Summary

Ce document présente une étude du langage, analysant ses aspects naturels et humains. Il explore les différentes notions de signe (indice, signal, symbole) et met en lumière le langage linguistique, se basant sur des théories des philosophes et des linguistes.

Full Transcript

LE LANGAGE Introduction : « L'homme rend par un signe extérieur ce qui se passe au-dedans de lui ; il communique sa pensée par la parole : ce signe est commun à toute l'espèce humaine ; l'homme sauvage parle comme l'homme polic...

LE LANGAGE Introduction : « L'homme rend par un signe extérieur ce qui se passe au-dedans de lui ; il communique sa pensée par la parole : ce signe est commun à toute l'espèce humaine ; l'homme sauvage parle comme l'homme policé et tous deux parlent naturellement, et parlent pour se faire entendre.» Buffon, Histoire Naturelle, 1749. Buffon présente ainsi le langage comme étant une caractéristique universelle de l'espèce humaine, et plus précisément comme une faculté innée. Aucun autre animal que l'homme ne semble posséder un tel instinct linguistique (pour reprendre l'expression de Steven Pinker). C'est une thèse classique (Aristote l'affirmait déjà dans Les Politiques : « seul entre les vivants, l'homme a un langage ».). Ainsi la première question que nous nous poserons concernera la dimension proprement humaine du langage. En quoi le langage humain et le langage animal se distinguent-ils ? Buffon précise que cette faculté se caractérise par : 1. – la présence d'un caractère double, mettant en relation le « signe extérieur » (le signifiant) et « ce qui se passe au-dedans » (le signifié). Le langage aurait donc pour fonction d'exprimer la pensée, et nous verrons que le rapport entre la pensée et le langage soulève certains pbs. Le langage est-il le signe visible de la pensée ? Comment alors expliquer la diversité des langues ? Doit-on alors supposer que c'est la pensée qui est produite par le langage ? Dans ce cas, il y aurait une diversité de pensées, chaque culture penserait différemment. 2. - Cette faculté a donc une nature symbolique qu'il conviendra de préciser. Le signe linguistique est de plus arbitraire et conventionnel. Ce qui nous conduira à nous interroger sur l'origine du langage et sur son rapport aux choses. Le langage exprime-t-il parfaitement les choses qu'il désigne ? Existe-t-il une langue originaire ? 3. – Cette faculté a une fonction de communication proprement humaine où il s'agit de se faire entendre. Mais que signifie exactement se faire entendre ? Nous verrons que le langage humain nous permet aussi d'agir. La parole peut se transformer en acte. Prendre la parole, c'est prendre le pouvoir. Ainsi la fonction de la parole est, plus que la communication, expression. Nous verrons enfin que pour l'homme exister, c'est parler (par la parole l'homme signifie, amène à l'être, l'univers et son monde intérieur). Par la parole, l'homme fait advenir, rend présent ce qui est absent. I – Le langage comme phénomène naturel : Sous son premier aspect, le langage se présente comme un mode naturel de communication et d'expression propre à l'homme. Descartes, Discours de la méthode, V : ce qui prouve que l'homme n'est ni une machine, ni un animal, mais qu'il a bien une âme qui a des pensées, c'est sa capacité à utiliser des mots qui sont des signes portant sur des sujets qui se présentent sans se rapporter à des passions. Cette dernière caractéristique démontre que le langage doit pouvoir fonctionner indépendamment de toute excitation directe. Le langage n'est donc pas l'association régulière de signes à une situation et semble donc avoir un aspect créateur. Ainsi, s'il est possible de dire que les animaux communiquent (comme des vases communicants communiquent), l'homme par le langage s'exprime. Et pour s'exprimer l'homme utilise des signes linguistiques. A – La notion de signe : D'une manière générale, un signe est un objet matériel, son ou figure, tenant lieu d'une chose absente, servant à la rappeler. Le signe est donc toujours double : indique un rapport présence/absence et renvoie à autre chose que lui- même. Les signes non linguistiques : 1. – L'indice : est la trace laissée par un événement ou un être. Il existe un rapport de cause à effet, et donc un lien naturel (ex : les indices dans les enquêtes policières, une fièvre est l'indice d'une attaque virale...). 2. – le signal : a pour fonction de déclencher une conduite ; il peut être conventionnel ou naturel (le feu est le signal d'un danger, le code de la route utilise des signaux) 3. – le symbole : renvoie à un objet ou une valeur qui lui ressemble. Le rapport entre le symbole et ce qu'il signifie est analogique ; ✔ l'analogie peut être naturelle : lion symbole de la force ✔ l'analogie peut être culturelle : un drapeau ✔ elle peut être abstraite et conventionnelle : un symbole mathématique Nb : Le mot « symbole » vient du grec « sumbolon » désignant un objet cassé en deux. Les grecs, à la fin d'un repas, cassaient en deux une poterie, et chacun en gardait un morceau. Ils pouvaient ainsi se reconnaître (ou faire reconnaître un proche). Le signe linguistique : 1. - Ferdinand de Saussure (Cours de linguistique générale, 1916) a montré que le signe linguistique avait un caractère double : ✔ le signifiant qui est ce par quoi le signe se signale, est identifié comme signe (je dois reconnaître ce signe comme signifiant). C'est donc le signe dans sa matérialité, le signe tracé, le son entendu ; ✔ ensuite le signe renvoie à un signifié, à un sens. Signifiant et signifié ne vont pas l'un sans l'autre. Saussure les compare au recto et au verso d'une même feuille. 2 – Le signe est arbitraire : il n'a pas de lien naturel, logique ou analogique avec ce qu'il signifie. Exemple : le mot table n'a pas de lien avec l'objet qui lui correspond. 3 – il est de plus conventionnel : ainsi si le signe est arbitraire, il ne peut pas être modifié au gré de chacun. 4 – il est relatif : il n'a de sens que dans un système de signes différenciés les uns par rapport aux autres. « Dans la langue, il n'y a que des différences, sans termes positifs. (...) Ce qu'il y a d'idée ou de matière phonique dans un signe importe moins que ce qui existe autour de lui dans les autres signes » (Saussure). B – le langage animal est un code de signaux : L'entomologiste Karl von Frisch, 1948 (Vie et moeurs des abeilles) : va décrire le langage des abeilles. Lorsqu'une abeille éclaireuse découvre un butin, elle va, rentrée à la ruche, indiquer aux butineuses l'emplacement des fleurs. Pour ce faire, elle va se livrer à une sorte de danse, en rond si le butin est proche (moins de 100 mètres, en huit s'il est plus éloigné, l'axe du huit par rapport au soleil indiquant la direction, et la plus ou moins grande vitesse de la danse, le plus ou moins grand éloignement du but à atteindre (entre 100 mètres et 6 kilomètres). Les abeilles disposent donc d'un système de signes pour communiquer des informations. Mais ce système de signes ne constitue pas encore un langage. E. Benveniste va, en discutant ce cas, faire ressortir les critères qui distinguent radicalement le langage humain d'un tel système : 1. – le symbolisme des abeilles est « un décalque de la situation objective ». une situation particulière ne peut donner lieu qu'à un seul message, à la différence du symbolisme linguistique qui offre un grand nombre d'expressions pour une même situation ; 2. – dans ce système, les possibilités de combinaison sont limitées par le fait que les éléments signifiants (le cercle et le huit) ne peuvent pas être décomposés en unités autonomes dépourvues de contenu (« éléments d'articulation ») : chaque élément étant doté d'un sens fixe, il ne peut se combiner librement avec d'autres ; 3. – la communication n'est pas un échange, mais une simple transmission d'informations : le message n'est ni réversible, ni modifiable (par échange d'informations complémentaires), ni susceptible d'être repris à son compte par un autre émetteur. Ce langage animal a donc un caractère fixe et limité / se limite à la définition de trois thèmes toujours joints: nature du butin, direction et distance. Ainsi, si les animaux communiquent, ils ne parlent pas ; ils expriment, mais ne s'expriment pas. C – Le langage humain a deux niveaux d'articulation : La différence entre le langage animal et le langage humain résulte de cette idée développée par la linguistique que le langage est articulé. L'articulation signifie la décomposition en unités distinctes, liées les unes aux autres par des règles de composition. ✔ La première articulation : dans le sens le plus général de l'articulation, tout système de signes est articulé s'il comporte des éléments nettement différenciés et mutuellement incompatibles : exemple : les feux réglementant la circulation ne peuvent être en même temps rouge et vert. Le langage humain est articulé au sens où il décomposable en mots (plus précisément en unités) comportant une signification distincte susceptible d'être utilisée dans d'autres situations ( ce sont les morphèmes). André Martinet a souligné la puissance remarquable que ce premier niveau d'analyse donne au langage : « quelques milliers d'unités (...) nous permettent de communiquer plus de choses que ne pourraient le faire des millions de cris inarticulés différents »(Elements de linguistiques générale). ✔ La seconde articulation : il s'articule en unités non significatives (les sons que les linguistes appellent les « phonèmes » qui constituent le mode d'articulation caractéristique du langage humain. D – La compétence linguistique : Le linguiste, Noam Chomsky (La nature formelle du langage) va démontrer que ces deux niveaux d'articulation permettent de définir une caractéristique universelle du langage humain : sa créativité. Il convient donc de considérer que le langage humain est une faculté, une compétence qui dépasse de loin la performance, c'est-à-dire la découpe personnelle et limitée qu'un sujet opère dans le système linguistique, la langue. Ce qui est particulièrement visible dans le processus d'apprentissage de la langue. Un enfant n'apprend pas sa langue maternelle de la même manière qu'il apprendra plus tard une table de multiplication. Il n'apprend pas des termes en vue de les stocker dans sa mémoire, de constituer un répertoire de mots et de phrases réutilisables tels quels en fonction de situations prédéfinies. L'enfant apprend en expérimentant sa compétence linguistique, cette capacité infinie qu'a tout langage humain en tant que système, de produire des énoncés nouveaux et acceptables. Comme le souligne Chomsky, il est important de remarquer que « la répétition des phrases est exceptionnelle ». L'enfant découvre qu'il a la capacité de tout dire, que sa compétence dépasse sa performance effective : la façon dont il parle n'est qu'une utilisation partielle des possibilités offertes par sa langue. Ce pouvoir créateur du langage se manifeste en particulier dans sa capacité à modifier la désignation d'une même référence objective (pour la modifier, l'enrichir...). Le langage humain peut se prendre lui-même comme stimulus et comme référence. Le langage est dialogue (et dépasse donc la simple communication d'informations): c'est l'état même du sujet : nous parlons à d'autres qui parlent (parler, c'est parler à). Ainsi, si le langage est une compétence, une faculté qui pourrait être considérée comme innée, il ne semble pas en aller de même pour la langue. La diversité des langues et leur complexité pose le problème de leur origine. E – Le problème de l'origine : Les mots étant abstraits (le mot chaise, par exemple, n'a rien à voir avec la chaise réelle), nous avons tendance à supposer que les mots ont été inventés de toute pièce, qu'ils sont conventionnels et arbitraires. Mais le pb = la langue (en tant que système de signes) ne peut pas avoir la convention pour origine, puisque toute convention suppose un langage (des discussions, des dialogues, des accords...). Peut-on penser l'origine du langage ? ✔ Platon, Le Cratyle : Il va dans ce dialogue opposer la thèse conventionnaliste d'Hermogène (qui est aussi celle de Démocrite), selon laquelle les mots ont été institués par un législateur, un faiseur de noms, et la thèse naturaliste de Cratyle qui suppose qu'il y a une concordance entre le mot et la chose désignée. Platon va exposer les difficultés du conventionnalisme qui consiste à n'envisager le langage que sous son aspect instrumental : un nom ne serait que l'appellation que certains donnent à un objet après accord. Or l'usage du langage nous montre qu'il y a des usages qui sont corrects et d'autres non. Les mots ne semblent donc pas totalement conventionnels. Les mots ne sont pas de simples outils extérieurs à moi que je peux utiliser dans un but particulier (comme j'utilise un marteau pour planter un clou). Pour s'en convaincre, on voit qu'une langue ne peut pas être traduite mot par mot. Ensuite, il expose la thèse naturaliste : cette thèse implique que le mot imite l'essence des choses. Il faut alors rechercher les mots primitifs et la valeur imitative des phonèmes (le « r » serait alors propre à rendre compte de toutes les sortes de mouvements). Si Platon semble lui accorder du crédit (le mot homme, par exemple, renverrait à l'essence Homme dont participent les individus particuliers), il montrera ensuite qu'il est impossible de retrouver dans le langage l'essence des choses (on ne peut pas apprendre à partir des mots, comme on apprend à partir des choses, et plus précisément pour Platon des Idées). C'est donc au philosophe qu'il appartient de travailler sur les mots (en usant de la dialectique) pour remonter aux Idées ; et lorsque le philosophe atteint ces idéalités, la pensée pure : il n'y a plus que contemplation, vision pure qui ne peut être retranscrite par des mots. ✔ Rousseau, Discours sur l'Origine de l'Inégalité parmi les hommes : le cri lui semble offrir la possibilité d'expliquer la transition entre la communication animale et le langage humain. Le premier langage de l'homme, le cri de la nature = un langage universel qui permet seulement de traduire, d'exprimer une passion face à des situations qui nécessitent une action (une réaction) urgente. Ce premier langage ne permet pas de communiquer des idées et d'établir une communication plus étroite avec les autres. Ce premier langage va alors s'infléchir d'intonations, d'articulations de la voix afin d'exprimer les nouvelles passions qui vont se développer dans le commerce des hommes entre eux (voir naissance du langage chez les jeunes gens rassemblés autour d'un puits). Rousseau a donc démontré que le langage n'a pas pour origine première le besoin, mais les passions humaines. Les hommes ont inventé un langage pour le plaisir de communiquer (et non échanger des informations) Difficultés de cette hypothèse : ✗ le langage présuppose une certaine organisation sociale (qui crée le besoin de communication), et cette organisation ne peut se concevoir sans le langage. ✗ Si les hommes ont eu besoin de la parole pour apprendre à penser, ils ont eu d'abord besoin de savoir penser pour pouvoir parler. La fin de son discours (de son livre) débouche sur la critique de la thèse conventionnelle : une convention ne peut être fixée que par un contrat ; or pour que cet accord unanime soit motivé, il est nécessaire que la parole soit antérieure à l'usage de la parole. Il en ressort que l'on ne peut pas envisager l'humanité sans langage, et le paléontologue A. Leroi-Gourhan montrera qu'il y a un rapport fondamental entre l'outil (la technique) et le langage. Le niveau du langage suit celui de l'outil dans le développement de l'homme (la station debout libère la main en même temps qu'elle permet un développement de la voûte crânienne libérant la zone propre au langage). De même, aujourd'hui, nous savons que la pensée et le langage activent la même zone du cerveau. II – Le langage et la pensée : Ici il faut établir une distinction fondamentale entre l'écriture et la parole. L'écriture est une symbolisation spatiale du langage parlé (une juxtaposition temporelle), qui est à son tour le symbole de ce qui se passe dans l'âme (Aristote, De l'interprétation). Le langage écrit semble figer la pensée, tandis que la parole semble être l'extériorisation variable et vivante de la pensée. Il semble donc difficile de séparer la pensée de la parole. Mais quelles sont leurs relations ? Deux grandes thèses vont sur cette question s'opposer : ✔ certains supposeront que la parole exprime la pensée, qu'elle en est le signe visible et donc la preuve. La pensée serait alors antérieure à la parole, et le langage serait un outil imparfait permettant d'exprimer la pensée (un outil au service de la pensée); ✔ d'autres supposeront l'inverse : la pensée étant faite de paroles, elle est le résultat de l'apprentissage de la parole. Ce serait donc le langage qui formerait et informerait la pensée (« enfant » vient du latin « infans » qui signifie celui qui ne parle pas parce qu'il ne pense pas). A – Le langage est la manifestation de la pensée : Théorie des philosophes classiques (Platon, Descartes, Locke, Hobbes, Leibniz...) La pensée peut exister sans le langage, elle existe avant le langage ; elle est, de plus, parfaite et universelle. Le langage est alors un outil imparfait pour exprimer les idées. ✔ Leibniz : il va élaborer le projet de la création d'une langue parfaite : la caractéristique universelle : Il part du constat (classique) que la langue naturelle est porteuse de trop d'ambiguïtés pour servir à la recherche de la vérité, et qu'elle est source de querelles entre les hommes. Il doit donc être possible de mettre au point une langue parfaite qui exprime la pensée, la raison universelle (identique en chaque homme). Tous les obstacles à la recherche et à la communication de la vérité seraient dissipés par l'élaboration de cette langue parfaite dont chaque signe aurait un sens bien défini et dont les règles grammaticales seraient invariables et inflexibles. L'invention de cette langue n'aurait pour condition que la formation d'un Alphabet des pensées humaines. Il s'agirait alors de décomposer tous nos concepts en concepts simples (en suivant le modèle mathématique, et donc construire une algèbre). On pourrait ensuite assigner à chaque idée simple un symbole. Il suffirait alors de combiner tous ces symboles pour obtenir les notions complexes. Les hommes pourraient alors cesser de disputer pour calculer, quelque soit le domaine (« cessons de disputer, calculons »). Il deviendrait alors plus aisé de s'entendre et les risques d'erreur seraient grandement diminués. Il se base sur le mythe de la Tour de Babel (Genèse) qui décrit un état de perfection (initial) de l'humanité : les hommes parlant tous une seule et même langue, la langue originelle vivent une union sans faille et élaborent un projet commun : celui de construire une immense tour pour sceller leur communion par la réunion de tous à l'abri des murs de la Tour. Dieu, qui ne veut pas être égalé, va détruire cette belle unité en dispersant les hommes et en leur donnant une multiplicité de langues. Ce qui va rendre toute communication impossible et donc faire échouer tout projet commun, isolant alors chaque homme. Si ce projet est séduisant et a connu une certaine postérité (notamment avec la logique), il se heurte à une difficulté de taille : ✗ il suppose l'achèvement de l'inventaire des idées simples dont seraient censées se composer toutes les pensées vraies de l'homme : cette tâche est sans fin, immense, et probablement irréalisable en ce qu'elle méconnaît l'essence véritable du langage. ✗ La nature véritable du langage est bien plus complexe que ne l'a reconnue Leibniz. La thèse d'après laquelle la parole est le signe de la pensée paraît supposer que la pensée préexiste à son expression verbale. Mais on ne voit pas ce que peut être une pensée sans langage, puisque la pensée ne se présente jamais autrement que comme « un dialogue intérieur de l'âme avec elle-même » (Platon, Le Sophiste) : la pensée n'est donc pas autre chose qu'un langage intérieur. De plus, la pensée ne peut s'exprimer adéquatement que lorsque les symboles qu'elle utilise comportent une part d'ambiguïté et d'inadéquation. Le mot est le symbole de son sens : le sens coïncide avec son signe sans toutefois se confondre avec lui. Et c'est de la même manière que la pensée se distingue du langage bien qu'elle s'exprime en lui (elle est par rapport au signe, le retrait du sens qui donne sa profondeur au langage). La langue universelle est une langue bien faite dans la mesure où le sens se confond s'y confond avec le signe, mais cette langue est si bien faite qu'elle ne laisse plus rien à comprendre, seulement des opérations à effectuer. Cette langue universelle est-elle encore une langue ? Ne risque-t-elle pas d'appauvrir nos pensées ? Calculer s'est exécuter des opérations prédéfinies. Le calcul ne nous apprend rien. ✔ Bergson : le langage est bien un outil imparfait qui ne peut exprimer toute la richesse de la vie de l'âme. La vie intérieure de l'esprit est durée pure, réalité concrète et fluide. Les mots = outils inventés par l'intelligence discursive qui découpe le réel (par nécessité d'action) en l'appauvrissant. Les mots masquent les choses elles-mêmes. C'est alors, à la poésie que revient la tâche de nous restituer cette vie intuitive, émotive, la nature profonde des choses en elles-mêmes. Le langage poétique joue sur les métaphores, les inadéquations de sens. Sur le plan religieux, le langage est inapte (ne peut exprimer le divin, les expériences mystiques) De même Platon : la pensée pure ne peut être exprimée par les mots, véhicules imparfaits. La pensée pure n'est pas discursive, mais contemplative = une vision de l'âme. Pour ces auteurs, il y aurait un au-delà du langage. Le langage serait bien trop limité, imparfait pour décrire une réalité complexe. Mais, on peut se demander si une telle pensée ineffable, intraduisible, est encore une pensée ? Peut-on réellement concevoir une pensée en dehors de tout langage ? Est-il possible de concevoir une pensée non articulée, informe ? B – le langage structure la pensée : ✔ Pour Hegel ( Philosophie de l'Esprit), la réponse est claire et sans ambiguïté : il n'y a pas de pensée sans langage. Croire que ce qu'il y a de plus haut, c'est ce qui ne peut se dire, l'ineffable est une absurdité. « Vouloir penser sans les mots est une tentative insensée ». L'ineffable n'est alors rien d'autre qu'une pensée obscure, une pensée à l'état de fermentation, indéterminée et non objective. La pensée ne peut devenir claire que lorsqu'elle trouve le mot. C'est le mot qui donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie. ✔ Nietzsche montrera que le langage enferme la pensée dans des catégories ; le langage conditionne notre manière de voir et de penser (c'est la métaphysique de la grammaire). ✔ Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, « par l'usage entièrement nouveau et personnel qu'il a fait du participe défini, du passée indéfini, du participe présent, de certains pronoms et de certaines propositions, (Flaubert) a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant, avec ses Catégories, les théories de la Connaissance et de la Réalité du monde extérieur. » La langue apparaît comme un produit social et culturel : chaque langue offre un répertoire qui conditionne notre manière de voir et d'appréhender le monde (un médiateur dans la formation des objets). = hypothèse défendue par Sapir et Whorf. La pensée est donc entièrement dépendante de la structuration du langage. Ce qui montre aussi que la pensée ne peut pas être unilatérale. Exemple : les Inuits (Grand Nord) possèdent 14 mots différents pour parler de la neige. Mais alors on peut soutenir que plus une langue est riche, plus nos pensées seront riches. La langue définit la culture, le génie propre d'un peuple. ✔ Martinet : le langage est un médiateur dans la formation des objets : « dans le spectre solaire, un Français, d'accord en cela avec la plupart des Occidentaux, distinguera entre du violet, du bleu, du vert, du jaune, de l'orangé et du rouge. Mais ces distinctions ne se trouvent pas dans le spectre lui-même où il n'y a qu'un continu du violet au rouge ». Chaque idiome peut donc proposer une analyse différente du phénomène. Le langage permet à l'homme de construire un monde conceptuellement structuré à l'intérieur duquel prennent place ses activités. ✔ Le linguiste Saussure montrera alors que si toute langue est un produit social, un ensemble de conventions adoptées par une société, c'est parce que le langage n'est pas une copie de la réalité. Le lien qui unit le signifiant (le signe linguistique) et le signifié (l'idée) est immotivé. Il faut alors bien comprendre que ce signifié ce n'est pas la chose extérieure (le référent), mais une idée, un concept (« le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique », Cours de linguistique générale). Si chaque signifié renvoyait directement aux choses, alors il faudrait autant de mots que de choses (ce qui est impossible et le langage ne serait plus un médiateur). Le signifié ne peut donc pas renvoyer aux choses, mais seulement au concept de la chose (exemple : le signifié « chien » renvoie au concept général « chien », non aux chiens singuliers). Je ne définis pas le mot « chien » en me référant à la réalité, mais à sa définition qui me donne le concept « chien ». Ainsi, pour comprendre le langage, il faut donc s'intéresser à son fonctionnement interne : chaque signe doit être défini par rapport à sa signification (non à ses référents), c'est-à-dire par rapport au jeu de différences avec les autres signes. La langue est un système de différences suivant des lois de transformations = l'hypothèse structuraliste. Un mot ne prend son sens que dans un système. Ce qui définit le sens d'un mot, c'est sa signification, et sa signification est toujours ouverte (elle n'est pas figée). C'est ce que les poètes (et les écrivains) ont bien compris lorsqu'ils jouent sur les rapprochements et les différences entre les mots afin de faire surgir du nouveau. Et si tout peut être dit, si le langage peut se définir par sa créativité, c'est parce que la signification n'est jamais achevée. La pensée n'est donc pas prisonnière de la langue, et la diversité des langues (ne doit pas être réduite à son aspect négatif : celui d'une incommunicabilité entre les hommes) se présente plutôt comme étant le témoin de la liberté de la pensée. C'est ce que mettront en avant les phénoménologues : Husserl, Merleau-Ponty... C – Le langage est la condition de réalisation de la pensée : La signification ne correspond pas à un objet, un référent qui pourrait être visé par les mots. Elle est toujours une manière singulière de viser, de s'orienter vers, de se projeter vers des objets. La signification n'est alors jamais achevée. Elle n'est jamais pure, transparente. Je parle, et en parlant j'essaie de remplir ce creux, ce vide que la signification à laquelle je tends crée en moi. Le signe linguistique a donc une particularité : il n'est jamais visé pour lui-même ; ce n'est pas un simple outil parce que sa signification n'est jamais donnée, le signe est donc toujours opaque. Le signe linguistique n'est alors là, ne se montre et n'est présent que pour susciter en nous l'acte donateur de sens, pour orienter notre attention vers autre chose que lui- même, vers un objet qui n'existe qu'en tant qu'il est visé (que l'objet existe ou non, qu'il soit perceptible ou non n'ôte rien à la signification : j'ai le pouvoir de parler des choses qui sont absentes, ou qui n'ont aucune réalité sans que mon discours cesse d'être signifiant, et en parlant de les amener à l'être, de leur conférer une existence). Voir Mallarmé : « Je dis fleur ! Et se lève, idée même et suave, l'absente de tout bouquet » (Divagations). Le phénomène de la signification présente alors un étrange paradoxe : elle est ce battement entre l'absence et la présence qui donne au langage tout son pouvoir : celui de transformer la parole en acte Le langage a une fonction apophantique, une fonction de monstration (Aristote) : il a le pouvoir de faire apparaître, être ce qui n'était pas encore. Le discours, l'acte de parole rend les choses présentes au sens où il a le pouvoir d'évoquer les choses: ce pouvoir est manifeste dans la poésie, la parole magique et la parole de la cure psychanalytique. Ce pouvoir d'évocation est aussi un pouvoir de négation de la réalité sensible : le langage fait exister les choses de manière purement symbolique. Les mots ne se réfèrent pas aux choses sensibles, telles qu'elles existent dans leur matérialité, indépendamment d'un sujet qui les percevrait, mais ils font surgir la pure Idée de la chose nommée. C'est en ce sens que Blanchot dira que la parole est un assassinat différé ✔ Merleau-Ponty : nous n'avons pas des idées qui appellent ensuite le langage pour être dénommées: exemple de l'écrivain :lorsqu'il commence son livre, il ne sait pas encore ce qu'il va écrire ; les mots viennent en premier et les idées s'enchaînent. C'est dans et à travers le langage que l'on atteint les choses. Le langage est une médiation entre l'homme et lui-même, entre l'homme et le monde. Wittgenstein renoncera à son projet d'étude logique du langage en affirmant que la langue naturelle est parfaite en elle-même : elle réunit une multitude de pratiques langagières, les « jeux de langage » qui nous permettent de parler de toutes choses (y compris de celles qui sont absentes, comme de celles qui n'existent pas et n'existeront jamais), et de tout en dire. Le sens d'un mot, c'est son emploi. Le langage possède une logique propre qui est celle de l'action : D – Quand dire, c'est faire : Dire ce n'est pas seulement parler (parler de ou parler à), c'est aussi faire. La Genèse : Dieu a créé le monde en parlant. Avant la parole de Dieu rien n'existe, rien n'est. La parole de Dieu est à la fois parole, pensée et acte. Il en va de même chez l'homme : tant qu'une chose n'est pas nommée, elle n'existe pas réellement, sa réalité est obscure, indéterminée. Austin va s'attacher à montrer l'aspect performatif du langage, de certains énoncés. Ces énoncés ne servent pas à décrire les choses, mais font advenir, exécuter une action : exemple : ✗ « je promets de ne pas mentir » ✗ « j'ouvre la séance » ✗ « je baptise ce bateau le Queen Elisabeth » en brisant une bouteille contre la coque » Ces énoncés ne sont performatifs que lorsqu'ils sont énoncés dans les circonstances appropriées : je ne peux pas baptiser un bateau, simplement parce que je le souhaite, je n'ai pas autorité à marier des personnes. Leur efficacité est déterminée par les circonstances et par le statut de leur auteur. Ici, la parole est un acte véritable et ces énoncés démontrent que le langage possède une puissance d'action. Ces énoncés sont différents des énoncés « constatatifs » (« le chat est sur la paillasson ») qui peuvent être qualifiés de vrais ou de faux, ou bien encore servir à informer. Conclusion : L'étude du bavard : permet de répondre à la question : pourquoi parle-t-on ? On n'utilise pas le langage dans deux cas : ✔ impossibilité de compréhension : il est alors inutile de parler ✔ parfaite compréhension : il n'y a plus rien à dire; la signification semble achevée. Ainsi, on parle quand on est dans la situation médiane. Le philosophe va travailler sur le langage afin de parvenir à une situation où il n'est plus nécessaire de parler, où tout semble être dit, où toutes les conditions sont satisfaites : il pourra alors contempler par l'esprit les choses elles-mêmes. De même, le poète travaille sur les mots pour faire surgir une image, une vérité pouvant s'imposer par sa seule présence (une vérité incontestable). Parler, c'est donc savoir qu'il y a un écart entre les mots et les choses. Parler veut donc dire : je ne sais pas ce que je dis, c'est pourquoi j'en parle. Parler, c'est donc viser quelque chose que l'on sait ne pas avoir, plus précisément, comme le montre Platon : c'est rester sur la limite, entre la sagesse et l'ignorance. Parler, c'est donc désirer. C'est ce que démontre aussi Rousseau : c'est bien l'amour qui a conduit les hommes à inventer le langage. On comprend alors un peu mieux, le problème rencontré par le bavard : ➔ dans le bavardage quotidien, nous parlons les uns avec les autres, échangeons des propos qui n'ont pas grand intérêt, mais dans le seul but d'établir une communication, ou tout au moins un échange. ➔ Le bavard, lui va chercher à envahir l'espace public au point de rendre inaudible toute parole singulière (véritablement authentique). Le bavard est alors celui qui parle pour ne rien dire, et pour que rien ne soit dit. Il est pris dans le mauvais infini du désir de Hegel (il parle parce qu'il est désireux, mais ignore ce qu'il désire ; ce qu'il désire : le silence, non pas un silence vide, mais plein : le silence qui redonne vie aux choses présentes) On avait vu que tout discours s'inscrit dans cette étrange dualité : présence/absence. La parole a ce pouvoir étrange de rendre présent ce qui est absent sous le mode de l'idéalité en néantisant la réalité sensible (certains insisteront sur ce paradoxe en disant que parler c'est mettre à mort symboliquement, Mallarmé, Proust...– Blanchot : qu'il est un assassinat différé). Du coup, son discours échoue à rencontrer l'altérité véritable, l'autre dans sa présence effective, à établir une communication sincère. Pour que sa parole redevienne parlante, il faut qu'il accepte de faire silence pour rencontrer et reconnaître l'autre (un discours est fait de mots et de silences, comme en musique). On comprend maintenant en quel sens il est possible de dire que le langage (comme le désir) est l'essence de l'homme. La psychologie fera du discours un remède aux maux de l'homme, en reprenant la leçon de Gorgias : « le discours est un grand tyran qui porte à leur achèvement les actions divines en de microscopiques éléments matériels qui sont perceptibles ». les mots sont de petits riens qui produisent les plus grands effets.

Use Quizgecko on...
Browser
Browser