Leçon 4 : Sources du droit et justice à l’époque médiévale PDF
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Université Toulouse Capitole
2024
Philippe Nelidoff
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Ce document est un cours sur les sources du droit et la justice à l'époque médiévale, offrant une introduction à l'histoire du droit. Il détaille le phénomène coutumier, les droits savants (droit romain et droit canonique), et le renouveau de la législation royale. Il propose une chronologie des événements importants de cette période.
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Leçon 4 : Sources du droit et justice à l’époque médiévale Philippe NELIDOFF Licence 1 Droit - UE 3 Introduction à l'histoire du droit Septembre 2024 Pr. Philippe NÉLIDOFF - L1 Droit - Introduction à l'histoi...
Leçon 4 : Sources du droit et justice à l’époque médiévale Philippe NELIDOFF Licence 1 Droit - UE 3 Introduction à l'histoire du droit Septembre 2024 Pr. Philippe NÉLIDOFF - L1 Droit - Introduction à l'histoire du droit - Cours protégé par le droit d'auteur - Septembre 2024 Table des matières Objectifs 3 Introduction 5 I - Les sources du droit médiéval 6 1. Le phénomène coutumier............................................................................................................................... 6 2. Les droits savants.............................................................................................................................................. 7 2.1. La première renaissance du droit romain.................................................................................................................................. 7 2.2. La formation historique du droit canonique............................................................................................................................. 8 II - Le renouveau de la législation royale : 11 III - Les justices médiévale 13 1. Les justices seigneuriales............................................................................................................................. 13 2. Les justices de l’Église................................................................................................................................... 14 3. Les justices municipales............................................................................................................................... 15 4. Les justices royales........................................................................................................................................ 16 2 Objectifs La leçon 4 a pour objectif de continuer la présentation des sources du droit et de son application par la justice à l’époque médiévale, à une époque caractérisée par une grande dispersion du pouvoir politique et donc un éclatement des institutions, du droit et de la justice. Description : La partie 1 expose l’importance du phénomène coutumier alors que se produit dans le monde universitaire en Europe, l’émergence des droits savants avec la première renaissance du droit romain et la lente élaboration du corpus de droit canonique, en relation avec la réforme grégorienne. La partie 2 évoque l’évolution de la justice qui fait l’objet d’une grande dispersion. Conseils méthodologiques : la période étudiée allant du XIe au XIIIe siècles, on ne peut que conseiller la maitrise des grands repères chronologiques concernant la France mais aussi l’évolution des équilibres politiques européens, au sein du Moyen-Age chrétien. Durée de la leçon : 5h Chronologie concernant l’époque médiévale 987 : Hugues Capet, roi des Francs, début de la dynastie capétienne 1066 : conquête de l’Angleterre par le duc de Normandie : Guillaume-le-conquérant 1088 : fondation de l’université de Bologne 1095 : concile de Clermont : le Pape Urbain II lance la croisade 1095-1291 : 8 croisades 1140-1150 : décret de Gratien 1180-1223 : règne de Philippe II 1204 : victoire française de Bouvines 1215 : 4e concile du Latran. Fondation de l’université de Paris 1229 : fondation de l’université de Toulouse par le traité de Meaux-Paris qui met fin à la croisade contre les cathares. Circa 1250-1260 : grande glose ou glose ordinaire d’Accurse 1234 : décrétales (en 5 livres) de Grégoire IX 1298 : Sexte (6e livre des décrétales) de Boniface VIII 1226-1270 : règne de Louis IX (canonisé en 1297) 1270 : procédure de l’inquisitio per turbam 1254 : sédentarisation à Paris du Parlement 1283 : Coutumes de Clermont-en-Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir 1285-1314 : règne de Philippe IV (Le Bel) 1286 : coutume de Toulouse 1297 : canonisation de Louis IX (Saint Louis) 1301 : Bulle Ausculta fili 1302 : Bulle Unam sanctam 1307-1314 : procès des Templiers 3 Objectifs 1337-1453 : guerre de Cent ans 1386 : dernier duel judiciaire 1420 : traité de Troyes 1439 : création de l’armée royale permanente 1444 : création du Parlement de Toulouse 1454 : ordonnance Montils-les-Tours qui lance le mouvement de la rédaction officielle des coutumes en France 4 Introduction Rappels historiques généraux : Nous étudions dans cette leçon 4 la période comprise entre l’avènement de la dynastie capétienne (987) et la fin du XIIIe siècle, siècle d’équilibre du Moyen-Age chrétien en France tout particulièrement avec de longs et importants règnes : Philippe-Auguste (qui triomphe à Bouvines (1214) face aux troupes de l’empereur germanique soutenu par le roi d’Angleterre, Louis IX, canonisé au début du XIVe siècle et qui sera le modèle du prince chrétien, Philippe IV Le Bel surnommé « le roi de fer ». Cette période est caractérisée aussi par une dispersion considérable du pouvoir politique en Europe. Après l’éclatement de l’Empire de Charlemagne au moment du traité de Verdun (843), le titre impérial étant finalement récupéré par la Germanie (962), la segmentation du pouvoir se poursuit. En France, tout particulièrement, si le pouvoir royal existe toujours avec une transmission du pouvoir devenue héréditaire dans la famille des Capétiens, l’autorité royale est de facto lointaine, jusqu’au XIIIe siècle où l’on va redécouvrir la notion romaine de souveraineté. C’est l’époque féodo-seigneuriale, avec la constitution de principautés plus ou moins grandes et indépendantes autour des duchés et des comtés. Leurs titulaires sont théoriquement nommés par le pouvoir royal mais en réalité, le pouvoir est passé entre les mains des ducs, des comtes, des vicomtes… Ainsi se mettent en place de grandes principautés territoriales : duché de Normandie, duché de Bretagne, duché de Bourgogne, comté de Flandres, comté de Toulouse…Et tout cela aura des répercussions dans l’histoire provinciale française. Là où la dislocation du pouvoir politique est la plus poussée, le pouvoir réel est exercé par le seigneur local autour de son château. Autour de l’hommage et du contrat de fief, tout un système complexe, de nature féodo-vassalique, régi par les relations d’homme à homme se met en place, avec des conséquences bien concrètes portant sur les aspects fiscaux et économiques liés au droit de ban, mais aussi la justice, la guerre et tout le reste. Dans ce contexte incertain, évolutif et assez flou, le droit évolue lui aussi et on assiste à la résurgence du phénomène coutumier qui est partout présent. Le droit romain ne disparait pour autant, à commencer par les territoires méridionaux plus imprégnés de ce droit que les autres parties du royaume. Les deux droits ne doivent pas être systématiquement opposés car les coutumes n’ignorent pas le droit romain et les influences sont manifestes. C’est au XIIIe siècle que se produit un phénomène de grande ampleur, lié en grande partie à l’influence des légistes royaux formés au droit romain avec un passage de la suzeraineté qui correspond à une conception féodale de la monarchie à la souveraineté qui est liée à l’indépendance et, en creux, à la construction de l’État. 5 I Les sources du droit médiéval 1. Le phénomène coutumier Alors que disparait la production de capitulaires à la fin du premier millénaire et que l’activité législative royale connait une période de déclin jusqu’au XIIIe siècle, les sources du droit sont largement dominées par le phénomène coutumier C’est donc, avant tout, l’époque des usages et des coutumes qui sont très nombreuses et diversifiées. Comme à toutes les époques, la coutume est élaborée par le groupe social où elle s’applique. Elle repose sur des usages, des précédents qui se répètent dans le temps et doivent être observés sous peine de sanction par le groupe social. Elle s’applique sur un territoire donné que l’on appelle le détroit ou le district qui correspond à son ressort. La coutume est d’abord orale, se transmettant, à bas bruit, de génération en génération. C’est par définition un droit souple et évolutif, adaptable aux nécessités sociales. Une question qui se pose est celle de la preuve de la coutume. De deux choses l’une : soit la coutume est « notoire et éprouvée, c’est-à-dire connue et appliquée par tous sans contestation et alors il n’y a pas de problème pour l’appliquer en justice. Soit elle ne l’est pas et alors il faut en rapporter la preuve, par tous moyens et on retrouve les moyens de preuve déjà abordés pour l’époque franque et qui se perpétuent à l’époque féodale, tels que l’ordalie et le duel judiciaire. Pour faire face aux difficultés probatoires, le roi Louis IX, à la fin de son règne (1270) a instauré la preuve par turbe (inquisitio per turbam) consistant en ce que le juge réunisse une turbe –c’est-à-dire un groupe d’au moins dix anciens) qui vont attester de l’existence ou non de la coutume alléguée. Ce moyen de preuve suscitera lui-même un certain nombre de critiques, selon l’adage « qui mieux abreuve, mieux preuve » mais se maintiendra dans l’ancien droit français jusqu’à l’ordonnance civile (1667) qui la supprimera. La mise par écrit des coutumes, qui a l’avantage de sécuriser les relations juridiques, se produit assez tôt, soit à l’initiative de praticiens du droit, soit des institutions municipales, comme à Toulouse où la coutume est mise par écrit, sur décision des capitouls en 1286, après qu’un notaire ait falsifié une disposition des usages locaux. Avec d’ailleurs un premier commentaire de cette coutume que l’on doit à Arnaud Arpadelle (1296), dont l’œuvre a été étudiée par l’un de nos maitres, le professeur Henri Gilles. Les historiens du droit ont depuis longtemps tenté de distinguer des aires coutumières correspondant à des groupes de coutumes qui partagent des orientations communes telles que les influences du droit féodal en Normandie ou dans l’ouest de la France, ou encore la vigueur des rapports collectifs et des solidarités et des relations urbaines dans les coutumes du nord ou bien, comme en Bretagne, une imprégnation religieuse plus marquée qu’ailleurs. On peut donc distinguer des familles de coutumes. La région parisienne a fait l’objet de nombreuses études et il est certain que la présence du roi dans sa capitale qu’est Paris ne doit pas être négligée. On évoque ici l’aire orléano-parisienne avec les établissements de Saint Louis, le conseil à un ami de Pierre de Fontaines et surtout l’œuvre la plus connue, la plus fameuse et la plus commentée : les coutumes de Clermont-en-Beauvaisis (c’est-à-dire la région de Beauvais, au nord de Paris), rédigées en 1283 (la date est indiquée dans le texte) par un petit juge local, qui n’est ni un grand juge du parlement qu’il fréquente lorsqu’une cause l’intéresse en tant que juge , ni un professeur réputé mais qui est très instruit et très au courant : Philippe de Rémi, seigneur de Beaumanoir, né vers 1250, bailli du Poitou (et du Limousin) en 1284, de Senlis (1292) et mort en 1296. Œuvre, de loin, la plus aboutie, ce recueil privé, que l’on appelle un coutumier, donne, en LXX chapitres distribués en près de 2000 paragraphes une idée exacte du droit applicable dans cette région proche du pouvoir royal, au moment des coutumes naissantes, où le juge connait bien le droit applicable, y compris les droits savants et n’hésite pas, même, à faire œuvre créatrice du droit, lorsque l’intérêt de la justice et du roi l’exige, y compris pour s’abstenir d’appliquer un usage lorsqu’il le juge archaïque et dépassé ou de procéder à une arrestation dans l’enceinte d’un monastère. 6 Les sources du droit médiéval 2. Les droits savants On appelle droits savants les deux droits qui sont enseignés dans les universités médiévales (et au-delà) : le droit romain et le droit canonique (le droit de l’Eglise catholique). 2.1. La première renaissance du droit romain Nous avons déjà évoqué, dans la leçon 2, l’élaboration des sources du droit romain dans l’Antiquité jusqu’aux compilations justiniennes (années 530 PC) composées du code et des novelles (lois impériales), du Digeste (Recueil de doctrine donc les consultations des plus grands juristes romains de l’époque classique) et des Institutes (manuel élémentaire d’enseignement du droit romain). Nous avons dit également que ces compilations s’étaient appliquées en Orient et à la faveur du mouvement éphémère de reconquête militaire réalisé à l’époque de Justinien. Mais l’Occident, et la Gaule en particulier, étaient restés à l’écart de ce mouvement, le droit romain étant essentiellement présent, à travers le Bréviaire d’Alaric (publié en 506), élaboré à partir du Code théodosien (438) et maintenu à l’usage des populations gallo-romaines passées sous domination franque à partir de 507. Passé l’an Mil, se produit ce que l’on appelle la première renaissance du droit romain, première car il y aura une deuxième renaissance au XVIe siècle avec l’humanisme juridique. On ne croit plus aujourd’hui à la découverte fortuite des compilations justiniennes lors d’un épisode militaire. En réalité, plusieurs raisons de fond expliquent cette renaissance. Première raison, la plus importante : c’est une raison politique. L’époque est en effet marquée par le début des grands affrontements doctrinaux et politiques au sein de l’Europe chrétienne pour savoir, quelle est l’autorité ultime : est-ce la papauté, en pleine affirmation avec la réforme grégorienne qui est lancée dans la seconde moitié du XIe siècle ou est-ce l’empereur romain germanique qui a repris, à son compte toute la tradition impériale romaine de l’Antiquité ? De ce point de vue, la résurgence du droit romain n’est pas indifférente : elle sert en réalité les prétentions politiques des empereurs romains germaniques, tant à l’égard de la papauté que d’autres monarchies chrétiennes appelées à un grand essor, à commencer par la monarchie française au XIIIe siècle : « le roi est empereur en son royaume », diront les légistes royaux, frottés de droit romain. Il est, à cet égard, significatif de remarquer que l’université phare de cette renaissance du droit romain n’est autre que l’université de Bologne (Italie du nord) qui est à l’époque un territoire sous l’autorité impériale germanique. Deuxième raison : c’est une raison intellectuelle. Les universités médiévales enseignent les sciences religieuses considérées comme les plus dignes d’intérêt dans le contexte chrétien. Il s’agit surtout de la théologie, la science qui permet de connaitre et d’approfondir la relation entre les hommes et Dieu. L’Université de Paris, en particulier, sera la plus réputée dans toute l’Europe, avec les maitres les plus prestigieux tels que Pierre Abélard (+1142), Hugues de Saint-Victor (+1141) et Pierre Lombard (+1160), avant le plus prestigieux d’entre eux : St Thomas d’Aquin (+1274), auteur de la Somme théologique. Sera enseigné également le droit canonique qui est le droit de l’Eglise catholique. Or, les milieux universitaires, tout en restant très profondément liés à l’Eglise, aspirent également à cette époque à une meilleure connaissance des sciences profanes, à commencer par le droit romain. Troisième raison plus économique : c’est le développement des villes après l’an Mil en relation avec le renouveau des échanges et du commerce. On assiste à la création de villes nouvelles, à l’initiative des seigneurs locaux ou de l’Eglise ou à l’apparition de certains quartiers nouveaux dans des villes d’origine romaine. Dans ces villes, l’activité des marchands se fait plus intense alors que dans l’époque précédente avait été marquée par une vie quasi- autarcique des grands domaines. Du point de vue des instruments juridiques, on préfèrera utiliser le droit contractuel romain très élaboré plutôt que les formes juridiques lourdes de l’époque franque jugées archaïques. 7 Les sources du droit médiéval Toutes ces raisons de fond cumulées expliquent la renaissance du droit romain après l’an Mil. Le grand foyer de cette renaissance sera l’université de Bologne, dont l’activité est connue à partir de la fin du XIe siècle (avec Pépo) et où enseigneront les maitres les plus prestigieux : Irnerius (+1125/ 1130 ?) et de ses principaux disciples ou continuateurs : les quatre docteurs (Bulgarus, Martinus Gosia, Jacobus de Boragine, Hugo de Porta Ravenate). Irnerius a fondé l’Ecole des glossateurs dont les professeurs glosent systématiquement les textes du Corpus Juris Civilis, cad les compilations justiniennes. Le professeur procède à la lectura (dictée du texte romain) et en fait ensuite le commentaire littéral, mot à mot, selon la méthode des grammairiens et des professeurs de rhétorique, dont sont issus ces premiers professeurs. Ces commentaires sont inscrits entre les lignes du texte de droit romain (gloses interlinéaires) ou dans les marges (gloses marginales). L’ensemble de ces interprétations sera finalement repris et synthétisé Accurse de Florence qui rédige au milieu du XIIIe siècle la Grande glose ou glose ordinaire, considérée comme la grande référence dans toutes les Ecoles de droit. Si Bologne a été le grand centre d’enseignement du droit romain, l’enseignement s’est développé ailleurs : dans la péninsule italique (Modène, Parme, Pavie notamment) d’abord mais aussi au-delà des Alpes, ce qui est d’autant plus naturel que les professeurs (qualifiés de jurissperiti) et les étudiants font preuve d’une grande mobilité à l’époque médiévale. Ainsi en Provence ou encore à Montpellier où Placentin (+1192), qui fait partie de la troisième génération des glossateurs crée une école de droit romain, en Espagne ou encore en Angleterre, à Oxford dès le milieu du XIIe siècle, avec Vacarius (+1200). En ce qui concerne le royaume de France, il faut surtout mentionner les deux principaux centres d’enseignement du droit romain que sont Orléans qui profite de l’interdiction par la papauté en 1219 d’enseigner ce droit à Paris, qui doit rester le grand centre européen d’enseignement de la théologie, même si cette interdiction sert aussi les intérêts politiques du roi de France, à l’époque où Philippe-Auguste conquiert son indépendance par rapport à l’empereur germanique et, d’autre part, Toulouse dont l’université est créée en 1229 dans le contexte de la lutte contre l’hérésie cathare et qui mettra en place rapidement un enseignement du droit romain. En témoigne le prestige des doctores Tholosani, qui seront fréquemment consultés par de grands personnages pour régler leurs affaires. Il faut signaler que dans la seconde partie du XIIIe siècle et au début du XIXe siècle, à Orléans se développe l’Ecole des post-glossateurs qui se distinguent par une étude moins littérale et plus pratique des textes par rapport aux glossateurs. Elle connait des maitres prestigieux tels que Jacques de Révigny et Pierre de Belleperche, qui deviendra chancelier du roi Philippe le Bel. Cette Ecole annonce une évolution nette dans les méthodes d’interprétation et d’enseignement du droit romain qui sera ensuite développée par l’Ecole des Bartolistes en Italie par Bartole (+1356) et Balde (+1400) qui sont de véritables commentateurs des textes et qui déploient toute une argumentation juridique de type dialectique en multipliant les hypothèses et les arguments d’autorité pro et contra. 2.2. La formation historique du droit canonique Le droit canonique (ou droit canon) est le droit de l’Eglise catholique. Il a été construit au cours des siècles à partir des prescriptions juridiques qui se trouvent dans les textes bibliques (Ancien et Nouveau Testaments), tels que le Décalogue (les dix commandements), la conception indissoluble du mariage, l’interdiction du prêt à intérêt, à titre d’exemples. A cela s’ajoute d’abord la Tradition de l’Eglise : l’interprétation de ces textes par les premiers grands auteurs chrétiens, c’est-à-dire ceux qui, dans les premiers siècles de l’Eglise, ont fixé les grands principes (les dogmes) et ont lutté contre les nombreuses hérésies qui ont jalonné les grandes controverses doctrinales. On les appelle les Pères de l’Eglise (et cette science : la patristique) : Saint Ambroise, évêque de Milan, Saint Augustin, évêque d’Hippone en Algérie, Saint Jérôme, auteur de la Vulgate (c’est-à-dire de la traduction latine de la Bible, d’abord rédigée en langue grecque) pour l’Occident et les Pères de l’Eglise d’Orient, comme Saint Athanase et Saint Cyrille (Alexandrie), Saint Basile (Césarée) ou Saint Jean Chrysostome (Constantinople), Saint Cyprien (Carthage). 8 Les sources du droit médiéval Il faut également prendre en compte les décisions (canons) adoptées par les conciles qui sont des assemblées de dignitaires de l’Eglise (cardinaux, évêques, chefs d’ordres religieux, théologiens…), assemblées qui ont pu se ternir au niveau universel ou national ou encore régional (ou provincial) ou local (dans le cadre territorial d’un diocèse qui est la circonscription religieuse placée sous l’autorité d’un évêque). Les évêques eux-mêmes édictent des normes de nature juridique pour leurs diocèses qui prend la forme de statuts synodaux. Dans le cadre de ce que l’on appelle le césaro-papisme, on peut ajouter les décisions prises en matière religieuse par les empereurs qui, depuis le moment où l’empire romain s’est christianisé au IVe siècle, convoquent et président des conciles, publient des capitulaires ecclésiastiques, comme on l’a vu, à l’époque carolingienne. Bien entendu, il va falloir tenir compte, de plus en plus, de l’autorité pontificale. En effet, l’un des aspects majeurs de la réforme grégorienne qui se déploie, à partir de la seconde partie du XIe siècle est de renforcer considérablement la hiérarchie dans l’Eglise catholique. Le Pape, évêque de Rome, élu par le collège des cardinaux, patriarche d’Occident, successeur de Saint Pierre va devenir le chef suprême de l’Eglise catholique, d’où une activité normative, à dimension universelle qui lui permet d’adopter des textes de nature législative que l’on appelle des décrétales. Cette montée en puissance de la papauté, ajoutée à un certain nombre de controverses théologiques (notamment la querelle ancienne du filioque autour de la définition de la Trinité) entrainera également en 1054, le schisme avec l’Eglise orthodoxe dont le patriarche est installé à Constantinople, la deuxième Rome. La prise de Constantinople en 1204 par les armées croisées aggravera de manière durable cette séparation. A l’instar de ce qui s’était produit pour le droit romain, il était naturel que se pose la question d’un classement et d’une mise en ordre de tous ces textes canoniques, très nombreux et émanant d’autorités diverses. C’est la raison pour laquelle des Recueils ou collections canoniques commencent à apparaitre, avec le Décret (en 20 livres) de Burchard, évêque de Worms (Allemagne) + 1025 dont l’œuvre se situe dans la première décennie du XIe siècle ou encore à la fin du même siècle de l’évêque Yves de Chartres (+1116) qui est le plus grand canoniste français de la fin du XIe siècle et du début du XIIe siècle. Après ces premières tentatives, c’est le Décret de Gratien (1140/1150) qui va constituer le premier véritable élément du corpus de droit canonique. Gratien est un moine de l’ordre des Camaldules (alliant la Règle bénédictine à la vie érémitique) qui va appliquer au droit de l’Eglise les méthodes du droit romain auquel il a été formé à l’université de Bologne. Il publie vers 1140 une première version d’une œuvre qui vise à établir « la concorde des canons discordants ». Il a donc réuni les textes les plus importants, par grand thème et a opéré une synthèse du droit canonique de manière à parvenir à des solutions utiles, en particulier dans le domaine de la justice de l’Eglise, en tenant compte à la fois de la hiérarchie des autorités qui étaient intervenues sur tel ou tel sujet ainsi que de la datation des textes. Après une période d’instabilité et de correction, il semble que la version définitive du Décret de Gratien ait été réalisée en 1150. La date est importante parce qu’elle constitue un argument de poids en faveur de l’autonomie scientifique du droit canonique par rapport à la théologie puisque la grande référence à cette époque antérieure à la Somme de Saint-Thomas d’Aquin est celle des quatre livres des Sentences de Pierre Lombard, datées de la décennie 1150/1160, ce qui la situe postérieurement à l’œuvre de Gratien. Ce Décret de Gratien, premier élément du corpus de droit canonique, sera enseigné dans les universités médiévales par des professeurs que l’on appelle des décrétistes : Bologne mais aussi Paris, Salamanque ainsi que Toulouse, Montpellier et Avignon au XIIIe siècle. 9 Les sources du droit médiéval Postérieurement au Décret de Gratien qui, à l’instar du Digeste, véhicule le droit ancien de l’Eglise, vont se développer à partir du XIIIe siècle les Recueils de décrétales pontificales, en plein essor qui incarnent un droit plus novateur et plus conforme aux objectifs de la réforme grégorienne. Plusieurs Recueils officiels seront progressivement publiés et commentés par les professeurs que l’on appelle les décrétalistes pour les distinguer des décrétistes : Le Recueil en cinq livres de décrétales publiées à l’initiative du Pape Grégoire IX (1234), œuvre du Grand Maitre des Dominicains Ramon de Penafort. Le Sexte (ou Sixième Livre, bien qu’il soit lui-même composé de cinq livres) publié sous le pontificat du Pape Boniface VIII en 1298, dans l’orbite de l’Université de Bologne. Les Clémentines publiées à l’initiative du Pape français Clément V (1305-1314) sous le pontificat de Jean XXII (1316-1334), Pape également français installé en Avignon. Les Extravagantes, correspondant à des textes qui avaient été oubliés par les publications précédentes et qui sont publiés tardivement au XVIe siècle : Extravagantes communes et Extravagantes du Pape Jean XXII. On voit donc que l’on dispose, à partir de cette époque relativement tardive par rapport au droit romain d’un ensemble tout à fait comparable et qui va constituer le pendant du droit romain : D’un côté le corpus iuris civilis composé du Digeste (droit ancien ou ius), du code et des novelles (législation ou leges) De l’autre : le corpus iuris canonici composé du Décret de Gratien (droit ancien) et des Recueils successifs de décrétales pontificales (textes de nature législative). Pour que la symétrie soit parfaite entre droit romain et droit canonique, on ajoutera plus tard un manuel d’enseignement du droit canonique qui fera le pendant avec les Institutes de Justinien. Il s’agit des Institutes ou Institutiones de droit canonique rédigées par le jurisconsulte Lancelotti de Pérouse (+1590), à la demande du Pape Paul IV (1555-1559) et qui feront l’objet d’une traduction en français et d’un commentaire destiné à les rendre compatibles avec Les libertés de l’Eglise gallicane par Durand de Maillane en 1770. Les deux droits savants doivent être distingués mais pas opposés. S’ils ont un objet différent (le droit civil pour le droit romain et le droit de l’Eglise pour le droit canonique), ils sont tous deux de nature universelle. La formation des romanistes et des canonistes est la même, les universités sont les mêmes (même si une certaine spécialisation peut être observée à certaines époques, en raison surtout de la réputation des maitres qui y enseignent), les étudiants se forment la plupart du temps aux deux droits avec des méthodes qui sont les mêmes et qui évoluent de la même manière, depuis une méthode essentiellement littérale vers la recherche des principes, les commentaires, la recherche aussi d’une utilité juridique notamment devant la justice. Selon un adage médiéval bien connu : « sans le droit canonique, les romanistes ne savent pas grand-chose mais sans le droit romain, les canonistes ne savent rien ». Certains étudiants poussent leurs études dans les deux droits jusqu’au grade ultime de doctor in utroque, c’est-à-dire à la fois en droit romain et en droit canonique. Il faut également ne pas perdre de vue que dans le contexte médiéval, le monde universitaire est celui de l’Eglise qui étend sa compétence juridictionnelle à l’ensemble de la communauté que forment les maitres et à leurs étudiants et que les statuts universitaires doivent beaucoup, outre la protection des rois et des grandes autorités temporelles à la protection des Papes et des évêques, comme en témoignent les blasons universitaires qui ont conservé jusqu’à nos jours cette mémoire historique. Pour prolonger le sujet jusqu’à nos jours, il faut indiquer que cet ensemble de textes sera finalement publié officiellement par le Pape Grégoire XIII en 1582, après le Concile de Trente qui décide de mettre en place une commission pour effectuer des corrections. À l’époque contemporaine, l’ensemble sera repris dans le Code de droit canonique du Pape Benoit XV (1917) et enfin par le Nouveau code de droit canonique du Pape Jean-Paul II en 1983 qui constitue le droit de l’Eglise actuellement en vigueur. 10 II Le renouveau de la législation royale : L’activité législative des premiers Capétiens a été très faible, ce qui est un indice probant de la manière dont est perçue la monarchie dans un contexte féodal. L’autorité du roi reste lointaine et il ne peut guère intervenir au-delà des limites territoriales de son domaine, à l’instar des autres seigneurs du royaume. On dit que le roi est « primus inter pares », c’est-à-dire premier entre ses pairs, comme si son pouvoir était peu différent, par nature de celui des autres seigneurs. Il faut également ajouter que selon les mentalités féodales, si le roi se situe au sommet de la pyramide, les relations d’homme à homme ne permettent pas de mobiliser toute la chaine en vertu du principe selon lequel « l’homme de mon homme n’est pas mon homme ». Tout cela est vrai mais il faut ajouter également un certain nombre d’éléments qui vont profiter au pouvoir royal : d’abord le sacre qui donne au roi, avec le soutien de l’Eglise, une place incontestablement à part. Ensuite, la capacité des Capétiens de mobiliser toutes les ressources du droit féodal pour accroitre leur domaine au détriment des autres seigneurs : ce sera le cas avec la commise (saisie définitive) prononcée sur la Normandie par le roi Philippe II contre Jean- sans -terre, au début du XIIIe siècle ou encore peu après en vertu du traité de 1229 avec le mariage du frère de Louis IX, Alphonse de Poitiers avec la fille unique du comte de Toulouse, Raymond VII, Jeanne de Toulouse. Le mariage n’ayant pas donné lieu à la naissance d’un héritier, c’est l’ensemble du comté de Toulouse qui sera intégré au domaine royal au moment de la mort d’Alphonse de Poitiers et de Jeanne de Toulouse lors de la 8e croisade en 1270. Le domaine royal s’agrandit peu à peu et c’est ainsi que se construit le royaume dont la superficie est de plus en plus grande. Enfin, il faut en revenir à la réflexion des légistes de l’entourage royal. Leur commune formation au droit romain les rend sensible à la notion de souveraineté, d’où l’adage selon lequel « le roi est empereur en son royaume ». Si tel est bien le cas, on retrouve aussi les prérogatives régaliennes classiques, à commencer par la justice mais aussi tout le reste : la défense militaire, la diplomatie, le maintien de l’ordre, la fiscalité et bien entendu le pouvoir législatif. Restaurée à l’époque carolingienne, l’activité législative de la monarchie est absente entre 888 et 1155, époque où le roi Louis VII cherche à imposer une paix générale dans le royaume pour dix ans. On connait une vingtaine de textes législatifs datant de l’époque de son fils Philippe II (1180-1223). Cette activité législative est freinée d’ailleurs par la nécessité, dans le contexte féodal, pour le roi d’obtenir l’assentiment de ses vassaux. L’activité législative reste faible dans le courant du XIIIe siècle. On peut citer quelques ordonnances prises par Louis IX, au retour de la 7e croisade, dans la seconde partie de son règne (1254-1270) qui est une période de réformation, au sens de correction des abus, l’échec de la croisade étant interprété dans l’entourage religieux du roi comme la preuve que Dieu n’a pas voulu soutenir un royaume où se commettaient de nombreux abus. C’est l’administration de la justice, les questions de procédure mais aussi la monnaie qui sont visées par ces premières ordonnances qui sont d’ailleurs trop en avance sur les mentalités et les usages pour être facilement appliquées. C’est la raison pour laquelle Philippe le Bel, dans le cadre de l’affirmation de l’Etat monarchique, qui caractérise son règne majeur, sera amené à rapporter l’interdiction du duel judiciaire pourtant décidée par Louis IX. Un autre terrain de prédilection de ces premières rares ordonnances est celui de la lutte contre les mauvaises coutumes, le roi intervenant, en tant que garant d’une bonne administration de la justice, pour interdire certaines coutumes considérées comme archaïques, en particulier la pratique des guerres privées, le roi s’affirmant comme la seule autorité habilitée à déclarer et à conduire la guerre, ce qui conduira plus tard à l’ordonnance de 1439 qui crée l’armée royale permanente ainsi que la taille qui la finance ainsi que l’ordonnance de 1454 qui lance le mouvement de rédaction officielle des coutumes. C’est à l’époque de Philippe le Bel que la machine législative de la monarchie se met en route (Jacques Krynen, Philippe Le Bel, La puissance et la grandeur, 2022, p. 85). On connait environ 250 textes généraux émanant de la Chancellerie royale. Et la monarchie capétienne sera à l’échelle européenne la plus productrice de lois, des lois dont la rédaction formelle, qu’il s’agisse d’établissements, d’ordonnances ou d’édits authentifiées par le grand 11 Le renouveau de la législation royale : sceau est particulièrement soignée, avec une adresse, le « Nous » et la « certaine science » qui renvoient à la majesté royale, le préambule qui expose le contexte et les motifs raisonnables de la législation exposée d’une manière ferme dans le dispositif. 12 III Les justices médiévale Comme les sources du droit, la justice médiévale est très diversifiée et le pluriel nous semble préférable au singulier. Alors que le pouvoir royal monte en puissance progressivement à partir du XIIIe siècle qui renoue, grâce au droit romain avec le concept d’Etat, ce qui se traduira sur le long terme par le déploiement de la justice royale venant surplomber l’intégralité de l’architecture institutionnelle complexe de la justice, il faut tenir compte de l’existence d’autres justices, qu’il s’agisse des justices seigneuriales, des justices de l’Eglise ou des justices exercées par les autorités municipales. 1. Les justices seigneuriales Elles se situent dans le prolongement de l’organisation de la justice à l’époque franque. La dispersion du pouvoir politique dans le monde féodo-seigneurial dont les contours sont mouvants, se traduit par la présence d’une justice de nature seigneuriale qui est une justice de proximité et dont relèvent, au moins en théorie, tous ceux qui sont levants et couchants dans la seigneurie et qui ont « avoué » leur seigneur, c’est-à-dire sont placés sous son autorité directe, soumis au droit de ban et aux règles féodales. On peut d’ailleurs distinguer entre une justice banale qui fait respecter les ordres donnés par le seigneur, en particulier du point de vue économique et fiscal et d’autre part une justice féodale proprement-dite qui se situe dans le prolongement de la distinction entre les causes majeures et les causes mineures de l’époque franque et qui se traduit désormais par la distinction classique entre la haute et la basse justice. Relèvent de la haute justice les affaires les plus importantes : homicides, rapts, incendies, certains vols en matière pénale, les questions relatives à la propriété privée et le statut des personnes. Relèvent de la basse justice les affaires de moindre importance mais très nombreuses. Selon les cas, tantôt la haute et la basse justice relèvent du même seigneur. Là où la dislocation du pouvoir politique a été la plus poussée, ces deux types de justices peuvent relever de seigneurs distincts. Toute une organisation concrète de cette justice existe avec des juges, des procureurs fiscaux (qui correspondent au ministère public), des avocats, un personnel d’exécution des sentences. Il faut également rappeler que l’une des conséquences du contrat de fief est de créer des obligations à la charge du vassal : militaires mais aussi en matière de justice, la justice féodale étant rendue sous la présidence du seigneur mais la cour étant garnie de ses vassaux. Du point de vue de la procédure, on retrouve les caractères généraux de l’époque franque : les caractères formaliste, oral, accusatoire et la coloration pénale de ce type de justice. Les moyens de preuve évoluent assez peu et demeurent en grande partie ce qu’ils étaient auparavant. A noter toutefois que l’Eglise a finalement interdit aux clercs de participer aux ordalies (décision du quatrième concile du Latran en 1215), ce qui entraine un déclin de ce type de preuve malgré des résistances sociales et le maintien plus persistant du duel judiciaire, interdit à l’époque de Louis IX mais rétabli à l’époque de Philippe le Bel, en raison des résistances concrètes de ce type de preuve correspondant aux mentalités de l’époque. A noter également que les profits de justice (amendes, saisies, confiscations) profitent aux seigneurs locaux auxquels revient la charge (et le coût financier) de l’organisation de ce type de justice et de l’exécution des sentences. Du point de vue de la procédure toujours, il faut ajouter que, compte tenu du flou imprégnant les rapports de force entre les seigneurs ainsi que sur les contours géographiques mouvant des seigneuries, il n’existe pas d’emblée de véritable appel des décisions rendues par les juges seigneuriaux. La procédure de « défaulte –droit » s’apparente davantage au déni de justice et celle du « faussement de juge » consiste à contester non la décision sur le fond que le juge lui-même qui peut se voir soumis au duel judiciaire. 13 Les justices médiévale 2. Les justices de l’Église Compte tenu de la place centrale de l’Eglise dans la société médiévale, il est naturel que les justices de l’Eglise occupent une place importante dans son organisation judiciaire. Plusieurs distinctions doivent être faites : -D’abord, il se peut que des dignitaires de l’Eglise : évêques, abbés des monastères exercent un pouvoir seigneurial. A ce titre, ils peuvent être titulaires de la justice laïque. C’est le cas dans les cités épiscopales où l’évêque est le seigneur local et contrôle la justice temporelle, parfois en concurrence avec le juge royal. C’est le cas, par exemple dans la cité épiscopale d’Albi (reconnue au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2010, sur cette thématique de cité épiscopale modèle). Le régent de la Temporalité est un juge laïc nommé par l’évêque. Il juge au civil et au criminel. L’évêque contrôle également le consulat et exerce un pouvoir très étendu dans tous les domaines. -En dehors de cette justice temporelle, l’Eglise exerce une justice spirituelle à deux niveaux : a- Il y a la justice spirituelle au for interne ou tribunal de la pénitence : le chrétien vient confesser ses péchés à un prêtre qui a reçu pouvoir pour l’entendre et l’absoudre, moyennant une pénitence. Il y a là l’expression d’une justice particulière et le Moyen- Age a produit des recueils appelés pénitentiels qui détaillent les péchés et les peines. b- Il y a la justice spirituelle au for externe qui est relative à des tribunaux mis en place par l’Eglise sous le nom d’officialités compétentes pour juger les clercs (et assimilés) ainsi que pour un certain nombre d’affaires qui ont un lien plus ou moins direct avec l’Eglise. Dès l’époque carolingienne, un certain nombre d’éléments sont mis en place autour du rôle des évêques associés au pouvoir carolingien. Mais c’est surtout du XIIe au XIVe siècles que les tribunaux de l’Eglise connaitront leur apogée. Cela s’explique par des raisons de fond : les officialités diocésaines font l’objet d’une organisation précise avec l’official, un promoteur de justice (ministère public), des avocats dont le défenseur du lien en matière de mariage. La compétence ratione personae est une compétence personnelle. Un certain nombre de personnes relèvent de ce type de tribunal qui s’est répandu largement dans le monde catholique au niveau de chaque diocèse. La compétence est normalement dévolue à l’évêque lui-même mais, en pratique, celui-ci la délègue à l’un des prêtres de son diocèse qui prend le nom d’official. Relèvent de cette officialité tous les membres du clergé. On parle du privilège du for (privilegium fori ou de clergie. Cette qualité est largement appréciée à l’époque médiévale. Elle concerne, en premier lieu, les prêtres et les évêques. De manière extensive et dans un but de protection, ce privilège sera étendu à d’autres catégories de personnes : la communauté universitaire (les étudiants et les maitres), les pèlerins, les pénitents, les croisés, les personnes vulnérables (miserabiles personae) telles que les veuves et les orphelins. La compétence ratione materiae concerne un certain nombre d’affaires qui intéressent l’Église : d’abord tout ce qui est relatif aux sacrements, à commencer par la matière la plus importante qui est celle du mariage. Le mariage étant conçu comme un sacrement et étant célébré dans la forme religieuse, toutes les questions de validité, les dispenses, le consentement, la filiation, l’adultère, la séparation de corps…relèvent, en principe, et en tout cas pour la partie sacramentelle, de ces tribunaux et de manière durable jusqu’à la Révolution française qui mettra en place, de manière générale, le mariage civil. D’autres questions relèvent de cette compétence : l’hérésie, le sacrilège, le blasphème, la sorcellerie, les questions relatives aux vœux religieux, les bénéfices ecclésiastiques, les affaires de bigamie, les infractions sexuelles…Au total, on voit que la liste est longue. On peut même ajouter pour le Moyen-Age des matières dites mixtes telles que la question de l’exécution des testaments dans la mesure où ils sont établis dans une forme religieuse et comportent souvent des legs pieux au profit d’établissements ecclésiastiques, de même que l’exécution des contrats dans la mesure où ils sont assortis d’un serment religieux. 14 Les justices médiévale On a parlé plus haut de privilège. Le terme est à prendre d’abord dans son sens étymologique, c’est-à-dire de droit particulier. Il faut également considérer que la justice rendue par les officialités est très en avance sur les autres justices, en raison du fait qu’elle applique la procédure romano-canonique qui est caractérisée par des éléments qui la rendent supérieure à la procédure laïque : sa technicité, la rationalité des preuves, l’importance de l’écrit, la hiérarchisation des juridictions et le développement de la représentation judiciaire. En effet, la réforme grégorienne a précisé la hiérarchie des autorités ecclésiastiques et permis l’application de l’appel des décisions auprès de l’autorité immédiatement supérieure. Appel peut être interjeté des décisions des officialités auprès de l’officialité provinciale, c’est-à-dire l’officialité de l’archevêque métropolitain (au niveau que l’on pourrait qualifier de régional). Et même, le cas échéant auprès de la juridiction pontificale : le tribunal de la Sainte-Rôte. Il faut également insister sur le fait que la procédure romano-canonique dans le droit fil de la procédure romaine est une procédure écrite, que les moyens de preuve renouent avec la rationalité des preuves romaines : l’écrit, le témoignage et que le juge mène une véritable enquête, d’où le caractère inquisitorial de ce type de procédure, caractère consolidé par le tribunal de l’Inquisition qui aura pour compétence spéciale de lutter contre les hérésies. Quant aux peines infligées, il s’agit de peines canoniques qui visent davantage l’amendement du coupable que sa sanction : amendes, pèlerinages forcés, privation temporaire de sacrements, suspension, interdit, la plus grave étant l’excommunication qui retranche celui qui en fait l’objet de la communauté chrétienne : privation des sacrements, privation de sépulture chrétienne, et impossibilité d’accéder au Salut éternel. La peine de mort ne figure pas parmi les peines canoniques, en vertu du principe selon lequel l’Eglise a horreur du sang (ecclesia abhoret a sanguine). Dans les cas les plus graves, le juge ecclésiastique livre donc la personne au bras séculier qui peut appliquer la peine de mort. C’est ce qui s’est passé en 1314 à l’issue du long procès de sept ans mené contre les dignitaires en France de l’ordre des Templiers. La prison est envisagée en tant que moyen de faire réfléchir celui qui en est l’objet plutôt que constituant une véritable peine. 3. Les justices municipales Ce type de justice est à mettre en relation avec le renouveau urbain que l’on constate après l’an Mil. On voit apparaitre, par exemple des quartiers nouveaux dans les anciennes cités gallo-romaines. C’est ainsi qu’à Toulouse, apparait le faubourg situé autour de la basilique Saint-Sernin qui conserve les reliques de Sernin, évêque de Toulouse, martyrisé en 250, ou encore le faubourg de Saint Pierre des cuisines, à proximité de la Garonne qui accueille nombre d’activités artisanales qui utilisent l’eau. On voit apparaitre également des villes nouvelles, soit à l’initiative des seigneurs locaux pour des motifs militaires ou économiques ou à l’initiative de l’Eglise, dans le cadre du mouvement de la paix de Dieu, par lequel l’Eglise tente de limiter les guerres privées, en mettant en dehors de la guerre certains territoires appelés des sauvetés (d’où les termes de salvetat ou sauveterre encore présents aujourd’hui). Ce sont également les bastides du sud-Ouest, souvent bâties sur des promontoires, telles que Cordes- sur- ciel dans l’albigeois, au début du XIIIe siècle. Ce renouveau urbain a fait l’objet de l’attention des juristes qui distinguent entre les villes qui ont obtenu leur autonomie politique et disposent de la personnalité juridique (les communes et les consulats méridionaux) et celles qui n’accèdent pas à la pleine indépendance mais obtiennent un certain nombre de franchises et de libertés dont témoignent les chartes urbaines. Dans toutes ces villes qui ont fait l’objet de beaucoup d’études locales, on remarque que la justice est toujours un élément important de ces statuts. L’idée générale est de protéger les habitants, de leur permettre d’être jugés sur place et par des institutions où les représentants des habitants sont bien présents. Parfois le seigneur est représenté par un prévôt entouré d’anciens appelés échevins, parfois ce sont les échevins qui jugent eux-mêmes. Les compétences de ces juridictions municipales qui obéissent à une grande diversité, par définition, concernent à la fois les matières civiles et les matières pénales, y compris criminelles. Le droit de la preuve est également spécial et vise à éviter les peines irrationnelles. A remarquer également que ces justices municipales auront tendance à attirer à elles certaines affaires, telles que la justice rendue aux personnes vulnérables, dignes d’une protection renforcée, telles que les veuves et les orphelins. Il faut enfin insister sur la compétence exercée par les institutions 15 Les justices médiévale urbaines en matière de police économique. Elles développent, en effet, tout une réglementation des activités économiques et sont en relation avec le monde des communautés de métiers qui évolueront plus tard vers les corporations ainsi qu’avec le monde des marchands qui développera sa propre justice consulaire. 4. Les justices royales Il nous reste à dire quelques mots des justices royales qui seront appelées à se développer considérablement, au fur et à mesure que le pouvoir royal va se renforcer, au cours des siècles. La question est importante dans la mesure où le pouvoir de rendre la justice, qui restera toujours un marqueur de souveraineté, doit être considéré comme la prérogative régalienne principale à l’époque médiévale. Si l’autorité royale apparait longtemps comme lointaine, elle n’est pas absente du paysage judiciaire local. Un peu partout dans le domaine royal, on constate la présence du juge royal dans les différentes cités, portant des noms divers, tels que prévôt ou viguier, dont la compétence peut se situer en concurrence avec d’autres justices. Pour éviter les conflits de compétence, on applique alors la règle de la prévention qui permet à la première juridiction saisie de rester seule compétente, en vertu du principe procédural : non bis in idem selon lequel on ne peut juger deux fois (au même degré) la même affaire. Le maillage judiciaire royal est également représenté par les tribunaux de bailliage ou de sénéchaussée, les deux noms étant synonymes et faisant l’objet d’une utilisation de type géographique puisque dans le Midi, on emploie surtout le terme de sénéchaussée. On peut considérer de manière générale que ce type de tribunal reçoit l’appel des décisions rendues par le juge royal de premier degré ou reçoit des compétences particulières. Par ailleurs, comme le chef de ce tribunal est un noble, il est compétent au premier degré pour les affaires qui intéressent les personnes nobles, en vertu du principe qu’un noble ne peut être jugé que par un autre noble. La circonscription du bailliage ou de la sénéchaussée n’est pas qu’une circonscription judiciaire : elle est aussi une circonscription militaire (pour la levée de l’ost royal) et deviendra aussi circonscription électorale (pour l’élection des députés aux Etats généraux, à l’époque moderne). La procédure suivie devant ces juridictions évolue également, sous l’influence de la procédure romano-canonique suivie par les justices de l’Église. C’est ainsi que l’on assiste au reflux des moyens de preuve irrationnels, tels que le duel judiciaire qui, interdit par Louis IX (1260) avait été rétabli sous certaines conditions (crime commis de manière occulte, absence d’autres preuves, crimes capitaux, suspect poursuivi par la clameur publique, intervention du parlement) à l’époque de Philippe le Bel (1306). Le dernier duel judiciaire aura lieu sous le règne de Charles VI (29 décembre 1386) entre deux écuyers du comte d’Alençon : Jean de Carrouges et Jacques le Gris, ce dernier étant accusé d’avoir violé Marguerite, l’épouse du premier. Un film récent (Le dernier duel) a été tiré de cette affaire célèbre (Ridley Scott, 2021). Auprès du roi, se trouve la curia regis in parlamento, à l’origine de l’institution judiciaire centrale de la monarchie française qu’est le parlement qui provient donc historiquement d’une spécialisation de la cour du roi, en matière de justice. Ce parlement est d’abord itinérant et suit donc les déplacements géographiques du roi. Il est ensuite sédentarisé à Paris, au moment du retour du roi Louis IX de le 7e croisade en 1254, dans le cadre de la politique réformatrice menée par le roi. On doit à Philippe le Bel d’avoir regroupé au nouveau palais de la cité à Paris les institutions centrales de la monarchie en plein essor : parlement, cour des comptes, chancellerie et archives royales. Jusqu’à la première moitié du XVe siècle, le parlement de Paris est le seul parlement de France. Son ressort est donc immense et il va recevoir l’appel des décisions rendues par les autres juridictions. Pour tenir compte des spécificités méridionales, c’est-à-dire de l’application du droit romain ainsi que l’utilisation de la langue d’Oc, sera organisé, dans le dernier tiers du XIIIe siècle, un Auditoire des pays de droit écrit, auprès du parlement de Paris. Le parlement sera compétent également en vertu du privilège de committimus, à partir du début du XIVe siècle pour juger certains grands personnages tels que les ducs et pairs de France, les grands officiers de la couronne ou les conseillers d’État. Nous reviendrons plus tard sur les fonctions essentielles du parlement. 16 Les justices médiévale À partir du milieu du XVe siècle et c’est l’un des aspects de la reprise en main du royaume, à l’époque de Charles VII et de la fin de la Guerre de Cent ans, on assiste au début de l’installation des parlements en province, à commencer par l’installation définitive du parlement de Toulouse, deuxième du royaume, en 1444. Et le mouvement se poursuivra, à partir de là un peu partout dans le royaume. 17 Les justices médiévale 18