aux différences entre les arbres (différentes feuilles, écorce, etc.). Au contraire, dans une communauté de chasseurs-cueilleurs où la subsistance repose sur la reconnaissance fine de nombreuses plantes, chaque arbre (fleur, plante) recevra son propre nom, et l’enfant saura qu’il doit prêter attention aux différences fines entre ces objets. L’école décuple cette faculté en systématisant les apprentissages par le partage d’informations entre adultes et enfants, et en leur faisant découvrir de nouveaux mots, donc de nouveaux concepts. Le rôle de l’école maternelle est donc d’agir sur trois niveaux : — améliorer l’aisance de l’enfant dans sa manipulation du système linguistique. Entre la petite section (3 ans) et la grande section (6 ans), le renforcement de la mémoire verbale et de la syntaxe va permettre à l’élève de passer des courtes phrases, le plus souvent à la forme active, à des phrases longues et complexes ; — enrichir les concepts et donc le vocabulaire pour parler des formes et des nombres, du temps, de l’espace et des nombreuses catégories d’objets, d’ani- maux, et de bien d’autres choses encore. Les mots nomment les choses. Enrichir le vocabulaire améliore donc la compréhension du monde par l’enfant ; — favoriser le sentiment de confiance chez l’enfant. L’apprentissage méthodique du lexique, de la syntaxe et la stimulation de la conscience phonique par la lecture de textes et par des jeux permettent à l’enfant d’appréhender le monde en confiance. 5 — Fei Xu, “The role of language in acquiring object kind concepts in infancy”, Cognition, 85(3), 223–250, 2002. 11 — L’apprentissage de la langue L’acquisition du sens des mots On estime que le vocabulaire d’un être humain adulte se compose de 50 000 à 100 000 mots, ce qui conduit à considérer que les enfants apprennent en moyenne 10 mots nouveaux par jour. Tout comme les adultes lorsqu’ils entendent un mot nou- veau, les enfants apprennent le sens des mots grâce à leur contexte. Par exemple, si un garagiste explique à un client que la calandre de sa voiture est cassée, même si ce client ne connaît pas le mot « calandre » au début de la conversation, il en aura au bout de quelques minutes une idée assez claire (il comprendra que c’est une pièce de la carrosserie, sa fonction, sa forme, etc.). Mais la tâche est plus facile pour un adulte qui connaît tous les mots sauf un dont il est en train d’apprendre le sens, que pour les enfants qui ont énormément de mots nouveaux à apprendre. De nombreuses expériences ont montré que les enfants utilisent un faisceau d’indices pour deviner le sens des mots qu’ils entendent : — le contexte linguistique : la phrase dans laquelle le mot se trouve ; — le contexte visuel : ce qui se trouve autour d’eux ; — des indices sociaux : la direction du regard de leur interlocuteur. Ainsi, des enfants de 18 mois à qui on montre une vidéo d’un pingouin qui saute, pensent que « bamoule » veut dire « saute » s’ils entendent « oh regarde, elle bamoule ! », mais que « bamoule » veut dire « pingouin » s’ils entendent « oh regarde, c’est une bamoule ! »6. Ils sont donc capables d’inférer qu’un mot nouveau, comme « bamoule », désigne une action s’il est présenté dans une phrase où il occupe la position d’un verbe (après un pronom personnel), mais un objet s’il est présenté dans une phrase où il occupe la position d’un nom (après un article). Des enfants de 19 mois, quant à eux, sont capables d’inférer que « bamoule » est un animal et pas un objet inanimé, s’ils ont entendu auparavant une phrase comme « la bamoule pleure » (mais ne savent pas de quel côté regarder si on leur a dit « la bamoule est là »)7. Ils sont donc capables d’utiliser l’information que le sujet d’un verbe comme « pleurer » est un être animé, pour inférer des propriétés du nouveau mot « bamoule », et donc son sens probable. Cela fonctionne aussi pour des mots plus abstraits, qui sont difficiles à observer, comme « penser » ou « croire » : en effet, on peut dire « je pense qu’il fera beau demain » ou « je donne un livre à Pierre », mais pas « je donne qu’il fera beau demain » ou « je pense un livre à Pierre ». Le fait qu’un verbe puisse prendre une proposition entière comme complément (« qu’il fera beau demain ») donne une information importante sur son sens possible : c’est forcément un verbe de pensée (penser, croire, espérer, etc.), ou un verbe de communication (dire, crier, etc.), et cela est vrai dans toutes les langues 6 — Angela Xiaoxue He & Jeffrey Lidz “Verb Learning in 14- and 18-Month-Old English-Learning Infants”, Language Learning and Development, 13(3), 335 356, 2017. https://doi.org/10.1080/15475441.2017.1285238. 7 — Brock Ferguson, Eileen Graf & Sandra R. Waxman, “Infants use known verbs to learn novel nouns: Evidence from 15- and 19-month-olds”, Cognition, 131(1), 139 146, 2014. https://doi.org/10.1016/j.cognition.2013.12.014. 12 — L’apprentissage de la langue du monde, puisque cela fait partie même du sens de ces verbes (on peut penser à un événement entier, qui sera décrit par une proposition entière)8. Le développement de l’attention de l’enfant En ce qui concerne le rôle des indices sociaux, dès l’âge de 1 an, les enfants peuvent suivre le regard de leur interlocuteur ainsi qu’un signe de pointage du doigt vers un objet. Par exemple, si un adulte regarde alternativement un objet et l’enfant, en lui donnant un nom pour cet objet (« oh, regarde, c’est un camion ! »), l’enfant va suivre son regard et attacher le mot en question à l’objet qui est le focus de l’attention partagée ; et il est très facile pour l’adulte de voir si l’enfant suit son regard ou non. Si l’enfant prête attention à autre chose et ignore ce sur quoi on essaye d’attirer son attention, il vaut mieux se mettre à parler de ce à quoi il prête attention. On peut nommer les objets de l’univers familier de l’enfant, puis les situations et y associer l’enfant pour capter son attention. Pour illustrer le fait que l’enfant suit l’attention de l’adulte, l’expérience du téléphone est intéressante : un expérimentateur joue avec deux objets, un objet familier (par exemple, une balle) et un objet nouveau (par exemple, un nouveau jouet) ; dans une condition expérimentale, après avoir joué avec la balle et l’avoir nommée, il regarde le nouveau jouet et le nomme avec un mot nouveau (« oh regarde, c’est une bamoule ! Qu’est-ce qu’elle est belle cette bamoule ! », etc.) ; dans l’autre condition expérimentale, juste au moment où il allait nommer le nouveau jouet, le téléphone sonne ; l’expérimen- tateur se lève, prend son téléphone, parle au téléphone sans regarder l’enfant ni le nouveau jouet, et il dit exactement la même chose (« oh regarde, c’est une bamoule ! Qu’est-ce qu’elle est belle cette bamoule ! »). Dans les deux conditions, l’enfant prête attention au nouveau jouet. Mais quand on teste si l’enfant a appris le sens du mot « bamoule » (est-ce qu’il regarde le nouveau jouet quand on lui dit « regarde la bamoule ! »), seuls les enfants de la première condition l’ont appris. Ceux de la deu- xième condition ont inféré que puisque l’adulte parlait au téléphone, il n’était pas en train de s’adresser à eux et que ce n’était pas le moment d’apprendre quelque chose9. 8 — Lila R. Gleitman “The Structural Sources of Verb Meanings”, Language Acquisition, 1(1), 3–55, 1990, https://doi.org/10.1207/ s15327817la0101_2. Cynthia Fisher & Lila R. Gleitman, “Language Acquisition”, in Stevens’ Handbook of Experimental Psychology. https://doi.org/10.1002/0471214426.pas0311. 9 — Dare A. Baldwin, Ellen M. Markman, Brigitte Bill, Renee N. Desjardins, Jane M. Irwin & Glynnis Tidball, “Infants’ Reliance on a Social Criterion for Establishing Word-Object Relations”, Child Development, 67(6), 3135 3153, 1996. https://doi.org/10.1111/j.1467-8624.1996.tb01906.x. 13 — L’apprentissage de la langue Toutes ces expériences mènent à deux conclusions principales : tout d’abord, lorsque les enfants apprennent le sens d’un mot, c’est grâce à un véritable processus d’infé- rence (ils calculent le sens le plus probable pour ce mot, dans son contexte au sens large), et pas une simple association entre un son et un stimulus visuel. Ensuite, le contexte linguistique d’un mot fournit énormément d’informations sur le sens possible de ce mot (un objet/une action, un être animé/un objet inanimé, un verbe de pensée/un verbe de transfert, etc.). Ce deuxième point amène lui-même une interrogation : si le contexte linguistique des mots est si informatif, comment font les enfants pour distinguer les propriétés des contextes ? Par exemple, comment apprennent-ils que s’ils entendent « elle bamoule », « bamoule » réfère probablement à une action ? Cela vient du fait que les enfants démarrent leur apprentissage avec une poignée de mots très concrets, fréquents, facilement observables dans leur environnement (biberon, doudou, manger ou boire), et, en effet, dès l’âge de 6 mois, on peut observer des traces de connaissances pour ce type de mot10. Puis, ils mémorisent les contextes dans lesquels ces mots se produisent (par exemple : elle mange, elle boit), et peuvent ensuite inférer, lorsqu’ils entendent un mot nouveau, comme « elle bamoule », que « bamoule » est un mot qui partage des propriétés sémantiques avec les mots qu’ils connaissent déjà (« bamoule » est sem- blable à « manger » et « boire », c’est aussi une action). Pour tester cette hypothèse, une expérience récente a entrepris d’enseigner à des bébés de 20 mois des nouveaux contextes linguistiques, en utilisant une langue qui est presque le français, avec deux articles supplémentaires du français « augmenté ». Dans ce pseudo-français, tous les mots qui réfèrent à des êtres animés sont précédés par l’article « ko », et tous ceux qui réfèrent à des objets inanimés, par l’article « ka ». Les enfants commencent par regarder une petite vidéo où une dame joue avec des peluches d’animaux et des objets, qui sont connus par les enfants (par exemple : « oh, regarde ko poule », « elle lit ka livre ! », « ko poule appelle ko petit lapin », « Ko lapin va monter dans ka voiture », etc.). Puis, au moment du test, on leur présente un mot nouveau, en leur laissant un choix entre un nouvel animal, et un nouvel objet inanimé ; lorsqu’ils entendent « oh, regarde ko bamoule ! », les bébés de 20 mois regardent davantage le nouvel animal que lorsqu’ils entendent « oh, regarde ka pirdale ! »11. Cette expérience montre que les jeunes enfants exploitent des mots qu’ils connaissent déjà pour inférer des pro- priétés des nouveaux articles qui leur sont présentés ; puis, ils utilisent les nouveaux articles pour inférer des propriétés de mots nouveaux. On voit donc que l’apprentissage du sens des mots est le résultat d’un cercle vertueux, où la connaissance d’un petit nombre de mots permet d’apprendre certains éléments de syntaxe, qui permettent d’apprendre plus de mots, etc. Tous ces résultats ont des conséquences directes sur les conditions qui vont permettre un apprentissage des 10 — Elika Bergelson & Daniel Swingley, “At 6-9 months, human infants know the meanings of many common nouns”, Proceedings of the National Academy of Sciences, 109(9), 3253–3258, 2012, https://doi.org/10.1073/pnas.1113380109. Elika Bergelson & Daniel Swingley, “The acquisition of abstract words by young infants”, Cognition, 127(3), 391–397, 2013. https://doi.org/10.1016/j.cognition.2013.02.011. 11 — Monica Barbir, The way we learn, thèse de doctorat, université PSL, Paris, 2019. 14 — L’apprentissage de la langue mots réussi : pour enseigner un mot nouveau à un enfant, il faut capter son attention, puis lui présenter ce mot dans des contextes variés afin de réduire l’ambiguïté et de lui permettre de « cerner » au mieux le sens le plus probable du mot. Et pour qu’il puisse apprendre les propriétés des contextes linguistiques, il faut lui présenter des mots qu’il connaît déjà, dans des contextes variés. L’inégale acquisition du langage par les élèves Le niveau verbal entre enfants est inégal. Or, il est l’un des facteurs essentiels pour l’apprentissage de la lecture, l’autre étant la capacité à manipuler les sons de la parole (syllabes puis phonèmes). En effet, le langage écrit est plus soutenu que le langage oral et il est plus facile d’être efficace dans le décodage si on retrouve des mots et tournures de phrases que l’on connaît déjà. La différence de niveau verbal entre enfants dépend non seulement de la quantité de langage auquel ils ont été exposés mais surtout de sa nature12. En moyenne, les parents issus de catégories socio-professionnelles favorisées et qui ont un niveau de diplômes plus élevé parlent davantage à leur enfant ; ils utilisent un vocabulaire plus riche et plus divers, approfondissent le sujet abordé par l’enfant et prononcent moins de phrases ayant pour but de diriger le comportement de l’enfant. Les mots d’encouragement sont plus nombreux, avec moins de phrases d’interdiction. Les diffé- rences ne concernent pas que le vocabulaire mais aussi la longueur et la richesse de la syntaxe. Il existe une relation significative entre la fréquence de phrases complexes utilisées par les parents, mais aussi par les enseignants, et celles produites par les enfants de 4 ans13. Il se met alors en place une boucle vertueuse, car les adultes complexifient leur production en fonction du niveau de l’enfant. Les enfants utilisant des phrases plus longues et complexes ont des réponses de l’adulte elles aussi plus complexes, ce qui les amène à progresser. Il est donc nécessaire de toujours se placer un peu au-delà de la production de l’enfant et de se trouver, pour ainsi dire, « sur la marche supérieure » afin de mener l’enfant vers ce niveau. Plus un enfant maîtrise un riche vocabulaire, plus facilement il acquiert de nouveaux mots et plus rapidement il comprend des phrases complexes. 12 — Voir review de Jessica Schwab & Casey Lew-Williams, “Repetition across successive sentences facilitates young children’s word learning”, Developmental Psychology, 52(6), 879 886, 2016. 13 — Janellen Huttenlocher, Marina Vasilyeva, Elina Cymerman & Susan Levine, “Language input and child syntax”, Cognitive Psychology, 45(3), 337 374, 2002. https://doi.org/10.1016/S0010-0285(02)00500-5. 15 — L’apprentissage de la langue En pratique, pour que les enfants apprennent, il faut leur proposer une activité qui contient la juste proportion d’éléments nouveaux : si l’enfant connaît tout, il n’appren- dra rien ; s’il ne connaît rien, il n’apprendra rien non plus. Imaginons un professeur qui lit à sa classe une histoire écrite dans un langage soutenu, avec du vocabulaire choisi, sans montrer d’images : les enfants qui ont un niveau de langage suffisant vont comprendre l’histoire, l’apprécier et apprendre des éléments de langage qu’ils ne connaissaient pas encore ; ceux qui n’ont pas un niveau de langage suffisant ne vont rien comprendre, se désintéresser de l’histoire et arrêter d’écouter. C’est toute la difficulté du professeur qui fait face à toute une classe avec des niveaux de langage très variés, parce que les enfants ont des âges différents et ne reçoivent pas tous la même exposition au français à la maison. Il est important de ménager du temps en petits groupes, voire en tête-à-tête, pour leur proposer des activités avec un niveau de langage qui leur permette de faire décoller leur système d’apprentissage du lan- gage, jusqu’à ce qu’ils puissent rattraper leurs pairs dans les activités communes. Avec de très jeunes enfants, il convient d’éviter les messages ambigus et de ne pas surestimer la capacité des enfants scolarisés à l’école maternelle à comprendre le second degré. Les écarts qui se veulent de l’ironie ou de l’humour peuvent mettre des enfants en difficulté ; ils mettent beaucoup de temps à dépasser le sens littéral et à interpréter des phrases qui peuvent être contradictoires entre mots et intonation, comme « Quel méchant garçon ! » dit avec tendresse. Autres sources de difficulté : jouer sur l’écart entre le sens littéral des mots et le sens dans la phrase grâce à l’in- tonation (une phrase négative avec une intonation positive), utiliser des références culturelles que l’on imagine connues de tous (par exemple : « Tu crois au Père Noël ! »). 16 — L’apprentissage de la langue En résumé Le système linguistique propre à chaque langue définit les mots et les règles qui permettent d’ordonner les mots pour transmettre du sens. Le bébé découvre que la parole est source d’information sur le monde et utilise très vite cet outil pour catégoriser les objets, comprendre le monde qui l’entoure et exprimer ses désirs. La différence de niveau verbal entre enfants s’explique surtout par la qualité du langage auquel ils ont été exposés. Les enfants apprennent le sens d’un mot grâce à un processus d’inférence à partir des informations fournies par le contexte linguistique de ce mot. Les mots doivent leur être présentés dans des contextes variés. Pour enseigner un mot nouveau à un jeune enfant, il faut capter son attention. Deux éléments clés continuent à s’améliorer entre 3 et 6 ans : la mémoire verbale et la syntaxe. L’enfant va passer de la production de courtes phrases en petite section, à la compréhension et à la production de phrases plus longues et complexes à la fin de la grande section. Pour qu’un enfant apprenne, il ne doit pas être confronté à trop d’éléments nouveaux à la fois dans l’activité proposée. Avec de très jeunes enfants, il faut éviter les messages ambigus et ne pas surestimer leur capacité à comprendre le second degré de la langue ou certaines références culturelles. II L’enseignement du vocabulaire 18 — L’enseignement du vocabulaire L’enseignement du vocabulaire à l’école maternelle a pour finalité de permettre à tous les élèves de s’exprimer à l’aide de phrases complexes et de commencer, dans de bonnes conditions, l’apprentissage de la lecture au CP. Les démarches les plus efficaces associent un enseignement structuré, régulier et explicite, des situations multiples d’interactions individuelles et collectives ainsi qu’une attention particulière à l’appropriation des mots. Compétences langagières attendues à la fin de la maternelle En éprouvant ses habiletés de communication et en découvrant leurs effets, l’enfant devient progressivement conscient de ses capacités langagières : autour de 4 ans, les enfants découvrent que les personnes pensent et ressentent. Ils commencent donc à agir sur autrui par le langage et à se représenter l’effet qu’une parole peut provoquer : ils peuvent alors comprendre qu’il faut expliquer et réexpliquer pour qu’un interlocuteur comprenne, et l’École doit les guider dans cette découverte. Ils commencent à poser de vraies questions, à saisir les plaisanteries et à en faire. Dès lors que l’enfant dispose de cette capacité, l’enseignant doit adopter une posture d'écoute active dans l’échange pour conduire l’élève à dire ce qu’il veut dire. Il faut donc lui laisser le temps, ne pas le couper, ni terminer son propos à sa place, sans quoi, très vite, le très jeune élève s’adapte et se contente d’évoquer au lieu de dire, ou de dire ce qu’il croit que l’enseignant attend. En effet : « Trente pour cent des élèves ne prennent pas la parole et la longueur Pierre Peroz, moyenne des interventions des autres élèves est de 6 à 8 mots « Apprentissage (Florin, 1991), bien loin de ce qui serait nécessaire pour construire du langage oral les phrases complexes ou acquérir les compétences discursives, à l’école maternelle », raconter, décrire, expliquer, etc., attendues en grande section in Pratiques, par le programme (2015) pour l’école maternelle. » n° 169-170, 2016. La pédagogie du langage doit aider l’enfant à passer de la simple conversation ancrée dans l’action à un langage plus détaché du contexte ou évoquant des éléments absents de la situation. 19 — L’enseignement du vocabulaire L’enrichissement du vocabulaire d’un élève consolide la réflexion, l’expression orale et la dimension écrite du langage. La quantité et la qualité de son vocabulaire facili teront son entrée dans la lecture. La richesse du vocabulaire s’inscrit dans le cercle vertueux qu’initie la lecture : plus on a de vocabulaire, mieux on lit, et plus on lit, plus on enrichit son vocabulaire. Le nombre de mots potentiellement connus par un individu, l’étendue des informations formelles et sémantiques associées à chaque mot, la maîtrise des structures syn taxiques formelles, les capacités à comprendre, à rappeler et à produire oralement des histoires, à effectuer des inférences, sont autant de capacités dont la construction débute à l’oral avant même l’entrée à l’école et qui favorisent la compréhension en lecture dès le cours préparatoire mais aussi plusieurs années après. Des difficultés précoces dans ce domaine ont des répercussions immédiates, mais aussi à plus long terme, sur les performances de compréhension en lecture14. Les professeurs constatent chez les élèves l’utilisation plus ou moins élaborée des énoncés verbaux : des élèves utilisent des « mots phrases », juxtaposent deux mots pour se faire comprendre ; d’autres élaborent des phrases avec un groupe nominal simple et un groupe verbal simple ou dans des structures simples ; d’autres encore élaborent des phrases plus longues, parfois même des phrases complexes. En fin de grande section, tous les élèves devraient : — s’appuyer sur des verbes très fréquents (dire, faire, mettre, aller, prendre, avoir, être, etc.) et des pronoms pour s’exprimer ; — s’emparer du vocabulaire travaillé en classe et l’utiliser à bon escient dans les tâches langagières ; — corriger et reprendre leurs propos pour remplacer un mot par un autre, plus précis ; — employer un vocabulaire usuel (vie quotidienne à l’école) suffisamment développé pour être précis dans leurs prises de parole et dans les activités ordinaires de la classe ; — réutiliser dans un autre contexte les mots appris dans un certain contexte ; — utiliser régulièrement des adjectifs et des adverbes pour spécifier leur propos ; — s’interroger sur un mot dont on ignore le sens ; — utiliser des connecteurs logiques et temporels. Le contexte scolaire offre naturellement de nombreuses situations de communi cation qui ont toutes un intérêt pour faire progresser les élèves dans l’acquisition des instruments du langage et de ses usages. Ces occasions diverses de situations rituelles, de jeux, de conversations, permettront à l’élève de : — ritualiser certaines paroles utilisées dans des occasions précises : l’accueil, l’appel, l’habillage, le rangement, la présentation des activités et la passation des consignes, les synthèses et les bilans, fournissent des moments propices à la mémorisation de mots et de structures syntaxiques ; 14 — Maryse Bianco, Lire pour comprendre et apprendre, Rapport scientifique, Conférence Cnesco. www.cnesco.fr/fr/lecture/lire-pour-comprendre-et-apprendre. 20 — L’enseignement du vocabulaire — entrer dans un vrai échange conversationnel avec l’adulte dans des activités où adulte et enfant(s) auront des rôles complémentaires qui les obligent à dire, à demander (jeux de construction, jeux de 7 familles, jeu de la marchande, etc.), à commenter, en utilisant un lexique spécifique précis ; — entrer dans une communication par l’activité gestuelle (chansons à gestes), ou par l’activité entre pairs (un projet pour faire ensemble), dans le but d’utiliser, d’éprouver, son vocabulaire et ses habiletés en toute confiance. Ces situations de communication permettront de servir de base à l’apprentissage de contextes linguistiques, puis de diversifier les contextes d’utilisation des mots ainsi découverts. Un enseignement explicite fondé sur l’interaction avec l’élève Échanger L’acquisition du langage se fait grâce aux interactions entre l’enfant et ses proches. L’adulte conçoit spontanément des scénarios d’échanges entre lui et l’enfant. Ces routines ritualisées, installées dès la naissance, préfigurent les interactions futures de l’enfant avec son entourage. Dans les premiers âges de la vie, la pratique de l’oral, en relation duelle, est cruciale. À son entrée à l’école maternelle, c’est essentiellement vers les adultes de référence, le professeur, l’agent territorial spécialisé en école maternelle (Atsem) et l’accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) que le très jeune enfant se tourne pour faire part de ses besoins premiers, affectifs et physiologiques. Il noue une relation de confiance avec eux. C’est pourquoi ils sont les partenaires privilégiés d’une relation duelle, qui favorise des conversations spontanées comparables à celles que l’enfant peut avoir avec un parent dans la vie familiale. Les repas, la sieste, l’habillage et le déshabillage, la gestion de la propreté corporelle constituent autant de situations de communication authentiques, où l’élève peut exprimer des besoins, des ressentis, qui favorisent le développement des capacités langagières. Les moments fonctionnels de la vie de la classe sont autant d’occasions d’apprendre de nouveaux mots et de découvrir leurs usages en contexte. Les situations d’apprentissage mises en œuvre dans la classe proposent un étayage intentionnel : relances, reformulations en langage légèrement plus soutenu15. 15 — Philippe Boisseau, Enseigner la langue orale en maternelle, Retz, 2005. 21 — L’enseignement du vocabulaire L’élève progresse en s’appropriant la langue des adultes. Ceux-ci doivent être attentifs au maintien de l’attention de l’enfant. Cela exige de porter une attention toute parti culière à la dimension modélisante du langage des adultes. Une des clés de l’enseignement du vocabulaire chez les très jeunes élèves consiste à écouter et partager, sans reprendre ou corriger systématiquement quand adviennent les premiers essais pour dire, mais au contraire en maintenant l’échange et la relation. Une seconde clé avec les plus jeunes élèves revient à créer les conditions de cette attention conjointe, en les observant lors d’activités libres dans les différents « coins d’évolution » (lecture, cuisine, jeux, etc.) et en allant partager un moment avec l’un d’entre eux pour entrer en conversation avec lui, sans intrusion, à son écoute. Entrer en communication avec l’élève par le biais de jeux libres dans les espaces dédiés aux jeux symboliques permet au professeur de reformuler les énoncés de l’élève. Cette interaction langagière s’exerce au profit de l’élève qui, peu à peu, s’approprie un vocabulaire plus étendu. Parler Tout le savoir-faire professionnel du professeur est convoqué pour conduire à un enseignement du vocabulaire le plus efficace possible. Le langage du professeur, tout autant que celui des élèves, est au cœur de tous les domaines d’apprentissage de l’école maternelle. Il est présent dans tous les temps de la journée de l’élève. C’est lui qui accompagne l’activité de l’enfant par sa mise en mots. « Les ajustements de l’adulte se traduisent également dans l’expression Agnès Florin, verbale : il ne s’adresse pas à un tout-petit comme à un adolescent. Introduction On parle de langage adapté à l’enfant (LAE), dont les principales à la psychologie caractéristiques sont les suivantes : ralentissement du rythme de la parole, du développement, intonation exagérée, vocabulaire limité et composé de mots à référence Dunod, 2003. concrète et fréquents dans la langue, énoncés courts, discours redondant (l’adulte se répète et répète ce que dit l’enfant, souvent en y ajoutant de l’information), de nombreuses descriptions et demandes d’actions ou d’informations. » Une des premières difficultés de l’élève de maternelle est d’identifier un mot dans la chaîne sonore de l’adulte. L’accompagnement langagier du professeur est certes contextualisé et porté par des phrases, ce qui lui confère une richesse, néanmoins ce travail n’est efficace que s’il est pensé explicitement : éloigné de toute approxi mation, utilisant des structures (syntaxe, lexique, tournures, etc.) et un registre de langue choisis, ce modèle linguistique permet de construire et d’enrichir les capa cités des élèves. 22 — L’enseignement du vocabulaire C’est pourquoi il est nécessaire que le professeur mette en œuvre un « parler pro fessionnel » qui permet la découverte et l’appropriation du lexique et de la syntaxe : — une parole modulée au débit ralenti avec une articulation marquée ; — des phrases courtes énoncées sans interruption en détachant les constituants grammaticaux pour favoriser la prise de repères syntaxiques ; — des modes de questionnement ouverts qui induisent des réponses avec des phrases plus complexes ; — un réseau de reprises et de reformulations proches du langage de l’élève, pour enrichir, préciser, mettre en relief le lexique ou certaines tournures, fixer des références par la remémorisation. Lire Les élèves découvrent de nouveaux mots et de nouvelles structures syntaxiques par la lecture faite par l’adulte et par les échanges qui en découlent. « Les moments de réception où les enfants travaillent mentalement sans Programme de l’école parler sont des activités langagières à part entière que le professeur maternelle, Bulletin doit rechercher et encourager, parce qu’elles permettent de construire officiel spécial n° 2 des outils cognitifs : reconnaître, rapprocher, catégoriser, contraster, du 26 mars 2015. se construire des images mentales à partir d’histoires fictives, relier des événements entendus et/ou vus dans des narrations ou des explications, dans des moments d’apprentissages structurés, traiter des mots renvoyant à l’espace, au temps, etc. » Un enseignement explicite Le caractère explicite de l’enseignement est la condition essentielle de sa réception par l’élève. Par la précision et la tenue de son langage, le professeur montre l’im portance du soin qu’il doit accorder à la langue. L’acquisition du vocabulaire se fait en classe : — dans des situations où les mots et leur sens sont associés à des actions ritualisées pendant lesquelles ils sont employés, répétés, remis régulièrement en mémoire par le professeur et les pairs ; — lors de rencontres incidentes, au fil d’une activité, d’une lecture. Ces rencontres permettent l’acquisition du vocabulaire, à condition que l’attention soit bien focalisée sur ces mots nouveaux et qu’ils soient sollicités lors de séances où le vocabulaire est décontextualisé. Enfin, pour optimiser les apprentissages, il faut également prendre en considération les temps de classe qui sont consacrés au suivi des progrès des élèves. 23 — L’enseignement du vocabulaire Il ne suffit pas de mettre l’élève en activité pour qu’il s’approprie les compétences visées. Il est essentiel que des outils mentaux lui soient donnés pour qu’il prenne conscience de ses connaissances, de la façon dont il les a acquises et de sa manière de les utiliser (métacognition). Ce sont les phases de rétroaction et d’anticipation, temps de langage qui permettent de distinguer l’action seule et l’apprentissage. Pour cela, il faut que l’élève sache exactement ce qu’on attend de lui et que le professeur commente ensuite avec lui la tâche réalisée. La nature du retour (bilan) réalisé et les questions posées à l’élève auront un impact spécifique sur l’apprentissage en jeu, et par conséquent également sur l’usage du vocabulaire visé. « Une grande part des difficultés éprouvées par certains élèves à l’école, Christine Caffieaux, et ce, dès la maternelle, se situent sur le plan de l’identification des enjeux « Analyse des cognitifs des tâches scolaires. Certains élèves (les moins performants) caractéristiques réduisent cet enjeu à la simple réalisation de la tâche. Les savoirs des feedback fournis sont assimilés aux savoirs d’actions scolaires ponctuels (répondre par des enseignants à une question, chercher un document, coller des vignettes, remettre d’école maternelle en ordre des images, participer aux échanges verbaux) et n’incluent face aux prestations pas ce que ces actions permettent d’apprendre au‑delà de leur de leurs élèves », mise en œuvre. Enfermés dans une logique du faire et guidés par Mesure et évaluation la recherche de la réussite immédiate, ces élèves traitent les tâches en éducation, 2009. scolaires sans chercher à en saisir la signification, c’est-à-dire ce qu’elles permettent d’apprendre. (…) Il s’agit de dépasser l’attitude de “faire ce que le maître dit” et de comprendre ce qu’on fait et comment on le fait. Et aussi pourquoi on le fait. » Un enseignement progressif Pour assurer le caractère progressif et méthodique de l’enseignement du voca bulaire, deux conditions sont nécessaires : — avoir une vision structurée de l’enseignement du vocabulaire ; — disposer au départ d’un corpus de mots soigneusement choisis. Le choix du corpus s’effectue en fonction de l’âge des élèves et de leurs besoins. Les situations proposées sont motivantes, proches de l’univers de la tranche d’âge de l’enfant. L’attention du professeur est constante pour suivre les progrès réalisés et adapter les activités pour qu’elles soient accessibles à tous les élèves et qu’elles répondent à des besoins langagiers qu’il aura préalablement identifiés. Une programmation annuelle assure la cohérence et la continuité dans la durée des séquences pédagogiques, lors de leur élaboration, quant au choix : — du vocabulaire ; — de la syntaxe ; — des supports (contes mythologiques et traditionnels, albums de littérature jeunesse, poèmes, chansons, comptines, projets communs, séquences sur la vie des plantes ou des animaux, etc.) ; 24 — L’enseignement du vocabulaire — des situations langagières (le temps de l’accueil, l’ouverture et la clôture des séances dans tous les domaines d’apprentissage, les jeux dans les espaces aménagés, les ateliers de langage, etc.) ; — du travail sur le matériau de la langue (code alphabétique et phonologie). L’enseignement n’est pas linéaire et continu. Il prévoit des retours en arrière réguliers, des activités de réemploi afin de permettre à l’élève de mobiliser ses connaissances et de les stabiliser. En petite section, l’enseignement du vocabulaire consiste à mettre en relation le monde avec les mots. Avec de très jeunes élèves, le professeur s’appuie sur la réalité tangible que représente un objet que l’enfant n’a encore jamais vu ou dont il dispose dans son univers familier. Il attire l’attention des élèves sur son aspect, sa forme, sa ressemblance avec d’autres objets, son usage et l’expérience que les élèves ont de cet objet dans leur univers familier. Pour la représentation imagée, on préférera une photographie à une illustration, trop souvent stylisée et loin de la réalité maté rielle de l’objet, et surtout il sera bien spécifié aux élèves que l’objet est représenté. Progressivement, dès que l’élève est en mesure de prendre de la distance avec les énoncés oraux et que la parole devient objet de conscience, il devient possible de travailler en allant du mot vers le monde. Il n’est pas envisageable d’expliquer un mot nouveau aux élèves de petite section par une définition ou par un synonyme. Ces derniers seraient une source supplémen taire de difficulté. Le recours à l’objet lui-même, à l’action mimée s’il s’agit d’un verbe, doit devancer la représentation. En grande section, il est possible d’expliquer un mot par le recours à un autre mot, ou par une définition aux termes choisis. Les élèves sont en mesure d’établir des liens entre les mots et de commencer à comprendre qu’ils fonctionnent en réseau. EXEMPLE D’ACTIVITÉ EN MOYENNE SECTION, en prévision de la lecture d’un conte de Sara Cone Bryant, Le Petit Moulin merveilleux, le professeur explicite préalablement ce qu’est un moulin. Lors d’une séance d’anticipation, il fait découvrir et manipuler un moulin à café ancien, et introduit le verbe moudre, qui est récurrent dans le conte. Après la lecture et l’étude du conte, il montre aux élèves un moulin électrique. EN GRANDE SECTION, il introduit la représentation imagée de différentes sortes de moulins (objet, moulins à vent restaurés, éolienne, etc.) et s’attache à faire émerger le concept technologique sous-jacent (usage de l’eau ou du vent, comme énergie pour entraîner un mécanisme). 25 — L’enseignement du vocabulaire Des modalités d’apprentissage adaptées aux besoins des élèves Des situations d’apprentissage variées sont proposées pour créer, en fonction des besoins observés dans la classe et pour chaque élève, les conditions d’un appren tissage du vocabulaire et de sa mémorisation : — en jouant : le jeu individuel ou collectif favorise la richesse des expériences vécues par les enfants. Toutes les activités de jeu qui sollicitent le langage oral, puis l’utilisation de jeux spécifiques (loto, jeu d’appariement, etc.) peuvent assurer la découverte, l’acquisition et la réactivation des mots ; — en réfléchissant et en résolvant des problèmes : toutes les activités qui permettent la réflexion des enfants conduisent à des activités cognitives de qualité. Pour cela, le professeur les met face à des problèmes à leur portée. Les activités d’obser vation, de tri, de comparaison, de catégorisation constituent de vraies situations problèmes. Les élèves recoupent des situations, mobilisent leurs connaissances, recourent à leur imagination, font des propositions et des choix. Ils procèdent par tâtonnement et font des essais de réponse. Ils mettent en œuvre diverses compétences langagières (converser, questionner, répondre, prescrire, décrire, raconter, exposer, justifier, expliciter) et construisent des opérations cognitives (comparer, catégoriser, associer, inférer, mémoriser) ; — en s’exerçant : les apprentissages et leur stabilisation nécessitent du temps. Les activités de répétition en variant les contextes, les situations et les supports sont donc indispensables ; — en mémorisant et en se remémorant : les temps et les outils de mémorisation permettent aux élèves d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences ainsi qu’une méthodologie qu’ils n’ont pas pour mémoriser. Toutes les activités qui permettent l’usage des mots favorisent l’enrichissement et la stabilisation du vocabulaire (mise en scène, sac à histoires, tapis de contes, boîte à histoires, plan de récit, etc.). Les différences de maturité et d’exposition au langage des élèves nécessitent d’en visager une progressivité des apprentissages. Par exemple, l’attention d’un élève de petite section ne peut être sollicitée sur les mêmes supports que celles des élèves de moyenne ou de grande section. Les supports proposés en petite section doivent être choisis avec discernement : les centres d’intérêt des petits se limitent aux his toires simples. De même, les activités de catégorisation doivent être différenciées. 26 — L’enseignement du vocabulaire Un apprentissage des mots organisé à partir des trois dimensions (la forme, le contenu et l’usage) Acquérir un mot pour un élève renvoie à trois composantes : — la forme concerne la phonologie (à l’école élémentaire, l’élève abordera la forme écrite du mot) avec un travail concentré sur les sons perçus et articulés. Le pro fesseur favorise le mécanisme analytique qui permet aux enfants de décomposer la parole entendue en unités pertinentes (les mots) pour construire des repré sentations adéquates. Il attire l’attention des élèves sur les ressemblances avec un mot connu (« savane »/« savate ») et veille à une prononciation juste ; — le contenu se réfère à la signification du mot. Le sens d’un mot comporte un noyau stable sur lequel tout le monde s’entend. Au-delà de cette signification partagée qui fait consensus, le mot peut évoquer pour les adultes des connotations subjectives. Le mot n’est jamais isolé des autres mots de la langue. Ceci a pour conséquence pédagogique que l’enseignement du vocabulaire ne peut s’appuyer sur des listes constituées par compilation. En petite section, l’approche qui se limite à la fonction référentielle du mot (un objet, une action = un mot) est nécessaire, mais dès la moyenne section, les relations entre les mots doivent être découvertes par les activités de catégorisation ; — l’usage du mot se réfère à son utilisation en contexte, par des locuteurs en situa tion de production. En petite section, l’élève désigne l’objet ou l’image correspondant au mot, ou mime (dessine dans l’espace ou fait le geste). Il indique la fonction (« c’est pour… »). Il donne un exemple correspondant à son vécu. En grande section, l’élève doit être en mesure de faire une phrase contenant le mot, de chercher un synonyme ou une expression approchante et d’exprimer le contraire. Un enseignement du vocabulaire fondé sur l’attention et l’engagement actif Les élèves scolarisés en petite section ne sont pas en mesure de soutenir leur attention très longtemps. Il est important de créer les conditions d’une attention conjointe, par exemple en les rejoignant lors d’activités libres dans les différents coins d’évolution de la classe, en participant à leurs jeux et en entrant en conversation avec l’un d’entre eux. Le professeur conçoit des procédés propres à éveiller l’attention des élèves sur un temps court (de 10 minutes en début de petite section à 20 minutes en grande section) et à mobiliser leurs capacités sur l’apprentissage des mots. Les situations qui réservent un effet de surprise sont à privilégier : boîtes ou sacs mystère où sont dissimulés les objets qui se réfèrent au vocabulaire étudié, jeux avec la marotte, énigme à résoudre (objet dissimulé, déplacé, en panne). 27 — L’enseignement du vocabulaire L’engagement actif de l’élève s’obtient grâce à un projet qui lui est explicitement présenté. Il s’agit de garder l’élève concentré. La motivation de l’élève dépend de la valeur qu’il accorde à la tâche proposée. L’enseignant peut susciter la motivation en présentant des objectifs d’apprentissage dont l’élève reconnaîtra la valeur et l’utilité. Apprendre et comprendre des mots nouveaux, c’est construire du sens en lien avec une expérience vécue ou une réalité sensible qui fait sens et qui motive les élèves. EXEMPLES D’ACTIVITÉS — Réaliser une recette simple, avec un support imagé ou non. — Construire un objet. — Explorer les propriétés des objets et de la matière. — Observer un animal en captivité ou dans son milieu naturel et échanger sur son mode de vie. — Comprendre les propriétés fonctionnelles d’un objet. — Réaliser un parcours d’actions motrices. — Utiliser un matériel riche et varié en peinture. — Exprimer des sentiments devant des sélections d’objets inconnus, bizarres, etc. — Participer à des jeux de logique et de réflexion (jeux de société). — Utiliser des marionnettes et le théâtre d’ombres pour créer des jeux et des mises en scène. — Se déguiser pour un événement exceptionnel. Le retour d’information est essentiel aux progrès de l’élève. Les retours que le pro fesseur lui propose pallient ses approximations dans l’utilisation du vocabulaire. Philippe Boisseau insiste sur le principe du feedback16 dans le contexte scolaire : « Un élève de 3 ans progresse considérablement dans des domaines variés Philippe Boisseau, grâce aux échanges adulte/enfant sans cesse rejoués. » Enseigner la langue orale en maternelle, Retz, 2005. Des modalités de regroupement variées Le professeur privilégie le grand groupe pour l’écoute, la compréhension en réception, les échanges conversationnels, la mémorisation et la restitution des connaissances. Attentif au comportement de chacun, il régule les échanges, porte une attention par ticulière aux « petits parleurs », sollicite les plus réservés avec bienveillance. Dans la classe multi-âge, il n’hésite pas à scinder le groupe classe et à organiser des regrou pements différents pour chaque section. 16 — Réaction, action en retour. 28 — L’enseignement du vocabulaire Le professeur choisit les petits groupes pour la production langagière, les activités de structuration et d’analyse de la langue, l’étayage et la remédiation. Les activités qui se déroulent de préférence en petits groupes, se déroulent dans un contexte sécurisant, en confiance, pour faciliter les échanges. Le professeur prend soin de s’adresser à tous les élèves. Il sollicite fréquemment les plus réservés et s’attache à les intégrer aux échanges. Il se saisit de toutes les occasions pour engager avec chacun, en relation duelle, des échanges langagiers. Il privilégie la conversation spontanée autour d’une activité réalisée conjointement plutôt que la séquence de questionnement qui place l’élève en insécurité linguistique. Une première clé de l’enseignement du vocabulaire chez les très jeunes élèves consiste donc à écouter et partager, sans reprendre ou corriger systématiquement quand adviennent les premiers essais pour dire, mais au contraire en maintenant l’échange et la relation. Chez les plus jeunes, les relations et échanges individuels avec le maître sont essentiels. L’apprentissage de mots nouveaux est favorisé par l’adulte grâce à une verbalisation des situations en cours, des interactions avec l’enfant quand il essaie de produire des énoncés, des reformulations des productions enfantines, ou des questions ouvertes qui permettent à l’enfant de préciser sa pensée. Une démarche qui aide à la mémorisation Les opérations mentales de mémorisation chez les jeunes enfants ne sont pas volontaires et une simple exposition aux mots, sans analyse, ne suffit pas pour les mémoriser. « Offrir un mot quotidien, à partir d’une éphéméride, mot qui n’a pas Micheline Cellier, de résonance dans la vie de la classe, éventuellement interchangeable Des outils avec celui de la veille ou du lendemain, qui n’est pas relié à d’autres pour structurer et autour desquels aucun outil permettant le réemploi n’est créé, semble l’apprentissage d’une rentabilité bien médiocre en termes d’apports lexicaux. » du vocabulaire, Éduscol, 2011. Trois étapes permettent de mémoriser des informations dans le cerveau et surtout, de s’en rappeler : — l’encodage : à partir d’un stimulus visuel, auditif, olfactif, moteur, l’information est traitée pour être mise en mémoire ; — le stockage : l’information est mise en lien avec les connaissances antérieures, pour la faire durer dans le temps. La mémoire stocke les mots en réseau ou en toile. Pour aider au stockage d’un mot nouveau, il est utile de l’associer à des mots synonymes ou appartenant à la même catégorie, à des phrases, etc. ; — la récupération : l’information est extraite de la mémoire. C’est une opération complexe qui peut nécessiter l’aide du professeur par une contextualisation, une réactivation des liens avec les autres apprentissages (place du mot, synonyme, etc.) ou une activité de reconnaissance (retrouver dans une liste par exemple). 29 — L’enseignement du vocabulaire Ebbinghaus, psychologue allemand du xixe siècle17, et de nombreux chercheurs contemporains18, ont étudié la mémoire et notamment les façons d’associer les infor mations entre elles pour mieux les retenir. La courbe d’oubli d’Ebbinghaus montre que nous apprenons très vite mais oublions également très vite. Pourcentage de rétention 100 % Gain grâce au rappel 20 % Courbe normale de l’oubli 10 min 1 jour 1 semaine 1 mois 6 mois La courbe d’Ebbinghaus Sa théorie a une incidence directe sur l’enseignement. Quand le jeune enfant étudie des mots nouveaux qui n’appartiennent pas à son lexique habituel, il les retient pen dant un temps très court. L’apprentissage répété à intervalles réguliers améliore la mémorisation. Mémoriser les mots, c’est pouvoir les réemployer et transférer à d’autres situations et contextes ce que l’on a déjà appris de certains mots et de leurs usages. Faire mémoriser les mots appris ne se limite pas à archiver leur trace sur des supports divers (cahiers, imagiers de la classe, affiches murales illustrées, boîtes à mots, guirlandes d’illustrations représentant des mots). La mémorisation du vocabulaire est facilitée par des moyens mnémotechniques multiples qui vont activer le rappel du mot dans toutes ses dimensions : sa forme sonore, son champ sémantique, ses représentations variées. Pour faciliter le rappel, le professeur évoque les contextes d’utilisation expérimentés en classe et les propriétés perceptives, fonctionnelles et catégorielles du mot. Cette mise en résonance, associée à l’utilisation des traces, réactive les mots. La mémorisation est encouragée très régulièrement avec des activités d’entraî nement portant sur les mots nouveaux intégrés à des ensembles organisés. Le vocabulaire dont dispose un élève est beaucoup plus riche en réception qu’en production. Les mots qu’il a déjà rencontrés sont présents, mais il a parfois des diffi cultés à les mobiliser. La récupération a pour fonction de retrouver dans la mémoire à long terme une information parmi toutes celles qui s’y trouvent. L’oubli 17 — Hermann Ebbinghaus, La Mémoire. Recherches de psychologie expérimentale, L’Harmattan, 2011. 18 — Gerbier, Koenig, Magnan & Ecalle, L’Année psychologique 2015/3 (Vol. 115), « Comment les intervalles temporels entre les répétitions d’une information en influencent-ils la mémorisation ? », Revue théorique des effets de pratique distribuée, pages 435 à 462. 30 — L’enseignement du vocabulaire d’un mot ne trahit pas toujours une absence de stockage de l’information mais plutôt un manque d’indices qui pourraient favoriser la récupération de l’information en mémoire. La récupération de l’information est facilitée par le recours à une image, un dessin ou grâce à l’évocation de la situation vécue dans laquelle le mot a été utilisé. Le professeur conçoit des outils – images et indices variés – pour le rappel de mots rencontrés antérieurement. Dans le cadre d’un auto-apprentissage spontané, les élèves parviennent souvent à déduire le sens de mots inconnus en s’aidant du contexte, voire également en s’ap puyant sur les connaissances qu’il a de la construction des mots. L’apprentissage du vocabulaire exige des stratégies de décompositions morphologiques des mots nouveaux. Mais tous les enfants n’ont pas la même capacité à s’engager dans des résolutions de problèmes morphologiques, il convient donc de les y aider. À partir de la grande section, l’apprentissage des processus (analyser le contexte, repérer des indices, mettre en lien avec des mots connus) aide de manière certaine les élèves à acquérir le vocabulaire, s’ils n’utilisent pas déjà spontanément des stratégies pour comprendre des mots qu’ils n’ont jamais entendus. Il va sans dire que cette réflexion permettant d’émettre des hypothèses sur le sens des mots nouveaux s’adressera de préférence à des élèves de grande section en mesure d’adopter une posture méta linguistique. La résolution de problèmes morphologiques s’articule autour du mor phème, unité linguistique de sens minimal qui contient, en dépit de sa petite taille, des parties de sens. L’explicitation des stratégies pour comprendre selon le contexte et la résolution des problèmes morphologiques, peuvent s’avérer efficaces, par exemple si l’on attire l’attention des élèves sur les mots dérivés (terre, terreau, terrain, déterrer). Le professeur a donc un rôle déterminant dans la construction de ce système mné sique et dans ces opérations quand : — il diversifie les occasions d’apprentissage de nouveaux mots, qu’il nomme et commente ; — il explique ; — il communique ; — il raconte ou lit des histoires ; — il conduit les échanges ; — il questionne les élèves ; — il fait raconter, décrire, expliquer, justifier et argumenter. Il fait alors opérer systématiquement des rappels de mémoire, il convoque des sou venirs et des perceptions afin d’activer le réseau de la mémoire lexicale à partir de nombreux points d’entrée. La démarche pédagogique est pensée dans le respect d’une nécessaire p rogressivité, des différences interindividuelles et dans la prise en compte, à la fois, des trois dimen sions du mot (la forme, le contenu et l’usage), des trois étapes de la mémorisation (l’encodage, le stockage et la récupération), des quatre piliers de l’apprentissage (l’attention, l’engagement actif, le retour d’information, la consolidation), et des quatre modalités d’apprentissage à la maternelle (en jouant, en résolvant des problèmes, en s’entrainant, en mémorisant et en se remémorant). 31 — L’enseignement du vocabulaire En résumé L’acquisition d’un vocabulaire riche et structuré est essentielle pour tous les élèves. Maîtriser de nombreux mots et leurs usages permet à chaque enfant de s’exprimer plus précisément, de mieux comprendre les énoncés oraux et les textes entendus. Le vocabulaire est au cœur des apprentissages langagiers à l’école maternelle et doit être enseigné explicitement. Au‑delà des mots découverts incidemment, un corpus choisi par le professeur doit être construit de manière réfléchie, planifiée et progressive. Les séances de vocabulaire s’appuient sur des situations motivantes qui contextualisent les apprentissages et les construisent dans les interactions entre pairs et avec les adultes. L’élève est capable d’inférer les significations des mots à partir des contextes dans lesquels ils sont entendus. À l’école maternelle, ce processus est encouragé et explicité par le professeur. Ces situations de départ permettront ensuite de concevoir des séances spécifiques où les mots seront réutilisés, comparés et enfin mémorisés. Dans le cadre d’un apprentissage répété, qui consiste à répartir selon des intervalles réguliers les rappels des mots nouveaux, le professeur facilite la mémorisation des mots et crée les situations propices à leur réutilisation. 32 — L’enseignement du vocabulaire La récupération a pour fonction de retrouver dans la mémoire à long terme une information parmi toutes celles qui s’y trouvent. Pour augmenter le capital lexical des élèves, le professeur favorise l’accès et la récupération des informations en mémoire. III La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire 34 — La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire Les différentes pistes suivantes permettent de mettre en œuvre un enseignement adapté du vocabulaire et de plonger les enfants dans un « bain de langage » indispensable à leurs progrès. Le professeur peut ainsi varier les stratégies et les outils pour favoriser le processus d’inférence grâce auquel l’enfant comprend le sens des mots. Il dispose également de différentes possibilités pour présenter les corpus de mots et les structurer de façon à en faciliter la mémorisation et la mise en réseau par les élèves. Le choix des mots et des situations « Généralement, les premiers mots de l’enfant se réfèrent aux personnes Inserm, et aux objets avec lesquels il est le plus souvent en contact, les objets Acquisition du langage et les personnes qui font partie de son univers, les membres de sa famille, oral : repères les animaux, la nourriture, les boissons et les jouets. » chronologiques19. Il semble donc logique que le parcours de l’élève dès la petite section débute avec des mots qu’il doit apprendre en priorité, tant ils sont utiles pour comprendre et se faire comprendre. Il s’agit donc de partir des mots les plus fréquents dans sa vie, familliale et à l’école. Des mots par univers de référence La progressivité des acquisitions implique de commencer par les mots relatifs aux actes du quotidien (hygiène, habillage, collation, repas, repos), aux activités de la classe (locaux, matériel, matériaux, actions, productions), et aux relations avec les autres (salutations, remerciements). Le langage se déploie et se perfectionne dans les divers domaines qui offrent natu- rellement la possibilité de découvrir des champs lexicaux variés, mais avant tout en relation avec le vécu et les intérêts de jeunes enfants. 19 — www.ipubli.inserm.fr/bitstream/ handle/10608/110/?sequence=10 35 — La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire L’enfant Sa famille Son cadre, son lieu de vie Ses émotions Ses objets Les actes du quotidien Du langage de l’enfant au langage de l’élève La classe L’école L’environnement Les apprentissages Les relations avec Les éléments naturels Les espaces les autres élèves, La ville, le quartier, de vie, de jeu, les adultes le village d’activités Les différents lieux, Les transports la cour Les métiers Les noms des nombres, des formes, des couleurs, les noms qui servent à structurer l’espace et le temps, les mots qui servent à comparer des objets ou des collections, à classer, sont à enseigner tout autant car ils sont cruciaux pour la structuration de la pensée. À 3 ans, l’accent doit être mis sur les mots les plus usuels, que beaucoup d’enfants ne possèdent pas et qu’il est donc prioritaire de leur apprendre si on veut assurer leur réussite. Il est toutefois souhaitable d’être ambitieux et d’aller bien au-delà. Les élèves aiment en effet découvrir, utiliser et jouer avec des mots difficiles. En lien avec des projets menés en classe, des sorties pédagogiques, on peut introduire les mots d’un champ particulier (éléments d’architecture d’un château du Moyen Âge, machines agricoles). L’intérêt que l’enseignant lui-même manifeste pour les mots nouveaux accroît l’attention de l’élève, sa compréhension, sa motivation. Des mots de classes grammaticales différentes Pour enrichir le vocabulaire des élèves, on peut être tenté de recourir à des listes de noms. Pour autant, comme on l’a vu dans le premier chapitre, les enfants n’apprennent pas les mots isolément, mais dans le contexte de phrases elles-mêmes contextualisées. Le choix des verbes et des adjectifs permet une approche par la phrase qui constitue une démarche plus ambitieuse syntaxiquement et lexicalement. Le verbe, en particu- lier, « agit » avec les autres mots. Flexible, il porte un grand nombre de déterminations importantes pour l’énonciation (temps, aspect, mode, voix). À partir de 2 ans, l’emploi des verbes d’action concrets, notamment des verbes qui désignent le mouvement (courir, sauter, s’asseoir, etc.) et ceux qui désignent des 36 — La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire actions (casser, manger, ranger, laver, habiller, etc.), se développe particulièrement. Les verbes de sens plus abstraits comme les verbes de perception (voir, entendre, toucher, etc.) ou renvoyant à des états mentaux (penser, réfléchir, etc.) ne sont pro- duits qu’au milieu de la troisième année. Dans le même ordre d’idées, pour augmenter la capacité de dire, il est recommandé d’aborder très tôt avec les élèves : — les connecteurs spatiaux (à côté, dans, sous, en dessous, etc.), qui permettent à l’élève de se situer dans son environnement et de situer les objets les uns par rapport aux autres ; — les adjectifs, qui permettent d’enrichir l’expression des sentiments et de carac- tériser des objets ; — les prépositions (à, de, chez, en, pour, sans, avec, etc.). Des situations diversifiées et enrichissantes La diversité des œuvres de littérature (contes traditionnels et patrimoniaux, albums, poèmes, comptines, etc.) installe, en lien avec l’expérience singulière des enfants, une progressivité des pratiques et des apprentissages culturels. Elle permet aux élèves de repérer et d’apprécier des effets de langue ou de langage. Chaque élève est conduit à s’emparer des formes langagières propres à la littérature (« il était une fois » ; « quand tout à coup », etc.) afin de se constituer une sorte de bibliothèque mentale grâce à la mémorisation de textes (exemple de la structure répétitive), de scénarios d’expériences (s’habiller, l’école, etc.) et d’images (personnages arché- typaux/états mentaux, etc.). Il pourra l’utiliser ultérieurement et l’enrichir au fil de son parcours de lecteur. D’autres formes sont nécessaires et efficaces, comme préparer un gâteau, décrire un objet, comparer des objets ressemblants mais différents. « […] je trouve dommage que, dans les petites classes, les activités Élisabeth Nonnon, de langage comme celles de lecture interprétative se fassent de plus propos recueillis en plus souvent, parfois de façon presque exclusive, à partir d’albums et mis en forme de fiction parfois très complexes, et moins à partir de tâches et de supports par Jacques David, en technologie, en sciences ou de la vie pratique, par exemple. Sans « Langage oral et dénigrer bien sûr les apports des récits et de la fiction, il me semble que inégalités scolaires. c’est une fermeture des modèles possibles de développement du langage Entretien », Le Français qui peut être discriminante, et que cela limite les occasions de confronter aujourd’hui, n° 185, les enfants à des tâches de verbalisation exigeantes, peut-être plus 2014. familières et lisibles pour certains. » Tous les domaines d’apprentissage offrent potentiellement des occasions de tra- vailler le vocabulaire, notamment un vocabulaire spécifique. Le programme insiste sur ce point. 37 — La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire Une nécessaire structuration des mots Les outils d’aide à l’apprentissage du vocabulaire sont déterminants ; ils doivent être structurants, organisés, récapitulatifs et évolutifs. Comme les élèves ne déchiffrent pas encore et qu’il ne faut pas encourager la reconnaissance globale du mot, les outils concerneront exclusivement des images. Ces outils évoluent tout au long des apprentissages, s’enrichissent, se réorganisent, passent du mur au cahier, du jeu à l’affichage. Ils sont adaptés à l’âge des enfants. Ces supports constituent tout d’abord les traces d’une découverte, d’une recherche, puis vont faciliter la mémorisation en permettant le stockage. Enfin, ils servent à travailler sur les mots hors contexte et conduisent à un premier regard sur le fonctionnement de la langue. Des outils pour faciliter l’appropriation, la mémorisation, la désignation Les outils proposés ici avec des mots ne sont pas présentés comme tels aux élèves d’école maternelle qui ne déchiffrent pas encore. Des supports imagés qui font sens pour les élèves permettent de garder trace des travaux menés. — Les imagiers et autres représentations graphiques ou photographiques visent à constituer des séries d’objets et d’images par entrée thématique. Il est néces- saire de proposer, aux plus jeunes élèves notamment, de nombreux imagiers (ceux du commerce mais aussi ceux fabriqués en classe à partir de références communes) pour qu’ils puissent structurer le concept de mot et mettre en réseau des connaissances qui participent à sa définition. Ces imagiers disponibles dans la bibliothèque de classe sont utiles pour archiver et organiser le vocabulaire. — Les images, dessins, photographies (prises en classe ou en famille), reproduc tions d’œuvres d’art, représentations ou témoignages visuels des événements vécus (un coquillage, une plume d’oiseau) sont efficaces lorsque l’on aborde un vocabulaire plus complexe. — Les jeux de loto, d’appariement, les jeux des 7 familles, jeux de pistes et de société divers, sont autant d’occasions de nommer et de répéter des mots. — Les jeux de dominos constitués d’images correspondant au corpus de mots étudiés permettent des appariements. C’est un moyen de relier des mots, par exemple : « bonnet-tête/Il met un bonnet pour ne pas avoir froid à la tête ». — Les jeux kinesthésiques (jeu de Kim, etc.) permettent de manipuler de vrais objets ou des images qu’on nomme, caractérise, catégorise pour les mémoriser. L’élève identifie et nomme un des objets en mobilisant un des sens. — Les albums échos (individuels ou collectifs) se composent de photos d’enfants réalisant une activité d’apprentissage. Les photos s’accompagnent d’un petit texte (une ou deux phrases) qui reprend les propositions émises spontanément par les 38 — La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire élèves à l’oral. Ils racontent ensuite les actions photographiées avec le support de l’album. Les vidéos de classe sont également des supports exploitables pour faire fonctionner le vocabulaire découvert et se l’approprier. — Les dictionnaires de la classe, musées de la classe, murs d’images, transformables en fonction de thèmes abordés, peuvent induire une utilisation des mots associés à des objets (ou à leur représentation) eux-mêmes liés aux univers de référence. — Les boîtes thématiques regroupent les mots rencontrés en lien avec un thème (la forêt, les monstres, ce qui roule, etc.) avec des objets, des images collectées, des affiches ou encore des albums. — Les tapis de conte permettent de raconter l’histoire seul ou à plusieurs en jouant les personnages. — Les boîtes à histoires, boîtes à raconter et boîtes à comptines rassemblent les objets présents dans un conte, une comptine. Elles permettent aux élèves de raconter, de jouer une scène, d’inventer de courts dialogues, entre pairs, en autonomie ou avec le professeur. — Les images séquentielles proposent une suite logique d’images sur des actes de la vie quotidienne ou sur un récit. Elles incitent les élèves à utiliser les organi- sateurs du discours (enchaînements logiques, chronologiques, etc.) : au début, ensuite, à la fin, avant, après, etc. Des outils pour structurer le vocabulaire et réfléchir sur la langue Des classements thématiques de mots ont pour objectif de contribuer à la catégo risation des mots découverts. Parmi ces classements : — Les fleurs lexicales permettent l’exploration régulière de champs lexicaux variés, leur enrichissement et la mémorisation d’un vocabulaire spécifique inscrit dans un réseau de sens, de hiérarchie, de morphologie. timbre courrier colis facteur lettre enveloppe 39 — La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire — Les maisons de familles de mots aident à observer la morphologie des mots. La préparation du professeur comprend les mots destinés à faire percevoir, exclusivement à l’oral, les parties communes à ces mots. ROUL E ROUL ETTE ROUL ADE ROUL ER DÉ ROUL ER EN ROUL EAU ROUL EMENT ROUL ER Le professeur engage une première approche de la morphologie flexionnelle en grande section, exclusivement à partir d’exemples oraux (il attend/ils attendent ; vert/verte). Il explicite la construction des mots. La comparaison avec d’autres fiches morphologiques permet également de dégager, à l’oral exclusivement, des morphèmes dérivationnels (DÉ, EN, EMENT, ETTE, etc.) : dé- / des- (préfixe : contraire) Dérouler / Rouler Déshabiller / Habiller Désobéir / Obéir Défaire / Faire Désordre / Ordre Décoller / Coller — Les jeux de catégorisation, jeux sur les contraires, jeux de dérivation, jeux sur les polysémiques ou les homophones, jeux de tris multiples, des jeux conduisant à des jeux de définition (principalement des jeux de cartes) permettent de s’en- traîner et de se remémorer des acquis. 40 — La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire — Les réseaux de mots sont des outils récapitulatifs pour le professeur. En voici un exemple : Grammaire un chant Sa famille des chants chanter ils chantent chanteur chanteuse Faux amis chanson champignon chansonnette chantier chantonner chant Presque Homophone pareils champ chanson hymne refrain Expressions mélodie au chant du coq musique chanter à tue-tête air Tous ces outils doivent faire l’objet de temps de construction, de relecture collective, de manipulation, de jeu, lequel demeure le premier vecteur d’apprentissage chez les enfants d’école maternelle. À la fin de l’école maternelle, l’exemple de représentation ci-dessous témoigne de l’apprentissage réalisé et de son évolution au fil des années. Ce tableau n’est pas présenté comme tel aux élèves, non lecteurs, mais peut utilement figurer dans les outils de programmation du professeur. Personnages de contes Personnages Verbes Métiers Animaux Noms Réels Vocabulaire des sens : Adjectifs couleurs, Imaginaires Univers odeurs de référence Forêt Mots invariables Atmosphère Végétaux (adverbes et locutions adverbiales) Matières : bois, mousse Expressions Saisons 41 — La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire Le réseau s’étoffe au cours de chacune des trois années de l’école maternelle. Ce type de carte peut se complexifier à l’envie selon les objectifs d’apprentissage et repré- sente les connexions de sens entre différentes idées, les liens hiérarchiques entre différents concepts de façon synthétique. Cet outil donne de la lisibilité sur le lexique à étudier dans le cadre de l’univers de référence ciblé. Il permet de définir un choix de mots de différentes natures, qui s’inscrivent dans une progressivité pensée en équipe. Il se prête également à la transmission d’outils dans le cadre de la liaison cycle 1 - cycle 2. L’importance des activités de catégorisation en petite section Encouragées par le professeur à l’école maternelle, les manipulations sur le vocabu- laire – trier et catégoriser des mots – conditionnent l’acquisition et la mémorisation du vocabulaire nouveau. Pour catégoriser, il faut être en capacité de se représenter les propriétés des objets, pour ensuite établir des liens entre les propriétés communes à plusieurs objets, de manière à dégager un trait commun. Les très jeunes enfants ont une prédisposition quasiment naturelle à apparenter un nouveau mot à d’autres mots qui désignent des objets de la même famille. La catégorisation, qui se fait assez spontanément pour des catégories simples (ani- maux par exemple), devient consciente à l’école maternelle. La forme de l’objet, son usage, sa provenance, sont des indices d’appartenance catégorielle qu’ils apprennent à expliciter. Tout nouvel élément d’information sur son univers amène l’enfant à res- tructurer la signification initiale de ses premiers mots. Plus le système conceptuel de l’élève est riche, tant du point de vue de son contenu que du point de vue de son organisation, plus l’activation en mémoire des objets est facile. EXEMPLE D’ACTIVITÉ EN PETITE SECTION, le professeur place dans l’espace dédié aux jeux symboliques toutes sortes d’ustensiles de cuisine, dont la reproduction sur de petites fiches vient enrichir la boîte, ou l’imagier, des ustensiles de cuisine. Participant aux jeux libres (par exemple : dresser le couvert, ranger la cuisine, préparer une purée pour les poupons), il encourage les élèves à désigner chaque objet par un mot précis, en le prononçant tout d’abord, puis en les sollicitant pour qu’ils l’utilisent. 42 — La mise en œuvre de l’enseignement du vocabulaire Le professeur reprend, lors d’une séance structurée, en petit groupe, les acqui sitions avec les supports imagés. Il demande aux élèves de nommer les objets, de les décrire, d’indiquer leur usage, de se rappeler le contexte dans lequel ils les ont utilisés. Il introduit de nouveaux objets que les élèves ne connaissent pas encore (par exemple, passoire, casse-noix, tire-bouchon, entonnoir, essoreuse à salade). Le langage sur la fonctionnalité de chaque nouvel objet offre l’opportunité d’utiliser des verbes d’action (par exemple : déboucher, casser, essorer, etc.). Il glisse des intrus dans la boîte à mots ou dans l’imagier (par exemple une brosse à dents) pour inviter les élèves à interroger les propriétés des objets et à identifier, si nécessaire, une nouvelle catégorie. Il enrichit régulièrement chaque catégorie constituée avec des apports de mots nouveaux, sachant que tout nouvel élément d’information sur son univers amène l’élève à restructurer la signification initiale de ses mots, grâce à un système initialement limité mais évolutif, qui reconsidère à chaque acquisition les propriétés des objets. Faire réutiliser les mots La mémorisation s’exerce très régulièrement, potentiellement à l’aide de rituels de classe, durant la séquence d’apprentissage où les élèves : — prononcent (mémoire phonologique) les mots d’une collection ou d’une fiche mor- phologique nouvelle, plusieurs jours de suite, à condition de rappeler les mots dans un contexte pertinent (soit celui où le mot a été présenté initialement, soit un nouveau contexte qui leur permettra d’affiner le sens du mot) ; — miment les mots ; — sollicitent leur mémoire à partir d’un imagier ; — emploient les mots appris dans un contexte le nécessitant (coins dédiés ou situa- tions créées) ; — écoutent une histoire lue ou un document lu par le professeur et reformulent en utilisant les mots de l’histoire ; — s’entraînent à écrire des mots simples (légender un dessin en grande section par exemple). Pour réactiver la mémoire, le professeur emploiera intentionnellement ces mots et